LUCERNE FESTIVAL PÂQUES 2014: Andris NELSONS dirige le SYMPHONIEORCHESTER DES BAYERISCHEN RUNDFUNKS (Richard WAGNER – PARSIFAL Acte III)

Andris Nelsons le 12 avril 2014 avec Georg Zeppenfeld et Simon O'Neill © Lucerne Festival/Peter Fischli
Andris Nelsons le 12 avril 2014 avec Georg Zeppenfeld et Simon O’Neill © Lucerne Festival/Peter Fischli

En 2016, Bayreuth a programmé une nouvelle production de Parsifal, confiée à Andris Nelsons, très apprécié pour son Lohengrin (vous vous rappelez ? Celui des rats…) et au performer allemand Jonathan Meese, ce qui au contraire provoque déjà la polémique. Comme c’est l’usage, les chefs invités à Bayreuth qui n’ont jamais dirigé l’œuvre pour laquelle ils sont invités la mettent au programme de leurs concerts. Ce fut par exemple le cas pour Kirill Petrenko à Rome avec Rheingold, ou Gatti, toujours à Rome, pour ce même Parsifal.
Par ailleurs, pour sa résidence pascale à Lucerne, l’Orchestre de la radio bavaroise, programme toujours un grand concert choral.
C’est donc un projet Parsifal qui est né, mais pour le seul troisième acte, avec le magnifique chœur de la Radio bavaroise (dirigé par Michael Alber) et des solistes de choix : avec Simon O’Neill (Parsifal), Georg Zeppenfeld (Gurnemanz) et Tomasz Konieczny (Amfortas).
Andris Nelsons est un vrai, un grand chef, et notamment un grand chef d’opéra. Il sait donner une vraie couleur, une vraie direction à ses interprétations : il y a incontestablement des prises de risque dans l’approche des œuvres. Voilà un chef qui excelle dans Wagner..mais aussi dans Puccini, dont l’épaisseur orchestrale et la complexité de l’écriture sont quelquefois une surprise pour ceux qui le prennent pour un simple vériste.
J’ai déjà entendu ainsi un troisième acte isolé, c’était à Paris, avec les Berliner Philharmoniker dans la fosse, et Herbert von Karajan au pupitre. Et c’est évidemment frustrant…pas d’explosion dramatique du deuxième acte, pas de lancinant et extatique premier acte. On rentre immédiatement dans le deuil, dans le drame, dans la nuit qui va précéder l’éveil du Printemps (dont le même orchestre avait interprété Le Sacre la veille avec Gustavo Dudamel).
En deux soirées, cette phalange exceptionnelle a connu deux des jeunes chefs les plus en vue, dont on peut à la fois admirer la technique, mais aussi les profondes différences, si l’on excepte leur manière de bouger en dirigeant, Andris Nelsons bougeant sa grande carcasse dans tous les sens, et pas vraiment d’ailleurs d’une manière élégante : il devra sans doute se contrôler plus..mais à 36 ans…

Andris Nelsons le 12 avril 2014 © Lucerne Festival/Peter Fischli
Andris Nelsons le 12 avril 2014 © Lucerne Festival/Peter Fischli

À 36 ans, il s’attaque à un sommet wagnérien, avec cette sûreté que seuls les chefs de forte nature possèdent. Nelsons a un côté bûcheron nordique, bon enfant mais imposant qui fait contraste avec une approche très sensible, très raffinée quelquefois, et trépidante d’autres fois. Dans une salle peu favorable aux voix mais très favorable à l’orchestre par la clarté sonore qu’elle reproduit, il ne couvre jamais les solistes, et réussit à colorer d’une manière totalement inattendue l’ensemble de l’acte. Après un début retenu, sombre, sans lyrisme et sans aucun sentimentalisme, il réussit à sculpter des sons plus aérés avant d’être aériens pour gratifier d’un Karfreitagzauber (l’Enchantement du vendredi Saint) vraiment bouleversant, avec une sorte de trépidation intérieure et de vie bruissante qui étonne (d’autant qu’on sait qu’il y a eu très peu de répétitions). Certes la Verwandlungsmusik ne sonne pas comme cette antichambre de la mort qu’était Abbado dans cette même salle avec ses cloches orientales géantes, mais elle sonne tout de même très inquiétante, avec l’enchaînement d’un chœur qui ne mérite que des éloges, pas si nombreux, mais qui emplit la nef comme un chœur de cathédrale.

Andris Nelsons le 12 avril 2014 © Lucerne Festival/Peter Fischli
Andris Nelsons le 12 avril 2014 © Lucerne Festival/Peter Fischli

À aucun moment, Nelsons ne se laisse aller à des complaisances, jamais son approche ne sonne pathétique, pas de pathos, mais pas d’objectivité froide non plus, il ya dans tout ce travail une étrange force intérieure, un tremblement fondamental qui secoue l’auditeur, d’autant que l’orchestre de la Radio bavaroise sonne sans aucune scorie, avec une netteté des attaques, une clarté des pupitres, un sens des niveaux sonores qui frappe d’admiration.
Face à ce travail admirable, trois solistes qui sont immédiatement entrés dans l’œuvre, avec la fugace Kundry de Sabine Staudinger, une artiste du chœur au timbre chaud à qui l’on demande de crier et de « dienen » et qui s’efface aussitôt.
Le Parsifal de Simon O’Neill est étrangement presque plus concerné en concert que lorsqu’on le voit en scène, beau timbre, très clair, très velouté, très lyrique, mais qui sait aussi montrer une voix puissante et héroïque (il est un bon Siegmund, et les bons Siegmund sont souvent de bons Parsifal (Vickers, Hoffmann et même Domingo, sans parler de Kaufmann) et un bel engagement. Comme les deux autres collègues, il est doué d’une diction d’une cristalline clarté.
Tomasz Koniecny est Amfortas, un Amfortas très honorable, mais peut-être pas au niveaud es deux autres, il incarne un Amfortas souffrant, mais à la fois trop clair et trop engagé pour être si affaibli, comme l’exige la partition ; Pour tout dire, il ne m’est pas apparu rentrer totalement dans le rôle (il est vrai que les conditions d’un troisième acte pour Amfortas sont difficile, 10mn pour convaincre), tout le monde n’est pas Mattei, ni Van Dam qui était Amfortas avec Karajan à l’Opéra de Paris lors du concert que j’évoquais. En revanche merveille que le Gurnemanz de Goerg Zeppenfeld qui fait regretter de ne pas entendre le premier acte. Diction parfaite, sens des nuances, sens du dire et du discours, voix étonnamment claire tout en étant profonde, sonore, bien projetée, et surtout sans maniérisme, sans coquetterie, avec une linéarité et une simplicité en plein écho avec la direction musicale. Prodigieux d’intelligence.
Au total, nous avons entendu à travers ce troisième acte la promesse d’un très grand Parsifal, ce fut un triomphe mérité, ce fut un très grand moment, ce fut aussi (et donc) une très grande frustration, mais c’est un mal présent en vue d’un bien (bayreuthien) futur.
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Andris Nelsons le 12 avril 2014 © Lucerne Festival/Peter Fischli
Andris Nelsons le 12 avril 2014 © Lucerne Festival/Peter Fischli

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