DER RING DES NIBELUNGEN (une suite de MUNICH…): DE BECKHAM À WAGNER, UNE RÊVERIE

Broomhilda c’est le nom de la femme que le héros King Schultz du dernier Tarantino (“Django Unchained”) s’est juré de retrouver…Pas étonnant que régulièrement on pense à Tarantino pour un Ring. Voilà un artiste qui saurait donner à l’histoire un autre point de vue, totalement déjanté, et totalement juste en même temps, car il est à la fois  lecteur/montreur  et  démonteur de nos mythes.
Et pourtant, ce matin c’est un autre mythe qui m’a plongé dans mon Ring.  Ce matin en effet une nouvelle m’a laissé rêveur…David Beckham arrive au Paris-Saint-Germain. C’est un footballeur, il va donc légitimement jouer au foot à Paris. Si mes occupations wagnériennes me tiennent loin des stades, je sais qui est Beckham et je sais surtout qu’il n’est plus si jeune…Mais, en ces temps d’E.P.O, tout est possible aujourd’hui.
Écoutant avec toute l’attention voulue France Inter, j’apprends qu’il arrive non pour jouer, mais pour rester sur le banc de touche, qu’il ne reste que cinq mois, que les sommes mises en jeu sont secrètes, mais vont généreusement alimenter les caisses d’associations caritatives (la star est grande: elle a l’or et n’a pas renoncé à l’amour) et qu’il va servir de produit d’appel pour faire rentrer l’Or au Paris Saint Germain. Dans le langage du jour, on appelle cela une icône…et tout cela m’a fait rêver….

Götterdämmerung Acte II

Regardez la photo ci-dessus, remplacez Siegfried par David et Victoria, ou même par David tout seul avec son beau maillot n°32 tout neuf (80€ rouge, 120€ bleu..Ne mégotons pas, il sera en bleu, comme Siegfried…) et vous avez tout le sens de la scène des Gibichungen vue par Andreas Kriegenburg à Munich:  une icône, au sens des mots du jour, c’est un outil qui sert à ramener encore plus d’or dans un milieu pourri par l’or. On aurait pu faire évoluer la star sur ce bel Euro doré, comme sur la photo. Rien qu’une opération d’image, pour faire cracher au bassinet les supporters, comme la fonction dévolue au chœur ici (téléphones mobiles, tweets etc…) et donc pour faire de l’Or.
Spontanément, tel l’inspecteur Bourrel dont les gens de ma génération connaissent le “Bon sang, mais c’est bien sûr!”, je me suis frappé la tête ce matin en écoutant cette nouvelle ridicule, en me disant “Gibichung, Gibichung!” reliant l’absurdité caricaturale que j’entendais, qui a été rabâchée toute la journée à la scène que j’avais vue le dimanche à Munich et à la manière dont sont représentés les Gibichungen.
C’est que le spectacle de Munich ne me quitte pas. Ni les images (la preuve ci-dessus), ni la musique et je parcours tel ou tel de mes Ring pour en réécouter quelques moments, pour, comme on dit, m’en payer encore une tranche: je me suis arrêté hier sur Haitink, qui n’est peut-être pas une merveille vocale (à l’époque, il y avait crise du chant wagnérien) mais que je trouve une merveille à l’orchestre (Das Rheingold! Siegfried!!).
J’ai voulu écouter l’un des moments musicaux préférés, l’acte III de Siegfried et notamment le prélude, et la musique de transition entre la scène avec Wotan et l’arrivée auprès de Brünnhilde, qui mime le feu qui s’éteint. Oh!  c’est lié à un souvenir que je ne résiste pas à raconter: en arrivant à Bayreuth, en 1978, il est environ 21h, et je vais évidemment au Festspielhaus pour respirer l’air (naturellement pur) du lieu. Et par le plus grand des hasards (je suis encore jeune dans ce lieu, je ne suis pas habitué et connais peu de traditions) je tombe sur le deuxième entr’acte de la répétition générale de Siegfried (Chéreau, Boulez, Kollo). Le bonheur! d’autant qu’il y a plein de places latérales, que les “blaue Mädchen” à l’époque sont gentilles, et qu’elles me laissent rentrer. J’écoute donc le prélude adoré (Boulez!!!), et je reste ensuite fasciné par les deux scènes qui suivent: Erda qui apparaît toute lovée au bas d’un grand rideau gris, fascinant, et l’extraordinaire jeunesse et fraîcheur du Siegfried de Kollo, dont cette saison 1978 sera la dernière apparition (farouche adversaire de la mise en scène). Puis musique de transition, et les éclairages, les effets sont tels, et accompagnent tellement la musique que la scène de ce rocher qui s’éteint, se termine dans une sorte de gris du matin qui je m’en souviens très bien diffusait une impression de froid. Je n’ai jamais oublié ce moment, ni la musique qui l’accompagnait, ni cette incroyable impression produite par l’image! Alors j’aime réécouter ces moments, qui me replongent dans ce souvenir, trace d’un moment aussi béni qu’inattendu.
Pour moi écouter un Ring, c’est à la fois replonger dans cette musique addictive qui fait qu’à peine éteints les derniers feux de l’embrasement final du Walhalla, on a envie de repartir du début, tellement on est dedans, tellement on aime, tellement on voudrait que cela ne s’arrête pas notamment dans les conditions munichoises de la semaine dernière.
J’avais eu un peu la même impression après le Faust intégral de Peter Stein en 2000, 22h de théâtre. A la fin, une seule envie, que cela recommence, tellement la musique du texte de Goethe était impossible à éliminer de la tête: Faust, c’est le Tsunami des mots.
De même quand on entre dans le tunnel wagnérien, on n’en ressort plus. Je connais des amis qui fréquentèrent assidument Bayreuth, et qui se sont lassés. Ils sont rares, ceux qui sont lassés ou blasés, et je les soupçonne d’avoir peur d’y retourner de peur de retomber dans l’addiction.
La semaine dernière, l’approche de Nagano était si claire, si bien construite que j’ai pu découvrir encore des phrases inconnues, des interventions de pupitres inattendues, des sons nouveaux, et on découvre encore et encore des trésors, dans cette musique qui fonctionne par couches successives entremêlées, où la mélodie principale se noie bientôt dans les nouvelles trouvailles (j’ai attentivement suivi la chevauchée des Walkyries cette fois!). Je ne reviens pas sur le chant exceptionnel. Je suis revenu sur un épisode de la mise en scène, que cette stupide affaire Beckham a réveillé en moi, parce que simplement, même après une semaine, ce spectacle me poursuit et je ne cesse en y pensant d’y déceler des idées superbes, comme celle de l’innocence initiale de ces jeunes figurants, qui accompagnent bien des scènes, et des scènes terribles, mais dont la présence apaise, comme si le récit ne pouvait se résoudre à être négatif et qu’il y avait toujours un espace de respiration, malgré une lecture lucide et sans concession du monde. Et puis, le Ring à lui seul est un monde: une mise en scène après l’autre et l’œuvre répond toujours “présente”, a toujours quelque chose à dire sur le monde d’hier et d’avant hier celui d’aujourd’hui. Une source intarissable de significations, d’images, de sons. Allez, courage, pour ceux qui n’ont pas connu cette expérience, allez le voir en continu, vous n’imaginez pas combien vous perdez à le voir en épisodes séparés .
J’ai jadis organisé à Milan à l’initiative du Centre Culturel Français alors dirigé par Patrice Martinet, l’actuel directeur de l’Athénée et de Paris Quartier d’été une présentation publique du Ring de Chéreau sur Laser Disc (cela venait de sortir chez Unitel ) et très grand écran, en continu de 15h le samedi à 6 ou 7h du matin le dimanche. Quelle magnifique expérience, tout prend sens et tout prend relief. J’avais appelé cela “la nuit des Tétravores” qui avait rencontré un public très nombreux, même entre 2 et 4h du matin.

Comme il faut être raisonnable et en cette année de bicentenaire Wagner/Verdi, se nourrir à l’un et à l’autre, je vais ce Week end à la Scala pour Falstaff et Nabucco, j’aime, j’adore Verdi (surtout bien dirigé, c’est rare et  bien chanté, c’est encore beaucoup plus rare) et cela va peut-être calmer mon désir de drogue wagnérienne car en ce moment je ne rêve que d’un marathon tétravore.
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