HUMEUR: SUR UN ARTICLE COMMENTANT L’ARRIVÉE DE DANIELE GATTI À AMSTERDAM

Le Concertgebouw d'Amsterdam
Le Concertgebouw d’Amsterdam

Je viens de lire dans la revue Classica un article sur la nomination de Daniele Gatti comme directeur musical du Royal Concertgebouw Orchestra d’Amsterdam, que j’estime d’une grande clairvoyance, d’une grande culture, et qui exprime surtout une vision lumineuse de la vie musicale européenne. Je vous y renvoie,  mais j’estime légitime d’essayer dans ce blog de le confirmer point par point.
Le titre est alléchant : « Ramdam à Amsterdam », il suggère qu’il y a de l’agitation, peut-être de la polémique à Amsterdam à l’occasion de la nomination de Gatti. Et de fait, tous ceux qui suivent l’actualité musicale ont constaté que le Royal Concertgebouw Orchestra en avait fait du ramdam à l’occasion de cette nomination ! Grève, communiqués, sit-in, occupation des locaux…
ah ? non ? mais non ! je confonds avec d’autres orchestres à Paris, ou à New York et en plus ce n’était même pas Gatti le coupable. Ramdam dans la tête de celui qui écrit peut-être, ou fantasme de ramdam… Dame !
Dès le départ, l’article parle de «surprise» («Pour une surprise, c’en est une»).
Surprise pour qui ? Sans doute pour ceux qui ne suivent l’actualité musicale que de loin, du haut de leur Tour Eiffel, l’actualité musicale, car on savait que le nom de Gatti circulait, notamment depuis la tournée des concerts Mahler (Symphonie n° 9) de 2013, triomphale, mais sans doute face à des publics sans goût, sans culture et avec des musiciens aveuglés et gavés de Heineken et d’Edam…Dame !

Suit une brève histoire de cet orchestre, 126 ans, 7 directeurs musicaux seulement (ce n’est pas si mal, Amsterdam…), une laudatio aigre douce sur Chailly qui avait fortement renouvelé le répertoire entre 1988 et 2004, mais que Jansons a « recentré sur les grands classiques, de Beethoven à Chostakovitch ». Et visiblement, cela plait mieux à notre auteur, c’est normal, il écrit dans une revue qui s’appelle Classica. Mais la question n’est pas le répertoire soi-disant « classique » de Jansons ni son charisme personnel réel auprès des orchestres et du public: en bonne rhétorique, il faut construire l’opposition et montrer que l’un fait l’unanimité, et que la nomination de l’autre est « risquée », comme le souligne le sous-titre : « Le choix du successeur de Jansons au Concertgebouw est risqué ».

Après la colonne « passé= âge d’or » suit la colonne « futur incertain » consacrée à Daniele Gatti. Et comme on le comprend.

Remarqué à Bologne, une ville italienne de province, autant dire, vu de Paris, à Dijon ou à Limoges (Bologne dont il était directeur musical à 30 ans, à un moment où son théâtre était considéré comme l’antichambre de la Scala et où il avait succédé notamment à Riccardo Chailly) il n’a jamais confirmé «les grands espoirs placés en lui». Suivent donc une liste de trois postes Londres, Zürich et Paris, où son passage aurait été «controversé» : par qui ? par la critique ? par les musiciens ? par le public en furie ?

Il a été si controversé que dans les mêmes années, le Festival de Bayreuth, certes, une ville encore plus provinciale que Bologne, au fin fond de la Bavière, à peine accessible en train et abritant un Festival du même acabit, l’a appelé à diriger Parsifal, il est vrai une œuvre mineure d’un compositeur sans avenir, et surtout une œuvre qui à Bayreuth, ne représente aucun enjeu symbolique…

Il a été si controversé à Zurich que l’intendant de Zurich passé à Salzbourg l’a appelé pour diriger La Bohème, Die Meistersinger von Nürnberg, Il Trovatore œuvres mineures et bouche-trous bien connus du répertoire d’opéra. Il est vrai que Salzbourg est un Festival de rien du tout, un trou perdu coincé entre Bavière et Autriche, un vulgaire passage autoroutier.

Et voilà, (vous rendez-vous compte ?) que c’est ce chef au passé controversé et à l’avenir incertain qui est appelé au Royal Concertgebouw  Orchestra d’Amsterdam, considéré comme un des tous premiers orchestres du monde.
Juste deux incises : c’est ce chef qui « ne possède pas de spécialité reconnue ni de répertoire marquant au disque » qu’on a cité dans la presse autrichienne en premier pour succéder à Franz Welser-Möst comme GMD à Vienne  et c’est ce chef qui « ne possède pas de spécialité reconnue ni de répertoire marquant au disque » qui vient de triompher à Berlin avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin,  salué par toute la critique présente dans un concert Wagner, Brahms, Berg, un de ces concerts fourre tout au répertoire incohérent pour un orchestre de troisième zone dans une ville sans passé musical. D’ailleurs, ce même Philharmonique de Berlin a souvent été dirigé par des chefs sans « spécialité reconnue ni de répertoire marquant au disque »: Herbert von Karajan, un inconnu dont les disques marquants vont de Puccini à Wagner, de Bruckner à Donizetti, de Johann à Richard Strauss, de Verdi à Bach, de Mozart à Holst, en passant par Moussorgski et Ravel, ou Bizet et Sibelius. ; Claudio Abbado dont le répertoire marquant va de Beethoven à Ghedini, en passant par Mozart et Verdi, avec des détours par Berg et Bach, et un parcours qui mène à Bizet ou Mahler, ou Wagner et Strauss (Johann et Richard), sans parler de Nono ou Bruckner, Stockhausen ou Bellini ; ou Simon Rattle sans spécialité reconnue qui dirige au concert et au disque Brahms et Mahler, Mozart et Thomas Adès, Bach et Schönberg, Wagner et Rameau, Berlioz et Bernstein…que de chefs sans spécialité reconnue ni répertoire marquant !
D’ailleurs, la preuve qu’il n’a pas de spécialité, ce Daniele Gatti : il vient de triompher dans Il Trovatore, il est vrai à Salzbourg et il est vrai avec un orchestre de troisième zone (Wiener Philharmoniker) et une distribution de série B (Netrebko, Domingo…), comme au MET, un an avant, dans Parsifal avec Jonas Kaufmann, un inconnu: faut-il que les managers soient inconscients de confier à des mains aussi contestables des productions de ce type, faut-il qu’orchestres et chanteurs soient descendus bien bas pour ne pas protester qu’on leur impose un tel chef…
Devant ce mystère, une seule solution, le piston…

On vous l’avait bien dit, le trafic d’influence, la politique…c’est la seule explication possible et le brillant analyste de Classica nous l’assène comme ultima ratio : « peut-être résulte-t-elle de relations privilégiées avec les politiques ou les musiciens locaux ? » (sic).

Sans doute Daniele Gatti, avec ses origines néerlandaises bien connues (il est né à Milaan et s’appelle en réalité Daniel Van Gattighem) a-t-il profité de cet avantage auprès des politiques néerlandais qu’il doit vraiment fréquenter assidûment pour planter là ses concurrents paraît-il charismatiques (Rattle, Gergiev, Thielemann, Salonen) dont certains ne sont pas des habitués loin de là, de l’orchestre du Concertgebouw, comme chacun sait.
Et pire, horribile visu, auditu, et cogitatu, Daniele Gatti a peut être des relations privilégiées avec les musiciens locaux. Mais qui sont donc ces musiciens locaux ? Le conservatoire ? L’Opéra ? Le plus horrible serait qu’il ait des relations privilégiées avec les musiciens locaux de l’orchestre du Concertgebouw. Parce que là, on ne comprendrait plus.

La seule raison que le brillant analyste n’évoque même pas, c’est que l’un des meilleurs orchestres du monde ait choisi Daniele Gatti tout simplement parce qu’il estime que c’est le chef idoine pour l’orchestre aujourd’hui, au vu des concerts qu’il a déjà à son actif avec lui et des triomphes (eh, oui, dur, très dur à lire, je sais) remportés. Mais c’est une raison complexe trop tirée par les cheveux pour l’aller chercher, et surtout, trop impensable aux yeux de certains idéologues aveuglés par leur mépris.

Voilà un exemple de prose faite de mauvaise foi, qui n’est pas analyse, mais opinion assénée, non étayée, non argumentée et qui tait volontairement ce qui la contredit (ou qui, simplement, l’ignore peut-être), voilà l’exemple même que ce qu’on ne devrait jamais lire dans la presse sérieuse.
Mais voilà, dans le microcosme, mieux vaut le fiel que le miel. L’intelligence et l’honnêteté en crèvent. Mais rien de grave, on sait ce qui se profile derrière ce type de pratiques.[wpsr_facebook]

0 réflexion sur « HUMEUR: SUR UN ARTICLE COMMENTANT L’ARRIVÉE DE DANIELE GATTI À AMSTERDAM  »

  1. Bonsoir,
    Il faut se rendre à l’évidence: la plupart des gens embauchés dans ces magazines sont incompétents.
    Votre article me fait penser au sort réservé à Sylvain Cambreling à l’Opéra de Paris. Il a été conspué et ridiculisé dans la presse comme sur les forums prétendument spécialisés. Quand on songe deux minutes à la richesse du répertoire qu’il possède et à son investissement dans la création, ça laisse songeur…
    En France la qualité de la critique musicale est horriblement faible… La plupart de ces écrivaillons sont d’ailleurs parfaitement incapables de lire une partition d’orchestre… Mortier a été très étonné de découvrir cela en arrivant en France…
    De la même manière on peut trouver des gens pour nous expliquer que l’acoustique de la Philharmonie est mauvaise alors que celle-ci n’a toujours pas ouvert ses portes…
    Triste pays…
    Bien à vous,
    Benjamin

      1. Je n’ai jamais été convaincu par le travail parisien de Daniele GATTI qui se montre sous de bien meilleurs jours à Bayreuth par ex ( magnifiques PARSIFAL ):
        – programmes bateaux alors qu’il y a tant à faire : la symphonie française ( d’ONSLOW à DUTILLEUX en passant par CHAUSSON, DUKAS, ROPARTZ, LALO, MAGNARD, ROUSSEL etc ); les symphonistes italiens . Dernière saison : TCHAIKOVSKI et qui va faire 100 ou 200 kms ou se lever la nuit pour entendre l’ONF dans les symphonies de TCHAIKOVSKI dirigées par Gatti ?
        – ONF dépassé par l’orchestre philharmonique de Radio France avec des programmes plus aventureux et des chefs invités plus interessants ! Jusqu’à quand Radio France va-t-elle entretenir 2 orchestres se concurrencant dans le même nouvel auditorium ?
        – pas ou peu de présence au disque mais il n’est pas le seul !!

        1. Daniele Gatti semble transformé depuis sa nomination à la tête du Concertgebouw: ses derniers concerst avec l’ONF étaient excellents, son Tristan sublime. Et l’ONF était superlatif dans le dernier concert.
          Alors le bilan de Gatti à Paris? Je ne sais pas. En tout cas, la fin était triomphal.

  2. D’accord pour les critiques concernant CLASSICA, revue de vulgarisation au sens propre que j’emprunte à la Médiathèque du coin et que je lis en 60 mns chrono; par contre je défendrais plus DIAPASON que je lis depuis 40 ans avec quant même de belles plumes et des avis argumentés.
    Je reviens sur Gatti qui est le sujet de votre long commentaire et ne serai pas si laudatif; il est malheureusement évident que son séjour parisien est plutot un échec :
    – l’orchestre philharmonique de Radio France est plus interessant dans ses chefs invités et ses programmes et semble avoir pris le dessus ; Radio France va-t-elle garder à terme 2 orchestres qui vont se concurrencer à fortiori dans le même auditorium ?
    – c’est surtout ce dernier point ( les programmes ) ou D Gatti a été décevant : empiler les cycles Tchaikovski ( la dernière saison ) ou Brahms ne représente pas une prise de risque importante . Il y a pourtant bcp à faire dans le domaine du répertoire symphonique : un cycle consacré à la symphonie française ( d’Onslow à Dutilleux serait passionnant avec des passages par Chausson, Lalo, Magnard, Ropartz, Dukas ……); idem quant à la musique orchestrale italienne de la fin du XIX ème et début XXème siècle ( Sgambatti; Martucci; Casella..) etc
    Gatti n’a pas été à la hauteur à Paris mais plus effectivement à Bayreuth ou les Parsifals ont toujours été excellents .

  3. Je ne suis pas sur que Daniele Gatti laisse un si bon souvenir que celà à Paris:
    – programmes sans originalité et il y a pourtant à faire dans le domaine du répertoire symphonique. Au lieu du cycle Tchaikovski de 2013/ 2014 on aurait pu imaginer un cycle Symphonies françaises ( d’ONSLOW à DUTILLEUX en passant par ROPARTZ,CHAUSSON, LALO, ROPARTZ et autres MAGNARD ou ROUSSEL …) ou les symphonistes italiens de la fin du XIX ème et XX ème ( MARUCCI; SGAMBATTI; CASELLA…. )
    – l’orchestre philharmonique de Radio France semble plus dynamique que l’ONF : les programmes et les chefs invités ….Radio France va-t-il assumer longtemps 2 orchestres se concurrencant dorénavant dans le même auditorium ?
    Gatti “grand” chef, pas trop à Paris mais effectivement les PARSIFAL bayreuthiens montrent qu’il ne s’est peut-être pas trop investi ici ????
    Enfin tout à fait d’accord pour les critiques asez aisées en ce qui concerne CLASSICA, revue de vulgarisation au sens premier du terme mais il faut sans doute être plus nuancé quant à DIAPASON ou il y a d’excellentes plumes
    amicalement et bon vent à Gatti .
    AM

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