CONCERT DU NOUVEL AN: Variations sur un thème à BERLIN, DRESDE, VENISE

En dehors DU concert du Nouvel An, les télévisions allemands ont retransmis deux concerts de Saint Sylvestre (Silvesterkonzert), celui des Berliner Philharmoniker dirigés par Sir Simon Rattle (à 18h30 le 31 sur ARD), et celui de la Dresdner Staatskapelle dirigée par son chef Christian Thielemann (à 17h35 le 31, sur ZDF), tandis qu’ARTE proposait le concert du Nouvel An de La Fenice, dirigé par Diego Matheuz, l’assistant de Claudio Abbado qui commence à faire une belle carrière en Italie. Le concept fait florès.
Les concerts de Noël, de Nouvel An, de Saint Sylvestre sont des événements habituels des scènes germaniques, c’est l’occasion de manifester tout ce que la musique peut avoir de festif, mais aussi de rassembler le public autour de son orchestre – on sait que cette relation particulière de l’orchestre au public est très importante en Allemagne, dans toutes les villes où il y a un théâtre et un orchestre.
Je me souviens de Soirées de Saint Sylvestre à la Philharmonie, dirigées par Abbado, suivies d’agapes, de soirées dansantes, dans les espaces du bâtiment de Scharoun. C’est souvent l’occasion soit de jouer des programmes d’œuvres populaires, ou des programmes un peu décalés (en 2002, Sir Simon Rattle proposa le musical “Wonderful town” de Leonard Bernstein, qui fut l’un des grands moments de ma vie de mélomane), ou des programmes d’opérettes, de ces opérettes ou de ces pièces légères qu’on prend très au sérieux en pays germanique: Strauss est réputé très difficile à jouer vraiment dans l’esprit “viennois”. Cette tradition a gagné l’Italie avec le “concert de Noël” de la Scala (cette année Dudamel dans la 2ème Symphonie de Mahler) et surtout le concert du Nouvel An de La Fenice, qui j’espère, ne cherche pas à faire concurrence avec celui de Vienne, parce que là c’est raté d’avance.

La polémique a précédé les deux “Silvesterkonzerte” de Berlin et Dresde, puisque les chaînes généralistes allemandes ARD et ZDF se concurrençaient à peu près à la même heure, l’une (Berlin) dans un programme très dansant, mais des grandes danses du répertoire symphoniques (Danses slaves de Dvorak, danses hongroises de Brahms, L’Oiseau de feu de Stravinski, la Danse des sept voiles de Salomé, mais aussi le concerto pour piano et orchestre de Grieg, avec Evgueni Kissin en soliste), la Staatskapelle de Dresde proposant un programme Franz Lehar, beaucoup plus conforme à la tradition qui préfère l’opérette à la musique “sérieuse” ce soir-là.
Rien n’est le fait du hasard. Le concert berlinois reste un concert traditionnel, avec une volonté de proposer un programme peut-être plus thématique, mais le plus souvent ouvrant le répertoire sans trop laisser  s’éloigner des rives de la musique dite “sérieuse”. On entendit Abbado dans des soirées italiennes, Verdi, Rossini, certes, ou  proposant des extraits symphoniques acrobatiques (comme le dernier mouvement de la VIIème de Beethoven à un train d’enfer, qu’il affectionne particulièrement). Il est conforme à l’esprit d’ouverture de l’orchestre et permet de l’entendre dans divers registres, dont certains inhabituels, d’autre non. C’est un moment de convivialité, point trop mondain (au contraire de Vienne) même si Angela Merkel en est une fidèle, mais la chancelière n’est pas du tout une mondaine. En ce sens, le concert de ce 31 décembre a répondu aux attentes: Sir Simon Rattle étant un maître du “spectaculaire”, et affectionnant les répertoires un peu dansants (son Oiseau de feu à ce titre était particulièrement en phase), j’ai personnellement beaucoup aimé le concerto de Grieg et Kissin, dans un très bon soir.
Face aux Berliner Philharmoniker, valeur consacrée qui ne se confronte pas aux Viennois dans leur répertoire ni dans leurs horaires (encore que le concert du Nouvel An de Vienne est aussi le soir précédent un “Silvesterkonzert”) , la Staatskapelle de Dresde dirigée par Christian Thielemann apparaît comme une challenger dans un combat de Titans. C’est que l’installation de Thielemann à Dresde, après ses tribulations et son échec munichois, apparaît comme le point de référence d’une certaine tradition germanique, avec un orchestre qui en est le symbole immuable et un chef qui en a fait son fond de commerce. Ainsi a-t-on face à face, un orchestre qui serait celui de l’ouverture et la modernité (Berliner Philharmoniker et Rattle) et un orchestre qui porterait la grande tradition (Dresde et Thielemann). Alors il est logique que dans la tradition des pays germaniques, Dresde offre un concert Franz Lehar, dédié aux airs d’opérette les plus connus, en une soirée traditionnellement “légère”, qui fasse lointain écho au concert de Vienne, autre grande référence de la tradition. Et puis, depuis longtemps maintenant, Christian Thielemann cultive la figure des grands Kapellmeister du passé, alors qu’il a peut-être plus de succès en Autriche qu’à Berlin, sa ville, où il a eu aussi une expérience contrastée. Il y a derrière ces deux concerts mis en exergue et en concurrence quelque chose de plus qu’une simple émulation musicale.

Et la Fenice…? Il ne faut pas se leurrer, la Fenice de Venise n’est plus aujourd’hui un théâtre pour les vénitiens, comme le sont les salles de Berlin ou Dresde pour les habitants , la ville de Venise (60000 habitants) n’a pas une assise de public suffisante. C’est un théâtre à la réussite contrastée au niveau artistique, mais depuis sa restauration après le dernier incendie, un lieu d’attirance touristique fort. Une soirée à La Fenice, c’est quelque chose qui fait rêver, entre une matinée à l’Accademia et un repas à “La Colomba”. Le niveau actuel du théâtre est honnête sans plus, et ne peut être comparé à celui de La Scala, de Rome ou de Florence. L’opération “Concert du Nouvel An” est une opération d’image, qui repose sur le nom de Venise, sur la gloire passée de son théâtre et le mythe qu’il génère, notamment chez les touristes chic et choc et qui ne répond à aucun concept, sinon celui de copier le concept viennois à la mode italienne (Disons “Verdi au lieu de Strauss” pour faire bref), y compris avec le ballet, comme à Vienne. Il s’achève toujours par le “libiamo” de Traviata (créée à Venise). Concept plaqué, pour moi sans aucun intérêt mais qui correspond sans doute à une niche de marché, du petit marché de la musique classique à la TV, et qui permet à ARTE de se singulariser et de cultiver le fantasme vénitien du public, français notamment. Musicalement honnête sans plus (Diego Matheuz est un très bon chef certes, qui deviendra quelqu’un avec lequel compter, mais comment rivaliser aujourd’hui  avec Rattle, Thielemann ou Jansons), le concert de la Fenice est une opération plaquée, sans aucun intérêt artistique clair, mais avec un intérêt touristique et donc économique certain.

Comme on le voit, le concept de concert de Saint Sylvestre ou de Nouvel An se vend bien sur nos TV qui souvent (ARTE excepté) découvrent que la musique classique existe entre le 25 décembre et le 1er janvier, paillettes, rêve, fleurs, musique légère, ballets, tous les ingrédients de la fête y sont. Mais l’artistique cette année était à Vienne et à Berlin, à Dresde ensuite, et pas trop à Venise.
Le concept construit au fil des ans par Vienne, qui repose sur une vraie tradition, est artistique (le choix du chef y est déterminant: on a vu combien les concerts donnés par Carlos Kleiber sont devenus des mythes) et s’est peu à peu coloré depuis les vingt ou trente dernières années, à cause du tourisme, de l’élargissement du public des spectateurs, il reste à mon avis le modèle du genre, et aussi un modèle d’équilibre entre exigences médiatiques et artistiques. Mais le Philharmonique de Vienne a inventé le nouveau concept de Sommerkonzert (concert d’été), en plein air, gratuit, cette année dirigé par Gustavo Dudamel, en écho au concert donné en juin par les Berliner Philharmoniker à la Waldbühne (que Dudamel a dirigé d’ailleurs), version “popu” qui compense le concert du Nouvel An, qui est particulièrement exclusif…

CONCERT DU NOUVEL AN A VIENNE à la TV, direction Mariss JANSONS, le 1er Janvier 2012

Le premier concert du Nouvel An de Mariss Jansons, un chef que je vénère, ne m’avait pas tout à fait convaincu. je l’avais trouvé un peu trop sérieux, un peu trop “symphonique”. Il n’en va pas de même pour ce deuxième concert, en tous points réussi. Ce fut un merveilleux concert auquel j’aurais aimé assister.
Certes, à la TV, il faut accepter la règle du jeu, et les exhibitions, pour moi inutiles du corps de ballet, qui ont une fonction plus touristique qu’artistique (cette année, on montrait le Palais du Belvedere), et le rituel du concert. Cette tradition ponctue nos années et finalement ce n’est pas si vieillot: Vienne est une capitale qui cultive son passé et sa tradition, et c’est justice pour une ville qui fut au début du XXème siècle la capitale de la modernité et le creuset de tant d’innovations musicales et artistiques. Et puis, dans quelle ville d’Europe, Berlin mise à part, peut-on vivre autant d’émotions musicales?
Alors, le concert du Nouvel An est une institution, mais lorsqu’il atteint la qualité dont il a fait montre aujourd’hui, alors, vive les institutions.
Certes, on est toujours frappé de voir qu’à quelques exceptions près, les Wiener Philharmoniker ne sont pas très remués par la parité, il est si rare aujourd’hui de voir des orchestres quasi exclusivement masculins qu’on le remarque immédiatement, mais on oublie tout dès qu’on entend les premières notes, et même à la TV, on est frappé par ce son, et notamment dans ce répertoire où ils sont irremplaçables.

Mariss Jansons a dirigé un programme plutôt original et ouvert, jouant sur la circulation de la musique en Europe, que les Strauß ont abondamment utilisé, composant des pièces à succès à partir d’airs connus de Bizet, de Ponchielli, de Verdi ou d’autres, mais les ballets d’opéra (chez Gounod, ou Verdi par exemple) empruntent aussi rythmes, thèmes et phrases musicales à la musique populaire des Strauß. Cette circulation commence même par l’autoréférence: la première pièce du concert de Johann et Joseph Strauß („Vaterländischer Marsch“) est une variation sur la Marche de Radetsky, qui clôt aussi traditionnellement le concert, même écho (au Danube Bleu) dans la deuxième pièce „Rathausball-Tänze“ de Johann Strauß . On a exploré aussi un répertoire plus rare, élargissant à des compositeurs de l’époque qui ont contribué aussi à la gloire de la valse comme Carl Michael Ziehrer, ou Joseph Hellmesberger d.J. ou même Eduard Strauß. Chez les étrangers, on a entendu en hommage au Danemark, nouveau pays dirigeant l’Union Européenne une pièce du compositeur danois Hans Christian Lumbye et surtout deux extraits de la Belle au Bois Dormant de P.I. Tchaikovsky sublimement interprétés. Ce fut vraiment grandiose. Une grande place a aussi été laissée à Joseph Strauß (5 pièces). Le programme n’a pas  puisé dans des grandes valses attendues, dont certaines avaient été exécutées dans le concert de 2006 (Künsterleben, Frühlingstimmen, Der Zigeunerbaron), mais fait justice à des pièces plus rares, un peu moins connues (encore que…) et surtout sur une variation des rythmes et des danses, Galop, Polka, Polka Mazurka, Valse, Marche. Ainsi c’est une sorte de panorama très ouvert qui nous été offert, et Mariss Jansons, un peu amaigri (on sait qu’il a quelques problèmes de santé), est apparu détendu, plein d’énergie (mais un peu fatigué à la fin cependant), et emportant les Wiener Philharmoniker (et les Petits Chanteurs de Vienne – Wiener Sängerknaben- , apparus deux fois impressionnants de précision dans la Tritsch-Tratsch Polka) dans un vrai tourbillon.  Depuis Kleiber (dont le Danube bleu est insurpassable), ce me semble le meilleur concert entendu. J’avais acheté le Jansons 2006, je pense que j’acheterai le cru Jansons 2012, qui va paraître en quelques jours, comme de coutume désormais. Allez-y aussi sans crainte!

Et bonne année 2012 (Prosit Neujahr, comme on dit là bas!)