MC2 GRENOBLE 2012-2013: DER FLIEGENDE HOLLÄNDER de Richard WAGNER le 23 MAI 2013 (LES MUSICIENS DU LOUVRE-GRENOBLE,Dir.mus: Marc MINKOWSKI)

Une semaine après Der Fliegende Holländer à Berlin, deux soirées à Grenoble avec les Musiciens du Louvre-Grenoble et Marc Minkowski dans un projet hommage à Wagner, qui pointe une erreur de jugement: celle du directeur de l’opéra de l’époque Léon Pillet, qui  préféra un compositeur français, estimé plus sûr, Pierre-Louis Philippe Dietsch, pour composer sur le sujet du Hollandais Volant que Wagner avait projeté, après une lecture de Heine (Les Mémoires de Monsieur Schnabelewopski) et aussi après une épouvantable tempête vécue au large de la Norvège, alors qu’il fuyait Riga, où il était criblé de dettes. Dietsch composa “La vaisseau fantôme ou le Maudit des mers”, 11 représentations en 1843 et puis c’est tout à l’opéra, nous entendrons demain la 13ème (la 12ème fut entendue ce mardi 21 mai à l’opéra de Versailles).  À Versailles, le choix a été fait d’enchaîner les deux œuvres, à Grenoble, le projet sera divisé en deux soirées (les 23 et 24 mai) avec un enregistrement chez Naïve à la clef. L’opération est coorganisée par le Palazzetto Bru Zane, le centre de musique romantique française très actif: il s’agit donc à la fois d’un projet sur Dietsch et d’un projet qui consiste à présenter la version parisienne du vaisseau de 1841 (encore que la version de 1860 fût aussi composée pour un concert parisien), celle sans la “rédemption” et celle qui est obligatoirement jouée en un acte, mais aujourd’hui, on joue Der fliegende Holländer sans entracte dans la plupart des théâtres, y compris la version de 1860.
C’est une initiative intelligente, stimulante, et bien accueillie par le public grenoblois.
Mais voilà, l’auditorium de la MC2 a une acoustique très réverbérante, avec un son très présent et prononcé qui convient aux récitals d’instruments solistes et à la musique de chambre ou à des formations symphoniques moyennes (musique du XVIIème, XVIIIème, romantique) mais à cause de son podium réduit, à cause de son toit assez bas, elle ne convient pas au grand répertoire symphonique qui a besoin de plus espace. Or, Der fliegende Holländer, par son urgence, sa dynamique, ses chœurs importants a besoin d’espaces plus larges et le son nous arrive ici avec un volume excessif, même si la proximité des chanteurs et des musiciens n’est pas désagréable.
La première remarque est donc cette inadéquation du lieu, peut-être eût il mieux convenu d’utiliser la salle de théâtre, plus volumineuse, qui a une fosse, pour une représentation semi-scénique: c’est évidemment une opinion, qu’on peut discuter.
On sait les Musiciens du Louvre-Grenoble plutôt spécialisés dans un répertoire plus ancien (le XVIIIème), et même si la musique romantique est jouée désormais depuis longtemps aussi par des instruments d’époque (voir l’Orchestre Révolutionnaire et Romantique), cette incursion dans un opéra de Wagner pouvait apparaître saugrenue pour  certains.
Certes le son est différent, plus âpre, plus rêche, cela s’entend dans les cuivres,  qui sont très découverts et un peu brutaux, on entend ordinairement des cuivres aujourd’hui beaucoup plus subtils, avec plus, beaucoup plus même de legato mais on doit applaudir l’engagement de l’ensemble de l’orchestre, très impliqué, très vif, très dynamique, très jeune avec des moments particulièrement réussis (La tempête du début du troisième acte, avec le très bon chœur  de Chambre Philharmonique Estonien). Le jeu des musiciens, la manière d’aborder l’œuvre, peuvent être discutés, mais il reste une vraie “franchise” dans cette manière d’aborder Wagner.
En revanche la direction de Marc Minkowski ne fait rien pour adoucir les effets ou donner un peu de raffinement. Certes, la version de Paris doit plutôt être jouée “haletante”, dynamique et énergique dans la tradition des opéras de Weber ou de Schubert, ou même des premiers opéras de Wagner. Mais là, avec  l’acoustique et l’interprétation du chef, on a une sorte de double peine: manque de souplesse, manque de couleur,  un volume  excessif en permanence, et un manque de subtilité: on l’entend dans le duo Senta/Hollandais du deuxième acte, dont l’une des qualités est la douceur de l’accompagnement orchestral, si bien réussi par Daniel Harding la semaine dernière, et ici presque gênant qui casse une peu la magie musicale.
Du côté des chanteurs, c’est plutôt une très agréable surprise, car la distribution réunie est jeune et remarquable dans son ensemble. À la différence de Versailles, où le Hollandais était confié à Vincent Le Texier, pour l’enregistrement à Grenoble, c’est Evguenyi Nikitin qui est le Hollandais, a priori un joli coup qui place en vedette celui qui devait le chanter à Bayreuth l’an dernier et qui en a été exclu à cause d’un tatouage nazi malencontreux. Il chante dans tous les grands théâtres, et donc on s’attendait à une prestation magnifique. Las, c’est une déception, comme dans Klingsor à New York en février dernier (dans le magistral Parsifal dirigé par Daniele Gatti). La voix est mal projetée, elle reste mate et sans vrai volume (même dans cette salle si favorable), il semble très fatigué, et sans aucun engagement (ce qui tranche avec les autres chanteurs) même si la diction est correcte et que le timbre reste beau. Mais il n’a rien d’un Hollandais réclamé dans les grandes scènes internationales: quelle différence abyssale avec Michael Volle la semaine dernière à Berlin qui était si émouvant et si présent.
Face à lui, une découverte, la jeune basse finlandaise Mika Kares (en Donald, c’est à dire Daland) basse profonde qui rappelle un autre finlandais, Matti Salminen, même si le physique est très différent. Très bien préparé, le chanteur est le seul à essayer de jouer un peu, de créer des interactions, car il chante sans partition. L’entrée en scène au premier acte, le duo du premier acte sont vraiment des moments magnifiques: il faut vraiment revoir en scène cet artiste, qui est une authentique révélation.
Le Georg (Erik) d’Eric Cutler a la technique américaine, très contrôlée, avec un centre étendu, des aigus bien négociés, une voix suffisamment large (car Georg/Erik n’est pas une voix légère): certes, dans les ensembles avec un orchestre au volume qui assomme dans la salle, notamment à la fin, on l’entend mal, mais son élégance dans le duo avec Senta montre vraiment les qualités de l’artiste, à réentendre dans Belmonte ou Tamino.
J’ai déjà plusieurs fois signalé Bernard Richter, ténor suisse d’une suprême élégance, à l’aigu très sûr, au timbre superbe, à la diction modèle, que j’avais découvert dans Don Ottavio à l’Opéra de Paris l’an dernier mais qui y chante régulièrement depuis 2006. Un Steuermann très maîtrisé, presque trop “beau” pour le rôle.
J’ai revu avec plaisir Hélène Schneiderman, en troupe à Stuttgart depuis 1984, qui a aussi été à Heidelberg où j’ai vécu, et qui y avait laissé une trace profonde,  une chanteuse toujours “honnête”, toujours préparée, toujours présente, dans Mary, qui n’est pas un rôle de grand relief, et dans lequel elle ne démérite pas.
Enfin, terminons par une autre découverte, Ingela Brimberg, un soprano suédois dans la grande tradition des voix suédoises au volume étonnant, à la technique solide, aux aigus perçants et parfaitement placés, avec une couleur un peu froide qui rappelle beaucoup Lisbeth Balslev. L’acoustique de la salle rend ses aigus énormes et presque trop volumineux, mais dans une salle ordinaire d’opéra, nul doute qu’elle ferait merveille. En tous cas, une Senta de grande allure, sans une faiblesse, avec un engagement qui tranche avec son partenaire Nikitin. Là aussi une jolie révélation.
Au total et malgré mes réserves sur l’orchestre et le chef, une entreprise justifiée, très soignée, et ma foi, riche de potentiel pour tous ces jeunes chanteurs, un vrai Fliegende Holländer, qui rend clairement justice à l’œuvre, sans doute une première pour Grenoble et les grenoblois n’ont pas été volés!
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BAYREUTHER FESTSPIELE 2012: DER FLIEGENDE HOLLÄNDER le 31 juillet 2012 (Dir.mus: Christian THIELEMANN, Ms en scène: Jan Philipp GLOGER)

Depuis 34 ans, pas une production de “Der fliegende Holländer” n’a raté son rendez-vous avec Bayreuth, c’est de loin la production la mieux servie et musicalement et théâtralement.

Simon Estes (Production Kupfer)

Toutes les productions ont peu ou prou marqué le spectateur à commencer par la plus juste et la plus impressionnante de toutes,

Le décor du duo Senta/Hollandais (Kupfer)
Production de Harry Kupfer

celle de Harry Kupfer (1978), dirigée par Dennis Russell Davies, puis Woldemar Nelsson, avec Simon Estes, Matti Salminen et Lisbeth Balslev, dont il existe un DVD, à acheter séance tenante, aussi pour la version du Vaisseau sans rédemption finale.

 

 

 

La fameuse maison qui tourne, symbole de la production de Dieter Dorn

 

Puis vint Dieter Dorn, avec sa maison tournante,

Production Dieter Dorn

qui fit de grand souvenirs, notamment pour la direction de Giuseppe Sinopoli et ses deux basses, Bernd Weikl et Hans Sotin, avec la Senta de Elisabeth Connell ( à la fin Cheryl Studer).
Ces deux dernières productions furent présentées 7 fois au Festival, un record!

La dernière, celle de Claus Guth, plus psychanalytique, était aussi réussie, mais peut-être moins intéressante musicalement et surtout vocalement (John Tomlinson, les dernières années, n’avait plus la voix d’antan).

Production de Claus Guth

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C’est un metteur en scène peu connu du grand public, jeune (il est né en 1981), et très apprécié des spécialistes, Jan Philipp Gloger, actuel metteur en scène attaché au Stadttheater de Mayence qui est l’artisan de cette nouvelle production du Festival, avec les décors de Christof Hetzer et les costumes de Karin Jud.
A y bien réfléchir, la mise en scène allemande est fondée sur la figure de la métaphore: tout récit, toute histoire apparaissant une métaphore d’autre chose, d’un contexte, d’une époque, d’un destin humain. De plus, les trois mises en scènes de Lohengrin, Tannhäuser et ce Fliegende Holländer réfléchissent avec des fortunes diverses, à la signification des œuvres de Wagner aujourd’hui: il s’agit de montrer ce que ces récits mythiques disent de nous, hic et nunc, et après tout c’est bien la fonction du mythe que de nous éclairer sur le sens de notre vie.
La métaphore sur laquelle Jan Philipp Gloger réfléchit, c’est celle de l’Océan, force contre laquelle on ne peut rien et qui nous entraîne malgré nous. Et l’Océan, c’est ce monde qui nous ballotte et nous domine, contre lequel toute révolte est inutile, bien que nous nous dressions contre les éléments. Gloger et son décorateur Christof Hetzer voient l’Océan comme une structure complexe qui nous domine, une sorte d’entrelacs de circuits électriques, de néons, de chiffres qui défilent comme les sommes englouties en bourse, ou même comme une ville vue du ciel avec ses milliers de lumières qui dessinent les rues. En bref, notre monde, dominé par l’horreur économique et productive.
Ils s’inspirent étroitement des écrits de Wagner sur le Hollandais, ou de certaines phrases du livret. pour faire du Hollandais un marginal qui a quitté ce monde pour en chercher un autre, et qui ne réussit pas à changer de peau. Ce marginal arrive avec sa valise à roulette, buvant un café Starbucks dans un verre de carton, comme un cadre d’aujourd’hui, et pendant son monologue répond aux sollicitations des garçons d’hôtel, des femmes (une prostituée, une masseuse d’hôtel) mais il les renvoie, il les fuit,  c’est l’un de ces grands voyageurs désireux de commercer et d’ouvrir des routes commerciales, comme lors des grandes découvertes, et qui prend conscience de la vanité de cette vie, sans réussir vraiment à trouver le repos et tentant plusieurs fois le suicide: il s’ouvre les veines durant son monologue.

Ouverture de la valise pleine de billets (Bruns/Selig/Youn)

En rencontrant Daland, et le Steuermann, il rencontre de purs produits de cette horreur économique, des êtres qui ne pensent qu’argent, achat et vente, d’où la facilité avec laquelle Daland vend sa fille.
Dès le second acte, toute l’action va se dérouler sur un plateau, comme une scène couverte par une structure métallique comme on voit les scènes en plein air, et l’histoire de Senta et du Hollandais va se dérouler comme un “pezzo chiuso”, comme un espace clos de deux êtres qui se trouvent. Car il y a immédiatement entre les deux un véritable amour, et non la recherche d’un intérêt pour le Hollandais à attirer la jeune fille. C’est un coup de foudre.
Transposant toute l’histoire Gloger fait des fileuses des employées d’usine qui emballent des ventilateurs (Le Hollandais ne cesse de parler de vent) dans des caisses en carton.

Les jouets de carton de Senta

Avec ce carton, Senta, au lieu d’emballer comme les autres, fait des découpages et découpe un bateau, une statuette (le Hollandais évidemment), des maisons, des fleurs, du feu, en bref toute l’histoire du Hollandais dont elle rêve. Leur rencontre et leur duo se déroulent dans cet espace, et leurs silhouettes, ainsi que celle des jouets de carton, se projettent en ombre donnant à la scène une réelle puissance, et pour finir, le Hollandais donne à Senta des ailes de carton et une torche, qui lui donne une petite allure de statue de la liberté: Senta et le Hollandais sont semblables, deux marginaux perdus dans ce monde dont ils ne veulent pas. La foule, le peuple, sont sans cesse manipulés, par le Steuermann notamment, sorte d’homme de main de Daland: l’infantilisation du monde qui dit oui à l’argent et à l’argent seulement est l’un des traits marquants de cette production, qui fait de la société où évoluent les personnages une société sans âme, sans autre but que de produire et faire du fric.
Au milieu, le Hollandais et Senta vivent un amour qui ne peut que se heurter aux autres, même si Daland a plongé dans la valise à billets pour vendre sa fille à ce marchand si offrant. Au moment de grande scène du début du troisième acte, c’est toute la production  qui est remise en question, on brûle tout (le Hollandais et Senta brûlent les billets de banque) et les matelots (ici les membres du clan du Hollandais) se heurtent aux autres, obligeant le Hollandais à renoncer à vivre l’amour, et à demander à Senta de le suivre dans la mort, puisqu’il est impossible d’aimer ici bas: elle se remet ses ailes de carton, elle reprend sa torche, elle se poignarde, lui aussi et ils s’enlacent dans leur sang et dans leur amour, perchés au sommet d’une montagne de caisses de carton.
Rideau.
Musique de la rédemption par l’amour.
Le rideau s’ouvre à nouveau et des ouvrières emballent désormais des statuettes de carton représentant le couple enlacé qu’on va vendre à la place des ventilateurs. La rédemption, c’est la rédemption par l’argent, tout ce qui reste au monde d’aujourd’hui. Ils meurent, et leur mort ne résout rien. Elle accentue le cynisme du monde.
J’ai essayé d’expliquer l’essentiel d’une mise en scène copieusement huée (une dame horrifiée dès le début a crié “peinlich”  puis est sortie), mais qui, vu le parti pris, est plutôt cohérente, et en phase avec ce qu’écrit Wagner sur son œuvre, ainsi qu’avec le livret. Il y aura bien des points à clarifier, notamment le rôle des chœurs, et du peuple, la présence d’une barque dans laquelle dorment Daland et le Steuermann. En tous cas, même si elle surprend, plus de vaisseau – il est vraiment fantôme!-, plus d’Océan remplacé par cette structure métallique immense, plus de fileuses,  l’histoire est là, et une histoire centrée sur ces deux êtres qui se trouvent et qui vivent un instant de bonheur, plutôt que la seule histoire du Hollandais qui en général est plutôt un égoïste qui entraîne une jeune fille dans la mort pour résoudre son problème, mais sans  rédemption par l’amour, dans un monde où la seule valeur est l’argent.
Pour son entrée à Bayreuth, Gloger a montré qu’il savait ce que théâtre voulait dire, qu’il savait lire un livret, qu’il suivait aussi la musique, car tous les mouvements sont très en phase avec la musique.
Une musique dirigée par Christian Thielemann, bien meilleur à mon avis que dans Tannhäuser, avec une ouverture vraiment fantastique d’énergie, de dynamisme, de lyrisme et un parti pris qui tourne le dos à l’idée que Der Fliegende Holländer serait un opéra romantique, avec ses airs, ses duos, un peu “à l’italienne”. C’est une direction qui montre le Wagner du futur, avec des ruptures de tempo certes, mais aussi avec une fluidité, une continuité, un suivi du texte exemplaires; ce parti pris a surpris certains spectateurs, qui l’ont violemment hué. Une approche non conventionnelle, et plutôt réussie à mon avis. Sans parler de l’orchestre absolument impeccable, sans un seul raté, sans une seule scorie, avec un équilibre sonore phénoménal (ce qui nous changeait de Jordan la veille) et un chœur sur lequel il n’y a rien d’autre à dire qu’époustouflant.
Du côté des chanteurs, le remplaçant de Nikitin, Samuel Youn, s’en sort très bien: voix claire, diction impeccable, très beau timbre, art de la coloration. Il y a bien quelques signes de fatigue, mais le personnage est vraiment incarné, présent, engagé. Une belle (et inattendue) prestation. Je ne pense pas que Nikitin aurait fait mieux.
Le Daland de Franz Josef Selig est aussi “incarné” et la différence de voix entre les deux est frappante et caractérise parfaitement les personnages. Samuel Youn a plutôt une voix raffinée, et projette un personnage éduqué, voire aristocratique. Selig a une voix plus “brute” et donne au personnage une couleur moins élaborée, plus “popu” (ou comme on se l’imagine à l’opéra), Jean Gabin face à Pierre Fresnay, si vous voyez ce que je tente d’expliquer.
Les deux ténors s’en sortent très bien, Benjamin Bruns est un des meilleurs “Steuermann” qui m’ait été donné d’entendre, avec un jeu cynique accompli et une vraie présence scénique. Quant à Michael König en Erik, sans avoir un timbre follement séduisant, il a de l’énergie et de l’engagement qui en font un vrai personnage lui aussi très différent en diction et en couleur du Hollandais: on comprend que Senta le repousse…
Christa Mayer est une Mary sans relief, on a vu mieux.

Adrianne Pieczonka

Mais le vrai et seul problème de la distribution, c’est la Senta de Adrianne Pieczonka. La voix n’est pas (plus?) faite pour ce rôle qui exige un volume qu’elle n’a pas montré, des aigus qui ne se resserrent pas et des graves qu’elle n’a plus.. Seul le registre central est acceptable, mais le reste est vraiment insuffisant: le personnage est là, tache rouge sang dans un océan de gris, l’énergie est là aussi, mais une énergie scénique qu’on ne réussit pas à retrouver dans la voix. La ballade est décevante, les aigus de la scène finale sortent mal. Pour ma part, il s’agit d’une erreur de distribution, et c’est dommage pour une artiste de valeur comme elle.
Au total, une soirée très défendable, qui n’atteint pas de sommets, mais qui passe très nettement la rampe, même si je ne pense pas que cette lecture qui a volontairement fui la thématique du Hollandais “projection de Senta” (chez Guth comme chez Kupfer) et qui a tenté de travailler sur l’amour, dans un monde sans amour, marquera au même niveau que les productions précédentes auxquelles je faisais référence, mais on s’y habituera vite. Musicalement, on a entendu quelques buhs, injustifiés et dans l’ensemble avec les réserves exprimées, on tient là un bon niveau.
Et voilà, Bayreuth 2012 c’est fini pour moi, rangé dans les souvenirs, avec un inoubliable Lohengrin et un grand Tristan. Si on y ajoute un Hollandais acceptable, le cru 2012 peut se boire sans crainte, à quelques bouteilles près. 2013, ce sera une autre histoire et on y pense déjà avec angoisse et délice…
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BAYREUTHER FESTSPIELE 2012: L’AFFAIRE EVGUENYI NIKITIN (DER FLIEGENDE HOLLÄNDER)

Evguenyi Nikitin

Evguenyi Nikitin, qui devait chanter Der Holländer dans la nouvelle production de Der Fliegende Holländer dirigée par Christian Thielemann et mise en scène par Jan-Philipp Gloger s’est retiré du Festival de Bayreuth.
Le journal Bild am Sonntag a révélé que Nikitin avait des tatouages nazis sur le corps, la magazine Der Spiegel a confirmé. Ces tatouages remontent à l’époque où Nikitin appartenait à un groupe Heavy Metal ou Gothique (je ne sais pas trop faire la différence), une faute de jeunesse qu’il regrette amèrement, a-t-il déclaré.
Après une entrevue avec la direction du Festival, il a décidé de se retirer. La direction du Festival, très sensible à tout ce qui peut évoquer le passé auquel le Festival de Bayreuth a été lié pendant les années noires du nazisme en Allemagne et fermement décidée à ne jamais laisser entrer le ver dans le fruit (voir la mise en scène très critique des Meistersinger von Nürnberg de Katharina Wagner) ne transigera jamais sur ces questions.
La situation pour l’administration du festival est délicate, à trois jours de l’ouverture du festival et de la Première de la nouvelle production. Elle a demandé à Samuel Youn, très bon chanteur découvert dans la production de Lohengrin mis en scène par Hans Neuenfels où il chante Der Heerrufer des Königs (le héraut) de reprendre le rôle au pied levé.
Je ne suis pas loin de penser que cette malheureuse affaire, révélée par la presse, ne soit une manière de déstabiliser la direction bicéphale du Festival, qui a beaucoup d’adversaires en Allemagne. Au-delà du lamentable cas de Nikitin, beaucoup considèrent que les deux soeurs Wagner n’ont pas le poids suffisant pour assumer la direction du Festival de Bayreuth. Je pense qu’on va avoir de nombreux débats pendant la préparation de Bayreuth 2013, prenant prétexte de la production du Ring par Frank Castorf, et peut-être quelques polémiques bien ciblées, dont celle-ci est un prélude.
Il reste que le départ de Nikitin était, politiquement, une obligation. Enfin, beaucoup de bruits courent sur les opinions politiques de Christian Thielemann (voir la polémique sur son programme Strauss avec les Berliner Philharmoniker en Mai 2011), et lui est fermement ancré à Bayreuth. Il a d’ailleurs fortement condamné le chanteur, tandis que l’Opéra de Munich critique une décision précipitée…A qui profite le crime?

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Samuel Youn en Héraut dans la production de Lohengrin de Hans Neuenfels