METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2012-2013: RIGOLETTO de Giuseppe VERDI le 16 Février 2013 (Dir.Mus: Michele MARIOTTI, Ms en scène: Michael MAYER) avec Diana DAMRAU

Questa o quella à Las Vegas ©Sara Krulwich/The New York Times

L’occasion faisant le larron, après le Parsifal d’hier, le MET affichait aujourd’hui à 13h (retransmission dans les cinémas oblige) sa précédente nouvelle production (28 janvier) de Rigoletto mise en scène de Michael Mayer qui a décoiffé la presse et le public parce qu’elle se passe en 1960 à Las Vegas. La distribution comprend Diana Damrau, Piotr Beczala et Zeljko Lucic, trois chanteurs très demandés aujourd’hui, stars ou en en voie de starisation pourrait-on dire.

Appelé par Peter Gelb, le metteur en scène Michael Mayer a transposé l’œuvre dans les années 1960 à Las Vegas au moment du Rat Pack (1): Gelb a un souci avec la moyenne d’âge des spectateurs du MET et veut y amener les jeunes (sont-ils passionnés par Las Vegas en 1960? C’est à voir), il cherche des metteurs en scènes décoiffants, venus du Musical.
La question de la mise en scène se pose fortement au MET, notamment depuis que Peter Gelb en a pris la direction. Celui-ci en effet voudrait amener au MET des metteurs en scène plus modernes, des visions plus contemporaines. Il connaît en même temps son public, assez conservateur, et voudrait en rajeunir la moyenne d’âge, qui a tendance à augmenter. Il doit en même temps retenir ce public, en gagner un autre, par des opérations de communication importantes et sans précédent. D’où des productions qui sont “modernes” mais pas trop, qui décoiffent sans déranger, qui font parler d’elles mais qui ne font pas fouetter un chat. On est loin du Regietheater à l’allemande même si Chéreau a fait son entrée au MET avec De la Maison des morts, de Janacek, coproduite par la Scala, Aix en Provence et le MET.

Implantation scénique Acte I scène 2 et 3 ©Ron Berard/Metropolitan Opera

C’est bien la question qui se pose à la vision de ce Rigoletto. Ce n’est pas la transposition de l’œuvre de Verdi qui fait problème:  j’ai rendu compte de la mise en scène de Jonathan Miller, à l’ENO, qui fonctionne parfaitement depuis 1982 et que j’ai vue en 2009:  cette mise en scène transpose Rigoletto dans Little Italy, au milieu des luttes de clans et des trafics divers. Au MET la transposition renvoie à une Amérique des plaisirs et des pouvoirs officiels et occultes, à un monde de paillettes où l’argent coule à flots de manière insouciante, où tout est facile, y compris le meurtre, où la limite entre le licite et l’illicite reste trouble, mais le parti pris ne va pas jusqu’au bout, n’a aucune valeur symbolique ni idéologique,  devient vite un décor plus qu’une ambiance, et tombe dans la facilité. Quand le Duc entame “questa o quella” entouré de “trucs en plumes” en nouveau Sinatra (micro etc..), c’est assez réussi, et on se dit que ça part bien. Quand Monterone arrive vêtu en sheikh arabe entouré de ses sbires pour prononcer sa malédiction, on note l’anachronisme, les sheikhs arabes n’étaient pas à l’époque réputés fréquenter les casinos et quand pour le moquer de lui Rigoletto se couvre du talit juif (sorte de châle de prière), on ne comprend plus: est-ce pour railler la situation actuelle? est-ce pour faire rire la salle ? Dans ce cas c’est réussi: la malédiction de Monterone (Robert Pomakov, très correct) tombe à plat au milieu des gloussements.

Rigoletto, Acte I ©Ken Howard/MET

Deuxième incohérence, plus grave: on ne comprend plus ce que fait Rigoletto dans cette galère; chez Miller, il était homme de main, âme damnée, et cela fonctionnait. Ici, est-il rabatteur? éminence grise? tous sont en costumes scintillants, il est en cardigan rouge ou vert genre employé de bureau un peu cheap ou en imperméable: homme de l’ombre, mais pourtant bien identifié au milieu des courtisans…la mise en scène  ne l’identifie pas et n’est pas claire, ce qui pour le rôle titre est quand même gênant.
En revanche dès qu’on laisse les ambiances de casino, cela fonctionne mieux, comme la scène entre Rigoletto et Gilda du premier acte, ou même la suivante avec le duc, la fraîcheur de Gilda (même si dans sa petite robe bleue et son imperméable de la même couleur, Diana Damrau a l’air d’une ménagère de moins de cinquante ans, dès qu’elle ouvre la bouche, c’est un monde de fraîcheur et de jeunesse qui s’exhale) donne une vraie couleur à ces scènes.

Acte II ©Sara Krulwich/The New York Times

L’acte II en revanche dans le salon du penthouse du Duc (statue au milieu, escalier qui descend au moins vers les toilettes, vu la manière dont les courtisans en remontent, lustres style MET tant ils imitent les lustres de la salle) avec toujours de chaque côté les tours qui abritent deux ascenseurs qu’on utilise beaucoup, c’est beaucoup moins clair et manque singulièrement d’organisation, avec un chœur et des figurants qui bougent de manière confuse, par exemple quand réapparaît venue du dessous (des toilettes?) Gilda. Si musicalement l’acte II fonctionne assez bien, scéniquement c’est le moins intéressant et le plus brouillon.

Acte II en répétitions La club de Sparafucile ©Ron Berard/Metropolitan Opera

L’acte III représente sur la droite le “club” très privé de Sparafucile et Maddalena, où évolue au lever de rideau une stripteaseuse seins à l’air (gloussements divers en salle) se lovant autour d’un pal avec force gestes sans équivoque (re gloussements), tandis que Maddalena et Sparafucile attendent les clients, et à gauche côté jardin une de ces “belles américaines” dont le coffre enfermera le corps agonisant de Gilda sur fond de néons qui en s’animant font faire les éclairs dans le ciel. Finalement c’est assez réussi, c’est peut-être le moment le plus réussi, par son ironie, par sa crudité (les jeux de Maddalena et du Duc) par sa violence aussi (on voit sur scène l’assassinat assez sauvage de Gilda qu’on cache en général au public) et enfin

Scène finale ©Ken Howard/MET

par cette belle scène de la mort de Gilda dans les bras de son père assis dans le coffre ouvert de la voiture. Le travail théâtral de cet acte est incontestablement construit, avec cet espace séparé en deux, le monde de l’ombre (Gilda/Rigoletto) côté jardin et celui du plaisir, de la nuit, du duc côté cour, avec deux ambiances différentes. Mais l’œil est distrait, et oublie peut-être l’émotion.
Même s’il y a des moments réussis et quelques idées, l’impression prévaut que c’est “much ado about nothing” et que l’histoire remise au XVIème pouvait dire à peu près la même chose, pour moi, c’est un coup de pub pour le MET, un travail à effets pas vraiment abouti et donc superficiellement ficelé, sans étude dramaturgique serrée, et donc un travail inutile, qui n’a peut-être pour seul but d’attirer le public par le parfum des paillettes…
Du point de vue musical, c’est la première fois que j’entendais le chef Michele Mariotti, 32 ans, né à Pesaro (Italie). Il dirige aussi Carmen (ce jour donc, il a à la fois Rigoletto et Carmen à diriger successivement…). Sans être exceptionnelle (apparemment ce ne sera pas le nouveau Toscanini), sa direction est intéressante car il sait bien doser les volumes, donner du rythme et de la palpitation et gérer les crescendo: il reste à donner plus de relief et d’accents, mettre en son comme on met en scène, c’est à dire mieux animer l’orchestre quelquefois un peu plat, mais il écoute les chanteurs et au total la prestation est loin d’être indifférente. Il y a actuellement en Italie une génération de chefs de 25 à 35 ans intéressante et à suivre avec attention.
Aucun des chanteurs n’a démérité, parmi ceux que la distribution a réunis. Seule peut-être Oksana Volkova en Maddalena manque un peu de volume et de grave, ce qui est gênant pour Maddalena mais elle a un si joli corps dont elle sait si bien user en scène qu’on peut oublier un peu la voix.

Rigoletto et Sparafucile Acte I ©Ken Howard/MET

Le Sparafucile de Štephan Kocán est en revanche à signaler parmi les belles surprises: une magnifique voix de basse, un air du premier acte qui a emporté le public enthousiasmé: la voix est belle, sonore, profonde, et le style est impeccable: à suivre!
Piotr Beczala en Duc de Mantoue n’a peut-être pas le charme inhérent au Duc, et peut-être pas la voix traditionnelle attendue dans le rôle, qu’on veut lumineuse, solaire, claire, facile à l’aigu, ductile. Malgré une couleur plutôt sombre et un léger manque de ductilité (en revanche quelle agilité corporelle au troisième acte!) il a bien d’autres qualités: une voix large . un chant  précis et très rigoureux, avec des aigus larges, bien tenus sur le souffle, avec des moments remarquables, sans jamais montrer des difficultés, et on reste étonné de la performance qu’on peut applaudir. Il y a du style, peut-être plus pour Puccini (Calaf, Rodolfo) que Verdi. Mais il est bien rentré dans le personnage voulu, et il construit bien sa voix: il y a beaucoup d’intelligence chez cet artiste et dans ce chant, même s’ il manque un peu de “peps”.
Si Vittorio Grigolo avait toutes ces qualités-là de rigueur et de technique, alors oui ce serait un grand ténor pour Rigoletto. Mais la technique est tellement désordonnée qu’il lui faudra(it) bien du travail pour y arriver.
Željko Lučić, entendu dans un très décevant héraut à la Scala est en revanche un bon Rigoletto (rôle dans lequel à la Scala il alternait avec George Gagnidze): il a la voix, l’intensité, le volume, les aigus (même si quelquefois opaques ou blancs) et surtout la présence indiscutable. Il n’a peut-être pas la  couleur ni la technique d’un italien à la Nucci, mais indiscutablement la prestation est intéressante et le personnage bien campé, il est même très émouvant dans les parties les plus lyriques: les duos avec Gilda sont vraiment réussis. A revoir!

Gilda/le Duc Acte I ©Ken Howard/MET

Enfin, habemus Gildam: je ne sais si Diana Damrau sera une Traviata à succès à la Scala en décembre prochain. Elle est une Gilda en revanche exceptionnelle. La voix est fraîche, claire, la diction impeccable. Évidemment les aigus sont triomphants, appuyés sur le souffle, s’ouvrant de manière régulière avec un contrôle technique exemplaire, mais la voix aussi sait s’élargir et gagner en volume: j’ai l’habitude de Gilda plus légères, avec une personnalité moins affirmée: la Gilda de Damrau est adulte, sait s’affirmer. C’est vraiment la plus belle et la plus sûre Gilda des dernières années, très supérieure à Andrea Rost (Scala avec Muti et Chailly) ou même la très appliquée Elena Mosuc (avec Dudamel en novembre dernier). Elle donne là une leçon de chant et d’interprétation lyrique.

Enlèvement de Gilda ©Ken Howard/MET

Et voilà, en deux jours j’ai ajouté mon tribut au bicentenaire Wagner/Verdi: un Parsifal de très haute tenue, un Rigoletto dans l’ensemble très bien chanté, dans un écrin un peu inutile et plus médiatique que pertinent. Mais ce fut une vraie fête pour le chant, et c’est suffisamment rare pour le souligner. Jj’espère que les spectateurs des cinémas français ont pu apprécier les qualités des artistes de ce Rigoletto: succès pour tous, mais contrastes pour le metteur en scène revenu saluer pour les spectateurs des cinémas du monde. C’était ce soir le Rat Pack(1) du chant lyrique!
Rendez vous au cinéma avec le MET  le 2 mars pour Parsifal

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(1) Le Rat Pack (Club des rats) est un groupe d’artistes dont le leader était Frank Sinatra (avec Sammy Davis, Dean Martin et d’autres) liés au Parti Démocrate et à J.F.Kennedy, mais aussi pour Sinatra à la Mafia,  qui se produisaient à Las Vegas, faisant de cette ville un symbole du divertissement.

Souvenir de week end un peu fou

3 réflexions sur « METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2012-2013: RIGOLETTO de Giuseppe VERDI le 16 Février 2013 (Dir.Mus: Michele MARIOTTI, Ms en scène: Michael MAYER) avec Diana DAMRAU »

  1. Je vous trouve indulgent, sur le plan vocal pour Rigoletto, aux aigus un peu blancs, et pour le ténor, qui ne dégage pas grande magie. Mais surtout pour cette mise en scène absurdissime qui efface tout et transpose inutilement. Plus de bosse, du coup, le contraste d’infériorité entre l’infirme et les courtisans disparaît. Plus d’arbitraire régalien du duc, transformé en propriétaire de bar. Une traduction complaisante et jeuniste qui érige le n’importe quoi en signifiant maître. C’est vrai qu’on rigole devant la stripteaseuse, mais où est passée l’intensité dramatique et à quoi a-t-elle été sacrifiée? Si la salle n’est pas en pleurs à la fin du troisième acte, c’est que la mise en scène est ratée, et là, la salle riait, tandis que dans leur tombe Hugo et Scribe se retournaient à la vitesse d’un ventilateur.

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