HERBERT VON KARAJAN: 25 ANS DÉJÀ

Herbert von Karajan au pied de son avion
Herbert von Karajan au pied de son avion

Il y a 25 ans disparaissait Herbert von Karajan et 25 ans après, il reste pour les maisons de disques la valeur la plus sûre, et la garantie des ventes les plus régulières. C’est qu’il fut le premier des chefs d’orchestre à comprendre l’importance croissante des médias et celle de la diffusion musicale, il a été l’un des premiers à utiliser l’image à grande échelle Bien des opéras ou des concerts ont été enregistrés et ont constitué des films (Otello de Verdi avec Vickers et Freni par exemple). Lui-même était un sujet favori des magazines et l’un des phares de la Jet Set : il pilotait son avion, aimait les voitures de course, était sportif, naviguait, fréquentait Saint Tropez, avait épousé en troisième noces une jolie femme, française, Eliette. En bref, tout ce qui fait le kit du parfait people.
Ces 25 ans sont l’occasion pour les maisons de disques, et notamment DG sa maison référente depuis une quarantaine d’années, de relancer un peu le « produit » Karajan : c’est en effet un moyen aisé de faire entrer un peu de liquidités dans les caisses paraît-il vides des maisons de disques classiques, se refaire une (petite) santé sur le dos de la vieille bête Herbert. Il y aurait beaucoup à dire sur le marketing actuel du disque classique, sur les politiques en matière d’éditions et de rééditions, sur les titres..etc..etc…
Pour ma part, je suis un inconditionnel du premier Karajan, celui des années 50, celui qui enregistrait chez EMI une Ariane à Naxos restée inégalée (rien que les premières mesures sont un enchantement), ou un Rosenkavalier ( avec Schwartzkopf  et Jurinac) qu’aucun jusqu’ici n’est arrivé à détrôner, ou même son Falstaff avec Gobbi là aussi indétrônable, et celui des années 60 avec une série de Trovatore impressionnants en live (avec Leontyne Price). Chez DECCA (Universal Music aujourd’hui), il a fait à cette époque un Boris Godunov qui lança Nicolai Ghiaurov dans la version Rimski qui était avant l’arrivée de la version originale (fin des années 70) la référence . Quant à sa Bohème (toujours chez DECCA), avec Pavarotti et Freni, elle s’est installée en tête de discographie sans qu’aucun autre ne puisse s’imposer. Seul Kleiber aurait pu, mais il n’y a que des éditions pirates de ses Bohème.

Celui des années 70 à 89 me séduit moins. Certes son Ring est l’une des références de studio, avec des choix surprenants de distribution seulement possibles au disque et un enchantement orchestral. Pour le reste, la production discographique de cette époque ne me convainc pas, Parsifal mis à part, qui fait partie de mes Parsifal de prédilection et on peut même dire des must en la matière.
Comme Abbado, qui lui a succédé à Berlin, et avec qui il entretenait une relation ambiguë, tant les deux hommes sont différents, radicalement, il a enregistré un Bruckner (la 7) comme testament sonore presque indépassable.
Il me laisse personnellement deux très grands souvenirs : une Aida à Salzbourg en 1979 avec Freni, Carreras, Horne, Raimondi, Cappuccilli où j’ai enfin compris quelle magie ce son Karajan pouvait dégager et comme Freni chantait quand il la dirigeait, et un troisième acte de Parsifal à Garnier qui était un concentré d’ivresse sonore et qui reste un des grands moments de ma vie de mélomane.
Pour le reste je n’ai jamais été un fan passionné du Maître de Salzbourg, de Berlin et même de Vienne, mais malgré mes réserves, quand un ami non mélomane me demande des conseils musicaux pour des cadeaux, je réponds toujours, « si tu hésites, prends Karajan. Ce ne sera peut-être pas ma version de référence, mais tu auras la garantie, toujours, d’un très haut niveau. »
C’est dans ce sens et avec cet esprit qu’il faut écouter la compilation que DG vient de faire paraître sous le titre racoleur mais assez juste «Classic Karajan» et qui a excité ma curiosité (malsaine dirons certains). Classic, parce que si le mot classicisme a un sens, c’est bien à propos d’Herbert von Karajan. Classicisme comme référence, classicisme comme juste milieu, classicisme comme « à étudier dans les classes », classicisme comme « rien de trop moderne ». Et Karajan, parce que c’est probablement le seul nom de chef d’orchestre encore connu du très grand public. Évidemment, vu sa production discographique, on trouve toujours au détour des bacs de disquaires  un (des) enregistrement(s) de Karajan.
Quel peut être le sens d’une telle compilation ? Elle s’adresse évidemment à un public non mélomane, à ceux qui, curieux, veulent aborder le monde de la musique dite classique avec un « classic », et avec l’assurance que donne le grand nom de référence. Elle s’adresse aux grands-parents ou aux parrains-marraines mélomanes voulant faire un cadeau au petit fils/filleul pour l’introduire à la musique classique ou au fiancé mélomane qui désespère de sa fiancée folle de heavy métal (en cadeau de rupture?).
Pour moi qui suis entré en religion mélomaniaque à dix ans par Johann Strauss et les valses de Vienne, je suis assez frustré puisque seule la Radetsky-Marsch, en dernier extrait du CD2, clôt l’audition, un peu comme dans le concert du Nouvel An à Vienne, pour servir de trace de petit Poucet dans les mémoires d’un public qui regarde probablement le Concert du Nouvel An . D’ailleurs, ces extraits sont mis en scène, avec en ouverture l’introduction du Also sprach Zarathustra de l’autre Strauss, et en clôture la Radetsky-Marsch, et sont conçus comme un balayage le plus large possible et de l’art du maître, et de l’étendue de son répertoire, symphonique, choral, lyrique. Tout est là, en extraits très calibrés mais nombreux (32 en tout), un concentré des must qui illustrent la musique classique dans les grands média, Zarathustra (R.Strauss) Radetsky Marsch (J.Strauss Sr), début de Symphonie n°5 de Beethoven, Adagietto de la 5ème de Mahler, La petite musique de nuit de Mozart, le Canon de Pachelbel, La chevauchée des Walkyries (une merveille, il faut bien le dire…) , l’Adagio d’Albinoni, la Méditation de Thaïs, l’ouverture de Carmen etc…etc…
Au milieu de ce concentré de ce qu’il-faut-avoir-entendu-au-moins-une-fois-dans-sa-salle de-bains, on trouve aussi de l’opéra, Puccini (Butterfly, version de référence, encore aujourd’hui), Turandot, œuvre enregistrée tardivement avec laquelle il eut moins de chance, mais c’est Domingo dans Nessun dorma, l’ouverture de la Flûte enchantée, et des extraits des deux Requiem, Verdi (Ingemisco, avec José Carreras) et Mozart (Lacrimosa, avec le Wiener Singverein) et quelques extraits moins connus, Holst (Les Planètes, Jupiter) et Franz Schmidt (Intermezzo de Notre Dame, qui permet de constater une fois de plus ce qu’étaient les cordes berlinoises sous Karajan), et puis on trouve Prokofiev, Tchaïkovski, Smetana, Vivaldi.
Deux disques panoramiques pour auditeurs pressés, pas vraiment désireux d’approfondir, mais qui permettent de montrer à quelle hauteur Karajan se plaçait.

Il convient donc de remettre les choses à leur place : bling bling, certes, mais quel chef a cette place aujourd’hui ? qui a contribué autant que lui à populariser la musique dite classique ? Ce mini coffret, dont les radios diffusent abondamment la publicité (au moins France Inter), aurait-il l’effet de réveiller la curiosité de l’auditeur qu’il atteindrait son but. En tous cas, à 25 ans de la mort d’Herbert von Karajan, il continue à faire vendre, on continue à faire de la pub autour de lui, et le produit n’est pas, loin de là, un produit de bas étage. Discuté, discutable, lointain, dictatorial, opportuniste pendant la guerre,  mais sublime, mais génial, on a tout dit de lui, tout et son contraire. Et rien n’est faux.
Il reste que la trace laissée est profonde, et qui l’a entendu avec ses Berliner comprend pourquoi. À surface médiatique (hélas) égale,  mieux vaut acheter Karajan qu’André Rieu…L’un est une valeur, l’autre un produit.

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Une réflexion sur « HERBERT VON KARAJAN: 25 ANS DÉJÀ »

  1. Bonjour,
    Merci pour ces quelques mots sur Karajan…
    J’ai pour ma part longtemps -j’avais l’excuse d’être jeune- snobé (sans l’avoir écouté d’ailleurs) ce chef d’orchestre en cédant à la mode des “connaisseurs”. Un personnage aussi grand public pouvait-il être honnête? Pouvait-il être autre chose que “superficiel”.
    Et puis le choc…à 17 ou 18 ans, le troisième acte de Parsifal (chez dg) écouté après avoir lu des remarques dithyrambiques de Richter. Je n’avais jamais entendu sonner un orchestre ainsi: un son paradoxalement dense et aéré, un chant qui n’en finissant plus de chanter, des dynamiques d’un autre monde… Une révélation!

    Pour ma part je retiendrais de Karajan:
    *les symphonies de Beethoven qui atteignent les cimes:
    -les 3,5 et 7 dans la deuxième version dg dégagent une énergie hors du commun
    -la 9ème dans la 3ème version dg est un moment de grâce au même titre que les concertos de Ravel par Samson François

    *des Wagner je retiendrais pour ma part
    -Parsifal
    -La Walkyrie et le Crépuscule
    -Tristan (Emi et les extraits live avec Jessye Norman)

    *Enfin Karajan est pour moi le seul chef -avec Celibidache- à rendre justice à Bruckner (Abbado n’a malheureusement pas enregistré les symphonies que j’aime). Les symphonies 3 et 8 sont de grands moments d’élévation spirituelle dans un esprit romantique assumé…

    Voilà, j’apprécie d’une manière générale tout ce qu’a fait ce chef pour son sens des climaxs, du rythme, des phrasés et du son en général. Un immense musicien d’inspiration romantique. Je regrette seulement son faible investissement dans les musiques du 20ème siècle. Je rêve parfois à des interprétations impossibles… Les espaces acoustiques par Karajan! Ça aurait de la gueule!

    Amicalement,
    Benjamin

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