GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE 2009-2010: LULU d’Alban Berg(Ms en scène: Olivier PY, avec Patricia PETIBON) le 10 février 2010

 LA PIETA’ DU SEXE

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On attendait beaucoup de cette LULU d’Alban Berg, au Gra nd théâtre de Genève, une prise de rôle de Patricia Petibon, une nouvelle mise en scène d’Olivier Py, annoncée comme si sulfureuse qu’elle en est déconseillée aux moins de 16 ans, dans le théâtre où l’on se souvient encore fortement de son extraordinaire Damnation de Faust (notamment quand Jonas Kaufmann chantait Faust!), de son Tannhäuser, et des autres productions (Contes d’Hoffmann, Freischütz) qui sans atteindre les sommets de la Damnation, étaient de bons spectacles.
Quand les fauteuils d’orchestre se vident par dizaines (un peu au premier entracte,  beaucoup au second), c’est un indice que quelque chose ne fonctionne pas, et l’on ne peut accuser les genevois d’être allergiques à la musique de Berg (pas en 2010!). D’autant que musicalement, la production fonctionne, même si celle de Lyon (pour rester dans les dernières années et dans la région) avait plus de force (le magnifique Schigolch de Franz Mazura à 85 ans , la Lulu de Laura Aikin…la direction passionnante de Kazushi Ono). La direction de Marc Albrecht est précise, détaillée, claire, l’orchestre de la Suisse Romande domine la partition et le résultat est vraiment remarquable, on repère parfaitement les formes, les répétitions et les motifs, en soulignant même un certain lyrisme qui rend justice à ce grand monument du XXème siècle. Il est assez rare qu’un chef soit si convaincant à Genève.

La distribution vocale est très correcte, très homogène sans être exceptionnelle. Elle est dominée par Patricia Petibon, qui s’engage dans ce rôle terrible d’une manière telle qu’on ne peut que la saluer et rester admiratif de la performance. Scéniquement Patricia Petibon est impressionnante et va très loin dans l’incarnation.

patriciapetibona3.1266022616.jpgGTG/Gregory Batardon

Vocalement, l’artiste se confronte avec tous les honneurs au rôle, elle domine la partition et contrôle de bout en bout le volume, l’émission au service d’une interprétation expressive et convaincante, avec des subtilités étonnantes, des notes filées parfaitement contrôlées, on sent la technique de l’ex-baroqueuse. Il est seulement dommage que son allemand n’est pas dominé,  notamment dans les dialogues où son accent français gêne, dans les parties chantées en revanche, on entend le texte clairement, et c’est moins gênant. Il reste qu’on tient là sans doute une des grandes Lulu d’aujourd’hui et des prochaines années (on aimerait d’ailleurs que Natalie Dessay se lance aussi), même si pour l’instant la performance n’atteint pas celle, légendaire, de Teresa Stratas, inoubliable dans le couple qu’elle formait avec Franz Mazura dans la production Chéreau-Boulez de 1979, ni même Christine Schäfer, phénoménale Lulu de la production de Salzbourg de Michael Gielen et Peter Mussbach en 1995.
petibon-juon-hunka.1266022631.jpgGTG/Gregory Batardon

Notons également très bonne comtesse Geschwitz de Julia Juon, même si j’ai encore dans la tête le “Lulu! Mein Engel! Lass dich noch einmal sehn! Ich bin dir nah! Bleibe dir nah! In Ewigkeit! ” final d’Yvonne Minton dans la production Chéreau-Boulez qui me bouleverse encore aujourd’hui au disque. La voix est bien posée, forte, très présente, et le personnage conçu par Py est vraiment très marquant, à la fois laid et séduisant, qui attire et repousse à la fois. La distribution masculine est très homogène et très honorable: j’ai aimé le Alwa de Gerhard Siegel, spécialiste désormais des grands rôles de ténor de composition, voix claire, flûtée comme il convient au rôle, et interprétation rigoureuse et juste, tout comme le Schigolch de Hartmut Welker, bien plus marquant et présent (il est le clown de la ménagerie de Py) que les dernières fois où je l’ai entendu, mais bien moins convaincant que celui de Franz Mazura à Lyon, tout à fait incroyable. A noter également le dompteur/athlète de Sten Byriel, dans son costume de gorille.  J’ai moins aimé le Schön/Jack de Pavlo Hunka à l’interprétation un peu trop neutre pour mon goût (je n’arrive pas à effacer Franz Mazura -encore lui- de mon souvenir: c’est incroyable comme certains artistes habitent la mémoire, Franz Mazura est de ceux-là), même si la composition (ah! ces lunettes!) est assez convaincante, il faut dire que la trouvaille de Jack en Père Noël est très forte! Mais d’une ecrtaine manière, Py noie Schön dans l’anonymat de la ménagerie, alors que je pense que la volonté de Berg de faire chanter Schön et Jack par le même chanteur devrait être valorisée dans la mise en scène.

Au total une Lulu musicalement de très bon niveau, les spectateurs qui n’ont jamais entendu l’opéra de Berg peuvent se réjouir d’en avoir entendu une version de haute tenue.

ensemble.1266022441.jpgGTG/Gregory Batardon

Et la mise en scène?
Beaucoup de spectateurs sont venus, attirés par le soufre de l’interdiction aux moins de 16 ans: “Pour traduire les intentions du compositeur et de son inspirateur Frank Wedekind, Olivier Py et son équipe ont fait appel à des images qui, quoi que de plus en plus usuelles et répandues, restent rares et inhabituelles sur une scène lyrique et pourraient choquer un spectateur non averti.
Respectueux du regard de chacun ainsi que de ses opinions, il nous paraît important de vous en informer avant votre entrée en salle ou avant l’achat de votre billet. Nous déconseillons le spectacle aux personnes de moins de 16 ans.”
dit le site du Grand Théâtre.
Much ado about  nothing, beaucoup de bruit pour rien, sinon l’effet de curiosité ( de voyeurisme, comme ces spectateurs représentés par Py?) qui fait que le théâtre ne désemplit pas, mais les déçus du sexe fuient dès le premier acte. Ce n’était ni utile, ni justifié; le film pornographique proposé au troisième acte (une sodomie?) est de toute manière brouillé et neigeux, et vraiment pas de la nourriture pour voyeurs invétérés, et après tout celui qui va voir Lulu sait (du moins j’espère) qu’il ne verra pas une vie de saint(e), malgré le final christique proposé par Py dans sa mise en scène.
L’idée centrale de Py est de développer l’idée du prologue, et de montrer le monde comme une vaste ménagerie, évoluant dans un univers à la Otto Dix, et  dansant sur la mort (les néons aux couleurs criardes proposent un certain nombre d’affirmations “Meine Seele”(Mon âme), “Mein Herz ist schwer”(mon coeur est lourd), “I hate Sex” (je hais le sexe) et le décor de façades qui défile sans cesse dans les deux premiers actes propose des magasins comme “Boucherie” ou “Pompes funèbres” qui sont autant de liens avec l’intrigue. Tous les personnages sont partie d’un cirque mortifère (le clown, le gorille etc…) leurs costumes sont clinquants ou rutilants comme dans notre bonne vieille “Piste aux étoiles”, (celui de Geschwitz et de Lulu au départ est semblable – un rouge vif satiné- et Lulu traverse cela comme indifférente, tantôt nue comme un ver, tantôt (début du troisième acte) vêtue en Marilyn, autre icône mortifère. Peu à peu la scène se remplit côté jardin de tous les objets accumulés depuis le début et finit par être une sorte de décharge : le monde n’est qu’immondice. Tandis qu’en arrière plan se déroulent tantôt des danses (lascives) sous le regard d’un public toujours voyeur, ou Lulu apparaît en star, ou le film pornographique, qui illustre la déchéance finale de Lulu, et qu’en arrière plan une roue multicolore nous avertit de l’inexorable progression du fatum. Beaucoup d’objets, beaucoup de mouvements beaucoup de personnages, dans un univers immédiatement identifiable qui devient vite répétitif, et même vaguement ennuyeux, ce qui explique sans doute que la salle, au moins à l’orchestre, se vide. Py voit Lulu comme une apocalypse dans un monde qui danse sur des braises (la première scène du troisième acte sur la spéculation, fait frémir quand on la rapporte à notre actualité). Les rapports des personnages entre eux en sont même savonnés, ils glissent comme le décor en mouvement permanent, au profit de flashes, comme dans un univers de bande dessinée, et ne sont que bornes d’un parcours inexorable vers la mort (et transfiguration) magnifiquement voulue comme final.

La fin est en effet stupéfiante et rattrape à mon avis bien des approximations, des répétitions, des vides (dans cet univers du trop plein!) du spectacle. Lulu meurt par un Jack déguisé en Père Noël, arme fatale du dérisoire, ou ange exterminateur qui va transfigurer Lulu, nue, en christ baroque au milieu de ses disciples -tous les personnages de l’oeuvre- baignant dans une lumière rouge sang: la pietà du sexe. Vision frappante qui fait de Lulu le christ de la déliquescence, qui donne sa vie non pour notre vie, mais pour la pourriture de notre monde animal. Il n’y a donc que de l’animal à voir dans l’humain, et Lulu ne serait donc que la seule figure humaine, la seule de la ménagerie qui ressemblerait à chacun de nous.

Le propos est sans aucun doute séduisant, et Py reste un metteur en scène qui a du génie. On retrouve sans ce spectacle la mobilité d’un monde incapable de se fixer, la multiplicité des points de vue, l’absence totale de concession, mais aussi quelques facilités et des trouvailles multiples qui n’arrivent pas toujours à produire un autre sens que celui découvert initialement, en ce sens le spectacle fait quelquefois du sur place, et c’est dommage. Certes, la vision est plus approfondie que chez Peter Stein à Lyon et bientôt à Milan, mais pas forcément plus productive. Chéreau en faisait un objet, une sorte de pâte adaptable au regard des hommes,dans un univers cinématographique d’une stupéfiante beauté, qui construisait immédiatement un mythe, Mussbach construisait lui-aussi une sorte de mythe cinématographique. Py donne du sens à tout, ou plutôt jette, éblouit, étouffe sous les signes, et arrive quelquefois à lasser.Le trop étant quelquefois l’ennemi du bien, ce n’est pas son meilleur spectacle,  mais cela reste un travail passionnant.

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OPERA DE NATIONAL DE PARIS 2009-2010: WERTHER de Massenet à l’OPERA BASTILLE avec Jonas Kaufmann (4 février 2010)

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© Opéra national de Paris/ Elisa Haberer

C’est curieux, mais c’est ainsi. Werther n’a fait son entrée au répertoire de l’Opéra qu’en 1984, dans une production de Pierluigi Samaritani, avec en alternance, Alfredo Kraus et Neil Shicoff, Lucia Valentini-Terrani et Tatiana Troyanos, sous la direction magnifique de Georges Prêtre (Werther a été en revanche un des piliers du répertoire de l’Opéra Comique). Après 25 ans d’absence, coup sur coup deux productions différentes, écrins pour ténors vedettes, l’an dernier Jürgen Rose et Rolando Villazon (avec la grande Susan Graham), cette année Benoît Jacquot et Jonas Kaufmann (avec la jeune et déjà grande Sophie Koch).
On a beaucoup glosé dans la presse sur ces deux Werther coup sur coup. Après la représentation d’hier, on peut dire sans hésiter que Nicolas Joel a vu juste: on a assisté tout simplement une performance exceptionnelle, alimentée par une distribution sans failles, un orchestre merveilleusement dirigé (Michel Plasson), et une belle mise en scène parfaitement en phase avec l’oeuvre (Benoît Jacquot).
paris-werther-villazon.1265479096.jpgRolando Villazon et Susan Graham
(Photo Bernd Uhlig / Opéra national de Paris)

L’an dernier, Gérard Mortier avait loué une production de Munich de Jürgen Rose, qui centrait le propos autour de l’univers mental de Werther, en mettant en perspective toute l’intrigue. Susan Graham campait une Charlotte très maternelle et vocalement impressionnante, Ludovic Tézier alternait avec Villazon dans la version pour baryton de l’opéra de Massenet, et chantait Albertavec son élégance coutumière lorsque Villazon était Werther . Alain Vernhes comme toujours faisait un bailli humain et très présent vocalement, et Villazon, sans être au mieux de ses capacités vocales, donnait du héros goethéen une vision très romantique, montrait une grande fragilité psychologique, avec un timbre, notamment dans le medium, enchanteur et lumineux; quant à la direction de Nagano, elle était non pas froide (on accuse souvent ce chef d’être trop distancié), mais très analytique, très claire, et particulièrement contrastée: un très beau moment.

3258_2009-10-werth-134.1265478745.jpg© Opéra national de Paris/ Elisa Haberer
Jonas Kaufmann, Ludovic Tézier, Anne-Catherine Gillet

Le Werther présenté cette saison va dans une tout autre direction. La mise en scène de Benoît Jacquot concentre le propos sur l’intrigue, elle est une regard non sur une âme, comme chez Jürgen Rose, mais sur une situation: ce sont les personnages essentiels sur qui se concentre la vision, sur les ressorts psychologiques de ces deux corps qui sans cesse se rapprochent se frôlent puis s’éloignent, sur cet érotisme de l’interdit qui finit par être insupportable. Le décor est minimaliste (une terrasse, un mur) l’intérieur de la maison d’Albert est d’une austérité pesante, la chambre de Werther  au milieu de l’immense plateau de Bastille renforce l’idée d’isolement et de singularité. Les éclairages d’André Diot tour à tour ombres et lumière accompagnent la situation d’une manière magistrale, et la manière de Benoît  Jacquot de concentrer tout sur l’aventure humaine du trio Werther/Charlotte/Albert en plaçant “hors champ” tout ce qui peut être anecdotique (l’anniversaire du Pasteur, les chants de Noël) renforce la couleur tragique de l’oeuvre. La tension qui naît des duos n’en est que plus palpable, le troisième acte étant  d’une force singulière, qui tranche fortement avec les deux premiers. Un beau travail sur l’acteur, une mise en scène solide qui sait souligner l’essentiel avec une économie de moyens qui en renforce les effets.

Musicalement, on ne peut que rester subjugué de ce que l’on a entendu. Rien à dire de la distribution réunie, en tous points exemplaire: Alain Vernhes reste ce bailli si humain, à la voix sonore et impressionnante qu’on avait entendue l’an derneir. Ludovic Tézier (est-ce l’effet de la mise en scène?) à l’élégance vocale presque glacée en devient glaçant et terrible. Son jeu me paraît plus impressionnant que l’an dernier, et sa prestation vocale parfaite, de cette perfection qui finit par effrayer. Anne Catherine Gillet est une Sophie fraîche, sensible, engagée, et vocalement sans reproches: cette jeune chanteuse confirme à chaque apparition qu’elle est l’une des futures étoiles du chant français.

Sophie Koch est absolument exceptionnelle. Susan Graham l’an dernier avait cette distance que confère la maturité qui s’étonne d’elle-même, et c’était tout aussi magnifique. Sophie Koch est d’abord la jeunesse, sur qui s’abat la tragédie. Cette jeunesse, elle la respire par son engagement, sa fraicheur, la force d’une voix naturelle et puissante: l’interprétation devient de plus en plus tendue, de plus en plus engagée au fur et à mesure des actes. Beaucoup d’amis à moi ne l’appréciaient pas, ceux qui l’ont entendue dans Brangäne à Covent Garden l’automne dernier ont admis enfin que cette chanteuse avait un vrai talent, qui tenait la route, même face à une Nina Stemme au zénith. Cette Charlotte si juste, si neuve, si torturée, revient mettre définitivement les pendules à l’heure. Nous tenons là une très grande artiste.

040220101587.1265478188.jpgSophie Koch et Jonas Kaufmann

Reste Jonas Kaufmann. Son entrée en scène (vêtu de bleu, avec des lunettes de soleil) surprend, on n’attend pas un Werther avec un timbre aussi sombre, mais en trois minutes, la messe est dite: car tout y est. Je suis encore sous le coup de l’étonnement admiratif. J’ai plusieurs fois entendu Jonas Kaufmann (Fidelio, Traviata, Bohème, Damnation de Faust, Carmen, Königskinder), à chaque fois la performance, le style, la technique m’ont bluffé. Même si je persiste à penser qu’il devrait abandonner les personnages italiens du type Alfredo ou Rodolfo, qui à mon avis ne correspondent ni à son timbre, ni à sa manière de chanter,où  il est sans reproche, mais sans vraie singularité. Dans Werther, tout est balayé: il a d’abord le physique du rôle, il a aussi la culture du rôle. Son français est parfait. Et on sait combien le texte est essentiel dans le chant français, tant par le sens que par l’expression. Rousseau disait déjà dans la Lettre sur la musique française que le français  était une langue a priori peu adaptée à la musique; langue sans accents, elle ne colle pas forcément à une mélodie, et elle contraint à substituer ce défaut par des artifices de style et un grand contrôle (importance des demi-teintes, des mezzavoce). Le chant de Kaufmann est contrôlé, avec une technique de fer, des aigus triomphants, des demi-teintes à se damner, des murmures émis avec une telle science que même à la Bastille on entend tout avec une clarté confondante. Alors évidemment, on pense à l’autre Werther, Alfredo Kraus, qui avait lui aussi une technique et un sens du texte et du mot exemplaires et qui fut le Werther de la seconde moitié du XXème siècle. On pourra le préférer à Kaufmann, à cause de ce timbre éclatant et méditérranéen que Kaufmann n’a pas, mais justement, ce timbre sombre convient bien à Werther, ce personnage décrit comme dépressif, incapable de sourire. La mise en scène, avare de mouvements, qui souligne l’intériorité des personnages, qui ne leur concède que de s’effleurer et non se toucher, est exactement la métaphore de cette voix, à la fois incroyablement solide et toute en effleurements. En l’entendant l’autre soir, je me prenais à découvrir sans cesse des perfections à cette incroyable performance que je compte parmi les expériences les plus rares de ma longue vie d’opéra. Ce qui frappe chez Kaufmann, c’est qu’il peut déjà tout chanter: de Florestan à Rodolfo! Sans nul doute pourra-t-il aussi chanter Samson, il en a évidemment les potentialités, et on attend ses Wagner. Mais je dois le dire et le répéter à l’envi parce que cette performance est ancrée en moi depuis deux jours, j’ai vu, émerveillé, Alfredo Kraus en 1984 et je place Kaufmann d’emblée à ce niveau de perfection. Littéralement éblouissant.

040220101591.1265478207.jpgJonas Kaufmann

040220101594.1265478228.jpgSaluts le 4 février, Plasson serrant Sophie Koch et Jonas Kaufmann

A cette distribution sans reproches correspond une direction musicale de très haut lignage. Je ne suis pas un fan de Michel Plasson, dont j’ai apprécié certaines interprétations (Faust de Gounod, Guercoeur de Magnard). J’aime son Werther au disque, à cause de Kraus et de la merveilleuse Troyanos. je n’aime pas toujours son approche à l’orchestre, quelquefois un peu trop pâteuse pour mon goût, ne manquant jamais de justesse, mais quelquefois de clarté. L’approche de Nagano l’an dernier m’avait vraiment séduit justement par sa clarté cristalline. Mais Plasson avec une autre approche réussit à accompagner les chanteurs comme on accompagnerait un Lied, attentif au moindre souffle, à la moindre inflexion, amenant l’orchestre à murmurer à l’unisson, à éclater quand il le faut, mais en ne couvrant jamais les voix. Un travail vraiment magnifique.

Quand direction musicale, chant, et mise en scène réussissent chacun dans leur ordre à être aussi proches de la perfection, on comprend que le résultat à la scène ne peut qu’être un sommet aujourd’hui difficilement égalable. Il nous reste à souhaiter très vite que ce Werther soit repris, et que la captation d’ARTE devienne un DVD qu’on s’empressera d’ajouter à sa discothèque . En attendant, vous trouverez le lien ci-contre, pour courir sur le site d’ARTE la regarder si vous l’avez laissé échapper.

OPERA DE NATIONAL DE PARIS 2009-2010:LA SONNAMBULA de Bellini avec Natalie DESSAY à l’Opéra Bastille (3 février 2010)

La Sonnambula, un des phares du répertoire du bel canto entre au répertoire de l’Opéra de Paris. Voilà une des curiosités de notre opéra national, des pans entiers du grand répertoire ont été oubliés par les programmateurs: ce qui se passe sur le bel canto est aussi vérifiable sur le vérisme: Adrienne Lecouvreur entrée dans années 90 (avec une Freni impériale pour sa dernière apparition à Paris), André Chénier cette année, on n’ose imaginer quand on verra Fedora. Certes, toutes ces oeuvres ne sont pas des chefs d’oeuvres, mais, outre que la plupart des livrets s’appuient souvent sur des oeuvres françaises, les voir une fois au répertoire de notre opéra national ne pourrait pas nuire à la culture musicale du public.
Natalie Dessay promène sa “Sonnambula” sur les scènes internationales depuis quelques années, et elle fait un triomphe ce soir, dans une production de 2001 de Marco Arturo Marelli, louée à l’opéra de Vienne pour la circonstance. Solution pratique, qui permet de voir une production nouvelle à moindre frais. Pourquoi pas? vu les coûts d’une nouvelle production! Gérard Mortier l’a abondamment pratiquée par rapport aux productions de Salzbourg au début de son mandat (la presse française l’avait alors beaucoup et stupidement critiqué).

La production de Marco Arturo Marelli, metteur en scène de qualité, qui avait en son temps proposé un Don Carlos/Don Carlo à Garnier sous le règne de Bogianckino ( raté, certes) ou à qui l’on doit un bon Capriccio de Strauss à l’opéra de Vienne l’an dernier, propose une vision de l’oeuvre rénovée. Tout se passe dans un sanatorium de luxe (ou un hôtel/sanatorium) en montagne et Amina est l’une des femmes de chambre. A ce propos, je voudrais préciser que Renaud Machart dans Le Monde a fait une petite erreur: le Comte Rodolfo, lorsqu’il chante devant le bar « Le moulin ! La fontaine ! Le bois ! (…) Je vous reconnais, lieux charmants. » n’admire pas le bar, mais un tableau au dessus du bar, censé représenter le village et ses environs.
Qu’apporte cette transposition ? Elle enlève peut-être à l’œuvre son côté pacotille et opérette, pour lui donner une valence plus “sérieuse” dans un univers médical où la “maladie” du somnambulisme pourrait s’insérer, ou une esquisse de travail sur les classes sociales (le comte/Amina), il reste que cette transposition ne me paraît pas vraiment déterminante pour la logique de l’œuvre, même si la vision finale du premier acte, avec la neige qui envahit l’espace suite à une baie vitrée qu’Elvino brise, et qui d’une certaine manière,  “congèle” l’espace, est assez riche. Au total un travail cohérent, qui n’ajoute rien à l’oeuvre, mais qui au moins, ne dérange pas.

Musicalement, Evelino Pidò  est un bon chef, précis, attentif aux chanteurs, très sûr pour un directeur d’opéra ou un orchestre. C’est un bon musicien, non un grand inventeur, c’est aussi un chef favori de Natalie Dessay. Sa direction de Sonnambula, qui n’est pas le chef d’oeuvre de Bellini , est très satisfaisante, pas routinière, mais sans vrai relief. Ce n’est pas ce soir qu’on trouvera des vertus nouvelles aux aventures d’Amina. Pour mon goût, je lui préfère Capuleti e Montecchi, Les Puritains et Norma (mais qui se risque à Norma aujourd’hui?) et on attends patiemment que l’Opéra ouvre enfin sa scène à ces oeuvres. Patience et longueur de temps…

La distribution réunie autour de Natalie Dessay est de qualité: on notera la Teresa (la mère d’Amina) de Cornella Oncioiu qui s’est taillé un beau succès, le Rodolfo de Michele Pertusi,  un rôle presque surdistribué à cette grande basse rossinienne qui en donne une interprétation chaleureuse impeccable, très musicale. Et qui confère au personnage une vraie tenue. La Lisa de Marie-Adeline Henry semble moins à l’aise, et la voix n’est pas toujours adaptée aux exigences du rôle: elle manque de fluidité, et les aigus sont un peu tirés. Notons surtout le jeune ténor  mexicain Javier Camarena qui chante Elvino avec un très beau style, une technique sûre, et un timbre très adapté à ce répertoire, qui va sans doute s’ajouter à la liste déjà longue des ténors sud-américains qui comptent, notamment spécialisés dans le bel canto. Seul petit problème, les graves et la dynamique: dès que le rythme s’accélère, on ne l’entend plus et on lui sent de petites difficultés. mais c’est une valeur à suivre.

030220101583.1265394621.jpgNatalie Dessay salue en diva!

Et Natalie Dessay? le public vient pour elle, elle est la Diva et le final devant le rideau (de Garnier) en Diva vêtue de rouge qui chante le dernier air comme en récital, lui va comme un gant. Le personnage est là, on sait le soin que la soprano française attache au théâtre et au jeu, et aux exigences en matière de mise en scène. Elle est cette Amina fragile qu’on attend, mais elle n’est pas seulement la fragilité, elle montre beaucoup de dignité. Elle a seulement quelquefois un peu tendance à surjouer, ce qui nuit à l’émotion. La  voix est là, très personnelle, moins élégiaque qu’énergique, très engagée, mais on aimerait aussi plus de suavité pour un personnage aussi typé. Les aigus triomphent toujours, même si le suraigu est moins facile qu’avant, mais la voie s’est élargie et remplit sans problème le navire de Bastille. Nul doute que Dessay change l’image du bel canto: ceux qui aiment Mariella Devia ne seront peut-être pas convaincus, il n’est même pas certain qu’un public italien soit totalement séduit. A la Scala, beaucoup de commentaires restaient un peu dubitatifs devant son Amina, malgré le succès indéniable. Mais voilà, notre Natalie est singulière, et sa présence est telle qu’on lui pardonne même ses quelques menus excès.

030220101586.1265394654.jpgSaluts du chef Evelino Pidò

Une très bonne soirée, qui vaut la visite: allez voir cette Sonnambula qui restera sans doute rare à Paris. Un beau succès qui fait regretter amèrement l’absence de bel canto dans le répertoire de la maison.

DEUTSCHE OPER BERLIN 2009-2010 le 30 janvier 2010: RIENZI de Richard Wagner (Dir.Mus: Sebastian LANG-LESSING, Ms en scène: Philippe STÖLZL)

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Photo: Bettina Stöß

Où aujourd´hui monte-t-on Rienzi, ce monument du Grand Opéra dont Hans von Bülow disait qu´il était le “l´opéra le plus réussi de Meyerbeer” ? Il faut faire le voyage de Berlin, enneigée jusqu´à la garde, pour découvrir cette nouvelle production à l´occasion des semaines que le Deutsche Oper dédie à Richard Wagner, dirigée par Sebastian Lang-Lessing et mise en scène par Philippe Stölzl, qui attire une grande affluence de public et évidemment des discussions infinies sur les choix de la mise en scène et les coupures du chef, puisque l’oeuvre qui dure normalement 5h15, en est à peine réduite à  3h (Sawallisch à Munich en 1983 l’avait réduite à 4h…). Dans le cas d’une oeuvre qu’on peut voir à peu près tous les trente ans, j’estime qu’il vaut le coup de monter l’intégrale sans coupures même au prix d’efforts terribles des des artistes (et quelquefois peut-être du public) et en dépit des coûts de l’entreprise. Dans le programme, le chef justifie son choix par l’impossibilité de monter aujourd’hui ce type d’oeuvre (avec un ballet de 40 minutes de belle musique!) et par l’ignorance en Allemagne de ce qu’est le Grand Opéra à la Meyerbeer. Par ailleurs, le metteur en scène qui vient du monde du cinéma en a fait une sorte de “montage” destiné à clarifier l’intrigue et à en donner une lecture linéaire, vidée de ses méandres qui risquent de perdre le spectateur. Sebastian Lang-Lessing insiste sur l’italianité de cette oeuvre et pourtant rien de plus “germanique”, oserais-je dire “teuton” au très mauvais sens du terme, que la manière d’aborder cet opéra pour cette fois, tant à l’orchestre, beaucoup trop fort, trop livré aux cuivres, sans aucune subtilité – on a appelé le chef Lang-Lessing “Laut”-Lessing (laut en allemand signifiant “fort”) qu’à la scène, où Stölzl, propose en fin de compte une lecture au prisme de la folie nazie, ce qui n’a rien d’original vu l’imposante théorie de mises en scènes allemandes depuis les années 70 où les nazis sont mis à contribution.

Certes, cette histoire s’y prête bien, qui raconte l’ascension et la chute du tribun romain Cola di Rienzo lequel, profitant de la présence de la papauté à Avignon au XIVème siècle, réveille les plébeiens de Rome au nom de l’antique gloire de la ville éternelle  et les entraîne à la victoire, puis à la guerre et à la misère. A cette trame assez linéaire du type “Grandeur et décadence” ou “résistible ascension..” s’ajoutent des amours problématiques: sa soeur Irène est amoureuse du fils du chef de la famille aristocratique ennemie  des Colonna (Adriano) à quoi s’ajoute une relation trouble entre le frère et la soeur (Wagner aime décidément els amours incestueuses, voir Walküre…). En fait c’est une trame qui n’est pas sans rappeler par certains aspects  Simon Boccanegra, mais d’un Boccanegra moins politique, moins stratégique, et plus fragile et livré aux affects.

Vocalement, les exigences sont fortes, des basses profondes, un rôle de ténor redoutable (un Florestan mâtiné de Max…rien moins), un travesti mezzo soprano qui exige puissance et engagement, et un soprano lirico spinto de style italien dit Lang-Lessing, un mélange redoutable de Senta,  et d’Elvira d’Ernani… qui exige une voix dynamique, une couleur et un style italiens, et la puissance d’une Senta.

La distribution est très contrastée: le Rienzi de Torsten Kerl est vraiment irréprochable, malgré une voix un peu resserrée au début notamment, il est le personnage voulu (une sorte de Goering) et il est aussi solide dans les parties héroïques que dans les parties plus lyriques, notamment à la fin.

Kate Aldrich dans Adriano est exceptionnelle : elle a tout, engagement, puissance, élégance, style, présence: c’est une magnifique découverte d’un mezzosoprano qui à n’en pas douter, est promis à une grande carrière.

Camilla Nylund dans Irène déçoit profondément: la voix est tendue, manque de puissance, mais surtout, est incapable d’expression: son chant est plat, le personnage inexistant et la voix est complètement engloutie dans les ensembles. Déjà elle nous avait déçu dans Salomé à Paris (voir ce même Blog en novembre dernier), cette fois-ci elle nous agace,  la déception est fortement confirmée.

Le reste de la distribution ne nous semble pas vraiment à la hauteur (sauf lpeut-être le Steffano Colonna de Ante Jerkunica ou le Baroncelli de Clemens Bieber ) et les choeurs gigantesques sont corrects, sans plus.
Nous avons souligné la “manière forte” avec laquelle Lang-Lessing lit la partition. On a l’impression qu’il a choisi les seuls passages fortissimos et que tous les moments lyriques ont été sacrifiés, mais l’orchestre est en place, bien préparé, notamment les cuivres.

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Photo: Bettina Stöß

Et la mise en scène? Philipp Stölzl (qui signe ce travail avec sa collègue Mara Kurotschka) a choisi d’en faire une parabole du pouvoir totalitaire, qui aveugle et écrase les valeurs. L’ouverture se joue à rideau ouvert où une pantomime se déroule sur scène, très inspirée de l’univers de Chaplin dans Le Dictateur, dès la première scène, les choeurs portent des masques qui renvoient à  l’expressionnisme des tableaux de Munch, Max Bechstein ou de Otto Dix, dans des décors qui renvoient à Metropolis de Fritz Lang . Très marqué par l’univers du cinéma et désireux de donner une sens à la narration, on comprend vite ce que Stölzl veut construire: le peuple quitte les masques pour les uniformes, et Rienzi asseoit son pouvoir et sa dictature en faisant faire le sale boulot par “le peuple” qui écrase les complots aristocrates. La fin de la première partie est un triomphe. La deuxième partie est une chute: le peuple est fatigué de la guerre, il ne suit plus son chef que contraint et forcé, et Rienzi, enfermé dans un Bunker (tiens tiens)  devient de plus en plus solitaire au milieu des maquettes de sa nouvelle Rome, qui ressemble à s’y méprendre à la Berlin rêvée d’Albert Speer… On pense au film La Chute, de Oliver Hirschbiegel avec Bruno Ganz. Le personnage d’Irène, sorte d’Eva Braun très pâle et vaguement ridicule, choisit de s’enfermer avec lui.

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Photo: Bettina Stöß

Tout fonctionne, parce que l’histoire est très emblématique de la montée d’un dictateur, de l’oubli des promesses, du culte de la personnalité: le spectacle est donc recevable, se laisse même voir  avec  plaisir, le décor d’Ulrika Siegristest est impressionnant, les vidéos qui rappellent évidemment l’univers des  films de Leni Riefenstahl (Momme Hinrichs et Torge Møller) très ironiques et particulièrement bien réalisées et insérées dans le travail scénique…mais ce travail qui répétons-le fonctionne, est trop démonstratif, trop didactique, manque de finesse (il est vrai que la finesse n’est pas vraiment la qualité du dictateur) ou de travail psychologique: l’allusion à l’inceste en fin de spectacle n’est pas vraiment préparée, les personnages sont tout d’une pièce. Tout cela laisse un peu insatisfait, avec la certitude qu’une autre voie était possible, où le passé nazi n’aurait pas encore une fois servi à l’édification des foules allemandes…

Il reste que j’ai passé une excellente soirée: il y a beaucoup de notes (et de belles notes) dans Rienzi, on y sent la fougue de la jeunesse, l’explosion du génie, on y reconnaît des phrases futures de Lohengrin (les cuivres) ou du Vaisseau (la scène finale), Wagner se construit, mais j’ai entendu la moitié de la construction: j’attends la version complète.

OPÉRA DE LYON 2009-2010: MANON LESCAUT de Puccini (Kazushi Ono, Svetla Vassileva) le 28 janvier 2010

Manon a inspiré les musiciens, ballets et opéras, mais aussi films s´appuient sur l´oeuvre de l´abbé Prévost tout au long des trois siècles qui nous séparent de la première édition du roman. Le XIXème siècle en a fait un grand mythe romantique de l´amour. Auber, Massenet, Puccini nous ont laissé une Manon – et Massenet même deux, puisqu´il en a laissé une suite en 1894 (le Portrait de Manon) – , au XXème c´est le tour de Henze dans son Boulevard Solitude . Huit ans séparent la Manon de Massenet de celle de Puccini. Le livret de Puccini a été écrit à plusieurs mains, et l´immense succès de Massenet freinait beaucoup Giulio Ricordi, mais Puccini tenait à cette histoire d´amour. Alors que Massenet reste fidèle à la trame du roman (même s´il élimine l´épisode américain et sans la figure de Tiberge mais Puccini la sacrifie aussi, en reprenant seulement de pâles traits dans le personnage d´Edmond au premier acte), Puccini transforme profondément l’intrigue en se concentrant sur l´histoire du couple et de leur passion , plus que sur le destin de Manon et en proposant une construction trés elliptique, presque parabolique: il élimine totalement le bonheur du couple, et après le premier acte et la fuite, on retrouve Manon , qui a déjà quitté Des Grieux, chez Géronte. Le climax de l´oeuvre étant l´arrestation de Manon à la fin du deuxième acte. La rencontre et la fuite, les retrouvailles, la chute, la mort: quatre moments clefs de l´existence du couple: de cette concentration naît une construction serrée, qui plaît à Puccini (La Bohème est à peu près construite en quatre moments de la même manière). Puccini semble moins à l´aise dans les moments plus narratifs, ce qui l´intéresse ce sont les vraies scènes entre personnages forts, les grands duos – il rêva de produire un duo d´amour qui eût pu voisiner celui de Tristan), bref, les grands chocs. L´oeuvre, considérée quelquefois encore comme une oeuvre de jeunesse, contient déjà une structure harmonique complexe, une maîtrise absolue de la mélodie et de l´instrumentation: ce n´est pas un hasard si Abbado, qui n´a jamais dirigé de Puccini à l´opéra, projetait de s´attaquer à Manon Lescaut.

Kazushi Ono, qui dirige la production de Lyon semble être, par son attirance vers les oeuvres du XXème siècle, bien adapté à une lecture “moderne” de l´écriture puccinienne. Puccini,  rappelons-le, a suivi avec attention notamment le parcours de Schönberg et aimait le Pierrot Lunaire. La lecture du chef japonais est précise, très claire et révèle bien les niveaux de l´instrumentation, il met notamment bien en valeur les vents, il suit les chanteurs avec grande attention, mais son interprétation  manque à mon avis de ce lyrisme intrinsèque à Puccini et reste un peu froide. Il est vrai qu´il n´est pas aidé par l´acoustique très sèche de l´opéra de Lyon, qui ne permet pas au son de se développer, de réverbérer, d´envelopper le spectateur.

Les voix sont pour le moins contrastées: Svetla Vassilieva est une Manon crédible, à l’aigu triomphant, au volume énorme. La voix manque cependant d’homogénéité et se détimbre dans le grave, comme si tous ses efforts avaient porté exclusivement sur les aigus. c’est dommage car les moyens sont très impressionnants et le personnage bien campé.

J’avais déjà remarqué Lionel Lhote dans Germont en juin dernier lors des représentations de Traviata à Lyon: il impressionne très favorablement dans Lescaut, c’est décidément un baryton à suivre, avec du style, de la puissance, de l’élégance.

Ni style ni élégance en revanche chez Misha Didyk qui est un bien piètre Des Grieux.  Non qu’il manquât de puissance, mais la technique est défaillante, peu de legato, les passages très mal négociés, il donne l’impression de s’égosiller et en plus la voix n’est pas de première qualité.Vaillant mais sûrement pas prince…

Le Géronte d’ Alexander Teliga est honorable et les autres rôles sont correctement tenus, sans plus. Notons quand même l’excellent Edmond de Benjamin Bernheim: il faudra l’écouter dans d’autres rôles, car il a chanté sa partie de manière particulièrement élégante et stylée, qui tranchait avec le désordre de Didyk.

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Photo Jean-Louis Hernandez

Quant à la mise en scène, dans un beau décor de Paco Azorín  inspiré d’une célèbre série de tableaux de Monet, la Gare St Lazare (Art Institute de Chicago et Musée d’Orsay notamment) et des costumes de Franca Squarciapino, elle transpose l’action au XXème siècle, dans les années quarante : Géronte de fermier général devient producteur de films à quatre sous, le deuxième acte se déroule dans un hangar studio (allusion à Lulu?), et l’on y tourne un film en costumes ( 2bf8c3d42a.1265063359.jpg

 

Photo Jean-Louis Hernandez

du XVIIIème bien sûr), mais tout cela est anecdotique: Pasqual a voulu insister sur le voyage et notamment le voyage tragique: le troisième acte, départ pour l’Amérique, est une claire allusion à la déportation, et ces voies de chemin de fer qui n’arrivent nulle part sinon là où Manon trouve la mort au quatrième acte en sont une autre. Modernité, crudité du propos, aventures tragiques d’adultes: il y a tout cela dans ce travail interessant sinon toujours convaincant, les deux derniers actes (et notamment le troisième) sont les plus réussis, on aurait aimé un travail scénique plus raffiné sur les choeurs et les foules du premier acte, on aurait aimé un deuxième acte plus fluide et plus clair dans le propos, mais on se souviendra des deux derniers, et notamment de la descente des wagons et du défilé des malheureuses vers le départ pour l’Amérique.Au total un spectacle de bonne qualité scénique au propos pertinent, mais musicalement partiellement convaincant. Les lyonnais ou les Rhônalpins y passeront un très bon moment. Les parisiens pour cette fois peuvent rester dans la capitale!