TEATRO COMUNALE CLAUDIO ABBADO – FERRARA 2014-2015: Daniele GATTI DIRIGE LE MAHLER CHAMBER ORCHESTRA LE 26 JANVIER 2015 (BEETHOVEN, SYMPHONIES N°1, 2, 5)

Ferrara, 26 janvier 2014
Ferrara, 26 janvier 2014

Ferrare…un des joyaux de l’Émilie où pendant des années, dans le joli théâtre qui porte aujourd’hui son nom, Claudio Abbado a accumulé concerts et opéras : Don Giovanni (Terfel Keenlyside), Cosi’ fan tutte, Nozze di Figaro, Simon Boccanegra, Viaggio a Reims, entre autres et puis des concerts à n’en plus finir, dont un concerto n°3 de Beethoven (d’ailleurs enregistré) anthologique avec Martha Argerich. Aller à Ferrare était une habitude, avec après la représentation le repas chez Settimo, où se retrouvaient artistes et spectateurs. C’est là qu’a grandi le Mahler Chamber Orchestra, là où il est encore en résidence, là où ce soir, en hommage au grand disparu, le MCO va donner un programme Beethoven dirigé par Daniele Gatti.
Alors j’y suis retourné : je ne pouvais assister à tous les concerts de Claudio et donc n’étais pas venu à Ferrare depuis longtemps ; la cité est une de ces villes immuables, cette fois merveilleusement éclairée par un froid soleil d’hiver. On y retrouve ses marques très vite, d’autant que beaucoup d’Abbadiani ont décidé de faire le voyage et c’est avec une joie mêlée de douleur que nous nous sommes tous retrouvés pour la journée ferraraise traditionnelle, matin répétition (en principe pour les jeunes), soir concert, et entre les deux promenades dans mes endroits préférés (Piazza Ariostea e dintorni) à la recherche des impressions indélébiles des premières pages du Giardino dei Finzi Contini de Giorgio Bassani.
Le Mahler Chamber Orchestra est vraiment une merveilleuse phalange, dont on sait qu’il constitue les tutti du Lucerne Festival Orchestra. Sa fondation, qui remonte à 1997, a été motivée par le désir de musiciens issus du Gustav Mahler Jugendorchester atteints par la limite d’âge de continuer à jouer ensemble. Soutenus par Claudio Abbado avec qui ils entretenaient un lien très fort, puisqu’ils avaient souvent travaillé avec lui dans le cadre de GMJO, ils ont donc fondé cet orchestre, qui bien sûr s’est profondément renouvelé ces dernières années, avec deux éléments importants à souligner :

  • il y a encore des solistes de la formation originale, ou entrés peu après la fondation, comme la flûtiste Chiara Tonelli le violoncelliste Philipp von Steinhaecker, Jaan Bossier (clarinette) Annette zu Castell ou Michiel Commandeur (violon) qui donnent évidemment un esprit particulier à la formation
  • les membres entrés dans l’orchestre postérieurement font encore partie de la jeune génération : ce qui frappe donc dans cet orchestre, c’est, outre sa qualité, sa jeunesse et son engagement.

C’est un orchestre irrésistiblement sympathique, qu’on a suivi parce qu’il était lié à Claudio Abbado (c’est lui notamment qui était la formation du Don Giovanni d’Aix dirigé alternativement par Claudio Abbado et Daniel Harding, et il fut en résidence à Aix pendant toute la période Lissner).
La résidence à Ferrare est la résidence d’origine, liée à Ferrara Musica, qui a donné un cadre aux concerts et opéras qu’Abbado et le Mahler Chamber Orchestra ont offert à la cité jusqu’aux années 2000. Un orchestre fondé et modelé par Abbado, habitué à “zusammenmusizieren”, c’est une phalange par force particulière.

Bien des amis n’ont pu rester pendant toute la répétition, tant l’image de Claudio dans cette salle avec cet orchestre, les poursuivait. Et je dois confesser que plusieurs fois, les larmes sont venus irriguer cette journée particulière. Claudio nous manque, me manque terriblement, comme une béance dans l’ordonnancement de ma vie.
Mais nous sommes là pour témoigner que la vie continue, et avec elle la musique.
Le Mahler Chamber Orchestra commençait à Ferrare une mini tournée qui va porter ce programme (Beethoven Symphonies 1, 2, 5) ensuite à Turin, Pavie, Crémone. Une tournée « Plaine du Pô » en quelque sorte qui se poursuivra au printemps à Turin et Reggio Emilia, mais avec deux autres symphonies, la 4 et la 3.
Avec un tel programme, Gatti oppose d’une part les deux premières symphonies, encore marquées par les formes et la tradition classique de Haydn, et avec la Cinquième, symbole mondial de l’identité beethovenienne. Car c’est bien la question de l’identité beethovénienne qui nous est ici posée, à travers une lecture surprenante et passionnante.
D’autant plus surprenante que la répétition du matin avait permis de comprendre une certaine volonté de Gatti de travailler avec la précision d’un artisan le tissu orchestral. D’abord, une exécution de la symphonie entière, puis une relecture particulièrement attentive de certains moments, avec indications y compris techniques, mais tendant pour l’essentiel à demander aux musiciens une plus grande souplesse, une plus grande douceur là où les attaques semblaient brutales. Le travail s’est effectué beaucoup plus sur certaines phrases habituellement « masquées » par rapport à la mélodie principale, dans l’épaisseur du texte musical, ce qui permettait à l’auditeur de prendre des repères inhabituels. Mais, au moins sur les deux premières symphonies, l’exécution ne semblait pas s’éloigner de manière trop marquée d’un classicisme qui semblait bien cohérent avec un Beethoven encore marqué par le XVIIIème et Haydn (les deux symphonies remontent à 1800-1803), plus claire était l’exécution de la 5ème où chacun semblait plus « libéré » et le rythme plus marqué. Ainsi des symphonies initiales à celle qui sans doute n’est pas étrangère à l’adjectif beethovénien dont on qualifie une musique à la fois héroïque et généreuse, il y a habituellement une distance. Beethoven n’est pas tout à fait lui-même dans les deux premières et il l’est pleinement dans la cinquième.

C’est cette idée reçue, ce locus communis qui circule chez les mélomanes qui a été par Daniele Gatti littéralement taillé en pièces dans l’exécution d’un concert qui n’avait plus rien à voir avec ce qui avait été perçu le matin en répétition.
Où étaient les exécutions maîtrisées mais prudentes du matin ?
Gatti nous indique un chemin non tourné vers les influences, vers le passé, mais un Beethoven du risque, de la jeunesse, de l’énergie inépuisable, un Beethoven tourné vers le futur, voire un futur lointain. Il nous dit en somme « chers auditeurs, Beethoven est déjà lui-même dès la Symphonie n°1, totalement, pleinement, et je vais vous le faire entendre ». De fait il y a une cohérence totale entre les trois symphonies entendues, au niveau du style, des tempos, de l’épaisseur, des surprises contenues dans ce qu’il nous indique et que quelquefois, nous n’avions jamais entendu. Le travail du matin éclairait le concert: impossible de croire ou de penser qu’il y’a de la lourdeur et de la brutalité comme on l’entend dans les travées des salles parisiennes. Il faut se plonger résolument dans l’écoute, dans l’apaiser et jamais ne se contenter de la surface, de la forme, de l’habitude.
Rien de lourd, mais la puissance, oui la puissance qui s’exprimerait dans un marbre grec vu de loin, mais dont les moindres détails vu de très près reproduiraient une réalité raffinée et idéalisée. Comment peut-on concilier une telle énergie, une telle puissance et en même temps un tel raffinement ?
Il est vrai qu’il y a un orchestre qui sait écouter et s’écouter, qui comprend le moindre geste du chef, qui en répétition n’hésitait pas esquisser les gestes techniques de l’instrument, un orchestre qui perçoit les nuances voulues au vol et dont le son reste malgré tout équilibré, jamais trop fort et surtout jamais violent.
Ce son est pour les trois symphonies, une force qui va, qui avance, qui surprend, une approche pleine d’optimisme, de jeunesse et de vigueur.
J’avais l’habitude d’une première symphonie plus ronde, plus apaisée, et ici dès l’accord initial au bois, il y a une sorte de brutalité qui n’est pas celle de la brute, mais de l’enfant, de l’adolescent vigoureux plein de sève, et aussi plein de tendresse, parce que la réponse des violons qui suit immédiatement est légère, souple, je dirais presque dansante, et surtout joyeuse, d’une joie qui caractérise la jeunesse. Et l’ensemble a un rythme toujours soutenu, un tempo vigoureux, mais sans jamais donner une impression de rapidité. Rien de compact et de lourd dans cet ensemble, car si l’interprétation est marquée, si il y a des ruptures, elles portent aussi en écho un travail approfondi sur le tissu orchestral, il y a toujours un jeu entre l’apparente brutalité de certains moments, et l’extrême attention par ailleurs aux sons retenus, aux silences, à ces moments subtils où la musique sort du silence, ce passage au quelque chose plutôt que rien, ou bien des transitions avec des rubatos surprenants (notamment dans la cinquième , dont le quatrième mouvement est fascinant de virtuosité acrobatique) .

Si la Symphonie n°1 diffuse d’abord une joie profonde et explosive en même temps, une sorte de bouillonnement optimiste, la symphonie n°2, que j’avais moins aimé en répétition, composée pourtant à un moment difficile pour Beethoven, où il va même jusqu’à songer au suicide est ici vraiment étonnante. C’est une symphonie à mon avis difficile à interpréter, joie, sérénité, sans doute, mais aucun interprète ne peut ignorer l’époque de sa composition et la crise personnelle vécue par Beethoven, il faut donc à la fois donner cette joie, tout en faisant entendre une autre musique.
Gatti garde ce qui faisait de la première symphonie une explosion vitale, car même si Beethoven écrit sa symphonie n°2 à un moment difficile, elle a aussi par ce qu’elle exprime une fonction apotropaïque, son écriture même est une manière de repousser les papillons noirs. Gatti garde donc cette énergie vitale, cette soif de vie qu’on lit dans les crescendos (au premier mouvement) pour retourner ensuite à une tendresse qui s’exprime par la légèreté des cordes, souvent effleurées, comme une petite musique en écho à des bois ou des cuivres plus présents, . On sent ces systèmes d’échos complexes dès les premières mesures de la symphonie qui nous promène entre douceur et tendresse extrême, entre délicatesse et raffinement et une « brutalité » qui ne semble que l’habillage de la pudeur. La justesse de ton du deuxième mouvement est à ce titre phénoménale .
On essaie toujours de rapprocher ce qu’on entend de ce qu’on a entendu, on pense à Klemperer, on pense aussi à Harnoncourt à cause de la clarté et des contrastes, mais aussi de la respiration, on entend aussi souvent un raffinement et une élégance presque abbadiennes. Le lecteur mal avisé dirait « Oui, tout et le contraire de tout !». C’est bien pour moi la preuve que Daniele Gatti construit un travail sur le texte musical profondément pensé et donc profondément original. Il y a là derrière à la fois une grande sensibilité, et une pensée profonde qui ne peut se rattacher à une école ou à d’autres chefs de manière si évidente. Gatti estime qu’il ne vaut pas la peine de faire de la musique si l’on sert au public ce qu’il connaît déjà : il préfère l’emmener ailleurs et il y réussit : il y a bien longtemps que je n’avais ainsi saisi par Beethoven (depuis Rome avec Abbado peut-être ?), et notamment ce Beethoven là.
Car ce Beethoven là est ailleurs. Et c’est une merveilleuse surprise.
La Cinquième, si rebattue sonne autre. Elle sonne l’énergie et la vitalité comme les deux autres, mais là, chaque mouvement force l’auditeur à l’arrêt ou le contraint à redoubler d’attention. Ici, un rythme effréné, là un hiératisme qui isole les sons .Je me souviendrai longtemps de ce deuxième mouvement où les bois sont tellement singuliers qu’on dirait presque une des six pièces de Webern, tellement au milieu de ce mouvement si solennel, cet îlot de sons perlés, ces gouttes sonores frappent et changent complètement l’écoute, sans parler de ce troisième où se lit une volonté d’alléger au maximum par des pianissimi complètement éthérés et qui se termine par cette couleur à la fois mélancolique et pastorale bien proche de l’ambiance de la sixième, comme un retour en soi, avant l’explosif dernier mouvement où les capacités techniques de l’orchestre sont mise à l’épreuve par la virtuosité demandée et le rythme étourdissant, mais où il en sort une impression de largeur, de respiration, un grand lyrisme qui serait en même temps au bord de l’épopée, mais seulement au bord. Le cœur battait, de joie communicative, de surprise d’être surpris par ce Beethoven-là.
Gatti saisit là l’extraordinaire optimisme beethovenien, il s’agit d’une lecture positive, tournée vers le futur, mais en même temps contrastée : Gatti ne donne pas de direction résolue, il montre la complexité d’une écriture et d’un discours : ici s’invente une syntaxe nouvelle, où chaque articulation est à la fois claire et affirmée, mais contrebalancée par une petite musique qui nuance, qui atténue, qui emmène ailleurs, une syntaxe qui contraint à une écoute tendue. Et son geste précis sans être large ni démonstratif se concentre sur les nuances,  par une main gauche et un visage à la fois très expressifs et mobiles. Il n’est pas de ces chefs qui se désarticulent dont se moquait Haitink dans une de ses master class à Lucerne, ni une bête de spectacle : il y a là une volonté de concentration et de sérieux, malgré la joie et le sourire qui ce soir là, ne cessaient d’éclairer son visage.

Daniele Gatti est revenu sur scène pour un « Grazie Claudio, per questo gioiello !» en montrant l’orchestre (merci, Claudio de ce joyau !).
Je serais venu de toute manière à Ferrare pour la mémoire de Claudio Abbado et pour l’un de ses (et de mes) orchestres favoris. L’hommage fut d’autant plus senti que ce que nous avons entendu était magistral, l’un des meilleurs Beethoven entendus ces dernières années. Quel plus grand hommage à Claudio qu’un pareil moment, commencé dans l’émotion du souvenir le matin et fini dans la joie de la musique et donc dans la joie de la vie. Les abbadiens présents n’oublieront pas.[wpsr_facebook]

Ferrare 26 janvier 2015
Ferrare 26 janvier 2015

OPÉRA NATIONAL DE LYON 2014-2015: IDOMENEO de W.A.MOZART le 23 JANVIER 2015 (Dir.mus:Gérard KORSTEN; Ms en scène: Martin KUŠEJ)

Idomeneo, un drame de la mer © Jean-Pierre Maurin
Idomeneo, un drame de la mer © Jean-Pierre Maurin

Les premières se suivent et se ressemblent. Après Londres début novembre, cet Idomeneo est accueilli à Lyon par des huées. Une fois de plus, c’est une attitude imbécile. Une salle qui n’applaudit pas ou peu est bien plus impressionnante qu’une salle traversée par des cris animaliers, mais cela fait partie du cirque lyrique.
En fait, il n’y a rien à huer, parce que le travail existe, qu’il a du sens,  même si cette production ne restera sans doute pas dans les annales.
La première partie est assez creuse, mais la seconde est plutôt mieux réussie.

Martin Kušej est un metteur en scène sérieux, typique d’un certain Regietheater, on lui doit des travaux de très grande qualité comme Lady Macbeth de Mzensk à Amsterdam (et Paris) ou Die Gezeichneten (à Amsterdam), ou même sa Carmen (Berlin, vue au Châtelet) d’autres moins convaincants comme son Macbeth ou sa Forza del Destino à Munich.

Cet Idomeneo part d’un constat intéressant qui n’est en rien contradictoire avec l’œuvre : dans la mesure où la divinité demande à Idomeneo d’abdiquer en faveur de son fils, Kušej pose la question de l’usure du pouvoir et de ses conséquences sur les peuples, celle de l’utilisation de la religion dans la manipulation des événements, ce qui est plutôt d’actualité, et propose des personnages coincés dans un espace d’où ils ne peuvent s’échapper, l’habituelle boite, avec un fond mobile installé sur une tournette. Labyrinthe (on est en Crète et Idomeneo est petit fils de Minos…) ou mur immaculé, ou maculé de sang. L’espace de jeu est plutôt réduit, un peu étouffant, pendant que souvent on aperçoit les personnages dans l’ombre,  courant en arrière scène ou dans les corridors : comme dans toute tragédie, les événements se passent derrière le décor.
On retrouve dans le décor de Annette Murschetz, les trois couleurs favorites de Kušej, le noir, le blanc, le rouge : fond alternativement noir ou blanc et en deuxième partie blanc maculé de rouge (sang), et chœur maniant des morceaux de tissu rouge (comme celui qui tombait du ciel dans Carmen…), un décor géométrique, abstrait, qui se veut relativement oppressant.

Acte I scène 1 Ilia au milieu des prisonniers troyens © Jean-Pierre Maurin
Acte I scène 1 Ilia au milieu des prisonniers troyens © Jean-Pierre Maurin

La première scène pose la situation telle que voulue par le metteur en scène : il la conçoit en amont de l’action ; des prisonniers opprimés par des gardiens armés en cuir noir, lunettes noires, une rencontre, des regards qui se croisent entre Ilia et Idamante. L’amour est installé et tout peut commencer : Idamante, régent, va libérer les prisonniers troyens.
De cette situation Kušej et son dramaturge tirent la trame politique : Idomeneo absent, avec Idamante se profile ce qu’on appellerait aujourd’hui une autre politique : une clémence envers les prisonniers qu’Idomeneo estimera plus tard prématurée et de nature à irriter les dieux. Ici les dieux sont des prétextes à manœuvres humaines, voire de basse police. Y compris évidemment le vœu d’Idomeneo, acte manqué qui vise à se débarrasser d’un fils trop indépendant, et à garder le pouvoir au nom des prétextes habituels de ceux qui veulent le garder (satisfaire le désir des dieux…). Alors la violence des gardiens, les lunettes noires , tout cela fait un peu partie de la pacotille habituelle de ce type de représentation, les idées sont intéressantes, mais mal ou banalement traduites.
Car Kušej s’est laissé prendre au piège de deux actes dramaturgiquement assez faibles, exposition bien trop longue, succession d’airs sans véritable drame ; alors il ne sait pas trop quoi faire de ses personnages : gestes convenus, courses à vide dans les corridors, tout le monde se croise sans jamais qu’il y ait action.

Les personnages sont dessinés de manière claire : le pouvoir en noir (religion et monarchie), Ilia sortie des prisonniers troyens reprend son allure de princesse (robe longue, bijoux), Idamante en chemise rouge et pantalon beige,

Miss Tick © & ™ Tous droits réservés, Walt Disney Company, Inc.
Miss Tick © & ™ Tous droits réservés, Walt Disney Company, Inc.

Elettra caricaturale, du genre sorcière (Miss Tick dans mon Journal de Mickey favori de ma première enfance), pas vraiment aimable, en tous cas un personnage auquel nul spectateur ne peut s’identifier…et un Arbace en lunettes aux verres réfléchissants, avec un accordéon, sorte de vagabond dont on devine que Kušej  fait une sorte d’exécuteur discret et fidèle des œuvres du pouvoir.
On est dans une sorte de symbolique où chaque personnage est un emblème : Idomeneo en noir, presque prêtre et encore roi (comme le sera Idamante dans la dernière image…) un Idamante du genre vaillant étudiant, une Ilia jolie princesse de contes de fées, une Elettra sorcière (de bande dessinée…), un prêtre de Neptune du genre Mage noir avec bagouses  et colliers.
Ainsi se construit une histoire distanciée, dont on veut à toutes forces qu’elle prenne sens, mais qui reste un peu lourde. On a surtout  l’impression que Kušej, à part leur attribuer une fonction, ne fait rien de ses personnages, et n’a pas vraiment travaillé le jeu et les interactions, sauf en de rares moments (scène Idomeneo/Ilia et jeu de séduction d’Ilia qui va assez loin) : c’est en tous cas Ilia qui semble le personnage le plus travaillé.
La deuxième partie, c’est à dire le troisième acte, est sans doute celui qui le plus intéressé le metteur en scène, car il a su créer une tension qu’on attendait en vain précédemment.
Le troisième acte réunit l’ensemble des outils destinés à faire avancer, puis dénouer l’action.
Comme le spectateur, Neptune s’est un peu ennuyé pendant les deux premiers actes, entre les tergiversations d’Idomeneo, l’amour d’Ilia et Idamante, et les illusions d’Elettra et surtout l’impossible communication Idamante /Idomeneo. Le Dieu s’impatiente, il veut sa victime, alors il lance un monstre sur la ville, un de ces monstres dont Neptune a le secret (voir la mort d’Hippolyte). D’ailleurs, la foule du premier acte ne portait-elle pas à Neptune un requin hyperréaliste, grandeur nature en sacrifice (et non une baleine comme j’ai entendu…), à moins qu’elle ne l’honorât sous une forme inhabituelle (et hautement métaphorique) de requin. Vision ironique de Kušej qui ne manque jamais de nous montrer sa distance et provoquer le (sou)rire.

Acte III, sc.1 © Jean-Pierre Maurin
Acte III, sc.1 © Jean-Pierre Maurin

Ce monstre dévore à qui mieux mieux tout ce qui bouge et le rideau s’ouvre sur un amas d’habits sanglants qui fait penser aux tas d’objets appartenant aux déportés qu’on voit dans les films sur les camps, contre un mur maculé. Tous les personnages vont s’y jucher, comme s’il était impossible d’échapper désormais au massacre et au sang, comme le montre la jolie robe souillée d’Ilia.
Le troisième acte dénoue les blocages un à un: Ilia n’a même pas encore avoué son amour à Idamante, mais va enfin le faire en suppliant Idamante de ne pas aller s’affronter au Monstre, comme il le veut, mais Elettra les surprend ainsi qu’Idomeneo (qui  avait subodoré leur amour) qui ne dit rien, et qui cherche seulement à précipiter le départ. Ni Ilia ni Idomeneo n’ont éclairé jusque là Idamante sur la nature de leurs vrais sentiments, c’est donc là le premier élement de résolution.

Idomeneo (Lothar Odinius) à genoux © Jean-Pierre Maurin
Idomeneo (Lothar Odinius) à genoux © Jean-Pierre Maurin

Devant l’urgence (symbolisée par le tas d’habits des morts massacrés par le monstre), le peuple manœuvré par le prêtre de Neptune (ah les curés…) insiste auprès d’Idomeneo, qui enfin avoue les raisons de son hésitation, et provoque la réaction horrifiée de la foule. Idomeneo a donc avoué lui aussi : deuxième élément de résolution.
Mais Arbace annonce qu’Idamante a tué le monstre : il est devenu un authentique héros, avec une vraie légitimité, autre que l’hérédité : il revient sur scène à la fois rassuré sur l’amour de son père (il a dû apprendre entre temps qu’il était la victime désignée du sacrifice à Neptune et comprend donc l’attitude d’Idomeneo), et décidé à être sacrifié. Qu’est ce qu’affronter la mort après avoir vaincu le monstre ? Il confie donc Ilia à son père et le convainc de le sacrifier. Troisième élément de résolution.

Le sacrifice © Jean-Pierre Maurin
Le sacrifice © Jean-Pierre Maurin

Kušej a réglé d’ailleurs une jolie scène avec le père pointant un revolver sur le fils et un joli jeu sur ce revolver qu’on jette ou qu’on ramasse quand au moment fatal intervient Neptune (qu’on voit en chair et en os muni de ce tissu rouge symbole de l’horreur du sacrifice dont se sont revêtus les membre du chœur (comme si on disait en quelque sorte « Je suis Idamante »), alors que le livret prévoit une voix (venue d’ailleurs), comme si Kušej voulait à toutes forces séculariser l’histoire et en faire en quelque sorte une victoire du peuple (ah ! ces communistes !!).

"Je suis Idamante" © Jean-Pierre Maurin
“Je suis Idamante” © Jean-Pierre Maurin

En réalité, Kušej s’inspire d’autres versions de la tradition et du mythe, celles qui font que le peuple, soit retire volontairement le fils des mains du père, soit, horrifié par le sacrifice (qui selon les traditions, tantôt est accompli, tantôt est évité), chasse le roi qui va aller fonder Salento dans les Pouilles, car il y a dans la tradition des versions qui font du peuple le protagoniste. C’est une vision qui, loin d’être un délire de metteur en scène, prend en compte la tradition antique qui elle même proposait des variantes. Il s’appuie aussi sur les variantes modernes de la tradition quand il fait d’Idomeneo un autre amoureux d’Ilia, puisque Crébillon dans sa tragédie rend père et fils amoureux de la même femme.

Le plus beau moment de l’opéra vient ensuite: portés en triomphe, Ilia et Idamante vont vers leur destin royal, tandis que balayé par l’histoire Idomeneo apparaît, débarrassé de son vêtement de pouvoir, mais en marcel noir, écroulé, agonisant, il récite son dernier récitatif, d’une voix blanche, à peine audible « Popoli, a voi l’ultima legge impone Idomeneo qual re », une sorte de mort de Boris en version Mozart. Enfin une idée de mise en scène forte et originale que de faire s’éteindre Idomeneo tandis que le couple apparaît sur le fameux tas d’habits, recouvert cette fois d’un drap blanc mais imbibé du sang des habits qu’il recouvre, comme si l’avènement du couple Idamante/Ilia entourés d’hommes en armes se faisait au prix d’un massacre . Rideau.

Pas de ballet possible après une image si noire.
Un dernier acte qui me fait voir cette histoire comme une sorte de variation dramaturgique sur l’histoire d’Hippolyte et d’Aricie (et donc de Phèdre). Songez-y : Aricie fille d’ennemis athéniens, plus ou moins prisonnière à Trézène (comme Ilia à Sidon), Hippolyte amoureux d’elle sans oser lui dire (comme Idamante). Un père disparu, une marâtre (Phèdre) folle amoureuse d’un amour non réciproque (comme Elettra). C’est la même situation que le retour du père (là Thésée, ici Idomeneo) va bouleverser. Hippolyte est englouti par le monstre et les flots quand Idamante est vainqueur. Dans Phèdre, c’est Phèdre qui s’efface, ici c’est Idomeneo. Elettra va retrouver son destin après cette parenthèse crétoise, et le couple va vivre le pouvoir à son tour (les contes diraient qu’ils vécurent heureux et eurent beaucoup d’enfants) mais l’image finale nous en dissuade.
Comme on le voit, le propos a sa cohérence, les idées ne manquent pas, mais sans nul doute la mise en œuvre, le travail de mise en scène, n’est pas suffisamment approfondi pour donner à l’ensemble un véritable intérêt scénique : c’est intelligent, mais ce n’est qu’intelligent. Il n’y a théâtre que par moments, au troisième acte. A la limite, je me demande si Kušej lui même croit à son histoire…

Mais il y a un autre facteur dans l’accueil réservé que je fais à ce travail, c’est qu’il n’est pas très convaincant musicalement. Si d’un côté la scène ne convainc pas et que de l’autre la musique ne s’affirme pas, alors forcément, le résultat …

Gérard Korsten, le chef sud africain, est un chef de bonne réputation, qu’on a souvent vu distribué dans Mozart, mais aussi dans d’autres répertoires (Offenbach, à Lyon même) : les choses sont en place, mais il manque une armature, une « direction » au sens d’une option claire.
À Londres, c’est Minkowski qui dirigeait, avec une option musicale clairement baroque : ballet final (qui ne va pas du tout avec l’option de Kušej, et je crois qu’il y eut discussion) et Idamante chanté par un contreténor (Franco Fagioli). Par ailleurs, Idamante dans plusieurs enregistrements et non des moindres est chanté par un ténor (Peter Schreier, Ernst Haefliger), dans les plus récents, c’est un mezzo, comme à Lyon.
La version lyonnaise est donc moins baroque, même si la tradition baroque désormais influence fortement les visions mozartiennes actuelles, et celle-ci n’y échappe pas, sans vraiment qu’on ait cependant de choix clairement affichés. Si l’ensemble est au point, l’interprétation reste fade, plate, presque uniforme, avec un singulier manque de couleurs, sauf en de rares moments (quatuor du 3ème acte), et un vrai manque d’énergie , avec d’étranges impressions : quelquefois, l’orchestre m’a semblé sonner comme si on entendait un opera seria…du XIXème : certes Mozart annonce le futur, mais j’ai entendu quelquefois un son presque surprenant, tirant vers un Rossini sérieux, voire Donizetti : ce n’est qu’une impression très personnelle, mais elle exprime que quelque chose de cadrait pas dans le rendu sonore et l’ambiance musicale installée, alors que pour une fois, le son sec de l’acoustique du théâtre correspondait quant à lui à ce que qu’on voyait en scène .
En revanche le chœur m’est apparu vraiment très bien préparé, avec un relief réel et une intensité qu’on ne lui connaissait pas (direction Philip White), d’ailleurs un artiste des chœurs chantait le Grand Prêtre de Neptune (Didier Roussel) et c’est un très bon signe.
“La voix”  chantée par Lukas Jakobski ne se détache pas trop et ne s’impose pas, mais c’est aussi l’option de Kušej qui le veut. Cependant dans l’ensemble, aucun élément de la distribution ne m’est donc apparu faire défaut.
C’est une bonne idée d’entendre Lothar Odinius dans un rôle de premier plan. Dans chacune de ses apparitions récentes auxquelles j’ai assisté, à Lyon (Flamand) ou à Bayreuth dans Walther von der Vogelweide (Tannhäuser) on a senti une voix faite et un vrai style. C’est un chanteur plutôt orienté vers le XVIIIème siècle. Son Idomeneo est impeccable de style, la diction est exemplaire, la voix claire et bien projetée, les aigus sûrs, tenus, homogènes. Dans Fuor del mar il a eu cependant un passage à vide, la voix bougeait légèrement, et n’avait pas cette sûreté qu’elle affiche habituellement. Comme je l’ai souligné plus haut, son récitatif final était en revanche bouleversant, sans doute l’un des moments les plus forts de la soirée. Il lui manque cependant une personnalité dans le rôle qu’il semble ne pas avoir encore trouvée, c’est très propre, très élégant, juste, mais pas encore vraiment incarné.
À ces côtés, l’Arbace de Julien Behr, le régional de l’étape, a remporté un vrai succès, la couleur de la voix est assez voisine de celle d’Odinius, qui a chanté Arbace assez souvent. Behr a une vraie présence en scène, et a vraiment très bien défendu le rôle, le rendant émouvant et vrai, notamment dans son air du 3ème acte qui n’est pas si facile. À suivre.

Ilia (Elena Galitskaya) Idamante (Kate Aldrich)© Jean-Pierre Maurin
Ilia (Elena Galitskaya) Idamante (Kate Aldrich)© Jean-Pierre Maurin

L’Idamante de Kate Aldrich est énergique, avec une voix pleine et naturellement intense. Elle sait colorer et émouvoir, parce qu’elle est douée d’une vraie présence scénique. Je me souviens que son Adriano (Rienzi) à Berlin m’avait impressionné. Du point de vue strictement stylistique, elle n’a pas la rigueur de son collègue Odinius, mais elle est tellement vivante dans son chant, elle remplit tellement l’espace qu’elle emporte l’adhésion. Elle vit, dans une production où le travail sur l’acteur pèche un peu.
J’avais été très impressionné par la Senta de Ingela Brimberg aussi bien à Grenoble qu’à Genève, incarnation, engagement, puissance. Elle était phénoménale notamment à Genève. Elettra n’est sans doute pas un rôle pour elle, même si elle est très engagée dans ce personnage, qui pourtant ne lui va pas : certes, elle n’est pas servie par l’allure dont la mise en scène l’affuble, mais la voix, qui est forte, n’a pas la ductilité voulue, il y a des sons fixes, peu de legato, et même quelques problèmes de justesse dans oh smania oh furie.

Ilia (Elena Galitskaya) © Jean-Pierre Maurin
Ilia (Elena Galitskaya) © Jean-Pierre Maurin

C’est l’Ilia de Elena Galitskaya qui est sans doute la plus convaincante ce soir. D’abord parce qu’elle a une présence rayonnante en scène, dès qu’elle apparaît au milieu des prisonniers troyens, et évidemment un engagement fort. Ensuite parce que la fraîcheur vocale correspond à la jeunesse du rôle et au personnage, enfin parce que la voix est puissante, bien posée, très bien projetée, l’aigu est large, même s’il devrait peut-être quelquefois être mieux contrôlé. On n’a pas toujours l’habitude de voir une Ilia si présente, vocalement et scéniquement et si émouvante. À suivre elle aussi.
Voilà donc une soirée en demi-teinte. Une mise en scène fondée sur des idées intéressantes mais traduites de manière assez banale, de très beaux moments mais dans l’ensemble un manque de tension, notamment dans la première partie. Mais la responsabilité est partagée; je pense que si le chef avait donné à l’ensemble une âme au lieu de donner seulement des départs, s’il avait su mieux accompagner ce qu’on voyait sur scène, sans doute l’impression d’ensemble eût-elle été plus convaincante. Plus que Kušej, qui ne signe néanmoins pas là un de ses meilleurs spectacles, même s’il a semblé mal supporter les quelques huées, c’est le manque de cohérence dans l’approche musicale qui m’a le plus ennuyé : dans cette œuvre si difficile à traduire scéniquement (Py à Aix en 2009 partait des mêmes présupposés, avec un résultat aussi contesté par le public), un chef doit s’imposer pour donner une couleur et une cohérence et pas seulement une technique. Ce sera pour une autre fois. [wpsr_facebook]

Neptuneposeidon

CONCERTGEBOUW AMSTERDAM 2014-2015: ROYAL CONCERTGEBOUW ORCHESTRA dirigé par Daniele GATTI (Gustav MAHLER SYMPHONIE N°3, soliste Christianne STOTIJN)

Concertgebouw, 16 janvier 2015
Concertgebouw, 16 janvier 2015

Aussi étonnant que cela puisse paraître, je pénétrais en ce 16 janvier pour la première fois au Concertgebouw d’Amsterdam. D’une part, j’ai souvent entendu l’orchestre du Concertgebouw à Lucerne, quasiment systématiquement, à Paris ou même à Berlin. Ensuite, lorsque je me rendais à Amsterdam pour un opéra, il y avait rarement coïncidence d’agenda avec des concerts stimulants, enfin, ma vie « symphonique » a été souvent dictée par les programmes des orchestres dirigés par Abbado, qui n’est que rarement passé à Amsterdam sinon à l’occasion de tournées.

Grave erreur de ma part car entendre un orchestre dans sa salle est toujours fondateur. Il y a une relation profonde entre le son d’un orchestre et la salle dans laquelle il joue habituellement ; on peut ainsi parier que l’installation de l’Orchestre de Paris à la Philharmonie va déterminer l’évolution artistique et sonore de cette formation.
Et chaque salle a ses rituels et son public.

Au Concertgebouw, évidemment, les corridors respirent la tradition : portraits, bustes, architecture néoclassique XIXème avec ses colonnes et ses pilastres. Même si les accès publics (entrée) ont été modernisés, l’essentiel des espaces est un bel écrin de tradition, préparatoire à l’audition. Le public néerlandais est très détendu, jamais guindé (je l’avais déjà noté à l’opéra), très convivial, d’autant qu’au Concertgebouw, la plupart des boissons  sont offertes (à l’exclusion du Champagne), ce qui renforce la convivialité puisque le public est dispersé dans les sept bars installés autour de la salle.
Une salle en « boite à chaussures » d’une grande simplicité, très peu décorée, avec un podium pour l’orchestre nettement plus élevé que la moyenne, très inspirée des églises « musicales » (on pense en plus vaste à l’église de la Carità à Venise). Le public se divise en parterre,  balcon latéral et central, et derrière l’orchestre de chaque côté de l’orgue qui ressemble par sa monumentalité et sa facture à un orgue d’église. Le volume est voisin de celui du Musikverein de Vienne.
À noter pour finir le rituel de l’arrivée du chef dont la loge se situe au premier étage, parfaitement accessible au public. Une porte monumentale à deux battants s’ouvre et le chef descend l’escalier vers l’orchestre sous les applaudissements du public. Spectaculaire.
Je savais que l’acoustique de la salle était réputée comme l’une des meilleures sinon la meilleure du monde : un son très chaleureux, mais pas vraiment réverbérant, une incroyable transparence : on entend tous les pupitres qui jamais ne s’étouffent les uns les autres, notamment les bois qui par leur position pourraient couvrir les cordes et ce qui frappe surtout, c’est un volume qui jamais n’écrase. Certes, les choix du chef y contribuent aussi, mais l’écoute d’un concert le lendemain avec un autre chef et une autre phalange a confirmé bien des impressions. En bref, on se sent immédiatement bien au Concertgebouw, et ce n’est pas un détail lorsqu’on va écouter de la musique, et cette musique, si familière au lieu, à l’orchestre, au public.

On a coutume de classer les symphonies de Mahler en symphonies positives et « optimistes » jusqu’à la 5ème, puis plus sombres à partir de la 6ème . Même si la 8ème est à part, une sorte d’hapax inclassable.
La troisième devrait donc être une symphonie de l’espérance. Pourtant bien des moments font entendre quelque chose d’assez différent, mélancolique peut-être, quelquefois même funèbre : on y entend les premiers accords de la marche funèbre de Siegfried dans le Crépuscule des Dieux, la harpe du 4ème mouvement sonne presque comme un glas, juste avant le O Mensch. En tous cas, on pense souvent à la 9ème .
C’est en tous cas la plus monumentale, 1H50 à peu près dans l’interprétation de Daniele Gatti, avec un premier mouvement de plus de 35 minutes, qui amène quelquefois à une pause entre le premier et les 5 autres.
Après la symphonie “Résurrection” et son élévation finale, la Troisième était prévue par Mahler comme une symphonie à programme, retraçant les diverses étapes de la Création, avec un premier mouvement, très long et très développé.
Les titres attribués par Mahler ont évolué tout au long du processus de composition, et Mahler y a finalement renoncé, mais les citer permet de clarifier le propos.

Première partie:

– « Kräftig » (fort), « Entschieden » (décidé) « Der Sommer marschiert ein » (l’été fait son entrée).

La seconde partie, divisée en cinq mouvements se décompose comme suit :

– Tempo di minuetto, sehr mässig (très mesuré)(was mir di Blumen auf der Wiese erzählen)(ce que les fleurs des prés me racontent)
– Comodo, scherzando, Ohne Hast (sans hâte) (was mir die Tiere im Walde erzählen)(ce que me racontent les animaux de la forêt)
– Sehr langsam (très lent), Misterioso, Durchaus ppp (assez ppp, soit pianississimo…) « O Mensch, gib acht » (O homme, prends garde) (was mir di Nacht erzählt)(ce que la nuit me raconte)
– Lustig im Tempo und keck im Ausdruck (joyeux dans le tempo et guilleret dans l’expression)« Es sungen drei Engel » (il y avait trois anges qui chantaient..)
Was mir die Morgenglocken erzählen (Ce que les cloches du matin me racontent)
– Langsam, Ruhevoll, Empfunden (Lent, plein de paix, sincère) (Was mir die Liebe erzählt)(Ce que l’amour me raconte).

L’entrée de l’été, au premier mouvement qui devait s’appeler initialement « l’éveil de Pan » renvoie immédiatement à une nature antique une Ur-Natur, à cette nature décrite par Hugo dans Ce que dit la Bouche d’Ombre dans Les Contemplations :

Tout parle. Et maintenant, homme, sais-tu pourquoi
 Tout parle ?
Écoute bien. C’est que vents, ondes, flammes
Arbres, roseaux, rochers, tout vit ! Tout est plein d’âmes. ….

Pour ressentir ce que nous dit la Troisième de Mahler, il faut avoir en tête ce merveilleux Tout est plein d’âmes de Hugo, dans un texte prophétique. Si Hugo emploie le verbe dire, Mahler va utiliser dans son programme le verbe erzählen raconter, plus serein, presque plus familier ou chaleureux que le dire de Hugo mais l’expression syntaxique was…erzählen est exactement la même que celle employée par Hugo, à la différence essentielle que Mahler dit mir, à moi. Il y installe une relation assez romantique entre le Moi et la nature, en une sorte d’engagement personnel ou même de dialogue, comme si l’art naissait de ce dialogue et de cette intimité.
C’est une nature à la fois frémissante et vivante, inquiétante et sombre, joyeuse et guillerette qu’il faut raconter. Mahler lui-même disait que sa symphonie n’était qu’un « Naturlaut », qu’un son de la nature. Une nature puissante dans ses expressions et ses variations, cette nature antique où tout parle, où tout vit, une nature animiste, assez proche dans son intention (mais évidemment pas sa réalisation) de ce que voulait exprimer Stravinski dans le Sacre du Printemps. Il y a quelque chose de profondément sacré et profondément païen dans cette démarche : comment sinon justifier la référence à Nietzsche ? L’œuvre de Nietzsche dit quelque chose de puissant, presque épique, que reprend d’ailleurs dans notre langue l’adjectif nietzschéen.

Cette puissance, c’est ce que Daniele Gatti communique tout au long de cette Troisième. Et notamment dans les premières mesures du premier mouvement, sorte de réveil de la nature à la fois solennel et imposant, voire inquiétant. Le son est appuyé, les silences marqués, une marche, certes, mais peut-être plus une manifestation d’énergie motrice comme l’écrit Henry-Louis de la Grange. Une puissance qui se marque d’abord par un souci de l’équilibre sonore, évidemment renforcé par l’acoustique exceptionnelle de la salle où se déploie cette symphonie initiale de cuivres sans jamais être éclatante, mais au contraire assez sombre, presque rude. Jamais, même aux moments les plus intenses au son le plus volumineux, il y a d’éclat démonstratif. Chaque pupitre est à sa place, la valorisation de tel ou tel répond à des intentions de discours et non de spectacle. Il y a un refus du spectaculaire et un souci de concentration patent dès le premier mouvement . On le sent aussi dès l’apparition du second thème, plus bucolique, plus printanier, on passe du minéral au végétal, de la sourde inquiétude au sourire et à l’apaisement. Daniele Gatti laisse l’instrument (ici les cordes et les bois) se développer presque librement, sans jamais appuyer, les transitions en ce début de symphonie sont marquées par des silences mais il se crée un dialogue entre les cuivres imposants du début et la légèreté des bois, par delà le contraste. Le son s’atténue jusqu’à l’imperceptible, mais il y a continuité. Ce souci de « naturel » évidemment marque le refus de tout pathos, qui consisterait à être complaisant pour faire sonner l’orchestre, pour souligner les virtuosités, pour exalter des compétences individuelles, pour exalter le son. Il n’y a ici aucune exaltation sonore, aucune ivresse, il y a presque une « Sachlichkeit » (objectivité) initiale qui nous donne la musique « telle quelle» avec ses ruptures, ses grandeurs et même ses vulgarités volontaires. C’est le roman (ou l’histoire ? le récit ?) picaresque de la naissance de la Nature. Et cette volonté très forte de jouer la musique dans son état le plus « naturel » presque sans intervention (en réalité le souci du contrôle du son et des volumes est bien réel, voir millimétré : donner l’impression de naturel c’est beaucoup de travail et de précision ) conduit au final étourdissant de ce premier mouvement (35 minutes environ), par un tempo qui s’accélère en tourbillon, et en même temps parfaitement maîtrisé qui conduit un spectateur à ne pas réussir à réprimer un « bravo », tellement la tension qui est créée est grande, elle se perçoit à la manière dont la salle « souffle » après ce prodigieux moment.
Cette impression de naturel se confirme au deuxième mouvement, qui contraste avec le premier tant il est homogène dans l’Idylle. Bois et cordes se prennent mutuellement la parole (il commence par un solo de hautbois) dans une sorte de légèreté (notamment quand le rythme s’accélère de manière un peu plus tourbillonnante). Gatti soigne particulièrement la clarté du rendu et la fluidité. L’orchestre est totalement transparent, et les éléments se succèdent en un fil continu sans que rien ne vienne briser l’harmonie, même si çà et là quelques éléments plus vigoureux voire un peu plus sombres viennent s’y greffer. Les équilibres entre les bois et les cordes, quelquefois si difficiles à établir, sont ici impeccablement mis en place pour souligner cette volonté décidément très appuyée de rendre une totalité d’où aucun pupitre ne sortirait du rang, mais où tous seraient au service d’une ambiance voire d’un discours: le dialogue entre flûte et violon, le soin mis aux atténuations sonores, font parler l’orchestre en état de grâce : il y a là un discours qui nous apaise, une évocation aux rythmes dansants, aux ralentis qui créent une sorte de douce accoutumance renforcés par les notes finales de ce mouvement, presque suspendues, filées, évanescentes.
Le long scherzo ne rompt pas avec ce qui précède, il le développe en une sorte de fête de sons divers évoquant la forêt et les animaux,  une forêt non mystérieuse et sombre, mais plutôt lumineuse, plutôt vivace, et des évocations animales plutôt souriantes. L’univers dessiné est presque ici un kaléidoscope sonore, optimiste, comme un surgissement continu qui évoque le monde de l’enfance (oserais-je presque dire “un monde à la Walt Disney”), une sorte de forêt pleine des animaux de l’enfance, et donc à la fois rassurante, mais bientôt un peu nostalgique, comme le souligne l’intervention du cor de postillon, élément étrange ou étranger dans ce monde rassurant. Le cor de postillon est absolument parfait (à Berlin lors de la III de Dudamel on en était loin), son intervention s’enchaîne naturellement, avec une fluidité voulue d’un discours continu à peine décalé qui donne une touche d’étrangeté, sans que l’auditeur ne s’arrête. Chez Abbado je m’en souviens à Lucerne l’enchaînement orchestre/cor de postillon créait une sorte de choc émotionnel d’autant que le choix était celui d’un son vraiment lointain. Ici, le son est clair, à peine voilé, lointain mais pas trop et l’effet est émouvant mais pour d’autres raisons, dans « ce je ne sais quoi et presque rien » qui vient de la nature de l’instrument même. Gatti laisse la musique aller, de manière presque linéaire et une fois de plus soigne les transitions, ici par d’imperceptibles silences entre les différents moments : on comprend qu’à travers le cor de postillon s’annonce l’homme, pendant qu’après un silence la ronde des animaux de la forêt continue insouciante. C’est un moment d’une très grande intensité, malgré l’impression de quiétude. Et je pense que Gatti pour créer l’intensité, veut préserver à l’ensemble une très grande simplicité qui éclaire l’écoute. À noter une citation presque in extenso d’une phrase de la scène finale de Lodoiska de Cherubini, qui est aussi un retour à la nature après le trouble.
Schönberg admirait ce solo de Posthorn à qui il prêtait une sérénité grecque, qui va contraster avec l’appel final plus inquiétant (qui rappelle par certains échos la symphonie Résurrection) plus tourbillonnant (tout comme le numéro précédent) presque brutal de ce scherzo complexe.

La harpe a dû à ce moment être totalement réaccordée car elle était presque ¼ de ton au dessus, ce qui a amené évidemment l’auditeur à se concentrer sur l’instrument, dès le début du quatrième mouvement, très lent, très sombre. La harpe sonne, comme je l’ai souligné plus haut,  quasiment comme un glas, et le son est murmuré, avant que la soliste (Christianne Stotijn) n’entame le Lied de Nietzsche extrait d’Also sprach Zarathustra. Ce qui frappe ici, c’est la manière dont Gatti ralentit et donne une extrême importance aux silences, c’est aussi le jeu réglé de manière subtile entre les solistes de l’orchestre (violon, hautbois, cor anglais) et la voix qui annonce les Rückert Lieder. Jamais Christianne Stotijn ne m’a convaincu, mais cette fois, j’ai adhéré un peu plus à son intervention, même si je trouve la qualité de la voix intrinsèquement assez banale. J’aurais aimé plus sombre, plus caverneux, plus profond (Gerhild Romberger ?), un peu comme l’Urlicht de la symphonie n°2 que ce mouvement rappelle fortement. Mais dans le parti pris de simplicité et de naturel du chef, son intervention presque « neutre » sonne juste.
Sans transition, et ce sera de même avec le mouvement final, on passe au lustig de l’intervention des chœurs (Groot Omproepkoor, Nationaal Jongenskoor, Nationaal Kinderkoor).

Ainsi depuis la fin du quatrième mouvement la musique devient presque continue, d’un univers l’autre, sans reprendre son souffle, en un passage du profond au joyeux, puis à l’irrésistible grandeur du mouvement final, en une élévation de plus en plus contrastée et de plus en plus sentie. L’intervention du chœur, entamant un extrait de Des Knaben Wunderhorn, allège l’impression tendue née du mouvement précédent, qui était à la fois avertissement (Gib’Acht) et hymne à la profondeur de la nuit, en un contexte qui n’est pas sans rappeler les « Habet Acht », chantés aussi par une voix de mezzo du second acte de Tristan au cœur d’une nuit célébrée par les amants.
À la fois lié au mouvement précédent mais d’une tonalité autre, nous sommes évidemment dans l’évocation d’un monde céleste. Malgré la forte référence à Nietzsche dans cette symphonie (qui devait s’appeler Le Gai Savoir), malgré la tentation du paganisme et l’exaltation d’une nature comme totalité animée fortement affirmée, l’élévation, qui se poursuivra dans le mouvement suivant, nous renvoie à l’univers judéo-chrétien de Mahler.

Hymne à l’amour, à l’amour divin, élévation pure, le parti pris de Gatti d’une sorte d’équilibre grec (μηδὲν ἄγαν : rien de trop), je dirais presque de hiératisme, sans luxuriance, « tout, mais seulement tout », donne à ce long mouvement qui fait pendant au premier quelque chose d’antithétique : autant le réveil de la nature était contrasté allant du minéral au végétal, du solennel au familier, de la tension à la détente, autant il y a ici une cohérence continue et une montée lente, large, profonde puissante, vers un climax. Depuis avril 2014, depuis l’interprétation de ce mouvement par le Lucerne Festival Orchestra en larmes, je ne peux m’empêcher de penser en surimpression à la perte de Claudio et même de voir son visage. Encore plus aujourd’hui, où j’écris ce texte, à exactement un an de sa disparition. Il était là, en ce 16 janvier, comme une sorte de vision familière qui m’accompagne et qui fait en moi comme un trou béant. Non pas que le travail de Daniele Gatti évoquât celui de Claudio Abbado : les visions sont très différentes, voire presque aux antipodes. L’un est sol, l’autre est ciel. Mais l’interprétation à la fois puissante et pudique de Gatti permettait cela, comme une forte invite à la concentration et au retour en soi.
Comment expliquer mon ressenti à ce dernier mouvement totalement bouleversant ?
Il y a au contact de la nature grecque une sorte de terreur sacrée (et de sentiment du sacré) qui saisit que les grecs appellent Thambos (θάμβος), ce sentiment du sacré, c’est ce qui m’a envahi progressivement, et qui m’a de manière presque inattendue  renvoyé à Jean-Sebastien Bach. Il y a dans cette puissance et dans cette noblesse sonore qui s’imposait à moi quelque chose de Bach. Il y avait dans cette musique à la fois si terrienne et si spirituelle, si païenne et si judéo-chrétienne, si humaine et si proche du divin, quelque chose qui pour moi renvoyait par sa puissance suggestive directement à Bach (avec des échos  brucknériens, ce qui n’est pas contradictoire).

Lors de l’audition de la 9ème par le même orchestre et avec le même chef à Lucerne en 2013, j’avais employé le mot « chtonien » pour qualifier ce Mahler. C’est exactement ce qui me vient ici. Plus que « tellurique », qui évoque encore trop l’effroi ou la mise en scène d’un son qu’on voudrait prophétique, l’adjectif « chtonien » « qui a rapport à la terre », me renvoie aux origines, au sol, à la terre-mère, à des forces souterraines, à la notion de puissance et de mystère. Et chtonien ne veut pas dire « matériel », c’est au contraire une haute spiritualité qui nous est ici communiquée. Il y a là une démarche profondément intellectuelle et altruiste qui essaie de rendre au spectateur ce discours le plus naturel possible, une volonté de partage sans jamais épater, sans jamais faire autre chose qu’explorer, chercher, au plus profond de la sensibilité et de la pensée de l’auteur pour atteindre au plus profond de la sensibilité de l’auditeur.
Au service de ce propos, un orchestre quasiment parfait (quelques scories cependant aux cors) dont la maîtrise se lit notamment à la qualité des transitions, quelquefois contrastées, quelquefois acrobatiques, mais toujours lisibles, toujours élégantes, qui suit le chef avec une attention qui est évidemment adhésion.

Gatti choisit un tempo qui pour certains est lent. Je dirai qu’il est large. Et ce n’est pas tout à fait la même chose. Large parce qu’il embrasse un ensemble, large parce qu’on  a vraiment l’impression d’une totalité, d’une masse sonore qui avance ensemble, sans manifestations « solistes » ou solitaires : et lorsqu’on marche ensemble, on va souvent un peu plus lentement.
Mais la question n’est pas « rapide » ou « lent », comme souvent on lui en fait le reproche: on lui reproche ses ruptures, ses surprises « ou trop lent, ou trop rapide » disent certains, comme si un orchestre se lisait seulement au tempo tout simplement parce que c’est la marque de l’option interprétative la plus reconnaissable et la plus accessible au profane. Les choix des tempi sont toujours bien entendu pensés, mais sont une conséquence plus qu’une cause. Il y a dans le choix de Gatti un côté majestueux, un sens du sacré, mais un sacré lié d’abord à l’humain, et non immédiatement au divin. Il y a avant l’élévation une « élévation en nous mêmes », une volonté d’introspection, de retour en soi, comme aux origines. Chronos, Ouranos, les Géants : la Création vue par le paganisme grec. Cette création du monde est une chose éminemment sérieuse, qui part du sol et qui va s’élever par l’amour. J’évoquais le Hugo prophétique et ce qui me vient  dans ce mouvement est l’expression d’Eluard « Dit la force de l’amour ». Amour et force, deux paroles qui me paraissent traduire l’émotion finale indicible.

Ce qui me vient à l’issue de cette audition, et au retour que j’opère avec ce compte rendu, c’est d’abord la présence de la poésie. La poésie compagne de la musique, la poésie qui  sculpte le monde par les mots, comme ici par le son, et par conséquent la totale absence de gratuité. Rien n’y est superficiel, aucune concession à ce qui serait une mode: les choses sont dites, directement, sans aucune fioriture, elles sont dites dans leur grandeur simple. Cette approche a quelque chose de dorique. On le sait, la colonne dorique repose directement sur la terre, alors que la colonne ionique repose sur une sorte de « coussin » de pierre. La colonne dorique lie plus qu’une autre la terre au ciel, parce qu’elle repose sur la terre et parce qu’elle en est comme à l’écoute, métaphore d’un arbre qui y plongerait ses racines pour mieux s’élever vers le ciel. Il en va de cette approche comme de cette colonne, elle plonge dans le naturel, elle cherche à faire communiquer les différents ordres, sans affèterie, sans volutes, sans complaisance aucune pour le brillant que si facilement Mahler peut suggérer, et qui plaît tant aujourd’hui à une époque si soucieuse des excès formels, si soucieuse de « style » et de maniera.
« La forme, c’est la substance » dit souvent notre époque emportée par le souci de l’apparence. Il suffit de voir la prédominance dans la langue officielle de la périphrase qui masque la simple parole ou l’euphémisme qui masque souvent des réalités cruelles : considérons par exemple ce que cache souvent dans le discours politique ou économique le mot si beau, si propre de réforme.
Et le goût musical ces dernières années s’est à mon avis gauchi de la même manière. En chant comme à l’orchestre, on aime à la fois le propre, le linéaire, mais aussi la perfection formelle pour elle même. Il y a des chefs qui se contentent de ce qu’il y a devant les yeux, qui « en mettent plein la vue », c’est à dire empêchent de voir en cachant ce qu’il y a derrière les yeux et qui mettent le public amateur d’effets à genoux. Il y a en a d’autres qui ne cessent de chercher et qui ne voient les formes que si elles mènent à la substance, et ils sont évidemment moins populaires car ils exigent un effort, ils ne donnent pas l’œuvre à entendre, mais à écouter pour sentir certes, mais aussi pour penser. Ce sont les Klemperer, ce sont les Giulini, et je sens quelque chose de cela dans cette Troisième. Ce qui nous touche, c’est la perception d’une épaisseur.
En réalité, la forme n’est jamais au service d’un fond, parce que la forme et le fond se répondent, on ne pense pas d’abord pour chercher ensuite une forme qui puisse habiller la pensée : il y a poésie quand ce qui est à dire a trouvé sa forme. « La poésie est une âme qui inaugure une forme » écrivait Pierre-Jean Jouve.
C’est ce que je ressens à cette audition qui fait se bousculer des références poétiques, seules possibles pour essayer d’expliquer ce que je perçois des choix voulus, des formes voulues par le chef dans un Mahler qu’il rend ici presque métaphysique, qui proposerait une métaphysique de la nature. Cette interprétation est incarnée, c’est à dire en chair, c’est une sorte d’incarnation de l’Idée, comme si pour une fois Nietzsche conduisait à Platon.[wpsr_facebook]

Concertgebouw, 16 janvier 2015
Concertgebouw, 16 janvier 2015

 

THEATER BASEL 2014-2015: OTELLO de Giuseppe VERDI le 11 JANVIER 2015 (Dir.mus: Enrico DELAMBOYE, Ms en scène: Calixto BIEITO)

Otello (Theater Basel) ©Hans Jörg Michel
Otello (Theater Basel) Acte I ©Hans Jörg Michel

Se trouver à une représentation d’opéra à Bâle  peut être considéré comme décalé le jour où la France entière est dans la rue pour dire non au terrorisme et oui à la liberté de pensée et d’expression. J’aurais peut-être  dû aller rencontrer l’histoire en défilant avec les millions de compatriotes en ce 11 janvier. J’ai suivi la journée par internet et par le cœur. Mais les hasards des réservations et du calendrier ont fait que j’étais à Bâle, où le Theater Basel affichait un roboratif « Je suis Charlie » sur sa façade, et un terrible Otello de Verdi dans sa grande salle.

Terrible, parce que j’ai rarement vécu un Otello d’une telle tension, à la limite du supportable. J’en suis sorti tout tremblant.
Aucune des nombreuses mises en scènes d’Otello vues au cours de mon parcours mélomaniaque n’ont laissé en moi des traces indélébiles ou inoubliables, je peux même dire qu’elles ont disparu dans les oubliettes. Il n’en est évidemment pas de même des distribution et des chefs : Domingo et Vickers, Freni et M.Price, Cappuccilli, Bruson et Bacquier, et dans la fosse Solti, Kleiber, Abbado, Muti. C’est rarissime, mais ce n’est pas de Claudio Abbado dont je garde les plus grands souvenirs, une mise en scène (Ermanno Olmi) médiocre, une distribution pas trop convaincante (Domingo dans une de ses dernières apparitions dans le Maure, Frittoli pâlichonne) malgré un orchestre (Berlin !) fabuleux n’ont pas contribué à sculpter un monument de la mémoire.
Solti, avec Domingo à Paris au cœur de la canicule de 1976, avec une Margaret Price éthérée et un Bacquier somptueux malgré les critiques de la presse de l’époque (qui affirmait que Domingo ne tiendrait pas deux ans s’il s’obstinait à chanter Otello…) fut un très grand moment.
Il y eut aussi Jon Vickers, plusieurs soirs à Paris, totalement inoubliable, totalement déchirant, tirant les larmes…
Et puis évidemment, Carlos Kleiber, quatre soirs à la Scala (Mise en scène de Franco Zeffirelli) en 1987 (et 36h de queue), Domingo, Freni, Bruson d’abord, puis Cappuccilli . Oui, cette seule évocation me serre le cœur, me bouleverse. Quelle folie…quelle merveilleuse folie a saisi la Scala en ces représentations de centenaire.
Le lecteur peut comprendre que je n’ai vraiment plus rien à attendre d’Otello, même pas Jonas Kaufmann qui sera sans doute magnifique, mais avec quelle Desdemone et surtout quel Iago.  Je pense donc, comme on dit, avoir mon compte.
Et pourtant, je suis sorti de cet Otello bâlois groggy comme rarement je l’ai été à l’opéra. Un Otello sans vedettes, même si Simon Neal, Iago, est désormais bien connu, avec un chef de répertoire, Enrico Delamboye , un de ces Kapellmeister qui font honnêtement leur travail, un orchestre très efficace sans être somptueux.
Aucun élément indigne dans la distribution et tous incroyablement engagés dans la mise en scène, car ici, ce qui tient l’ensemble, c’est la mise en scène de Calixto Bieito, dont on remarque qu’il écume les scènes espagnoles, italiennes et allemandes depuis 15 ans au moins, mais pas les scènes françaises. Les parisiens devraient le découvrir dans les prochaines saisons à Paris. Incompréhensible, et évidemment ridicule, sinon scandaleux.
Bieito s’est fait une réputation sulfureuse de metteur en scène « sexe et sang », de provocateur (je ne vous raconte pas son Don Carlos sur cette même scène de Bâle…), mais j’ai rarement vu une production de Bieito qui ne fût pas rigoureuse, cohérente, en plein accord avec la musique. Il va faire Cosi’ fan Tutte cette année de nouveau à Bâle, je vais y courir et je vous engage à le faire. Les lecteurs de ce blog se souviennent de mon enthousiasme devant ses Soldaten à Zürich, puis à Berlin. Mais Die Soldaten sont une œuvre « sexe et sang », et d’une certaine manière Bieito était dans son élément, en cohérence avec l’oeuvre.
Pour Otello, c’est différent : on est tellement habitué à écouter les chanteurs que la mise en scène importe peu. Tout le monde attend l’esultate, le Credo puis le Si per ciel, la chanson du saule et l’ave Maria. Pour la majorité du public, c’est d’abord le ténor qui compte. Les idées de mises en scène (quand par hasard il y en a) se dispersent au vent des décibels. Et pourtant, le drame de Shakespeare, même revu par Boito, exige une vision.
Calixto Bieito affirme sans cesse le même message pessimiste : le monde est fait de violence et d’oppression, et son expression visible en est le pouvoir. Dans ce monde, pas de place pour l’amour ou le sentiment, destinés à être écrasés. Otello n’est qu’un drame qui nous montre la montée de la violence chez un être prédestiné parce que faible et manœuvré. Une brute sans cesse débraillée aux mains de son âme damnée, un Iago tout propre sur lui, cravate et redingote, raffiné et venimeux.  Une brute qui apparaît dès le début les mains ensanglantées. Incapable de tendresse, incapable même de toucher Desdémone, incapable de la conduire au lit…le duo du 1er acte se termine par une sortie chacun de son côté des deux moitiés du couple, sous l’œil lointain toujours présent de Iago. Et ce baiser « Un bacio…ancora un bacio » ne sera jamais donné, pas même dans les dernières mesure où Otello, seul au sommet de la gigantesque grue qui remplit le plateau, implore un baiser du cadavre de Desdemona, gisant un niveau en dessous. Comme si les choses se jouaient entre une réalité sordide et un fantasme d’amour. Comme s’il y avait impuissance physique à toucher l’autre.

Iago (Simon Neal) ©Hans Jörg Michel
Iago (Simon Neal) ©Hans Jörg Michel

Verdi voulait appeler son opéra Iago, et Bieito s’en souvient, car c’est bien lui le centre de l’action, c’est lui que l’on regarde, sans cesse, toujours sur scène, et qui survivra au centre du système, d’un système fait pour les Iago. Les autres personnages sont des marionnettes, impuissantes, pâles, sans colonne vertébrale. Des médiocres.
Des médiocres qui exercent néanmoins sur le peuple un pouvoir exorbitant. Certes, le peuple est joyeux d’être débarrassé du joug turc, et supporte la violence des nouveaux maîtres avec une sorte de résignation, parce qu’elle est sans doute moindre que celle des maîtres précédents. Un peuple derrière des barbelés, les mains liées, dépenaillé, ensanglanté, de plus en plus ensanglanté (acte III), un peuple enserré dans l’univers glacial, métallique, des ports modernes. Sol dangereux (rails), murs métalliques de ce métal de container (d’ailleurs, le rideau de scène est au départ un rideau de fer qui masque et scène et fosse).
Et la violence explose dès le départ.

"Esultate" ©Hans Jörg Michel
“Esultate” aux mains de sang ©Hans Jörg Michel

Le rideau s’ouvre dans le silence et l’obscurité, on voit peu à peu émerger de la brume, toujours dans le silence, une population oppressée, comme hébétée, qui s’approche des barbelés, il y a un tel silence sur la scène et dans la salle que l’effet explosif du premier accord paraît décuplé et suffit à installer la tension. La mise en scène renforce les effets de la musique, dès les premières notes. Jamais la musique de Verdi ne m’est apparue dire autant la violence, l’excès insupportable, le tourment, et ce grâce à une vision : loin de distraire, ce dont on accuse souvent les mises en scène « modernes », celle-ci nous fait pénétrer dans la musique, dans la logique de la musique, dans ce que dit la musique. Stupéfiant. On écoute d’autant mieux qu’on « voit » cette musique sur scène.
Les protagonistes évoluent donc dans un espace vide et noir limité par de hauts murs métalliques qui pourrait être un espace tragique gêné seulement par une énorme grue jaune, de ces grues énormes qui dans les ports portent les containers. Une grue jaune couleur traître qui va devenir peu à peu pur espace de jeu presque abstrait, renforçant l’absence totale de chaleur et l’absence totale de relation à un contexte sinon l’inhumanité de l’univers, métaphore de l’inhumanité des hommes.

Otello & Iago ©Hans Jörg Michel
Otello & Iago ©Hans Jörg Michel

Calixto Bieito construit une mise en scène d’une étrange abstraction. Pas de meubles, pas de lieux, un sol parsemé d’obstacles qui gêne la marche ou les déplacements. Et des personnages, chœur et chanteurs, souvent face au public, qui se touchent pour mimer la violence, le viol, la sodomie, sans jamais un moment de tendresse. Des protagonistes tous habillés de la même manière, redingotes, cravates, avec une Emilia étrange, une compagne, une présence à mi chemin entre l’amie et la courtisane, un univers qui m’a fait penser au film « Enquête sur un citoyen au dessus de tout soupçon » de Francesco Rosi, où Iago me renvoyait à Gian Maria Volonte. Dans l’Otello de Bieito, Iago est presque toujours en scène, en arrière plan, observant les choses se dérouler comme un marionnettiste maniant les fils de l’intrigue : un Iago évidemment d’une subtilité et d’une intelligence que le chant tout en nuances, tout en ombres et lumières, tout en modulations et variations de Simon Neal fait un personnage fascinant. La voix n’est pas exceptionnelle, mais l’artiste est d’une rare intelligence: le texte est réellement distillé, jamais dans un style histrionique comme quelquefois certains Iago, mais avec une distinction et une élégance qui évidemment tranchent avec cette grosse brute aux mains ensanglantées qu’est Otello. Neal chante avec sa tête. Et il est fabuleux. Un seul exemple: la scène avec Cassio et le jeu du mouchoir pendant qu’Otello dans l’ombre observe est réglée avec une telle précision et une telle justesse que le spectateur en est mal à l’aise.

Dernière scène Otello (Kristian Benedikt) Desdemona (Svetlana Ignatovitch) ©Hans Jörg Michel
Dernière scène Otello (Kristian Benedikt) Desdemona (Svetlana Ignatovitch) ©Hans Jörg Michel

Et puis il y a le couple, la Desdemone sensible, déchirante, de la jeune Svetlana Ignatovich au chant encore un peu vert (incapacité à chanter piano notamment dans le duo initial), mais à la voix assurée, aux aigus triomphants, mais surtout à la présence charismatique : son air du Saule et son Ave Maria représentent pour moi une des performances les plus inattendues jamais vues sur une scène d’opéra. Dans un air qui réclame tant de modulations, tant de nuances, une maîtrise technique totale, elle a accepté de chanter juchée tantôt à genoux, tantôt accroupie, tantôt une jambe reposant sur le sol, sur une rambarde de passerelle, une barre de fer pour faire simple, à 3m du sol, et se tenant à deux barres métalliques qui en font une sorte de crucifiée. Un effort physique et un risque qui se conjuguent pour offrir l’un des moments les plus tendus possibles sur une scène d’opéra, et qui évidemment transforme ce qu’attend le spectateur (la pure performance vocale) en un moment de tension extrême où l’on perçoit physiquement le drame, et qui fait de la scène de la mort (presque) un soulagement, dans son classicisme attendu d’étranglement traditionnel. Je ne sais pas si une chanteuse plus célèbre aurait accepté ce défi. Je n’en vois pas une aujourd’hui parmi celles qui chantent Desdemone sur les scènes internationales.

Desdemona (Svetlana Ignatovich) ©Hans Jörg Michel
Desdemona (Svetlana Ignatovich) ©Hans Jörg Michel

Elle est déchirante entrant en scène avec son bouquet, alors qu’on vient de pendre un pauvre hère et la première grande scène de jalousie d’Otello va se dérouler sous un pendu qui se balance… D’autres scènes au troisième acte, décidément le plus terrible à mon avis, frappent le spectateur, notamment la scène Desdemone-Otello (et Iago tapi dans l’ombre) où Desdemone est quasiment violée par Otello égaré- la manière dont les bas sont arrachés est d’une violence inouïe- mais où en même temps Bieito instille l’idée de l’impuissance d’Otello, et où, en fuyant, elle se réfugie dans les bras de Iago qu’elle croise et qui la violente aussi.
Quant à l’Otello de Kristian Benedikt, un ténor lithuanien à la voix solide, posée, aux aigus bien projetés, directs, et à la diction sans reproche, il est presque tout d’une pièce : son chant maîtrisé mais sans aucune subtilité, aucune nuance, presque brut qui sied à la brute qu’en fait Bieito convient parfaitement dans le contexte et face au Iago hyper élaboré de Simon Neal. Bieito évite le maquillage en maure : à sa violence, à sa folie, inutile de mettre une couleur qui détournerait le propos. Ce qui intéresse Bieito c’est de décrire un espace sans trace de tendresse, mais où seuls règnent les rapports de force. En ce sens chacun des trois protagonistes est parfaitement à sa place, convient parfaitement au contexte, même si cet Otello brut de décoffrage aurait sans doute besoin d’une cure de style dans un autre univers. Nul doute que l’Otello de Kaufmann partira sur d’autres voies car le style est l’atout du grand Jonas, mais je suis persuadé que dans la vision de Bieito, ce ténor convient bien mieux.
Bieito a construit une géométrie des personnages qui sépare les comparses qui sont dans ce travail plus des silhouettes que des personnages, des protagonistes, avec Iago comme chef d’orchestre et Cassio en outil, sans grande personnalité ni intérêt. Cassio est d’ailleurs souvent un rôle sans intérêt (c’est pourtant ce personnage fade qui malgré lui crée la jalousie de Iago et donc la folie d’Otello). Il est ici interprété par le jeune finlandais Markus Nykänen, une voix séduisante sans être exceptionnelle et un personnage qui se fond dans le gris ambiant : il est comme les autres.

Un air de Champagne ©Hans Jörg Michel
Un air de Champagne ©Hans Jörg Michel

D’ailleurs au premier acte, quand il se saoule,  comme tous les autres, il inonde méchamment de champagne (à la mode des champions de F1) le peuple qui assiste de loin à la scène, et Bieito montre clairement qu’il fait partie du clan, tout en en faisant un grand naïf : la scène du mouchoir au troisième acte est édifiante à ce propos, mais aussi la scène terrible de l’arrivée de Lodovico l’envoyé du Doge, où Otello égaré le jette contre Desdemona en le forçant à mimer une sodomie, puis se jette sur Lodovico, laissé au sol.

Acte III Otello, cassio (Markus Rikänen), Desdemona ©Hans Jörg Michel
Acte III Otello, cassio (Markus Rikänen), Desdemona ©Hans Jörg Michel

Peu à peu Bieito construit une géométrie du drame : la seconde partie (actes III et IV) fait de la grue en quelque sorte l’espace du couple (si couple il y a), et le reste du plateau l’espace des autres. Cette construction qui nous dit clairement qui fait quoi, fait de la grue l’espace clos du drame ourdi par Iago, toujours extérieur, toujours spectateur tandis que l’espace d’Otello/Desdemone/Emilia est un espace difficile, il faut y monter, puis grimper à une échelle pour arriver au premier niveau (chambre de Desdemone) puis au deuxième niveau, au sommet de la grue où Otello va mourir. J’ai plus haut évoqué Desdemone sur sa rambarde, sa position en équilibre sur un balcon réinterprète la scène du balcon du Roméo et Juliette, en en faisant son antipode. D’un côté un couple de l’autre une solitude, d’un côté l’amour et l’union, de l’autre le désamour, la séparation, la jalousie et la mort.
Ces scènes concentrées sur cet espace presque impossible, où chacun chante séparé de l’autre par le vide, laissent sur le plateau les autres protagonistes, devenus comme des marionnettes presque sans lien avec ce qui se passe, ou des commentateurs comme sortis d’un chœur (d’ailleurs, ils ont les attitudes figées, face au public, que Bieito a voulu pour les chœurs). Emilia crie « Orrore » de loin, regardant ailleurs, comme si le drame était mental, dans les mémoires, dans les fantasmes croisés des uns et des autres.

Otello mourant du haut de sa grue
Otello mourant du haut de sa grue

Et les derniers moments du drame (où normalement Otello menace tous les personnages accourus) se jouent dans la solitude absolue d’un Otello perché au sommet de la grue, qui est à ce moment tournée vers la salle, il meurt donc carrément au dessus du public la tête tendue en l’air, pendant que sur le plateau les personnages reprennent tous une place, Iago compris, au centre, debout, impuissants spectateurs d’une histoire qu’il a suffi d’allumer pour la laisser de développer, ou narrateurs muets d’un naufrage. Image frappante que ces deux corps accrochés à la grue, séparés par un étage, et les autres le regard fixe et vide, dans la pénombre, tous à leur niveau un outil du drame.

Ce travail scénique est si puissant qu’il semble déterminer la musique et non l’inverse. Ainsi l’orchestre bien conduit par Enrico Delamboye, directeur musical à Coblence, qui reprend un orchestre bien préparé par Gabriel Feltz (pas de scories) en étroite osmose avec Bieito (ils ont déjà travaillé ensemble à Berlin pour Die Soldaten) : vu la manière dont le mouvement musical suit le dessein scénique, notamment dans l’accompagnement des personnages (Iago par exemple), il y a eu un véritable travail de tissage scène/orchestre dont la représentation de ce jour garde des traces profondes, avec des accélérations de tempo, de lourds et longs silences, des moments où l’impression qui domine est celle d’une musique qui illustre une mise en scène. Comme j’avais toujours vécu dans Otello une prédominance écrasante de la musique sur la scène, et qu’ici, les deux dialoguent, échangent jusqu’à sembler procéder l’une de l’autre, c’est un sentiment nouveau qui me prend : l’étonnement. Jamais Otello ne fut pour moi plus tendu, plus terrible. Oserais-je dire que j’ai découvert une force inconnue à la musique de Verdi, qui vous gifle plein face.
Aux lecteurs qui auraient envie d’aller à Bâle (3h de TGV de Paris), je signale que cet Otello se joue jusqu’à début avril, mais dès février avec une autre distribution (et notamment sans Simon Neal, tout à fait extraordinaire), qui n’aura peut-être pas l’authenticité de celle-ci qui a travaillé en direct avec Calixto Bieito. Mais je suis certain que le jeu en vaudra quand même la chandelle, car il ne faut pas oublier que Bâle est l’un des théâtres les plus créatifs de l’aire germanique, et qu’un Otello de ce type reste gravé dans la mémoire : Calixto Bieito, grand metteur en scène qui réussit à obtenir de ses chanteurs d’incroyables défis, est un très grand révélateur et un très grand lecteur de nos dérives sociales, de celles notamment que nous venons de vivre dans notre chair ces derniers jours . Cet Otello ne pouvait mieux tomber pour nous le rappeler.[wpsr_facebook]

Acte I,1 ©Hans Jörg Michel
Acte I,1 ©Hans Jörg Michel

CHARLIE HEBDO: UN MESSAGE DES INSTITUTIONS CULTURELLES MILANAISES

Fil_Scala

 

Di fronte alla inaudita barbarie, all’odio insensato, al vile omicidio, rivendichiamo con la forza della cultura la libertà, il confronto critico d’idee, tutti i valori che sono una conquista della nostra civiltà e che debbono essere difesi ogni giorno con determinazione e fermezza.

(Devant la barbarie inouïe, la haine insensée, le vil homicide, nous revendiquons avec la force de la culture la liberté, la confrontation critique des idées, toutes les valeurs qui sont une conquête de notre civilisation et qui doivent être défendues chaque jour avec détermination et fermeté )

 

Ferdinando Bruni, Elio De Capitani, Fiorenzo Grassi, Teatro Elfo Puccini,
Massimo Collarini, Presidente Fondazione I Pomeriggi Musicali
Luigi Corbani, Direttore generale de laVERDI di Milano
Sergio Escobar, Direttore del Piccolo Teatro di Milano/Teatro d’Europa
Alexander Pereira, Sovrintendente del Teatro alla Scala di Milano
Ernesto Schiavi, Direttore Artistico della Filarmonica della Scala
Andrée Ruth Shammah, Direttore del Teatro Franco Parenti