OPÉRA NATIONAL DE PARIS: QUELQUES MOTS SUR LA SAISON 2011-2012

Construire une saison, c’est établir un savant équilibre entre nouveautés et répertoire, entre mises en scènes hardies et visions traditionnelles, entre musiques qui captent le public et oeuvres plus difficiles, entre grands standards et petits diamants, garantissant pour chaque opéra une distribution de bonne facture, et pour certaines oeuvres des stars qui vont attirer le public et donner la couleur de l’ensemble de la saison, c’est aussi donner sa part à chaque répertoire, allemand, italien, russe, français.
Nicolas Joel en ouvrant sa première saison par Mireille, voulait affirmer une couleur:  le retour du répertoire et des chanteurs français dans les distributions. Cette saison réaffirme cette option originelle puisqu’on retrouve de grandes oeuvres du répertoire national dans les nouvelles productions, à commencer par Faust, mais aussi Manon, et Hippolyte et Aricie, et dans les reprises, Pelléas et Mélisande, L’amour des trois Oranges (dans la mesure où la version originale est en français) mais aussi Orphée et Eurydice de Gluck-Pina Bausch et Roméo et Juliette de Berlioz-Sasha Waltz ballets composés à partir d’oeuvres lyriques. Soit un total de 7 oeuvres sur les 21 spectacles lyriques proposés.
En proposant deux nouvelles productions Faust et Manon, offrant un écrin à deux vedettes nationales, il réalise une opération médiatique: une n’aurait-elle pas suffi? Notre Opéra national avait-il si vite besoin d’une Manon et d’un Faust, quand les Huguenots attendent depuis plusieurs dizaines d’années?
En ce qui concerne production et distribution, Faust est confié à Alain Lombard, qui fait son grand retour dans la maison (qu’il a dirigée avec Paul Puaux pendant un an après le départ de Bernard Lefort) avec un de ses chevaux de bataille. Son enregistrement de Faust (Caballé, Aragall, Plishka) tant salué par la critique  à sa sortie, n’a pas vraiment résisté au temps, mais Lombard reste un des bons chefs pour cette oeuvre. La production aura la rude tâche de succéder à celle, légendaire, de Jorge Lavelli restée au répertoire plus de 25 ans après des débuts difficiles (grèves, scandale: “bien fait pour Gounod” avait hurlé un spectateur heureux à la première…) et elle sera confié à Jean-Louis Martinoty, grand professionnel dont les interprétations mozartiennes qu’il est en train de présenter à Vienne semblent rencontrer l’assentiment. Faust sera Roberto Alagna, prophète en son pays, et Marguerite Inva Mula, qui ne m’avait pas vraiment convaincu en Mireille. Gageons un succès assuré.

Manon est confiée à Evelino Pido’: il est hors de doute que c’est un très bon chef d’opéra qui accompagne d’ailleurs beaucoup Natalie Dessay. Est-ce la raison de ce choix surprenant? Pido’ est plus habituel dans le bel canto. Et Colline Serreau fait la mise en scène, en espérant que le succès du Barbier de Séville (reproposé lui aussi dans la saison) soit renouvelé.
Rien de décoiffant tout de même dans ces choix.

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Hippolyte et Aricie à Toulouse: Jennifer Holloway : Diane / Jaël Azzaretti : L’Amour / François Lis : Jupiter © Patrice Nin

Hippolyte et Aricie est une reprise de la production de Toulouse de 2009, avec Emmanuelle Haim et son concert d’Astrée (dont la prestation cette année dans Giulio Cesare n’a pas fait l’unanimité) pour la musique et Ivan Alexandre, pour la mise en scène. Il a fait un travail de reconstitution qui sans nul doute produira un certain effet dans l’écrin somptueux du Palais Garnier,  notamment avec Anne Catherine Gillet, déjà  Aricie à Toulouse, et Topi Lehtipuu qui devrait être magnifique dans Hippolyte .

La location de la production de Jean-Pierre Ponnelle de La Cenerentola (celle de Munich, pas celle de la Scala) permet de l’afficher comme une sorte de création (“première présentation à Paris”) elle est montée par Grisha Asagaroff qui suit souvent les mise en scènes de Ponnelle (décédé en 1988) encore affichées (les très grandes remontent généralement aux années 70): elle est dirigée par le plus grand spécialiste de Rossini (Claudio Abbado exclu, puisqu’il ne dirige plus de Rossini hélas…), à savoir Bruno Campanella. Nul doute -comme ne manquera pas de le dire la presse, c’est en effet l’expression consacrée pour Campanella-  cela pétillera-t-il  “comme du champagne”. A l’affiche Karine Deshayes, victoire de la musique classique, une des bonnes Angelina du jour.

Une création,  “La Cerisaie” de Philippe Fenelon, en coopération avec le Bolchoï et en langue russe, est confiée à Tito Ceccherini, un très bon chef pour la musique contemporaine, et dans une mise en scène de Georges Lavaudant, une des gloires de la mise en scène française qui revient à l’Opéra de Paris après un lointain Roméo et Juliette de Gounod (des années Lefort). Ce pourrait être intéressant, l’équipe est de qualité et une création est toujours une belle occasion.

Venons-en maintenant à ce qui constitue pour moi le noyau dur des nouvelles productions de la saison, à savoir, La Forza del Destino, Cavalleria Rusticana et Arabella.

La Forza del Destino revient à l’opéra, dans une production de Jean-Claude Auvray: il fit notamment à Paris dans les années 80 une Tosca -avec en 1984 sous la direction de James Conlon, Pavarotti/Behrens/Bacquier- restée dans les mémoires car Pavarotti en s’asseyant y rompit une chaise et parce que, tout de même, le duo ne manquait pas de chien!
La direction musicale confiée à Philippe Jordan, permettra d’écouter le directeur musical dans un répertoire où on le connaît peu. Mais nul doute que la prestation sera digne d’intérêt. La distribution propose Violeta Urmana, Marcelo Alvarez, Vladimir Stoyanov et Kwanchoul Youn, c’est à dire un ensemble solide mais qui ne fait pas forcément rêver: relèveront-ils le défi verdien?

Pour Cavalleria Rusticana et Pagliacci, Nicolas Joel est  allé chercher en Espagne une production de Giancarlo del Monaco dirigée par Daniel Oren: Le Canard Enchaîné titrerait “Les apparentements terribles”. Appeler cela une nouvelle production est un peu excessif, comme pour Ponnelle, on pourrait l’appeler “Première présentation à Paris”…N’ironisons pas. Rien à dire de ce choix inutile. Une distribution solide, sans grande imagination (Urmana, Giordani, Galouzine, Mula). Et une direction et mise en scène sans surprise, hélas…

Enfin, Philippe Jordan a dû vouloir réitérer le succès de la belle production de Capriccio qu’il a dirigée à Vienne, magnifique spectacle de Marco Arturo Marelli avec Renée Fleming. Dans cette Arabella qu’il va diriger et que Marelli va mettre en scène, la présence de Renée Fleming et de Michael Volle en Mandryka nous promet une magnifique soirée straussienne.
Sans nul doute, des huit “nouvelles productions” (dont tout de même trois sont déjà anciennes…), c’est celle qui me paraît la plus riche de potentialités. Le reste, sans être inintéressant, reste de la grande série, sans chefs vraiment stimulants (sauf Jordan), avec des distributions certes solides, mais pas exceptionnelles.

Les reprises ne font pas trop rêver non plus. Une Lulu sans grande nouveauté, même avec Laura Aikin, vue à Lyon et à la Scala dans le même rôle et avec Michael Schoenwandt qui n’est pas un mauvais chef, un Rigoletto de répertoire, certes avec Machaidze et Beczala, mais globalement sans intérêt, un Tannhäuser dirigé par Mark Elder, (qui ne dura qu’une saison à Bayreuth dans les Maîtres chanteurs jadis…) pour les débuts de Nina Stemme, une Salomé dirigée par Pinchas Steinberg, même avec Angela Denoke, ne me paraît pas d’un intérêt majeur. Il reste tout de même çà et là des éléments qui peuvent exciter nos papilles avides, Adam Fischer est un bon chef pour Clemenza di Tito et Klaus Florian Vogt dans Titus ne manque pas d’intérêt, Pelléas et Mélisande et Don Giovanni promettent, grâce à Philippe Jordan dans les deux oeuvres, grâce à Stéphane Degout dans Pelléas, et grâce à la production de Don Giovanni de Michael Haneke (le duo Petibon/Gens devrait y faire des étincelles scéniques). Oui, la reprise des chorégraphies de Pina Bausch (Orphée et Eurydice) avec Hengelbrock au pupitre et Sasha Waltz (Roméo et Juliette) sont de bonnes initiatives aussi. Les autres reprises (L’amour des trois oranges, Dame de Pique, Barbier de Séville) ne déparent pas, mais ne déchaîneront sans doute pas  les passions.
A mon avis, de toutes les reprises, la plus digne d’intérêt me paraît “La Veuve Joyeuse” de Lehar, avec la grande Susan Graham et Bo Skovhus, d’autant que l’israélien Asher Fish est un chef à suivre. Réservez la dans vos agendas.

Que dire au total? La saison est loin d’être indigente, loin d’être indigne et donnera sans doute l’occasion de bonnes soirées lyriques.
Mais tant dans les nouvelles productions que dans les reprises, je ne peux m’empêcher de lui trouver un manque d’imagination, que ce soit dans les distributions, souvent solides, mais jamais vraiment excitantes, et surtout dans le choix des chefs: à part Philippe Jordan, aucun me paraît susceptible de donner une vraie couleur, une vraie originalité à une soirée. On peut dire qu’il est difficile de saisir au vol des chefs, retenus souvent des années à l’avance, qui n’aiment pas toujours diriger des reprises etc…, ou qui limitent leurs apparitions à l’opéra; il y a aussi des chefs importants qu’on n’a jamais vus à l’opéra de Paris (Haitink…Metzmacher…Gatti…),et il y a plein de chefs plus jeunes ou très jeunes qui font une brillante carrière, ou qui ont été remarqués (Mikko Franck, Andris Nelsons, Gustavo Dudamel, Kirill Petrenko, Nicola Luisotti, Robin Ticciati, Omer Meir Wellber pour les plus en vue). On a bien trouvé le jeune Tomas Netopil pour Katia Kabanova, on pourrait bien en trouver d’autres!
Quant aux mises en scènes, elles sont pour la plupart confiées à de vieux routiers, qui ont déjà tout dit (ou trop dit, comme Gianfranco del Monaco) et il n’y a pas là non plus d’exploration de territoires moins connus. Tout cela est à la fois solide (Nicolas Joel est un grand professionnel, c’est évident) mais reste un peu fade, un peu plat, un peu gris. On peut le regretter. Il ne s’agit pas de secouer le cocotier à chaque production, mais on aimerait le voir secoué un peu plus…

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