OPERA DE LYON 2010-2011: WERTHER de J.MASSENET (Dir: Leopold HAGER, mise en scène: Rolando VILLAZON ) le 1er février 2011

werther-2.1296669399.jpg© Michel Cavalca, Photos du site de l’opéra de Lyon

L’intérêt suscité par ce Werther est largement dû à la première mise en scène de Rolando Villazón apparemment prévue de longue date, et donc non liée à l’état vocal actuel du ténor. L’impression est contrastée, mais pas négative. Je trouve à cet égard la “descente en flammes” du journal Le Monde injuste, notamment sur la lecture de la fin de l’ouvrage, même si on peut discuter l’approche et si la distribution n’est pas vraiment convaincante. Il reste que l’ensemble se laisse voir et passe assez bien au total. Ce n’est pas cependant un spectacle qui mérite qu’on y coure, mais en passant par là…

La mise en scène d’abord, on pourrait dire en plaisantant qu’elle nous ouvre des horizons sur l’espace mental de Rolando Villazón, et que sa lecture du personnage correspond assez bien au Werther qu’il compose lui même sur scène. Une question préalable: les couleurs de costumes des deux personnages au troisième acte noir/rouge/jaune seraient elles une déclinaison qui renvoie au drapeau allemand..?
Il semble que l’effort de Villazón ait consisté à montrer un monde qui soit une représentation de ce que voit Werther et de ce qu’il est par rapport aux autres.Ce Werther est à la fois enfantin, coloré, une parade de cirque à la Rimbaud où les personnages n’existent pas mais des ombres, des clowns, un monde vaguement fantasmagorique complètement antinaturel: Albert, le Bailli, Sophie et Charlotte ont des costumes à peu près normaux, mais les femmes, lorsqu’elles doivent se montrer adultes sont des mères, et donc en noir: elles sont au début en (une sorte de) combinaison: passage de l’enfance au monde gris des adultes. Seul Werther (noir etjaune) y échapperait un peu (son double, un jeune enfant, est lui tout en jaune, et son deuxième double, un clown en cage est en redingote jaune déjà tachée…tout cela doit bien avoir un sens mais ce me semble tortueux).
L’ouverture montre Charlotte après la mort de Werther cherchant les traces (redingote, objets) de Werther, l’Opéra serait donc une sorte de retour fantasmatique sur l’histoire, ou sur le roman (à la fin, Werther tient en main les lettres – allusion au roman épistolaire) et il meurt seul.

charlotte.1296669448.jpg© Michel Cavalca,

La cage où est isolé le double-clown de Werther, puis le couple Charlotte-Werther, puis Charlotte pour l’air des lettres, puis qui s’écroule sur le petit double de Werther dormant est évidemment symbolique de l’isolement de Werther, tendre oiseau en cage (la cage est en effet une cage à perruche géante…et l’habit de Charlotte pendant l’ouverture et à la scène finale est

charlotte2.1296669421.jpg© Michel Cavalca,

une robe dont la couleur rappelle le plumage des perruches…mais cessons de railler.

La fin m’a semblé plus intéressante: Charlotte et Werther sont isolés,chacun dans son monde, l’un se meurt et attend l’aimée: Ils ne dialoguent pas, lui se parle à lui-même et n’entend pas Charlotte. Elle seule elle aussi, parle à la redingote jaune de Werther. Ils sont à deux mètres mais ne se croisent pas. Une mort dans la solitude, sans savoir que l’autre vient; Et de fait Charlotte arrive trop tard, Werther est mort. Claire allusion à Tristan et Isolde.

C’est à mon avis ce qu’il y a de plus émouvant et qui rattrape bien des approximations.

Jolies images quelquefois, éclairages colorés qui plaisent aux nombreux jeunes dans la salle, les apparitions des enfants (jeu des fleurs), ou des gens du village sont assez poétiques on est dans une sorte de monde parallèle, dans un pays des merveilles qui tournerait mal, ou qui finirait par tourner sans l’élément perturbateur, l’ange noir, qui décidément ne cadrerait pas avec lui.

Il y a incontestablement une vision, une intelligence, mais trop de détails restent cryptiques, et la conduite du jeu d ‘acteurs reste fruste (le ténor Arturo Chacon Cruz est une sorte de double de Rolando Villazón) et les chanteurs restent sur leur réserve. Il reste qu’on ne sort pas horrifié et que le spectacle est assez fluide.

Musicalement Serge Dorny a fait appel au vétéran Leopold Hager, choix du professionnalisme, de la solidité, rien à dire sur la direction d’orchestre, mais on aurait pu faire appel à l’un des jeunes chefs français dont on parle çà et là, pour voir comment le sang neuf s’en sort.
Sur la distribution, on a plaisir à revoir Jean-Paul Fouchécourt en Schmidt clownesque et le jeune Nabil Suliman, un habitué de Lyon à la voix chaude que j’apprécie dans chacune de ses apparitions lyonnaises. On est heureux aussi de revoir Alain Vernhes, qui nous offre son habituel Bailli. Autre habitué de Lyon, le baryton belge Lionel Lhote, qui cette fois est un peu décevant dans Albert, on est bien loin du style requis. Cela reste banal, sans couleur, sans force.
La Charlotte de Karine Deshayes a incontestablement la voix et la puissance, elle n’a pas toujours la juste ligne de chant ni le contrôle, et elle ne distille aucune émotion (c’était à peu près pareil dans Cherubino à la Bastille). C’est bien plat.

werther.1296669438.jpg© Michel Cavalca,

Le Werther de Arturo Chacon-Cruz a la puissance, il sait monter à l’aigu, mais est aux antipodes du style requis, la voix constamment ouverte, peu contrôlée, notamment dans les parties qui réclament des notes filées, un chant murmuré. En bref, pas d’émotion non plus de son côté.
Eh bien, la seule qui ait toutes les qualités que les autres n’ont pas, technique, contrôle, émotion, expression c’est la Sophie de Anne-Catherine Gillet (d’ailleurs elle remporte le plus gros succès à l’applaudimètre): fait on un Werther avec une Sophie d’exception, non évidemment, mais il est temps de donner à cette artiste des rôles qui correspondent à ses qualités: chacune de ses apparitions est un beau moment.

En conclusion, et à me relire, je n’ai pas moi non plus beaucoup de choses très positives à dire, mais  pourtant je ne suis pas sorti mécontent, sans doute par l’effet de cette fin que je trouve bien mise en scène. C’était  une soirée d’opéra assez honorable. Lyonnais ou Rhônalpins,  allez y quand même!

OPERA DE NATIONAL DE PARIS 2009-2010: WERTHER de Massenet à l’OPERA BASTILLE avec Jonas Kaufmann (4 février 2010)

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© Opéra national de Paris/ Elisa Haberer

C’est curieux, mais c’est ainsi. Werther n’a fait son entrée au répertoire de l’Opéra qu’en 1984, dans une production de Pierluigi Samaritani, avec en alternance, Alfredo Kraus et Neil Shicoff, Lucia Valentini-Terrani et Tatiana Troyanos, sous la direction magnifique de Georges Prêtre (Werther a été en revanche un des piliers du répertoire de l’Opéra Comique). Après 25 ans d’absence, coup sur coup deux productions différentes, écrins pour ténors vedettes, l’an dernier Jürgen Rose et Rolando Villazon (avec la grande Susan Graham), cette année Benoît Jacquot et Jonas Kaufmann (avec la jeune et déjà grande Sophie Koch).
On a beaucoup glosé dans la presse sur ces deux Werther coup sur coup. Après la représentation d’hier, on peut dire sans hésiter que Nicolas Joel a vu juste: on a assisté tout simplement une performance exceptionnelle, alimentée par une distribution sans failles, un orchestre merveilleusement dirigé (Michel Plasson), et une belle mise en scène parfaitement en phase avec l’oeuvre (Benoît Jacquot).
paris-werther-villazon.1265479096.jpgRolando Villazon et Susan Graham
(Photo Bernd Uhlig / Opéra national de Paris)

L’an dernier, Gérard Mortier avait loué une production de Munich de Jürgen Rose, qui centrait le propos autour de l’univers mental de Werther, en mettant en perspective toute l’intrigue. Susan Graham campait une Charlotte très maternelle et vocalement impressionnante, Ludovic Tézier alternait avec Villazon dans la version pour baryton de l’opéra de Massenet, et chantait Albertavec son élégance coutumière lorsque Villazon était Werther . Alain Vernhes comme toujours faisait un bailli humain et très présent vocalement, et Villazon, sans être au mieux de ses capacités vocales, donnait du héros goethéen une vision très romantique, montrait une grande fragilité psychologique, avec un timbre, notamment dans le medium, enchanteur et lumineux; quant à la direction de Nagano, elle était non pas froide (on accuse souvent ce chef d’être trop distancié), mais très analytique, très claire, et particulièrement contrastée: un très beau moment.

3258_2009-10-werth-134.1265478745.jpg© Opéra national de Paris/ Elisa Haberer
Jonas Kaufmann, Ludovic Tézier, Anne-Catherine Gillet

Le Werther présenté cette saison va dans une tout autre direction. La mise en scène de Benoît Jacquot concentre le propos sur l’intrigue, elle est une regard non sur une âme, comme chez Jürgen Rose, mais sur une situation: ce sont les personnages essentiels sur qui se concentre la vision, sur les ressorts psychologiques de ces deux corps qui sans cesse se rapprochent se frôlent puis s’éloignent, sur cet érotisme de l’interdit qui finit par être insupportable. Le décor est minimaliste (une terrasse, un mur) l’intérieur de la maison d’Albert est d’une austérité pesante, la chambre de Werther  au milieu de l’immense plateau de Bastille renforce l’idée d’isolement et de singularité. Les éclairages d’André Diot tour à tour ombres et lumière accompagnent la situation d’une manière magistrale, et la manière de Benoît  Jacquot de concentrer tout sur l’aventure humaine du trio Werther/Charlotte/Albert en plaçant “hors champ” tout ce qui peut être anecdotique (l’anniversaire du Pasteur, les chants de Noël) renforce la couleur tragique de l’oeuvre. La tension qui naît des duos n’en est que plus palpable, le troisième acte étant  d’une force singulière, qui tranche fortement avec les deux premiers. Un beau travail sur l’acteur, une mise en scène solide qui sait souligner l’essentiel avec une économie de moyens qui en renforce les effets.

Musicalement, on ne peut que rester subjugué de ce que l’on a entendu. Rien à dire de la distribution réunie, en tous points exemplaire: Alain Vernhes reste ce bailli si humain, à la voix sonore et impressionnante qu’on avait entendue l’an derneir. Ludovic Tézier (est-ce l’effet de la mise en scène?) à l’élégance vocale presque glacée en devient glaçant et terrible. Son jeu me paraît plus impressionnant que l’an dernier, et sa prestation vocale parfaite, de cette perfection qui finit par effrayer. Anne Catherine Gillet est une Sophie fraîche, sensible, engagée, et vocalement sans reproches: cette jeune chanteuse confirme à chaque apparition qu’elle est l’une des futures étoiles du chant français.

Sophie Koch est absolument exceptionnelle. Susan Graham l’an dernier avait cette distance que confère la maturité qui s’étonne d’elle-même, et c’était tout aussi magnifique. Sophie Koch est d’abord la jeunesse, sur qui s’abat la tragédie. Cette jeunesse, elle la respire par son engagement, sa fraicheur, la force d’une voix naturelle et puissante: l’interprétation devient de plus en plus tendue, de plus en plus engagée au fur et à mesure des actes. Beaucoup d’amis à moi ne l’appréciaient pas, ceux qui l’ont entendue dans Brangäne à Covent Garden l’automne dernier ont admis enfin que cette chanteuse avait un vrai talent, qui tenait la route, même face à une Nina Stemme au zénith. Cette Charlotte si juste, si neuve, si torturée, revient mettre définitivement les pendules à l’heure. Nous tenons là une très grande artiste.

040220101587.1265478188.jpgSophie Koch et Jonas Kaufmann

Reste Jonas Kaufmann. Son entrée en scène (vêtu de bleu, avec des lunettes de soleil) surprend, on n’attend pas un Werther avec un timbre aussi sombre, mais en trois minutes, la messe est dite: car tout y est. Je suis encore sous le coup de l’étonnement admiratif. J’ai plusieurs fois entendu Jonas Kaufmann (Fidelio, Traviata, Bohème, Damnation de Faust, Carmen, Königskinder), à chaque fois la performance, le style, la technique m’ont bluffé. Même si je persiste à penser qu’il devrait abandonner les personnages italiens du type Alfredo ou Rodolfo, qui à mon avis ne correspondent ni à son timbre, ni à sa manière de chanter,où  il est sans reproche, mais sans vraie singularité. Dans Werther, tout est balayé: il a d’abord le physique du rôle, il a aussi la culture du rôle. Son français est parfait. Et on sait combien le texte est essentiel dans le chant français, tant par le sens que par l’expression. Rousseau disait déjà dans la Lettre sur la musique française que le français  était une langue a priori peu adaptée à la musique; langue sans accents, elle ne colle pas forcément à une mélodie, et elle contraint à substituer ce défaut par des artifices de style et un grand contrôle (importance des demi-teintes, des mezzavoce). Le chant de Kaufmann est contrôlé, avec une technique de fer, des aigus triomphants, des demi-teintes à se damner, des murmures émis avec une telle science que même à la Bastille on entend tout avec une clarté confondante. Alors évidemment, on pense à l’autre Werther, Alfredo Kraus, qui avait lui aussi une technique et un sens du texte et du mot exemplaires et qui fut le Werther de la seconde moitié du XXème siècle. On pourra le préférer à Kaufmann, à cause de ce timbre éclatant et méditérranéen que Kaufmann n’a pas, mais justement, ce timbre sombre convient bien à Werther, ce personnage décrit comme dépressif, incapable de sourire. La mise en scène, avare de mouvements, qui souligne l’intériorité des personnages, qui ne leur concède que de s’effleurer et non se toucher, est exactement la métaphore de cette voix, à la fois incroyablement solide et toute en effleurements. En l’entendant l’autre soir, je me prenais à découvrir sans cesse des perfections à cette incroyable performance que je compte parmi les expériences les plus rares de ma longue vie d’opéra. Ce qui frappe chez Kaufmann, c’est qu’il peut déjà tout chanter: de Florestan à Rodolfo! Sans nul doute pourra-t-il aussi chanter Samson, il en a évidemment les potentialités, et on attend ses Wagner. Mais je dois le dire et le répéter à l’envi parce que cette performance est ancrée en moi depuis deux jours, j’ai vu, émerveillé, Alfredo Kraus en 1984 et je place Kaufmann d’emblée à ce niveau de perfection. Littéralement éblouissant.

040220101591.1265478207.jpgJonas Kaufmann

040220101594.1265478228.jpgSaluts le 4 février, Plasson serrant Sophie Koch et Jonas Kaufmann

A cette distribution sans reproches correspond une direction musicale de très haut lignage. Je ne suis pas un fan de Michel Plasson, dont j’ai apprécié certaines interprétations (Faust de Gounod, Guercoeur de Magnard). J’aime son Werther au disque, à cause de Kraus et de la merveilleuse Troyanos. je n’aime pas toujours son approche à l’orchestre, quelquefois un peu trop pâteuse pour mon goût, ne manquant jamais de justesse, mais quelquefois de clarté. L’approche de Nagano l’an dernier m’avait vraiment séduit justement par sa clarté cristalline. Mais Plasson avec une autre approche réussit à accompagner les chanteurs comme on accompagnerait un Lied, attentif au moindre souffle, à la moindre inflexion, amenant l’orchestre à murmurer à l’unisson, à éclater quand il le faut, mais en ne couvrant jamais les voix. Un travail vraiment magnifique.

Quand direction musicale, chant, et mise en scène réussissent chacun dans leur ordre à être aussi proches de la perfection, on comprend que le résultat à la scène ne peut qu’être un sommet aujourd’hui difficilement égalable. Il nous reste à souhaiter très vite que ce Werther soit repris, et que la captation d’ARTE devienne un DVD qu’on s’empressera d’ajouter à sa discothèque . En attendant, vous trouverez le lien ci-contre, pour courir sur le site d’ARTE la regarder si vous l’avez laissé échapper.

OPERA NATIONAL DE PARIS, Opéra Garnier: MIREILLE, de Charles GOUNOD (Dir.mus: Marc MINKOWSKI, Ms en scène: Nicolas JOEL) le 2 octobre 2009

Décevant!

En ouvrant sa saison et son règne par Mireille, de Gounod, Nicolas Joel voulait annoncer une direction nouvelle: rédécouverte d’une oeuvre un peu oubliée, large appel aux chanteurs français, fin du Regietheater, enfant chéri de l’ère Mortier. Et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, il a assumé lui-même la mise en scène, alors qu’il avait lui-même annoncé qu’il n’enferait pas à Paris. Il aurait mieux fait de s’en tenir à sa déclaration, à mon humble avis.

Le résultat de ce pari est donc mitigé, plus convaincant musicalement que scéniquement. La distribution de cette Mireille est très honorable sans être étincelante. Le plus marquant, c’est le plus ancien, le vétéran Alain Vernhes, dont la voix de basse sonore sied parfaitement au rôle de Ramon, le terrible père  de Mireille. Il est pleinement convaincant, campe un personnage juste, remplit l’espace scénique. Vraiment au-dessus des autres, dans la composition, comme dans le chant, qui a  le volume voulu. Tous les autres sont à leur place, dans tous les rôles, grands ou petits, avec une note particulière pour Anne-Catherine Gillet et la Taven de Sylvie Brunet . Frank Ferrari est un Ourrias très correct qui manque cependant d’éclat.

Quant aux protagonistes, ils sont eux aussi sans reproches au niveau du chant et de la technique. Charles Castronovo prononce le français à la perfection, chante avec la douceur voulue, le timbre est joli, la voix est bien placée. Mais ce chant reste un peu appliqué, et la voix manque un de volume et de projection. Le volume est aussi le problème de Inva Mula, souvent émouvante au demeurant, qui rencontre quelques problèmes dans le suraigu, la voix se montrant très tendue, à la limite de ses réserves; son timbre un peu clair pour mon goût dans ce rôle nuit à la force dramatique, qui en souffre. N’est pas Freni (qui l’a enregistré, mais n’a pas voulu le proposer sur scène) qui veut.

Il reste que cette musique nous touche, notamment dans la seconde partie (3ème au 5ème acte), avec de superbes moments (le troisième acte), où le mélodiste Gounod sait atteindre l’auditeur. La direction musicale, hélas,  ne stimule pas l’émotion. Marc Minkowski ne me paraît pas diriger cette oeuvre avec la sensibilité voulue, le son reste sec, le lyrisme absent, même si techniquement tout est très au point.

Mais le vrai problème de ce spectacle, c’est justement le spectacle. Ezio Frigerio conçoit un décor et Franca Squarciapino des costumes comme toujours soignés, soulignés par des éclairages subtils de Vinicio Cheli (ah, le lever de soleil au IVème acte). Mais ce décor n’est qu’une image plaquée, il n’a aucune fonction dramaturgique, On ne décèle aucune invention non plus pour les scènes plus mystérieuses  du Val d’Enfer, ni  du Rhône, qui est rendue de façon un peu ridicule d’ailleurs. Car toute la mise en scène se joue au premier plan, avec des entrées et des sorties toujours latérales, sans aucune utilisation de l’espace en profondeur, alors que l’évocation du désert de la Crau pouvait être mieux soulignée que par un ciclorama, cette absence de spatialisation scénique fait perdre à l’oeuvre de la respiration. Les choeurs (solides) sont disposés comme aux pires soirs de l’opéra de papa, le provençal devient pacotille, et les chanteurs font comme ils peuvent, car il n’y aucune direction d’acteurs, sauf quelques gestes çà et là, d’ailleurs bienvenus.

Il en résulte des moments de notable ennui, et un spectacle illustratif qui ne nous dit rien de Mistral, rien de la Provence, rien de cette liaison entre réel et surnaturel (il ya un peu de Freischütz dans cette ambiance), aucun mystère nocturne, Taven est bien peu sorcière (même si le passeur ressemble à la mort, Ah, merci Charon!)  au point qu’on finit par se demander pourquoi Mireille meurt, ce qui est quand même un comble .

C’est dommage, l’oeuvre pouvait être portée par une autre vision, pas forcément plus novatrice, mais sans doute plus sensible et plus habitée. Ici c’est l’indifférence qui essaie de mettre en scène la sensibilité, avec le résultat qu’on peut craindre…

On ne peut néanmoins que se réjouir de voir un certain répertoire un peu méprisé aujourd’hui revenir sur le devant de la scène, mais doit-on se réjouir que des millions de téléspectateurs aient vu un spectacle poussiéreux dès la première, confirmant les pires poncifs qui circulent sur l’art lyrique?

Pour mon goût, si je pense que le retour à l’Opéra d’oeuvres françaises (ou en français) oubliées, est une excellente initiative, (verra-t-on un jour Lodoiska de Cherubini, le plus grand succès de la révolution française, deux cents représentations!), j’aurais bien préféré comme inauguration en grand style d’une saison et d’un règne, voir Les Huguenots de Meyerbeer revenir à Paris. Attendons donc mieux.