LUCERNE FESTIVAL 2014: ANDRIS NELSONS DIRIGE LE CITY OF BIRMINGHAM SYMPHONY ORCHESTRA le 31 AOÛT 2014 (WAGNER, BEETHOVEN) avec KLAUS FLORIAN VOGT (Ténor)

Klaus Florian Vogt et Andris Nelsons © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Klaus Florian Vogt et Andris Nelsons © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Dimanche 31 août à l’heure de la messe, Klaus Florian Vogt dans des extraits de Parsifal. Les cloches sonnent à toute volée, ils sont venus ils sont tous là, la voix de miel va s’élever dans le temple construit par Jean Nouvel…
Et ce fut un peu décevant. Non pas tant par l’orchestre ni par le soliste, qui à 11h du matin, n’était quand même pas dans l’un de ses meilleurs soirs (comme on dit) mais plus à cause du programme choisi, de la manière de le présenter : Wagner n’est pas facile en récital…

Il y a peu de moments dans les grands opéras wagnériens qui puissent être coupés du contexte et présentés comme des airs ; si c’est encore possible dans Der Fliegende Holländer ou dans Tannhäuser, ça l’est un peu moins dans Lohengrin, et pas du tout dans Parsifal. Il n’y a pas d’airs à proprement parler, pas de moments isolés que l’on puisse extraire . Or le concert a commencé par trois extraits de Parsifal, l’Enchantement du Vendredi Saint à l’orchestre (ça passe et déjà Toscanini en avait laissé un enregistrement), Amfortas ! die Wunde ! du 2ème acte, et le monologue final de Parsifal (Nur eine Waffe taugt) au 3ème acte, mais sans le développement d’un final qui exigerait des chœurs et donc pour ces deux extraits vocaux, c’est plus une frustration qu’un plaisir. Ensuite, à chaque air, une sortie de scène, puis une rentrée avec applaudissements afférents: tout est fait pour couper l’émotion et la « mise en scène » du concert m’apparaît bien poussive…
Néanmoins, on peut comprendre le choix de Andris Nelsons, dans un programme où, à Birmingham par exemple, Wagner a été couplé avec Elgar. Ici, couplé avec la 7ème de Beethoven, les choses sont moins nettes. On peut comprendre aussi que devant faire Parsifal à Bayreuth en 2016, les deux artistes essaient de se retrouver le plus souvent possible. Même si Klaus Florian Vogt a déjà chanté Parsifal à la scène.

Klaus Florian Vogt dans l'effort © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Klaus Florian Vogt dans l’effort © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Amfortas ! die Wunde ! est l’air le plus héroïque de la partition, et le plus tendu pour Parsifal. Commencer à froid à lancer l’aigu d’ « Amfortas ! » n’est pas commode pour un chanteur, même si  Vogt, d’une manière ici à la fois surprenante, et intelligente, lance un « Amfortas ! » non pas étonné, non pas un cri de la découverte de l’évidence, mais un cri déjà de douloureuse surprise. Sans jamais pousser la voix, sans être tonitruant, mais au contraire dissimulant l’effort et la poussée sonore sous une apparente facilité, son « Amfortas ! Die Wunde ! » est surprenant en soi, tant le son est homogène, tant la voix est projetée d’une manière  naturelle, mais où néanmoins, par le seul art de l’interprétation, la tension est présente. Vogt a dans la voix la tendresse et la jeunesse du personnage, sa naïveté aussi : et nous sommes au moment où l’on passe de la naïveté au savoir, de l’ignorance à la lumière. Le ton dont il use est à la fois décidé et d’une incroyable douceur.

Klaus Florian Vogt et Andris Nelsons © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Klaus Florian Vogt et Andris Nelsons © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Même impression dans son monologue du 3ème acte, au moment où il chante
Nur eine Waffe taugt: –
die Wunde schließt der Speer nur,
der sie schlug et où il va prononcer son Sei heil, entsündigt und entsühnt . À la fois décidé et plein de cette Mitleid (durch Mitleid wissend…), il n’est en rien autoritaire mais possède une incroyable autorité dans ces paroles, ce qui le différencie de bien des Parsifal vus ces dernières années. Là où Kaufmann (phénoménal) est seulement dans la Mit-Leid, dans la souffrance avec, (littéralement la com-passion), Vogt est déjà dans l’autorité consentie, mais une autorité installée par la douceur. La voix de Vogt, qui semble toujours ailleurs tant elle est particulière, fait ici merveille, grâce aussi à l’habile accompagnement de l’orchestre qui suit les inflexions du texte avec un volume adapté, qui ne couvre pas l’artiste, dans une salle où c’est souvent le cas.

On se souvient du magnifique 3ème acte de Parsifal dirigé par Andris Nelsons dans cette salle à Pâques dernier (le 12 avril dernier, avec Simon O’Neill, Thomas Konieczny, Georg Zeppenfeld) dont ce blog a rendu compte  Son Karfreitagzauber, Enchantement du vendredi Saint, exécuté en « ouverture » du concert » déploie une palette sonore similaire avec Birmingham, brûlante de passion retenue, avec un souffle et une sensibilité étonnantes, et un sens du phrasé remarquable sans jamais avoir un son écrasant : en cela, l’orchestre est en parfait écho avec le soliste.
Au total des extraits de Parsifal qui ne laissent pas le temps ni au public ni à la voix de se déployer vraiment, et malgré les qualités de chaque moment singulier, c’est quand même une impression de frustration et d’incomplétude qui domine.

Klaus Florian Vogt © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Klaus Florian Vogt © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Quelques jours avant, Nelsons et Vogt faisaient leurs adieux 2014 dans le Lohengrin de Bayreuth pour sa cinquième saison et cette complicité vieille de plusieurs années (La production de Lohengrin remonte à 2010) se lit dans les trois extraits de Lohengrin donnés en complément. En passant du père au fils, nous lisons la même retenue et la même poésie. Le prélude du 3ème acte, fait briller l’orchestre d’une manière vraiment éclatante, même si l’extrait suivant, pris dans la scène avec Elsa, produit la  même frustration que pour Parsifal, à savoir un sentiment d’attente, de privation, et même si Höchtes Vertrau’n hast du mir schon zu danken était plein de passion retenue et de délicatesse, il manquait Elsa, il manquait le théâtre, et pour tout dire il manquait de la tension. Mais dans le récit du Graal, tronqué, (on aurait pu penser qu’en concert on eût pu enfin avoir la version complète…), sans doute la pièce la plus adaptée à un récital, Vogt a montré son incomparable maîtrise, à la fois douceur, mélancolie, tristesse, regrets, mille couleurs donnaient à ce récit final de la première partie le parfum de l’exception. On retrouvait là le Vogt tant applaudi à Bayreuth on retrouvait l’intelligence du phrasé, l’impression d’une totale absence d’effort et la fluidité du discours, on retrouvait le personnage, accompagné par un orchestre d’une clarté lumineuse et profondément engagé . Evidemment miraculeux.

En seconde partie, le 7ème de Beethoven, qui a été part de la première intégrale Beethoven de Nelsons, la saison dernière à Birmingham, et est redonnée ces jours-ci à Bonn (lieu évidemment idoine puisque Beethoven y est né) .
La septième est pour moi liée à une exécution de Claudio Abbado le 15 avril 2002 au Festival de Pâques de Salzbourg avec les berlinois: personne, même Pollini – il nous l’a confié après le concert – n’en est revenu, et tant de spectateurs en avaient les larmes aux yeux. Jamais plus, même avec Berlin, je n’ai retrouvé cela : une danse dionysiaque étourdissante et d’une incroyable dynamique. Il ne me viendrait pas à l’idée de comparer quoi que ce soit, mais c’est simplement pour signaler que dans la septième j’ai deux références évidentes en soi : Carlos Kleiber et Claudio Abbado.

Andris Nelsons le 31 août 2014 © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Andris Nelsons le 31 août 2014 © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Sans atteindre ces sommets, j’ai vraiment beaucoup aimé le travail de Nelsons et de l’orchestre dans cette symphonie, que Nelsons interprète à mi-chemin entre l’option solennelle et visionnaire de Furtwängler (Berlin 1943, une interprétation prophétique et terrible de l’allegretto, presque une marche funèbre) et cette course dionysiaque dont je parlais plus haut chez Abbado. Il travaille sur les contrastes, sur le contrepoint, sur une vision romantique jamais tonitruante, jamais dans la démonstration (alors que c’est si facile dans la 7ème). Certes, le rythme est rapide, mais, notamment dans le premier mouvement, très contrasté, avec des moments très allégés aux cordes, mais des interventions vigoureuses des cuivres et des bois. Un rythme rapide, mais des ralentissements et surtout une grande respiration musicale, sans vraiment la tension qui raidirait le mouvement général:  il y a là une souplesse, une rondeur assez nouvelles dans la manière de Nelsons.
L’allegretto (2ème  mouvement) est peut être le moment le plus intense, c’est aussi mon préféré. Il n’est pas sombre comme Furtwängler, il est, disons, tendu avec une très grande participation des pupitres et notamment des chefs de pupitres (la flûte est magnifique). Il y a certes de la souplesse, mais une très grande attention à l’alternance rythmique, notamment au début, presque métronomique, qui crée la tension par sa répétition obsessionnelle. La fin du 2ème mouvement, plus alerte, est éblouissante par l’engagement des musiciens et la qualité de toutes leurs interventions.
Plus d’exubérance dans le scherzo, mais qui reste contrôlée : c’est bien là la nouveauté chez Nelsons, ce contrôle fort sur les rythmes et les volumes, que je n’avais pas noté dans d’autres exécutions : le trio est pris de manière un peu plus lente, mais presque plus héroïque en même temps, avec des cordes stupéfiantes.
Enfin, c’est au quatrième mouvement que Nelsons entraîne l’orchestre de manière vertigineuse, il est suivi par les cordes, très concentrées, qui n’ont jamais failli. On n’atteindra pas la folie abbadienne, mais néanmoins l’orchestre est poussé de plus en plus vers une sorte de course à l’abîme et tout tient merveilleusement notamment à la coda finale. Le public explose à la fin, et c’est amplement mérité.
Ce cycle Beethoven devrait sortir chez Orfeo, il sera intéressant de confronter la vision de Nelsons à d’autres déjà consacrées : il y a là une prise de risque, une vraie personnalité qui mérite qu’on s’y arrête. Au total, et de manière inattendue, c’est Beethoven qui m’a saisi et Wagner qui m’a (un peu) lâché. [wpsr_facebook]

Andris Nelsons et le CBSO le 31 août 2014 © Priska Ketterer/Lucerne Festival
Andris Nelsons et le CBSO le 31 août 2014 © Priska Ketterer/Lucerne Festival

LUCERNE FESTIVAL 2014: ANDRIS NELSONS DIRIGE LE CITY OF BIRMINGHAM SYMPHONY ORCHESTRA le 30 AOÛT 2014 (BEETHOVEN, ELGAR) avec RUDOLF BUCHBINDER (Piano)

Rudolf Buchbinder, Andris Nelsons, CBSO le 30 août 2014 © Peter Fischli /Lucerne Festival
Rudolf Buchbinder, Andris Nelsons, CBSO le 30 août 2014 © Peter Fischli /Lucerne Festival

Il y a des pianistes flamboyants, qui attirent les foules et jettent poudre de perlimpinpin et paillettes. Rudolf Buchbinder est tout le contraire. Une carrière solide, mais sans éclats, une considération et un respect unanimes de la critique, une approche classique et sans reproche: nous en avons eu la confirmation ce soir dans le concerto n°5 en mi bémol majeur op.73 de Beethoven, le très fameux Empereur.

Deux programmes pour ce passage éclair du City of Birmingham Symphony Orchestra à Lucerne, une soirée Beethoven/Elgar avec Buchbinder et une matinée Wagner/Beethoven avec Klaus Florian Vogt. Nul doute que dans les deux cas, la présence du soliste a contribué à attirer le public.
Dans une œuvre aussi fameuse, voir aussi rebattue que le concerto “L’Empereur”, il peut être difficile de proposer une vision neuve ou révolutionnaire, Buchbinder propose une vision très carrée, à la géométrie précise, au son très net, à la transparence exemplaire, avec des moments d’ineffable poésie. L’artiste joue avec une sorte de naturel, sans jamais d’excès, mais mettant toujours en avant certains détails, avec une grande virtuosité certes, mais jamais démonstrative, la salle était pleine à craquer, et a explosé dans l’interprétation étourdissante du final de la Sonate n°8 op 13 « Pathétique » de Beethoven. A une semaine de distance, on pouvait constater que Andris Nelsons, avec deux orchestres aussi différentes que le LFO (avec Pollini) et le CBSO, a le même souci de mettre en valeur le soliste, en atténuant le son au maximum, en ne quittant pas des yeux le piano, en accompagnant chaque mouvement avec grande délicatesse. L’orchestre en devient très retenu, à peine entend-on un fil sonore : pour un chef qu’on qualifiait de flamboyant, cela constitue un vrai tournant, et un signe d’évolution ( maturation?) évident. À ce titre signalons le début de l’adagio (adagio un poco mosso) qui fut non seulement l’un des moments exceptionnels de la soirée, mais peut-être de tous les concertos n°5 entendus dans ma vie mélomaniaque.  Un moment suspendu, un son d’une pureté diaphane, une immense émotion, un orchestre éblouissant : pourtant il n’était pas en ce début de soirée au mieux de sa forme, erreurs, attaques peu nettes, bois un peu ternes, il a fallu attendre le second mouvement pour retrouver un son vraiment satisfaisant, et surtout au troisième mouvement où, il est vrai, Buchbinder était lui-aussi exceptionnel.

En deuxième partie, l’orchestre avait choisi de présenter une pièce moins jouée, mais profondément liée et au répertoire britannique et à l’histoire même de l’orchestre de Birmingham , la Symphonie n°2 de Elgar, jouée pour le premier concert de l’orchestre à sa fondation en 1920, et dirigée, pour la première fois je crois, par le compositeur. C’est le type d’œuvre qu’un tel orchestre doit avoir dans ses gênes.

Car si le CBSO est un bon orchestre, de bon niveau international, c’est un orchestre comparable à d’autres, comme l’Orchestre de Paris, le National de France ou Santa Cecilia, il ne fait pas partie des Rolls des orchestres.
C’est Sir Simon Rattle qui l’a porté à un niveau international, puisqu’il en a été pendant 18 ans le chef, et qu’il a bâti sa propre carrière à partir de son travail à Birmingham. Andris Nelsons entame sa dernière saison en tant que directeur musical, une charge qu’il assume depuis 2008.

Andris Nelsons & le CBSO dans Elgar © Peter Fischli /Lucerne Festival
Andris Nelsons & le CBSO dans Elgar © Peter Fischli /Lucerne Festival

La composition  de la seconde (et donc dernière) symphonie de Edward Elgar s’étend de 1903 (premiers moments) à 1911. L’essentiel de la composition datant des années 1909 à 1911.
C’est une pièce longue (55 minutes), avec un orchestre très important, et notamment une grande distribution de bois et de cuivres.
La pièce est dédiée au roi Edward VII, décédé en mai 1910 , sans que l’ensemble de la musique puisse être considéré comme un éloge funèbre, et elle porte en préface les premiers vers du poème Invocation de Shelley

Rarely, rarely comest thou,
Spirit of delight!

Elle entre parfaitement dans le thème proposé par le Festival « Psyché » puisqu’Elgar lui même parle à son propos de pèlerinage passionné d’une âme.
Par rapport aux quelques approximations entendues dans le Beethoven qui précédait, l’orchestre semble beaucoup plus concentré, notamment les bois splendides. On sent dans la manière de diriger d’Andris Nelsons l’évolution perçue lors des concerts avec le LFO : un travail approfondi sur les volumes et les contrastes, un soin tout particulier pour alléger le son, notamment dans le larghetto (2ème mouvement), plus recueilli, plus sombre et dans le rondo du troisième mouvement. Elgar disait avoir travaillé l’ombre et la lumière, inspiré par un voyage à Venise et notamment par la visite de la Basilique Saint Marc. Il y a en effet dans cette composition quelque chose d’un mosaïste qui travaille chaque tesselle et donc chaque caillou au service d’un ensemble monumental. Dans les détails, il y a en effet des pépites, mais l’ensemble reste pour moi un peu longuet, et la musique, sur le moment très enveloppante, voire captivante, ne laisse pas de traces notables quelques jours après (je parle évidemment de mon propre ressenti et de ma propre expérience).
C’est une musique où on lit l’influence de Wagner (et Nelsons sort de Lohengrin et prépare Parsifal), on rapproche d’ailleurs The dream of Gerontius (qui lui aussi raconte le voyage de l’âme au seuil de la mort) du même Elgar de Parsifal. On sait par ailleurs combien le légendaire Hans Richter était lié à Elgar . Le premier mouvement (allegro vivace e nobilmente) est particulièrement emblématique de ce que j’écrivais plus haut : des pépites, mais quelque difficulté à construire une vision d’ensemble, malgré l’incontestable énergie  du départ, les moments plus retenus manquent peut-être un peu de tension ; mais la mosaïque pour moi se contemple dès le second mouvement (larghetto), plus mélancolique ou élégiaque que tragique mais gardant une grande intensité et retrouvant une vraie tension, un peu absente au premier mouvement. Pour le chef qui quelques jours avant dirigeait Lohengrin,  il y a quelque chose de cette couleur-là, une intériorisation sans pathos qui peut surprendre de la part d’un chef qui sait manier habituellement le pathos. C’est dans les deux derniers mouvement, joués sublimement par l’orchestre (les cordes au troisième mouvement sont stupéfiantes), avec brio et virtuosité que l’on est totalement convaincu par l’approche. Les pianissimis des cordes dans le dernier mouvement, qui m’a fait penser fortement à la Symphonie n°3 de Brahms jouée la semaine précédente, la retenue de l’ensemble de l’orchestre et du son, la relative lenteur du tempo, tout cela crée une magie ponctuée par le long silence final imposé par le chef (à la Abbado…) qui fait de cette exécution un grand moment musical .
L’orchestre très convaincant dans Elgar, son répertoire génétique,et la manière assez personnelle avec laquelle Nelsons conduit cette musique qu’il aborde, m’a fait passer au total une très soirée passionnante, qui confirme les éminentes qualités du chef et qui marquent chez lui une évolution assez notable, et qui permet aussi d’admirer l’orchestre de Birmingham dans son répertoire d’excellence. [wpsr_facebook]

Andris Nelsons le 30 août 2014 © Peter Fischli /Lucerne Festival
Andris Nelsons le 30 août 2014 © Peter Fischli /Lucerne Festival

LUCERNE FESTIVAL 2012: ANDRIS NELSONS dirige le CITY OF BIRMINGHAM SYMPHONY ORCHESTRA le 3 septembre 2012 (MAHLER SYMPHONIE N°2 “Résurrection”) avec Mihoko FUJIMURA et Lucy CROWE

©Peter Fischli/Lucerne Festival

Quand les concerts se succèdent à un rythme serré, et après le sommet du 1er septembre avec le Concertgebouw, il est difficile de ne pas faire des comparaisons, voire, quand il s’agit de Mahler, des confrontations. Le son rond, massif, charnu du Concertgebouw était encore dans ma mémoire lorsque les premières mesures de la Symphonie n°2 de Mahler “Résurrection” sont montées dans l’auditorium de Lucerne, et le son généré par l’orchestre avait quelque chose de plus fade, plus rêche même, et il a fallu s’habituer. Le City of Birmingham Symphony Orchestra est un bon orchestre, qui a passé 18 ans sous la direction de Simon Rattle: il en a fait une phalange de référence au Royaume Uni, et aussi au niveau international. Il est donc légitime qu’il vienne souvent à Lucerne (tous les deux ans) sous la direction de son chef Andris Nelsons, qui on le sait est l’une des baguettes les plus riches d’avenir du paysage musical d’aujourd’hui. Il est tout aussi important qu’il se produise dans des œuvres de référence et spectaculaires, comme ce soir la Symphonie n°2 de Mahler et le 5 septembre la 9ème de Beethoven. Trois concerts se succèdent, deux avec l’excellent chœur de Birmingham (Simon Halsey, chef de choeur), le troisième strictement symphonique avec au programme Gubaidulina et Chostakovitch (la “Leningrad”).
Le concert Mahler s’est conclu avec un grand succès public pour le chef (standing ovation, habituelle désormais à Lucerne) et un enthousiasme communicatif.
Nelsons n’hésite pas à jouer la carte de la profondeur de champ ( certains cors et trompettes dissimulés derrière la salle, dans les espaces ménagés pour gérer l’acoustique), de l’image spectaculaire (mêmes pupitres sur la balustrade le l’orgue, pour l’image finale. C’est une démonstration de puissance, écrasante, d’un relief rare, et avec un parti pris peu intériorisé et de violents contrastes: on passe d’un fil sonore à peine audible à une explosion d’une force inouïe: là où Jansons contrôlait de manière serrée tous les fortissimi l’avant veille, Nelsons, libère les forces et les fait exploser en un feu d’artifice sonore, d’une grande clarté, avec des moments sublimes, des phrases musicales qu’on découvre, des soli très réussis (la flûte), des moments suspendus (Urlichtavec une Mihoko Fujimura remarquable et émouvante).

©Peter Fischli/Lucerne Festival

Incontestablement, Nelsons est un grand chef, qui s’impose comme l’une des figures les plus passionnantes et les plus stimulantes dans la jeune génération des chefs dont l’âge est compris entre 30 et 40 ans.
Mais on ne peut se départir d’une petite déception. Le résultat final n’est pas à la hauteur des exigences du chef: d’abord, le choix de Nelsons d’une interprétation très contrastée, très démonstrative qui exclut la sensibilité et la subtilité pour privilégier la monumentalité, pour privilégier une architecture massive et écrasante, aux dépens d’une certaine élégance. Ainsi des pizzicatis du 2ème mouvement, qui chez Abbado étaient des gouttes de ciel tombées sur l’orchestre, avec une légèreté incomparable, sont ici certes construits de manière assez contrastée, et techniquement au point mais manquent singulièrement d’expression . Ainsi de l’attaque initiale, franche, trop peut-être. C’était aussi une excellente idée que de poster des pupitres dans le lointain, invisibles à l’auditeur, mais très présents par le son; encore eût-il fallu qu’ils soient techniquement parfaits, car le cor s’est naufragé dans un aigu terriblement ingrat, suivi des trompettes qui n’étaient plus tout à fait justes: une série d’imprécisions qui évidemment ont nui fortement à l’effet voulu (ils se rattraperont au final, à vue).

©Peter Fischli/Lucerne Festival

J’ai dit combien Mihoko Fujimura avec sa voix profonde et bien posée, avait chanté un très bel Urlicht. Lucy Crowe, sa collègue ne réussit pas toujours malgré tout à se faire entendre clairement, et la voix, qui devrait d’abord se fondre dans le chœur, ne réussit pas vraiment à toujours émerger avec la netteté, et surtout la poésie et la légèreté voulues. Les solistes, de manière peu habituelle dans cette œuvre, sont au premier rang à côté du chef quand on les met habituellement au centre de l’orchestre. Sans doute Nelsons voulait imposer une présence forte des voix, au premier plan. Il eût fallu un soprano plus présent.
La présence démonstrative de Nelsons, son geste large, les mouvements du corps font spectacle, mais ne produisent pas dans l’orchestre de moments d’émotion réelle, même si certains moments sont réussis, voire originaux et neufs.

©Peter Fischli/Lucerne Festival

Ainsi passe-t-on de très beaux moments,  le premier mouvement est très impressionnant, prenant même, la suite ne réussit pas toujours à convaincre, malgré un beau mouvement final, notamment à cause d’un orchestre qui ne répond pas tout à fait aux exigences de l’interprétation et dont certains pupitres sont un peu en retrait (cuivres), on se délecte en revanche du son magnifique des altos et des violoncelles, et d’un chœur qui, quant à lui est remarquable, disposé en manière un peu surprenante, femmes sur le côté, hommes au centre. Il reste qu’une Symphonie “Résurrection” est toujours un vrai moment de bonheur, surtout avec un chef qui propose une vraie direction, même si on peut ne pas la partager tout à fait. A ce ciel de Zeus/Christ Pantocrator qui nous écrase, je préfère les Transfigurations raphaéliennes d’Abbado ou les couleurs à la Michel Ange de Jansons.[wpsr_facebook]

©Peter Fischli/Lucerne Festival

LUCERNE FESTIVAL 2010: Andris NELSONS dirige le CITY OF BIRMINGHAM SYMPHONY ORCHESTRA avec Martin GRUBINGER (16 août 2010)

martin_grubinger_mwi.1281999342.jpgMartin Grubinger. Retenez ce nom. C’est un pur phénomène, pour qui “Frozen in Time”, concerto pour percussion et orchestre du compositeur israélien Avner Dorman (*1975) a été écrit. On se demande qui d’autre pourrait dominer ce jeu incessant et tourbillonnant de percussions multiples, celesta, marimba, cimbales, clochettes, tambour, caisses diverses, qui occupe rien moins que la moitié du plateau, séparé de l’orchestre par un paravent de plexiglas.
Martin Grubinger est désormais une gloire du monde germanique, titulaire du prix Würth des jeunes musicales 2010 (que Claudio Abbado a eu il y a quelques années). Artiste très engagé contre le racisme, la xénophobie, et combattant sans cesse pour la tolérance, il se produit dans tous les répertoires, classique, pop, jazz, musiques du monde et c’est toujours exceptionnel. La prestation est proprement étourdissante: acrobatique d’abord, mais avec une concentration palpable tant les regards sur le chef sont fréquents (directs ou via un moniteur), tour à tour violent, d’une vélocité incroyable, brutal, mais aussi léger, effleurant à peine les instruments, dans des mouvements d’une poésie étonnante (le mouvement lent du concerto produit une émotion d’une incroyable intensité) .L’orchestre d’ailleurs est lui aussi en tous points exceptionnel de précision et de maîtrise technique avec des sons à peine perceptibles contrastant avec des explosions phénoménales, avec des jeux entre le soliste et les percussions del’orchestre: il faut d’ailleurs se concentrer sur toute la musique et c’est difficile tant le soliste captive, capture l’oeil et l’oreille. Alors le résultat, c’est un triomphe avec une salle hurlant, debout, et un bis proprement ahurissant: un simple tambour, deux baguettes, et un jeu d’une vélocité jamais vue (il bat jusqu’à 1100 coups/minute) tenant les baguettes de deux mains, d’une main, d’une main et de l’épaule,  du bras, ou du coude, une baguette tapant sur l’autre et toutes deux sur le tambour: on regarde cela bouche bée, on entend le son étonnant, et on reste frappé de surprise, de stupeur. Tous, nous sommes restés interdits devant une telle maîtrise, fascinés par une telle démonstration d’art et de technique au plus haut degré de la perfection, dans un style sympathique et détendu, souriant, respirant la joie de jouer.

Alors, le reste du concert, plus traditionnel (Prélude de Lohengrin, Symphonie Pathétique de Tchaïkovski) pâlit forcément face à cette incroyable surprise, et pourtant, Andris Nelsons montre qu’il est un chef avec lequel désormais il faut compter. La manière dont il a dirigé la pièce de Avner Dorman (Création en Suisse) est tout simplement prodigieuse, avec un orchestre qu’en deux ans il a complètement conquis, et qui lui répond d’une manière immédiate.Le prélude de Lohengrin, pris très lentement (comme il le fait à Bayreuth où, vous le savez, il dirige d’opéra de Wagner) est un chef d’œuvre de construction, un crescendo très retenu et qui peu à peu fait découvrir les différents niveaux, jusqu’à l’explosion des cuivres si bien qu’on entend tous les instruments d’une manière qui rend l’architecture très claire, et l’approche très concentrée. La partie finale, avec le retour aux sons les plus ténus, les plus frêles, jusqu’au silence, distille elle aussi une forte émotion, .
Il se confirme (je l’avais noté l’an dernier) que l’orchestre est vraiment solide dans l’ensemble des pupitres même si certains ne m’ont pas convaincu (les contrebasses) et Andris Nelsons fait littéralement chanter les cordes qu’il sollicite à l’extrême.
Nous avions écouté la Pathétique dans cette même salle avec Claudio Abbado et les jeunes de l’Orchestre National Simon Bolivar du Venezuela en mars dernier. Avec un orchestre de jeunes, plus nombreux, Claudio Abbado faisait chanter l’orchestre,  le troisième mouvement avait laissé pantois tant il était une explosion sonore et l’ensemble, monumental et sentimental, produisait une émotion vive et durable. Rien de tout cela ici:  comme chez Jansons dont il est l’élève, Nelsons fait imploser l’orchestre, introduisant des équilibres nouveaux, retenant le son des cuivres et des vents, jouant du dialogue cordes-vents sans jamais faire dominer l’un par l’autre: ceux qui ont l’habitude des cuivres triomphants, notamment des trombones, en seront pour leur frais: il en résulte une forte tension interne, qui favorise les explosions, mais qui soigne en même temps les contrastes et qui crée chez l’auditeur une sorte de malaise, voire d’agacement devant une gestique très expressive, voire expressionniste et un son aussi expressif, mais en même temps contenu, compact. Abbado travaillait dans l’aérien, dans l’espace infini des sons, dans l’expansion, Nelsons compresse et travaille dans la masse orchestrale, dans un son à la fois très clair (on ne manque aucun pupitre) et épais, dur, peut-être plus intériorisé. C’est forcément moins impressionnant, mais ce n’est pas forcément moins émouvant.

Voilà donc un concert particulièrement surprenant, où le clou constitue la pièce contemporaine inconnue, vécue souvent par l’auditeur comme un passage obligé et ennuyeux, qui a rendu la soirée mémorable, par la grâce infinie d’un jeune artiste miraculeux. Il reste qu’il va falloir aussi désormais compter avec Andris Nelsons, qui se révèle un grand chef, aux options qui font discuter et qui ne laissent pas indifférent. Un coup d’oeil sur sa saison 2010-2011 en dit long quand on égrène les orchestres qu’il dirigera: outre le CBSO, il va diriger les Berliner Philharmoniker, les Wiener Philharmoniker, l’Orchestre de Paris, le WDR Sinfonieorchester, le Pittsburgh Symphony Orchestra, le Symphonie Orchester der Bayerische Rundfunk, et l’Orchestre de la Tonhalle de Zürich. Il dirigera en outre au Metropolitan (la Dame de Pique), à Covent Garden (Madame Butterfly) et au Japon (Lohengrin en version concertante): c’est dire que ce chef né en 1978 joue désormais dans la cour des grands.

Une fois de plus, je vous invite à passer par Lucerne, chaque soir apporte ses miracles…sans oublier de surveiller les tournées de Martin Grubinger.

Programme

Richard Wagner (1813-1883)
Prélude de “Lohengrin”

Avner Dorman (*1975)
“Frozen in Time”. Concerto pour percussion et orchestre | Création en Suisse

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Pyotr Il’yich Tchaikovsky (1840-1893)
Symphonie n°6 en si mineur, Op. 74 “Pathétique”



LUCERNE FESTIVAL 2009: A STAR IS BORN: le chef Andris Nelsons (31 Août 2009)

 

A STAR IS BORN

CONCERT Andris NELSONS
Lucerne : 31 août 2009

Programme:

Britten : 4 Interludes extraits de “Peter Grimes”

Berlioz :  Nuits d’été (mezzosoprano : Vesselina Kassarova)
Debussy : La Mer
Ravel : La Valse

Le Festival de Lucerne ne se limite pas aux concerts magiques du Lucerne Festival Orchestra, l’orchestre de la Lucerne Festival Academy dirigé par Pierre Boulez a donné des preuves passionnantes de son engagement, Mariss Jansons a emporté la salle dans un concert Haydn-Chostakovitch avec le Concertgebouw qui restera dans les mémoires, nous avons aussi entendu la rare 10ème de Mahler dans la reconstitution de Deryck Cooke par le Gewandhaus de Leipzig dirigé par Riccardo Chailly qui a également enthousiasmé. Lucerne est une authentique fête de la musique, si proche de l’Italie (250 km) et de la France (100 km à peine) !

Mais nous nous arrêterons sur le passage d’un seul soir du City of Birmingham Symphony Orchestra dirigé par son nouveau chef, le jeune Andris Nelsons.  Programme franco-anglais assez éclectique, qui a littéralement électrisé les auditeurs et fait découvrir  une star future de la baguette. Il ne faut manquer sous aucun prétexte les futures apparitions de ce chef de 30 ans, pur produit de l’école du Nord, élève de Mariss Jansons (il lui a pris cette manière de prendre la baguette de la main gauche et de diriger par la main droite). J’ai rarement vu d’un chef émaner une telle énergie que  ce sont ses mouvements et ses gestes  qui, croirait-on,  font naître la musique. Il sculpte dans les airs la partition avec une clarté telle qu’il obtient de l’orchestre une prestation littéralement étourdissante. On savait le CBSO un très bon orchestre depuis que Rattle l’avait hissé à un niveau international, on ne savait pas qu’il était un orchestre tout à fait exceptionnel, au son somptueux, à la technicité à toute épreuve : une véritable alchimie naît entre musiciens et chef qui emporte tout sur son passage. Pas un moment de relâchement dans un programme qui a déchaîné le public dès les interludes du Peter Grimes de Britten et surtout la remarquable prestation de Vesselina Kassarova dans les nuits d’Eté, la voix est claire, bien posée, très présente, l’interprétation est vibrante. Quant à l’énergie développée par la mer de Debussy, et la Valse étourdissante de Ravel, elle fait littéralement palpiter , puis exploser le public qui est littéralement possédé par le chef et son orchestre, et qui hurle son juste enthousiasme. « A star is born ». A suivre