METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2013-2014: WOZZECK d’ALBAN BERG le 6 MARS 2014 (Dir.mus: James LEVINE; Ms en scène: Mark LAMOS)

L'étang...© The Metropolitan Opera
L’étang…© The Metropolitan Opera

Il en a fallu du temps au Wozzeck de Berg pour s’imposer sur les scènes hors d’Allemagne. Une génération au moins. C’est en 1959 que l’opéra fait son entrée au MET, sous la direction de Karl Böhm et depuis, 65 représentations (en 55 ans..). On se demande toujours comment il est possible qu’un tel chef d’œuvre ait éprouvé tant de difficultés à être accepté du public. Et au soir de ce 6 mars, la première de cette reprise, dans la salle, aux fauteuils d’orchestre, l’abondance de jeunes vêtus casual laisse supposer que les places laissées vides ont été bradées.
Pourtant la distribution est de très haut niveau, elle comprend Thomas Hampson, dont ce devait être une prise de rôle et qui, souffrant, a été remplacé par Matthias Goerne par un heureux hasard en récital la veille à Carnegie Hall, Deborah Voigt (c’est aussi une prise de rôle) Peter Hoare, Simon O’Neill, Clive Bailey et c’est James Levine qui dirige: bien que physiquement très diminué (il ne vient pas saluer sur scène et reste dans la fosse), il impose une vision à la fois vigoureuse et très lyrique, une lecture d’une très grande clarté, avec des moments qui séduisent par le rythme et la couleur comme la scène du Biergarten où Marie danse avec le tambour major, qui secouent, comme les deux impressionnants crescendos “en si” du meurtre de Marie. Chaque intermède est marqué par un sens dramatique qui maintient jusqu’au bout une grande tension dans cette course à l’abime qu’est Wozzeck: au total une très grande, une très belle interprétation. On peut préférer une approche plus raffinée (comme celle d’Abbado) ou plus distanciée (Boulez): Levine est ici à la fois théâtral et lyrique: il met en valeur les échos mahlériens de l’oeuvre et réussit à créer quelquefois une couleur étrange qui correspond à ce qu’on suppose être l’âme tourmentée de Wozzeck, et le sentiment d’un temps suspendu: la fin – avec le “coucou” final de l’enfant- est proprement glaçante. Très beau moment.
La soirée est servie par une troupe de chanteurs d’une très grande qualité, comme presque toujours au MET. Matthias Goerne, qui remplace au pied levé Thomas Hampson et qui a travaillé l’après midi même avec James Levine, réussit à créer un personnage halluciné, ailleurs, avec une voix complètement impersonnelle, désengagée, presque désincarnée, grâce à un timbre un  peu voilé qui sert évidemment le propos. Son expérience du Lied, sa manière de dire le texte, son aptitude à ne pas colorer, en font vraiment un très grand interprète. Il compose un Wozzeck presque déjà hors du monde, qui ne s’anime qu’en présence de Marie. La première scène est murmurée, cette voix presque blanche, presque absente fait violent contraste avec celle du capitaine, très composée, cassante, particulièrement colorée de Peter Hoare, qui, après Desportes (Die Soldaten, Zürich, voir le blog), Sharikov (Coeur de chien, Lyon: voir le blog) montre une capacité de composition particulièrement développée: il joue avec sa voix, très ductile, particulièrement malléable et compose un personnage vraiment remarquable dont la voix travaille sur la variation des couleurs alors que Goerne veille à produire un son monocolore ou sans couleur, et qui par contraste parait terriblement humain, au contraire du capitaine.
Deborah Voigt est une Marie à la voix sonore, qui impose une vision très dramatique du personnage, au détriment d’une certaine sensibilité et d’une certaine humanité. Face à un Wozzeck aussi élaboré que celui de Goerne, elle reste, me semble-t-il, un peu extérieure au propos. On pense à ce que ferait une Angela Denoke ou une Waltraud Meier…La Marie de Deborah Voigt n’est pas à dédaigner, mais ce son droit, assuré, quelquefois un peu fixe, ne convient pas au personnage dont elle ne rend pas la fragilité.
Pas de fragilité pour l’excellent tambour major de Simon O’Neill dont on remarque une fois de plus le beau timbre et la voix très présente: la couleur et la manière de chanter conviennent parfaitement à son personnage. Mais c’est le docteur de Clive Bailey qui, avec Peter Hoare, constitue pour moi peut-être la plus agréable surprise: une voix de basse très ductile, qui a une belle aptitude à colorer, à varier le ton, à interpréter; à la fois bouffe et inquiétant, sonore et insinuant mais jamais cabotin: il obtient un succès très mérité.
Mais les rôles de complément sont aussi bien tenus, signalons notamment les deux compagnons de Richard Bernstein et Mark Schowalter, la Margret de Tamara Mumford et l’Andres de Russell Thomas, tous deux diplômés du programme Lindemann pour jeunes artistes promu par le MET et dont la performance est à noter.

Wozzeck au MET © The Metropolitan Opera
Wozzeck au MET © The Metropolitan Opera

La mise en scène de Mark Lamos (un metteur en scène et acteur qui fut le premier américain à mettre en scène un spectacle dans l’ex-Union Soviétique) remonte à 1997: elle était déjà à l’époque bien dépassée. Une vision plutôt plate, fondée sur une ambiance abstraite, aux grands pans géométriques noirs qui délimitent des espaces qu’on suppose mentaux (à cause des ombres projetées qui installent une certaine inquiétude) avec comme seule tache l’étang rouge orange couleur de sang qu’évoque Wozzeck. Du point de vue de la direction d’acteurs, c’est le minimum requis conventionnel: on est aux antipodes d’un Marthaler, d’un Bieito, d’un Chéreau et déjà, 20 ans avant, en 1977, Ronconi avait fait à la Scala  un Wozzeck qui avait bien dix ans d’avance sur cette production…
Seuls moments relativement réussis, les scènes de groupe dans les tavernes (notamment la scène du bastringue du second acte): simplement parce qu’ils insufflent une vie que ce travail ne possède pas. Je défends pour Wozzeck une vision d’où le réalisme n’est jamais absent, quelle que soit la manière dont il est traduit, hyperréalisme du mess des officiers à la Marthaler, raffinerie dont les tuyaux digèrent le monde et les âmes comme chez Bieito, ou village abstrait et concret, monde de formes qui évoquent et délimitent un espace de vie comme chez Chéreau. Ici, l’abstraction n’ajoute rien à l’action, et elle aurait plutôt tendance à l’estomper.
Mais les problèmes de public que connaît le MET ne plaidaient pas en faveur d’une nouvelle production et Peter Gelb a choisi de soigner essentiellement les aspects musicaux et vocaux: de ce point de vue c’est réussi, et c’est une belle représentation qu’il nous a été donné de voir, à laquelle contribue le plaisir de retrouver James Levine qui tient de manière si ferme son orchestre en main: il est l’un des seuls à le faire sonner ainsi, il est vrai depuis 43 ans et 2456 représentations.
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Denorah Voigt (Marie) Thomas Hampson (Wozzeck)   © Cory Weaver 2014 The Metropolitan Opera.
Denorah Voigt (Marie) Thomas Hampson (Wozzeck) © Cory Weaver 2014 The Metropolitan Opera.

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2014-2015: LA PROCHAINE SAISON

Six nouvelles productions, 10 reprises et donc trois productions en moins que la saison actuelle (c’est la crise…): 3 Mozart, 1 Verdi, 2 Puccini, 1Cilea, 1 Strauss, 1 Rossini, 1 Humperdinck, 5 opéras en français (Faust, Alceste, Le Cid, Le Roi Arthus, Pelléas et Mélisande) et 1 Dvorak. Voilà une saison (la dernière préparée par Nicolas Joel) qui se colore d’un répertoire français connu (Faust et Pelléas) et moins connu (Le Cid et Le Roi Arthus, qui fait son entrée à l’Opéra de Paris) et de nouvelles productions de standards tiroir-caisse: la Tosca de Werner Schröter, qui a fait les beaux soirs de Bastille depuis vingt ans et qui est sans doute amortie depuis des lustres, est remplacée par une production de Pierre Audi, dont il faut attendre sans doute un travail propre et suffisamment sage pour ne pas effrayer. Après Coline Serreau dont le Barbier de Séville a été vu suffisamment semble-t-il depuis 2002, c’est la production du grand Théâtre de Genève qui est importée, signée Damiano Michieletto qui va ainsi faire sa première mise en scène à Paris.
Pour les stars, il faudra repasser plus tard: pas de Jonas ni de Nina, ni évidemment de Anja, qui aura fait sa première apparition avec l’Orchestre de l’Opéra cet été…mais à Lucerne .
Pas de stars de la baguette non plus, mais des débuts dignes d’intérêt, comme ceux de Dan Ettinger dont on fait grand cas en terre germanique et américaine pour La Traviata,  ceux de Constantin Trinks et Patrick Lange, deux jeunes baguettes germaniques  des plus intéressantes qui se partageront Die Zauberflöte et des retours  comme celui d’Alain Altinoglu dans Don Giovanni, ou de Michel Plasson dans Faust et Le Cid; enfin,  un éternel retour, celui de Daniel Oren, pour la nouvelle production de Tosca (il alternera avec Evelino Pido’, autant dire le ying et le yang) et pour la nouvelle production d’Adriana Lecouvreur . Philippe Jordan dirigera moins cette année et s’est réservé seulement trois productions Die Entführung aus dem Serail, Pelléas et Mélisande, Le Roi Arthus, ainsi qu’un cycle des symphonies de Beethoven en concert.
Si cette saison propose quelques soirées digne d’intérêt, on ne peut pas dire qu’elle soit vraiment stimulante; on a l’impression une fois de plus que la travail consiste à mettre des noms devant des titres, sans vrai projet, qu’il faut remplir les caisses et donc Tosca (20 représentations!), Traviata, Bohème, Zauberflöte, Don Giovanni, Faust font office de tiroir-caisse.
Du côté des distributions, même couleur gris-répertoire, même si on note le retour fort bienvenu de la grande Karita Mattila dans Ariane à Naxos, une reprise bien distribuée dirigée par Michael Schønwandt avec par ailleurs Sophie Koch, Daniela Fally et Klaus Florian Vogt dans Bacchus (il FAUT y aller). On reverra avec immense plaisir Stéphane Degout pour Pelléas et Mélisande (Pelléas) et pour Alceste (le Grand prêtre), une reprise de la production de Py avec cette fois Véronique Gens et le jeune et très talentueux Stanislas de Barbeyrac dans Admète.  Rusalka revient aussi avec Olga Guryakova, dans la production Carsen, mais Lyon propose l’an prochain une Rusalka autrement stimulante, celle de Stefan Herheim vue à La Monnaie et à Bercelone.
Malgré une saison où apparaissent Alagna, Antonacci, et Gheorghiu  le pompon noir sera sans doute porté par  Tosca avec l’insupportable Oksana Dyka et Martina Serafin, qui s’est fait jeter à la Scala dans le rôle, et où, seule, Béatrice Uria-Monzon tiendra sans doute la route; parmi les trois ténors prévus pour Cavaradossi, Marcelo Alvarez sera sans doute le phoenix des hôtes de ces bois (on a les phoenix qu’on peut), les autres étant plus ou moins des ténors à décibels (Berti et Giordano). Un nouveau ténor pointe à l’horizon d’ailleurs, Khachatur Badalyan qu’on va entendre plusieurs fois. Mais dans l’ensemble, il n’y a pas de production qui puisse accrocher l’intérêt véritable, pas un moment qu’on doive vivre toutes affaires cessantes: c’est un peu triste et c’est dommage.
Alors regardons d’un peu plus près les nouvelles productions, dont certaines le sont seulement pour Paris: Le Cid vient de Marseille, Le Barbier de Séville vient de Genève, Adriana Lecouvreur a déjà été vue à Londres.

Il Barbiere di Siviglia, sera dirigé par Carlo Montanaro, ex violoniste de l’orchestre du Mai musical florentin, actuel directeur musical du Teatr Wielki, l’opéra de Varsovie qui a circulé dans bien des théâtres (de Macerata à Graz, de Stuttgart à Berlin, de Reggio Calabria à Tel Aviv) et qui fait escale à Paris. Un chef de bonne réputation pour le répertoire italien.
La mise en scène est assurée par Damiano Michieletto (décor de Paolo Fantin), nouvel enfant terrible de la scène italienne, qui a déjà fait parler de lui à Salzbourg (Bohème) et à la Scala: elle sera décoiffante, comme tout ce qu’il fait.
La distribution dominée par Karine Deshayes (qui alterne avec Marina Comparato), très aimée de Nicolas Joel, ne semble pas destinée à marquer les esprits même si on entendra avec curiosité René Barbera, venu de Chicago qui semble marcher sur les traces de Juan-Diego Florez et qui écume déjà les scènes américaines (en alternance avec Edgardo Rocha, jeune ténor uruguayen valeureux) en Almaviva, Carlo Lepore (et Paolo Bordogna) en Bartolo, Dalibor Jenis en Figaro, alternant avec Florian Sempey, qui sera lui aussi très intéressant à entendre. (14 représentations du 19 septembre au 3 novembre). L’intérêt de ce Barbier de Séville réside essentiellement dans la découverte de ces deux jeunes voix, un ténor et un baryton.

Tosca, de Puccini, mise en scène de Pierre Audi, direction musicale Daniel Oren et Evelino Pido’. Oren est dans son élément, Pido’ est inattendu dans ce répertoire, mais pourquoi pas. Deux chefs néanmoins aux styles très différents, mais deux professionnels. Mon conseil aller plutôt écouter Pido’. 20 représentations du 10 octobre au 28 novembre et trois distributions dont j’ai révélé plus haut les merveilles. Restent les (quatre) Scarpia: Ludovic Tézier, et ce sera sans doute bon, comme d’habitude, Georges Gagnidze, sans doute un peu moins bien, et Sergey Murzaev en alternance avec Sebastian Catana. Avec 10 chanteurs dans les principaux rôles, aux qualités d’acteur contrastées, on souhaite bien du plaisir au metteur en scène. Une Tosca de grande industrie.

Bonne idée que de proposer Die Entführung aus dem Serail devenu plus rare sur les scènes. Philippe Jordan  assurera la direction musicale de la première série (9 représentations en octobre et novembre) tandis que la seconde série (10 représentations en janvier et février)  sera dirigée par Marius Stieghorst, son assistant devenu directeur musical de l’Orchestre Symphonique d’Orléans. La distribution est dominée par Erin Morley, Konstanze qui assure la première série, tandis qu’Albina Shagimuratova (La Lucia de la Scala cette saison) sera Konstanze dans la seconde série. Belmonte sera le très bon Bernard Richter en automne et Frédéric Antoun en hiver, très intéressant lui aussi. Anna Prohaska  sera Blonde (automne), tandis que Sofia Fomina le sera en hiver.
La mise en scène sera assurée par Zabou Breitman, et ce sera sa première mise en scène d’opéra.

Le Cid de Massenet vient de Marseille, dans une mise en scène de Charles Roubaud et sera dirigé par Michel Plasson, un nom qui suffit à rendre cette nouvelle production digne d’intérêt. La distribution construite autour du trio Roberto Alagna, Anna Caterina Antonacci et Annick Massis est entièrement française (Paul Gay, Luca Lombardo etc..). Une fois de plus, l’appel à une production extérieure montre que l’on ne parie pas sur la pérennité du titre dans le répertoire. Mais c’est l’occasion une fois dans une vie d’écouter Le Cid, même si Corneille, c’est bien mieux!

Entrée à l’Opéra de Paris du Roi Arthus d’Ernest Chausson (que Strasbourg présente en mars 2014 dans une mise en scène de Keith Warner et la direction musicale du canadien Jacques Lacombe), créé à Bruxelles en 1903. Après 111 ans, il était temps et c’est une bonne initiative de la direction de l’Opéra. La distribution est prestigieuse:  Sophie Koch, Thomas Hampson, Roberto Alagna, Bernard Richter, Peter Sidhom et c’est Philippe Jordan qui dirigera, ajoutant à son répertoire une oeuvre où on ne l’attend pas.
La mise en scène est confiée au très professionnel Graham Vick, dans des décors et costumes de Paul Brown. Il faut évidemment y aller (10 représentations en mai et juin 2015).

Dernière nouvelle production de la saison, Adriana Lecouvreur de Francesco Cilea. Comme il se doit à Paris pour ce répertoire, c’est à Daniel Oren qu’on confie les rênes de l’orchestre et c’est David Mc Vicar qui en assurera la mise en scène déjà présentée à Londres en 2012 (avec Kaufmann et Gheorghiu, un DVD DECCA en témoigne), une production très naturaliste: il ne manque pas un bouton de guêtre à la reconstitution de la Comédie Française au XVIIIème.
Rappelons qu’Adriana Lecouvreur est entrée à l’Opéra de Paris en 1993-1994, sous la brève ère Jean-Marie Blanchard, avec Mirella Freni dont ce fut la dernière apparition à l’Opéra:  elle y reçut des ovations délirantes dont les échos s’entendent encore à Bastille.
C’est Angela Gheorghiu (en alternance avec Svetla Vassilieva) qui sera l’amoureuse Adriana, face au Maurizio de Marcelo Alvarez, le ténor à tout faire, qui est en général meilleur dans ce répertoire que dans Verdi, et Luciana d’Intino sera la méchante Princesse de Bouillon. Nous irons, bien sûr, avec notre bouquet de violettes…

Enfin notons les concerts, qui, en dehors de l’intégrale Beethoven dirigé par Philippe Jordan (9ème symphonie les 17 juin et 13 juillet avec Ricarda Merbeth, Daniela Sindram, Robert Dean Smith, Günther Groissböck) afficheront la 4ème de Brahms et surtout Erwartung de Schönberg avec Angela Denoke dirigé par Ingo Metzmacher (14 octobre) et la 7ème de Mahler le 4 avril où l’on découvrira le jeune Cornelius Meister, un des chef allemand qui monte..

Fin de règne de Nicolas Joel. S’il n’a pas brillé par le projet ou l’originalité, et cette saison en est la preuve,  il laisse à Stéphane Lissner un théâtre en état de marche, en bon état, avec une politique marketing bien rodée: le marketing consiste à faire bien vendre des produits moyens.
Nul doute que Lissner pourra se pencher sur les contenus sans avoir (trop) de problèmes de contenant, nous l’attendons avec intérêt, voire impatience.
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TEATRO REAL 2014-2015: LA PROCHAINE SAISON DE MADRID

 

Planté en face du palais Royal, le Teatro Real illustre bien la symbolique de l’opéra et du pouvoir.
Le XIXème français a installé en général le théâtre pas trop loin de la mairie, comme deux symboles civiques forts. Ici, c’est l’opéra, théâtre royal, qui dialogue avec le palais.
On va me rétorquer (et on aura raison) que la Scala est face à la mairie de Milan. Mais  même si le Palazzo Marino remonte au XVIème siècle et la Scala au XVIIIème, il n’est le siège de la mairie de Milan que depuis septembre 1861. Et donc c’est la mairie qui choisit de faire face à la Scala, et qui du même coup affirme la Scala comme théâtre des citoyens et non théâtre de Cour: déjà, sa construction, séparée du Palazzo Reale au XVIIIème symbolisait la conquête  de son théâtre par la cité. D’ailleurs, le centre de Milan réhabilité après l’unité d’Italie est particulièrement intéressant: le Palais royal, le Duomo, la Mairie et la Scala sont liés par la galerie Vittorio Emanuele (1879) qui constitue ce qu’on appelle le Salotto di Milano. Toute l’histoire de Milan est là, tracée sur une ligne: l’histoire d’une ville qui s’est elle même libérée de ses jougs.
Le Teatro Real (architecte Antonio López Aguado), dont la façade et l’entrée donnent sur le Palais royal et non sur la Ville, illustre au contraire une autre histoire. Construit sur ordre de la reine Isabelle II en 1850, il est royal de naissance. Et de naissance aussi, il célèbre l’opéra italien (inauguration avec La Favorite de Donizetti). La construction du métro occasionne sa fermeture en 1925, et ce n’est qu’après 1990, après des travaux de restructuration et de rénovation, qu’il est rendu à sa fonction première.
Pendant des années, l’opéra à Madrid s’est transplanté au Teatro de la Zarzuela (qui lui, remonte à 1858, toujours sous le règne d’Isabelle II passionnée de musique…et de musiciens).
La salle du Teatro Real d’une capacité de 1800 places, est une salle au rapport scène/salle très équilibré et douée d’une très belle acoustique. Depuis 2010, c’est Gérard Mortier qui en était le directeur artistique, jusqu’en septembre 2013, où dans les conditions lamentables que l’on sait, il est remplacé par Joan Matabosch, directeur artistique du Liceu de Barcelone.
Il nous faut nous arrêter quelque peu sur la question de l’opéra en Espagne.
Tant que le Teatro Real n’a pas été réouvert à l’opéra, c’est le Liceu de Barcelone qui était en Espagne la salle de référence. La réouverture du Teatro Real s’est non seulement accompagnée de l’ouverture de plusieurs théâtres d’opéra en Espagne (Palau de les Arts Reina Sofia à Valence, Teatro de la Maestranza à Séville), mais a donné l’occasion de relancer une véritable politique artistique à Madrid et attirer l’attention des grands managers d’opéra, à commencer par Stéphane Lissner. C’était l’époque où l’Espagne avait le vent en poupe.
Gérard Mortier arrive à Madrid à un moment de repli dû à la crise, et affiche une politique (celle qu’il a toujours défendue) ouverte aux metteurs en scènes novateurs, aux oeuvres du XXème siècle, aux créations. Or le répertoire de l’opéra en Espagne est très fortement marqué par le répertoire italien, et par une certaine tradition. Il bouscule donc les habitudes. De son côté, Joan Matabosch au Liceu (qu’il dirigeait depuis 1996) a essayé d’ouvrir le répertoire, mais a toujours veillé à tenir des équilibres entre tradition maison et ouverture. C’est par exemple au Liceu que Calixto Bieito fait sa première mise en scène “scandaleuse” en 2001, un Ballo in maschera resté dans les mémoires.
Liceu et Madrid se partagent donc en Espagne la suprématie en matière lyrique.
La saison 2014-2015 du Teatro Real essaie d’afficher cet équilibre entre innovation et tradition, et surtout, en ces temps de crise et de réduction de subventions, essaie d’afficher des titres qui puissent attirer le public en gardant des exigences artistiques de haut niveau. On est cependant déjà assez loin de la politique d’un Mortier, avec la création cette année de Brokeback Mountain de Charles Wuorinen mis en scène par Ivo van Hove qui a attiré les regards de toute l’Europe lyrique, ou de la présence régulière de metteurs en scènes tels que Marthaler (Les contes d’Hoffmann), Warlikowski (Alceste) ou Peter Sellars (Tristan und Isolde et The Indian Queen).
La programmation de la saison prochaine est sans doute un peu plus sage ou plus conforme, mais non dépourvue d’intérêt.

Le nouveau directeur musical, le britannique Ivor Bolton, spécialiste du XVIIIème siècle (il est claveciniste) et habitué de la scène munichoise, ouvrira la saison avec une production des Nozze di Figaro en septembre pour 10 représentations (à partir du 15 septembre) et deux distributions avec Luca Pisaroni en comte (alternant avec Andrey Bondarenko), Sofia Soloviy (ou Anett Fritsch) en comtesse, Andreas Wolf/Davide Luciano en Figaro, Sylvia Schwartz/Eleonora Buratto en Suzanne, et Elena Tsallagova alternant avec Lena Belkina en Cherubino.

13 représentations tiroir-caisse entre le 20 octobre et le 9 novembre de La Fille du Régiment de Donizetti dans la mise en scène de Laurent Pelly devenue la mise en scène quasi unique  de cette oeuvre dans les grands opéras internationaux (sauf à la Scala) puisqu’on l’a vue au MET, à Londres, à Vienne, à Paris. Ce sera l’occasion de revoir Natalie Dessay, qui alternera avec Désirée Rancatore et Alexandra Kurzak dans Marie, et Javier Camerana (et Antonio Siragusa) en Tonio, ainsi qu’Ewa Podles alternant avec Ann Murray dans la Marquise de Berkenfeld. L’orchestre sera dirigé par le vieux routier Bruno Campanella et le jeune chef français Jean-Luc Tingaud.

Honneur à Britten en décembre (7 représentations entre le 4 et le 23 décembre) avec Death in Venice dirigé par Alejo Pérez dans une mise en scène de Willy Decker (et des décors et costumes de Wolfgang Güssmann) en coproduction avec le Liceu de Barcelone, avec John Daszak en Aschenbach et Peter Sidhom en voyageur.

Trois représentations (16, 20 ,26 décembre) de concert de Roméo et Juliette de Gounod très bien distribué avec Sonya Yoncheva et Roberto Alagna et dirigé par Michel Plasson à l’occasion des 140 ans depuis la première au Teatro Real.

9 représentations entre le 20 janvier et le 7 février de Hänsel und Gretel de Humperdinck, dirigé par Paul Daniel (et Diego García Rodríguez le 27 février) et mis en scène par Joan Font (du collectif catalan Comediants) et des décors et costumes de Ágatha Ruiz de la Prada avec une belle distribution: Bo Skhovus, Diana Montague , Alice Coote et Sylvia Schwartz. Cette production devrait valoir le voyage.

Une création en mars, de El Público, opéra en cinq actes et un prologue de Mauricio Soleto (né en 1961) livret de Andrés Ibáñez, d’après la pièce El Público (1928) de Federico García Lorca, pour huit représentations du 24 février au 9 mars.
Pablo Heras-Casado dirigera à cette occasion le Klangforum Wien dans une mise en scène de l’américain Robert Castro et des décors du sculpteur Alexander Polzin, avec notamment Andreas Wolf, Ancángel et Gun-Brit Barkmin. Cette production aussi devrait valoir le voyage, car adapter une oeuvre aussi complexe que El Público écrite par Federico García Lorca à Cuba devrait être passionnant.

16 représentations tiroir-caisse en avril et mai (20 avril-9 mai) de La Traviata de Verdi mise en scène de David Mc Vicar dans des décors et costumes de Tanya McCallin (vue au Grand Théâtre de Genève- voir le blog) et coproduite avec le Liceu, le Scottish Opera (Glasgow) et le Welsh Opera de Cardiff. L’ensemble des représentations sera dirigé par Renato Palumbo et trois distributions alterneront:
– Patrizia Ciofi (Violetta)/Francesco Demuro (Alfredo)/Juan Jesús Rodríguez (Germont)
– Irina Lungu (Violetta)/Antonio Gandía (Alfredo)/Ángel Ódena (Germont)
– Ermonela Jaho (Violetta)/Teodor Ilincái (Alfredo)/Leo Nucci (Germont)

De 27 mai au 11 juin, 8 représentations de Fidelio de Beethoven, dirigé par Hartmut Haenchen, mis en scène de Alex Ollé de la Fura dels Baus en collaboration avec Valentina Carrasco, des décors de Alfons Flores et des costumes de Lluc Castells et chanté par Michael König (Florestan), Adrianne Pieczonka (Leonore) Franz-Josef Selig (Rocco) Anett Fritsch (Marzellina), Ed Lyon (Jaquino), Alan Held (Don Pizarro), Goran Jurić (Don Fernando).
Un spectacle qui devrait être attirant pour un beau week end de printemps à Madrid.

En juillet, pour clore en beauté la saison, et pour revenir à Madrid pour un week end cette fois estival: Goyescas de Granados, et Gianni Schicchi de Puccini, en une soirée, où l’on verra Plácido Domingo en chef d’orchestre (Goyescas) et en chanteur pour une prise de rôle (Gianni Schicchi). (Cinq représentations du 30 juin au 12 juillet)
Goyescas de Granados sera dirigé donc par Plácido Domingo et mis en scène par José Luis Gómez dans des décors d’Eduardo Arroyo et des costumes de Moidele Bickel (une grande équipe pour les décors et costumes) avec María Bayo, Andeka Gorrotxategi, José Carbó.
Gianni Schicchi de Puccini sera dirigé par le grand routier du répertoire Giuliano Carella, dans une mise en scène de Woody Allen (sa première mise en scène d’opéra), des décors de Santo Loquasto, avec Plácido Domingo (Schicchi), Maite Alberola (Lauretta), Elena Zilio (Zita), Albert Casals (Rinuccio), Vicente Ombuena (Gherardo) et Bruno Praticò (Betto di Signa).

Enfin, pour cinq représentations entre le 4 et le 10 juillet, une autre création mondiale, une pièce de théâtre musical en quinze tableaux La ciudad de la mentiras (la cité des mensonges) de Elena Mendoza (née en 1973), Livret de Matthias Rebstock d’après des nouvelles de l’écrivain uruguayen  Juan Carlos Onetti (Un sueño realizado, El álbum, La novia robada El infierno tan temido). Juan Carlos Onetti (1909-1994) inscrit ses écrits dans une toile de fond constituée de la ville imaginaire de Santa María, métaphore de la désespérance et de l’hypocrisie sociale, et de l’isolement de l’individu.
Matthias Rebstock et Elena Mendoza entrelacent quatre récits, créant une polyphonie des lieux, des personnes et des situations et se concentrant sur quatre femmes qui s’accrochent à leurs mensonges existentiels, non sans humour d’ailleurs ni une certaine grandeur.

Une saison très contrastée, avec des moments intéressants qui devraient donner plusieurs occasion de passer quelques jours à Madrid, ce à quoi on peut vivement encourager les amateurs d’opéra.
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DE NEDERLANDSE OPERA 2014-2015: LA PROCHAINE SAISON D’AMSTERDAM

Le caractère de l’opéra d’Amsterdam, c’est une qualité régulière, musicale comme scénique, et une ouverture vers la modernité et le contemporain. Dirigé depuis 25 ans par Pierre Audi, il possède un choeur, mais pas d’orchestre fixe, même si on y voit régulièrement  le Netherlands Philharmonic Orchestra et au moins une fois par an le Royal Concertgebouw. Ce sera encore le cas cette année (2014) pour un Falstaff (celui de Robert Carsen, vu à la Scala et ailleurs) de fin de saison dirigé par Daniele Gatti.
La saison 2014-2105 commence  le 2 septembre 2014 par six représentations d’une version scénique des Gurre-Lieder de Schönberg, avec notamment Burkhard Fritz, Emily Magee et Anna Larsson, mis en scène de Pierre Audi (décors de Christof Hetzer) et dirigé par le directeur musical Marc Albrecht (avec le Netherlands Philharmonic Orchestra). Immédiatement après, le 3 septembre et pour trois représentations, c’est au tour de l’Orfeo de Monteverdi dans la vision de Sasha Waltz, dirigé par Pablo Heras-Casado (avec le Freiburger Barockorchester et le Vocalconsort Berlin).
En octobre, Patrick Fournillier (et le Residentie Orchestra) dirigera L’Étoile de Chabrier pour huit représentations à partir du 4 octobre avec Chritophe Mortagne, Stéphanie d’Oustrac et Hélène Guilmette, dans une mise en scène de Laurent Pelly, qui signera aussi les décors et les costumes.
Du 10 au 29 novembre pour 7 représentations, une nouvelle production de Lohengrin de Wagner dirigée par Marc Albrecht (avec le Netherlands Philharmonic Orchestra) dans une mise en scène de Pierre Audi et des décors du plasticien Jannis Kounellis avec Nicolai Schukoff, Juliane Banse, Günther Groissböck, Michaela Schuster et Evguenyi Nikitin.
En décembre, 10 représentations de La Bohème, de Puccini avec le Netherlands Philharmonic Orchestra dirigé par Renato Palumbo, dans une mise en scène de Benedict Andrews (metteur en scène australien à qui on doit une mise en scène de Grands et Petits de Botho Strauss passée par le Théâtre de la Ville en 2012) et des décors de Johannes Schütz avec Atalla Ayan (Rodolfo) et Grazia Doronzio (Mimi).
Du 20 janvier au 8 février, Il Viaggio a Reims de Rossini pour huit représentations  avec le Netherlands Chamber Orchestra dirigé par Stefano Montanari (Le comte Ory à Lyon) et mis en scène par Damiano Michieletto (cela décoiffera pour sûr), avec une distribution honorable, Nicola Ulivieri, Roberto Tagliavini, Carmen Giannatasio, Juan Francisco Gatell, Anna Goryachova et Nino Machaidze. En même temps, l’Opéra présentera une adaptation (version nouvelle) pour quatre représentations qui a nom Ramble to Reims spécialement pour le jeune public, avec le Netherlands Chamber Orchestra, dirigé par Aldert Vermeulen et une mise en scène de Marcel Sijm.
L’Opéra se transporte fin février / début mars au Stadsschouwburg Amsterdam (siège du Toneelgroep de Ivo van Hove) pour  Tamerlano  et Alcina de Haendel avec Les Talens Lyriques dirigés par Christophe Rousset. Trois représentations de Tamerlano avec notamment Delphine Galou, Sophie Karthäuser et Christophe Dumaux, et trois représentations de Alcina avec notamment Sandrine Piau et Varduhi Abrahamian (comme à Zürich), le tout dans une mise en scène de Pierre Audi et des décors de Patrick Kinmonth (Samson et Dalila à Genève)  qui signera également les costumes avec le chœur de La Monnaie de Bruxelles (avec lequel le spectacle est en coproduction).
En mars et pour 10 représentations, Die Zauberflöte de Mozart dans la production de Simon McBurney (et les décors de Michael Levine) qu’on aura vu à Aix en Provence cet été, dirigée par Marc Albrecht – et Gergely Madaras fin mars- , avec notamment Maximilian Schmitt, Brindley Sherratt, Chen Reiss et Iride Martínez (Netherlands Philharmonic Orchestra).
En avril, Verdi à l’honneur avec Macbeth dirigé par Marc Albrecht (et le Netherlands Philharmonic  Orchestra) avec Tatiana Serjan et Scott Hendricks, ainsi que le Banco de Vitalij Kowaljow, dans une mise en scène d’Andrea Breth (et des décors et costumes de Martin Zehetgruber) (9 représentations à partir du 3 avril).
Il faudra nécessairement venir à Amsterdam en mai pour l’une des 7 représentations (à partir du 9 mai) du rarissime Benvenuto Cellini de Berlioz dirigé par Sir Mark Elder (avec le Rotterdam Philharmonic Orchestra) avec une jolie distribution, John Osborn, Orlin Anastassov, Laurent Naouri, Patricia Petibon et une mise en scène de Terry Gilliam (ex-Monty Python) et Leah Hausman (qui assure aussi la chorégraphie).
En juin, le Royal Concertgebouw Orchestra sera dirigé par Fabio Luisi pour une nouvelle production de Lulu de Berg, dans une mise en scène de William Kentridge et Luc de Wit, et des décors de William Kentridge et Sabine Theunissen. Mojka Erdmann sera Lulu, Jennifer Larmore la Geschwitz, Johan Reuter le Dr Schön et Alwa Daniel Brenna.
Même si je ne sens pas Luisi dans ce répertoire, une mise en scène de William Kentridge est attirante  et il faudra sans doute se rendre à l’une des huit représentations (première le 6 juin).
Comme toujours une saison équilibrée, stimulante par l’appel à des metteurs en scène imaginatifs et originaux, un peu moins cette année cependant par le choix de certain chefs. Mais peut-on résister à une Lulu‘ avec le Concertgebouw ou un Benvenuto Cellini? Et puis, Amsterdam (notamment pour un parisien) c’est une virée un dimanche, et un petit week-end charmeur  au bord des canaux: cela peut-il se refuser?
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