TEATRO ALLA SCALA 2012-2013: GÖTTERDÄMMERUNG de Richard WAGNER le 26 MAI 2013 (Dir.mus: Karl-Heinz STEFFENS, Ms en scène Guy CASSIERS)

Acte II ©Monika Rittershaus

Dimanche après-midi, Scala de Milan: Götterdämmerung avec une distribution de grande classe, mais dirigé par un inconnu. Public boudeur, des dizaines de loges et des dizaines de places en “platea” [orchestre] non occupées. Sur le public présent, certains fatigués par les 2h de premier acte sortent en plein milieu, puis reviennent, d’autres pianotent sur le mobile, ou bavardent.
A 19h30, fin du second entracte, des rangs entiers se sont vidés…le dîner n’attend pas. Voilà l’incroyable public des places chic de la Scala, réservées à un public fortuné et souvent mufle. Entre les quelques hueurs à tous crins du Loggione (poulailler) et les mufles de la “platea”, la Scala n’est pas gâtée par une partie de son public. Mais qu’a-t-on fait pour l’éduquer, depuis des années et des années, sinon privilégier la Scala “contenant” plutôt que la Scala “contenu”: on va finir par reconstruire des cuisines à côté des loges et des tables de jeu dans les salons, et rétablir le système des “palchettisti” (propriétaires de loges) et la boucle sera bouclée:  les efforts de certains dans l’histoire de ce théâtre (Toscanini, Grassi, Abbado) pour casser les détestables habitudes auront été vains. Et ce n’est pas la qualité des spectacles qui est en cause, au contraire, le niveau d’ensemble  des productions s’est plutôt élevé depuis Lissner, c’est que le public qui paie est resté très conservateur/consommateur, et que le théâtre n’a pas un service des publics vraiment performant. On considère que puisque le public vient de toute manière, il n’est pas nécessaire de l’encadrer ou de l’orienter tant soit peu. D’où par exemple les réactions dès qu’une mise en scène dérange ou excède les “canons du bon goût”.
La production de Guy Cassiers a été, c’est le moins qu’on puisse dire, fraîchement accueillie à Berlin en mars dernier, aussi bien par la presse anglo-saxonne que par la presse allemande (je parle des quotidiens), la presse française ne daignant pas comme de juste, s’intéresser à la chose. On reproche à Cassiers son côté abscons, son désintérêt pour le travail sur l’acteur, sa manière détachée de raconter l’histoire qui fait dire qu’il ne se passe rien dans tout le Ring, les uns aiment les chorégraphies de Sidi Larbi Cherkaoui, les autres ne les supportent pas, les uns aiment les costumes, les autres les trouvent horribles, sans goût, inadaptés. Bref, pour des raisons différentes, peu sont entrés dans la logique de ce travail, tout en reconnaissant pour la plupart la qualité des éclairages (d’Enrico Bagnoli, qui signe aussi les décors) et des vidéos (d’Arjen Klerkx et Kurt D’Haeseleer).
Les lecteurs curieux de théâtre et de tendances théâtrales d’aujourd’hui auraient avantage à visiter le site du Toneelhuis d’Anvers, pour comprendre les principes du travail de Guy Cassiers, il y a d’ailleurs une présentation du travail sur le Ring, auquel toute l’équipe d’Anvers est étroitement associée. La scène flamande et néerlandaise est l’une des plus fortes, des plus originales aujourd’hui en Europe (Ivo van Hove, Luk Perceval, Guy Cassiers etc…) et se pose en alternative du Regietheater à l’allemande: si l’on veut voir du théâtre qui puise dans la modernité, du théâtre actuel, neuf, c’est en Flandres qu’il faut aller le chercher, et je ne saurais trop conseiller d’aller soit au Toneelhuis d’Anvers (Guy Cassiers) soit au Toneelgroep d’Amsterdam pour comprendre les orientations de cette esthétique. Ces prémisses sont nécessaires pour replacer le travail de Cassiers à sa juste place.
J’ai moi-même été surpris par l’approche de Cassiers, par son Rheingold fascinant et surprenant, avec cette chorégraphie obsessive qui est sensée traduire les méandres psychologiques des personnages, d’une certaine manière, l’invisible, puis son abandon dans une Walküre qui m’est apparue plus conforme, plus habituelle, en retrait par rapport à Rheingold, et un Siegfried plutôt réussi, théâtralement et visuellement, avec son travail sur les regards, sur les points de vue, dans une vision “métallisée” du monde (le métal de la forge, le métal de Nothung, le métal des arbres du second acte.
Götterdämmerung pose un regard qui rappelle celui de Rheingold, qui va boucler la boucle, c’est le point final de la construction d’un univers qui est d’abord esthétique, qui pose l’art d’aujourd’hui comme outil pour indiquer la déliquescence du monde qui nous entoure. Il est très clair que sans références artistiques et esthétiques, sans percevoir l’idée que cette lecture part d’abord d’une vision esthétique du monde, et part de l’œuvre d’art dans ce qu’elle peut avoir de plus incisif, avoir subversif, on passe à côté en pensant avoir affaire à un travail d’une vacuité totale. Une autre question est de savoir si le spectateur est forcé de connaître Jef Lambeaux ou Damien Hirst pour comprendre les enjeux scéniques. Je ne le pense pas, je pense au contraire que le travail théâtral a quelque chose de fascinant même  sans entrer dans un système référentiel.
La démarche de Cassiers est de trouver la substance par la forme, et par la diversité des formes esthétiques, théâtre, opéra (et dans ses images les plus traditionnelles, on le verra), danse, vidéo, cinéma, sculpture s’associent pour produire une sorte de forme syncrétique qui va faire du Ring un tableau esthétique du monde, une longue performance de seize heures, presque rituelle, qui va essayer de dire le Ring en le donnant à voir, comme on le verrait dans une salle de musée d’Art contemporain.
Ainsi de ce Crépuscule, qui va d’abord dire la violence, avec dans les vidéos ces corps tordus, dont on distingue les formes avec peine, distendus, torturés, ces visages effrayés ces bouches béantes, qui apparaissent de temps à autre dans les vidéos, avec le feu, la mort

Présence du sang ©Monika Rittershaus

et le sang omniprésents, le sang sur la manche du costume de Gunther, le feu comme motif pratiquement continu des vidéos en arrière plan, la mort comme un leitmotiv ordinaire de l’activité humaine des Gibichungen, dont le palais est simplement figuré par un podium qui se transforme en escalier lumineux, et dans les marches-vitrines, comme dans du formol, des corps disloqués comme autant de trophées, copie directe du travail du sculpteur anglais Damien Hirst.

Scène de l’acte I de Götterdämmerung, les corps dans leurs vitrines       ©Monika Rittershaus
Isolated Elements Swimming in the Same Direction for the Purpose of Understanding (Right), 1991, Damien Hirst

 

 

 

 

 

Oeuvre de Damien Hirst
Out of Sight. Out of Mind., 1991 Damien Hirst

L’utilisation de la chorégraphie ( pour montrer les effets du Tarnhelm ou pour figurer Grane dans l’acte I) est assez efficace et se double aussi d’allusions cinématographiques, Siegfried dans la scène finale de l’acte I est un personnage à mi chemin entre Dark Vador et le Moine noir, elle accentue l’effet “cérémoniel”, ritualisé du rythme des mouvements. Guy Cassiers a voulu que le rythme, sans doute en accord avec le chef d’orchestre, soit assez lent, aussi bien dans les mouvements des masses que ceux des protagonistes: la scène de Waltraute est à ce titre emblématique, les deux personnages prenant comme des poses avec des mouvements ralentis (notamment quand l’une se réfugie dans les bras de l’autre). La nature des costumes (de Tim Van Steenbergen) que certains trouvent hideux, mais qui sont à mon avis efficaces dans le traitement des tableaux et des ensembles, accentue et la symbolique: un anneau qui est une sorte de gant brillant, assez visible et volumineux, des costumes des Gibichungen dont le haut rappelle les culottes de peau bavaroises et une certaine image des phénomènes de groupe violents, des costumes de Gunther et Gutrune tirants sur le rouge ou le bordeaux (alors que les autres sont gris), avec des hauts de forme, isolant du même coup le frère et la soeur, Brünnhilde revêtant une  robe à longue traîne qui se coule sur les marches, ou qui enveloppe le rocher ou recouvre Siegfried qui dort et qu’elle va réveiller en un beau mouvement qui rappelle le réveil de Brünnhilde dans Siegfried. les gestes ne sont jamais brutaux, jamais rapides, toujours lents et étudiés, et il en va aussi de la sorte dans le traitement des groupes, aux poses fixes sur les escaliers, disposés face au public ou sur les côtés, avec une composition étudiée.

Cassiers compose des images, et des images très “opératiques”,

Robes à longues traines (ici Waltraute est Marina Prudenskaia) ©Monika Rittershaus

les divas avec leurs robes à longue traîne sur un escalier entourée de groupes qui prennent la pose, c’est incontestablement une image voulue de l’opéra de toujours, rajoutez les vidéos mouvantes et étranges, les figures effrayantes qu’on distingue en arrière et les éclairages étudiés, et vous devinez la volonté marquée de créer un univers, de créer quelque chose qui finit par fasciner, telle cette image très “grand opéra” de Brünnhilde:

Brünnhilde ©Monika Rittershaus

Dans sa volonté de ritualiser l’histoire, mais aussi l’opéra comme genre, enfermé dans l’inscription du mythe dans des images étranges et pénétrantes, en l’éloignant de l’aventure humaine et en en faisant une grande aventure emblématique de notre violence de la disparition de toute valeur et de notre ruine, Cassiers dit un peu la même chose que Kriegenburg à Munich avec un choix à l’opposé: Kriegenburg inscrit le Götterdämmerung dans notre monde, le monde crépusculaire de l’après Fukushima ou celui décadent des Gibichungen noyés dans la perversion de l’argent et du sexe. Cassiers mythifie la ruine du monde, perverti par la mort, la violence et le sang, et en construit des images frappantes grâce aux éclairages, grâce à l’appui sur tous les arts: sans chercher à déchainer les passions des gardiens du temple, je vois ce travail comme une démarche avec les moyens du jour, assez parallèle à celle de Wieland Wagner en son temps.
Car il est faux de dire aussi qu’il n’y a pas de travail sur les acteurs, car les positions, les gestes, les mouvements assez hiératiques souvent sont au contraire précis, étudiés, et ne laisse en aucun cas les chanteurs livrés à eux-mêmes. Ils sont prisonniers de leurs mouvements, qui utilisent aussi les accessoires (le rocher de Brünnhilde est assez acrobatique et doit être utilisé pour que la traîne de la robe s’y inscrive par exemple…). Rien de moins improvisé, même si çà et là il y a quelques maladresses comme la sortie de Hagen, puis son retour dans la scène finale.
La scène finale justement, à la fois grandiose et dérisoire (le saut de Brünnhilde sans le bûcher a un côté Tosca sur le Château Saint Ange un peu réducteur, après une grande scène, où au centre des regards fixes de la foule présente en scène, Brünnhilde grimpe au sommet de l’escalier “vitrines” et se jette dans le vide et le feu), mais l’idée de faire tomber des cintres la sculpture monumentale de Jef Lambeaux, Les passions humaines, l’inscrivant dans le cadre de scène, comme elle l’est au pavillon de Victor Horta à Bruxelles. Dominée par la mort au sommet, le relief représente les légions perdues d’hommes et de femmes dénudées représentant la mort, le suicide, la guerre, le Christ en croix, c’est à dire une sorte de vision générique du monde perdu par ses passions, c’est à dire ce que Götterdämmerung peut pressentir d’un monde complètement livré à ses instincts, sans plus aucune régulation. Cassiers a déjà utilisé cette sculpture dans Rheingold, en projection, en arrière plan prophétique, en fermant la scène et en en imposant l’image et la monumentalité en relief au spectateur, il inscrit à la fois le mythe wagnérien dans une sorte d’immortalité de la pierre, une “Ktèma eis aei”(κτῆμα εις ἀεί) (un bien pour toujours) l’expression est de l’historien Thucydide et sa production du Ring comme un immense tableau vivant racontant l’histoire de la chute de l’homme. Une vision encore plus terrible que celle de Kriegenburg qui se termine tout de même par une note plus ouverte.
Au total, et comme toujours lorsqu’on sent qu’un spectacle vaut plus que ce qu’on en dit et qu’il dit plus que ce qu’on en voit de prime abord, il faut saluer une démarche très différente de ce qu’on a vu par ailleurs, très théorique, voire abstraite, voire totalitaire, qui réussit à exercer fascination et intérêt, et qui en tous cas ne laisse pas d’interroger. C’est bien là l’intérêt du théâtre: poser des questions sans forcément donner les réponses.
À la question sans réponse de la scène, correspond un parti pris musical que beaucoup ont apprécié à Berlin sous la direction de Barenboim. À Milan, à cause de la blessure au dos de Daniel Barenboim qui voulait se réserver pour le Ring complet de juin, c’est Karl-Heinz Steffens qui a dirigé, choisi par Barenboim évidemment. Je n’ai pas trouvé sa direction “moyenne” comme l’a écrit Carla Moreni sur le journal “Il sole 24 ore”. Certes, elle manque quelquefois de dynamique et de relief, au début notamment; certes, le tempo est très lent, mais ne suit-il pas ici une volonté de cohérence scène-fosse? Cette direction m’est apparue quand même très fouillée, très approfondie dans sa volonté de tout faire entendre (on y entend des phrases musicales que je n’avais remarquées que dans l’enregistrement de Karajan) et plus on avance dans l’oeuvre, plus elle s’impose, elle impose sa couleur, son rythme, et l’œuvre impose sa grandeur.
L’orchestre de la Scala suit avec beaucoup de précision, notamment dans les cordes et les bois. Souvent (mais pas toujours) les cuivres et notamment les cors, bien sollicités, restent hélas problématiques. Il en résulte une prestation considérée comme indifférente au début, mais qui peu à peu réchauffe le public qui fait un triomphe au chef à la fin. Karl-Heinz Steffens n’a pas démérité, et il a bien porté le spectacle. Nul doute évidemment que Daniel Barenboim présent dans une avant-scène et très attentif à l’orchestre qu’il regarde sans cesse portera le tout à l’incandescence, mais nous n’avons pas d’amertume: Steffens a fait plus que le job.
La distribution assez semblable à celle de Berlin est globalement très honorable, même si certains chanteurs sont apparus plus problématiques, à commencer par Lance Ryan, dont la fréquentation des Siegfried à répétition a fini par altérer la voix et la technique; s’il est un chanteur toujours très engagé et très à l’aise en scène, il aborde le Siegfried du Götterdämmerung, qui demande plus de lyrisme, plus de legato que le Siegfried de Siegfried, et des aigus encore plus ravageurs parce qu’insérés dans un discours sans préparation ni passages (au deuxième acte), avec un problème d’émission, avec un chant dans la gorge qui donne un son désagréable et nasillard, et avec en quelque sorte, plusieurs voix, dont tout de même quelquefois la voix naturelle et juvénile qui était tant appréciée dans son Siegfried (de Siegfried): il en résulte d’innombrables problèmes de justesse, de très vilains sons, un chant mal contrôlé. À mon avis, il vaudrait mieux qu’il renonce à Götterdämmerung. Je connais ce chanteur depuis une quinzaine d’années, je l’ai entendu plusieurs fois dans Götterdämmerung (dont à Karlsurhe où il était en troupe dans la mise en scène de Denis Krief et à Valencia avec la Fura dels Baus), c’était très honorable, voire remarquable. Ici, on en est très loin.
La Gutrune d’Anna Samuil est aussi insuffisante, cette chanteuse, en troupe à la Staatsoper de Berlin, est un authentique soprano lyrique, de bonne facture, et très attentive au style. Gutrune est surdimensionnée pour sa voix, trop légère, perdue dans les ensemble ou dès que l’orchestre est un peu fort: elle est immédiatement couverte. Elle ne démérite pas parce qu’elle est une vraie artiste, mais Gutrune n’est pas pour elle.

Alberich et Hagen ©Monika Rittershaus

Mikhail Petrenko en Hagen faut beaucoup discuter, où est le grand Hagen qui domine de sa voix de basse terrible un plateau écrasé (notamment au premier acte, ou pendant l’appel aux compagnons du deuxième acte)? J’avais noté à Aix et Salzbourg en la regrettant, sa voix trop claire, trop légère pour le rôle, en reconnaissant la justesse et l’élégance du chant et surtout son engagement et son intelligence scénique. J’ai un peu évolué. Certes la voix reste un peu claire et cela se note dans les ensembles et notamment avec le chœur, mais le chant est tellement intelligent, tellement interprété, le personnage tellement juste (un personnage jeune, un peu un double de Siegfried – même coiffure!-) qu’il a sa place dans cette vision où Hagen est un méchant certes, mais parmi d’autres méchants dans un monde où ils le sont tous. Et la scène avec Alberich prend un relief inattendu où les deux voix sont bien différenciées, où l’on voit les deux générations: l’effet dramatique est garanti, d’autant de Johannes Martin Kränzle est remarquable de justesse:  il fait sentir à la fois son ancienne puissance, mais aussi sa fatigue, son angoisse et on sent qu’il “passe la main”. Alors, oui à un Hagen jeune à peine sorti du moule, face à cet Alberich presque clochardisé, le soleil noir des épisodes précédents.
Gerd Grochowski  est avec Iain Paterson un des Gunther de grand relief aujourd’hui, un jeu impeccable, engagé et un chant intense et particulièrement présent, dans son personnage pathétique et médiocre: les costumes de Gutrune et Gunther soulignent à la fois le décalage de ces deux personnages par rapport aux enjeux et leur isolement. Grochowski gagne peu à peu en intensité: belle scène du serment du sang, bel engagement au troisième acte, et un soupçon de distance, de celui qui ne comprend pas bien ce dont il est question, au deuxième acte, tout cela est joué et dit avec beaucoup de subtilité, et c’est remarquable.
Nornes (Margarita Nekrasova, Waltraud Meier, Anna Samuil) et Filles du Rhin (Aga Mikolaj, Maria Gortsevskaya, Anna Lapkovskaja) sont tout à fait honorables. Les voix des Nornes dans un tableau assez classique autour du rocher de Brünnhilde sans la force de certains prologues du Crépuscule -Kriegenburg, Kupfer-, avec une deuxième Norne de luxe (Waltraud Meier) se conjuguent bien ensemble dans une lenteur assez pesante. Les Filles du Rhin qui chantent souvent juste devant la rampe ont un son clair et puissant, un petit peu moins évanescent que d’habitude, mais elles sont dans l’ensemble très présentes et assez séduisantes dans cette version plus marquée que d’habitude.
Waltraud Meier est deuxième Norne mais aussi Waltraute, et comme d’habitude, une Waltraute intense, soucieuse de dire le texte avec un sens du détail et de l’accent qui confondent toujours. Les deux sœurs sont impériales, sur ce rocher qui devient une sorte de lieu très étroit et inconfortable de la confrontation, la rupture à la fin de la scène est marquée par une montée de Brünnhilde en haut en se retournant vers le fond et tournant le dos à sa sœur, avec des attitudes altières, pas de violence exprimée par les gestes, mais par les regards, les positions du corps, et une manière tout à fait impressionnante de dire le texte. Grandiose.
Très impressionnante, et très singulière la Brünnhilde de Irene Theorin; cette chanteuse, découverte à Bayreuth quand elle a succédé à Nina Stemme dans Isolde, a su s’imposer dans sa manière très personnelle d’aborder le rôle de Brünnhilde, moins incandescente que sa compatriote Nina Stemme mais plus distanciée, plus intériorisée, avec un chant complètement contrôlé dans toutes ses nuances, réussissant à faire de son monologue final (avant l’embrasement) un vrai moment d’intimité. Sa tenue sur la scène en fait un personnage qui impose et s’impose, notamment au deuxième acte alors qu’on voit quelquefois la femme brisée entrer en scène, elle garde en elle ce reste d’immortalité, elle porte en elle son passé et le passé des épisodes précédents. La voix est, quand il le faut, puissante, les aigus triomphants, mais elle est surtout expressive, colorée, modulée et tire les larmes à la fin. Une très grande performance, imposant un style inédit: on avait déjà remarqué ce parti pris dans le troisième acte de Siegfried. Il est ici pleinement assumé avec une prise totale sur le public, subjugué: plus de bavardages, plus de mobiles, plus de sorties intempestives, les spectateurs sont fascinés par ce jeu et cette voix.
Et ainsi la Scala a clos son Ring, après les errances du Ring précédent (une version concertante et deux metteurs en scène) et celui non terminé de Luca Ronconi et Sawallisch dans les années 74-75: il y a à la Scala une très grande tradition wagnérienne, contrairement à ce que beaucoup croient et l’un des grands Ring du siècle précédent fut celui de Furtwängler  en 1950 avec Max Lorenz et Kirsten Flagstad dont la maison garde la mémoire. On peut dire que ce Ring fait honneur à la tradition, et que ce Götterdämmerung malgré réserves et discussions peut être considéré comme une référence. Si vous avez le temps, il y a encore des places jusqu’au 7 juin, allez-y, et si vous avez les moyens, allez voir l’ensemble de la Tétralogie à partir du 17 ou du 24 juin.
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“Les passions humaines” de Jef Lambeaux

 

MC2 GRENOBLE 2012-2013: LE VAISSEAU FANTÔME OU LE MAUDIT DES MERS de Pierre-Louis DIETSCH le 24 MAI 2013 (LES MUSICIENS DU LOUVRE-GRENOBLE,Dir.mus: Marc MINKOWSKI)

Je l’ai écrit précédemment, c’est une excellente initiative que d’exhumer l’œuvre que l’Opéra de Paris a décidé de monter en 1842 à la place du Fliegende Holländer de Wagner (qui fut créé à Dresde en 1843). Cela montre la distance qui existe entre l’honnête artisan et le génie, et cela demande un certain nombre de réflexions. En prélude, soulignons que la soirée du 24 à Grenoble a été une très grande réussite, et c’est une excellente initiative qu’elle se solde par un enregistrement qui permettra de mettre en perspective les deux œuvres par ailleurs difficilement comparables.
L’œuvre de Dietsch “La Vaisseau fantôme ou le Maudit des mers” permet de se replonger dans le contexte parisien de la fin des années 1830, et d’en expliquer les choix et les erreurs, et surtout de comprendre pourquoi les intentions de Wagner pour ce Vaisseau ne pouvaient qu’être incomprises, ou provoquer méfiance, voir crainte.
La vie musicale parisienne de la première moitié du XIXème se partage entre les trois théâtres, Opéra, Opéra Comique, Théâtre Italien, qui changent régulièrement de salle au gré des incendies, étroitement liés aux pouvoir, l’Empire d’abord, la Restauration ensuite, la Monarchie de Juillet enfin un peu moins étroitement attachée à surveiller ce qui se passe sur ces scènes nationales. Aussi bien en théâtre qu’en opéra, le répertoire classique et XVIIIème est encore très présent, et en musique ce qui se joue à la fin du XVIIIème, entre autres Méhul, Cimarosa, mais aussi Cherubini qui triompha à Paris pendant la révolution.
Par ailleurs, les modèles sont essentiellement italiens, à commencer par Spontini, protégé de Napoléon, qui produit en français des opéras comme Fernand Cortez, La Vestale, Olympie et des opéras comiques. C’est un des grands modèles, admiré par bonne part des compositeurs de tous ordres au XIXème, d’Auber à Wagner.
Cherubini est le deuxième “phare”, directeur du conservatoire, installé à Paris depuis la fin des années 1780, triomphateur du théâtre Feydeau sous la révolution, il est considéré comme un compositeur d’opéras comiques (à l’époque, on considère Médée comme un opéra comique), c’est presque un auteur officiel (voir son Requiem à la mémoire de Louis XVI ou sa Messe pour le sacre de Louis XVIII) c’est le dernier grand représentant du néoclassicisme musical.
Enfin Rossini, qui arrive à Paris vers 1825 qu’il ne quittera pratiquement plus jusqu’à sa mort en 1868. On peut difficilement se représenter la célébrité de Rossini alors, ses opéras sont une telle garantie de succès que les imprésarios les programment partout en Europe, certaines saisons de la Scala sont composées à 100% d’opéras de Rossini! Comment s’étonner qu’il ait pu vivre de ses rentes de 1830 (année de Guillaume Tell, son dernier opéra) à 1868 !?
Ce sont les masses de granit qui vont être le socle de la vie musicale du XIXème.
A cela s’ajoute évidemment Auber, essentiellement auteur d’opéras comiques à succès, mais aussi d’œuvres au format plus large dont la Muette de Portici en 1828. Avec Guillaume Tell de Rossini et Fernand Cortez de Spontini, cela constitue les bases de référence du Grand Opéra à la française, et dont Giacomo Meyerbeer est le plus important représentant avec les trois œuvres composées pour l’Opéra de Paris, Robert le Diable, Les Huguenots, Le Prophète et qui marque les années 1830-1840. Wagner n’aura de cesse de se faire reconnaître de lui, sans succès, et son Rienzi (1840) est dit “le meilleur opéra de Meyerbeer”.
Par ailleurs, il ne faut pas croire que l’on créé tous les jours des nouvelles œuvres, et certains auteurs, comme Weber, pénètrent le public parisien à travers des pots pourris, des œuvres composées à partir d’extraits d’auteurs multiples. c’est ainsi que le Freischütz va être introduit à Paris par un pot pourri qui puise beaucoup dans l’original, Robin des Bois ! Les foyers de création sont plus à trouver à l’opéra comique et au Théâtre Italien qu’à l’Opéra de Paris, grosse machine, “grande boutique” dira Verdi, qui surfe sur les modes, et qui à travers le Grand Opéra, va surtout faire la gloire des mises en scène géantes, des chœurs immenses, des grands ballets à des coûts stratosphériques.
Guillaume Tell (évidemment) que Benvenuto Cellini ou les Troyens et puis Les Vêpres Siciliennes, Don Carlos, et même Tannhäuser sont à classer pour un public de Paris dans la catégorie des Grands Opéras, marque de la maison.
Ce n’est sans doute plus vrai aujourd’hui parce qu’alors que beaucoup de théâtres européens proposent  Les Vêpres Siciliennes, ou Don Carlos dans leur version originale en français, Paris les ignore superbement.
Au moment où Wagner arrive à Paris, la situation à l’opéra n’est pas très brillante. la période de référence a été celle du directeur Louis-Désiré Véron, qui a fait passer l’opéra de l’âge de l’aristocratie à celle de la bourgeoisie; c’est le premier vrai manager de l’opéra, qui a fait du Grand Opéra le genre parisien par excellence. C’est lui qui attire les bons librettistes, Scribe, Delavigne mais surtout qui flaire les compositeurs qui vont remonter la maison (Guillaume Tell en 1830 avait été un semi-échec), tels Meyerbeer (Robert le Diable, immense succès en 1831) ou Halevy (La Juive en 1835). En 1835, l’Etat veut réduire les subventions, et Véron se retire, laissant sa place à Duponchel, son bras droit qui malgré le succès des Huguenots de Meyerbeer (1836) laisse une impression très mitigée, peu de créations, public clairsemé. Véron avait réussi à la fois à créer un genre, mais à faire de l’opéra une pompe à finances! Duponchel n’y réussit pas, et encore moins son successeur, l’incompétent Léon Pillet: c’est à lui malheureusement que Wagner va vendre son sujet du Hollandais Volant, pour 500F, et c’est lui qui confiera la réalisation à Pierre-Louis Dietsch, connu comme chef d’orchestre et comme compositeur  de musique religieuse, mais pas par l’opéra car Le Vaisseau fantôme ou le Maudit des mers est son seul opéra. Wagner tombe donc au mauvais moment, celui où l’opéra stagne, où les moyens financiers sont limités, où la compétence managériale n’existe plus.
Pour les raisons expliquées plus haut, c’est un Grand Opéra qu’il faut composer pour attirer le public et être cohérent avec la marque de fabrique de l’Opéra de Paris. Incontestablement, Le Vaisseau fantôme ou le Maudit des mers en a les ingrédients, avec un chant suffisamment acrobatique pour attirer les bravos (aigus et agilités de l’héroïne Minna, suraigus du ténor Magnus dans un style à la Auber ou à la Rossini (Arnold dans Guillaume Tell), tessiture tendue du premier rôle (Troïl) baryton;  il en a aussi les formes, traditionnelles désormais: arias, cabalettes, ensembles, duos, chœurs importants, qu’on entend à Paris partout, et notamment aux Italiens et à l’Opéra Comique: n’oublions pas qu’Auber triomphe, que Donizetti est installé à Paris depuis 1838, qu’il crée en 1840 Les Martyrs pour l’Opéra,  et qu’en 1843, il crée Don Pasquale au Théâtre Italien, et que Bellini  est mort à Puteaux en 1835 après avoir créé la même année I Puritani au Théâtre Italien.
Alors évidemment en écoutant Dietsch on piste çà et là un peu de style italien (très mâtiné d’Auber!), un peu du Rossini de Guillaume Tell (c’est quand même à lui que j’ai beaucoup pensé) un peu de Weber à d’autres moments , et en bref un peu de toute cette mouvance musicale qui règne à Paris à l’époque, et dans laquelleDietsch baignait en tant que chef de chant. Rappelons pour mémoire que c’est lui qui a dirigé la création de Tannhäuser à l’opéra de Paris en 1861, créant des démêlés épiques avec Wagner qui voulait diriger lui-même son œuvre.
Le livret a été confié à Paul Foucher qui s’est certes appuyé sur l’histoire de Wagner, mais a probablement ajouté des éléments d’autres œuvres, et a situé l’action aux îles Shetland (Thulé), et qui en a fait deux actes et trois tableaux.
C’est là à mon avis que le bât blesse: pour un public habitué aux formes longues (plusieurs heures) et lourdes du Grand Opéra, à des personnages nombreux, le format de ce Le Vaisseau fantôme ou le Maudit des mers est trop réduit (deux actes et 6 personnages)  par rapport aux formes qu’il utilise et la structure du livret ne correspond pas à ce qu’on attendrait pour une œuvre relativement brève (1h50).
L’intuition géniale de Wagner en 1841 est que pour une œuvre à l’histoire relativement simple, brève et linéaire (le Hollandais arrive, négocie, séduit, et meurt avec la belle), il conçoit un gigantesque crescendo dramatique sans interruption qui tient le public en haleine et en tension et propose la nouveauté d’un acte unique de plus de deux heures. C’était très nouveau dans un monde où les Grands Opéras durent entre 4 et 5h avec des interruptions, des ballets, des ensembles, des personnages multiples (comme dans ses Feen ou dans son Rienzi): avec Der fliegende Holländer, Wagner utilise certes des formes encore identifiables (airs, duos, chœurs etc…) sans encore entrer tout à fait dans une dramaturgie nouvelle, mais tout de même, il insère les formes traditionnelles dans une linéarité dramatique nouvelle que justifie l’absence d’entracte.
Chez Dietsch, on trouve donc tout ce contre quoi Wagner va s’élever, des formes conformistes de l’opéra traditionnel, qui ralentissent l’action (à ce titre, après le duo Minna/Troïl très tendu du second acte, la dernière scène commence par une ralentissement du rythme, de l’action, du tempo qui choque après la tension précédente) et qui nuisent à l’efficacité dramatique. Le scénario wagnérien tel quel, n’était pas soluble dans les formes d’alors,car trop ramassé, trop immédiatement dramatique, trop tendu: Dietsch et Foucher sont tombés dans le piège, ils ont écrit un Grand Opéra trop petit…
Musicalement, ce n’est pas une œuvre qui marquera la postérité et ce n’est pas un hasard s’il faut attendre le 21 mai 2013 pour voir la douzième  exécution d’un opéra dont la dernière remontait au 23 janvier 1843…(et la première au 9 novembre 1842). Mais ce n’est pas pour cela que l’œuvre est ennuyeuse, et Dietsch est un bon mécanicien musical, il y a même des moments jolis, appuyés sur des solos instrumentaux, alto et voix, solo de harpe, solo de violoncelle, il y aussi de jolies allusions aux tempêtes rossiniennes (début de l’air bien nommé de Minna “Il fait nuit, et l’orage ébranle les rochers de la vieille Thulé) ou bien le prélude très retenu du second acte. Une musique agréable, qui se laisse écouter avec aisance mais sans moments de tension forte, sauf peut-être le duo de l’acte II, sc.5 .
J’ai trouvé que Les Musiciens du Louvre-Grenoble et Marc Minkowski étaient bien plus dans leur élément que dans Wagner la veille. Le son était mieux calibré, l’orchestre plus souple, moins brutal, plus coloré aussi. L’univers des années 1830 est un axe pour eux, et je suis sûr que s’ils se lançaient plus avant dans Auber, (Minkowski a déjà dirigé le Domino Noir d’Auber et Robert le Diable de Meyerbeer) on aurait de jolies surprises. Les solos instrumentaux très beaux, très délicats, les ensembles bien construits, les rythmes marqués: évidemment, on n’a aucune référence, mais tout de même, on a pu percevoir une plus grande familiarité avec ce style de musique et d’approche qu’avec les déchainements wagnériens de la veille. La réussite de la soirée, réelle, tient beaucoup à ce changement de braqué.
Elle tient aussi et surtout à une distribution sans taches, avec des solistes qui chacun à leur place ont montré de très grandes qualités dans une œuvre qu’ils découvraient. Sally Matthews, Minna (tiens, le prénom de l’épouse de Wagner d’alors…) a toutes les qualités techniques de contrôle du son, a les pianissimi, a les notes élevées, et les passages très propres, un magnifique exemple de chant éduqué à l’anglo-saxonne et parfaitement en place; elle pourrait chanter du bel canto à un haut niveau (mmm…une Rosmonda d’Inghilterra…), mais elle a un petit problème d’émission un peu tubée, et surtout de diction du français: on ne comprend pas un traitre mot de ce qu’elle chante la plupart du temps et c’est très regrettable face à ses partenaires qui eux, sont d’une clarté cristalline. Car si le Magnus de Bernard Richter a une qualité c’est bien celle de mâcher, d’articuler chaque mot avec une élégance sans pareille, avec toute petite raideur cependant. Magnifique exemple de ce que chanter avec style veut dire. La voix est claire, mais pas légère, on comprend pourquoi il a pu chanter Georg (Erik) à Versailles;  les aigus, même les plus tendus sont bien installés; à mon avis, il pourrait être dans quelque temps un Henri de la version française des Vêpres Siciliennes (pas dans l’italienne) avec un registre central un peu plus large. La référence dans Henri pour moi c’est Nicolaï Gedda, on n’en est pas (trop) loin. Eh, oui je rêve d’une version française des Vêpres qui soit de style français, pas de style italien traduit en français.
Le Troïl du baryton Russell Braun est aussi un exemple de chant parfaitement maîtrisé et éduqué à l’anglo-saxonne: ces chanteurs nord-américains (ou britanniques) -Russell Braun est canadien-, sont pour moi des autoroutes de l’opéra, sûrs, nets, droits, quand en plus il y a des ouvrages d’art, c’est à dire qu’ils savent intelligemment moduler, “ammorbidire”diraient les italiens, avec un chant qui sait s’adoucir, se colorer et en bref interpréter, cela donne une performance exemplaire, comme ce Troïl émouvant, parfaitement dominé, qu’il nous a été donné d’entendre: il ferait, lui, un bon Guillaume Tell…
Eric Cutler qui a une petite partie (Eric) m’est apparu un peu plus en retrait qu’hier dans Georg, mais toujours avec du style et de l’élégance, ainsi que Mika Kares, qui fait une petite apparition, toujours remarquable,  quant à  Ugo Rabec, jeune basse (Barlow , le père de Minna), il tient bien sa place, joli timbre, émission soignée, diction impeccable. Un très bon point dans une distribution dans l’ensemble exemplaire, avec les toutes petites réserves sur le soprano.
Pour tout dire, on ne peut qu’être ravi d’avoir découvert cette œuvre, non tant pour elle-même que parce qu’elle nous replonge dans une période peu explorée aujourd’hui dans les théâtres et même assez peu connue du public, de Rossini, à part Barbiere et Cenerentola, on ne propose plus grand chose alors qu’à Paris on aimerait entendre à l’opéra un Guillaume Tell (que je suis en train de réécouter et qui est une œuvre magistrale), du bel canto, à part Lucia di Lammermoor(1), L’Elisir d’amore et I Puritani peu de choses sont vues alors que le répertoire est gigantesque (et je ne parle d’auteurs italiens comme  Mercadante ou de Carlo Coccia),  d’ auteurs germaniques d’opéras de la période comme Marschner, Schubert, et même Weber, peu de choses : on en parle beaucoup mais qu’on en joue peu: à quand un Oberon, à quand même un Freischütz à l’Opéra de Paris?, d’Auber, il a fallu l’initiative de l’opéra comique pour revoir la Muette de Portici alors que c’est un opéra pour Garnier, au minimum. Quant aux Meyerbeer…Les Huguenots ont été montés magnifiquement par Strasbourg et Bruxelles, mais rien à Paris. Il faut saluer les initiatives du Palazetto Bru Zane sur ce répertoire immense, qui vont produire l’enregistrement de ces deux Vaisseaux et des Musiciens du Louvre-Grenoble qui font là œuvre culturelle notable.
J’étais arrivé à la MC2 avec des préventions, j’en sors avec une certitude, celle que l’opéra restera un art vivant si d’un côté on créée des œuvres nouvelles, et que de l’autre on explore le répertoire, on varie l’offre, on stimule les curiosités du public, toujours disponible, on construit une vraie culture lyrique. Aujourd’hui, un opéra qui tourne sur les standards universellement partagés, c’est un opéra qui meurt.
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(1) J’oublie injustement la Fille du Régiment, mais elle été remontée pour Dessay, pas pour Donizetti.

 

MC2 GRENOBLE 2012-2013: DER FLIEGENDE HOLLÄNDER de Richard WAGNER le 23 MAI 2013 (LES MUSICIENS DU LOUVRE-GRENOBLE,Dir.mus: Marc MINKOWSKI)

Une semaine après Der Fliegende Holländer à Berlin, deux soirées à Grenoble avec les Musiciens du Louvre-Grenoble et Marc Minkowski dans un projet hommage à Wagner, qui pointe une erreur de jugement: celle du directeur de l’opéra de l’époque Léon Pillet, qui  préféra un compositeur français, estimé plus sûr, Pierre-Louis Philippe Dietsch, pour composer sur le sujet du Hollandais Volant que Wagner avait projeté, après une lecture de Heine (Les Mémoires de Monsieur Schnabelewopski) et aussi après une épouvantable tempête vécue au large de la Norvège, alors qu’il fuyait Riga, où il était criblé de dettes. Dietsch composa “La vaisseau fantôme ou le Maudit des mers”, 11 représentations en 1843 et puis c’est tout à l’opéra, nous entendrons demain la 13ème (la 12ème fut entendue ce mardi 21 mai à l’opéra de Versailles).  À Versailles, le choix a été fait d’enchaîner les deux œuvres, à Grenoble, le projet sera divisé en deux soirées (les 23 et 24 mai) avec un enregistrement chez Naïve à la clef. L’opération est coorganisée par le Palazzetto Bru Zane, le centre de musique romantique française très actif: il s’agit donc à la fois d’un projet sur Dietsch et d’un projet qui consiste à présenter la version parisienne du vaisseau de 1841 (encore que la version de 1860 fût aussi composée pour un concert parisien), celle sans la “rédemption” et celle qui est obligatoirement jouée en un acte, mais aujourd’hui, on joue Der fliegende Holländer sans entracte dans la plupart des théâtres, y compris la version de 1860.
C’est une initiative intelligente, stimulante, et bien accueillie par le public grenoblois.
Mais voilà, l’auditorium de la MC2 a une acoustique très réverbérante, avec un son très présent et prononcé qui convient aux récitals d’instruments solistes et à la musique de chambre ou à des formations symphoniques moyennes (musique du XVIIème, XVIIIème, romantique) mais à cause de son podium réduit, à cause de son toit assez bas, elle ne convient pas au grand répertoire symphonique qui a besoin de plus espace. Or, Der fliegende Holländer, par son urgence, sa dynamique, ses chœurs importants a besoin d’espaces plus larges et le son nous arrive ici avec un volume excessif, même si la proximité des chanteurs et des musiciens n’est pas désagréable.
La première remarque est donc cette inadéquation du lieu, peut-être eût il mieux convenu d’utiliser la salle de théâtre, plus volumineuse, qui a une fosse, pour une représentation semi-scénique: c’est évidemment une opinion, qu’on peut discuter.
On sait les Musiciens du Louvre-Grenoble plutôt spécialisés dans un répertoire plus ancien (le XVIIIème), et même si la musique romantique est jouée désormais depuis longtemps aussi par des instruments d’époque (voir l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique), cette incursion dans un opéra de Wagner pouvait apparaître saugrenue pour  certains.
Certes le son est différent, plus âpre, plus rêche, cela s’entend dans les cuivres,  qui sont très découverts et un peu brutaux, on entend ordinairement des cuivres aujourd’hui beaucoup plus subtils, avec plus, beaucoup plus même de legato mais on doit applaudir l’engagement de l’ensemble de l’orchestre, très impliqué, très vif, très dynamique, très jeune avec des moments particulièrement réussis (La tempête du début du troisième acte, avec le très bon chœur  de Chambre Philharmonique Estonien). Le jeu des musiciens, la manière d’aborder l’œuvre, peuvent être discutés, mais il reste une vraie “franchise” dans cette manière d’aborder Wagner.
En revanche la direction de Marc Minkowski ne fait rien pour adoucir les effets ou donner un peu de raffinement. Certes, la version de Paris doit plutôt être jouée “haletante”, dynamique et énergique dans la tradition des opéras de Weber ou de Schubert, ou même des premiers opéras de Wagner. Mais là, avec  l’acoustique et l’interprétation du chef, on a une sorte de double peine: manque de souplesse, manque de couleur,  un volume  excessif en permanence, et un manque de subtilité: on l’entend dans le duo Senta/Hollandais du deuxième acte, dont l’une des qualités est la douceur de l’accompagnement orchestral, si bien réussi par Daniel Harding la semaine dernière, et ici presque gênant qui casse une peu la magie musicale.
Du côté des chanteurs, c’est plutôt une très agréable surprise, car la distribution réunie est jeune et remarquable dans son ensemble. À la différence de Versailles, où le Hollandais était confié à Vincent Le Texier, pour l’enregistrement à Grenoble, c’est Evguenyi Nikitin qui est le Hollandais, a priori un joli coup qui place en vedette celui qui devait le chanter à Bayreuth l’an dernier et qui en a été exclu à cause d’un tatouage nazi malencontreux. Il chante dans tous les grands théâtres, et donc on s’attendait à une prestation magnifique. Las, c’est une déception, comme dans Klingsor à New York en février dernier (dans le magistral Parsifal dirigé par Daniele Gatti). La voix est mal projetée, elle reste mate et sans vrai volume (même dans cette salle si favorable), il semble très fatigué, et sans aucun engagement (ce qui tranche avec les autres chanteurs) même si la diction est correcte et que le timbre reste beau. Mais il n’a rien d’un Hollandais réclamé dans les grandes scènes internationales: quelle différence abyssale avec Michael Volle la semaine dernière à Berlin qui était si émouvant et si présent.
Face à lui, une découverte, la jeune basse finlandaise Mika Kares (en Donald, c’est à dire Daland) basse profonde qui rappelle un autre finlandais, Matti Salminen, même si le physique est très différent. Très bien préparé, le chanteur est le seul à essayer de jouer un peu, de créer des interactions, car il chante sans partition. L’entrée en scène au premier acte, le duo du premier acte sont vraiment des moments magnifiques: il faut vraiment revoir en scène cet artiste, qui est une authentique révélation.
Le Georg (Erik) d’Eric Cutler a la technique américaine, très contrôlée, avec un centre étendu, des aigus bien négociés, une voix suffisamment large (car Georg/Erik n’est pas une voix légère): certes, dans les ensembles avec un orchestre au volume qui assomme dans la salle, notamment à la fin, on l’entend mal, mais son élégance dans le duo avec Senta montre vraiment les qualités de l’artiste, à réentendre dans Belmonte ou Tamino.
J’ai déjà plusieurs fois signalé Bernard Richter, ténor suisse d’une suprême élégance, à l’aigu très sûr, au timbre superbe, à la diction modèle, que j’avais découvert dans Don Ottavio à l’Opéra de Paris l’an dernier mais qui y chante régulièrement depuis 2006. Un Steuermann très maîtrisé, presque trop “beau” pour le rôle.
J’ai revu avec plaisir Hélène Schneiderman, en troupe à Stuttgart depuis 1984, qui a aussi été à Heidelberg où j’ai vécu, et qui y avait laissé une trace profonde,  une chanteuse toujours “honnête”, toujours préparée, toujours présente, dans Mary, qui n’est pas un rôle de grand relief, et dans lequel elle ne démérite pas.
Enfin, terminons par une autre découverte, Ingela Brimberg, un soprano suédois dans la grande tradition des voix suédoises au volume étonnant, à la technique solide, aux aigus perçants et parfaitement placés, avec une couleur un peu froide qui rappelle beaucoup Lisbeth Balslev. L’acoustique de la salle rend ses aigus énormes et presque trop volumineux, mais dans une salle ordinaire d’opéra, nul doute qu’elle ferait merveille. En tous cas, une Senta de grande allure, sans une faiblesse, avec un engagement qui tranche avec son partenaire Nikitin. Là aussi une jolie révélation.
Au total et malgré mes réserves sur l’orchestre et le chef, une entreprise justifiée, très soignée, et ma foi, riche de potentiel pour tous ces jeunes chanteurs, un vrai Fliegende Holländer, qui rend clairement justice à l’œuvre, sans doute une première pour Grenoble et les grenoblois n’ont pas été volés!
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TEATRO ALLA SCALA 2013-2014: LA NOUVELLE SAISON

Dernier des grands théâtres à publier sa saison, il Teatro alla Scala a enfin dévoilé la liste des dix titres d’opéras qui seront affichés l’an prochain. Dix titres l’an prochain, seize (Ring compris) cette année, les restrictions frappent le théâtre et la culture en Italie, et en frappant les opéras (on le voit aussi au Mai Musical Florentin, dans une situation dramatique), on frappe au cœur de l’identité italienne.

La saison qui vient un peu réduite, mais est très diversifiée: on y trouve Verdi (3), Rossini (1), Mascagni (1), Berlioz (1), Rimski Korsakov (1), Mozart (1) , Strauss (1), Donizetti(1): la liste des auteurs parle d’elle-même, c’est un retour au répertoire italien, qui couvre la moitié des productions. Dans les nouvelles productions, deux sont une exclusivité Scala (Traviata et Così fan tutte), les autres (Les Troyens, Elektra, La fiancée du Tsar, Le Comte Ory) sont des coproductions avec Londres, Lyon, Berlin, Aix, Barcelone, MET; tandis que Lucia di Lammermoor est achetée ou louée au MET, et le reste (Cavalleria Rusticana, Trovatore, Simon Boccanegra) sont prises dans le répertoire de la maison, et pas forcément dans les réussites: au total sept spectacles sur dix seront nouveaux pour le spectateur milanais.
Et la saison s’ouvrira sans doute sur une bataille. 23 ans après la production poussiéreuse dès la création de Liliana Cavani (1990), qui révéla Roberto Alagna, la saison ouvre avec La Traviata (l’administration d’alors n’avait pas voulu ouvrir sur Traviata, par crainte de débordements) dirigée par Daniele Gatti, avec Diana Damrau (qui désormais chante Violetta partout), Piotr Beczala, Zeljko Lucic: une distribution solide pour une mise en scène de Dmtri Tcherniakov qui signera aussi le décor. Gatti n’est pas trop aimé à la Scala dans Verdi, nul doute que Tcherniakov sera accueilli par des bordées d’insultes par les “gardiens du temple”, et Damrau en Violetta, même si elle est bonne, sera sans doute accueillie fraichement par les mêmes (je souhaite me tromper): en bref, tous les ingrédients sont réunis pour une bonne recette de soupe à la grimace. Pour ma part, je suis très heureux du choix de Tcherniakov, de Gatti que j’aime bien, et de Damrau que je respecte infiniment. Croisons les doigts pour ces 8 représentations du 7 décembre au 3 janvier pour lesquelles, ô miracle, il n’est pas prévu de distribution B (pour l’instant, car à la Scala, si le pire n’est pas toujours sûr, le meilleur non plus: on guettera donc les habituels changements de cast en cours de répétitions).
Suivra un étrange montage ballet-opéra Fokine/Roland Petit/ Mascagni avec Le Spectre de la Rose (Mikhail Fokine), sur une musique de Weber orchestrée par Berlioz, La Rose malade, musique de Mahler, chorégraphie Roland Petit et Cavalleria rusticana dans la production de Mario Martone, le tout dirigé par Daniel Harding. Ce devrait être très bien à l’orchestre, Harding réussissant bien Mascagni. La distribution en revanche est assez passe-partout, Liudmyla Monastyrska (Santuzza), Jorge De León (Turiddu), Vitaliy Bilyy (Alfio), Valeria Tornatore (Lola) tandis que Mamma Lucia sera chantée par Elena Zilio, qui eu son heure il y a quelques dizaines d’années. (9 représentations du 12 janvier au 9 février).
Pier Giorgio Morandi, sans doute pour remerciement des très bons Macbeth cette année, alternatifs à Gergiev un jour bon, un jour non, dirigera une série de 9 représentations (1er/28 février) de Lucia di Lammermoor dans la mise en scène du MET de Mary Zimmermann (dans laquelle Natalie Dessay a triomphé à New York) avec deux distributions: cela donnera l’occasion à Albina Shagimuratova de (alternant avec Jessica Pratt)  se faire connaître à Milan: elle est vraiment très bonne et nul doute que sa Lucia sera une surprise pour le public. Vittorio Grigolo alternera dans Edgardo  avec Piero Pretti. Les reste de la distribution est solide (Fabio Capitanucci/Massimo Cavaletti, Orlin Anastassov/Sergey Artamonov, Juan Francisco Gatell).

Leo Nucci dans la production de la Scala

Après cette Lucia à usage local, une reprise  de Il Trovatore, dans la mise en scène mortifère et ennuyeuse de Hugo de Ana, dirigée par

Daniele Rustioni

Daniele Rustioni (excellente perspective) avec les Luna Leo Nucci & Massimo Cavalletti, les Leonora Maria Agresta (bien) & Lucrezia Garcia (moins bien, voire erroné), les Manrico Marcelo Álvarez & Yonghoon Lee et les Azucena Ekaterina Semenchuk & Luciana D’Intino. Dieu reconnaîtra les siens. On sait combien il est difficile de réussir un Trovatore: échec de Muti quand il a tenté en 2000/2001, et il faut remonter à 1964 pour trouver une distribution clairement attirante (Simionato/Bergonzi/Cappuccilli/Tucci) malgré une programmation au moins dans trois saisons entre 2000 et 1964…On verra…Il Trovatore, ou la palpitation musicale permanente: un Trovatore réussi, c’est alors une pépite, une merveille, une garantie de nirvana musical.
Deuxième production de Dmitri Tcherniakov, celle de Carskaja Nevesta (La fiancée du Tsar) pour 5 représentations du 2 au 14 mars et au pupitre pour la première fois de la saison Daniel Barenboim. C’est la production qui ouvrira  la saison prochaine de la Staatsoper de Berlin, avec Anatoly Kotscherga, Olga Peretyatko, Johannes Martin Kränzle, Pavel Černoch,Tobias Schabel, Marina Prudenskaya, Stephan Rügamer et même Anna Tomowa-Sintow!! On ira pour sûr, soit à Berlin (plus économique), soit à Milan (plus chic!!).
En avril, pour 6 soirs (du 8 au 30), la production londonienne des Troyens de Berlioz, mise en scène de David Mc Vicar, dirigée par Antonio Pappano, avec une distribution intéressante sans plus (Anna Caterina Antonacci Cassandre, Daniela Barcellona Didon) on trouve aussi dans le cast Samuel Ramey, Paolo Fanale, Maria Radner, mais, hélas, l’Enée de Gregory Kunde, qui à mon avis a passé l’âge…
En mai, tout le monde ira revoir l’Elektra d’Aix (mise en scène de Patrice Chéreau) dans la même distribution et avec le même chef (Esa Pekka Salonen) pour 6 représentations du 18 mai au 10 juin et avec Evelyn Herlitzius, Adrianne Pieczonka, Waltraud Meier, René Pape, Franz Mazura (87 ans?)… Beh oui, on ira…comment faire autrement?
En juin une nouvelle production de Così fan tutte dirigée par Daniel Barenboim et Karl Heinz Steffens (en juillet) . La Scala vivait sur la production fameuse de Michael Hampe (saison 1982-83) faite pour Riccardo Muti. Stéphane Lissner a confié à Claus Guth la nouvelle production (excellente idée) . La série de 11 représentations du 19 juin au 18 juillet sera chantée par Maria Bengtsson (Fiordiligi), Katija Dragojevic (Dorabella) Adam Plachetka (la découverte de Vienne) & Konstantin Shushakov (Guglielmo), Rolando Villazón et l’excellent Peter Sonn (Ferrando), avec l’Alfonso de Michele Pertusi, et la Despina de Serena Malfi. Così fan tutte n’est pas si fréquent, on ira donc voir avec plaisir de préférence en juillet pour coupler avec le très attendu Comte Ory de Rossini pour 8 représentations du 4 au 21 juillet avec Juan Diego Florez en alternance avec Colin Lee, Stephan Degout et Nicola Alaimo dans Raimbaud, Aleksandra Kurzak et Pretty Yende dans la comtesse de Formoutier dans la production de Laurent Pelly qu’on aura vu à Lyon début 2014 (mais sans Juan Diego Florez!) et dirigé par le très fiable Donato Renzetti.

Anja Harteros/Placido Domingo dans Simon Boccanegra

En automne 2014, un seul titre, Simon Boccanegra dans la mise en scène ratée de Federico Tiezzi avec deux distributions et deux chefs:
-du 31 octobre au 11 novembre, dirigé par Stefano Ranzani
-les  6, 13, 16 et 19 novembre par Daniel Barenboim
Les dates des deux distributions ne sont pas arrêtées, mais vous pourrez voir en alternance Leo Nucci/Plácido Domingo (Simon), Carmen Giannattasio/Anja Harteros (Amelia), Alexander Tsymbalyuk/Orlin Anastassov (Fiesco), Ramón Vargas/Fabio Sartori (Gabriele Adorno), Vitaliy Bilyy/Artur Rucinski (Paolo).

Voilà une saison un peu grise, avec trois sommets: Traviata, La fiancée du Tsar et Elektra. Pour le reste c’est selon les envies. Il faut quand même poser le problème des distributions et des voix: quand les cast ne sont pas importés (Elektra, La fiancée du Tsar), il y a des choix au moins très discutables: certes, on peut me reprocher de jouer au tifoso de football qui fait le jeu à la place de l’entraîneur, mais tout de même: il y a sur le marché au moins un Enée qui fonctionne,  Bryan Hymel, on se demande pourquoi aller chercher Kunde dans Les Troyens dont les dernières prestations sont très moyennes, même s’il fut un bon chanteur ou l’affichage d’un Trovatore très moyen dans une production mauvaise. La Scala depuis longtemps a un étrange fonctionnement dans les distributions; il lui manque un responsable de casting incontesté tel un Pål Moe ou une Joan Ingpen qui faisait les distributions de Liebermann ou du MET. Mais c’est aussi un signe probable que ce théâtre désormais fait moins rêver les artistes qu’il y a quelques dizaines d’années et de l’évolution des temps qui fait qu’un théâtre comme la Scala cible un public de passage heureux d’être là mais pas forcément amateur d’opéra, encore moins connaisseur, encore moins mélomane (j’ai des amis qui sont non pas mélomanes, mais sopranomanes). Il faudrait en analyser plus profondément les raisons, et elles sont très nombreuses, externes et internes au fonctionnement de la ville et de son théâtre symbole.
Mais quelques jours en Italie ne se refusent pas, même dans le brouillard de l’hiver milanais, et, il faut aussi le dire, une soirée à la Scala, même grise, c’est toujours quelque chose.

PHILHARMONIE BERLIN 2012-2013: Claudio ABBADO dirige les BERLINER PHILHARMONIKER les 18, 19 & 21 MAI (MENDELSSOHN & BERLIOZ)

La foule debout, Abbado salue les musiciens

SAMEDI 18 MAI

J’ai tellement usé de superlatifs pour qualifier les derniers concerts de Claudio Abbado que je crains à la fois de manquer de ressources grammaticales pour marquer un degré supérieur de comparaison et de lasser le lecteur qui pensera qu’en ce monde où l’emploi du superlatif est devenu commun, en politique, en football et en art, je sacrifie à une mode médiatique. Et pourtant…
Et pourtant, à Florence le 4 mai dernier le concert était extraordinaire, à un niveau rarement atteint par les orchestres impliqués, et l’interprétation de Wagner, Verdi et Berlioz semblait s’être installée dans le marbre définitif des soirées mémorables.
Et ce fut effectivement une soirée à la fois mémorable et émouvante.
Il faut néanmoins ouvrir un étage supérieur du paradis musical, pour y placer le concert du 18 mai à la Philharmonie de Berlin, car ce fut anthologique. Ce fut écrasant et lumineux. Ecrasant car devant un tel monument, on ne peut que rester époustouflé. Lumineux parce que ce concert a encore ouvert des horizons inconnus. On avait sans doute oublié que les Berliner Philharmoniker, quand ils adhèrent à un projet, quand ils s’engagent aux côtés d’un chef, quand ils font de la musique pour quelqu’un, quand ils sentent la singularité du moment d’exception, peuvent être les instruments du pur miracle. Jouer ainsi, dirais-je, est-ce encore humain?
On sait que les concerts de Claudio Abbado (un par an à Berlin) sont des moments très attendus d’un public qui l’a toujours aimé, cette année plus que toute autre, avec un programme romantique Mendelssohn/Berlioz, un programme presque shakespearien.
On a vu à Paris il y a un mois comment Mendelssohn pouvait nous parler, avec cette urgence, ce dramatisme, cette incroyable tension. On constate aujourd’hui comment il peut nous susurrer, nous murmurer, nous pacifier dans une interprétation de ces extraits du “Songe d’une nuit d’été” d’une légèreté séraphique: c’est Ariel qui nous parle en permanence, esprit du vent, esprit aérien qui à peine effleure le souffle des vents. Dès le départ, avec cet accord que Wagner va réutiliser tel quel, les cordes sont à peine audibles,  à peine effleurées, et produisent malgré tout un son si net, et si clair. Pour comprendre ce qui est proposé, et ce qui est ressenti, il faut se projeter dans un monde de divinités sylvestres, d’Elfes: jamais le son n’écrase, jamais il s’impose, mais il se glisse, mais il s’insinue, avec une souplesse, une fluidité une justesse qui confond. Quelle technique chez les cordes! Et quelle magie…on y lit tout, le monde fantastique de l’œuvre, mais aussi les lectures de l’enfance, les contes, la naïveté et une légèreté inouïe, inouïe, à n’en pas croire ses oreilles. On sait qu’Abbado obtient des pianissimi de rêve, auprès de tous les pupitres, y compris des percussions, et auprès de tous les orchestres. Ce qui frappe ici, c’est qu’on est dans un espace sonore qu’on n’arriverait pas à imaginer, l’espace de l’effleurement, de la caresse invisible, un espace où seul la plume et ses douceurs aurait accès.
D’une certaine manière, l’intervention des voix (magnifique chœur de femmes du Bayerische Rundfunk, dirigé par Konstantia Gourzi, plus ordinaires les solistes Stella Doufexis et Deborah York – mais d’où j’étais placé, il est difficile de saisir une projection vocale) a non interrompu la magie, mais ramené à de plus terrestres effets, poétiques, certes, mais d’une présence presque gênante tant c’était l’orchestre qui semblait à tous tout en poésie, tout en abstraction, tout en vapeur. Il faut faire un sort au “Notturno” dont le cor de Martin Owen fut un moment extatique. Même si Stephan Dohr était absent, ce musicien du BBC Symphony Orchestra “prêté” pour six mois aux Berliner a fait étonnement, sinon merveille, dans une pièce où l’ambiance sonnée par le cor est déterminante, définitive. Il n’est que d’entendre le soupir du public à la fin du morceau. La fameuse “marche nuptiale” fait toujours son effet, interprétée avec le juste tempo et sans aucune couleur martiale, et enfin le finale, qui reprend les premières mesures, avec le chœur en complément, et qui finit en extase, oui une douceur extatique, nous a renvoyé tout droit au ciel, à la nuit paradisiaque d’un été de rêve… rien qu’en l’écrivant, mon cœur bat.
En abordant la Fantastique, j’avais évidemment en tête l’interprétation fulgurante du concert de Florence, et la répétition générale de la veille, où évidemment, la différence de pâte sonore se note dès les premières mesures. Je ne renie rien de ce qui a été dit du concert florentin, j’ai trop vibré pour cela.
Mais il faut se rendre à l’évidence dès les premières mesures: de cette tristesse inhérente au début à Florence, il reste la mélancolie, il reste la retenue, il reste aussi un discours qui nous parle immédiatement et il y a surtout un incroyable toucher des cordes, qu’on va encore éprouver de manière plus aiguë plus tard, avec des pizzicati confondants du côté des contrebasses et des altos notamment, mais aussi encore plus légers, encore plus fins, encore plus limbés, chez les violons.
On ne sait que dire, que rappeler, que citer pour donner au lecteur juste un goût de ce qui s’est passé, rappelons le final du premier mouvement “Rêveries-passion” à la fois urgent, inquiétant puis tendu et déchirant. La valse de “Un bal”, second mouvement qui n’est jamais apaisé, jamais vraiment gai: les quatre harpes initiales emmenées par Marie-Pierre Langlamet sont d’une incroyable présence, très marquées: Abbado ne les veut pas séraphiques, il ne les veut pas liquides, il les veut là, pleinement présentes, au milieu de l’orchestre avec un effet presque surprenant. Ce bal, c’est un dernier tourbillon, fluide, avec cette once de retenue qui montre qu’on n’est pas tout à fait emporté dans le mouvement, mais qu’on est toujours dedans et dehors, qu’on se dédouble presque dans un regard quasi prophétique.   Car c’est bien dans le troisième mouvement “Scène aux champs” que les choses basculent: je dois dire que là, nous sommes assommés par tant de beauté, née d’une telle capacité à saisir l’assistance: Dominik Wollenweber, le cor anglais nous a tous bouleversés. Certes, on dira, comme toujours, aussi bien dans Tristan que dans les Rückert Lieder, il a cette capacité de nous “interdire”, de nous saisir, de nous tirer les larmes, au départ avec le hautbois en coulisse de Jonathan Kelly (Albrecht Mayer ne jouait pas), d’une légèreté incroyable, mais surtout à la fin du mouvement, dans son dialogue avec des percussions souveraines, inquiétantes: le silence dans la salle était tendu, saisissant, et le soupir (et les toux) pendant la courte pause ont montré cette tension extrême créée chez le public qui se détend pour quelques menues secondes. Pendant la courte pause, d’un geste très discret avec un magnifique sourire, Abbado applaudit doucement le soliste – du jamais vu.
Les percussions et les cuivres sont mises à contribution dans la “marche au supplice”, mais c’est  l’accompagnement incroyablement en rythme des cordes, qui frappe. L’imposante collection de timbales fait avancer l’œuvre, donne les rythmes, avec une technique et une science du crescendo qui confond. Mais ce qui impressionne, c’est l’engagement de plus en plus net des musiciens, conscients de la magie de l’instant, ils donnent tout, ils explosent au moindre geste du chef, comme si ils étaient en parfaite osmose, même ceux qui ne le connaissent pas ou le connaissent à peine, il y a une communication subliminale inexplicable qui peu à peu s’est mise en place et produit l’exception. C’est évidemment dans le “Songe d’une nuit de Sabbat”, dernier mouvement, nuit de Sabbat et Dies irae, que le choc arrive à son climax: signalons d’abord la flûte d’Emmanuel Pahud, miraculeuse: tous les sons lui sont possibles, les plus aériens, les plus violents, les plus dissonants dans une technique qui laisse bouche bée. Depuis le début de la symphonie, on va avec la flûte (et les bois en général) de surprise en surprise: ah! ces systèmes d’écho avec la clarinette incroyable de Wenzel Fuchs!! Ah! ces moments éperdus de légèreté dans le premier mouvement!! Ah! cet engagement dans le dernier!! Ces sons qui semblent venus d’ailleurs, à la flûte, aux violons, aux altos, avec ces decrescendos glaçants, étranges, dont on n’imaginait pas la présence aussi marquée dans la partition, mais dans cette danse macabre capable de tout, qui reste encore, une quinzaine d’heures plus tard, dans la tête et qui a toute la nuit de manière obsessive occupé mon cerveau, ce qui domine, c’est ce son des cloches immenses, placées sous la voûte, en haut, à gauche, juste avant le ciel, qui descend des hauteurs et qui scande de manière terrible, angoissante, presque effrayante, ce rondo funèbre qui conclut la symphonie.. Un journaliste écrit ce matin qu’avec ces cloches, c’était comme si Dieu était descendu dans la salle. Un Dieu vengeur, un dieu de terreur et de saisissement, pendant qu’explosait l’orchestre dans un mouvement d’une tension et d’un engagement extrêmes.
Et les cœurs battent, à l’unisson en salle et sur la scène, pendant qu’Abbado, visiblement épuisé, déchaine les forces telluriques de cet orchestre qui ce soir, n’a pas de concurrence et donne le vertige.
Alors, évidemment, là encore du presque jamais vu, pendant que la salle, qui explose en hurlements et applaudissements,  se lève dans un enthousiasme général, Abbado prend dans ses bras Guy Braunstein, le premier violon, puis va serrer la main dans les rangs des musiciens aux héros du jour, Pahud(flûte), Kelly (hautbois), Wollenweber (Cor anglais) , Fuchs (clarinette) aussi le cor de Martin Owen.
C’est une incroyable fête.
Et nous en sommes aussi abasourdis.
Les musiciens souriaient tous à la fin et se regardaient: on sentait la satisfaction et la joie! Revenu tard dans la nuit prendre mon véhicule dans le parking, des musiciens étaient encore là, sur le balcon de leur “cantine”, à bavarder, tant il était difficile de laisser le lieu avec la tête occupée à entendre encore et toujours  cette musique, dans le souvenir d’une soirée unique, qui restera dans les souvenirs marquants, sinon le souvenir marquant des dix dernières années.
Ce soir, 19 mai, le concert est retransmis sur internet via la Digital Concert Hall (voir le site des Berliner) et dans bien des cinémas d’Europe: Allemagne Autriche Suisse, UK, Irlande, Belgique, Italie…tiens il n’y a pas la France…cela vous étonne?

L’orchestre est parti, Abbado revient seul appelé par le public

DIMANCHE 19 MAI

19 mai, la salle, debout, applaudit Claudio Abbado

Fondamentalement, il n’y pas de grosse différence entre les deux concerts, même si le Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn est apparu plus maîtrisé le 18 que le 19. Le cor de Martin Owen notamment n’a pas été au niveau de la veille (mais seulement dans Mendelssohn) et l’approche est apparue un peu plus agressive, moins éthérée que la veille. Il reste qu’on reste toujours abasourdi par la capacité des cordes a produire un son à peine audible, d’une légèreté époustouflante et par le travail des bois et notamment de la flûte vraiment incroyable d’Emmanuel Pahud. Étant à une autre place, derrière l’orchestre, le son n’est évidemment pas tout à fait identique, même dans la Philharmonie où la clarté du rendu est toujours exceptionnelle. Enfin nous avons su que la transmission dans les cinémas avait été un succès, et que par ailleurs la chef du chœur Konstantia Gourzi avait raconté dans une interview retransmise avoir été un peu bousculée quand Abbado, peu de jours avant les répétitions, avait demandé la version anglaise du texte, avec des partitions plus difficiles à trouver, mais que tout finalement avait été résolu. On ne peut que regretter encore que cette retransmission n’ait pas eu lieu en France.

Philharmonie, le 19 mai

Bien que le public soit ce soir un public d’abonnés, l’accueil  est toujours aussi chaleureux, toujours aussi vigoureux, et il explose de la même manière à l’issue de la Symphonie Fantastique, standing ovation, hurlements de centaines de “bravo!”. Et de fait l’exécution est encore ce soir anthologique. Inutile de se livrer au jeu du “c’est meilleur qu’hier!”: c’était fascinant de précision, de technique, d’acrobatie sonore, et une fois de plus Dominik Wollenweber au cor anglais a démontré sa maîtrise et surtout sa grande sensibilité, jouant très subtilement sur le volume, sur la légèreté, une fois de plus, Kelly(hautbois), Pahud (flûte), Fuchs (clarinette) ont chaviré le public par cet exceptionnel engagement qu’ils démontrent, mais j’ai aussi trouvé les harpes emportées par Marie-Pierre Langlamet exceptionnelles de netteté, de justesse, de présence sonore au 2ème mouvement (Un bal). Et puis on est encore surpris de la présence des cloches dont le son tombe sur la salle comme un signe du ciel. Extraordinaire effet qui rappelle combien Abbado (moins fatigué que la veille) est un sculpteur d’espace musical, qui met le son en relief comme un metteur en scène de théâtre.
Et puis, à la fin pendant les applaudissement, encore un geste jamais vu: Madeleine Caruzzo, violoniste du rang depuis les temps d’Abbado, sort rapidement de la scène pour aller chercher un bouquet de fleurs qu’elle lui remet sous les hurrahs de la salle, et évidemment l’orchestre sorti, Abbado revient seul visiblement ravi.
Le troisième concert a lieu mardi 21 après une journée de respiration bien méritée. Le devoir appelant ailleurs, je ne peux y assister, mais j’y serai par le cœur, cherchant à savoir auprès des amis présents comment ce sera, et sûr qu’on me dira comme d’habitude “Ah! comme tu aurais dû être là, c’était le meilleur des trois!”. Les retours d’Abbado à Berlin sont toujours des moments de joie, et des moments émouvants, mais cette fois, il y a eu miracle , grâce à un programme très bien trouvé, cohérent,  grâce à un orchestre qui a retrouvé son maître, et grâce à 80 ans de jeunesse.

Abbado, seul, devant les ovations du public (19 mai)

 

MARDI 21 MAI

J’étais absent, et comme je le prévoyais, ce fut au dire des amis présents non seulement le meilleur concert (mais qu’est-ce que cela signifie à de tels sommets?), mais aussi le plus émouvant, car bien des musiciens qui n’étaient pas retenus dans l’orchestre pour cette série étaient dans le public, et très émus. Je ne résiste pas à vous transmettre ce court compte rendu d’une de mes plus fidèles amies:

” En effet c’était de la magie. Il était détendu, souriant, très engagé (plus que les autres soirs il a prononcé tout le texte du Mendelssohn) et il donnait l’impression d’être bien reposé. Il n’a pas été épuisé au bout et le public a hurlé sa joie. Les musiciens étaient tous parfaits – pas de fautes, pas de “Kiekser” dans le cor. Albrecht Mayer était sur le podium et j’ai encore vu Riegelbauer, Ottensamer, Koncz et d’autres. C’était vraiment le sentiment d’une grande soirée.”

Et voilà, prochain rendez-vous à Paris le 11 juin, mais sans les Berliner, et rendez-vous à Berlin l’an prochain les les 16, 17 et 19 mai 2014 à 20h pour un programme Strauss (Till Eulenspiegel et Tod und Verklärung – Mort et Transfiguration -) et le concerto pour violon n°3 de Mozart avec Frank Peter Zimmermann en soliste. Mais avant, essayer de repérer Deutschlandradio Kultur le  28 mai 2013 à 20.03 Uhr qui retransmet le concert du 21 mai (celui de Digital Concert Hall est le concert du 19).
Je n’arrêterais jamais de parler de ces journées, qui m’ont vraiment marqué. Joie, immense joie. Et immense admiration.

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KOMISCHE OPER BERLIN 2012-2013: LE GRAND MACABRE de György LIGETI (Dir.Mus: Baldur BRÖNNIMANN; Mise en scène: Barrie KOSKY)

©Monika Rittershaus

Plus je viens à la Komische Oper, et plus je pense qu’il s’agit du théâtre d’opéra le plus original et le plus stimulant que je connaisse. C’est d’abord un théâtre où l’on se sent bien, très détendu, “cool” au meilleur sens du terme. C’est aussi une institution dont l’offre diversifiée s’adresse à des publics segmentés, très divers selon les soirées: plus âgé pour l’opérette, très scolaire pour les grands classiques (Carmen), jeune et branché ce soir pour ce Grand Macabre dont certains spécimens feraient bondir les habitués des “manifs pour tous” pour qui ce spectacle il faut le dire sans le déplorer, n’est pas fait. Une de mes amies ayant organisé un voyage à Berlin a emmené ses élèves voir la Carmen de Sebastian Baumgarten, ils ont été surpris de l’ambiance détendue, enthousiasmés par le spectacle et en tant que scolaires ont payé 5 € le billet…
Bref, je ne saurais trop engager les visiteurs de Berlin à aller voir un spectacle à la Komische Oper: en ce moment, champions toutes catégories, je conseille le succès foudroyant de Zauberflöte, une mise en scène de Barrie Kosky qui fait courir Berlin, celui de Xerxès, mise en scène de Stephan Herheim, et je conseille ce Grand Macabre, reprise retravaillée d’une mise en scène de 2003, mais faites vite car ce ne sera pas à l’affiche l’an prochain.
Les amateurs d’opéra un peu murs se souviendront sans doute de la Première parisienne, à Garnier, du Grand Macabre, au début des années 1980. L’opéra commençait (mise en scène Daniel Mesguich), le chef était là, et dès la première mesure, un chef surgissait, assommait le chef en place au pupitre et prenait sa place. Quelques temps après, cri dans la salle, “arrêtez! arrêtez!”, un homme s’agitait au milieu de l’orchestre debout et demandait l’arrêt du spectacle. Tout le monde a cru à une autre facétie de mise en scène…eh bien non, c’était Ligeti lui-même, qui hurlait son indignation car placé où il était il entendait le ronron des appareils électroniques  en place dans la salle pour la régie sonore et cela perturbait la musique…Pour vous dire que cet opéra est déjanté, et réclame un traitement déjanté au point que plus rien ne doit vous étonner !
Le livret de Michael Meschke et György Ligeti s’appuie sur une pièce de Michel de Ghelderode publiée en 1934, la Balade du grand Macabre. On jouait beaucoup dans les années 50 et 60 Michel de Ghelderode, auteur de théâtre très prolifique mort en 1962, passionné d’histoire et notamment de Moyen Âge, et marqué par la crainte de la mort et du diable, inspirée par son éducation en milieu très catholique: il en résulte une vision du monde assez noire, marqué par la puissance du mal. Ainsi de ce Grand Macabre, qui raconte l’histoire d’un personnage diabolique, Nekrotzar, qui annonce au peuple la fin du monde. Dans une ambiance de saturnale carnavalesque, qui n’est pas sans évoquer Rabelais ou ce qu’en écrit Lucien Febvre dans Le problème de l’incroyance au XVIème siècle, la religion de Rabelais, l’histoire touche à la paillardise, au sexe, au pouvoir, à la religion. Elle se passe en quatre tableaux dans un pays imaginaire, le Breughellande: le fossoyeur Piet le Bock (Chris Merritt) gêne deux amoureux (Amanda et Amando) dans leurs ébats , quand surgit d’une tombe Nekrotzar, le Grand Macabre( Claudio Otelli) qui annonce la fin du monde prochaine; dans le caveau laissé vide, se glissent les deux amoureux, certains que là où il se dissimulent, ils ne seront gênés par personne.

Tableau2 ©Monika Rittershaus

Au deuxième tableau, Mescaline se plaint à Vénus de l’incapacité de son mari Astradamors à la satisfaire dans leurs jeux sado-masochistes, surgissent alors le Grand Macabre et Piet le Bock et le Grand Macabre s’emploie à la satisfaire en l’épuisant tellement qu’elle est laissée pour morte. Alors les compères Piet et Astradamors (extraordinaire Jens Larsen) s’unissent à Nekrotzar dans une sorte de voyage dans le pays, ils rencontrent (troisième tableau) le faible Prince Gogo, chanté par un contre ténor (Andrew Watts) flanqué de ses deux ministres en conflit , le noir (Carsten Sabrowski) )et le blanc (Tansel Akzeybek) qui ne cessent de s’insulter et de se battre (cela ne vous rappelle rien??). Le Prince qui ne pense qu’à s’empiffrer finit par renvoyer les deux ministres quand intervient le chef de la police secrète qui annonce l’arrivée du peuple et de Nekrotzar menaçant. La fin du monde est proclamée par Nekrotzar, mais enivré par Piet et Astradamors, il ne peut plus rien et la comète arrive, annonciatrice de la fin des temps.

Tableau 4©Monika Rittershaus

En réalité personne n’est mort, si tout le monde croit l’être, et le monde est dans un désordre encore plus grand: le Prince croit être le seul survivant mais est menacé par des pilleurs, Nekrotzar a échoué, mais Mescaline croit reconnaître en lui son premier mari et l’assaille, les deux ministres et le chef de la police secrète sont menacés et massacrés, Piet et Astradamors réapparaissent, Nekrotzar meurt de son échec, mais tous les autres reviennent à la vie pour chanter l’amour et la vie, quand les deux amoureux Amando et Amanda sortent de la tombe où ils s’ébattaient, pour noter que le temps a été suspendu pendant leurs ébats et glorifier la jouissance, seul remède au mal et à la mort: cette dernière viendra mais “d’ici là, aimez et vivez dans la jouissance et dans la joie”.

tableau final ©Monika Rittershaus

La mise en scène de Barrie Kosky prend au mot cet épilogue. Son travail est marqué par la question du sexe, de la mort (eros/thanatos) mais aussi celle du pouvoir, ou de(s) (la) religion(s)dans une farandole diabolique, une danse macabre éperdue où tous les excès sont permis, y compris scatologiques. Il présente la vision d’un monde en fin de vie, éperdu de jouissance et de plaisir, où plus rien n’a de sens; un de mes amis italien a confié…”une métaphore de l’Italie des vingt dernières années” on pourrait dire aussi une métaphore du monde contemporain, ayant perdu tout sens de la quête, toute valeur, vivant au jour le jour le plaisir pour le plaisir dans une progression inexorable vers la destruction: la vision de la cour du Prince Go Go a quelque chose d’un monde berlusconien, où tout est bunga bunga, où tout est orgie. Elle permet ainsi de passer en revue la liste inépuisable des dérives sexuelles, où l’imagination est sans limites dans une valse qui épuise le spectateur, avec des images puissantes (la foule poursuivant les ministres l’arrivée de la comète sur la ville) non toujours dépourvues de poésie.

Le tableau final: décor

Une mise en scène qui se permet tout, et qui trouve comme complice une troupe exceptionnelle de chanteurs acteurs: à mise en scène qui se permet tout, chanteurs qui ne se refusent rien et ne cessent de se mettre en danger, exhibant leur corps, chantant dans toutes les positions, à toutes les tessitures, et toujours avec une incroyable sûreté. Il faut bien sûr citer d’abord Jens Larsen, Astramadors travesti, qui est époustouflant d’audace, sans oublier de chanter avec précision et puissance et puis le Grand Macabre, Claudio Otelli, peut-être moins puissant vocalement, mais tellement présent, toujours couvert de sang ou de boue (figurant les excréments sortant à gros flots d’une cuvette de WC), toujours humide de quelqu’excès, Chris Merritt qui a quitté les roucoulades et acrobaties rossiniennes pour prêter sa voix qui peut encore beaucoup (des aigus étonnants, des gargouillements ébouriffés, des changements de registres qui stupéfient) à ce rôle où il est totalement convaincant (il le chante depuis quelques années régulièrement), les ministres, le jeune et talentueux Tansel Akzeybek ténor vu à Saint Etienne dans l’Elisir d’amore et aujourd’hui en troupe à Berlin et la basse Carsten Sabrowski qui finissent en caleçon et qui ne cessent de courir en scène de manière désarticulée, le couple d’amoureux (Julia Giebel et Annelie Sophie Müller) à la fois si vifs, et si émouvants, notamment dans la scène finale, le Prince contreténor Andrew Watts, très à l’aise, particulièrement en situation dans un rôle où le pouvoir est raillé avec cette voix qui semble venir d’ailleurs. J’ai été à peine moins convaincu par Michaela Lucas, mezzo soprano seulement honnête vocalement mais  totalement convaincante scéniquement;

Gepopo ©Monika Rittershaus

je laisse pour la fin l’extraordinaire Gepopo manchot de Eir Inderhaug, un soprano norvégien aux aigus hallucinants, le plus grand succès tout à fait  justifié de la soirée: voilà un nom à connaître.
Ainsi c’est d’abord le triomphe d’une troupe, totalement engagée, totalement à l’aise et rodée, et faite de chanteurs totalement habitués à travailler ensemble, ce qui favorise l’engagement scénique et tous ses possibles. Une troupe de qualité aussi, il n’y a pas de voix en difficulté, pas de chanteurs qui trichent, tous s’exposent et tous sont excellents.
Enfin le triomphe d’un orchestre mené avec une grande précision et un sens aigu du texte musical, avec ses excès, son ironie sarcastique, son humour par un jeune chef né en Suisse, Baldur Brönniman. J’ai souvent écrit que les chefs de la Komische Oper finissaient souvent en haut de l’affiche, que des Kirill Petrenko, Patrick Lange faisaient maintenant une carrière, que d’autres comme Henrik Nánási le GMD commençaient à se faire entendre (à Londres, à Francfort), eh bien Baldur Brönnimann est un chef de cette trempe, qui fascine par la qualité du travail mené, par la manière dont il suit le plateau et dont il travaille sur l’homogénéité musicale malgré la foire qui règne sur la scène: tout est net, tout est parfaitement en place, tout est spectaculaire dans ce travail où l’orchestre est disposé en fosse, sur scène quelquefois, sur les côtés de l’orchestre et au premier balcon: les dernirèes mesures sont d’une indicible beauté.  Un rendu impeccable dans la défense de l’œuvre, et au total une soirée (de répertoire!) exceptionnelle, à des prix berlinois, soit plus de 50% inférieurs à ceux pratiqués à Paris.
Paris, oui Paris incapable aujourd’hui d’offrir sur deux jours très ordinaires des spectacles de cette trempe, Paris qui n’ose rien,  qui a peur de tout, qui n’est plus une capitale pour la musique, qui n’est plus une capitale pour le théâtre, qui n’est plus capable en terme de spectacle vivant que de rimer avec rabougri.
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STAATSOPER BERLIN 2012-2013: DER FLIEGENDE HOLLÄNDER de Richard WAGNER le 16 MAI 2013 (Dir.mus: Daniel HARDING, Mise en scène: PHILIPP STÖLZL)

Acte I début ©Matthias Baus

Tout est complet à la Staatsoper am Schiller Theater pour ce Fliegende Holländer. Le bouche à oreille a fonctionné et le public très détendu arrive en masse, en cette soirée ensoleillée dès 18h30,  et mange qui son bretzel, qui son sandwich, qui son cornet de glace. Beaucoup de jeunes, des classes (dont une française), en bref, un public habituel pour Berlin. La production (venue de Bâle, l’un des meilleurs théâtres de l’aire germanique) est signée Philipp Stölzl, qui n’a pas participé à cette reprise (signée Mara Kurotschka), mais à qui l’on doit à la Deutsche Oper un très beau Rienzi et un beau Parsifal, la direction musicale a été confiée à Daniel Harding, qui n’est pas le premier venu, et le Hollandais est chanté par Michael Volle: trois arguments qui plaident pour le spectacle. La presse a en général été très positive voire enthousiaste et le public a répondu présent.
La mise en scène de Philipp Stölzl est une variation intimiste sur la très fameuse mise en scène de Harry Kupfer à Bayreuth qu’on peut voir en DVD et qui reste jusqu’ici pour cette œuvre la référence non encore détrônée. Elle part exactement du même postulat (exploré d’une manière un peu différente par Claus Guth, toujours à Bayreuth ou par Homoki à la Scala et à Zürich) à savoir que c’est Senta qui est au centre de l’œuvre, et qui fait surgir toute l’histoire de son monde fantasmatique. Elle reste donc en scène pendant tout l’opéra (joué naturellement sans entractes) et rêve toute l’histoire comme si c’était sa propre histoire avec le Hollandais.
Ce qui frappe, c’est que Stölzl utilise les mêmes ressorts, voire les même gestes de Kupfer, en les réadaptant au contexte. Kupfer avait situé l’action pendant la nuit nordique, dans un petit port du côté d’Hammerfest et dans un dialogue permanent entre intérieur et extérieur (avec des changements de décor “à la seconde” tout à fait étonnants), Stölzl la situe dans l’atmosphère confinée et vaguement étouffante d’une grande bibliothèque  bourgeoise,  écrasée par une immense “marine”. Senta, la fille de la maison, s’est construit un monde dans les livres et serre contre elle le livre de l’histoire du Hollandais, tout comme la Senta de Kupfer en serrait contre son cœur le portrait. Daland n’est plus un marin, mais un père de famille bourgeois qui “place” sa fille auprès d’un riche vieillard : exactement comme chez Kupfer on va passer du réel au fantasmé tout au long du déroulement de l’histoire, jusqu’à ce que les deux se rejoignent dans la catastrophe finale (chez Stölzl, Senta s’égorge, chez Kupfer, elle se jette par la fenêtre): c’est donc fondamentalement le même propos et les mêmes procédés. la variation porte sur le contexte, la nature des images, et l’analyse de Stölzl qui fouille  la critique de l’éducation et du confinement des filles de la bourgeoisie du XIXème, qu’il voit comme moteur de la dérive psychiatrique de Senta:  il  fait de cet exemple de bovarysme aigu une analyse à la Flaubert .
Car c’est là la différence avec Kupfer qui avait beaucoup plus travaillé à la fois sur le spectaculaire et sur l’isolement de ces petites villes nordiques, choisies en référence à la tempête essuyée par Wagner qui avait inspiré son Vaisseau. Ici, c’est la fille de famille bourgeoise, étouffée sous les contraintes, qui s’en échappe par les livres qu’elle a sous la main: Stölzl soigne particulièrement les allers et retours du rêve à la réalité,et souligne une réalité d’abord pathétique, notamment par le personnage d’Erik, ici particulièrement bien traité, en tout cas plus clairement que chez Homoki à la Scala; c’est un jeune homme bien sous tous rapports, amoureux, et en même temps totalement hermétique à l’histoire que vit Senta et donc incapable de rétablir une normalité dans ses comportements, et une réalité sordide aussi: Senta est vendue à un vieillard riche. Le père (un Daland qui ne serait pas marin), applique les lois du mariage d’alors: une alliance économique. Et dans l’espace réel, ce vieillard ne fait quasiment que dormir affalé sur le canapé, une image proprement insupportable à la jeune Senta qui finira par le tuer d’un coup de bouteille.  Kupfer avait proposé la même situation, mais le futur mari était dans l’ombre et on avait seulement entraperçu la transaction.

Scène initiale du fantasme ©Matthias Baus

Senta dans son fantasme au départ confond Daland, son père, et le Hollandais, qui apparaît dans le fauteuil même où Daland s’était assis (sans qu’on voit le changement, très bien fait) tous sortis du tableau central dans le décor. Excellente idée d’ailleurs que de faire de ce tableau le lieu même du fantasme, car il permet tous les montages, et, comme dans une montée d’images il permet toutes les images et superpositions d’images. Le duo du 2ème acte entre le Hollandais et Senta est à ce titre une très grande réussite, scénique et aussi, on le verra, musicale:

Acte II, le duo en abyme ©Matthias Baus

Senta seule dans son salon se projette avec le Hollandais, dans le tableau qui lui-même figure le  salon,  en robe blanche allant vers lui; les gestes de Senta et de son double étant parfaitement synchronisés, ce qui offre vraiment une image troublante, frappante, marquante. Puis le tableau dans le tableau s’ouvre à son tour pour offrir le même décor, mais avec  le tableau montrant un ciel étoilé qui projette cet avenir stellaire rêvé par l’héroïne (là où Kupfer en un tableau époustouflant montrait le couple aller au cœur d’un vaisseau-fleur): cette succession de tableaux enchâssés du salon en abyme donne un aspect incontestablement magique à la scène, qui tranche avec la scène précédente des fileuses (qui sont des femmes de chambre dans la réalité vue par le metteur en scène) et qui donnait de l’isolement de Senta une image d’une inédite cruauté, où les femmes de chambre bavardent comme on bavarde sur les maîtres à l’office.

Acte III, la fête ©Matthias Baus

Comme chez Kupfer, la fête du 3ème acte est celle des noces de Senta avec son vieillard et tous y sont ivres, y compris Senta qui rêve le mélange des noceurs et des marins du vaisseau fantôme: elle entre sur scène une bouteille à la main, dont elle finira par frapper dans sa schizophrénie et le vieillard et Erik, qui lui est arrivé une valise à la main, posant une lettre d’adieu sur une table: en bref, les éléments d’un drame bourgeois.

Erik et Senta ©Matthias Baus

La scène est dominée par un moment de forte intensité dramatique, quand Senta, pour échapper aux lamentations d’Erik se dissimule sous la table recouverte d’une nappe blanche, Erik allongé sur la table lui parle mais Senta en sort de l’autre côté sans qu’Erik ne la voie, il parle ainsi dans le vide à une Senta qui est sortie, et qui, prise dans une sorte de rêve dans le rêve, le recouvre de la nappe devenu drap et se love à côté de lui comme dans un lit, moment d’une rare intensité interrompu par la violence de l’appel du Hollandais, qui ramène Senta à son premier fantasme et qui provoquera ensuite son agressivité contre le vieillard son “fiancé” et contre Erik.

Scène finale ©Matthias Baus

Prise au piège de tous qui cherchent à la calmer, elle s’échappe, saisit le goulot de la bouteille cassée et s’en égorge. Elle s’écroule, et Erik et Daland se penchent la jeune fille, au cou dégoulinant de sang. Rideau.

 

 

Dans l’ambiance confinée du Schiller Theater, la violence de la mise en scène, construite sur l’idée du confinement, est exaltée par dans un rapport scène-salle de grande proximité, qui accentue évidemment l’effet sur le spectateur. Mais alors que ce rapport de proximité sert la mise en scène, il dessert la musique et notamment l’orchestre, enfoncé dans une fosse très profonde (on ne voit rien, même pas le chef), mais en même temps très présent avec une acoustique d’une grande sécheresse sans réverbération aucune, qui donne une couleur qui n’est peut-être pas celle voulue par le chef, mais qui révèle aussi les problèmes techniques de certains pupitres (les cuivres, et dans une moindre mesure les bois): la lecture de la direction musicale peut en souffrir alors que j’ai trouvé l’approche de Daniel Harding passionnante, à la fois très dynamique et haletante, d’une grande précision analytique, avec des moments sublimes (le duo de l’acte II est un des moments les plus réussis, et l’un des plus beaux jamais entendus pour ma part), où Harding suit  avec une attention incroyable chaque note, chaque inflexion des chanteurs, et “surfe” littéralement sur la musique. Bouleversant.
Cette direction très attentive, au souffle dramatique intense, accompagne une compagnie de chanteurs très homogène qui ne démérite jamais, du Steuermann (l’excellent Peter Sonn, déjà remarqué à Zürich) au Hollandais.
Tobias Schabel est un jeune baryton-basse en troupe à la Staatsoper Berlin, sa voix est claire, juste, bien posée, il manque un peu de noirceur dans le personnage de Daland mais dans l’ensemble la prestation est largement satisfaisante.
Erik est chanté par Stephan Rügamer, remarqué à la Scala dans Loge et en troupe à la Staatsoper. Il remplace (avantageusement) Franz von Aken. Voix claire, excellente diction, mais surtout grande intensité, et beau sens de l’interprétation: il est l’un des Erik les plus émouvants vus ces dernières années et il remporte un succès justifié.

Mary (Simone Schröder) ©Matthias Baus

Simone Schröder est une Mary plus intéressante vocalement que d’ordinaire. On la voit régulièrement à Bayreuth depuis une quinzaine d’années. La voix est affirmée, le personnage juste, on n’en demande pas plus pour Mary, même si la mise en scène a tendance à l’effacer dans le groupe des femmes de chambre.
Emma Vetter est Senta; on l’a entendue dans Gutrune à Salzbourg. C’est une soprano suédoise qui entame une carrière de soprano dramatique à l’instar des grands exemples suédois récents, comme Nina Stemme ou Irene Theorin. La voix est assez métallique dans l’ensemble, notamment au niveau des aigus ce qui gêne un peu dans la ballade. Le duo avec le Hollandais est en revanche souverain et le chant rejoint l’interprétation  dans la dernière partie, c’est remarquable: jolie surprise; une chanteuse à suivre.

Le monologue initial ©Matthias Baus

Enfin, last but not least, Michael Volle, très attendu dans ce rôle. Michael Volle a une science de la diction qui laisse rêveur, chaque mot s’entend et se comprend, et la voix est dotée d’un timbre suave, qui n’est pas sans rappeler celui de Theo Adam. Cette douceur vocale, doublée d’un contrôle des volumes et d’un art de la couleur peu commun fait de son Hollandais l’un des plus convaincants, musicalement et scéniquement: l’interprète est  exceptionnel, son  chant intelligent;  il l’a aussi montré dans d’autres rôles, mais celui-ci lui convient tout particulièrement. Son monologue initial est d’une rare tension, et son duo avec Senta au 2ème acte inoubliable.
En conclusion, on ne peut s’étonner du succès d’une production musicalement solide, bien chantée, scéniquement convaincante par son “classicisme” intelligent. Classicisme parce que désormais il est traditionnel d’orienter la mise en scène du Vaisseau sur le point de vue de Senta; mais en travaillant la morale bourgeoise du XIXème, en en faisant un récit à la Flaubert ou à la Maupassant, Stölzl fait de l’œuvre un vrai récit littéraire qui répond à cette question qui  taraude la littérature de l’époque,  ” A quoi rêvent les jeunes filles?”
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Les saluts en ce 16 mai 2013

 

OPÉRA DE LYON 2012-2013 : CAPRICCIO de Richard STRAUSS le 11 MAI 2013 (Dir.mus: Bernhard KONTARSKY, mise en scène: David MARTON)

Le décor © Jean-Pierre Maurin

Capriccio n’est pas le moins connu des opéras de Strauss, mais point non plus des plus populaires et ce n’est que depuis ces dernières années qu’on commence à le revoir sur les scènes européennes. Ma première fois fut à Bologne, dans une très belle mise en scène de Luca Ronconi, en version italienne avec Raina Kabaivanska et dirigé par…Christian Thielemann en état de grâce, à l’époque où il était un espoir de la baguette. Imaginer Thielemann diriger en italien un Strauss avec la Kabaivanska (qui a l’époque chantait, en italien aussi, Janacek – l’Affaire Makropoulos – toujours avec Ronconi, mais à Turin), cela ne laisse d’étonner; mais c’est ainsi, et c’était ma foi très beau, d’autant que  Luca Ronconi , qui est rappelons-le, l’un des plus grands metteurs en scènes de la fin du XXème siècle (Orlando Furioso aux Halles Baltard, Orestie à la Sorbonne, Les derniers jours de l’humanité au Lingotto de Turin etc.. etc..) s’y entend en matière de théâtre dans le théâtre.
J’ai aussi vu une production de Marco Arturo Marelli à la Staatsoper de Vienne, assez jolie, mais très illustrative dans un joli décor transparent,  avec Renée Fleming et une excellente distribution (Hawlata, Eröd, Kirschlager), dirigée par Philippe Jordan avant son arrivée à Paris.  J’ai renoncé à la  dernière production parisienne, parce que Robert Carsen en déclinaison multiple me fatigue désormais, et que je n’ai pas de particulière attirance pour la pâle Michaela Kaune en Madeleine et malgré une distribution par ailleurs bien construite.

Le livret est signé Clemens Krauss et Richard Strauss, et la création a eu lieu en novembre 1942 à Munich, avec Viorica Ursuleac, l’épouse de Clemens Krauss.
L’action de cette “conversation en musique” consiste en une discussion passionnée où le poète Olivier et le musicien Flamand discutent et disputent au moment de la polémique entre Piccinistes et Gluckistes devant un directeur d’opéra qui prône avant tout “le spectacle”. La Comtesse arbitre entre l’un (Olivier) qui défend la suprématie des paroles dans l’opéra et l’autre (Flamand) qui défend celle de la musique. et en même temps essaie de choisir entre l’amour de l’un et l’amour de l’autre. Rien ne sera décidé à la fin, sinon de faire un opéra sur la discussion passionnée qui s’est développée.
L’œuvre, considérée comme une sorte de testament de Strauss, qui pose la question irrésolue des paroles et de la musique,  mais surtout celle du théâtre et de l’opéra est une grande réussite, qui rappelle par certains aspects Ariane à Naxos; certains la trouvent  longuette, sans intérêt sinon pour la scène finale: de fait, il faut une certaine maestria pour éveiller l’intérêt du public autour d’une conversation aussi théorique et remuant tous les débats autour de l’opéra, après Wagner, Debussy et Berg. Mais, et après la représentation de Lyon encore plus, Capriccio tient la distance et en dépit de quelques spectateurs (deux ou trois) sortis avant la fin, le public présent, rempli de jeunes comme d’habitude, et notamment en ce week-end de “Tous à l’Opéra”, a fait un bel accueil à la production.
D’ailleurs, la salle de Lyon convient bien à cette œuvre relativement intimiste, par son rapport rapproché à la scène, par son ambiance noir, rouge et or, qui souligne aussi les couleurs de l’opéra.
Au théâtre, dans les constructions en abyme se pose immédiatement la question de la place du spectateur et du point de vue qu’on lui assigne. La lampe initiale, descendue des cintres pendant que l’orchestre joue le sextuor qui sert d’ouverture et qui rappelle tant les premières mesures d’Ariane à Naxos, donne une manière de réponse. Le public est part du jeu, et ce à quoi il va assister est bien la re-présentation de Capriccio, c’est à dire l’opéra composé pour l’anniversaire de Madeleine, et non sa genèse. Et dès le lever de rideau, le décor monumental et magnifique du danois Christian Friedländer installe la représentation dans toute sa complexité: un théâtre en coupe (inspiré par la maquette du Palais Garnier au Musée d’Orsay),  comme on en voit dans les manuels d’architecture du XVIIIème, salle, fosse, loges, scènes, coulisses et dessous, permettant de jouer, éclairages aidant, sur les fonctions de chaque lieu, sur le sens des regroupements, sur scène, derrière la scène, sous la scène, dans la salle, dans les loges dans une sorte de faux réalisme ou d’hyperréalisme fantasmé.
Toute la mise en scène de David Marton, metteur en scène hongrois de 37 ans installé à Berlin , qui est aussi musicien, est un travail sur la représentation et ses ambigüités, ses aspects spéculaires, mais aussi sur le contexte de la création de l’œuvre, en pleine guerre, en 1942, et sur l’apparente vacuité du débat qui agite le petit cénacle quand la barbarie s’étend sur l’Europe.
Le théâtre permet un jeu sur les époques, la Comtesse et le Comte sont en habits XVIIIème, pendant que les acteurs et les autres personnages sont en habits contemporains (de 1942): qui dès lors est en représentation? Ceux qui font le débat ou ceux qui y assistent? La comtesse ou le comte (frère et sœur d’une singulière familiarité, presque un couple) ou les autres? C’est qu’au théâtre, les choses se mélangent, les temps se mélangent et tout est en suspens:  toute question y reste  sans réponse.
Beaucoup de jeu spéculaire aussi entre Flamand et Olivier: le rideau s’ouvre comme s’ils se regardaient au miroir, même gestes symétriques, mêmes attitudes… un jeu qui se reproduira avec Madeleine et son double vieilli dans la scène finale qui rappelle un peu la Maréchale du Rosenkavalier se regardant vieillir. Encore une fois, pas de temps dilaté au théâtre, mais un temps concentré, ou suspendu, comme ces trois danseuses qu’on voit tour à tour surgir aux trois âges de la vie (magnifique moment), et tout  espace est espace de théâtre, comme lorsque Flamand sur scène déclare sa flamme en représentation au serviteur venu porter le chocolat, assis sur la bergère, comme si le serviteur figurait la comtesse alors qu’il est en train de se déclarer et donc qu’il est théoriquement dans l’absolue sincérité, et dans l’expression la plus directe.
Les spectateurs que nous sommes avons œil sur tous les espaces, devant et derrière les rideaux (des bandes clinquantes écarlates). Si l’action est en salle,  sur scène des personnages s’activent en coulisse ou se font contrôler et enregistrer derrière un paravent ou s’éloignent en cortège entre deux rideaux.

Conversation..en salle © Jean-Pierre Maurin

Dans la salle, les personnages eux-mêmes s’organisent en groupe selon les besoins ou les significations: assis dans les gradins, ou disposés en cercle face au public pour discuter “hors jeu” ou occupant les places dans la fosse, la place du chef étant la plus ambitionnée.
Et l’action des personnages sur scène s’accompagne toujours de mise en représentation, la table du buffet est une somptueuse table de théâtre, on s’assied pour discuter et l’on est bientôt entouré de plantes qui composent comme un tableau.

Conversation…en scène © Jean-Pierre Maurin

Et tous les arts sont convoqués, la poésie par ses moments parlés, la musique avec le beau moment de musique de chambre initial, mais Olivier l’écrivain joue aussi du violon (la mise en scène profitant de la formation d’alto du chanteur Lauri Vasar qui joue vraiment), la danse aussi dont on ne débat pas, mais qui place le corps au centre et qui ne peut vivre sans la musique: tout est motif pour mélanger les genres, pour montrer que le théâtre est le lieu de tous les possibles et surtout lieu de synthèse..
Le fait même que le décor ne soit pas un théâtre, mais une maquette de théâtre, bien inscrite dans le temps et s’insérant dans l’espace très contemporain de l’opéra de Lyon renvoie les personnages eux-mêmes à l’état d’automates, ou de figurines telles qu’on en voit dans les maquettes: on est bien dans une représentation d’images.
Enfin, évoquant l’époque sans appuyer, David Marton fait du souffleur, Monsieur Taupe (le bien nommé) une sorte de regard presque extérieur, l’espion (de la Gestapo?), celui qui, invisible, fait,  avec son petit bloc notes, de l’ensemble un objet à consigner, de chacun un être à surveiller; alors regarde-t-on aussi autrement ces personnages qui apparaissent et disparaissent des loges, ces regards discrets-indiscrets qui en silence, observent ce qui se construit: faire un opéra en 1942 n’est pas vraiment ordinaire, et les sorties de La Roche sur la notion de spectacle, les allusions dans les lettres de Strauss sur l’opérette à la Lehar, c’est à dire sur les manières d’endormir l’esprit le public ne peuvent être des hasards.
Enfin, on sent par ailleurs que David Marton a été à l’école de Frank Carstorf, quand il insère çà ou là des moments suspendus, comme des incises (passage de la jeune danseuse qui sautille en marmonnant une sorte de comptine) ou quand il se plaint dans une interview (au Progrès de Lyon) de ne pas pouvoir intervenir sur la musique. Mais ce travail reste très scrupuleux dans la manière de suivre la musique et de souligner combien les formes multiples de jeu accompagnent la forme musicale qui elle-même essaie de revenir sur toutes les formes utilisées dans l’opéra en général et dans les opéras de Strauss en particulier: on a des ensembles, des airs, des trios, des moments a capella, des “concertati” notamment à la fin, et de plus en plus nombreux, qui miment l’agitation de la discussion, on a aussi l’intervention du chant italien, comme dans Rosenkavalier, avec ses ornements et sa manière de cultiver la forme pour la forme avec les excellents Elena Galitskaya (vraiment remarquable) et le jeune Dmitry Ivanchey, c’est à dire un florilège puisant dans toute la tradition lyrique.Par ailleurs comment dans cette conversation en musique ne pas voir l’influence des approches nouvelles de l’opéra au XXème et  de l’école de Vienne. On entend bien sûr tout le parcours de Strauss, mais aussi de manière incidente, on entend Meistersinger,  tout le débat wagnérien et partant tous les débats musicaux du début du siècle. On joue en permanence avec l’histoire du genre, comme pour un bilan en forme de point final.
Alors oui, on est bien face à une œuvre complexe, qui pose un problème presque irrésolu à l’opéra: comment représenter  la philosophie ou l’abstraction dans un art où l’émotion naît de l’expression directe des sentiments, où la simplification des caractères est presque un donné initial. David Marton a réussi à combiner les deux, en faisant vivre le théâtre, en variant les approches, en travaillant avec beaucoup d’attention sur les personnages, en glissant des moments désopilants comme par exemple les chanteurs italiens se goinfrant sur la table des friandises dès que leur air acrobatique (et tragique) est terminé, ou en variant l’espace de jeu: l’un des moments les plus réussis est à ce titre la discussion qui peut à peu noie les personnages dans la verdure des plantes apportées au fur et à mesure pour composer sur scène une sorte de jardin d’hiver qui à la fois prépare la scène finale, et dans lequel les domestiques commentent ce qui vient de se passer. La philosophie étouffée dans le décor, noyée dans une nature  composée, renvoyée à l’artifice qui est la vérité du théâtre.

Emily Magee dans la scène finale © Jean-Pierre Maurin

Car toute la dernière scène (si fameuse et si attendue) fait  de ce décor un espace totalement onirique, avec sa scène devenue jardin d’hiver, son théâtre éclairé par la lune et une comtesse vêtue d’un habit d’intérieur doré (qu’un film américain de l’époque ne démentirait pas), comme un personnage hors temps, comme transfigurée, comme une vraie tenue “de scène”, qui va entrer en théâtre plutôt qu’entrer en vie.
Car l’intrigue amoureuse, présente pour essayer de donner vie et souffle au débat théorique, métaphore du choix entre parole et musique, ne va pas se résoudre, bien que la Comtesse, penche probablement pour la musique, malgré la beauté des vers d’Olivier (qui sont en réalité de Ronsard, Continuation des Amours 121). Mais peut-on mettre en parallèle les choix de vie que sont les choix de l’amour et les choix intellectuels ou artistiques ?
L’art lyrique, qui est tresse dialectique infinie des paroles et de la musique n’est pas un non choix, c’est une synthèse supérieure qui va se projeter dans un autre espace figuré par la scène finale, la seule vraie scène d’opéra de l’œuvre, comme si l’opéra naissait d’un constat aporétique, d’une impossibilité structurelle de dire qui domine qui.
Ce débat là, la comtesse le résout au niveau personnel en devenant “personnage d’opéra”, qui voit défiler sa vie figurée par ces trois danseuses, la très jeune qui s’exerce, la danseuse qui dans une loge se fait servir le chocolat comme la comtesse au début de l’œuvre, et la plus vieille qui dirige seule la musique (tout comme on a vu aussi la comtesse) dans une salle vide,  pour l’éternité,  avec au dessus-d’elle la fidèle lampe de théâtre qui éclairait le début du spectacle, un personnage d’opéra qui entre au pays de l’art, des synthèses, de la transfiguration et qui décide de ne pas choisir,  tout choix étant décision strictement humaine.
A ce travail exceptionnel, tout en finesse et en intelligence, avec un sens accompli du geste théâtral , et qui nous fait découvrir un autre metteur en scène hongrois de poids après Arpad Schilling, correspond une distribution solide et particulièrement engagée aux côtés du metteur en scène et de son propos.

Victor von Halem © Jean-Pierre Maurin

La basse Victor von Halem, 73 ans, a parcouru les quarante dernières années du siècle aux côtés des plus grands chefs, à commencer par Karajan, il fut une basse de référence sans être une star. On l’a vu dans tous les grands théâtres d’Europe. Les voix de basse résistent mieux au temps que les autres types vocaux. Par ailleurs, La Roche est un de ces personnages qui exigent d’abord une présence, un jeu, une personnalité, comme le montre son grand monologue-plaidoyer de la scène IX “holà, ihr Streiter in Apoll!”. Incontestablement, la voix est fatiguée, aigus difficiles, quelques moments opaques, mais l’énergie est intacte, la profondeur encore impressionnante, et surtout, un sens du phrasé particulièrement aigu. A Vienne, c’était Franz Hawlata qui aura tous les défauts du monde, sauf que c’est un acteur, un diseur exceptionnel pour un rôle qui n’est pas sans rappeler par certains aspects Hans Sachs. Grand moment de théâtre, grand moment d’admiration pour un chanteur qui fut l’un des piliers du théâtre lyrique.
Le comte de Christoph Pohl est très fluide, très engagé, très présent aussi. Ce baryton, rompu au travail  de troupe (il appartient à l’ensemble du Semperoper) présente des qualités théâtrales de diction notables et un beau timbre. Et dans cette “conversation”, la diction est primordiale.
Michaela Selinger est un mezzo qui a travaillé tous les grands rôles de mezzo et de travesti du répertoire allemand, d’Orlofsky à Oktavian. On remarque immédiatement à la fois sa présence vocale et la qualité de la diction, elle compose une Clairon d’une grande justesse, et montre une belle personnalité scénique.
Lothar Odinius (Flamand) est un ténor peut-être moins à l’aise en scène, un peu raide, plus distant, mais admirable de justesse et d’élégance dans le chant. Je l’avais déjà remarqué à Bayreuth dans Tannhäuser (où il chantait remarquablement Walther von der Vogelweide): diction impeccable, voire modèle, technique et contrôle sur la voix sans reproches, aigus bien préparés et sûrs. Voilà un ténor qui est un Belmonte, un Tamino et sûrement un futur Lohengrin: c’est pour ma part avec l’Olivier de Lauri Vasar, le plus convaincant du plateau.
Justement, Lauri Vasar est une vraie découverte, après son magnifique Prigioniero le mois dernier. C’est un musicien (c’est d’ailleurs un altiste confirmé), doué d’une belle musicalité et d’un sens marqué du phrasé , son engagement scénique, sa présence en tant que personnage, sa manière de diffuser l’émotion, mais aussi sa diction et son expressivité en font un authentique espoir du chant. Remarquable.
Comme dans les bonnes maisons d’opéra, un soin est apporté aux rôles moins importants, tous très bien tenus: on a évoqué les chanteurs italiens plus haut, il faut aussi nommer le majordome de Christian Oldenburg, à la voix chaude et contrôlée.
Reste Emily Magee. Inutile de partir dans des comparaisons hasardeuses dans un rôle qui fut d’Elisabeth Schwartzkopf et de Gundula Janowitz. Emily Magee est aujourd’hui une des  chanteuses qu’on voit sur toutes les grandes scènes, on l’ a vue aussi à Bayreuth, et c’est une chance que l’Opéra de Lyon ait pu l’engager pour ce Capriccio où elle ne démérite pas sans être exceptionnelle.
Je me souviens de son engagement dans l’Impératrice de Die Frau ohne Schatten à la Scala, mais aussi des limites d’une voix qu’on perçoit ici, avec des aigus tirés proches du cri, des stridences et une voix sans la rondeur voulue pour le rôle. On aime dans Strauss, non les voix dites “crémeuses” (expression détestable) à la Fleming (qui reste une très belle Madeleine), mais tout en étant énergiques, plus lyriques, plus rondes, plus charmeuses. Rien de cela ici: la voix reste un peu métallique et trop tendue, et ne réussit pas à instiller le charme inhérent à toute héroïne straussienne. Il faut attendre Anja Harteros, la Maréchale d’aujourd’hui, dans un rôle qui devrait lui aller comme un gant.
Malgré cette déception, Emily Magee compose un personnage très juste, très vif, très présent, ce qui compense un peu les problèmes du chant.
Du point de vue de la direction musicale, Bernard Kontarsky n’en peut mais d’une acoustique lyonnaise toujours sèche, qui ne convient jamais aux épanchements lyriques. Sa direction est analytique, elle est celle d’un expert du répertoire de cette époque, de Berg à Schoenberg, en passant par Hindemith. C’est très réussi au départ, lors du sextuor initial d’une grande clarté, c’est moins réussi dans la partie finale, où l’on demande peut-être à l’orchestre moins d’aspérités et plus d’épaisseur, de douceur et de lyrisme. A ce niveau, on a l’impression que la voix d’Emily Magee et l’orchestre de Bernard Kontarsky ont les mêmes qualités et défauts. Il reste que le son obtenu n’est pas toujours ce qu’on attend dans Strauss, même si la prestation d’ensemble reste honorable, particulièrement dans les parties d’ensemble de conversation les plus agitées, où l’accompagnement orchestral est particulièrement vif et attentif.
Au total, on ne peut que conseiller d’aller voir ce spectacle, qui est une pierre miliaire en matière de réalisation théâtrale et qui est particulièrement bien préparé musicalement avec une compagnie de qualité, très homogène et engagée. Cette production va aller à Bruxelles puisqu’il y a coproduction, mais on aimerait qu’elle revienne à Lyon et qu’elle soit reprise, elle est encore une preuve que c’est avec justice que Lyon a été classé par le jury des Opéras Awards parmi les 4 meilleurs opéras du monde. [wpsr_facebook]

Saluts

 

 

 

ROYAL OPERA HOUSE (COVENT GARDEN) et ENGLISH NATIONAL OPERA (LONDRES) 2013-2014: LES NOUVELLES SAISONS

La salle du Royal Opera House

La vie de l’opéra à Londres est riche, deux grandes scènes et de nombreuses petites compagnies, qui offrent à des jeunes chefs l’occasion de faire grandir leur répertoire (il en fut ainsi pour le jeune italien Daniele Rustioni qui rappelle à chaque interview combien ce système lui a permis d’élargir son répertoire). Les deux grandes scènes, le ROH (Royal Opera House Covent Garden) et l’ENO (English National Opera au London Coliseum) se partagent le marché, l’une est la scène officielle, l’opéra royal, la référence, et l’autre la scène plus populaire, présentant tous les ses opéras en langue anglaise, mais aussi osant scéniquement ce que le ROH  n’ose pas. L’une lance et ose metteurs en scènes, chanteurs, chefs, l’autre consacre. Le jeu est bien huilé, et ma foi, c’est une réussite qui dure depuis très longtemps.

Royal Opera House Covent Garden

Les managers passent, les années passent, les décennies passent et Covent Garden est un théâtre d’une remarquable stabilité. Ce fut le premier opéra étranger que je visitai, à 21 ou 22 ans, tout jeune fan, pour aller voir la star des basses, Nicolai Ghiaurov, dans Boris Godunov (j’en profitai pour aller voir une autre star mythique de mon enfance, Ingrid Bergman dans une pièce de théâtre de Somerset Maugham, The constant wife): Londres à l’époque n’était pas vue par le monde comme la capitale de la City, mais la capitale de l’alternatif,  de toutes les modes du jour, notamment vestimentaires, et tout y était moins cher, les disques, les hôtels, la nourriture: bref, tout a changé.
Pas Covent Garden, ni la vie musicale londonienne qui reste toujours une référence, avec ses orchestres, ses salles de concerts variées, Barbican, Royal Albert Hall, QEH (Queen Elizabeth Hall), ses opéras. Je me souviens de virées aux Proms de Covent Garden, où les fauteuils d’orchestre étaient enlevés, où le public après 6 ou 7 h de queue s’installait sur la moquette pour 2£ et pour voir par exemple tous les Mozart dirigés par le regretté Sir Colin Davis avec Kiri Te Kanawa dont tous les mélomanes parisiens étaient amoureux!
Alors un regard vers Londres, que je ne fréquente plus avec constance (I’m not a constant Wanderer), un retour vers Londres s’impose, car les saisons sont tout de même séduisantes et passer le Channel n’est plus un problème, on peut même, avec un peu de chance, faire un aller et retour dans la journée avec l’Eurostar.

Sept nouvelles productions sur une grosse vingtaine de titres sur la scène principale, et des productions plus expérimentales dans  la salle toute proche du Linbury Studio Theatre.
La saison, dit Kasper Holten, le directeur du ROH, célèbrera Verdi avec une nouvelle production des Vêpres Siciliennes en français (Stephan Herheim) et Wagner par une nouvelle production de Parsifal. A Londres comme ailleurs, quelques chefs de premier plan (Antonio Pappano, directeur musical, Andris Nelsons, John Eliott Gardiner Semyon Bychkov et Sir Simon Rattle) mais plutôt de bon chefs d’opéra qu’on voit un peu partout, mais qui ne sont pas encore des références (comme Bertrand De Billy, Nicola Luisotti ou Maurizio Benini), ou des jeunes qui montent (Cornelius Meister, Henrik Nánási, Dan Ettinger, Teodor Currentzis). Des choix bien plus ouverts qu’à Paris par exemple.
Tout commence en septembre (8 repr.), février, mars par une reprise de Turandot, dirigée en septembre par Henrik Nánási (tiens tiens, le tout nouveau directeur musical de la Komische Oper de Berlin) et Nicola Luisotti en février-mars (7 repr.) avec Lise Lindstrom (sept) / Iréne Theorin (février-mars), Marco Berti (sept) / Alfred Kim (février-mars) et la Liù de Eri Nakamura (sept.) et Ailyn Pérez (février-mars). Une reprise sans intérêt majeur, sinon la curiosité du chef Henrik Nánási (il faut toujours s’intéresser aux chefs émergents, en particulier s’ils officient ordinairement à la Komische Oper de Berlin, Kirill Petrenko et Patrick Lange en viennent).
Autre reprise d’automne, Le Nozze di Figaro, mise en scène David McVicar, direction John Eliott Gardiner (8 représentations en septembre et octobre) et NN en Mai (4 représentations qui devaient être dirigées par Sir Colin Davis) avec deux distributions très différentes, respectivement en automne et en mai: Luca Pisaroni  / Alex Esposito (Figaro), les meilleurs Figaro du moment (avec Vito Priante), Lucy Crowe / Camilla Tilling (Susanna), Christopher Maltman / Gerald Finley (Il Conte), Rebecca Evans / Sally Matthews (La Contessa). Des distributions solides, assez attendues, avec un Conte de Christopher Maltman à considérer en automne. Rien d’exceptionnel, mais du solide.
Toujours en septembre et octobre, une reprise qui devrait intéresser: 6 représentations d’Elektra de Strauss, mise en scène de Charles Edwards, mais surtout direction d’Andris Nelsons, avec l’Elektra de Christine Goerke, Adrianne Pieczonka en Chrysothemis, la Klytämnestra de Michaela Schuster, et Iain Paterson (Orest) et John Daszak en Ägisth. Vaudra le channel, pour Andris Nelsons surtout.
Première nouvelle production de l’année, en octobre novembre et pour 8 représentations dont le 4 novembre dans les cinémas, Les Vêpres Siciliennes en version originale française de 1855, y compris le ballet (la représentation durera 4h30 minutes). Les dernières années, on a vu Les Vêpres Siciliennes à Genève, à Amsterdam, à Francfort, maintenant à Londres, bientôt à Copenhague, mais pas à Paris, dont le directeur-devait-relancer le-chant-français. La direction musicale est assurée par Antonio Pappano et la mise en scène par Stephan Herheim: avant même de considérer la distribution, il faut y aller; et cela se confirme presque au vu de la distribution, Bryan Hymel (Henri), l’Enée des Troyens qui remplaça Kaufmann, Marina Poplavskaia (Hélène), Michael Volle en Montfort et Erwin Schrott en Procida (là je doute, et pour le style, et pour la voix, et pour la prononciation). Mais on viendra, évidemment. On ne peut manquer un tel événement.
Pour 5 représentations (31 octobre-15 novembre), le ROH reprend Wozzeck dans la mise en scène de Keith Warner et une très belle distribution: Simon Keenlyside, Karita Mattila (Marie: une Marie d’exeption), Gerhard Siegel (le capitaine), John Tomlinson (le docteur) et Endrik Wottrich(le tambour major), dirigé par Mark Elder, ce qui hélas tempère très sérieusement mon enthousiasme.
Du 30 novembre au 18 décembre (6 représentations), avec une transmission dans les cinémas le 18 décembre, une nouvelle production de Parsifal, dans une mise en scène du britannique Stephen Langridge et dirigé par Antonio Pappano, avec Simon O’Neill et Angela Denoke, entourés de René Pape (Gurnemanz), Gerard Finley (Amfortas) et Willard White (Klingosr). Une belle distribution, mais sans vraie surprise et qui ne devrait pas valoir une traversée du Channel: on voit partout en Europe des Parsifal de même facture.

 

Linbury Studio Theatre

A côté de la grande salle de Covent Garden, et à deux pas, une vraie saison de spectacles  hors des sentiers battus au Linbury Studio Theatre, avec quelques spectacles intéressants:
– autour d’un livret de David Pountney, composé et mis en scène par Ben Frost, The Wasp Factory, d’après le roman de Iain Banks pour 6 représentations du 2 au 8 novembre.
Greek/The Killing Flower (Luci mie Traditrici) produite par Music Theatre Wales, une structure de théâtre musical intimiste très active et très inventive. Greek est une réécriture du mythe d’Œdipe par Mark-Anthony Turnage (4 soirées du 21 au 26 octobre) et The Killing Flower (Luci mie Traditrici) une œuvre de Salvatore Sciarrino sur l’histoire de Carlo Gesualdo, le 24 octobre 2013, les deux œuvres dans une mise en scène de Michael McCarthy et sous la direction de Michael Rafferty.

Julian Philips

How the Whale Became une œuvre pour enfants d’après le roman de Ted Hughes, le grand poète anglais, qui écrit une posée inspirée par les grands mythes gaéliques, la nature, et qui a beaucoup écrit pour les enfants.
Au quotidien du 10 décembre au 4 janvier (commande du Royal Opera House à Edward Kemp pour le livret et au compositeur Julian Philips).

 

Revenons à la grande salle pour deux reprises d’un intérêt limité, notamment pour cette Carmen mise en scène de Francesca Zambello et dirigée par Daniel Oren (10 représentations du 16 décembre au 9 janvier) avec Elina Garanca alternant avec Christine Rice et Roberto Alagna alternant avec Younghon Lee, en Escamillo Vito Priante/Kostas Smoriginas et en Micaela Veronica Cangemi(!)/Sarah Fox. tout le monde se précipitera à la distribution A!
Autre reprise, Manon de Massenet dans la mise en scène de Laurent Pelly, dirigée par Emmanuel Villaume qu’on voit partout sauf en France avec Ermonela Jaho alternant avec le nouveau soprano émergent Ailyn Pérez, et Matthew Polenzani dans Des Grieux pour 7 représentations du 14 janvier au 4 février. Soit.
Pour 7 représentations aussi du 1er au 24 février (dans les cinémas le 12 février), une nouvelle production de Don Giovanni mise en scène de Kasper Holten, le manager du Royal Opera House, dirigée par Nicola Luisotti dans une bonne distribution dominée par Mariusz Kwiecien, Alex Esposito (Leporello), Malin Byström (Anna), Véronique Gens (Elvira), le Don Ottavio d’Antonio Poli, et le couple Elizabeth Watts et Dawid Kimberg comme Zerlina et Masetto sans oublier le Commendatore d’Alexander Tsymbalyuk. Distribution intéressante à usage local, mais qui ne justifie pas non plus une traversée de tunnel.
Après ce Don Giovanni, une reprise promise au succès de la production désormais mondiale de La Fille du Régiment de Laurent Pelly, créée à Londres, avec Patrizia Ciofi et Juan Diego Florez (sauf le 18 mars où Tonio sera chanté par Frédéric Antoun), Pietro Spagnoli, Ewa Podles et Dame Kiri Te Kanawa dans la Duchesse de Crackentorp (comme à Vienne). Une série très alimentaire dirigée par Yves Abel du 3 au 18 mars.
Du 14 mars au 2 avril (7 représentations), une nouvelle production de Die Frau ohne Schatten dirigée par Semyon Bychkov dans la très bonne mise en scène de Claus Guth déjà vue à la Scala. La distribution voisine de celle de la Scala comprend Emily Magee (L’impératrice), Johan Botha (L’Empereur), Michaela Schuster (la nourrice), Johan Reuter (Barak) et (hélas) Elena Pankratova (la femme du teinturier).
Une reprise du Faust de Gounod très attendue en avril (7 soirs du 4 au 25 avril), dirigée par Maurizio Benini, dans la mise en scène de David McVicar, avec Anna Netrebko et Joseph Calleja, mais aussi Bryn Terfel et Simon Keenlyside: une splendide distribution qui attirera du monde, et une production accompagnée au Lindbury Studio Theatre de deux variations sur le thème de Faust, l’une de Luke Bedford sur un livret de David Harrower, l’autre F4u5t, de Matthew Herbert, une variation électronique sur le Faust de Gounod.
11 représentations alimentaires de La Traviata dans la mise en scène de Richard Eyre, dirigée par Dan Ettinger (sauf le 20 mai, par Paul Wynne Griffiths), du19 avril au 20 mai, avec en alternance Diana Damrau et Ailyn Pérez, Francesco Demuro et Stephen Costello (Alfredo), Dimitri Hvorostovsky et Simon Keenlyside (Germont) et 12 représentations tout aussi alimentaires de Tosca, mise en scène Jonathan Kent du 10 mai au 26 juin, dirigé par Teodor Currentzis et pour les 4 dernières à partir du 16 juin Placido Domingo.  La distribution comprend en alternance Oksana Dyka (je dirais Insana Dyka! lamentable choix) et Sondra Radvanovsky (tellement mieux), Roberto Alagna en Mario alternant avec Riccardo Massi, Thomas Hampson et Sebastian Catana en Scarpia. Reprise sans intérêt qui précède une nouvelle production quant à elle, pleine d’intérêt, des Dialogues des Carmélites, du 29 mai au 11 juin, dans la mise en scène de Robert Carsen vue un peu partout (Scala, Oviedo, Ljubliana, Theater an der Wien) dans une distribution, il faut bien le dire, exceptionnelle: Magladena Kozena, Sophie Koch, Anna Prohaska, Deborah Polaski, Thoams Allen, Yann Beuron et le tout dirigé par Sir Simon Rattle. Là on peut déjà réserver son Eurostar.
Après la Manon de Massenet, la Manon Lescaut de Puccini dans une nouvelle production de Jonathan Kent, dirigée par Antonio Pappano, qui va attirer le monde lyrique international à cause du Chevalier Des Grieux de Jonas Kaufmann, entouré de Kristine Opolais et Christopher Maltman pour 7 représentations du 17 juin au 7 juillet, avec une projection dans les cinémas le 24 juin.
Une reprise de Ariadne auf Naxos dirigée par Antonio Pappano pour 5 représentations du 25 juin au 13 juillet, mise en scène de Christof Loy, avec la Primadonna de Karita Mattila, le Bacchus de Roberto Saccà, la Zerbinetta de Jane Archibald, ainsi que Thomas Allen et Markus Werba,  une très belle distribution pour un week end londonien de début d’été surtout si on combine Ariadne avec Manon lescaut ci-dessus ou Maria Stuarda, la dernière nouvelle production de l’année dirigée par Bertrand De Billy (vous savez, ce chef français inconnu en France et connu de toute l’Europe), du 5 au 18 juillet (6 représentations) dans une mise en scène de Patrice Caurier et Moshe Leiser avec Joyce Di Donato, Carmen Giannatasio et Charles Castronovo.
C’est juillet, c’est le mois des touristes, c’est le moment d’afficher le standard des standards, La Bohème, dans la mise en scène ancienne de John Copley, dirigée par une autre baguette allemande qui monte, Cornelius Meister, sept représentations du 9 au 19 juillet avec deux représentations le 19 juillet et deux distributions : Ermonela Jaho et Angela Gheorghiu (Mimi), Giuseppe Filianoti et Vittorio Grigolo (Rodolfo), Markus Werba et Massimo Cavaletti (Marcello), Simona Mihai et Irina Lungu (Musetta). Du solide et du médiatique.
Et la saison se clôt sur deux représentations (25 et 26 juillet) du Welsh National Opera présentant Moses und Aaron d’Arnold Schoenberg, mise en scène de Jossi Wieler and Sergio Morabito direction de Lothar Koenigs avec Richard Angas et Rainer Trost.

Au Linbury Studio Theatre, l’English Touring Opera présentera King Priam de Michael Tippett et Paul Bunyan de Benjamin Britten en février, en mars, deux créations, non encore titrées, l’une de Elspeth Brooke et l’autre de Francisco Coll, ainsi qu’en avril les variations sur le thème de Faust dont il a été question plus haut, et juin, une production de Quartett de Luca Francesconi mise en scène de John Fulljames, ainsi qu’en juillet, un opéra-cabaret de HK Gruber, Gloria – a pigtale,

Frederic Wake-Walker

mise en scène de Frederic Wake-Walker, directeur artistique de l’Opera Group.
La saison du Royal Opera House alterne des productions vraiment intéressantes (Elektra, Les Vêpres Siciliennes, Les Dialogues des Carmélites, Maria Stuarda), mais beaucoup de titres rebattus et alimentaires, comme Bohème, Tosca, Traviata, Fille du Régiment, Carmen, Faust, et même Turandot ou Manon. Les autres nouvelles productions restent relativement attendues comme la Manon Lescaut avec Jonas Kaufmann, ou même le Parsifal et le Don Giovanni. incontestablement des productions attirantes, mais pas transcendantes, et une saison plutôt “conforme” dans l’ensemble, sans grande prise de risque ni même grande originalité: on reste par exemple un peu stupéfait qu’il n’y ait pas une autre grande production de Britten sur la scène nationale britannique l’année de son centenaire, même si la saison 2012-13 présente Gloriana; les grandes scènes internationales n’oseraient-elle plus oser?

 

La belle salle de l’English National Opera (London Coliseum)

English National Opera

Avec 10 nouvelles productions, 4 reprises et 4 opéras contemporains, soit 18 productions. l’English National Opera affiche une très bonne santé, en prise avec tout ce que l’Europe théâtrale compte de metteurs en scènes actuels,  travaillant sur des visions renouvelées du grand répertoire traditionnel. Car l’ENO, l’opéra en langue anglaise, présente essentiellement des œuvres du répertoire, sur de longues séries, la plupart du temps 10 à 12 représentations,  sa vocation étant de faire partager l’opéra à tous par une politique tarifaire relativement raisonnable (de 12£ à 99£) dans une (belle) salle à vision essentiellement frontale.
Fidelio, en coproduction avec la Bayerische Staatsoper, ouvre la saison le 25 septembre pour 7 représentations jusqu’au 17 octobre, dans la mise en scène décoiffante de Calixto Bieito, et sous la direction du directeur musical Edward Gardner, avec Emma Bell (Leonore) et Stuart Skelton (Florestan). Le  chant anglo-saxon étant bien représenté dans les opéras du monde, pas de difficulté à afficher des chanteurs de réputation internationale pour chanter le répertoire en anglais.
Du 30 septembre au 6 novembre, Die Fledermaus, autre nouvelle production dirigée par Eun Sun Kim et mise en scène de Christopher Alden pour 11 représentations avec Tom Randle, Julia Sporsén, Jennifer Holloway et Edgaras Montvidas. Une coproduction avec la Canadian Opera Company de Toronto.
14 représentations de Madama Butterfly, une grande reprise de cette coproduction avec le MET mise en scène de Anthony Minghella reprise par Sarah Tipple, et dirigée par Gianluca Marciano et Martin Fitzpatrick avec Dina Kuznetsova ou Mary Plazas (Cio-Cio San), Timothy Richards (qui appartient à la troupe de la Komische Oper de Berlin) ou Gwyn Hughes Jones (F.B. Pinkerton).
Une nouvelle production qu’on verra à Aix en Provence et à Amsterdam, Die Zauberflöte (The Magic Flute) dans une mise en scène de Simon McBurney, dirigée  par Gergely Madaras avec Ben Johnson (Tamino), Devon Guthrie (Pamina), James Creswell (Sarastro) pour 12 représentations du 7 novembre au 7 décembre.
Une reprise de Satyagraha de Philip Glass, en coproduction avec le MET, mise en scène de Phelim McDermott (le chef n’est pas encore connu) pour 6 représentations du 20 novembre au 8 décembre avec Alan Oke (M. K. Gandhi), Janis Kelly (Mrs Naidoo). Je l’ai écrit plus haut: les représentations d’opéra contemporain doivent faire l’objet de reprises, pour s’imposer dans une normalité que les seuls moments de création ne permettent pas.
Autre reprise magnifiquement distribuée, Peter Grimes de Benjamin Britten dirigée par Edward Gardner, mise en scène de David Alden en coproduction avec De Vlaamse Opera, l’Opera de Oviedo et la Deutsche Oper Berlin, avec Stuart Skelton (Peter Grimes), Elza van den Heever (Ellen Orford), Iain Paterson (Balstrode) et aussi Felicity Palmer (Mrs Sedley). 8 représentations à partir du 29 janvier et jusqu’au 27 février. Vaut le voyage!!
Une nouvelle production qui va succéder à la légendaire production de Jonathan Miller, du Rigoletto de Verdi pour 11 représentations du 13 février au 14 mars, dirigée par Christopher Alden, et dirigée par Graeme Jenkins avec Quinn Kelsey (Rigoletto), Barry Banks (Duke of Mantua), Anna Christy (Gilda), Peter Rose/Matthew Treviño (Sparafucile) et même Diane Montague (Giovanna).
8 représentations de Rodelinda de Haendel, très populaire en Grande Bretagne, pour 8 représentations dirigées par Christian Curnyn (on le verra aussi à Francfort) et mise en scène par Richard Jones, en coproduction avec le Bolshoï (entre le 28 février et le 15 mars) avec Rebecca Evans (Rodelinda), Iestyn Davies (Bertarido), John Mark Ainsley (Grimoaldo).
Dans un espace extérieur new look l’Ambika P3, près de Regents Park et le célèbre Madame Tussaud’s, Powder Her Face, création de Thomas Adès, dans une mise en scène de Joe Hill-Gibbins (le chef n’est pas encore connu).
Une création mondiale en coproduction avec l’Oper Bonn, Thebans, variation sur l’histoire d’Œdipe  mise en scène de Pierre Audi, et dirigée par Edward Gardner pour 8 représentations à partir du 3 mai 2014,  avec notamment Roland Wood (Oedipus), Peter Hoare (Creon), Julia Sporsén (Antigone), Matthew Best (Tiresias).
Mozart (Così fan Tutte) est à l’honneur par cette nouvelle production mise en scène par Katie Mitchell (à qui l’on doit Written on skin de George Benjamin) et dirigée par Ryan Wigglesworth, compositeur en résidence à l’ENO, et jeune chef de 34 ans, en coproduction avec le MET, et pour 12 représentations à partir du 16 mai 2014 avec la distribution suivante assez correcte: Kate Valentine (Fiordiligi), Christine Rice (Dorabella), Norman Reinhardt (Ferrando), Marcus Farnsworth (Guglielmo), Roderick Williams (Don Alfonso), Mary Bevan (Despina).
Voilà un événement, qui confirme l’amour des britanniques pour Berlioz, une nouvelle production de Benvenuto Cellini (qu’on vit à Bastille dans une mise en scène de Denis Krief au début des années 90, qui ne figure pas dans l’archive Memopera du site de l’Opéra et qui ne fut jamais repris…) mise en scène par le cinéaste britannique (né aux USA) Terry Gilliam, ancien des Monty Python. Dirigée par Edward Gardner, et coproduite par De Nederlandse Opera. La distribution comprend Michael Spyres (Benvenuto Cellini), Corrine Winters (Teresa), Pavlo Hunka (Balcucci), Nicky Spence (Francesco), Paula Mirriny (Ascanio), Willard White (Pope Clement VII), Richard Burkhard (Fieramosca), et sera affichée pour 8 représentations à partir du 5 juin 2014. Même en anglais, vaut le voyage pour la rareté.
A partir du 16 juin, et pour 9 représentations, une reprise des Pêcheurs de perles (The Pearl Fishers) dans la mise en scène de Penny Woolcock , cinéaste et metteur en scène britannique élevée en Amérique du Sud et revenue en Grande Bretagne en 1970, on lui doit la mise en scène de Doctor Atomic au MET dont il reste un DVD, et dans les beaux décors de Dick Bird. Le cast inclut Sophie Bevan (Leila), John Tessier (Nadir), George von Bergen (Zurga). Chef non encore connu.
Enfin dernière production de l’année, à partir du 29 juin et pour trois soirs, River of Fundament, de Jonathan Belper, mis en scène par Matthew Barney, inspirée d’un roman de Norman Mailer “Ancient evenings”, un projet du Manchester International Festival (MIF) initié en 2007 et qui mélange cinéma, sculpture, opéra autour d’éléments mythologiques de l’Egypte ancienne.
On le voit, une programmation diversifiée, faisant largement appel à la dernière génération de metteurs en scène britanniques, adossée aux grands standards du répertoire, mais avec des œuvres contemporaines créées ou reprises (Thebans, Powder her face, Satyagraha et River of Fundament) et des raretés (Benvenuto Cellini). Si vous allez à Londres, ne vous focalisez pas sur Covent Garden et prenez toujours garde à ce que l’ENO affiche, c’est toujours intéressant, et même quelquefois plus stimulant que le grand frère ROH, comme cette prochain saison, témoignage de la vitalité de l’art lyrique outre Manche, où les théâtres subventionnés sont aussi alimentés par une école de chant et une école musicale très actives, d’une très grande vitalité, d’où il sort régulièrement des chefs et des chanteurs de toute première importance.
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Une image des Pêcheurs de Perles

OPER FRANKFURT 2013-2014: LA NOUVELLE SAISON

Dans mes promenades parmi les opéras européens susceptibles de valoir un petit voyage, j’ajoute cette année Francfort. Depuis longtemps, l’Opéra de Francfort (Oper Frankfurt) a tenu son rang parmi les opéras allemands, sans jamais vraiment accéder au tout premier rangs; et pourtant, c’est une salle à qui l’on doit des choix très clairs de répertoire, l’appel à des metteurs en scène novateurs (elle appela avant bien d’autres Ruth Berghaus ou Hans Neuenfels par exemple). Certes, Francfort est plus connue pour son aéroport ou ses banques que par son opéra et ce n’est pas une ville d’un agrément exceptionnel, même si ses Musées sont vraiment de ces musées qu’il faut avoir vus notamment le Staedel Museum au bord du Main et le MMK (Museum für Moderne Kunst) , et même si une soirée à Sachsenhausen est bien sympa.
L’opéra ancien fut détruit pendant la seconde guerre mondiale et reconstruit (pas formidable, la reconstruction des espaces intérieurs), c’est maintenant une salle de concert (Alte Oper), et le nouveau bâtiment (qui ressemble un peu  à Mannheim, métal, verre, béton) construit dans les années 60 abrite aussi le théâtre (Schauspielhaus) est situé très près du fleuve (le Main) et face à la Banque Centrale Européenne: pas de dépaysement, l’opéra, détruit après la guerre, joua aussi dans la grande salle de la bourse de Francfort!
La scène a brûlé en 1987, la reconstruction dura jusqu’en 1991. C’est aujourd’hui l’une des meilleures salles d’Allemagne, elle vient d’avoir le Opera Award du meilleur opéra du monde, qu’elle disputait avec trois autre nominés, Lyon, Stuttgart, Theater an der Wien. Son intendant Bernd Loebe a fait augmenter de 11000 le nombre d’abonnés. Il est vrai que Francfort aussi est un opéra de bonne tradition musicale: Georg Solti, Christoph Von Dohnanyi, Michael Gielen (ce fut l’âge d’or), Sylvain Cambreling, Paolo Carignani, et depuis 2005, c’est Sebastian Weigle qui en est le directeur musical. Avec une troupe très solide, beaucoup de chanteurs invités, un chef de bonne réputation, un intendant qui a débloqué une machine souvent en panne ou d’intendant ou de GMD, l’opéra de Francfort est aujourd’hui un théâtre qui fonctionne, qui compte, et surtout qui vit: 11 nouvelles productions et deux opéras sous forme concertante, 15 “Wiederaufnahmen”(reprises) soit 28 titres en tout et 8 récitals de chant, des concerts, des manifestations culturelles (un cycle de conférences, colloques, concerts, récitals autour de Verdi), un opéra studio, des lieux décentrés (Musée, Bockenheimer Depot). Bref, une belle fermentation culturelle.
Ce qui frappe dans cette programmation, c’est d’abord son équilibre, entre modernité et tradition, entre œuvres rares et grands standards, mais son constant souci de productions de qualité.
Les nouvelles productions (une par mois environ)  font apparaître des auteurs peu joués sur les scènes: Delius, Eötvös, mais aussi Telemann. En septembre, une production de Rusalka confié au metteur en scène hollandais Jim Lucassen, dirigée en septembre par Sebastian Weigle et reprise ensuite en juin par Johannes Debus (7 soirées en sept/oct, et 2 soirées en juin) avec Zoltán Nyári (le Prince) et Amanda Majeski alternant avec Karen Vuong (Rusalka); c’est un phénomène assez récent, mais le chef d’œuvre de Dvorak fait désormais partie des standards (affiché dans presque tous les opéras importants).
En octobre à partir du 5, et pour 10 représentations courant jusqu’à janvier et presque toutes dirigées par Sebastian Weigle, Ariadne auf Naxos dans une mise en scène de Brigitte Fassbaender avec Camilla Nylund (Primadonna), Brenda Rae (Zerbinetta) et Michael König (Bacchus): une bien intéressante distribution. Strauss sera aussi à l’honneur en fin de saison, en juin, pour deux représentations concertantes de Die Liebe der Danae avec une très belle distribution:  Anne Schwanewilms, Lance Ryan, Karen Vuong et Alejandro Marco-Buhrmester, le tout dirigé par Sebastian Weigle.
Christoph Willibald Gluck et Metastase à l’honneur en Novembre, avec Ezio, une œuvre rarement représentée, dirigée par le jeune britannique Christian Curnyn, claveciniste et spécialiste de ce répertoire dans une mise en scène de Vincent Boussard (et des costumes de Christian Lacroix) avec Sonia Prina, Max Emanuel Cencic et l’irlandaise Paula Murrihy (7 représentations du 10 novembre au 7 décembre).
En décembre et janvier (pour 7 représentations entre le 8 décembre et le 5 janvier) le très attendu et très rare Oedipe d’Enesco dirigé par Alexander Liebreich, qui vient de prendre l’orchestre national de la Radio de Pologne, premier chef allemand à la tête d’une formation polonaise depuis 1945. La mise en scène est assurée par Hans Neuenfels, ce qui est une garantie à la fois médiatique et qualitative, en tous cas elle sera très attendue, avec une distribution très équilibrée (Simon Neal dans Œdipe, Tanja Ariane Baumgartner comme Jocaste entre autres). Il faudra sans doute faire le déplacement!
Fin janvier et début février au Bockenheimer Depot, la scène alternative, la création à Francfort de Die Gespenstersonate (la Sonate des spectres) de Aribert Reimann (création à Berlin au Hebbel Theater en 1984), dirigée par Karsten Januschke qui commence depuis 2010 à diriger à l’opéra après avoir été solo-repetitor.La mise en scène est assurée par le très doué (et jeune) metteur en scène britannique Walter Sutcliffe (qui a déjà mis en scène à Francfort avec grand succès Owen Wingrave de Britten) avec notamment Anja Silja, Brian Galliford et Alexander Mayr.
Falstaff, de Verdi, pour 12 représentations (8 en février-mars dirigées par Bertrand de Billy et 4 en mai par Carlo Franci) dans une mise en scène de Keith Warner, une garantie là aussi, avec Zeljko Lucic et Giorgio Surjan en alternance dans Falstaff, et Artur Rucinski dans Ford, ainsi que l’américaine Leah Crocetto dans Alice, Grazia Doronzio en alternance avec Sofia Fomina (Nanetta), l’américaine Meredith Arwady, alternant avec Isabel Vera dans Quickly tandis que Meg Page sera alternativement Claudia Mahnke et Jenny Carlstedt.
Très belle distribution pour deux représentations concertantes d’Edgar de Puccini toujours en février (16 & 18) avec notamment Bryan Hymel et Angela Meade, le tout dirigé par Marc Soustrot tandis que la saison prévoit des reprises de Tosca (décembre-janvier, 11 représentations dans la mise en scène de Andreas Kriegenburg(!) et sous la direction de Leo Hussain (très bon) et Mark Shanahan avec notamment Lumilya Monastyrska et Erika Sunnegardh (Tosca), Dimitri Platanias et Giorgio Surjan (Scarpia), Alfred Kim et Calin Bratescu (Mario) et en avril et mai (8 représentations du 8 avril au 18 mai) La Fanciulla del West, direction Pier Giorgio Morandi (bon chef de répertoire) dans la mise en scène de Christof Loy (hum), avec notamment Barbara Haveman en Minnie et Ian Storey alternant avec Carlo Ventre en Dick Johnson, reprise d’une novuelle production de cette année(avec Eva Maria Westbroek cependant..).
Une relative rareté rossinienne suivra, la Gazza ladra, dirigée par Henrik Nánási (le directeur musical de la Komische Oper de Berlin) dans une mise en scène de David Alden (un bon metteur en scène) pour 8 représentations du 30 mars au 4 mai, avec Katarina Leoson , Sophie Bevan, Francisco Brito.
Du 11 mai au 25 juin pour 11 représentations dirigées par Sebastian Weigle (en alternance avec Karsten Januschke et Sebastian Zierer) Don Giovanni, mise en scène de Christof Loy, avec notamment le Don Giovanni de Christian Gerhaher (il faudra courir l’entendre!!) alternant avec l’autrichien Daniel Schmutzhard (de la troupe de Francfort) et Brenda Rae dans Donna Anna, Juanita Lascarro Elvira, le jeune Martin Mitterrutzner en Ottavio, le vétéran Robert Lloyd en Commendatore, et le couple Björn Bürger (tout débutant) et Grazia Doronzio en Masetto/Zerlina.
Du 25 mai au 8 juin (8 soirs) au Bockenheimer Depot, une rareté de l’époque baroque, Orpheus oder die Wunderbare Beständigkeit der Liebe de Georg Philipp Telemann, dans une mise en scène de Florentine Klepper, metteur en scène résidente à Bâle, qui commence à bien travailler à Dresde, à Stuttgart, et dirigé par Titus Engel avec Sebastian Geyer, Julian Prégardien (fils de…) et Kateryna Kasper en Eurydice.
Une autre très grande rareté (encore un motif pour faire le voyage), pour 7 représentations entre le 22 juin et le 12 juillet, Romeo und Julia auf dem Dorfe, de Frederick Delius, dirigé par Paul Daniel, dans une mise en scène de Eva-Maria Höckmayr, metteur en scène de 33 ans remarquée (notamment Pelleas à Aix la Chapelle), avec notamment Amanda Majeski et Johannes Martin Kränzle.
Dernière production de la saison pour 6 représentations au Bockenheimer Depot du 1er au 11 juillet, Der goldene Drache (le dragon d’or) de Péter Eötvös, qui dirigera la première le 29 juin et laissera le pupitre à Hartmut Keil pour les 6 représentations restantes, avec notamment Hedwig Fassbender, Simon Bode et Kateryna Kasper.
Dans les reprises de l’année, on compte en ouverture de saison (du 1er septembre au 11 octobre, pour 6 représentations) le seul Verdi, en français, Les Vêpres Siciliennes (enfin depuis quelques années revient sur les scènes la version originale de 1855) dans une mise en scène de Jens-Daniel Herzog (nouvelle production de cette saison à voir en juin 2013), dirigé par Giuliano Carella, dans la distribution suivante: Henri sera Burckhard Fritz. Henri demande un ténor de type français, avec un style très travaillé, une voix très mobile et je ne sais comment ce ténor habitué aux rôles plus lourds va pouvoir l’aborder. La duchesse sera Elza van den Heever, que les théâtres appellent pour du bel canto (en alternant avec Liana Haroutouninan), Procida sera Kihwan Sim, un très jeune baryton-basse qui était il y a à peine deux ans dans l’Opernstudio de Francfort et qui appartient depuis cette année à la troupe, et Montfort sera Quinn Kelsey, un baryton américain qu’on a vu à Rome dans Simon Boccanegra comme Paolo Albiani et à Zurich dans Rigoletto.
Première production mozartienne sur les trois prévues dans les reprises de l’an prochain, Idomeneo, mise en scène de Jan Philipp Gloger (qui a fait le dernier Fliegende Holländer de Bayreuth), pour seulement 4 représentations entre le 14 septembre et le 6 octobre, et qui sera dirigée par Roland Boër, un ex-Kapellmeister de Francfort aujourd’hui appelé un peu partout en Allemagne, à Bruxelles et à Copenhague et qui dirige le Cantiere Internazionale d’Arte de Montepulciano (Toscane). Idomeneo sera Daniel Behle, Idamante Jenny Carlstedt, Elettra Katie Van Kooten et Ilia la talentueuse Anne-Catherine Gillet.
13 représentations du 12 octobre au 20 décembre en revanche pour Die Zauberflöte, qui permettra de mettre en valeur tous les éléments de la troupe de Francfort et la plupart des chefs et Kapellmeister (Sebastian Weigle, Sebastian Zierer, Hartmut Keil, Karsten Januschke), dans une mise en scène d’Alfred Kirchner (Ring à Bayreuth des années 90, Khovantchina de Vienne avec Abbado-voir le DVD-), bref, un vieux routier de la mise en scène. Les distributions varient selon les soirées avec deux Sarastro de bonne facture, Alfred Reiter et Andreas Bauer, trois Tamino, Martin Mitterrutzner, Beau Gibson, et Simon Bode, et trois Pamina, Juanita Lascarro, Kateryna Kasper, Elisabeth Reiter, deux Königin des Nacht, Emily Hindrichs et Sofia Fomina, quant à Papageno, il sera Björn Bürger, Sebastian Geyer ou Daniel Schmutzhard. Une série de représentations “alimentaires”, aux coûts minimaux (essentiellement chanté par la troupe, ce qui ne coûte rien en cachets au théâtre) et qui, vu la popularité de l’œuvre, devrait assurer un bon remplissage.
Au printemps (pour 6 représentations du 7 mars au 10 avril), un troisième Mozart, Così fan Tutte, dans la mise en scène de Christof Loy et dirigé par Hartmut Keil et Sebastian Zierer, avec Brenda Rae (Fiordiligi) et Paula Murrihy (Dorabella), Joshua Hopkins et Sebastian Geyer (Guglielmo) , Paul Appleby et Martin Mitterrutzner (Ferrando) Barbara Zechmeister (Despina) et Simon Bailey en Don Alfonso.
Du 19 octobre au 9 novembre, cinq représentations de Tannhäuser dirigé par une des valeurs montantes des chefs germaniques, le jeune Constantin Trinks, qui fait ses débuts à l’opéra de Francfort, dans une mise en scène (2006/07) de la bulgare Vera Nemirova, à qui l’on doit notamment La Dame de Pique à l’opéra de Vienne ou Lulu au Festival de Salzbourg. La distribution, intéressante, mêle membres de la troupe et chanteurs invités: Annette Dasch en Elisabeth, Tanja Ariane Baumgartner  en Venus, Lance Ryan en Tannhäuser, Daniel Schmutzhard en Wolfram, Andreas Bauer en Hermann.
Pour 4 représentations entre le 16 novembre et le 15 décembre, un couple d’opéras inattendu, Dido and Aeneas de Henry Purcell et le Château de Barbe Bleue de Béla Bartók dirigés tous deux par Constantinos Carydis, mis en scène par Barrie Kosky (actuel directeur de la Komische Oper de Berlin, et metteur en scène décoiffant) avec pour Dido and Aeneas, Paula Murrihy en Dido, Sebastian Geyer en Aeneas, et pour le Château de Barbe Bleue, Johannes Martin Kränzle en Barbe Bleue et Claudia Mahnke en Judit.
On a évoqué plus haut la reprise de Tosca, mais pas la reprise pour cinq représentations du 11 janvier au 7 février de The Tempest (créée à Londres en 2004) de Thomas Adès, mise en scène de Keith Warner et dirigée par la britannique Sian Edwards avec Jenny Carlstedt, Brian Mulligan, et Cindia Sieden et Peter Marsh. La reprise des oeuvres contemporaines est un enjeu essentiel pour garantir un répertoire le plus large possible, ce n’est en effet pas la création de ces œuvres qui compte, mais leur reprise régulière pour garantir leur entrée en répertoire.
Du 15 janvier au 8 février (7 soirs), Werther dirigé par Maurizio Barbacini et mis en scène par Willy Decker avec Tanja Ariane Baumgartner en Charlotte, et le Werther de l’excellent John Osborn, l’Albert de Daniel Schmutzhard et la Sophie de Sofia Fomina. Pour John Osborn, peut valoir le voyage, notamment pour nos amis lorrains et alsaciens, assez proches.
Du 12 février au 14 mars, 7 représentations d’Orlando Furioso de Vivaldi dirigé par Felice Venanzoni, lié à Francfort depuis 14 ans et qui s’est spécialisé dans l’interprétation d’œuvres baroques, et mis en scène par David Bösch (un des jeunes metteurs en scène dont on parle de plus en plus, qui fera Simon Boccanegra à Lyon l’an prochain) avec notamment Lawrence Zazzo, Delphine Gallou et Daniela Pini.
Un autre opéra moins représenté sur les scènes, Daphné de Richard Strauss, mis en scène par Claus Guth en 2010, et dirigé pour ces 5 représentations du 28 février au 22 mars par Stefan Blunier, avec Maria Bengtsson, Tanja Ariane Baumgartner et Daniel Behle, à voir, évidemment!
Nous avons déjà évoqué plus haut en mars,  avril et mai les reprises de Così fan Tutte et de La Fanciulla del West, mais pas celle de Tristan und Isolde du 18 avril au 10 mai pour 4 représentations, dirigées par Constantinos Carydis,  dans la mise en scène de Christof Nel avec le couple Lance Ryan et Jennifer Wilson complété par Andreas Bauer (Marke), Simon Neal (Kurwenal) et Claudia Mahnke (Brangäne). J’avoue être tenté par l’Isolde de Jennifer Wilson, car j’ai toujours ce souvenir impressionnant de sa Brünnhilde à Valencia il y a quelques années.
Encore un opéra qu’on ne voit jamais en France,  Tiefland, d’Eugen d’Albert pour une belle reprise de 4 représentations  du 31 mai au 14 juin, dirigée par Sebastian Weigle dans une mise en scène d’Anselm Weber (2006) avec Heidi Brunner,  Johan Botha et Simon Neal, tout comme Les voyages de Monsieur Broucek (Výleti pánĕ Broučkovy) de Janacek pour 4 représentations du 5 au 13 juillet dirigé par Johannes Debus et mis en scène d’Axel Weidauer (production 2007-2008), assistant metteur en scène à Francfort de 2001 à 2008, avec le Broucek d’Arnold Bezuyen, Aleš Briscein, Juanita Lascarro, Andreas Bauer, Simon Bailey.

A revoir l’ensemble des titres rares proposés (plus d’un tiers), Ezio, Œdipe, Die Gespenstersonate, Orpheus oder die Wunderbare Beständigkeit der Liebe, Romeo und Julia auf dem Dorfe, The Tempest, Der goldene Drache, Les voyages de Monsieur Broucek, Tiefland, Daphné et en le mettant en perspective avec l’augmentation des abonnés, on comprend que cette politique très ouverte, un peu comme à Lyon, est une garantie et non un risque: le public a confiance dans son opéra et y vient; l’utilisation intelligente de la troupe, l’équilibre entre les nouvelles productions et le répertoire, le travail sur les productions, y compris les reprises, la présence d’une quinzaine de soirées d’opéra par mois en moyenne dans le calendrier (ce qui n’est pas peu, mais pas non plus excessif et n’épuise donc pas la troupe), tout cela garantit un excellent niveau moyen et une offre qui stimule la curiosité. Francfort, via l’avion ou le TGV Est est très accessible aux français: vaut le voyage et même plusieurs week ends.
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