OPERA DE LYON 2011-2012: PARSIFAL de Richard WAGNER (dir.mus: Kazushi ONO, ms en scène: François GIRARD) le 9 mars 2012

Acte II ©Opéra de Lyon

Pour une structure comme Lyon avec ses espaces assez réduits, monter Parsifal est une lourde entreprise et des problèmes techniques ont dû contraindre à annuler la Première , le 6 mars. On doit d’autant plus  remercier Serge Dorny d’avoir osé l’entreprise, lui qui propose, en coproduction avec le MET et la Canadian Opera Company de Toronto, un spectacle de très haut niveau musicalement et scéniquement.
On a vu bien des rêves interprétatifs sur Parsifal:  Rolf Liebermann à Genève en avait fait l’œuvre du “Day after”, après une explosion atomique, un Tchernobyl universel, Schlingensief à Bayreuth en avait fait une sorte de “Urwerk”(oeuvre originelle), plongeant dans nos rites les plus primitifs, mais posant aussi la question de l’art et de sa fin (aux deux sens du terme), Herheim toujours à Bayreuth en fait une métaphore du parcours historique de l’Allemagne depuis le XIXème siècle et un symbole universel de paix (on se souvient que les nazis accusaient l’œuvre de pacifisme et l’avaient interdite ). Et puis il y a toutes les visions messianiques, faisant de l’œuvre une sorte de substitut de”mystère”, l’expression Festival scénique sacré étant alors prise au pied de la lettre.
François Girard se range plutôt dans ce dernier cas, en orientant  la question vers l’idée de la connaissance mystique par la connaissance charnelle, et celle de fécondation, au centre du propos.
Cet artiste québecois  compte à son actif aussi des travaux cinématographiques (c’est son premier métier), mais aussi des mises en scène de spectacles divers, il a notamment mis en scène l’un des derniers spectacles du Cirque du Soleil à New York, mais on lui doit aussi en 2007 le film”Soie”, d’après un roman d’Alessandro Baricco. C’est un artiste éclectique, soucieux des effets visuels de ses spectacles qui utilisent bien sûr les éclairages ou la vidéo, ce qui correspond bien à la tendance actuelle des derniers spectacles du MET. Son Parsifal est plutôt hiératique, avec des actes I et III en noir et blanc, et un acte II marqué par le rouge. Il est difficile au départ de repérer une ligne de mise en scène: la clef (c’est du moins ce que j’en ai senti) arrive au second acte, pour moi le plus réussi des trois. Pour essayer de comprendre le propos, je vais donc partir du second acte, qui se passe dans un étroit défilé très haut, avec un arrière plan une fente vers le jour, qui va bientôt être couverte d’une projection vidéo d’une sorte de fleur rouge, aux formes qui se tordent et qui font irrésistiblement penser au conduit vaginal, et en même temps à une plaie, la plaie qui ne se cicatrise pas d’Amfortas. Les personnages évoluent sur un plateau recouvert d’une immense mare de sang, les filles fleurs tiennent toutes une lance, capturée sans doute à l’occasion des pièges tendus aux chevaliers du Graal par Klingsor.
La scène entre Kundry et Parsifal va se dérouler dans ce même espace, et une sorte de procession apporte le lit fatal, comme un dais, qu’on dépose au centre et qui lui aussi va se maculer de sang. Parsifal fait donc une sorte de voyage initiatique à l’intérieur de la femme, du sang menstruel, de la connaissance de ce monde qui lui est interdit, et qui du même coup éclaire les deux autres actes. On comprend alors pourquoi au premier acte il nous est projeté des images identifiables au départ comme des dunes désertiques, mais dans un second moment comme une peau féminine, vue de très près, un corps aux ondulations régulières qu’on reverra au troisième acte: c’est un monde, qu’on voit de l’extérieur  sans le pénétrer. On comprend aussi du même coup pourquoi la dernière image du spectacle est celle d’une femme qui se dresse dans le chœur agenouillé et s’approche de Parsifal, qui se détourne du Graal pour la regarder: cette femme, c’est la colombe finale dont parle le livret. Ainsi, de la femme interdite au nom de la chasteté qui finit par dessécher le monde et le rendre stérile (voir le Graal au début du troisième acte, rempli de fosses où l’on enterre les corps, un royaume qui meurt, mais voir aussi l’acte II, où le sang menstruel est un sang qu’on rejette, qui marque une fin de cycle) Parsifal libère le Graal de cette chasteté extérieure et stérile, en associant la femme à une “pureté” accueillie en Dieu, gage de la pérennité d’un royaume du Graal (d’où évidemment la future conception rendue possible d’un futur Lohengrin, fils de Parsifal…): Parsifal serait celui qui inclut la femme et la dédiabolise, rendant ainsi la mort de Kundry, victime expiatoire, logique, elle qui a été la figure permanente de la femme diabolique.
Car se pose clairement la signification de l’adoration du sang du Christ conservé dans le Graal, et François Girard montre au 3ème acte un rituel de fertilité, la lance étant trempée dans la coupe du Graal. Voilà une symbolique qui a le mérite de la clarté, mais qui éclaire au moins pour Girard le rite du Graal qui est un rite de régénérescence,  et Girard tire le fil jusqu’au bout faisant du monde de Klingsor un monde de stérilité; voilà qui éclaire aussi les relations du sang à la terre, et le ruisseau de sang du premier et du troisième acte qui partage le sol aride, et qui illustre le propos de l’affiche du spectacle par ailleurs.

L'image de l'affiche du spectacle ©Opéra de Lyon

Dans ce ruisseau, Kundry comme Parsifal vont puiser. Sang et terre, cela rappelle les rites des sacrifices où le sang devait pénétrer à même la terre pour la féconder. Parsifal comme mythe de la fécondation, voilà l’idée apportée par François Girard.
La réalisation du spectacle en efface tout ce qu’on pourrait tirer de choquant. Même l’érotisme fort du second acte n’est en rien traité de manière provocatrice. Et l’intérêt du travail de François Girard est qu’il peut aussi se laisser voir (les images sont souvent puissantes, et superbes) sans rentrer dans les arcanes de la signification ou de la sursignification.
De cette ligne directrice alors s’expliquent le premier acte, très ritualisé, où sont nettement séparés les femmes (voilées de noir comme des veuves) présentes sur scène et regroupées à gauche, mais en quelque sorte inutiles, et les hommes, groupés à droite (séparés des femmes par le ruisseau de sang) et assis en un cercle compact d’où émergent les personnages (Amfortas), ainsi aussi en montrant  Klingsor mimer  les gestes d’Amfortas du 1er acte, il lie les deux personnages de manière plus profonde. Klingsor étant le soleil noir d’Amfortas. Ainsi enfin, le personnage même de Klingsor est “humanisé”, Alejandro Marco-Buhrmeister par son timbre et sa diction l’éloigne d’une figure caricaturale de “méchant” de bande dessinée, comme on le voit trop souvent. Quand à Parsifal, son humanité est soulignée, au point même d’en faire discrètement un objet de désir “visible” (il est souvent torse nu). Au troisième acte il troque son costume contre une chemise blanche, comme les autres hommes du Graal, universalisant ainsi sa démarche et son rôle non de Roi mais de “primus inter pares”.
Au troisième acte, domine, comme souvent l’image de la mort et de la désolation, la même terre du premier acte est percée de trous, de tombes préparées qui montrent que peu à peu le monde du Graal expire, les chaises sur lesquelles les hommes étaient assis au premier acte sont abandonnées, gisant en tas et dispersées. Femmes et hommes sont mêlés, il ne reste rien du rite et de son organisation géométrique du premier acte: en cela d’ailleurs, Girard est conforme à la tradition.
On le voit, les détracteurs pourront parler de psychanalyse de pacotille, d’autres pourront reprocher l’excès de sang, et son côté morbide, d’autres enfin pourront même dire qu’en réalité, rien de neuf sous le soleil. Mais il reste que cette approche forme un tout cohérent, très construit, logique et très bien réalisé.
Car il faut aussi saluer la qualité technique du spectacle, qui a mis à rude épreuve les équipes de l’opéra de Lyon: si l’on a bien compris, Lyon a essuyé les plâtres à cause de l’indisponibilité du plateau du MET pour de longues répétitions. La beauté de certaines scènes, la précision des mouvements: tout cela en fait un très beau spectacle.
Du côté musical, la démarche de Kazushi Ono, dans une salle à l’acoustique aussi sèche que la salle de Jean Nouvel est une démarche analytique, d’une grande clarté, révélant chaque pupitre, sans exagérer l’aspect symphonique, mais adaptant sa direction au cadre relativement intimiste de la salle, il en résulte une lecture très serrée, et l’orchestre lui répond avec une grande maîtrise: on sent les répétitions derrières, et on se dit que l’Opéra de Lyon a de la chance d’avoir un vrai directeur musical.
Serge Dorny a aussi réuni pour ce rendez-vous exceptionnel une très belle distribution. Le groupe des filles fleurs fait honneur à l’opéra de Lyon, malgré la difficulté à chanter dans cette mare immense qui inonde le premier acte. On sait qu’il est difficile en effet de réunir des voix homogènes qui puissent ensemble, avoir la rondeur et la suavité, voir l’érotisme requis pour ces rôles. Il faut une parfaite intégration des timbres et je dirais qu’on y est presque arrivé, malgré quelques singularités vocales trop “audibles”.
Le Klingsor d’Alejandro Marco-Burmeister n’a pas le timbre ni la diction démoniaque des Klingsor habituels, ce n’est ni un Kelemen, ni un Mazura. Mais il a en scène une sorte de flegme, de distance, qui en fait un personnage d’autant plus dangereux qu’il a dans la voix une sorte de douceur qui le rapproche de l’Amfortas de Gerd Grochowski , qui lui est magnifique d’humanité, et d’intensité. Son timbre chaud, sa diction remarquable en font l’un des meilleurs Amfortas de ces dernières années, d’une très forte intensité et même d’une certaine poésie. Georg Zeppenfeld n’a pas le timbre de basse profonde des Gurnemanz habituels mais on sait désormais qu’il compte parmi les grandes basses wagnériennes de ce temps, rappelons pour mémoire son Henri l’Oiseleur du dernier Lohengrin de Bayreuth. Il est moins âgé, moins distancié, plus engagé, et le récit du premier acte est particulièrement vivant, par les inflexions, par l’interprétation, par les variations de couleur de la voix. Magnifique.

Kundry, Acte II ©Opéra de Lyon

La Kundry d’Elena Zhidkova sans être une Kundry exceptionnelle a une intensité et un engagement forts; la voix est là, sans cette touche de sauvagerie animale qui fait les grandes Kundry et qui fait que Waltraud Meier a marqué le rôle à tout jamais. Cela reste très honorable et son deuxième acte (qui est tout le rôle) reste passionnant.

Final Acte II ©Opéra de Lyon

Le rôle de Parsifal n’est pas l’un des plus passionnants du répertoire, du “jeune fou” blond comme les blés de Peter Hoffmann à un Jon Vickers au-delà du monde et des hommes, et à la diction suffocante d’émotion contenue qui en fait pour moi le plus grand Parsifal que j’ai pu entendre, on a tout vu et entendu. Ce n’est pas non plus l’un des plus difficiles à chanter: c’est justement ce qui en fait une sorte de défi: il faut rendre le personnage “intéressant”. Nicolai Schukoff y réussit, grâce à un bel engagement, à une voix bien posée, puissante ( même si on dénote quelque menu problème dans les passages à l’aigu) et surtout grâce un timbre qui lui donne une couleur à la fois dramatique et lyrique : on connaît la qualité de cet artiste, de plus en plus réclamé pour les rôles de ténor dramatique, mais il a lui aussi une chaleur et une douceur de timbre particulières. Ce qui frappe d’ailleurs dans l’ensemble de cette distribution masculine est qu’on y a trouvé des chanteurs adaptés à cette salle, qui n’ont pas besoin de s’égosiller, où la richesse et la suavité, voire la sensualité des timbres peut s’épanouir et donne une qualité d’ensemble très homogène.
Au total la conclusion s’impose: allez voir ce spectacle qui se donne tout le mois de mars jusqu’au 25, c’est un très beau moment de musique, c’est un très beau moment visuel, qui honore une fois de plus notre deuxième scène nationale, mais première par l’intérêt de sa programmation.

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Salut final

Une réflexion sur « OPERA DE LYON 2011-2012: PARSIFAL de Richard WAGNER (dir.mus: Kazushi ONO, ms en scène: François GIRARD) le 9 mars 2012 »

  1. Une mise en scène magistrale, en effet, que ce Parsifal lyonnais, avec le 2e acte comme acmé. J’ai été sensible aux images cinématographiques présentes : le Parsifal de F. Girard se meut quelque part entre Solaris version Soderbergh et les décors de George Lucas… Hasard ? Contradiction avec l’esprit charnel si bien évoqué par le Wanderer ? Non, c’est une fois de plus cohérent : on se meut dans un monde onirique dual, confrontant la chair et l’esprit, la satisfaction du désir et l’intellectualisation du désir, via le substitut religieux, qu’on l’appelle Lance ou Graal… ou art ! F. Girard cinéaste nous donne aussi à voir un beau rêve de cinéaste, une forme de film-opéra kaléidoscopique, tourné vers la représentation des affres de Parsifal, qui parvient à la fois à montrer le sexe tout en suggérant la beauté de l’idéal fantasmé. Un vrai travail, très riche et stimulant, qui évite le travers de la mise en scène faussement novatrice et racoleuse !

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