Trente ans de mises en scène de la TETRALOGIE de Richard WAGNER /(2) De 1980 à 2010

 

 

 

Eté 1980: rappelons l’incroyable succès de la production Chéreau, après des débuts très contestés, qui se termine par une ovation qui dure 1H30 au Festival de Bayreuth à la dernière du Götterdämmerung, et qui marque vraiment le début d’une ère nouvelle de la mise en scène wagnérienne, mais aussi de la mise en scène tout court puisqu’elle ouvre définitivement partout  l’opéra au vent nouveau: elle scelle ce qu’on a appelé l’ère des metteurs en scène. En programmateur avisé, Wolfgang Wagner sait bien qu’il ne peut reproposer pour son Ring suivant, en 1983 (Ring du centenaire, lui aussi, mais de la mort de Wagner) une vision qui aille dans le sens de Chéreau: le spectateur a besoin de digérer le choc, et il faut aussi proposer quelque chose de radicalement différent. C’est Sir Georg Solti qui doit diriger ce Ring, événement considérable puisque le chef du premier enregistrement stéréo du Ring (le fameux “son DECCA”) n’a jamais dirigé à Bayreuth. Or Solti sans doute ébranlé par l’expérience parisienne avortée, veut une mise en scène naturaliste “où un arbre soit un arbre”.

 

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Wolfgang Wagner fait appel au tandem Peter Hall/William Dudley pour réaliser un Ring naturaliste, qui revienne à la narration, tout en proposant des solutions scéniques impressionnantes: les filles du Rhin devant un immense mur d’eau, on construit pour la chevauchée des Walkyries un plateau qui se retourne sur lui même, dispositif unique au monde; le décor est souvent surchargé, mais c’est dans l’ensemble un échec relatif. Non que le public soit seulement nostalgique de Chéreau, mais il faut bien dire qu’en matière de direction d’acteurs, en matière d’esthétique générale, en matière de visions, l’équipe a tapé à côté. Les spectateurs se souviennent que le rocher de Brunnhilde, après la sublime vision de Chéreau, était une sorte de pizza géante qui faisait sourire sans jamais impressionner, alors que d’autres moments avaient été plus réussis (notamment le premier tableau de l’Or du Rhin), la distribution réunie, Hildegard Behrens exceptée, n’était pas vraiment mémorable, et la direction de Solti assez critiquée (à l’audition aujourd’hui, je la trouve pourtant impressionnante).

 

hall_siegfried_02.1263943099.jpgLe résultat, c’est que Solti se retire de l’opération, laissant la place à Peter Schneider, qui assumera les trois saisons suivantes, en brave soldat de la cause wagnérienne. Signalons pour l’anecdote (mais est-ce une anecdote?) une magnifique exposition en 1983 à Villa Wahnfried sur Bayreuth et les juifs, où l’on signale qu’en 1983, tous les chefs qui dirigent à Bayreuth sont d’origine juive, Solti, Levine, Barenboim.

Pendant qu’à Bayreuth on digère l’effet Chéreau, d’autres théâtres réagissent indirectement à l’ouragan. C’est le cas au MET, où James Levine dans ces années propose une nouvelle production du Ring, volontairement « traditionnelle » dans une mise en scène d’Otto Schenk et des décors de Günther Schneider-Siemssen. Cette production a fait les beaux soirs du MET jusqu’au printemps 2009, dernière année de bons et loyaux services, puisque dans deux ans, c’est Robert Lepage qui a été chargé de monter la prochaine production, on le verra. La production Schenk revient à des canons traditionnels (le public du MET est un public moins habitué qu’en Europe à des expériences nouvelles en matière de mises en scène) et c’est une réponse très claire à ce qui est en train de se passer en Europe au point que lace travail va devenir l’emblème des visions traditionnelles du Ring. Le spectacle que j’ai vu ce printemps pour sa dernière édition est un travail très respectable, dans des décors impressionnants (notamment l’Or du Rhin), et a toujours bénéficié comme c’est le cas la plupart du temps au MET de distributions somptueuses. De plus, on en a très tôt proposé une vidéo en VHS, et au départ le marché était divisé en deux produits concurrentiels et opposés, la version Chéreau et la version Schenk.  Les années 80 – et c’est un paradoxe- représentent pour le Ring un « recul » simplement dû à l’impact violent de Chéreau sur les metteurs en scène, même si notamment en Allemagne la plupart des opéras municipaux ou régionaux proposent des Ring dans la plus pure orientation « Regietheater » avec quelquefois des productions tout à fait remarquables (Götz Friedrich au Deutsche Oper de Berlin Ouest, qu’on peut encore voir aujourd’hui)ou la production munichoise, très contestée de Herbert Wernicke (pour l’Or du Rhin) et David Alden (pour les autres journées).

Après l’échec de la production Hall, qui fut d’ailleurs  plus coûteuse que celle de Chéreau, Wolfgang Wagner propose en 1988 à Harry Kupfer, directeur de la Komische Oper de Berlin (encore à Berlin-Est pour un an), de mettre en scène le Ring que Daniel Barenboim doit diriger, avec lequel il entame un très long compagnonnage dont on voit encore des traces précises dans la programmation wagnérienne de la Staatsoper de Berlin. Harry Kupfer est à l’époque l’un des plus fameux metteurs en scène allemands. A Bayreuth, il a à son actif un « Fliegende Holländer» qui a fait date et ce choix est tout à fait symbolique de l’alternance que propose Wolfgang Wagner. On revient à un regard très dramaturgique et moins naturaliste, et Kupfer annonce très clairement qu’il se place dans le sillage de Chéreau (il emploiera même l’expression « papa Chéreau » dans une conférence de presse). Bien que très différente de l’approche historique et très XIXème siècle (naissance du capitalisme et de l’industrialisation) qu’en faisait Chéreau, Kupfer lit les caractères et les rapports entre les personnages dans le même esprit. Chéreau a laissé des traces précises, des idées géniales qui ont fait date et qui ont été reprises par nombre de productions : la violence (y compris érotique) des rapports entre les êtres, l’intensité de la relation Brünnhilde-Wotan, la complexité du personnage de Mime, mais aussi, le final du deuxième acte de la Walkyrie, où Wotan serre dans ses bras ce fils qu’il vient de tuer (depuis, la plupart des metteurs en scène cherchent à marquer ce moment d’un geste fort), ou la marche funèbre du Crépuscule, où Chéreau montrait le cadavre de Siegfried sous les yeux d’une foule anonyme qui le regardait en passant son chemin. Kupfer choisit l’option très dépouillée : tout se déroule sur une surface lunaire, glaciale : le début de l’Or du Rhin impressionne fortement (la video rend parfaitement ce moment stupéfiant, avec ses jeux de fumées et de lasers) et il invente, ou rajoute lui aussi des idées qui vont faire florès ensuite chez les épigones.

 

2anneevanstomli21.1263943533.jpgAnne Evans(Brünnhilde) et John Tomlinson (Wotan) dans la mise en scène de Harry Kupfer

On se souvient aussi des Wälsungen, la descendance de Wotan marquée par des cheveux roux (Wotan, Brünnhilde, Sieglinde, Siegmund, Siegfried), la marche funèbre du Crépuscule, où le corps de Siegfried s’enfonce dans les entrailles de la terre qui s’ouvre comme un gouffre au bord duquel se trouve Brünnhilde face à qui Wotan apparaît (idée reprise par Stéphane Braunschveig à Aix) face à elle et cette marche funèbre devient une sorte d’insoutenable face à face, les Nornes dans une forêt d’antennes télévisuelles, Siegfried qui ronge son frein lorsqu’il est en couple avec Brünnhilde et qui ne cesse de regarder ailleurs alors que Brünnhilde est en train de broder, l’entrée de Siegfried/Günther à la fin du premier acte du Crépuscule. Toutes ces visions marquantes font du travail de Kupfer, incontestablement, l’une des productions les plus passionnantes de la période, et la vidéo du spectacle disponible en DVD, montre qu’elle n’a rien perdu de sa fascination. Je tiens cette production, comme la plus intéressante avec celle de Chéreau, qu’on ait pu voir sur une scène pendant ces trente ans.

A partir des années 1990, le réservoir à idées semble se tarir. On aurait espéré Heiner Müller après le magnifique Tristan qu’il donna à Bayreuth, mais il mourut trop tôt. Wolfgang Wagner explore alors une autre veine, celle de l’esthétique, et de l’unité par l’esthétique et la vision, plus que par la mise en scène proprement dite, en confiant à une équipe composée de James Levine, Alfred Kirchner (à qui l’on doit une belle Khovantchina avec Abbado à Vienne), et de Rosalie, une artiste peintre qui imprime à cette production une incontestable poésie. En fait, il s’agit (presque) à travers les yeux de Rosalie, et la vision cosmique de Kirchner, de rappeler, en clé contemporaine, l’univers de Wieland Wagner : les personnages sont dans le mythe, ils évoluent sur le globe terrestre, presque comme des géants, et c’est presque à une bande dessinée ou un dessin animé qu’on a droit. Musicalement, la lenteur de James Levine va souvent rendre ce travail ennuyeux et assez rapidement oublié, quant à la distribution, à part Polaski dans Brünnhilde, elle reste assez moyenne.

Pendant la même période, Robert Wilson se lance dans l’aventure à Zurich (le Châtelet présentera ce Ring au début des années 2000). Ce n’est plus la période créatrice de Wilson, et on préférera d’autres productions wagnériennes comme Lohengrin (au MET) ou surtout un magnifique Parsifal à Hambourg. Les 16 heures du spectacle en paraissent 1000, et là aussi, on s’ennuie ferme. Pourtant le hiératisme de Wilson, confronté à une histoire qui est qui est de chair et de sang, aurait pu faire merveille, ce n’est pas le cas.

Avec la mise en scène de Jürgen Flimm à Bayreuth pour l’an 2000 clôt sans doute une ère. Cette production a des atouts, un chef original et discutable, mais prestigieux à l’époque, Giuseppe Sinopoli, Placido Domingo et Waltraud Meier en Siegmund et Sieglinde, et un metteur en scène qui jouit d’un préjugé favorable. Mais la production montre que désormais tout ou presque a été dit, et Flimm ne cesse de répéter des figures désormais presque imposées du Regietheater sur le Ring, en poussant la logique jusqu’au bout :  c’est à une lecture clairement idéologique que nous assistons, où est en jeu la lutte des classes laborieuses et  exploités contre les exploiteurs : le monde de la production à outrance qui règne à Nibelheim, chez Alberich dans l’Or du Rhin d’où un Hagen qui représente clairement en fils d’Alberich  le monde ouvrier dans un palais des Gibichungen qui est un univers de multinationale avec des secrétaires qui courent partout, , l’ intérieur relativement bourgeois de Hunding dans la Walkyrie montre en même temps que les héros sont au-delà de la lutte des classes. Une production assez propre où le fantôme de Chéreau (cette fois-ci en vrai grand-papa) règne çà et là. Le versant musical était à mon avis discutable (les options insupportablement dilatées de SInopoli ralentissant l’histoire), il pâtira de la mort brutale du chef italien, remplacé par Adam Fischer, chef par ailleurs très solide, mais qui dirige une production à la genèse de laquelle il n’a pas été associé, et désormais sans Domingo ni Meier. Tout ce que nous apprend Flimm, c’est qu’il est temps de changer de lecture, d’époque, de stratégie, et que le monde du Ring, notre monde, ne peut plus être lu avec les mêmes yeux ni avec la même loupe, à l’aube des années 2000.

De 2000 à 2010, les productions du Ring dans les grands théâtres ne sont pas toutes convaincantes, loin de là, même si on sent se développer une veine nouvelle, fondée sur l’histoire, sur le récit, une sorte de version lyrique du Seigneur des anneaux parallèlement à des soubresauts élégants mais sans grand intérêt (Braunschweig), ou à des ratages absolus (Bayreuth 2005).

Après Flimm à Bayreuth, on sent donc qu’une ère se termine et s’étiole, et qu’il faut chercher ailleurs une clé de lecture possible. Wolfgang Wagner vieillit, confie de plus en plus les rênes à sa fille et un espoir extraordinaire naît lorsqu’on apprend que c’est Lars von Trier, le cinéaste danois, qui va mettre en scène la future production du Ring : Marthaler pour Tristan, Schlingensief (et Boulez) pour Parsifal en 2004 et désormais Lars von Trier : le Festival de Bayreuth retourne à être cet atelier expérimental que Wolfgang a voulu relancer en 1976 avec Chéreau. Les batailles rangées après Parsifal (spectacle génialement fou, d’une complexité rare), après Tristan (lecture glaciale et bouleversante d’un Tristan stratifié par le temps) laissent présager des frissons chez les spectateurs, alors qu’on se demande comment un chef comme Christian Thielemann, idéologiquement étiqueté à l’opposé de Lars von Trier, et plutôt classique dans ses lectures musicales, va pouvoir dialoguer comme il se doit lors de la préparation d’une pareille entreprise. Au bout de deux ans, Lars von Trier abandonne le navire, prétextant une complexité de laquelle il ne vient pas à bout, et confessant un échec. Il est difficile de savoir ce qui se cache derrière ce départ, sans nul doute très regrettable, et qui plonge le Festival dans une énorme difficulté, trouver un metteur en scène qui en à peine eux ans, va proposer un concept et monter un spectacle gigantesque. La surprise est grande lorsque le metteur en scène choisi par Wolfgang (ce diable d’homme réussit encore à étonner à 85 ans !) n’est justement pas un metteur en scène, mais un écrivain, dramaturge, homme du théâtre de l’écriture plus que de la scène, une figure incontestable de la scène allemande néanmoins, Tankred Dorst, 80 ans. Il s’entoure d’une équipe nombreuse, qui va littéralement mettre en image le concept de Dorst, un concept original, intéressant et jusque là peu exploité : le Ring se déroule devant nous, dans le monde, mais nous ne le voyons pas. Tout est fondé sur cette double appartenance, un monde mythique en transparence et en correspondance (au sens baudelairien) avec notre monde d’aujourd’hui.

Cette production est pour moi un échec absolu, qui finit même par nuire à la lecture de Thielemann, que j’ai à chaque fois trouvé ennuyeuse, sans vrai souffle, sans idée. Est-ce que ce que l’on voyait sur scène, cette insondable médiocrité, influait à ce point sur ce qu’on entendait ? Je vais sans doute écouter avec attention les CD de cette production très contrastée au niveau du chant (avec du très bon, Wotan de Falk Struckmann ou Alfred Dohmen, Siegfried magnifique (enfin !) de Stephen Gould, Eva Maria Westbroek depuis peu dans Sieglinde, mais du mauvais aussi comme la Brünnhilde inexistante et sans âme de Linda Watson). Peut-être changerai-je un peu d’avis…
Que s’est-il passé ? A mon avis, il fallait à ce concept intéressant à la fois adjoindre un vrai metteur en scène, et aussi un décorateur qui aurait trouvé des solutions moins lourdes et moins caricaturales : les chanteurs sont livrés à eux-mêmes, l’espace scénique est encombré, aucune image esthétiquement un peu recherchée : il ne se passe rien, on ne comprend pas toujours le sens de ce que l’on voit, on a l’impression d’un travail gratuit, sans intérêt, sans âme, et sans intelligence, alors que ce n’est pas le cas. En fait, la traduction visuelle du concept est totalement ratée. Un spectacle à oublier, je dirais presque (à mon avis du moins, par rapport à l’histoire du Ring dans cette maison) un vrai naufrage.

On ne connaît pas encore les choix définitifs du Ring 2013, le Ring du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner, le Ring de l’année Wagner. On parle du chef russe Kyrill Petrenko (et ça c’est une excellente nouvelle !) et on a murmuré les noms les plus fous, jusqu’à Quentin Tarantino: ce sera en fait Wim Wenders. C ela veut dire que depuis l’affaire  Lars von Trier, on n’a pas renoncé à travailler sur l’univers cinématographique, ce qui est une excellente idée, non encore bien exploitée à Bayreuth ou ailleurs, mais le cinéaste n’est pas toujours un excellent metteur en scène lyrique.

Parallèlement, une évolution se lit dans les choix des théâtres, qui sentent tous que l’âge post-moderne exige un âge post-chéreau. En ce sens Stéphane Braunschweig à Aix et Salzbourg m’a bien déçu. Non pas que le spectacle fût médiocre, il y a au contraire de bons moments (l’Or du Rhin, incontestablement le meilleur des quatre, ou dans une moindre mesure, le Crépuscule), mais la lecture globale ne m’est pas apparue ajouter une pierre définitive à l’édifice des lectures du Ring. Beaucoup de redites (prise à Chéreau, voire à Kupfer), une direction d’acteurs pas vraiment convaincante, une vision souvent illustrative, en fait on a l’impression d’une hésitation fondamentale, et pas vraiment d’un choix et d’une direction affirmés. Comme chez Flimm (que j’ai trouvé plus intéressant) on arrive à l’impasse.

Pour en sortir, il faut aller explorer d’autres territoires. Deux productions me sont apparues ouvrir des pistes, parce qu’elles reviennent à l’histoire, au récit, à la création d’un univers, en collant plus aux images, tout en proposant une vraie lecture. Elles sont qui plus est toutes les deux d’un très haut niveau musical.

 

A Vienne d’abord, où Franz Welser-Möst propose un Ring très stimulant, avec une équipe de chanteurs actuellement sans rivale. Le Siegfried si difficile à réaliser est l’une des plus grandes réussites (Stephen Gould encore une fois exceptionnel) le Mime prodigieux d’Hedwig Pecoraro, le Wotan impressionnant de Juha Uusitalo- je l’ai entendu avant son accident de santé, il paraît qu’il est moins convaincant en ce moment-, et la Brünnhilde de Nina Stemme. Une production qui utilise la vidéo, qui n’est pas une lecture, mais une très rigoureuse illustration (Sven-Eric Bechtolf pour la mise en scène et Rolf et Marianne Glittenberg pour les décors et costumes).

A Valence et Florence ensuite, l’expérience remarquable de la Fura dels Baus (Carlos Padrissa) musicalement de très haut niveau avec Zubin Mehta au pupitre (et notamment à Valence avec Domingo dans Siegmund, le jeune Lance Ryan en Siegfried, incroyable de solidité et la magnifique Jennifer Wilson si engagée dans son chant, que j’appelais par affection Jennifer Nilsson, tant la solidité de la voix et le volume rappellent la soprano suédoise.). Tout en utilisant à fond les possibilités techniques, avec des trouvailles phénoménales (Walhalla en mur humain, marche funèbre dans la salle, précision des vidéos qui donnent souvent une lecture-commentaire  en transparence de ce qui se fait sur scène) ; spectacle passionnant, très complexe qui rend au déroulé du récit tout son aspect épique. Un conte, à la fois pour les enfants et pour les adultes.

Cette année, Paris et Milan se lancent. Les deux théâtres sont orphelins de Ring, pour des raisons expliquées au début de mon propos. Paris a choisi Günther Krämer, qui est un metteur en scène de qualité : je ne suis pas sûr que le renouveau vienne de là. J’ai plus d’intérêt à voir ce que Guy Cassiers, de l’école flamande de théâtre (Tonelhuis d’Anvers !), très en pointe dans la lecture du monde d’aujourd’hui, va proposer en utilisant des moyens techniques les plus avancés; j’ai vu de lui il y a un an un passionnant tryptique du Pouvoir, à partir du Mephisto de Klaus Mann (Mefisto for ever), un dialogue imaginaire entre Lénine, Hitler et Hirohito (Wolfskers) et une fascinante relecture de la tragédie grecque et de la guerre de Troie( Atropa), à l’éclairage de la politique et des discours de George Bush. L’Anneau est vraiment en prise directe sur cette problématique.

Enfin, last but not least, le MET est engagé dans l’entreprise la plus complexe de son histoire, aux dires de Peter Gelb, son directeur, en confiant le Ring à Robert Lepage, ce qui pourrait bien être la production que nous attendons tous. Jusque là les spectacles d’opéras de Lepage, son travail sur les contes, sur Shakespeare, ont montré que c’est un incomparable raconteur d’histoire, un conteur scénique qui fait à la fois rêver et frémir. Le Ring lui va comme un gant, et cela fait douze ou quinze ans que j’attends cela tant ses spectacles me faisaient désirer un Ring. Réponse dans deux ans.

En attendant Bayreuth et une production qui sans nul doute va marquer le véritable début du tandem Katharina et Eva Wagner, on peut voir, comme c’est logique, que les différentes productions du Ring illustrent parfaitement les évolutions de notre monde et de nos approches intellectuelles. Chéreau a transféré au théâtre une lecture des textes fortement marquée par les travaux de Barthes, de Foucault (spectateur assidu et militant du Ring de Bayreuth) et de tous les travaux sur la textualité triomphante ;  sa connaissance du monde germanique et de la culture allemande a fait qu’il a su croiser les deux mondes intellectuels, ce qui explique le côté « fondateur » de son entreprise. Mais comme l’a dit Todorov, c’est une attitude qui, dans la littérature, a fait quelquefois oublier le lecteur simplement spectateur, celui qui sait dire « c’est beau ». Certes, Chéreau créait de l’émotion à chaque moment, mais en même temps il ouvrait un regard en abîme sur le monde. On n’était plus le même en sortant du théâtre. Car le Ring est une œuvre qui rencontre à chaque moment le monde, qui dit la création de l’homme, qui dit l’amour et sa mort, qui dit les rapports maître-esclave, qui dit la naissance de l’exploitation, qui dit aussi la mort des dieux. On voit bien aujourd’hui que le théâtre a besoin de retourner au mythe, au récit, à la narration, le théâtre a aussi besoin d’expérimenter de nouvelles formes, de nouveaux outils, nés par exemple de l’invasion du numérique : le Ring pourrait être (je crois même que cela a été fait) un magnifique jeu vidéo. En ce sens La Fura dels Baus et Lepage nous emmènent ou nous emmèneront pour sûr au pays de l’étonnement, sans forcément revenir sur des lectures idéologiques qui pour l’instant me semblent épuisées. Peut-être Cassiers fera-t-il le lien entre les deux, avec sa lecture du monde à la fois violente et glacée, sa fascination des phénomènes de pouvoir et sa science des effets. De toute manière nous avons toujours besoin du Ring, source inépuisable de fantasmes et de lectures, et nous avons aussi besoin de belles histoires tristes.

 

 

THEATER BASEL 2009-2010(Théâtre de Bâle): LA GRANDE DUCHESSE DE GEROLSTEIN vue par Christoph MARTHALER avec Anne Sofie VON OTTER (16 janvier 2010)

 

FINI DE RIRE

Depuis la mémorable « Vie parisienne » présentée en 1998 à la Volksbühne de Berlin sous la direction de Sylvain Cambreling, spectacle éblouissant qui a été un vrai tournant dans la manière de lire l’opérette, Christoph Marthaler ne s’était plus attaqué à Offenbach. Il avait alors choisi  d’en proposer la version complète. Un choix totalement opposé préside à la mise en scène de La Grande Duchesse de Gérolstein.

Ceux qui attendaient ou espéraient une version complète dans l’édition critique de Jean-Christophe Keck telle qu’elle avait été proposée en 2004 par le Châtelet et puis enregistrée avec l’équipe réunie autour de Marc Minkowski et Felicity Lott en seront pour leurs frais. Prenant prétexte des problèmes d’édition récurrents chez Offenbach et particulièrement sensibles dans une œuvre qui dès la création a été modifiée suite à des réactions négatives du public dès le deuxième acte, Marthaler ne propose en fait de l’ensemble de l’œuvre qu’une lecture complète du premier acte, en première partie, puis une lecture très personnelle et loin de la bonne humeur du Mozart des Champs Elysées en seconde partie: c’est au-delà du rire, ou peut-être derrière le rire qu’il nous invite à regarder en convoquant Bach, Haendel, Brahms et quelques menus fragments d’Offenbach. Le chef Hervé Niquet, -encore un baroqueux tenté par Offenbach (après Harnoncourt et Minkowski)- participe volontiers de l’opération puisque de chef et presque acteur dans la première partie, il n’est qu’acteur dans la seconde, celle du temps qui stagne et qui se perd.

Loin d’être une entreprise de destruction c’est à une vision de l’espace imaginaire  ouvert par La Grande Duchesse que nous sommes conviés, puisque Marthaler s’attache à un aspect unique et grave, qui est la guerre et l’antimilitarisme. On sait que l’œuvre a incontestablement une portée politique, et d’ailleurs la censure du second Empire s’en était inquiétée : elle a été présentée au théâtre des Variétés, en 1867, à l’occasion de l’exposition universelle, et tous les souverains d’Europe ont vu cette satire féroce du militarisme, des cours et de leurs petitesses, des faveurs gratuites, de la politique confisquée au peuple,  du bon plaisir du souverain fondé sur l’humeur du moment. C’est tout cela qui est présent au premier acte, les autres actes se développant autour d’une intrigue de cœur qui n’intéresse pas Marthaler.
Rappelons brièvement l’histoire : Le général Boum (Christoph Homberger
) et le baron Puck (Karl-Heinz Brandt )ont décidé de faire la guerre pour distraire leur souveraine qui s’ennuie, et qui ne veut pas épouser le prince Paul (Rolf Romei, correct)à qui elle est promise. Au moment où la Grande Duchesse passe les troupes en revue, elle repère un soldat qui monte la garde et en tombe amoureuse. Celui-ci, puni pour avoir embrassé sa belle, la jeune Wanda, devient en quelques minutes, de simple soldat, capitaine, puis général, baron et bientôt général en chef. Il part à la guerre et revient vainqueur (Marthaler s’arrête là). Au retour de la guerre, la duchesse cherche en vain à séduire le héros vainqueur. De dépit, elle rejoint les comploteurs composés de tous ceux à qui cette élévation a complètement enlevé pouvoir et influence. Après quelques péripéties, la Grande Duchesse dégrade le jeune Fritz qui retourne à son anonymat, et à ses amours, et finit par accepter d’épouser le prince Paul, en disant « quand on n’a pas ce que l’on aime, on aime ce que l’on a ».
De cette intrigue un peu faiblarde, Marthaler s’attache à montrer la guerre, – on va jusqu’à entendre une citation de Clausewitz !- dans ses aspects les plus caricaturaux puis les plus terribles. La guerre ne frappe jamais (ou rarement) ceux qui la décident, elle frappe ceux qui la font. Le propos de Marthaler, malgré l’ironie, le burlesque, le clownesque, est aussi sérieux que l’entreprise de Chaplin dans Le Dictateur.
160120101472.1263855889.jpgLe début est un grand moment. Le décor énorme, d’Anna Viebrock (qui signe aussi les costumes) représente au niveau supérieur un bâtiment des années 60, vitré, avec ses boiseries modernes de type hall d’Orly (ou d’hôtel) dominé par le fameux portrait de Sissi par Franz Xavier Winterhalter (qu’on trouve à la Hofburg de Vienne), et au rez-de-chaussée une porte avec code (cela a son importance), un magasin de vêtements féminins à la mode, et un marchand d’armes (Raphael Clamer), nouvellement installé, qui passe son temps à ranger sa vitrine (un canapé couleur treillis, sur lequel reposent des mitraillettes amoureusement disposées). Tout est vide, pas un humain.  Le marchand d’arme arrive, puis peu à peu quelques membres de la cour au dessus, et un pianiste devant un piano désaccordé qui joue …l’ouverture des Maîtres chanteurs. Toutes ses interventions seront essentiellement wagnériennes d’ailleurs (mort d’Isolde, Parsifal…). Puis arrive sur scène un soldat, portant un instrument, qui descend dans la fosse encore vide, puis peu à peu la scène et la fosse se remplissent, en haut, la cour en vêtements de cocktail des années 60, mais avec des coiffures quelquefois second empire, en bas, dans la fosse, un orchestre de soldats en treillis. Tous ces gens sont un peu erratiques, et ce monde ne semble pas très organisé, aussi, un des acteurs demande à la cantonade « Gibt es ein Regisseur im Publikum » (« Y-a-t-il un metteur en scène dans la salle » ?) Les dialogues sont en allemand, les parties chantées en français.

Le chef arrive alors bousculant portes et spectateurs, un général de Gaulle mâtiné de Louis de Funès, s’excusant de son retard, la musique monte de la fosse et c’est..Tannhäuser….Le chef hurle, puis l’opérette commence : en vingt minutes, ce début a complètement conquis la salle et installé le rire, la bonne humeur, et l’humour grinçant. Une divine surprise, jouée, mimée, construite à la perfection.

L’entrée de la Grande Duchesse, une étonnante Anne-Sofie von Otter, vêtue comme Elisabeth II les pires jours, est aussi un grand moment : elle pénètre dans le magasin de mode féminine et essaie un tailleur…en treillis lui aussi, puis change bientôt pour revêtir ses atours officiels. Tout cela pendant que le premier acte se déroule au dessus : le public pris entre tous les mouvements, les différents lieux, les différents gags, ne sait pas toujours où donner de la tête et les rires fusent, mais jamais ensemble, au gré des regards qui courent sur l’ensemble de la scène. Tout le premier acte se déroule entre le hall de la cour et le rez-de-chaussée où le marchand d’arme, lorsqu’il ne range pas sa vitrine (barrée d’un NEUERÖFFNUNG (ouverture récente, nouvelle) énorme, tire sur des cibles, les coups de feu répétés provoquant les célèbres « l’ennemi ! l’ennemi ! » du général Boum.

Il est difficile de rendre compte avec précision de tous les détails de ce travail théâtral, qui suit dans un rythme précis, voire métronomique la musique d’Offenbach : Marthaler connaît la musique, et n’oublie jamais qu’on est à l’opéra…tout apparaît logique, justifié, en phase avec le propos du texte, en prise évidente avec le public. En me relisant je me rends compte combien on pourrait y voir une sorte de fantaisie gratuite et destructrice : rien de tout cela. Le public est d’abord désarçonné, étonné, puis très vite rentre dans cette logique, et répond en écho par sa participation au regard dévastateur qui préside à la scène et si la deuxième partie étonne à nouveau par le parti pris radical de s’éloigner de l’œuvre, le spectateur est si bien conduit par le metteur en scène qu’il accepte sans barguigner tout le spectacle, qui est tout sauf provocateur : rien là-dedans n’est vraiment en contradiction avec ce que l’œuvre dit.

Mais poursuivons : le départ de Fritz à la guerre s’accompagne du départ de tous les hommes de la cour, et de tout l’orchestre, au son de la marche funèbre de Siegfried (dans Götterdämmerung) jouée au piano. Le chef se retrouve seul, les quelques membres de la cour et la Duchesse restés « à l’arrière » passent alors le temps dans une oisiveté angoissante, s’usant dans la boisson et le ton change, même si certes, çà et là, le burlesque réapparaît : les rires se font plus isolés, plus désordonnés, moins francs, le pianiste se met à jouer en continuo avec un violoncelliste, le seul soldat resté dans la fosse, les airs baroques extraits de Bach ou du Giulio Cesare de Haendel, ou le début du Deutsches Requiem de Brahms. C’est à une sorte de pantomime lente et silencieuse que Marthaler nous convie, une pantomime qui fait taire Offenbach. Le retour de Fritz fait penser à celui des soldats éclopés du célèbre Faust de Lavelli. La guerre n’est jamais une guerre d’opérette, et Fritz revient seul, sérieusement amoché, n’arrivant pas à marcher et entamant son air, en chutant dans la fosse, en s’écroulant. Lui aussi s’enfonce dans la nuit qui a envahi l’espace. Et puis la duchesse entre chez le marchand d’armes, s’endormant sur le canapé dans la vitrine avec deux mitraillettes dans les bras. Rideau.

gerolstein004_g.1263855355.jpgPhoto Tanja Dorendorf

La guerre a tué la musique, restée à l’état de fragments, elle a tué l’orchestre, elle a tué la cour : on a  fini de rire depuis longtemps. Lire ce regard là, à la lumière des trois guerres qui vont opposer allemands et français, dont la première commence à peine trois ans après la première de la Grande Duchesse, donne une véritable perspective, d’autant qu’Offenbach est à cheval sur les deux cultures, et que ses œuvres sont systématiquement données de part et d’autre du Rhin : mais en 1867, il raille devant Bismarck (qui a vu l’œuvre dans sa traduction allemande) les petits états germaniques ridicules qui disparaîtront en 1870 sous la férule de la Prusse, et devant Napoléon III les petitesse et la vacuité de la cour ; quant au Tsar, il court à la descente du train voir La Grande Duchesse (Hortense Schneider) dont le costume est une claire référence à son aïeule la Grande Catherine : tout ce que dit l’œuvre va bien au-delà de son intrigue, et c’est cet au-delà auquel s’est attaché Marthaler.

 

 

On n’a donc pas là un spectacle en marge de l’œuvre, mais un tout cohérent, et musical : Anne Sofie von Otter est une duchesse qui va chanter Offenbach mais aussi Haendel et Bach et elle est le personnage au-delà de toute éloge, dans la démarche, dans le port, dans la mimique, même si la voix était fatiguée ce soir là (une annonce avait été faite). Le Fritz de Norman Reinhardt est vocalement sans doute plus pâle, et son français est totalement inaudible mais l’exigence scénique auquel il est soumis dans la deuxième partie est notable. Les autres membres de la distribution sont acceptables ou médiocres, dans leur prestation vocale, mais incarnent totalement leur pesonnage. Quant aux acteurs de Marthaler (Jürg Kienberger et sa voix délirante de fausset qui ose chanter Haendel en duo avec Anne-Sofie von Otter, Ueli Jäggi en secrétaire privé et Christoph Homberger en général Boum) ils sont désopilants voire phénoménaux dans leur manière de mimer le chant ou la musique ou de se mouvoir, sans oublier la drôlerie du pianiste Bendix Dethleffsen : il y a quelque chose du génie des Marx Brothers là-dedans.

Quant à l’orchestre, il est dirigé avec vaillance, légèreté et une précision étonnante. L’attention à ce qui se passe sur scène est constante, et on lit dans l’engagement d’Hervé Niquet (dont les répliques sont en Français et non en allemand), et dans son application à faire le pitre pince sans rire soit envers les spectateurs, soit sur scène, une adhésion authentique à l’entreprise.

Une fois de plus, Christoph Marthaler de retour dans la ville de ses débuts, (tout comme Anne Sofie von Otter) réussit à surprendre, en s’engouffrant dans la brèche ouverte par une partition pas encore fixée, en s’engageant aussi dans un travail de théâtre à la précision d’orfèvre et dans un regard d’une acuité glaçante, comme dans la plupart de ses spectacles (rappelons-nous la magnifique lecture de Traviata à Paris), même si je garde intact le souvenir de la « Vie parisienne » que cette Grande Duchesse n’effacera sans doute pas(1) : qui lui proposera les Contes d’Hoffmann ou Orphée aux Enfers ?

Triomphe absolu, public ravi, pas une seul voix discordante : il y en eut à la Première, on pouvait s’en douter. Il faut aussi saluer l’imagination et l’ouverture de ce théâtre (salué par le mensuel Opernwelt comme le meilleur théâtre de langue allemande en 2009) qui propose depuis plusieurs années une programmation ouverte, des spectacles très contemporains et des mises en scène qui savent poser question : c’est Bâle, ville franchement ouverte sur l’art d’aujourd’hui, qui draine  un public venu d’Allemagne ou de France respirer un air d’opéra neuf, stimulant, ouvert, intelligent. Amis d’Alsace ou d’ailleurs, courez-y.

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(1)  Au théâtre, à la Volskbühne de Berlin une fois par saison (cette saison c’est déjà passé depuis novembre 2009) se joue l’un des spectacles les plus attachants et les plus accomplis, une fête de l’acteur, du théâtre et de l’émotion, Les légendes de la Forêt viennoise de Horvath. Si Avignon, qui va célébrer Marthaler, pouvait reprendre ce spectacle, l’un des plus beaux de la scène européenne des vingt dernières années ce serait une divine surprise.

Trente ans de mises en scène de la TETRALOGIE de Richard WAGNER /(1) Les racines

Il  y a maintenant plus de 33 ans, Patrice Chéreau mettait en scène la Tétralogie (le “Ring” du centenaire) au Festival de Bayreuth et ce travail allait révolutionner la scène wagnérienne pour longtemps. Or, la période actuelle est riche en projets de productions de la Tétralogie, et tous les grands opéras ont soit mis en chantier, soit achevé leur Tétralogie des années 2000. Le MET projette la chose pour 2012, l’Opéra de Paris commence cette année, la Scala également, Vienne et Londres ont bouclé la leur. Dans un théâtre de répertoire, une Tétralogie dure au moins 20 ans, vu l’investissement que ce type de projet représente, dans un théâtre “stagione”, il faut au moins la programmer 3 ou 4 fois pour l’amortir, ou sinon en prévoir une tous les trente ans. A ce titre Paris et Milan ont eu des destins malheureux parallèles. A Milan, Luca Ronconi n’a jamais terminé le travail commencé en 1974 (il l’a terminé plusieurs années après, mais à Florence et avec un autre chef), à Paris, le beau projet de Peter Stein et Klaus Grüber en 1976 s’est achevé à peine commencé, à cause des coûts et surtout de l’accueil mitigé du public et du chef, Sir Georg Solti. Les efforts de la Scala pour monter un Ring sous l’ère Muti se sont soldés par une solution ridicule, où sur quatre opéras, deux ont été mis en scène par André Engel, un a été présenté en version de concert, et le dernier mis en scène par Yannis Kokkos, autrement dit la négation même de ce que Wagner préconisait, mais telle était la politique artistique bien en cour à Milan dans les années Muti/Fontana. Aussi ne peut-on que saluer Nicolas Joel et Stéphane Lissner de programmer un Ring.

Il me semble qu’il est donc opportun de faire le point sur ces trente dernières années pour comprendre les évolutions de la scène actuelle, et qu’il est donc bon de rappeler la situation des années 1970, lorsque Chéreau est arrivé au Festival de Bayreuth.

Le rôle du Festival de Bayreuth

Il est dans ce domaine déterminant. La salle de Bayreuth, avec sa structure en amphithéâtre et son orchestre caché sous le plateau, concentre tous les regards sur la scène, ce qui fait dire à certains spectateurs que le spectacle se rapproche du cinéma, et que la musique accompagne l’action. Wagner dès les origines, souligne, par son concept de “Gesamtkunstwerk” (“l’oeuvre d’art totale”), que la musique ne peut être séparée de la représentation scénique. C’est pourquoi Bayreuth est un lieu où une très grande attention est toujours portée à la mise en scène, et où, parallèlement, la scène doit posséder les atouts techniques les plus modernes pour répondre aux exigences scéniques. Par ailleurs, les répétitions musicales, par nécessité sont plus brèves que les répétitions scéniques: les musiciens de l’orchestre, membre de tous les orchestres allemands, arrivent à Bayreuth à la fin juin, et le Festival ouvre traditionnellement le 25 juillet. Trois petites semaines pour répéter 7 oeuvres, Ring compris. Les chefs répètent en fait très peu. Et de plus les espaces de répétitions sont réduits, on répète peu dans la salle, mais beaucoup dans les espaces laissés libres par les bars et restaurants, au moins jusqu’à ces dernières années, car la situation s’est peu à peu améliorée. Lorsqu’on monte un nouveau Ring, c’est même très acrobatique pour le nouveau chef, et Carlos Kleiber je crois avait invoqué le manque de répétitions pour abandonner en cours de route(au bout de deux ans) le Tristan qu’il dirigeait. Certes, le monde germanique est habitué à Wagner, et habitué aussi aux répétitions musicales limitées (il en va de même à Salzbourg, et Abbado avait renoncé en 2000 à Cosi’ fan Tutte et Tristan, parce qu’il n’avait pas réussi à se mettre d’accord avec les Wiener Philharmoniker). C’est aussi pourquoi Bayreuth se considère comme un atelier (“Werkstatt Bayreuth”), où chaque année on revient sur le métier, avec les mêmes chefs, mêmes chanteurs, pour arranger, peaufiner, changer radicalement tel ou tel aspect. Ce que la famille Wagner a toujours voulu, c’est créer un esprit de troupe, qui adhère à l’idéal wagnérien de travail, de répétition, de construction prenant peu à peu une forme idéale. C’est bien d’ailleurs l’enjeu des prochaines années dans un marché lyrique complètement différent aujourd’hui (je traiterai de cet aspect dans un autre article sur Bayreuth très bientôt).
Les répétitions scéniques commencent beaucoup plus tôt, par à coups, selon les libertés des uns et des autres, mais c’est bien la mise en scène qui va marquer de son sceau l’image du “Ring”.
Dans l’histoire des mises en scène du “Ring” jusqu’à aujourd’hui, et sans nier l’apport des autres théâtres et d’autres artistes jamais invités à Bayreuth, c’est bien le Festival qui a marqué les étapes. Il y a eu l’avant-guerre puis le neues Bayreuth, et Chéreau. Si l’on peut résumer brièvement l’histoire de l’avant guerre, de 1876 à 1939, l’image visuelle du Ring s’est peu à peu allégée, d’un naturalisme luxuriant au départ (les animaux du Ring, des chevaux au crapaud, étaient vrais! Seul le dragon évidemment….), modifié par les interventions de Siegfried Wagner. Heinz Tietjen, le dernier metteur en scène d’avant guerre, avec les décorateurs Alfred Roller et Emil Preetorius, n’ont rien changé de fondamental. Bayreuth était le temple de la conservation.
Parallèlement la réflexion sur la mise en scène wagnérienne avait marqué certains intellectuels, c’est le cas d’Adolphe Appia, dès la fin du XIXème sicèle. Ce metteur en scène suisse, lié à tous les grands novateurs du théâtre des années 20 et notamment à Jacques Copeau, a conçu en effet des mises en scène de l’Anneau du Nibelung, des Maîtres chanteurs de Nuremberg et de Tristan et Yseult dès 1891 et 1892, et écrit un ouvrage fondamental, La mise en scène du drame wagnérien, en 1895. Il fera peu de mises en scène (un Tristan à la Scala en 1923) et restera célèbre particulièrement par ses décors, dépouillés, hiératiques, qui influenceront tout particulièrement le Neues Bayreuth, au point qu’en 1955, Wieland et Wolfgang Wagner lui rendront un hommage certes “mesuré”, comme le dit Philippe Godefroid (1), mais réel. Ainsi donc, en 1951, Bayreuth change complètement de direction, et ce virage est justifié par l’obligation de se démarquer de la politique artistique précédente, gagnée par le nazisme certes, mais aussi par la volonté farouche de Cosima, puis de Winifred, de rester dans le sillon tracé par le Maître sans déroger. Wieland Wagner inaugure des mises en scènes à l’opposé du naturalisme, avec des gestes minimaux des chanteurs, dans des décors minimaux, en utilisant voiles, couleurs, éclairages. Regina Resnik, Sieglinde en 1953, me racontait que Wieland lui disait qu’un geste pouvait gâcher toute la personnalité scénique qu’elle avait rien qu’en apparaissant sur scène et qu’elle n’avait jamais oublié ses conseils. Jusqu’à sa mort, en 1966, il règnera sur l’image artistique de Bayreuth. Certes, son frère est aussi metteur en scène, mais il n’a jamais eu le génie créatif de Wieland, Wolfgang, c’est plutôt le management du Festival qui va le revéler. A la mort de Wieland, Wolfgang se retrouve seul, il sait bien qu’il ne pourra longtemps vivre sur les acquis de la période, et qu’il faudra faire appel à des personnalités extérieures pour renouveler le paysage artistique de Bayreuth.
Il reste que pendant toute cette période, et après bien des scandales (le public supportait mal les mises en scènes minimalistes de Wieland au départ, notamment les Maîtres Chanteurs, opéra “national” allemand par excellence), c’est la tendance qui va marquer toute l’histoire de la mise en scène wagnérienne, et tous les metteurs en scène de l’époque feront du Wieland, ou des pâles copies de Wieland. Cela continuera jusqu’au seuil des années 1980: le Tristan d’August Everding à Bayreuth (décors de Josef Svoboda) en 1975 (celui dirigé par Carlos Kleiber, puis par Horst Stein) est un exemple typique de cette tendance.
C’est de Bayreuth que part l’appel aux metteurs en scène de la nouvelle génération, toujours dans l’esprit de l’atelier de recherche, et c’est ainsi que Wolfganag invite en 1972 Götz Friedrich, allemand de l’est,  ex étudiant et assistant de Walter Felsenstein, pour mettre en scène Tannhäuser (une mise en scène qui insiste sur la fossilisation des nobles aristocrates et fait de Tannhäuser le porte drapeau de la nouveauté et du peuple), et ce sera le premier très grand scandale du Festival. Parallèlement, Wolfgang appelle Pierre Boulez, pour le Ring du centenaire et pour marquer les esprits et bien montrer que Bayreuth est un lieu d’exploration plus que de consécration, il demande à Peter Stein (le jeune et bouillant directeur de la Schaubühne de Berlin, alors à la pointe de la recherche théâtrale et du nouveau théâtre allemand, le fondateur de ce qu’on appelle aujourd’hui le “Regietheater”) de faire la mise en scène. Peter Stein renonce (le projet sera récupéré par Liebermann à Paris en 1976 avec Solti), et Boulez conseille à Wolfgang d’appeler Patrice Chéreau, connu du public de théâtre pour “La dispute”, de Marivaux, et des amateurs d’opéra pour d’inoubliables Contes d’Hoffmann, qui firent les beaux soirs du Palais Garnier.C’est le début de l’histoire.

Chéreau et le contexte de la période

Il n’y a pas de hasard. Depuis la fin des années 1960, la théâtre évoluait fortement, on passait insensiblement d’un théâtre d’acteurs à un théâtre de mise en scène. C’était Giorgio Strehler au Piccolo Teatro (un des maîtres de Chéreau), qui proposait une vision nouvelle de grands classiques italiens (Goldoni) mais aussi allemands (Brecht) ou anglais (Shakespeare), fondée sur un travail subtil de l’acteur né des leçons de Jouvet, mais aussi des ambiances, des lumières, des effets esthétiques: la scène devenait un lieu “à voir”. Et Strehler avait été appelé à l’opéra par son vieux compagnon Paolo Grassi devenu Surintendant de la Scala, co-fondateur avec lui du Piccolo Teatro,  (pour L’enlèvement au sérail , et surtout l’incroyable et inoublié Simon Boccanegra, en 1971(3)), puis à Paris pour Le Nozze di Figaro, qui inaugurèrent l’ère Liebermann et qui marquèrent pendant des décennies l’Opéra de Paris. Paolo Grassi et Claudio Abbado à Milan, Rolf Liebermann à Paris depuis 1973, posaient la question du théâtre à l’opéra: on vit des scandales fleurir, Faust de Lavelli, Contes d’Hoffmann de Chéreau, et le début du Ring (La Walkyrie) Sawallisch-Ronconi à la Scala. Tout cela avait déjà mis en rage le public conservateur et traditionnel de l’Opéra (“faire ça à des abonnés!” entendait-on). Ronconi notamment proposait une vision d’une beauté et d’une intelligence rarement vues sur une scène d’Opéra dans des décors somptueux de Pier Luigi Pizzi. Nul doute à mon avis que l’expérience de Chéreau à Bayreuth doit beaucoup à ce spectacle qui date de 1974, quand Chéreau remonte à 1976.  Wolfgang Wagner, en directeur avisé, savait qu’un des enjeux du Festival de Bayreuth, un peu effacé entre 1970 et 1975, se trouvait dans la mise en scène. Il avait donc choisi le plus avancé des metteurs en scène, Peter Stein et devant l’échec, proposait à ce jeune Chéreau qu’il ne connaissait que par Boulez interposé la réalisation du spectacle le plus attendu, qui devait remettre le Festival au centre des commentaires et de la création artistique. Belle marque de confiance en Boulez d’abord, dont l’amitié ne s’est jamais démentie (Boulez dirigera le Parsifal de 2002, dans la mise en scène échevelée de Christoph Schlingensief), et ensuite magnifique sens des opportunités et du risque, et incroyable intuition. Wolfgang Wagner est un metteur en scène sans grand intérêt, mais il est sans conteste le plus grand directeur de Festival qu’on ait pu connaître, car il a su reproposer Bayreuth au devant de la scène, il a su faire de Bayreuth le centre de débats importants et encore vifs aujourd’hui sur la mise en scène à l’Opéra, il a su prendre des risques, et il a ramassé la mise.

On a tout dit sur le spectacle du centenaire, je vais donc simplement évoquer quelques souvenirs personnels , puisque à 24 ans, j’ai eu l’incroyable chance de voir cette production chaque année entre 1977 et 1980. En 1977, année charnière puisque le profil définitif de la production date de cette année-là (Chéreau va faire de nombreux changements), le public était encore très divisé. Distributions de tracts devant le théâtre, incroyable tension dans la salle où le public (qui se réserve pour les saluts, garde habituellement un silence de plomb pendant le déroulement des spectacles)  manifestait sa surprise ou sa désapprobation ou son horreur pendant l’exécution musicale (que de “oh!” de”nein” de “Buuh”devant certaines scènes). je me souviens particulièrement du final de l’acte II de la Walkyrie, d’une insoutenable violence, qui provoquait tant de remous dans le public, et je me souviens aussi des interminables batailles d’applaudissement et de huées (jamais moins de 30 à 45 minutes) à la fin de chaque opéra, autant de batailles d’Hernani.
Cela reste pour moi le plus grand, le plus beau des souvenirs, celui qui a décidé de ma passion profonde pour la scène et la mise en scène, qui m’a fait basculé: oui, je suis sorti de Bayreuth différent, oui, j’ai appris l’essentiel là-bas. Je me souviens des polémiques (Karl Ridderbusch, magnifique Hunding, n’aimait ni Boulez ni Chéreau, René Kollo, fragile Siegfried, le suivait et se répandait dans la ville) des craintes (Wolfgang tiendra-t-il le Festival, ne succombera-t-il pas sous la critique?), mais aussi je me souviens des merveilles aussi: Donald Mc Intyre, qui n’est sans doute pas la plus belle voix pour Wotan, mais sans doute la plus habitée et la plus intelligente (ah! ce monologue”au pendule” de l’acte II de Walkyrie) Gwyneth Jones, avec cette classe inimitable, cette puissance évocatrice en scène jamais retrouvée chez d’autres malgré des défauts vocaux quelquefois marquants ou Zoltan Kelemen, mort en 1979 malheureusement, le plus formidable Alberich qui m’ait été donné de voir, jamais remplacé ou enfin  l’inoubliable Siegmund de Peter Hoffmann ou le Hunding de Matti Salminen, qui succèdera à Ridderbusch en réussissant presque à le faire oublier. Enfin, le regard du metteur en scène (la voie avait été ouverte par Strehler, mais aussi par Luchino Visconti ou Jean-Louis Barrault) se conjuguait avec celle du chef, et la production devenait le fruit d’un travail commun, concerté, élaboré ensemble, ce qui était une grande nouveauté pour l’époque (pour mémoire, les relations Strehler-Solti pour Le nozze di Figaro n’avaient pas été de tout repos).

Lorsque la production s’installe (après 1978), la messe est dite, et cette production produit un effet boule de neige: désormais oui, il est possible à l’opéra de faire du théâtre, de faire jouer les chanteurs comme des acteurs. En ce sens, la production Chéreau-Boulez a non seulement changé les modes de représentation du Ring sur toutes les scènes du monde, mais elle a installé durablement le théâtre et la mise en scène théâtrale à l’opéra. Le tournant est historique dans l’histoire du spectacle vivant dans le monde occidental. A Bayreuth même, du coup, la mise en scène de Götz Friedrich de Tannhäuser semble bien timide, mais Harry Kupfer propose sa production triomphale, historique elle aussi, du Vaisseau fantôme, qui est sans doute encore aujourd’hui la référence.

Les progrès de la technique vidéo permettent la mise en boite de tous ces spectacles qu’on peut encore voir encore aujourd’hui en DVD. Quant à l’Anneau du Nibelung, rien ne sera plus comme avant, et le public va se mettre à attendre à chaque production des idées nouvelles, sur les traces de Chéreau.

De quoi s’agit-il? On passe d’un travail qui raconte une histoire, en essayant de créer des images qui fixent le mythe et essayaient d’en traduire les aspects essentiels, qui essaient de renvoyer à un immense et cosmique mythe de la création du monde en quelque sorte, à une interprétation du mythe qui va tenter d’en donner des clefs, on passe donc de la mythologie à l’histoire, de l’illustration (au plus haut sens du terme) du mythe à sa signification. La mise en scène de Chéreau est comme chez Wieland, une réponse à la question “qu’est ce que cela raconte?”, mais en s’attachant à ce qu’il y a “derrière les yeux” comme dirait Breton. Chéreau entame une exégèse scénique du texte, et ouvre donc la voie à tous les possibles. Si Wieland s’attachait à l’être du texte, Chéreau s’attache à ses possibles. Les deux approche ne sont pas contradictoires, et Chéreau, qui a lu, et approfondi le texte jusqu’à le savoir par coeur (il jouera même un soir Siegfried, avec le chanteur René Kollo dans la fosse, et certains diront que ce fut le plus grand Siegfried scénique possible), est resté d’une incroyable fidélité au sens. Contrairement à ce qui se disait alors, il n’y a aucune trahison du texte: Chéreau montre ce que le texte dit.

Ainsi peut-on voir deux voies possibles dans les lectures du Ring: un chemin qui va s’attacher à l’histoire qui est racontée, c’est Wieland, un autre chemin qui va s’attacher à ce que cette histoire peut nous dire, hic et nunc, et c’est Chéreau. L’histoire de la mise en scène du Ring depuis Chéreau à Bayreuth et ailleurs le confirme. Et Wolfgang lui-même dans sa programmation du Festival, va l’illustrer.

(1) Philippe Godefroid, Adolphe Appia et la mise en scène du drame wagnérien, L’Avant scène Opéra n°38-39, Parsifal, Janv-Févr.1982

(2) A la fin de 1972, Götz Friedrich passera à l’Ouest et deviendra pour de longues années directeur de l’Opéra de Hambourg

(3) Les deux spectcales furent vus à Paris, en 1977-78 pour Boccanegra, et dans les années 80 sous Bogianckino pour L’enlèvement

ABBADO ET LULU, l’extrait de l’interview

C’est dans le mensuel italien CLASSIC VOICE que Claudio Abbado a confié travailler sur LULU. En voici le texte italien, puis la traduction:

 

 

Ma ora ci sono opere che m’interessano di più”.
A questo punto, ci piacerebbe saperlo.
“Sto lavorando sulla Lulu di Berg”.
Una scelta logica nel suo percorso nel teatro del Novecento.
Immagino che abbia un’idea precisa col come-e-dove farla. 
“Posso dire che vorrei coinvolgere nel progetto Michael Haneke [67enne regista austriaco di La Pianista, Caché-Niente da nascondere e Nastro bianco, Palma d’oro a Cannes e European Film Awards 2009; nel 2006 ha debuttato con Don Giovanni all’Opera di Parigi, ndr.].
Nastro bianco è un’opera straordinaria, d’una violenza fredda e terribile che mi ha impressionato”.
Ma quando pensa di realizzarla?
“Per ora, nell’ultimo concerto di stagione della Mozart
[Bologna, 28 novembre 2010, ndr.], dirigerò i Lieder”.
Sarà una produzione destinata a girare, magari arrivando alla Scala?
“E’ prematuro parlarne”.

L’interview porte essentiellement sur les rapports d’Abbado et de Pergolèse, en liaison avec la publication de plusieurs disques Pergolèse de l’Orchestra Mozart dirigé par Abbado dans la collection “Archiv” de Deutsche Grammophon . On évoque la possibilité de monter des opéras de Pergolèse et Abbado répond:

“Pour l’instant il y a des oeuvres qui m’intéressent plus.

Alors là, on aimerait en savoir plus !

” Je suis en train de travailler sur la Lulu de Berg”

Un choix logique dans votre parcours dans l’opéra du XXème siècle .J ‘imagine que vous avez une idée précise de ce que vous voulez en faire (et où?)

“Je peux dire que j’aimerais impliquer dans le projet Michael Haneke [67 ans, cinéaste autrichien auteur de La pianiste, Cachet, Le ruban blanc, Palme d’Or à Cannes, European Film Award 2009, en 2006 il a débuté  dans Don Giovanni à l’Opéra de Paris ndr].
Le ruban blanc est une oeuvre extraordinaire, d’une violence froide et terrible qui m’a impressionné.

Mais quand pensez-vous le faire?

Pour l’instant, lors du dernier concert de la saison de l’Orchestra Mozart (le 28 novembre prochain à Bologne), je dirigerai les Lieder.

Ce sera une production destinée à tourner? peut-être à la Scala?

C’est trop tôt pour en parler”

Ainsi parle Claudio Abbado, à 76 ans toujours à l’affût de nouveaux talents, de nouveaux projets,  de nouveaux défis, et toujours jeune, et toujours ouvert. Sacré bonhomme, lui aussi!

 

ABBADO dirigerait bientôt LULU!(DERNIERE MINUTE)

Nous étions au courant que quelque chose se tramait, mais où et quand? En tous cas puisque la presse italienne en a parlé, nous diffusons la nouvelle. Claudio Abbado reviendrait à l’opéra, en dirigeant LULU de Alban Berg, dans une mise en scène du cinéaste autrichien Michael Haneke. Le lieu n’est pas officiel, mais Abbado n’a pas démenti lorsqu’on a évoqué la Scala, du moins selon ces mêmes sources. L’information est importante puisque Abbado avait officiellement annoncé qu’il ne dirigerait plus d’opéra.

Je serai attentif à toutes les nouvelles de ce front!

CONCERT DU NOUVEL AN: quelques notes sur les éditions à posséder

Institution quelquefois plus médiatique que musicale , le concert du Nouvel An est souvent cependant l’occasion de mieux comprendre ce qui fait d’un chef d’orchestre glorieux (la plupart de ceux qui accèdent au podium du Musikverein le 31 décembre et le 1er janvier le sont) un véritable musicien. En effet, le programme proposé est souvent identique (quelques fantaisies çà et là cependant) et de toute manière tout le monde se retrouve au “Beau Danube Bleu” et à la “Marche de Radetsky”. Pour qui veut comparer les chefs, ou jouer à l’écoute aveugle avec ses amies et amis mélomanes, c’est un excellent moyen de juger, sur un morceau que tout le monde connaît à peu près par coeur. J’ai dans ma discothèque Willy Boskovski, Karajan (1987), Abbado 1988 et 1991, Kleiber 1989 et 1992, Muti en 1993 (il fera aussi 2000 et 2004) (soyons méchant, par curiosité presque malsaine), et Jansons. Je me suis amusé, sur un long trajet en voiture, à faire des comparaisons.
Le concert du Nouvel An à Vienne a été dirigé par Willy Boskovski, le premier violon des Wiener Philharmoniker de 1955 à 1979 et chef de l’orchestre Strauss, le spécialiste incontesté de ce répertoire pendant de très longues années, je me souviens qu’il dirigeait l’orchestre son violon en main, c’était dans la plus pure tradition viennoise, et les concerts de cette époque furent sans doute les plus “conformes” à l’esprit viennois, et c’était incontestablement l’orchestre, et Strauss, qui avaient la vedette. Acheter Boskovsky, c’est une garantie de qualité, d’esprit, d’authenticité et aussi de simplicité.

Ce n’est qu’en 1980 qu’on a commencé à y voir des chefs de renom se frotter à Strauss à Vienne, le premier fut Lorin Maazel, plusieurs fois appelé à diriger ce concert pendant les trente dernières années. En général les GMD (Generalmusikdirektor, directeur général de la musique) de Vienne, poste prestigieux s’il en est (ce fut celui de Mahler), comme Maazel, Abbado ou Ozawa sont invités presque obligatoirement à diriger ce concert:  l’an prochain, ce sera (logiquement) le tour de Franz Welser-Möst,  puisqu’il va occuper le poste de GMD à la Staatsoper en succédant à Seiji Ozawa. Depuis que le concert du Nouvel An est le phénomène planétaire et médiatique que l’on sait, la vedette reste Strauss, le chef, sans doute peu connu du très grand public (sauf Karajan en 1987) passe au second plan, sauf pour les mélomanes. C’est cette ignorance qui  a fait ainsi la fortune d’un André Rieu dans Strauss, hélas.

Il reste que si l’on veut acheter ou faire cadeau d’un concert du Nouvel An, c’est une bonne entrée en musique classique: on a un large choix, le concert de l’année étant publié dans les jours ou les semaines qui suivent le 1er janvier (un temps absolument record!). Ma vocation de mélomane est ainsi née à partir d’un cadeau de valses de Vienne qu’on me fit quand j’avais 8 ans, j’ai écouté et réécouté les valses de Vienne par l’orchestre hongrois de Yoska Nemeth, sans doute un des musiciens tziganes parmi les plus fameux du XXème siècle. C’est dire comme je suis attaché à cette musique. Si vous trouvez le disque en question, n’hésitez pas, c’est vraiment tout à fait remarquable et c’est un excellent moyen de rentrer dans l’univers des Strauss.

Et les autres?  J’aime bien Abbado 1 (1988) plus que Abbado 2 (1991) éclectique et surprenant (Mozart!), comme aime faire Claudio, mais au total un peu ennuyeux pour mon goût, disons que ces concerts ne sont pas les plus grands souvenirs de ma vie d’abbadien itinérant. Riccardo Muti comme souvent fait du beau son, mais tout cela reste assez plat, sans âme (j’écrirai un jour prochain sur ma relation très contrastée à ce grand chef, dont j’aime surtout les années 1975-1985, c’est à dire les premiers enregistrements fulgurants et l’éblouissant passage à Florence). J’ai acheté le disque de Mariss Jansons, chef que j’apprécie tout particulièrement, comme ceux qui me lisent le savent. Quelle surprise d’entendre un Strauss très symphonique,dans une interprétation très marquée par l’univers de Tchaïkovski, avec un orchestre massif qui semble quelquefois jouer Onéguine: si vous voulez une couleur autre, une vraie prise de risque interprétative, alors n’hésitez pas à en faire l’acquisition, c’est étonnant, c’est très fort, très intelligent, mais on n’est pas vraiment à Vienne.

Il reste…Carlos Kleiber. Eh, oui! A écouter et à réécouter, on a tout dans ces trois disques des deux concerts (1989 et 1992): on a d’abord la légèreté et la danse: Kleiber ne fait pas d’abord du symphonique, il fait danser l’orchestre, il n’appuie jamais sur les effets, il est étourdissant de vélocité (et l’orchestre suit d’une manière époustouflante), il virevolte, mais toujours avec un soin maniaque pour les effets instrumentaux (des rubatos des cordes à se damner, des flûtes de rêve) sans jamais insister, sans jamais appuyer, en cherchant toujours l’effet dansé: alors naît l’émotion profonde, intense (début du Beau Danube Bleu en 1989!comme je l’ai déjà souligné précédemment) . Il a arrive même à effacer toute lourdeur dans la Marche de Radetsky! Ne parlons pas de l’ouverture de “La Chauve Souris”, qu’il a dirigé si souvent à Munich;( je l’ai entendu pendant le Carnaval, il arriva en perruque déguisé en Boris Becker!) . Le disque de 1989 est un miracle, plus sans doute que celui de 1992. Si vous avez un seul concert à acheter, alors, pas d’hésitation, Vienne-Kleiber 1989. C’est absolument incomparable, à tous les niveaux, Strauss pour l’éternité. Rien de surprenant me direz-vous, certes, car à distance de 21 ans, personne n’a encore proposé mieux et Kleiber est une référence universelle, mais il vaut mieux encore une fois le dire et encore une fois le répéter: Kleiber 1989, c’est vraiment un monde fou fou fou!

BONNE ANNEE 2010! Quelques spectacles attirants….

Bonne année 2010 pour les amis qui me lisent.
En écoutant ce matin le concert du Nouvel An à Vienne, confié à la baguette de Georges Prêtre, je me mettais à penser aux huées régulières que ce dernier prenait à Garnier dans les années 70, uni dans la huée avec une Jane Rhodes ou une Régine Crespin. C ‘était le moment où certains imbéciles ne supportaient pas les chanteurs ou les artistes français. La première fois que je l’entendis triompher c’était dans Moïse de Rossini, en 1983, que j’ai évoqué il y a quelques semaines dans les quelques mots dédiés à Bogianckino.

Beau concert, ce matin. Il est vrai que l’exercice est imposé, le triomphe acquis et  rares sont ceux qui le ratent. Mais on retrouve toujours chez Prêtre cette élégance du geste,même minimaliste, comme ce matin, et cette précision qui le font apprécier des musiciens. Combien de triomphes à la Scala où il est adoré.

J’ai voulu alors réécouter  ce qui me paraît être l’absolu du genre: les concerts dirigés par Carlos Kleiber (1989 et 1992), on ne peut que rester fasciné par l’étourdissante performance, le dynamisme, le sens des rythmes, l’humour, l’incroyable vélocité, l’acrobatie technique, et puis je suis tombé en arrêt, étranglé par l’émotion, par les premières mesures du Beau Danube Bleu (version 1989), sans aucun rival ni avant ni après. Il y a tout: l’élégance, la légèreté, la mélancolie, le mystère. Sacré bonhomme. Irremplaçable.

Alors il me reste à souhaiter aux lecteurs de mes modestes contributions de belles soirées d’opéra et de beaux concerts en 2010.  Je n’ai pas encore répéré tout ce qui me paraît intéressant, mais j’irai probablement entendre à la Scala le Tannhaüser et le Boccanegra, le Rheingold mis en scène par Guy Cassiers, nouvelle étoile de la scène flamande dont j’ai vu “La trilogie du pouvoir”, fascinant spectacle. Je retournerai à Milan aussi pour la Carmen dirigée par Dudamel. J’essaierai d’ailleurs d’aller à Göteborg écouter sa IXème symphonie de Mahler en février. Par ailleurs, tous les abbadiens mais aussi les autres attendent avec impatience la IXème de Mahler et  Fidelio que Claudio Abbado doit diriger cet été et iront à Berlin en Mai pour son traditionnel concert annuel avec les Berlinois dans le très rare “Rinaldo” de Brahms, et les français seront tous à Pleyel le 11 juin .

J’ai noté une Grande Duchesse de Gerolstein à Bâle mise en scène par Christoph Marthaler avec la grande Anne Sofie von Otter et dirigé par Hervé Niquet (à Pleyel le 11 janvier). Vu le grand souvenir que fut ‘La vie parisienne’ au Volkstheater de Berlin il y a une douzaine d’années, je vais sans doute essayer de voir le spectacle. Je suis tenté aussi par Rienzi au Deutsche Oper de Berlin (fin Janvier) que je n’ai jamais vu sur scène et par Attila au MET, dirigé par Riccardo Muti, et dans une mise en scène de Pierre Audi et surtout des décors de Herzog et Demeuron, les grands architectes suisses.

A Paris, j’avoue être tenté par Norma au Châtelet si rare, mais le nom de Peter Mussbach sur l’affiche me fait hésiter. Je ne suis pas un grand fan de ce metteur en scène, par Cenerentola aux Champs Elysées, et par quelques spectacles de l’Opéra (bien sûr par le début du Ring qu’enfin on monte !).

A Madrid, deux productions m’attirent, la Salomé avec Nina Stemme et L’incoronazione di Poppea avec Philippe Jaroussky. Il faudrait aussi aller voir à Amsterdam les Troyens avec deux dames notables (Eva-Maria Westbroek et Yvonne Naef) et Turandot pour la direction de Yannick Nézet-Séguin, et à Londres Tamerlano avec Domingo.

J’irai sûrement en revanche voir Lulu à Genève avec Patricia Petibon, dans la mise en scène d’Olivier Py, et à Lyon la reprise des spectacles Tchaïkovski avec Kirill Petrenko au pupitre. Petrenko est un chef excellent, qui va sans doute diriger le Ring du bicentenaire de Richard Wagner en 2013, et les spectacles de Peter Stein sont certes inégaux, mais je conseille Mazeppa, magnifique production, un peu moins Onéguine, et encore moins La Dame de Pique, vraiment ratée.

Enfin j’attends avec impatience les débuts à Vienne de Dominique Meyer comme Intendant en septembre prochain, je compte sur lui pour rénover l’image et la politique de cette vénérable institution, en lui souhaitant de ne pas être la tête de turc de la presse viennoise, une habitude là-bas. Souhaitons lui une très bonne année, et surtout une fulgurante fin d’année viennoise, alla grande!

Voilà les perspectives bien incomplètes qui peuvent stimuler le mélomane,  on ne peut que vous souhaiter d’y assister et de prendre votre baluchon (et votre carte de crédit!). En attendant, bonne année encore. Santé et musique!