BAYERISCHE STAATSOPER 2011-2012 A LA TV (ARTE): LES CONTES D’HOFFMANN de J.OFFENBACH, avec Rolando VILLAZON et Diana DAMRAU le 29 décembre 2011 (Ms. en scène Richard JONES, dir.mus Constantinos CARYDIS)

Acte d’Olympia (Photo Bayerische Staatsoper)

Juste quelques mots. J’étais bien curieux d’écouter Rolando Villazon dont on a dit tout et le contraire de tout ces dernières années. Les Contes d’Hoffmann était avant sa maladie un de ses chevaux de bataille. La production nouvelle de Richard Jones, dirigée par Constantinos Carydis, bénéficiait, outre de Rolando Villazon, de Diana Damrau dans les trois rôles et de l’excellent John Releya dans les rôles noirs de Coppelius, Dappertutto, Miracle, le tout dans la version de Michael Kaye et Jean Christophe Keck, autant dire l’édition la plus récente et la plus fidèle à l’original, bénéficiant de la musique retrouvée au château de Cormatin qui donne à l’œuvre un aspect plus noir, moins brillant que dans les versions habituelles, mais pour cette série de représentations, frappée de coupures indignes d’un théâtre de ce niveau.
Je vous épargnerai le roman des Contes d’Hoffmann, en confessant ma préférence pour les anciennes versions: la suppression de certains airs ou ensembles de l’acte de Giulietta me frustrent…Mais voilà, la fidélité à l’œuvre ne va pas toujours de pair avec ce que notre goût a construit à travers les années…
La production de Richard Jones, qui dans un espace unique réussit à construire des univers différents qui naissent de l’imagination poétique d’Hoffmann, un palais noir pour Antonia, une maison de poupée où évoluent un Hoffmann et un Nicklausse en culotte courtes, beaucoup de couleur, des idées intéressantes çà et là, sans être un travail transcendant. J’ai bien aimé John Releya, qui a la voix du rôle du méchant, même s’il en fait un peu trop. J’ai beaucoup aimé Angela Brower qui malgré un français hésitant donne une interprétation intense et stylée, un nom à retenir. Diana Damrau, à l’instar de Sills ou Sutherland, reprend les quatre rôles , réussit une vraie performance. Pourtant si on l’attendait dans l’acte de Olympia, elle semble avoir perdu sa légendaire qualité de coloratura, même si les notes sont là (un peu dures dans le suraigu), c’est dans l’acte d’Antonia, mon préféré, qu’elle arrive à la fois à donner intensité et poésie à ce rôle qui est le plus tragique de la partition, et sans doute le plus épais psychologiquement, une vraie performance! Elle est plus gênée dans Giulietta, qui ne lui convient peut-être pas.
Acte d’Antonia (Photo Bayerische Staatsoper)

Reste Villazon, dont les Cassandre prévoyaient annulation totale ou partielle, et qui par bonheur a chanté toutes les représentations. La voix est là incontestablement, et ne marque pas de signes de fatigue, même si le volume semble avoir sensiblement diminué. Les notes suraiguës sont négociées plus qu’affrontées, mais pour le reste, il n’y a rien a dire et on retrouve l’intensité du chanteur, qui bravement se lance dans un rôle qui l’a marqué et dont on pensait qu’il ne pourrait plus le chanter. On est très heureux de retrouver cette force de la nature, qui a encore une incroyable prise sur le public à entendre l’ovation qu’il reçoit. C’est qu’il garde cet engagement qui en fait une bête de scène, avec quelquefois peut-être des outrances (il bouge toujours autant!), mais aussi des gestes d’une justesse frappante (dans l’acte d’Olympia, où il est habillé en jeune enfant, il se gratte le mollet avec l’autre jambe comme un enfant gêné avec un geste d’une délicieuse gaucherie, chapeau l’artiste) .

Acte de Giulietta (Photo Bayerische Staatsoper)

Il reste à souhaiter qu’il se ménage, pour pouvoir continuer à chanter longtemps, et qu’il ne se brûle pas sur les planches, comme on pouvait le craindre en voyant évoluer sa carrière.

La direction de Constantinos Carydis ne m’est pas apparue (à la TV) avoir un relief particulier, j’y ai remarqué un tempo plutôt lent en général avec des accélérations brutales, sans dessein général, malgré un orchestre et un chœur excellents dans l’ensemble. Mais je le répète, l’orchestre sonne souvent bien autrement en salle qu’à la TV.

Au total néanmoins une agréable soirée TV de semaine de fêtes, qui devrait se conclure toujours sur ARTE  par une Fledermaus ( mais l’acte II seulement, drôle d’idée) en direct de Vienne dans la mise en scène légendaire et rafraîchie d’Otto Schenk.

LA FORZA DEL DESTINO en DVD, l’une, au SAN CARLO de NAPLES (1958) avec TEBALDI et CORELLI, l’autre, à la SCALA de MILAN (1978), avec CABALLÉ et CARRERAS

Pendant mon court séjour italien, des amis m’ont fait voir deux Forza del Destino éditées par la marque italienne Hardy Classic (http://www.hardyclassic.it/main.asp) qui propose des retransmissions de la RAI des soixante dernières années. L’une, du San Carlo de Naples au temps de sa splendeur, en 1958, avec, excusez du peu, Renata Tebaldi, Franco Corelli, Boris Christoff, Ettore  Bastianini,   et dirigée par le très professionnel  Francesco Molinari Pradelli, l’autre tout aussi alléchante, vingt ans après, venue de la Scala en 1978, année du Bicentenaire, avec Montserrat Caballé, José Carreras, Piero Cappuccilli, Nicolai Ghiaurov, dirigée par l’excellent et trop sous-estimé Giuseppe Patanè, qui la dirigea  aussi à Paris dans ces mêmes années.Avant d’aborder la question du chant, disons d’emblée qu’en comparant les deux spectacles,   il apparaît clair qu’il y a une plus grande distance entre 1958 et 1978 qu’entre 1978 et nous. Autrement dit, on voit encore sur nos scènes des spectacles du type de celui de la Scala (mise en scène Lamberto Puggelli, qui produit encore aujourd’hui de beaux spectacles, dans des décors du peintre Renato Guttuso) , on voit en effet encore ce type de jeu,  ce type de style, mais évidemment certes plus ce type de voix, les vraies de vrai…
En revanche, on ne voit plus sur aucune scène une représentation comme celle de
Naples avec un style de jeu et même de chant qui sans doute passeraient fort mal
aujourd’hui.
On pourra toujours vilipender les metteurs en scène, il reste que l’entrée de la mise en scène à l’opéra (et le passage de Callas, de Visconti, de Wieland Wagner) a changé non seulement le cadre de la représentation, mais aussi la manière de jouer et surtout de dire le texte.

Le premier acte de Tebaldi, avec ses gestes stéréotypés, ses minauderies, fait vraiment sourire, quant à Corelli, il ne fait rien , mais évidemment, quand il ouvre la bouche, c’est autre chose qui passe…

Mais, passée la surprise, j’ai été d’abord remué par le souvenir de Renata Tebaldi, qui venait souvent à la Scala et que le public saluait d’un amical “ciao Renata”, on voyait en effet dans les années 80  souvent des spectatrices telles que Leyla Gencer, Giulietta Simionato, Magda Olivero, Renata  Tebaldi, les souveraines mythiques de l’opéra “d’avant” et quand le spectacle du jour était piteux, imaginez les regards et les regrets dont elles étaient accompagnées et entourées… Alors, voir Tebaldi apparaître sur l’écran, en noir et blanc, jeune, au faîte de la gloire,pensez ce que le fan d’opéra peut éprouver…
Evidemment comment ne pas rester cloué par cette voix d’une insigne beauté. Cette technique,  cette homogénéité, jouant des mezze voci avec un naturel confondant, se riant des aigus, d’une incroyable facilité. Pour Tebaldi aussi bien d’ailleurs que pour Corelli  on n’a pas affaire a des voix techniques, construites, sous verre, à la Fleming, ou des voix
de qualité conduites sans goût ni engagement comme celle de  la Urmana, on a là des voix simplement naturelles, qui se répandent, se développent, dans une impression
de désarmante aisance. Aucun effet, aucun effort d’interprétation,  il suffit que la voix sorte et c’est tout. Je reste époustouflé par la diction  parfaite du texte, d’une cristalline clarté. Et Verdi ainsi prend tout son sens. Seule déception, le Padre, Guardiano de Boris Christoff vraiment loin de ce qu’on pourrait attendre, qui ne semble pas concerné , et si loin de ce que fait Ghiaurov vingt ans après. Déception aussi la direction de Francesco Molinari Pradelli, moins dynamique, un peu rigide, un peu froide, routinière.

Car vingt ans après, c’est un autre cast, un autre style,  mais aussi une autre vie, un autre engagement, une autre vibration.
D’abord, il y a Patanè, trop tôt disparu (crise cardiaque), méprisé par une partie du public, à l’époque. Je le vis un soir à la Scala sauter par dessus la rambarde pour se précipiter sur un spectateur qui huait,  l’homme avait le sang chaud…Les musiciens l’appréciaient parce qu’il leur donnait une grande sécurité, en vrai professionnel. Sa Forza est vive, palpitante,  rythmée, et Patanè est toujours très attentif aux chanteurs, il n’y a jamais de scories.
Le chant de Montserrat Caballé est exemplaire, la voix est puissante, d’une extraordinaire beauté, d’une rare étendue (quels graves, jamais poitrinés!), et elle possède, on le sait, un art unique des notes filées qu’on n’a jamais retrouvé depuis. Mezze voci, notes filées, tout cela est évidemment attendu, mais avec un art de l’interprétation et de l’à propos au-delà de toute éloge, et un sens de la diction exemplaire même si, bon, on passera sur le “maledizione” final perdu dans les aigus. Ce n’est pas une actrice hors pair, mais la voix est sans cesse dans la couleur, dans la variation, dans l’interprétation. C’est tout simplement exceptionnel sur un tout autre registre que Tebaldi, et dans un tout autre style.

Si Corelli est un modèle de chant de ténor, l’art du ténor y est à son sommet, avec une voix insolente jamais prise en défaut, José Carreras, tout jeune encore, a peut-être moins d’épaisseur, mais il a l’éclat, la jeunesse et la pureté du timbre, et lui aussi, un art de l’interprétation vocale, une capacité à colorer chaque moment, et à être souvent bouleversant: son air “O tu che in seno agli angeli” du troisième acte est tout simplement anthologique. Anthologique aussi le padre Guardiano de Ghiaurov, la voix est profonde, étendue, avec des aigus impressionnants jamais égalés depuis, une vraie basse verdienne qui, dans le duo avec Leonora au IIème acte, est simplement stupéfiant. A écouter, réécouter, et apprendre ce que veut dire chanter Verdi.

Enfin, immense, inégalé, prodigieux: les superlatifs manquent pour qualifier la performance de Piero Cappuccilli en Carlo. Il a tout, la diction, l’expression, un sens dramatique inné, des aigus incroyables (pour l’anniversaire de Karl Böhm à Salzbourg, en 1979, où il était Amonasro avec Karajan, il chanta “O sole mio” dans le ton!).  A Paris, dans Carlo, je me souviens de l’indescriptible triomphe. Il faut là aussi écouter et réécouter “Urna fatale del mio destino” suivi de “E’ salvo o gioia” pour prendre la mesure de la distance entre ce chant habité et dominateur, et la pâle prestation  de Vladimir Stoyanov récemment à la Bastille. Enfin, ces immenses artistes sont entourés de seconds rôles bien plus que respectables, à commencer par l’excellent Sesto Bruscantini, rossinien bien connu, en Melitone et de Maria Luisa Nave, qui faisait les doublures ( !) à la Scala en ces années-là, en Preziosilla de haute volée.
La mise en scène est à peu près inexistante (mais Auvray à Paris…) mais les décors de Guttuso donnent une couleur très méditerranéenne à l’ensemble, et font finalement tout le visuel du spectacle. Au total, des moments simplement impossibles à retrouver aujourd’hui avec les chanteurs du jour, et malheureusement pour nous spectateurs de 2011 (et heureusement pour ceux qui les ont entendus jadis)  c’est dans ces moments qu’est Verdi, et pas ailleurs.

NUOVO TEATRO DELL’OPERA à FLORENCE le 23 décembre 2011: Claudio ABBADO dirige l’ORCHESTRA MOZART, L’ORCHESTRA e IL CORO DEL MAGGIO MUSICALE FIORENTINO (BRAHMS: Schicksalslied et MAHLER, Symphonie n°9)

Florence dispose depuis le 21 décembre, date de l’inauguration officielle, d’un nouveau Théâtre d’Opéra. Le vieux Teatro Comunale, reconstruit après les bombardements de la seconde guerre mondiale, vaste salle sans âme ni élégance fermera dans quelques mois au profit de ce complexe composé d’une théâtre d’Opéra de 1800 places, d’un auditorium de 1000 places, d’un amphithéâtre en plein air de 2000 places, le tout signé par l’architecte Paolo Desideri. Situé juste au-delà de la Porta del Prato, non loin de la gare et de l’ancien théâtre, le nouvel opéra de Florence est à découvrir, à travers une série de concerts et de manifestations. Après l’inauguration officielle par Zubin Mehta (Beethoven Symphonie n°9), c’est Claudio Abbado qui dirige l’orchestre du Mai musical florentin et l’orchestre Mozart dans le fameux “Schicksalslied” de Brahms et la “Symphonie n°9” de Mahler, programme exigeant, et résolument grave, qui ne va pas forcément avec la période de fêtes et avec les réjouissances d’une inauguration, mais qui est évidemment excitant vu le chef…

Le théâtre est très inspiré de l’opéra d’Oslo pour la forme, les volumes, et l’utilisation du bois et la couleur dans la salle. A Oslo les architectes ont privilégié la lumière et le verre dans les espaces publics, et le bois dans la salle. Remplacez le verre par du béton, et vous avez à peu près le teatro dell’Opera. Mêmes rampes sur les côtés (voir photo), même disposition du bâtiment. Une sorte de Blockhaus avec des foyers bas de plafond, plus étirés à l’horizontale que visant à l’élévation verticale. Comme à Oslo, c’est le bois, de même couleur, qui a été privilégié dans la salle principale, une salle frontale de 1800 places avec deux balcons qui descendent vers la scène en rappelant la forme de la salle du vieux Comunale, un ensemble assez élégant, et un grand confort avec beaucoup d’espace entre les rangs, ce qui permet un confort des jambes assez inédit. On pourra vraiment juger de l’acoustique quand tous les travaux seront terminés, même la conque acoustique n’est pas définitive. La scène, très avancée dans la salle, conduit à un son très présent, très fort, un peu sec, alors que le choeur, pour le Brahms, manquait d’éclat en fond de scène. je ne suis pas convaincu par la distribution des espaces, mais il faudra voir à l’usage, lorsque l’auditorium de 1000 places sera en fonction. Le Comunale était rarement plein, je doute que ce nouveau théâtre le soit aussi: le public potentiel florentin n’est pas énorme. D’ailleurs, il restait pour le concert plusieurs centaines de places à vendre que l’administration du théâtre a offert au public de dernière minute avec 10% de réduction. Il est possible que des sponsors qui traditionnellement en Italie achètent des centaines de places pour leurs invités, n’aient pas réussi en cette période de l’année à attirer leur public. Ils ont peut-être rendu les places. Le sponsoring en Italie conduit souvent à exclure des salles bonne part du public ordinaire. La Scala par exemple met rarement en vente plus de 500 places, les 1500 places restantes se partageant entre sponsors et abonnés.

 

Enfin, il y avait du public, et quelques stars, Roberto Benigni et son épouse, amis de longue date d’Abbado, la danseuse (à la retraite) Carla Fracci, quelques politiques locaux, dans une ambiance chic et choc de cette ville très aristocratique et provinciale qu’est Florence.
Et ce fut un beau concert. Dès les premières mesures du Brahms, on mesurait la qualité du son de cet orchestre hybride, né de l’union de l’Orchestra Mozart et de celui du Maggio Musicale Fiorentino, avec des chefs de pupitres venus du Lucerne Festival Orchestra, on reconnaissait Raphaël Christ (Premier violon), son père Wolfram Christ (Premier alto) avec l’ex premier alto de la Mahler Chamber Orchestra, Jacques Zoon à la flûte , Alessandro Carbonare à la clarinette, Alessio Allegrini au cor, et bien sûr, l’irremplaçable Reinhold Friedrich à la trompette. Le Schicksalslied, tiré de l’Hyperion de Hölderlin, chante le malheur des hommes et la félicité des élus, qui ont dépassé le destin, face aux hommes, qui en sont les jouets. L’ensemble a été vraiment magnifique, avec un début prodigieux, dans un crescendo dont Abbado a le secret. Le chœur s’en est très bien tiré, malgré le problème acoustique signalé plus haut. Après ce début prometteur, l’interprétation de la Symphonie n°9 a pris de court les habitués que nous sommes, comme souvent. Abbado ouvre la premier mouvement sur un tempo plus vif, presque plus allègre, avec un son plus ouvert, et accentue les contrastes. Il en résulte une forte tension entre les trois premiers mouvements, étourdissants de vivacité virevoltante, d’ironie mordante (le rondo burlesque devient insupportable de cruauté), avec des solos à faire pâlir (Jacques Zoon à la flûte a été littéralement prodigieux, sans parler de Friedrich), et le quatrième, qui devient en contrecoup bouleversant, de douleur rentrée, de volonté de ne pas s’étioler, de résister à l’aimantation de la fin. Et, même si ce n’est sans doute pas la plus grande Neuvième entendue, les larmes coulent, comme toujours quand Abbado nous prend par surprise et nous emmène dans cet espace du sensible et de l’émotion qu’aucun autre chef n’explore avec cette insistance et cette intuition. Et lorsque les derniers soubresauts de son remplissent (à peine, tant ils sont murmurés) la salle, quand les lumières peu à peu s’éteignent dans un long silence traversé par des filets sonores à peine perceptibles, pour laisser place à un très long silence dans une salle presque totalement obscurcie où l’orchestre n’est plus qu’un ensemble d’ombres immobiles, on se dit que Mahler est grand, et Abbado son prophète.

Le résultat: un triomphe, énorme, plusieurs dizaines de minutes, la salle debout, et de longs applaudissement insistants longtemps après le départ de l’orchestre pour rappeler le Maître, mais celui-ci, fatigué et souffrant du dos, ne s’est pas présenté une dernière fois comme il le fait à Lucerne. Quand finit la musique, le poids de l’âge revient, mais quand il est sur le podium, on sent bien que la musique est pour lui une source d’éternelle jeunesse et d’éternelle énergie.

 

TEATRO ALLA SCALA 2011-2012 le 22 décembre 2011: Concert de Noël: Gustavo DUDAMEL dirige la Symphonie n°2 de Gustav MAHLER “Résurrection” (Anna LARSSON, Genia KÜHMEIER)

Début de saison agité à la Scala, le choeur en grève a contraint la direction à changer le programme du concert du 21 décembre (Beethoven, Symphonie n°9) et à remplacer la Symphonie n°9 par le Concerto n°5 “l’Empereur’ avec Maurizio Pollini, ce qui n’est pas si mal. Du coup, Anja Harteros, prévue pour la partie de soprano de la neuvième de Beethoven du 21 et pour la partie de soprano de la Symphonie “Résurrection” du 22 décembre a été remplacée par Genia Kühmeier, ce qui n’est pas mal non plus.  Une “Résurrection” à Noël , c’est inhabituel, mais la valence spirituelle de l’œuvre peut aussi marquer Noël.
J’ai toujours un peu d’hésitation à assister à une Symphonie “Résurrection” de Mahler depuis l’été 2003. Claudio Abbado en avait donné à Lucerne une exécution que j’estime pour l’instant définitive. On en a trace dans son disque (DG) et dans le DVD qui en a été gravé.
Ce fut un choc.
Dès la répétition générale, peut-être encore plus fortement que lors des concerts. Des raffinements techniques inouïs, un orchestre à peine né qui jouait comme si les musiciens étaient ensemble depuis des années, une légèreté à faire pâmer, un pizzicato du 2ème mouvement suspendu, aérien, qui fit se regarder les spectateurs entre eux, stupéfaits, une clarté et une transparence instrumentale uniques, une élévation finale qui nous emportait dans une joie réellement céleste, comme si le ciel s’ouvrait devant cette musique.
Dans ces conditions, on devient difficile, insupportablement difficile. Rattle et le Philharmonique de Berlin quelques années après à Paris, me laissèrent de glace: l’approche de Rattle, théâtrale et spectaculaire, ne laisse pas d’espace au spirituel et à l’âme qui vague. Au disque, Abbado mis à part, c’est Bernstein qui me passionne et qui m’émeut, notamment avec New York.
Gustavo Dudamel a commencé sa carrière en s’attaquant tôt à Mahler et en promenant une approche  fougueuse, claire, séduisante (Mahler Symphonie n°5);  il a ensuite avec beaucoup de succès proposé la Symphonie n°1 “Titan”. Il a donné récemment en tournée (avec l’Orchestre des Jeunes du Venezuela Simon Bolivar ) la Symphonie n°2 “Résurrection” qu’il repropose avec l’Orchestre et le chœur du Teatro alla Scala comme programme du “Concert de Noël”,  désormais entré dans la tradition scaligère.
Même si les phalanges de la Scala ont déjà souvent interprété Mahler, et depuis longtemps, notamment sous l’impulsion d’Abbado, mais pas seulement, cette musique n’est pas vraiment inscrite dans leur gènes et il aurait fallu sans doute des répétitions plus nombreuses pour effacer de trop nombreuses scories,  erreurs, décalages, qui ont émaillé un concert dans l’ensemble acceptable, mais loin de ce que l’on pouvait espérer du chef, l’une des références aujourd’hui, et de l’orchestre réputé le meilleur d’Italie. Les musiciens interrogés à la sortie disaient pourtant que vu le nombre ridicule de répétitions, le résultat tient du miracle.
Certes, la volonté du chef d’aborder l’œuvre (qu’il dirige sans partition) dans une sorte de lenteur très calculée, avec de longs silences, de longues respirations, des ruptures de lien étonnantes qui à la fois cassent la fluidité et toute velléité de légèreté y est sans doute pour quelque chose. Les instruments solistes sont à la peine, les bois notamment, les cordes quelquefois aussi, pourtant excellentes habituellement, les harpes, trop marquées, trop fortes. L’interprétation tire vers le mystique (quelqu’un a dit que cela semblait très “Giulinien”), une sorte de Mahler brucknerisé qui n’a jamais la variété de couleurs ni la vivacité, ni même l’ironie de l’approche d’Abbado ou de Bernstein. Dionysos contre Apollon? Même pas, car pour être pleinement apollinien, il eût fallu disposer d’un orchestre en état de grâce et ce n’est pas le cas. Terrible constat pour cette symphonie adorée entre toutes, on s’ennuie un peu, on n’est jamais ivre de son, on reste extérieur, on reste froid. Le chœur n’a pas non plus semblé être au mieux de sa forme, incapable du murmure initial par exemple, et il ne déclenche aucun sursaut de l’âme dans les dernières mesures (auxquelles semblait manquer l’orgue, qui n’était pas sur scène).
Pourtant, on reconnaît les qualités de Dudamel, précis dans le geste, attentif à chaque pupitre, maîtrisant pleinement l’œuvre, et produisant une remarquable clarté du son, mettant en exergue des phrases jusque là inconnues,  et certains moments demeurent marquants (le premier et le quatrième mouvement  sont les meilleurs – contrebasses et violoncelles remarquables-) le second (avec un pizzicato d’une grande platitude) et le troisième bien moins réussis. Des deux solistes, c’est Genia Kühmeier qui s’en sort le mieux, la voix porte, elle a ce caractère “céleste” qu’on attend, et la technique est solide. De manière surprenante en effet, Anna Larsson déçoit: où sont passés la profondeur, la pureté du timbre, l’écho des graves de bronze? Peut-être un petit passage à vide.

Au total la soirée fut certes décevante, par rapport aux attentes, par rapport à un chef qu’on aime, par rapport à une œuvre qui m’accompagne presque au quotidien. Dans les amis qui assistaient au concert, beaucoup d’opinions contrastées, comme souvent, mais si ce fut un succès, ce ne fut pas un triomphe. J’attends donc d’entendre Dudamel diriger cette symphonie avec un autre orchestre. J’ai bien compris son parti pris, même s’il ne m’a pas vraiment convaincu ce soir. Mais ce fut une soirée Mahler, donc en principe une soirée jamais perdue.

TEATRO ALLA SCALA 2011-2012 le 13 décembre 2011: DON GIOVANNI de W.A.MOZART (Dir.Mus: Daniel BARENBOIM – Ms en Scène: Robert CARSEN)

Aussi loin que je me souvienne, je n’ai pas en tête une production de référence de Don Giovanni, qui allie l’excellence musicale et scénique. J’ai vu les productions de Salzbourg (Barenboim-Chéreau), de Paris en 1975 (Solti-Everding: les productions suivantes n’avaient pas grand intérêt malgré des distributions intéressantes), de la Scala (Muti-Strehler et Dudamel-Mussbach), de Ferrare (Abbado-Mariani), de Vienne (Theater an der Wien, Abbado-Bondy) j’en ai vu aussi à Londres (Colin Davis) et ailleurs et rien dans mes souvenirs n’émerge clairement. Musicalement, c’est plus évident, ma référence reste Sir Georg Solti, à Paris, avec une distribution inégalée (Soyer, Van Dam, M.Price, Te Kanawa, Berbié…), qui avait à la fois la clarté, l’énergie vitale, le dynamisme, la précision. Abbado à Ferrare avait Simon Keenlyside, et Bryn Terfel (déjà) et c’était aussi prodigieux. Pour ma part j’ai toujours considéré la production Chéreau-Barenboim de Salzbourg comme une déception, malgré des images sublimes. Mais j’avais aussi apprécié la production de Brook à Aix (avec Abbado, Harding et déjà Peter Mattei) pour la simplicité, sa fraicheur et sa prise forte sur le public (rappelons la longue tournée européenne que fit cette production après sa création), enfin, à Aix toujours, la production de Tcherniakov ne m’a pas laissé de mauvais souvenir non plus..

Au total, peut-être est-ce la trace de la production de Luc Bondy, au Theater an der Wien, avec Abbado au pupitre, qui reste à mon avis la plus “complète”. Abbado est un homme de théâtre, qui sait créer une dynamique forte, et qui est attentif à la scène, Bondy avait fait un travail intelligent, et la distribution était plus que solide (Raimondi, Gallo, Blochwitz, Studer, Mattila, Mc Laughlin, Kotscherga, Chausson). Même si le spectacle fut moyennement accueilli, cela reste la production qui au total, m’est le plus restée en mémoire.

Daniel Barenboim s’est très vite confronté à cette œuvre, qu’il a enregistrée dès 1973 (avec Roger Soyer d’ailleurs dans le rôle titre et l’English Chamber Orchestra) et qui l’a marquée puisqu’il a pu voir Furtwängler le répéter et le diriger. On sait le lien qu’il entretient avec  Furtwängler depuis les années d’enfance et qu’il porte notamment dans ses interprétation wagnériennes (avec des résultats contrastés et irréguliers d’ailleurs). Malgré tout, c’est un immense musicien, que Paris a stupidement laissé échapper (merci Monsieur Bergé): après son départ de l’orchestre de Paris, on sait ce qu’il en est advenu du destin de cet orchestre…

La Scala pendant une bonne quinzaine d’années a vu et revu le Don Giovanni mis en scène par Strehler, et dirigé par Riccardo Muti. Une production magnifiquement décorée par Ezio Frigerio, mais qui n’a pas montré  l’ensemble des qualités qu’on peut voir dans les Noces de Figaro de la même équipe: de la poésie, oui, de l’élégance, oui, mais pas de vraie portée idéologique (que Le Nozze véhiculaient fortement) et d’une certaine manière un manque de profondeur, que la direction de Riccardo Muti ne portait pas plus, trop léchée et insuffisamment vivante ou palpitante, même si formellement impeccable. La dernière production de Peter Mussbach n’avait rien d’intéressant (un scooter en scène ne suffit pas) et se sauvait grâce à la belle direction de Gustavo Dudamel qui avait quant à elle de vrais accents qui rappelaient Furtwängler.
Remettre  sur le métier une production de Don Giovanni qui puisse durer un peu est donc “naturel” pour un théâtre de référence comme la Scala, même si la proposition d’une inauguration dédiée à Don Giovanni a pu surprendre (on s’attendait à Norma…).
Après avoir vu la retransmission télévisuelle, que dire du spectacle vu dans la salle?

La réponse: d’abord la salle. La salle de la Scala comme lieu multipolaire de l’action, d’une action ou Don Giovanni s’affiche dès le début comme “émergeant” du public, arrachant le rideau et faisant ainsi tomber le quatrième mur, projetant sa singularité au milieu des 2000 spectateurs reflétés dans un miroir gigantesque qui fait de la salle éclairée le décor initial.L’espace de l’action est le théâtre, salle (loge impériale, fauteuils d’orchestre et scène, coulisses, les décors sont une répétition à l’infini du rideau de scène, du cadre de scène, des avant-scènes, c’est d’abord un hommage extraordinaire au mythe Scala avant de l’être au mythe de Don Giovanni. Don Giovanni est donc d’abord un homme de théâtre, qui démasquerait tous les codes traditionnels des rapports humains, dont les rapports à la représentation sont en quelque sorte les métaphores: ainsi, la moitié du second acte se déroule sur une scène de théâtre (dans le théâtre) et Don Giovanni et la jeune bonne qu’il a séduite sont les seuls spectateurs de cette succession de scènes où Leporello porte les habits de Don Giovanni, jusqu’à sa fuite et en pratique, jusqu’au “Mi tradi”: Don Giovanni comme spectateur du théâtre du monde, et d’un monde qui en réalité le désire et projette sur lui ses propres fantasmes (une idée assez communément diffusée et ancienne). Ainsi du final, où finalement il survit et où ce sont les autres (qui l’ont créé par leurs désirs et leurs ambiguïtés), qui vont en enfer en disparaissant dans les dessous.

Une fois créées les conditions de la représentation, il faut tout de même noter que cela devient assez répétitif, et que les rapports entre les personnages ne sont pas aussi travaillés qu’on pourrait le désirer: certes, il y a le jeu de l’échange des costumes qui est un motif récurrent (Elvira arrive en manteau et chapeau à la Greta Garbo au premier acte et c’est Don Giovanni qui va sortir de scène avec le manteau et le couvre-chef, tandis qu’Elvira, en combinaison (noire) va se couvrir de la veste de son aimé. L’amour et le désir circulent depuis le début: Anna n’est pas violée, elle est vraiment consentante, fait tout pour retenir Don Giovanni et le Commendatore les surprend au lit (difficile réglage de la sortie d’Anna dans ces conditions). Jolie idée aussi que de ne pas régler de duel, mais de faire en sorte que le Commendatore meure presque par “erreur” ou “hasard” en trouvant l’épée sur son chemin, et que Don Giovanni soit ensuite percé par le spectre de la même manière à la fin. Il n’y a aucun doute, le spectacle est digne et la mise en scène bien travaillée, avec des moments d’une grande beauté plastique (comme souvent chez Carsen).

En apprend-on beaucoup sur le mythe? C’est à voir, mais le Don Giovanni est d’une telle richesse que tout est possible et (presque) tout est bon.
Comment expliquer que le spectacle malgré une évidente préparation et une distribution de haut niveau ne réussisse pas à décoller : les spectateurs du très chic “Turno A” ne se sont pas attardés en longs applaudissements et on avait pas envie de s’attarder trop effectivement: paradoxal dans la mesure où il n’y pas vraiment beaucoup à reprocher à l’ensemble, sinon une sorte d’ennui qui vous prend de temps à autre, à cause d’une mise en scène qui finit par réinventer toujours le même motif, et une direction d ‘orchestre aux tempi ralentis, étirés, qui ne propose pas de chemin novateur, mais d’où émergent çà et là tout de même des moments de sublime beauté, ces irrégularités font naître une impression permanente de frustration, tout y est, tout serait possible et rien ne se passe vraiment.
L’équipe de chanteurs est d’un très bon niveau, dominée par une Anna Netrebko au timbre enchanteur, à la technique de fer, au volume dominant largement le plateau, mais au souffle quelquefois éprouvé par le tempo du chef. Netrebko n’est pas qu’une star, elle est vraiment une chanteuse: il y a longtemps que je n’avais entendu une telle Donna Anna.
S’ils sont scéniquement tout à fait extraordinaires, Peter Mattei et Bryn Terfel m’ont un peu déçu: le premier m’est apparu (est-ce une impression?) moins en forme vocale que lors de la première à la TV, l’air du champagne a été sérieusement savonné, la voix ne sortait pas toujours, mais la diction et le style sont là. Même remarque pour Terfel, qui propose un personnage moins bouffe et qui du point de vue du chant n’a pas été au niveau habituel à mon avis, même si l’air du catalogue était vraiment remarquable. Il reste évidemment que ce sont deux vrais phénomènes scéniques. L’Elvira de Barbara Frittoli est très musicale, mais peu caractérisée, et produit peu d’émotion: en salle comme en TV, c’est le même chant un peu lisse, qui ne fait pas le poids par rapport à la Netrebko. Kwanchoul Youn est une très bon chanteur, mais qui manque un peu de cet éclat qu’on attend du Commendatore: voilà un chanteur pour les longs monologues wagnériens, où il est remarquable, plus que pour les apparitions décisives et frappantes..
Masetto m’avait fait une meilleure impression à la TV, cette voix de basse très sonore et un peu engorgée n’a pas vraiment un timbre qui séduit, peu adapté à mon avis à ce rôle, et Anna Prohaska chante correctement sans plus (sauf lorsqu’elle fait ses cadences suraiguës, sa seule force) et la voix est assez acide, elle non plus n’est pas une Zerline de grande lignée. Reste l’Ottavio de Filianoti, qu’on a beaucoup fustigé à la Première, mais qui à la troisième a tenu sa partie un peu mieux que le 7 décembre, avec un style pas toujours adapté et de petits problèmes de justesse, mais avec plus de tenue vocale, incontestablement.

Au total un spectacle dont il est difficile de dire vraiment beaucoup de mal, qui a de la tenue, qui fonctionne par intermittences, très soigné – c’est visible- dans sa préparation musicale et scénique, et qui laisse un peu froid, comme un goût fade dans la bouche. je n’arrive pas à comprendre pourquoi il ne fonctionne pas bien…mais peut-être les options du chef y sont elles pour quelque chose…

 

 

LUCERNE FESTIVAL 2012: Quelques concerts à ne pas manquer

 

Le programme du Festival de Lucerne 2012 est paru. Vous pouvez-vous y reporter en allant directement sur le site Lucernefestival.ch. Mais j’aurais tant aimé que le programme annoncé, si attendu,   tant Claudio Abbado avait tardé à se décider, à savoir  la Symphonie n°8 de Mahler pour clore le cycle Mahler du Festival de Lucerne ouvert en 2003 avec une mémorable Symphonie n°2 soit maintenu. Et hélas, Claudio Abbado n’est décidément pas en phase avec cette symphonie et il a préféré diriger un autre programme.

Mercredi 8 août, 18.30, Ouverture du Festival
Vendredi 10 août, 19.30
Samedi 11 août, 18.30
LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA
Chor des bayerischen Rundfunks
Schwedischer Rundfunkchor
Juliane Banse, soprano Anna Prohaska, soprano
Récitant, Bruno Ganz
Maximilian Schmitt, ténor
René Pape, Bass
Direction Claudio ABBADO

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Incidental music to Goethe’s tragedy “Egmont” for soprano, narrator and orchestra, Op. 84

Wolfgang Amadé Mozart (1756-1791)
Requiem in D minor, K. 626 (edition by Franz Beyer)

 

_____________________________________

Vendredi 17 août 2012, 19.30
Samedi 18 août 2012, 18.30

LUCERNE FESTIVAL ORCHESTRA
Radu Lupu, piano

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Konzert für Klavier und Orchester Nr. 3 c-Moll op. 37
Anton Bruckner (1824-1896)

Sinfonie Nr. 1 c-Moll WAB 101

Direction, Claudio ABBADO

Il semble presque qu’on s’oriente aussi vers une intégrale Bruckner, il a déjà dirigé la 4, la 5, la 7 à Lucerne et il dirigera la 1 en 2012, restent la 2, la 3, la 6, 8 et la 9Faisable s’il est en forme…

 

Dans les autres concerts notables, l’intégrale de Cendrillon de Prokofiev, avec le London Symphony orchestra dirigé par Valery Gergiev, le 24 août, le Requiem de Verdi, avec l’orchestre et le chœur du Teatro alla Scala dirigés par Daniel Barenboim et les solistes Jonas Kaufmann, René Pape, Anja Harteros, Elina Garanca, excusez du peu, le 29 août. Le Concertgebouw dirigé par Mariss Jansons dans deux programmes imbriqués avec ceux du City of Birmingham Symphony Orchestra dirigé par Andris Nelsons (les 1er et 2 pour Jansons, les 3 et 4 pour Nelsons)
1er septembre: Concertgebouw, Jansons, Bartok, Concerto pour violon (Leonidas Kavakos), Mahler Symphonie n°1
2 septembre: Concertgebouw, Jansons, Schönberg, Un survivant de Varsovie, Stravinski, Symphonie des Psaumes, Barber, Adagio pour cordes, Varèse, Amériques
3 septembre: CBSO, Nelsons, Mahler Symphonie n°2, Resurrection (Fujimura, Crowe)
4 septembre: CBSO, Nelsons, Gubaidulina, concerto pour violon n°1 “Offertorium” (Baiba Skride), Chostakovitch, Symphonie n° 7, “Leningrad” .
Et ne pas oublier que Mariss Jansons, avec son autre orchestre, celui de la Bayerischer Rundfunk, conclura le Festival de Pâques de Lucerne (les 30 et 31 mars), que Abbado aura ouvert avec l’orchestra Mozart le 24 mars prochain à 18h30:
Wolfgang Amadé Mozart
(1756-1791)
Symphony in C major, K. 425 “Linz”
Concert for violin and orchestra in A major, K. 219 (Soliste Isabelle Faust)
Robert Schumann
(1810-1856)
Symphony No. 2 in C major, Op. 61

Les concerts de Jansons:
Le 30 Mars:
Ludwig van Beethoven
(1770-1827)
“Leonore Overture” No. 3, Op. 72a
Béla Bartók
(1881-1945)
Concert for violin and orchestra No. 1, Sz. 36 (Soliste Vilde Frank)
Johannes Brahms
(1833-1897)
Symphony No. 4 in E minor, Op. 98 (1884/85)

Le 31 mars:
Ludwig van Beethoven
(1770-1827)
Symphony No. 1 in C major, Op. 21
Leoš Janáček
(1854-1928)
“Glagolitic Mass” (Chor des Bayerischen Rundfunks, Tatiana Monogarova, Soprano, Marina Prudenskaia, alto, L’udovit Ludha, Ténor, Peter Mikulas, basse, Iveta Apkalna, orgue.
Mais à Pâques vous pourrez aussi entendre Nicolaus Harnoncourt, et l’été, j’ai passé sous silence Cleveland Orchestra (Franz Welser Möst), Le Gustav Mahler Jugendorchester (Daniele Gatti) les Berliner Philharmoniker (Sir Simon Rattle), les Münchner Philharmoniker (Lorin Maazel) un concert Vivaldi de Cecilia Bartoli , les Wiener Philharmoniker (Vladimir Jurowski, Bernard Haitink: ce dernier conclura le festival par la Symphonie n°9 de Bruckner le 15 septembre), j’en ai oublié plein dont Pierre Boulez avec le Lucerne Festival Academy Orchestra et Deborah Polaski dans “Erwartung” de Schönberg, ainsi que deux concerts “perspectives” de Maurizio Pollini…Inutile de continuer, vous êtes, je le sens déjà sur le site de Lucerne.
Billets à partir du 16 avril…


 

 

 

METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2011-2012 sur grand écran le 10 décembre 2011: FAUST de Ch.GOUNOD (Dir: Yannick Nezet-Séguin, Ms en scène: Des McANUFF avec Jonas KAUFMANN)

Après le Faust pour le moins discuté de l’Opéra de Paris, le MET propose cette saison un Faust dirigé en distribution A par Yannick Nézet-Séguin (en distribution B ce sera Alain Altinoglu) avec Jonas Kaufmann (en B Roberto Alagna, en C Joseph Calleja ), René Pape, Marina Poplavskaia. La production est celle de l’américano-canadien Des McAnuff, en coproduction avec l’ENO (English National Opera) de Londres où elle a été présentée en ouverture de saison 2010 avec Toby Spence, ce qui ne devait pas être mal non plus. Des Mc Anuff, actuellement directeur du Stratford Shakespearean Festival of Canada,    qui a reçu de nombreux prix dans sa carrière, est considéré comme un très bon metteur en scène de Musical, ce qui n’est pas dégradant dans le monde anglo-saxon.
Sa production du Faust est loin d’être indigne sans être convaincante: prenant le mythe de Faust dans son aspect métaphysique, il fait de Faust un savant qui renonce à la science après Hiroshima et Nagasaki, tout comme le fit Jacob Bronowski en 1945. Le rideau se lève sur une vision d’Hiroshima et un laboratoire qui pourrait être celui d’un scientifique des années 1940, mais très vite, le Faust de Gounod et ses désirs bien terrestres reviennent en force, et ce n’est qu’à la fin, après l’apothéose de Marguerite, qu’on revoit le laboratoire, le Faust vieilli du début terminer le verre de poison et s’écrouler, mort. Ou bien Satan l’a laissé remonter des enfers, ou bien tout cela n’était qu’un fantasme de vieillard ravagé par le doute et les regrets. Est-ce utile? Pas vraiment, on n’en apprend pas plus. Intéressant seulement l’idée qu’on est en 1945, et qu’on revient en 1914, à la vieille de la première guerre mondiale quand Faust redevient jeune: McAnuff situe très précisément l’intrigue, qu’il inscrit dans l’histoire et donne ainsi une logique à son approche.
Entre les deux, Des McAnuff, dans un décor unique et monumental de Robert Brill, propose une vision souvent dramatique, très réaliste du mélodrame de Gounod, avec quelques idées intéressantes et (qu’on espère) ironiques, comme l’entrée de Marguerite au paradis, dont la voie lui est montrée par un majordome qui la salue, ou comme les tremblements qui saisissent Mephisto à la vue d’une croix, ou comme le jeu avec le coffret à bijoux que Dame Marthe essaie de subtiliser, ou même le jeu très poétique des fleurs dans la scène du jardin: le bouquet de Siebel sert pour les échanges des amoureux. Quelques scènes ont une véritable efficacité, la mort de Valentin par exemple, très bien réglée ou même la scène de l’église, où il apparaît clairement que le discours du diable et celui des paroissiens qui sont à la messe sont bien voisins (comme chez Martinoty).
Et puis on reconnaît  des éléments de l’intertexte ordinaire faustien depuis Lavelli, comme l’idée de Faust comme double de Mephisto, ou comme le retour des soldats éclopés et frappés par les horreurs de la guerre (le flash d’une photo provoque une crise hystérique d’un soldat) . Le  paradis est un monde aseptisé en blouse blanche, l’enfer (La nuit de Walpurgis) est le monde des brûlés d’Hiroshima, un monde de monstres construit par les blouses blanches… Au total, un spectacle pas tout à fait convaincant (c’était la Première, il y a eu des huées pour le metteur en scène…), mais qui se tient. On reste perplexe sur le message délivré, car le Faust de Gounod est bien loin de Marlowe….

 

Ce qui fait la force de la soirée, c’est évidemment l’aspect musical, qui laisse hélas loin, très loin derrière ce que nous avons pu entendre à Paris. Nous avons assisté à une performance vocale vraiment exceptionnel grâce à un trio de choc, certes, mais aussi des rôles secondaires parfaitement tenus: malheureusement, ni Dame Marthe (Wendy White)  ni Wagner (Jonathan Beyer), pourtant valeureux ne sont cités dans le cast du site du MET. Le Valentin de Russell Braun, est intense, possède une diction exemplaire comme toute la distribution et une belle puissance: encore un baryton à retenir, et le Siebel de la canadienne Michèle Losier a une présence plus forte que d’habitude, surtout vocalement bien planté, une très belle performance.
J’ai dit être peu sensible au chant de Marina Poplavskaia, vue à Londres dans l’Elisabetta de Don Carlo, et à Salzbourg dans Desdemona de l’Otello de Verdi. Une chanteuse au point mais un peu indifférente, voilà ce que je ressentais. Ce n’est pas du tout le cas de sa Marguerite, très engagée, très incarnée, aux gestes précis et élégants-cette dame a sûrement fait de la danse-, au visage très expressif, et à la voix à la fois lyrique et dramatique de vrai lirico-spinto, enfin une Marguerite qui émeut et qui porte en elle un destin. Magnifique.
Magnifique aussi le Mephisto de René Pape, au chant très contrôlé, très attentif à chaque parole, à la modulation de chaque note, cherchant à contrôler le souffle, alléger le son, chanter piano, un chant sculpté et une voix de bronze, incroyablement puissante, présente. C’est immense, pas d’autre mot, et quelle diction!
Enfin Jonas Kaufmann, dont on ne sait que vanter, comme René Pape, un chant techniquement parfait, contrôlé, modulé, avec un souci du détail dans la manière de dire le texte qui stupéfie. Le contre Ut de son air “Salut demeure chaste et pure” ne sera sans doute pas aussi plein et éclatant que celui de Gedda jadis, mais il est là, avec un diminuendo s’il vous plaît. Et la puissance, et l’intelligence, et le français parfait. Bref c’est le Faust d’aujourd’hui, comme c’est le Werther, et comme ce sera sans doute très vite le Samson.
Devant cette distribution parfaite, chapeau bas car réunir sur un plateau un cast sur lequel rien n’est à redire, sauf l’immense satisfaction et l’envie d’applaudir à tout rompre devant l’écran est suffisamment rare pour être signalé.
Le chœur avait mal commencé, la scène de la kermesse était incompréhensible, et on remarquait des erreurs de rythme et des décalages, puis cela s’est arrangé et les ensembles des derniers actes furent très réussis.
Quant à l’orchestre, Yannick Nézet-Séguin a su accompagner les mouvements scéniques avec beaucoup de précision, et a surtout montré dans les scènes très lyriques (le jardin) un souci de la couleur, du détail, une précision et une clarté de lecture tout à fait exceptionnelles. Une vraie direction, à la fois énergique, variée, claire, qui donne une véritable unité à l’ensemble.
En bref, on filerait bien à New York pour entendre ce Faust en salle ( encore 3 représentations dans ce cast – jusqu’au 20 décembre) .
Il y a avait bien 400 personnes dans la salle de cinéma, la plus grande de ce Multiplex: dans les villes sans opéra, c’est une aubaine, mais n’est-ce pas aussi un danger pour les théâtres d’opéra sans gros moyens que cette concurrence-là, nos édiles n’auront pas trop de scrupule je pense, à préférer les cinémas aux théâtres coûteux à entretenir et coûteux en personnel à rémunérer. Il reste que ce fut un vrai beau moment et que le MET a réussi à fidéliser partout un public, les autres théâtres suivent à grand peine.

TEATRO ALLA SCALA 2011-2012 à la TV (ARTE): DON GIOVANNI, de W.A.MOZART (Dir: Daniel BARENBOIM, Ms en scène Robert CARSEN)

Depuis 1987, c’est la troisième production de Don Giovanni à la Scala: il y a eu celle de Strehler, dirigée avec brio par Riccardo Muti, d’une beauté un peu froide et moins réussie que les Noces parisiennes, il y a eu ensuite le Don Giovanni de Peter Mussbach, en 2006 dont le seul intérêt fut la direction de Gustavo Dudamel. La distribution de ce soir a de quoi séduire avec les débuts in loco d’Anna Netrebko en Donna Anna, le Don Giovanni de Peter Mattei, 13 ans après la production de Peter Brook à Aix en Provence, le Leporello de Bryn Terfel, qui le chanta à peu près à la même époque avec Abbado à Ferrare, l’Elvira de Barbara Frittoli à la place d’Elina Garanca, qui vient d’avoir un bébé, Giuseppe Filianoti en Ottavio , Kwanchoul Youn en commendatore, La jeune Anna Prohaska (celle qu’Abbado voudrait en Lulu) en Zerlina, et en Masetto Štefan Kocán. A priori donc une distribution sûre.

Quelles sont les premières impressions avant de voir le spectacle en salle le 13 décembre prochain?
Tout d’abord, on aura remarqué la présence de Mario Monti, nouveau président du conseil aux côtés du président de la république, Giorgio Napolitano. Le 7 décembre on le sait est le moment où le pays se retrouve symboliquement autour de son théâtre. Dans un moment aussi difficile pour l’Italie, c’est une affirmation de la solidité et de la pérennité des valeurs autour desquelles l’identité italienne est construite. Auguri! comme on dit.
Ensuite, on l’a assez souligné, Daniel Barenboim monte sur le podium cette fois comme directeur musical. Après un long interrègne où il a été “direttore scaligero”, il succède à Riccardo Muti, premier chef non italien à exercer cette charge, avec un sovrintendente lui aussi pour la première fois non italien. Quand on se rappelle la situation de la Scala à la fin de l’ère Muti/Fontana, on peut considérer qu’ils ont réussi, même si la Scala n’a pas encore retrouvé la place qu’elle avait dans les années Abbado/Grassi.
La direction de Daniel Barenboim m’est apparue très classique, au sens où elle ne se nourrit pas (au contraire d’un Abbado quand il dirige Mozart) des apports des interprétations récentes, c’est une vision traditionnelle, romantique , symphonique, au tempo un peu lent. Il reste des moments impressionnants (la mort de Don Giovanni) et un orchestre très en forme, à ce qu’on peut entendre en télévision. Mais rien de neuf sous le soleil.
La mise en scène de Robert Carsen est globalement sans surprise: Carsen joue l’opéra des opéras dans le théâtre des théâtres, et il fait du théâtre lui-même le lieu de l’action, un théâtre en miroir, gigantesque au début, qui se regarde être théâtre, un théâtre dans le théâtre avec un dispositif en abyme qui rappelle les décors baroques, toiles peintes (ou photos), qui s’installent en tombant des cintres, ou qui glissent latéralement, on est clairement dans le principe des changements de décors baroques, avec des jeux sur les perspectives, sur les niveaux, sur la grandeur relative des personnages en smoking comme un soir de Première..tiens tiens… Quelques moments réussis, le lit du début, qui montre clairement le comportement ambigu de Donna Anna, le finale du premier acte, rouge passion dans un bal bien licencieux, l’apparition du Commendatore dans la loge impériale, vue en miroir, et toute la scène finale, très bien réglée, avec à la fois cette longue table sur laquelle se déroule une partie de l’action, mais aussi la manière dont est traitée Elvira, ou la mort même de Don Giovanni, qui répète celle du Commendatore. L’idée finale de faire disparaître les autres et de laisser Don Giovanni seul en scène est aussi intéressante. Donc quelques moments et quelques idées, mais beaucoup d’ennui aussi, les scènes se succèdent sans véritable vision neuve, avec des attitudes convenues, sans vrai travail sur les rapports des personnages entre eux, on voit ce qu’on a toujours vu: encore une mise en scène qu’il sera facile de reprendre avec n’importe quelle distribution.Du propre sans danger.
L’équipe de chanteurs, à ce que j’ai pu entendre à la TV (je pourrai sans doute être plus précis en salle), est dans l’ensemble solide. Exceptionnel le couple Peter Mattei/Bryn Terfel, on le savait à l’avance, les deux font partie de cette race de chanteurs qui font de l’or de tout ce qu’ils chantent. Elégance, style, chant parfaitement posé, technique de fer, et en plus, modulations, interprétation, jeux vocaux. Il n’y qu’à saluer la double performance. Anna Netrebko faisait ses débuts à la Scala…on peut dire qu’il est temps. Globalement c’est réussi, la voix est ronde, charnue, elle a perdu du velouté des” années d’avant le bébé”, mais la voix garde cette impressionnante qualité d’impact. Il reste que l’air du second acte “non mi dir” est apparu difficile, problèmes de respiration, manque de fluidité dans les agilités (tempo trop lent? fatigue passagère?) et qu’on n’a pas l’habitude de ce type de problème chez Netrebko. Barbara Frittoli, comme d’habitude, montre des qualités musicales éminentes, mais cette chanteuse ne m’a jamais ému, c’est lisse, c’est sans problème, mais cela reste froid; j’ai le souvenir d’Ann Murray en 1987, dans cette même salle, une Elvire humaine, vibrante, profondément triste, et puis l’ancien combattant évoque la merveilleuse Kiri Te Kanawa à Paris, qui restera  l’Elvira de ma vie avec son “Mi tradi” à donner le frisson, ou dans le même ordre d’idée, Julia Varady, autre Elvira mythique. Barbara Frittoli fait très bien son métier de chanteuse, mais question vibrations…
Le couple Anna Prohaska/Štefan Kocán en Zerline et Masetto passe bien l’écran, et la voix de Štefan Kocán fait très bonne impression tant par la qualité intrinsèque que par l’interprétation. Kwanchoul Youn est l’excellent chanteur qu’on connaît qui fait son métier de basse avec élégance, technique, présence, mais ce n’est pas un Commendatore de légende. Reste  l’Ottavio de Giuseppe Filianoti, qui est pour moi une erreur de distribution. Parmi les excellents ténors qui peuvent chanter un Ottavio correct pourquoi aller chercher celui qui manifestement ne l’a ni en bouche ni en gorge, avec des erreurs techniques lourdes (deuxième air, “il mio tesoro intanto” où il est manifestement à la limite du souffle), une voix qui bouge, des problèmes de justesse. John Osborn qu’on verra en janvier est sûrement plus en phase avec ce rôle. Dommage, car c’est un rôle habituellement plutôt bien distribué. Espérons que mercredi prochain il sera plus en forme.
Voilà des premières impressions d’une belle soirée dans l’ensemble, mais a priori pas une grande soirée dont on se souvient vingt ans après. De la bonne industrie musicale, et c’est déjà beaucoup.