OPERA DE LYON 2012-2013: LA PROCHAINE SAISON

La prochaine saison de l’Opéra de Lyon a été présentée vendredi 9 mars, avant la première de Parsifal, par Serge Dorny.
Après la très lourde saison 2011-2012, (Puccini Plus, Parsifal, Carmen, Le Rossignol et le Nez, notamment) la saison suivante marque toujours une grande ambition, avec des œuvres passionnantes et souvent rarement jouées. .
La ligne très clairement affichée par Lyon de choix de mises en scène et d’approches modernes est confirmée notamment par l’ouverture de saison, un MACBETH de Verdi dirigé par Kazushi Ono (il l’ a déjà dirigé à la Scala) et une mise en scène de Ivo van Hove qui fera de Macbeth notre contemporain. L’appel à Ivo Van Hove, l’un des metteurs en scène européens les plus radicaux sera sans doute très discuté. (Voir mon compte rendu de son Misanthrope, de Molière, qui va être représenté fin mars aux ateliers Berthier à Paris (Odéon)). Il sera chanté notamment par le baryton Evez Abdullah et  la soprano Iano Tamar. Ce Macbeth répond à la thématique générale de l’année, dédiée au pouvoir, aux tensions de la société et du monde.(Octobre 2012)
Tensions religieuses, avec le MESSIE de Haendel, dirigé par Laurence Cummings et mise en scène par la grande Deborah Warner avec notamment Andrew Kennedy et Catherine Wyn-Rogers.(Décembre 2012)
Tensions entre l’homme et l’animal avec LA PETITE RENARDE RUSEE, de Janaček dans la mise en scène de André Engel et Nicky Rieti, qu’on a aussi vu à l’Opéra Bastille, qui est un spectacle produit par l’Opéra de Lyon, dirigé par l’excellent Tomáš Hanus, avec Jeannette Fischer (Janvier Février 2013).
Un des moments importants de la saison sera la présentation de L’EMPEREUR D’ATLANTIS de Ullman au théâtre de la Croix Rousse, dirigé par Jean-Michaël Lavoie et mise en scène par Richard Brunel. Cette œuvre composée au camp de Theresienstadt et jamais jouée jusqu’en 1975 est une des grandes oubliées du XXème siècle, dans une musique qui prolonge bien les opéras présentés dans le festival Puccini PLUS cette année avec ses échos de Weill, Hindemith ou le jazz. (Février 2013)

CAPRICCIO, de Richard Strauss, dans une belle distribution (Emily Magee) et dirigée par Bernard Kontarsky sera présentée en mai 2013 dans une mise en scène de David Marton. Voilà une oeuvre très peu présentée en France, qui est centrée sur les tensions entre parole et musique dans l’opéra. Cette œuvre écrite pendant la deuxième guerre mondiale, souligne les grands principes de la culture allemande, en contrepoint de la barbarie nazie.

LA FLÛTE ENCHANTÉE de Mozart conclura la saison avec la participation des jeunes du studio de l’opéra de Lyon. Elle sera dirigée par Stefano Montanari, connu du public lyonnais puisqu’il a dirigé le Festival Mozart, et mise en scène par Pierrick Sorin (juin et juillet 2013).

La saison prochaine, en mars et avril 2013, le FESTIVAL portera sur les tensions entre justice et injustice, quatre œuvres sont affichées, avec tout d’abord
Une création , à partir de Claude Gueux de Victor Hugo, CLAUDE, de Thierry ESCAICH, dirigée par Jérémie RHORER, sur un livret de Robert BADINTER et dans une mise en scène d’Olivier PY
– FIDELIO
, de Beethoven, avec Nikolai Schukoff dans Florestan (Leonore n’est pas encore connue) dans une mise en scène du vidéaste Gary Hill (l’un des grands de l’art vidéo avec Bill Viola) et dirigé par Kazushi Ono.
Et en une soirée, dirigée également par Kazushi Ono et mise en scène d’Alex OLLÉ (La Fura dels Baus)
IL PRIGIONIERO de Luigi Dallapiccola, avec Magdalena Maria Hofmann et martin Winkler (qu’on a vus dans le Festival Puccini PLUS cette année)
ERWARTUNG de Schönberg, avec Magdalena Maria Hofmann

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OPERA DE LYON 2011-2012: PARSIFAL de Richard WAGNER (dir.mus: Kazushi ONO, ms en scène: François GIRARD) le 9 mars 2012

Acte II ©Opéra de Lyon

Pour une structure comme Lyon avec ses espaces assez réduits, monter Parsifal est une lourde entreprise et des problèmes techniques ont dû contraindre à annuler la Première , le 6 mars. On doit d’autant plus  remercier Serge Dorny d’avoir osé l’entreprise, lui qui propose, en coproduction avec le MET et la Canadian Opera Company de Toronto, un spectacle de très haut niveau musicalement et scéniquement.
On a vu bien des rêves interprétatifs sur Parsifal:  Rolf Liebermann à Genève en avait fait l’œuvre du “Day after”, après une explosion atomique, un Tchernobyl universel, Schlingensief à Bayreuth en avait fait une sorte de “Urwerk”(oeuvre originelle), plongeant dans nos rites les plus primitifs, mais posant aussi la question de l’art et de sa fin (aux deux sens du terme), Herheim toujours à Bayreuth en fait une métaphore du parcours historique de l’Allemagne depuis le XIXème siècle et un symbole universel de paix (on se souvient que les nazis accusaient l’œuvre de pacifisme et l’avaient interdite ). Et puis il y a toutes les visions messianiques, faisant de l’œuvre une sorte de substitut de”mystère”, l’expression Festival scénique sacré étant alors prise au pied de la lettre.
François Girard se range plutôt dans ce dernier cas, en orientant  la question vers l’idée de la connaissance mystique par la connaissance charnelle, et celle de fécondation, au centre du propos.
Cet artiste québecois  compte à son actif aussi des travaux cinématographiques (c’est son premier métier), mais aussi des mises en scène de spectacles divers, il a notamment mis en scène l’un des derniers spectacles du Cirque du Soleil à New York, mais on lui doit aussi en 2007 le film”Soie”, d’après un roman d’Alessandro Baricco. C’est un artiste éclectique, soucieux des effets visuels de ses spectacles qui utilisent bien sûr les éclairages ou la vidéo, ce qui correspond bien à la tendance actuelle des derniers spectacles du MET. Son Parsifal est plutôt hiératique, avec des actes I et III en noir et blanc, et un acte II marqué par le rouge. Il est difficile au départ de repérer une ligne de mise en scène: la clef (c’est du moins ce que j’en ai senti) arrive au second acte, pour moi le plus réussi des trois. Pour essayer de comprendre le propos, je vais donc partir du second acte, qui se passe dans un étroit défilé très haut, avec un arrière plan une fente vers le jour, qui va bientôt être couverte d’une projection vidéo d’une sorte de fleur rouge, aux formes qui se tordent et qui font irrésistiblement penser au conduit vaginal, et en même temps à une plaie, la plaie qui ne se cicatrise pas d’Amfortas. Les personnages évoluent sur un plateau recouvert d’une immense mare de sang, les filles fleurs tiennent toutes une lance, capturée sans doute à l’occasion des pièges tendus aux chevaliers du Graal par Klingsor.
La scène entre Kundry et Parsifal va se dérouler dans ce même espace, et une sorte de procession apporte le lit fatal, comme un dais, qu’on dépose au centre et qui lui aussi va se maculer de sang. Parsifal fait donc une sorte de voyage initiatique à l’intérieur de la femme, du sang menstruel, de la connaissance de ce monde qui lui est interdit, et qui du même coup éclaire les deux autres actes. On comprend alors pourquoi au premier acte il nous est projeté des images identifiables au départ comme des dunes désertiques, mais dans un second moment comme une peau féminine, vue de très près, un corps aux ondulations régulières qu’on reverra au troisième acte: c’est un monde, qu’on voit de l’extérieur  sans le pénétrer. On comprend aussi du même coup pourquoi la dernière image du spectacle est celle d’une femme qui se dresse dans le chœur agenouillé et s’approche de Parsifal, qui se détourne du Graal pour la regarder: cette femme, c’est la colombe finale dont parle le livret. Ainsi, de la femme interdite au nom de la chasteté qui finit par dessécher le monde et le rendre stérile (voir le Graal au début du troisième acte, rempli de fosses où l’on enterre les corps, un royaume qui meurt, mais voir aussi l’acte II, où le sang menstruel est un sang qu’on rejette, qui marque une fin de cycle) Parsifal libère le Graal de cette chasteté extérieure et stérile, en associant la femme à une “pureté” accueillie en Dieu, gage de la pérennité d’un royaume du Graal (d’où évidemment la future conception rendue possible d’un futur Lohengrin, fils de Parsifal…): Parsifal serait celui qui inclut la femme et la dédiabolise, rendant ainsi la mort de Kundry, victime expiatoire, logique, elle qui a été la figure permanente de la femme diabolique.
Car se pose clairement la signification de l’adoration du sang du Christ conservé dans le Graal, et François Girard montre au 3ème acte un rituel de fertilité, la lance étant trempée dans la coupe du Graal. Voilà une symbolique qui a le mérite de la clarté, mais qui éclaire au moins pour Girard le rite du Graal qui est un rite de régénérescence,  et Girard tire le fil jusqu’au bout faisant du monde de Klingsor un monde de stérilité; voilà qui éclaire aussi les relations du sang à la terre, et le ruisseau de sang du premier et du troisième acte qui partage le sol aride, et qui illustre le propos de l’affiche du spectacle par ailleurs.

L'image de l'affiche du spectacle ©Opéra de Lyon

Dans ce ruisseau, Kundry comme Parsifal vont puiser. Sang et terre, cela rappelle les rites des sacrifices où le sang devait pénétrer à même la terre pour la féconder. Parsifal comme mythe de la fécondation, voilà l’idée apportée par François Girard.
La réalisation du spectacle en efface tout ce qu’on pourrait tirer de choquant. Même l’érotisme fort du second acte n’est en rien traité de manière provocatrice. Et l’intérêt du travail de François Girard est qu’il peut aussi se laisser voir (les images sont souvent puissantes, et superbes) sans rentrer dans les arcanes de la signification ou de la sursignification.
De cette ligne directrice alors s’expliquent le premier acte, très ritualisé, où sont nettement séparés les femmes (voilées de noir comme des veuves) présentes sur scène et regroupées à gauche, mais en quelque sorte inutiles, et les hommes, groupés à droite (séparés des femmes par le ruisseau de sang) et assis en un cercle compact d’où émergent les personnages (Amfortas), ainsi aussi en montrant  Klingsor mimer  les gestes d’Amfortas du 1er acte, il lie les deux personnages de manière plus profonde. Klingsor étant le soleil noir d’Amfortas. Ainsi enfin, le personnage même de Klingsor est “humanisé”, Alejandro Marco-Buhrmeister par son timbre et sa diction l’éloigne d’une figure caricaturale de “méchant” de bande dessinée, comme on le voit trop souvent. Quand à Parsifal, son humanité est soulignée, au point même d’en faire discrètement un objet de désir “visible” (il est souvent torse nu). Au troisième acte il troque son costume contre une chemise blanche, comme les autres hommes du Graal, universalisant ainsi sa démarche et son rôle non de Roi mais de “primus inter pares”.
Au troisième acte, domine, comme souvent l’image de la mort et de la désolation, la même terre du premier acte est percée de trous, de tombes préparées qui montrent que peu à peu le monde du Graal expire, les chaises sur lesquelles les hommes étaient assis au premier acte sont abandonnées, gisant en tas et dispersées. Femmes et hommes sont mêlés, il ne reste rien du rite et de son organisation géométrique du premier acte: en cela d’ailleurs, Girard est conforme à la tradition.
On le voit, les détracteurs pourront parler de psychanalyse de pacotille, d’autres pourront reprocher l’excès de sang, et son côté morbide, d’autres enfin pourront même dire qu’en réalité, rien de neuf sous le soleil. Mais il reste que cette approche forme un tout cohérent, très construit, logique et très bien réalisé.
Car il faut aussi saluer la qualité technique du spectacle, qui a mis à rude épreuve les équipes de l’opéra de Lyon: si l’on a bien compris, Lyon a essuyé les plâtres à cause de l’indisponibilité du plateau du MET pour de longues répétitions. La beauté de certaines scènes, la précision des mouvements: tout cela en fait un très beau spectacle.
Du côté musical, la démarche de Kazushi Ono, dans une salle à l’acoustique aussi sèche que la salle de Jean Nouvel est une démarche analytique, d’une grande clarté, révélant chaque pupitre, sans exagérer l’aspect symphonique, mais adaptant sa direction au cadre relativement intimiste de la salle, il en résulte une lecture très serrée, et l’orchestre lui répond avec une grande maîtrise: on sent les répétitions derrières, et on se dit que l’Opéra de Lyon a de la chance d’avoir un vrai directeur musical.
Serge Dorny a aussi réuni pour ce rendez-vous exceptionnel une très belle distribution. Le groupe des filles fleurs fait honneur à l’opéra de Lyon, malgré la difficulté à chanter dans cette mare immense qui inonde le premier acte. On sait qu’il est difficile en effet de réunir des voix homogènes qui puissent ensemble, avoir la rondeur et la suavité, voir l’érotisme requis pour ces rôles. Il faut une parfaite intégration des timbres et je dirais qu’on y est presque arrivé, malgré quelques singularités vocales trop “audibles”.
Le Klingsor d’Alejandro Marco-Burmeister n’a pas le timbre ni la diction démoniaque des Klingsor habituels, ce n’est ni un Kelemen, ni un Mazura. Mais il a en scène une sorte de flegme, de distance, qui en fait un personnage d’autant plus dangereux qu’il a dans la voix une sorte de douceur qui le rapproche de l’Amfortas de Gerd Grochowski , qui lui est magnifique d’humanité, et d’intensité. Son timbre chaud, sa diction remarquable en font l’un des meilleurs Amfortas de ces dernières années, d’une très forte intensité et même d’une certaine poésie. Georg Zeppenfeld n’a pas le timbre de basse profonde des Gurnemanz habituels mais on sait désormais qu’il compte parmi les grandes basses wagnériennes de ce temps, rappelons pour mémoire son Henri l’Oiseleur du dernier Lohengrin de Bayreuth. Il est moins âgé, moins distancié, plus engagé, et le récit du premier acte est particulièrement vivant, par les inflexions, par l’interprétation, par les variations de couleur de la voix. Magnifique.

Kundry, Acte II ©Opéra de Lyon

La Kundry d’Elena Zhidkova sans être une Kundry exceptionnelle a une intensité et un engagement forts; la voix est là, sans cette touche de sauvagerie animale qui fait les grandes Kundry et qui fait que Waltraud Meier a marqué le rôle à tout jamais. Cela reste très honorable et son deuxième acte (qui est tout le rôle) reste passionnant.

Final Acte II ©Opéra de Lyon

Le rôle de Parsifal n’est pas l’un des plus passionnants du répertoire, du “jeune fou” blond comme les blés de Peter Hoffmann à un Jon Vickers au-delà du monde et des hommes, et à la diction suffocante d’émotion contenue qui en fait pour moi le plus grand Parsifal que j’ai pu entendre, on a tout vu et entendu. Ce n’est pas non plus l’un des plus difficiles à chanter: c’est justement ce qui en fait une sorte de défi: il faut rendre le personnage “intéressant”. Nicolai Schukoff y réussit, grâce à un bel engagement, à une voix bien posée, puissante ( même si on dénote quelque menu problème dans les passages à l’aigu) et surtout grâce un timbre qui lui donne une couleur à la fois dramatique et lyrique : on connaît la qualité de cet artiste, de plus en plus réclamé pour les rôles de ténor dramatique, mais il a lui aussi une chaleur et une douceur de timbre particulières. Ce qui frappe d’ailleurs dans l’ensemble de cette distribution masculine est qu’on y a trouvé des chanteurs adaptés à cette salle, qui n’ont pas besoin de s’égosiller, où la richesse et la suavité, voire la sensualité des timbres peut s’épanouir et donne une qualité d’ensemble très homogène.
Au total la conclusion s’impose: allez voir ce spectacle qui se donne tout le mois de mars jusqu’au 25, c’est un très beau moment de musique, c’est un très beau moment visuel, qui honore une fois de plus notre deuxième scène nationale, mais première par l’intérêt de sa programmation.

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Salut final

BAYREUTH 2013, LE RING : INTERVIEW DE FRANK CASTORF DANS “WELT ON LINE” le 17 février 2012.

Frank Castorf - Photo Amin Akhtar

TRADUCTION de l’interview:

Je ne résiste pas: l’interview de Frank Castorf dont j’ai parlé dans mon avis sur Bayreuth 2013 nous en dit un peu sur le futur “Ring”, j’ai essayé de la traduire au mieux, pour que nous puissions nous préparer, et peut-être mieux connaître le metteur en scène qui a enflammé (et écœuré) une partie du public de l’Odéon en janvier dans « La Dame aux Camélias » et qui va sans doute faire couler beaucoup d’encre et de salive avant, pendant et après le Ring du bicentenaire au Festival de Bayreuth. C’est une belle interview, qui j’espère va vous intéresser et vous indiquer comment le “Ring” sera lu, entre globalisation, est-ouest, histoire de l’Allemagne et du Monde.

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Auteurs: Volker Blech, Stefan Kirschner | lien vers l’article en langue originale: WELT ON LINE : 17/02/2012

“Bayreuth est pour moi une transgression”

Frank Castorf met en scène le « Ring » du  Jubilé comme une parabole sur le bruit du pétrole et la mondialisation.
Une discussion sur les plateaux tournants et les clauses du contrat en petits caractères.

Le metteur en scène Frank Castorf, intendant de la Volksbühne de Berlin a été récemment à Belgrade, où il a rencontré Aleksandar Denic. Le Serbe réalise les décors pour du Ring de Castorf à Bayreuth en 2013, Le Festival fête le 200ème Anniversaire de la naissance et le 130ème anniversaire de la mort du compositeur Richard Wagner.
Ce vendredi, cependant, c’est une première à Berlin: il a mis en scène la nouvelle de Kleist “La Marquise d’O …”.
  Mais Castorf est déjà bien occupé par le “Ring”.

Welt on Line: Monsieur Castorf, vos spectacles sont rarement courts, combien de temps va durer la soirée?

Frank Castorf: Je l’ai dans mon contrat: On ne peut pas descendre en dessous de 17 heures.

Welt on Line: Mais…pour la Marquise d’O de Kleist?

Frank Castorf: Non évidemment, je parle du Ring de Bayreuth! Il a d’abord été question de réflexions, de modification dans le livret ou la partition, mais le chef Kirill Petrenko veut diriger l’original, ainsi que les soeurs Wagner. Alors j’ai dit “Ok!”, c’est bien que personne ne me demande de pratiquer des coupures. Et le Kleist à la Volksbühne dure trois heures!

Welt on Line: Vous mettez en scène le texte de Kleist pour la première fois?

Frank Castorf: Oui, j’ai découvert Kleist par hasard, sur mon parcours  dans le XIXème et  la fin du XVIIIème. Kleist a pour moi une modernité extraordinaire.

Welt on Line: Les drames de Kleist ne vous irritent pas?

Frank Castorf: En préparant la mise en scène de la “Marquise d’O”, j’ai découvert des anecdotes sur Kleist qui sont un trésor unique. Cet art de pointer des choses est grandiose: de courtes notes de journal sur la Charité (*NdT:  l’hôpital “historique” de Berlin) et en quatre lignes il en vient au fait. Kleist est un humoriste qui découvre toujours la purulence qui va faire percer le bubon. Un homme qui cherche toujours l’opposition.

Welt on Line: Et cet humour aigu et provocateur, la société berlinoise l’a perdu?

Frank Castorf: On doit l’avoir soi-même!  Nous vivons dans un grand consensus (NdT: nous dirions sans doute en France, “la pensée unique”) et vivons très bien avec. Qui dit aujourd’hui, vraiment ce qu’il pense?

 

Frank Castorf: Ils le peuvent, oui, parce qu’on ne peut les congédier. Ce sont les seuls qui soient libres parce qu’ils sont indépendants des indices d’écoute.

Welt on Line: Mais vous en êtes le meilleur contre-exemple, vous qui êtes au mieux avec le Maire de Berlin Klaus Wowereit, et son secrétaire d’Etat André Schmitz.

Frank Castorf: Mais je suis un dinosaure…et vous connaissez bien leur destin.

Welt on Line: Monsieur Schmitz est aussi enthousiaste à l’idée que vous allez mettre en scène le “Ring” de l’année du Jubilé à Bayreuth. D’autres considèrent votre style de travail comme de la pure provocation. Pourquoi prendre le risque de Bayreuth?

Frank Castorf: Bayreuth pour moi est une transgression. Le conservatisme y est beaucoup plus prononcé. Vous pensez, de l’opéra! et à Bayreuth! et le “Ring”, cette “œuvre d’art totale”! Si l’offre était venue de Vienne ou d’ailleurs, je ne l’aurais pas acceptée. Ou alors seulement si j’avais pu toucher à la partition ou au livret. Mais à Bayreuth, c’était impossible pour des raisons évidentes.

Welt on Line: On à peine à croire que vous ayez accepté les règles…

Frank Castorf: J’ai beaucoup hésité. Mais maintenant c’est dans le contrat, hélas! C’est un risque parce que je n’ai plus la possibilité de combiner le matériel de Wagner avec quelque chose d’autre. mais j’ai obtenu des choses dans les négociations. Il y aura une scène tournante, je pourrai travailler avec le film. Les gens d’opéra sont toujours un peu sceptiques. Les amateurs d’opéra conservateurs aussi. Il y a à Bayreuth un public qui n’est pas seulement sur le tapis rouge pour des raisons artistiques. Comme la chancelière, ou Thomas Gottschalk, le Grand-chancelier de “l’entertainment”. Je trouve ça bien ainsi! Ici à Berlin on est toujours entre soi, et ça finit par être ennuyeux!

Welt on Line: Le “Ring” célèbre en 17h la chute d’une race de Dieux. Quelle histoire racontez-vous?

Frank Castorf: Pour moi c’est un voyage vers l’Or de notre temps, vers le Pétrole. Et Siegfried est l’histoire de quelqu’un qui s’est mis en tête d’ apprendre la peur. On peut simplement raconter cela comme dans les contes de fées.  Cela rappelle aussi le grand classique d’Orson Welles, Citizen Kane. Dans Apocalypse Now, les Hélicoptères volent au  son de la “Chevauchée des Walkyries”. Cette manière d’interpréter a hanté nos têtes. Foin de l’illustration. Entrons au cœur de l’opposition logique!

Welt on Line: Votre “Ring” se déroule dans le présent?

Frank Castorf: Avec l’ère du pétrole commence l’industrialisation du monde. En 1890 il y a eu un boom en Azerbaïdjan. Les vieilles tours de forage de Bakou ressemblaient à des cathédrales de bois.Il y a deux extrêmes, aux antipodes, la Russie et le Texas, où le boom pétrolier a suivi dans les années 50. Mais dans la mise en scène on va s’éloigner du concept historiciste. Amérique et Russie  sont pour moi le XXème siècle. Au milieu, il y a quelque chose, et c’est nous. Mon décorateur Aleksandar Denic a construit quelque chose de magnifique: L’Alexanderplatz de Berlin comme socialisme postmoderne. Sur un plateau tournant seront réunis Est et Ouest, c’est notre voyage. Il commence n’importe quand après la deuxième guerre mondiale.

Welt on Line: Vous avez une attention politique plus aiguë à une Première à Bayreuth qu’à la Volskbühne. Comment voulez-vous en user?

Frank Castorf: Ça, on va voir. J’aime le plaisir des détours et je ne sais pas vraiment aujourd’hui où va me conduire la musique. Il y a l’Alexanderplatz, mais quand la scène tourne, on se retrouve à Wall Street. Je veux cette ambivalence sans conclusions univoques. Les conclusions univoques sont rarement exactes. Mais c’est vrai:  tous les systèmes que nous avions  se sont donnés comme Walhalla, et dans le même temps se sont dissoutes toutes les valeurs morales.
Welt on Line: Alors vous faites un “Ring” sur la globalisation?

Frank Castorf: Je ne peux dire si la globalisation est bonne ou mauvaise. Mais je remarque qu’avec l’effondrement du système de valeurs (NdT: le socialisme est-allemand) auquel je me suis frotté auparavant, beaucoup de choses ont empiré. Le mur Est/Ouest a aussi empêché beaucoup de choses, les grandes guerres. L’arrivée de l’Islamisme militant n’aurait pas été pensable. Mais on ne peut penser l’histoire comme souhait. Elle se passe et c’est tout.

Welt on Line: Kleist  comme Wagner, est-ce votre retour sur le fait allemand?

Frank Castorf: Je suis bien sûr aussi un vieux maître-éducateur teutonique. Je trouve que nous avons derrière nous une longue tradition qui explique pourquoi nous sommes devenus ainsi. C’est parfois terrible, c’est parfois aussi – comme dans le cas Wagner-quelque chose de tout à fait particulier. Ce qui m’intéresse, c’est le matériel qui nous est resté du XIXème, Grabbe, Hölderlin, Lenz. Chez Kleist, ce qui me fait plaisir, c’est de provoquer le rire par les contestations. Mon style n’est peut-être pas à la mode, mais cela va changer. En ce moment, à Berlin, je suis tombé dans une faille de la machine du temps.

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FESTIVAL DE BAYREUTH 2012: TANNHÄUSER SERA DIRIGÉ PAR CHRISTIAN THIELEMANN

Christian Thielemann arrive...

Le Festival de Bayreuth a annoncé le 3 mars que Thomas Hengelbrock ne dirigera pas “Tannhäuser” lors du festival 2012 et qu’il est remplacé au pupitre par Christian Thielemann.
Il est dommage que Thomas Hengelbrock n’ait pas continué à diriger ce Tannhäuser car sa manière d’aborder la partition était originale, et cohérente, même si critiquée. Cependant il faut bien reconnaître que le souvenir de Christian Thielemann au pupitre du dernier Tannhäuser de Bayreuth (Mise en scène Philippe Arlaud) est si fort (c’est pour moi l’un des plus beaux Tannhäuser jamais entendus) me fait accueillir ce changement avec joie.
Une autre remarque: avant que la solution “Eva-Katharina” à la tête du Festival ne soit décidée, le projet de Katharina Wagner impliquait fortement la présence de Christian Thielemann à Bayreuth et l’arrivée d’Eva (liée à d’autres clans artistiques) avait laissé penser à un éloignement. Le rôle de ce chef lors des commémorations du bicentenaire 2013, et sa présence renforcée en 2012 laisse penser que son influence artistique n’a pas baissé sur la colline verte ou du moins qu’il est revenu en cour. Il est vrai que sa présence à Dresde, ville importante pour Wagner et les succès qu’il a remportés à Salzbourg (La Femme sans Ombre), à Vienne (Le Ring l’automne dernier) et sa prochaine arrivée (à Pâques 2013: Parsifal) au Festival de Pâques de Salzbourg avec la Staatskapelle de Dresde (puisque les Berliner Philharmoniker s’en vont à Baden-Baden, cruelle erreur à mon avis!) en font actuellement un incontournable: depuis les départs de Daniel Barenboim et de James Levine de Bayreuth, aucun chef n’a vraiment “incarné” le Festival depuis une dizaine d’années, sinon justement Thielemann, mais pour un Ring très discutable.
Les mouvements du monde musical sont dignes des stratégies politiques: la pointe émergée d’un iceberg qui cache bien d’autres enjeux. Christian Thielemann, très apprécié en Autriche, n’a pas réussi à s’implanter à  Berlin, sa ville, et n’a pas réussi à s’implanter non plus à Munich, la seconde capitale musicale d’Allemagne; il a besoin de points d’ancrage allemands qui en fassent un incontournable dans le paysage musical allemand. En imposant la Staatskapelle de Dresde à Salzbourg, en s’imposant à Bayreuth et dans les festivités du bicentenaire, il redevient un pôle fort du paysage germanique. D’autant que Munich est actuellement en période de transition et que la situation à Berlin est verrouillée par Sir Simon Rattle au Philharmonique et Daniel Barenboim à la Staatsoper.

N’importe, le Festival de Bayreuth n’y perd pas à ce remplacement, qui va réveiller la curiosité pour ce Tannhäuser bien mal accueilli en 2011, et relancer la chasse au billet!!

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Et Thomas Hengelbrock s'en va

LA “PAGE DU WANDERER” sur FACEBOOK

J’ai sauté le pas et je vais vérifier si c’est utile pour prolonger les discussions et les éventuels commentaires: ce blog a désormais une page Facebook, “La page du Wanderer” (http://facebook.com/BlogduWanderer). Si cela vous dit, je vous y donne rendez-vous. je ne suis pas un intime de Facebook, mais qui sait, cela m’aidera peut-être à rompre la glace!  Autre info: Le compte twitter du blog est simplement BlogWanderer. A bientôt.

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BAYREUTH 2013: LE VOILE EST LEVÉ: LA DISTRIBUTION DU RING EST COMPLÈTE

L’organisation du Festival de Bayreuth 2013, à l’occasion du bicentenaire de la naissance de Richard Wagner. est désormais connue.

Les cérémonies anniversaires le 22 mai 2013 seront marquées par un concert de l’orchestre du Festival de Bayreuth au Festspielhaus, dirigé par Christian Thielemann (extraits de Walküre -Acte I- de Götterdämmerung, de Meistersinger et même de Rienzi, dont les notes sonneront pour la première fois sous le toit du Festspielhaus.) concert suivi d’une fête dans la ville.
Note: Ce programme originel a été modifié: Walküre -Acte I-, Tristan und Isolde, prélude et Mort d’Isolde, Götterdämmerung, marche funèbre, Meistersinger ouverture. Exit Rienzi, la seule originalité. Dommage.

L’un des enjeux étant les représentations des œuvres de jeunesse de Richard Wagner dans une saison qui devrait en afficher l’intégrale, ces œuvres seront présentées en coproduction avec l’Oper Leipzig (lieu de naissance de Wagner) qui les affichera en 2012-2013 (Die Feen) ou en 2013-2014 (Das Liebesverbot)
Si l’on ne touche pas au Festival et si les œuvres de jeunesse n’y seront pas jouées, et surtout pas dans la salle du Festspielhaus, elles seront donc présentées pendant la première quinzaine de juillet (du 7 au 14 juillet)  dans la “Oberfrankenhalle” à Bayreuth, en version concertante (Die Feen, le 9 juillet 2013, direction musicale: Ulf Schirmer) ou en version scénique:
– Das Liebesverbot les 8, 11, 14 juillet 2013, direction musicale: Constantin Trinks mise en scène: Aron Stiehl
– Rienzi les 7, 10 et 13 juillet, direction musicale: Christian Thielemann mise en scène: Mathias von Stegmann

Attention, réservation en ligne à partir du 27 juillet 2012, 18h00, premier arrivé, premier servi.
Diverses manifestations, concours (y compris un concours de rap à partir de textes de Richard Wagner) , colloques, films, émaillent la saison du Festival. Le Festival affichera une nouvelle production du Ring des Nibelungen dans une mise en scène de Frank Castorf, et une direction musicale de Kirill Petrenko,et voici quelques éléments de distribution: Brünnhilde devait être Angela Denoke, elle a renoncé et l’administration du Festival a trouvé une remplaçante, ce sera pour tout le cycle Catherine Foster.  Wolfgang Koch sera Wotan et le Wanderer, Lance Ryan et Johan Botha seront Siegfried et Siegmund (ils ont déjà tenu ces rôles lors de la dernière année du Ring précédent), Anja Kampe Sieglinde et Martin Winkler Alberich. Notons aussi l’excellent Iain Paterson comme Gunther et Attila Yun comme Hagen et Franz-Josef Selig comme Hunding.

Frank Castorf dans une interview au journal Die Welt en dit quelques mots: pour Castorf, l’or d’aujourd’hui est l’Or noir, dont chacun cherche à s’approprier, et son Ring “mondialisé”  ira de Berlin Alexanderplatz à Wall Street.
Vous en saurez plus en lisant l’intégrale de l’interview (en allemand) sur le lien Interview Castorf dans Die Welt
Août 2012: sur le Site du festival de Bayreuth, les distributions complètes et les dates du Festival 2013 sont en ligne.

Site des festivités Richard Wagner: Année Wagner 2013 Leipzig/Bayreuth

Site du Jubilé Wagner de la ville de Leipzig: Jubilé Wagner-Leipzig