OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2013: Christian THIELEMANN dirige la SÄCHSISCHE STAATSKAPELLE DRESDEN le 30 MARS 2013 (HENZE-BEETHOVEN-BRAHMS) avec Yefim BRONFMAN

Concert du 26 mars ©OFS/Matthias Creutzinger

Il faut le confesser, il y a longtemps qu’au festival de Pâques on n’avait pas été à pareille fête. Soyons justes, les concerts du Berliner Philharmoniker avec Jansons ou Mehta étaient très réussis, voire extraordinaires. Presque systématiquement en revanche, ceux dirigés par Simon Rattle manquaient de souffle ou d’intérêt. L’an dernier Das Lied von der Erde, avec les mêmes solistes et le même orchestre qu’avec Abbado un an avant (Rattle suit toujours à un an les programmes d’Abbado, et c’est cruel pour lui) avait été d’un ennui marquant. Et je me souviens il y a quelques années d’une 2ème de Brahms sans aucun intérêt, et même franchement mauvaise. Rattle n’est pas avec Berlin (et c’est paradoxal) aussi intéressant dans le répertoire classique allemand qu’il ne l’était avec le CBSO précédemment. La note pour la note, l’effet pour l’effet (souvent théâtral et souvent superficiel), même au prix d’acrobaties de l’orchestre, mais le cœur vide et l’âme aux abonnés absents. Voilà pourquoi aussi les abonnés avaient chuté d’une manière impressionnante à Salzbourg.
Cette année, effet Thielemann, effet rejet aussi des Berliner après le coup de Baden-Baden, 10% de fréquentation en plus à Salzbourg.
Et ce soir un vrai concert de musique allemande, de Beethoven à Henze, qui nous a convaincus que peut-être, le festival de Pâques avait gagné à ce changement (au moins à ce stade des concerts, et après deux soirées).
Ce fut effectivement un grand moment de musique, un grand moment d’émotion, et la démonstration s’il le fallait que la Staatskapelle est pleinement à la hauteur de l’enjeu.
Dans la pièce de Henze “Fraternité” créée en 1999 pour Kurt Masur et le New York Philharmonic, est un “air” pour orchestre destiné à fêter le nouveau millénaire. Cette pièce remplace la création mondiale de “Isolde’s Tod” prévue, et que la disparition de Henze en octobre 2012 a forcé à annuler. Fraternité est un air pour orchestre et donc présente une sorte de palette totale des possibilités d’un orchestre, en 8 minutes, en un crescendo mélodique qui en même temps est une symphonie de couleurs diverses qui vont être explorées dans un format d’air instrumental, construit comme un air chanté, avec sa partie lente, intime, ses crescendos à l’aigu, et surtout l’exposition totale de toutes les parties d’orchestre, qui laissent jouir de la qualité de chaque pupitre de la phalange de Dresde . Chacun dans sa sphère prend sa part de la mélodie de Henze construite comme une sorte de mélodie infinie qui devrait illustrer l’idéal de fraternité, par les sons et la structure, solidaires les uns des autres, construisant ensemble une mélodie, prenant tour à tour la main dans une perfection technique remarquable, et bâtissant ensemble une sorte de métaphore musicale de la fraternité. Une sorte d’utopie mélodique.
Le 5ème concerto de Beethoven, l’Empereur, est évidemment une pièce de référence du répertoire pianistique. Dès le début, dès la cadence initiale, Yefim Bronfman frappe par la douceur du toucher et la netteté du son en même temps dans un style rien moins que démonstratif, avec une fluidité stupéfiante. Son approche fait passer au premier plan non pas l’énergie superficielle, mais au contraire une sorte de légèreté, faite d’effleurements miraculeux qui provquent immédiatement une grande émotion et une certaine stupéfaction.  En écho, Thielemann, avec une direction très précise, très attentive aux systèmes d’écho entre le piano et les pupitres singuliers – le final avec le dialogue entre le timbalier et le piano (répété le matin même à la demande de Bronfman) est une des moments les plus frappants de cette exécution, où Thielemann fixé sur le piano, adapte sa battue aux mouvements précis du soliste pour mieux conduire le timbalier, il en résulte une sorte de duo étonnant, techniquement parfait, incroyablement lisible dans l’aller/retour pianiste, baguette, qui emporte l’adhésion et provoque l’enthousiasme. Cette construction dialoguée, et enflammée, est un des éléments particulièrement marquants de cette exécution. D’un côté un pianiste toujours élégant, jamais démonstratif, jamais exubérant, et surtout toujours exact, et de l’autre un orchestre au son très “classique”, très structuré, très clair, très énergique, qui lui répond avec une clarté exemplaire, et sans jamais aucune lourdeur, je dirais presque “à la Böhm” . On revient à une interprétation d’ensemble “classique”, et avec une telle perfection et un tel engagement que le résultat ne peut que provoquer chez le public conquis un délirant enthousiasme qui provoque un bis du pianiste, une pièce acrobatique, fluide comme le jeu de l’eau d’une fontaine baroque, à la fois brillante et hyper technique avec un toucher à peine sensible qui provoque néanmoins un son aérien: stupéfiant. Alors évidemment à l’entracte tous proposaient un auteur, car la connaissance de la littérature pianistique même des mélomanes les plus avérés reste limitée: les propositions allaient de Liszt à Schubert, en passant par Chopin et Debussy. Bref, tout le petit monde du piano! Peu importe après tout, mais c’était stupéfiant, notamment la dernière note, comme un envol à peine effleuré, et disparaissant dans les limbes: merveilleux.
J’ai vu un Thielemann bien moins raide que par le passé, bien moins lourd, beaucoup plus net dans ses gestes, attentif au maximum à chaque élément et chaque pupitre, dont la battue tellement lisible qui correspond à la clarté du son de l’orchestre qu’on dirait qu’il y a une bien plus forte osmose entre Dresde et Thielemann qu’il pouvait y en avoir entre Munich et Thielemann, par exemple. Et cela nous permet de redécouvrir s’il est besoin l’extraordinaire qualité de cet orchestre, ce son plein et en même temps non pas léger, mais transparent qui a fait dire à beaucoup qu’il y avait longtemps, dans cette salle, qu’on n’avait pas entendu quelque chose d’aussi convaincant.
Et le Brahms (Symphonie n°4) a fait dire à l’une de mes amies, admiratrice éperdue des Berliner, qui vient chaque année au Festival de Pâques depuis la première année de Karajan,  qu’un tel Brahms, elle n’en avait pas entendu depuis des lustres et qu’il fallait remonter justement à Karajan pour retrouver pareille exécution. Il est vrai que les Brahms récents de Sir Simon Rattle avec les Berliner n’ont convaincu personne.
Ici, nous en sommes tous restés bouche bée. Ce fut la perfection, perfection technique, bien sûr, avec un orchestre dont la clarté, je le répète, permet de remarquer chaque scorie, et il n’y en eut point: une musique où l’on ne recherche pas spécifiquement la beauté du son, mais le relief, mais la monumentalité, mais la dynamique interne une flexibilité étonnante. Le dernier mouvement fut évidemment exemplaire, sans jamais être tonitruant, mais toujours juste dans l’expression et le tempo, référence à Bach dont il s’inspire, mais aussi avec des moments qui renvoient aussi à certaines phrases de Wagner (utilisation des bois, époustouflants de technique, de justesse et d’émotion). Pour ma part j’ai peut-être encore préféré le deuxième mouvement, andante moderato, sublime moment où les couleurs orchestrales sont mises en valeur de manière telle que cela prend presque à la gorge, comme une cantilène élégiaque.
Le premier mouvement, Thielemann le voit d’une couleur grise: il nous a dit en répétition le matin “Connaissez vous Hambourg en novembre? Eh bien, c’est comme le début de cette symphonie” , gris, sombre,  venteux, presque inquiétant. Il en résulte un moment extraordinaire d’intensité, qui nous a donné un Brahms à la fois moderne et engagé, mais avec des couleurs qui rappelaient certains chefs du passé, Sawallisch, Böhm et même Karajan, dont Thielemann fut l’assistant. J’ai suffisamment pensé que Thielemann n’apportait rien de neuf pour me dédire cette fois, ce Brahms surgit peut-être aujourd’hui tout droit de nos rêves et des nostalgies du passé, mais ce classicisme est en réalité une réinterprétation, un regard d’aujourd’hui qui combine passé et présent, en un classicisme moderne qui pourrait bien être LA référence. En tous cas, il y a des années et des années que je n’avais entendu un tel Brahms. Ce fut grandiose et convaincant. Pour les concerts de Thielemann, déjà, ce festival fait référence et a réussi son coup.
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Yefim Bronfman ©Dario Acosta

 

 

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