TEATRO ALLA SCALA 2010-2011 à la TV: LA WALKYRIE retransmise sur MEZZO (7 décembre 2010)

Il y a une quinzaine d’années, La Walkyrie ouvrait la saison de la Scala dans une mise en scène d’André Engel, avce Riccardo Muti au pupitre et Placido Domingo en Siegmund et Waltraud Meier en Sieglinde. Quinze ans après, Waltraud Meier est encore la lumière de la distribution, avec une voix sans doute moins éclatante, mais d’une intensité qui écrase le reste de la compagnie.

Ce qui m’a frappé c’est d’abord une mise en scène qui tranche avec le travail sur l’Or du Rhin, beaucoup plus novateur et complexe que cette Walkyrie où Cassiers après avoir posé les enjeux individuels, les enjeux de pouvoir et de passion dans l’Or du Rhin, choisit simplement de raconter l’histoire, de manière assez traditionnelle au total, au point qu’il semblerait presque que prologue et première journée n’ont pas été mis en scène par la même main. Comme Peter Stein et Klaus Michael Grüber à Paris, ce sont deux univers qui nous sont présentés, la Walkyrie se réinsérant dans une vision presque habituelle: Wotan cheveux longs et visage à moitié noirci, traces de ce noir sur les visages de Sieglinde et Siegmund, Siegmund en une sorte de trappeur, Brünnhilde et Fricka en grandes bourgeoises. Vocalement, Simon O’Neill est très honnête dans Siegmund, sans être transcendant, Ekaterina Gubanova  est une Fricka solide, Nina Stemme est une très grande Brünnhilde, engagée, à la voix éclatante. Est-elle émouvante? Je verrai en salle, mais j’ai quelques doutes John Tomlinson est assez fatigué en Hunding, et pourquoi en avoir fait un homme très mur ? Assez convaincant le Wotan de Vitalij Kowaljow, mais j’aurais préféré entendre René Pape, magnifique dans l’Or du Rhin en mai dernier.

La direction de Barenboim m’est apparue moins énergique que par le passé, voire un tantinet “molle” mais toujours aussi lyrique même si je lui préfère Jordan à Paris par exemple.

Le spectacle est de grande tenue, utilise abondamment des effets video, très moderne d’apparence, avec de très belles images: le début avec le jeu d’ombre des deux héros et la vision de l’intérieur de la maison avec la cheminée qui brûle constitue un lever de rideau très poétique, le monde “vert” du second acte et le magnifique tableau de la chevauchée qui ouvre le troisième acte. il ne m’a pas convaincu en revanche dans la manière de diriger les acteurs (c’était aussi un problème dans l’or du Rhin), les attitudes restent assez conventionnelles, le second acte sans solution pour gérer ces longues scènes et ces longs récits. Bref, il me semble que si Cassiers a fait le choix de l’histoire et du récit sans prendre trop de distance par rapport rapport à l’intrigue, il n’a pas trouvé la voie d’une révélation qui nous apprendrait quelque chose de neuf sur l’oeuvre mais a choisi de travailler le visuel d’une manière particulièrement fine. En ce sens c’est décevant d’un côté, remarquable de l’autre. Mais honnêtement, il me faut attendre pour me faire une opinion définitive. Il reste qu’il ne me semble pas que cette mise en scène fasse partie des futures légendes de la scène.

METROPOLITAN OPERA 2010-2011 (vu à Budapest sur grand écran): DAS RHEINGOLD (James LEVINE, Robert LEPAGE) le 9 octobre 2010

Quand on ne peut traverser l’Atlantique, le MET vient à nous via les ondes, et investit 500 cinémas environ dans le monde pour présenter ses nouvelles productions. En France, cela coûte 27 Euros. C’ est une redoutable machine de guerre mise au point par Peter Gelb, le Manager du MET qui a commencé ses retransmissions aux Etats Unis, évitant ainsi les coûts de la traditionnelle tournée du MET de jadis, et attirant des foules de spectateurs. Le système a été étendu au monde entier  et l’on pouvait voir dans les salles ce 9 octobre la nouvelle production très attendue de Rheingold, première journée du nouveau Ring du MET confié à Robert Lepage et à la baguette de James Levine, qui fête sa quarantième saison au MET. Des expériences similaires ont eu lieu pour d’autres théâtres en Europe, mais elles restent ponctuelles et n’ont pas le retentissement de ce programme venu de New York et qui attire de plus en plus de public.
Ne pouvant voir ce spectacle ni à New York, ni en France, je l’ai vu à…Budapest, au Palais des Arts, ce bâtiment récent dédié à la musique et aux Beaux Arts, qui abrite un théâtre, une salle de concert, un auditorium et un Musée d’art contemporain, le fameux Musée Ludwig. Pas une place de libre, une queue impressionnante, Wagner fait recette ce soir!

La soirée commence par un reportage d’une vingtaine de minutes sur la préparation du spectacle et les premières répétitions. Cette nouvelle production du Ring est pour le MET le spectacle le plus complexe jamais monté. Il a nécessité de consolider les dessous de la scène pour installer le dispositif impressionnant qui occupe l’espace: un plateau complètement désarticulé, composé d’éléments indépendants les uns des autres qui tournent sur eux mêmes par un système hydraulique et sont tantôt un plateau, tantôt un mur, tantôt un plan incliné, tantôt un escalier, tantôt tout cela à la fois, sur lequel sont projetés des vidéos. Certaines videos fonctionnent et varient selon l’intensité de la musique: vidéo, informatique, éclairages, décor unique et multiple délimitant des espaces variés, bref, un travail impressionnant.
La distribution est germano-américaine, à l’exception notable du gallois Bryn Terfel, qui signe son premier Wotan et de l’irlandaise Patrica Bardon (très bonne Erda). Bien sûr il est difficile, n’étant pas dans la salle, d’apprécier vraiment une voix, notamment son volume, mais sur le plan de la justesse, de la diction, de l’engagement et de l’interprétation, on peut dire que l’ensemble est une grande réussite. Bryn Terfel est un Wotan exceptionnel, il a à la fois l’autorité et l’assise, mais c’est aussi un interprète  de tout premier ordre, variant la couleur, le ton, l’émission. L’américaine Stéphanie Blythe est une surprise; une Fricka en tous points remarquable, voire stupéfiante de vérité et d’intelligence du texte même si le physique est un peu ingrat, mais la voix est splendide. Eric Owens est Alberich, je ne connaissais pas ce chanteur qui impressionne par sa puissance et la qualité de son engagement, Mime est Gerhard Siegel, comme toujours excellent. Les géants (Hans Peter König et Franz Josef Selig), les dieux, Dwayne Croft (Donner), Adam Diegel (Froh) Wendy Bryn Harmer (Freia),sont tous au meilleur, le Froh d’Adam Diegel devrait faire une belle carrière de ténor; seul Richard Croft déçoit dans Loge, la voix ne sort pas et l’interprétation reste assez neutre, sans la caractérisation marquée qu’on attend habituellement d’un Loge, alors que la mise en scène lui accorde une importance considérable; quant aux trois filles du Rhin, elles sont à la fois convaincantes et étonnantes tant la mise en scène exige d’elles des acrobaties peu communes. James Levine, très amaigri,  très fatigué, réussissant à peine à marcher dirige un Rheingold somptueux à tous égards, fluide, éclatant, contrasté, très différent d’il y a deux ans pour les adieux à la vieille production de Otto Schenk. Donc une très grande réussite musicale.
J’avais écrit il y a quelques mois ces mots

Enfin, last but not least, le MET est engagé dans l’entreprise la plus complexe de son histoire, aux dires de Peter Gelb, son directeur, en confiant le Ring à Robert Lepage, ce qui pourrait bien être la production que nous attendons tous. Jusque là les spectacles d’opéras de Lepage, son travail sur les contes, sur Shakespeare, ont montré que c’est un incomparable raconteur d’histoire, un conteur scénique qui fait à la fois rêver et frémir. Le Ring lui va comme un gant, et cela fait douze ou quinze ans que j’attends cela tant ses spectacles me faisaient désirer un Ring. Réponse dans deux ans.”

C’est bien l’histoire qui nous est racontée, de manière assez traditionnelle, mais soulignant de manière souveraine les relations entre les personnages, faisant de Wotan un personnage immédiatement contradictoire, presque un perdant, et de Loge au contraire le centre de l’attention. Lepage souligne l’humanité de Fasolt déchiré par le départ de Fricka et l’on se souviendra d’images stupéfiantes:  Alberich mêlé aux Filles du Rhin chantant “Rheingold, Rheingold”, Freia dans un filet de pêche couverte de l’or du Nibelung, et bien entendu la scène finale, où les Dieux grimpent sur l’arc en ciel, et entrent dans le Walhalla qui se referme comme une forteresse, pendant que Loge resté dehors contemple le spectacle; Mais ce qui domine et qui frappe, c’est évidemment la maîtrise technique et la performance technologique, même si on percevait quelques bruits suspects, la précision du dispositif video, la beauté des images et des couleurs, la justesse des costumes, élaborés entre une vision à la Matrix et ce qu’on se représente des contes scandinaves, à la fois traditionnels et très modernes, l’extraordinaire précision des éclairages, tout cela fait qu’à la fin on en sort à la fois étonnés et ravis. La retransmission est cependant pour mon goût trop centrée sur les visages (vus de beaucoup trop près) et les individus, on aimerait plus de vision d’ensemble. mais on n’est évidemment pas dans la salle “quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a”.
Même si la Walkyrie en avril-mai prochain affiche complet, je vais essayer d’y aller car c’est bien trop tentant, en tous cas, on n’échappera pas à la semaine new yorkaise quand le Ring complet sera à l’affiche, à n’en pas douter, un événement se prépare et si vous n’allez pas à New York, réservez votre 14 mai pour aller voir La Walkyrie dans un cinéma près de chez vous!

BAYREUTHER FESTSPIELE 2010: GÖTTERDÄMMERUNG le 1er août 2010 (Christian THIELEMANN – Tankred DORST)

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Ce Ring se termine donc. Il ne laissera pas trop de regrets ni même de souvenirs. Rares sont les images marquantes, rares les moments de théâtre. Néanmoins, par rapport à mon souvenir de 2006, j’ai beaucoup plus apprécié la direction de Christian Thielemann. Maîtrise incontestable des équilibres, clarté des pupitres (il est vrai que l’acoustique de Bayreuth est exceptionnelle), rondeur des sons, beaux effets symphoniques. Il reste que pour mon goût elle manque tout de même de dramatisme, notamment dans l’Or du Rhin. Thielemann s’inscrit dans la tradition du classicisme allemand, des grands Kapellmeister. Ce type de figure manquait sans doute à Bayreuth depuis Horst Stein, ou même Wolfgang Sawallisch, et manquait aussi au marché des chefs d’orchestre : peu de grandes phalanges allemandes de référence (Munich, Berlin) sont dirigées aujourd’hui par des chefs germaniques: on trouve Rattle, Barenboim, Nagano, Jansons. Thielemann est une figure nécessaire dans le paysage, même si d’autres chefs allemands me semblent plus intéressants et originaux, Ingo Metzmacher par exemple, voilà un chef pour Wagner, et porteur d’une vraie vision. Espérons.

Il reste que Christian Thielemann propose un Ring de haute tenue, et de grande qualité musicale: c’est heureux. Rappelons que le dernier (mise en scène Jurgen Schlimm) confié à Giuseppe Sinopoli en 2000, décédé après la première édition, avait été confié ensuite à Adam Fischer, excellent chef pour Wagner, mais qui n’avait pas l’aura d’un Thielemann. Après ce Ring, Thielemann dirigera Der Fliegende Holländer en 2012 et Tristan en 2015 (mise en scène Katharina Wagner), il aura alors dirigé tous les opéras à Bayreuth. L’arrivée d´Andris Nelsons, puis en 2013 pour le Ring du très attendu Kirill Petrenko, devrait imposer le passage de relais à la nouvelle génération, bien que pour 2013, les grands anciens (Barenboim, Levine essentiellement) aient marqué leur disponibilité à la nouvelle direction.
Tout le monde ici se demande qui mettra en scène le Ring de l’année Wagner (2013), les deux directrices n’ont pas exclu de faire appel à quatre metteurs en scène différents, ce qui serait une curiosité esthétique plus que discutable, mais certainement très efficace pour faire s´agiter la presse et les aficionados. En tous cas, pas de discussions passionnées ici pour le travail de mise en scène : le Crépuscule des dieux confirme ce qui a précédé. Le concept pourrait être intéressant s´il était bien réalisé, mais c´est vraiment raté.

On vient écouter Wagner à Bayreuth pour se remplir d’émotions, or aucune image, aucune scène ne répond à ce besoin. Le seul moment d’émotion authentique, c’est la marche funèbre qui suit la mort de Siegfried, à rideau fermé… Aucun effort pour proposer une image tant soit peu poétique, sinon cette vision finale du couple d’amoureux ou de l’enfant qui joue, c’est maigre après une scène d’embrasement du Walhalla où tout le monde circule en tous sens, comme lors d’un incendie « humain », empêchant de se concentrer sur l’image apocalyptique que toute la salle attend. Eh, oui, une fois de plus, on pense à Chéreau, mais aussi à Kupfer : on pense à l’émotion qui étreignait, à mesure que les notes s’égrenaient et que le spectacle allait se clore. Émotion de la fin du Ring, émotion de la fin d’un spectacle magique.

Rien de tout cela ici.

Et pourtant, le Crépuscule est toujours à Bayreuth un moment particulier : après à peu près une semaine où l’on a eu la même place, les mêmes voisins avec qui on a lié conversation, où la vie s’est organisée autour du Ring, voilà que tout prend fin. Déjà la fanfare d’appel des spectateurs au troisième acte est lacérante, notamment la troisième fanfare, que tout le monde attend dans le silence, dans l’ambiance crépusculaire d’un doux soir d’été, avant de se précipiter dans la salle et c’est en voyant le Crépuscule des Dieux qu’on prend mieux la mesure de la monumentalité de l’œuvre, et du parcours que Wagner fait faire au spectateur. Pour toutes ces raisons, le spectateur est disponible pour se laisser aller à l’émotion.

regie.1280740565.jpgInutile de gloser sur une mise en scène indigente, sans direction d’acteurs, sans ligne directrice ferme: pourquoi cet homme déguisé en coq au deuxième acte ? Pourquoi un pique-nique clairement inspiré du Déjeuner sur l’herbe de Manet au moment de la mort de Siegfried ? Pourquoi une trentaine de paires de chaussures devant le décor du palais des Gibichungen ? Pourquoi une jeune dame déguisée en Fricka dorée ? On n’en finirait pas de poser des questions qui semblent sans réponse. Et malgré ces pointes surréalistes, une désespérante convention dans les gestes, les mouvements, et une totale absence d’interaction entre les personnages.
Du point de vue musical, Thielemann fait merveille ainsi que le choeur

choeur3.1280740841.jpgcomme toujours exemplaire, et Siegfried-Lance Ryan lance sa voix jeune et radieuse qui triomphe sans mélange au rideau final. La voix de Erik Halfvarson dans Hagen est en revanche fatiguée. c´est une voix grosse, qui crie trop fort, lancée dans une sorte de gueuloir, complètement détimbrée le plus souvent, et le personnage à peu près inexistant qui n’a ni l’aspect inquiétant, ni la force négative des grands Hagen.

alberich.1280740739.jpgAndrew Shore dans Alberich en revanche a l’élégance qui manque à son fils Hagen, une fois encore, son chant frappe par son style et les accents de la voix : un bel Alberich, même s´il n´est pas l´un des plus puissants. Ralf Lukas dans Günther éprouve des difficultés notamment dans les passages, mal négociés.

hagengunthgutrune.1280740532.jpgEdith Haller (Gutrune) ne s’en tire pas trop mal, mais a tendance à crier elle aussi. Les filles du Rhin et les Nornes sont toutes très bonnes (la scène des filles du Rhin au début du troisième acte est magnifiquement chantée). Quant à Christa Mayer (Waltraute), elle est plus à l´aise que dans Erda, mais ne laisse pas d´impression marquante. Reste Linda Watson, une Brünnhilde de plâtre qui lance ses aigus comme des flèches, mais dont on entend mal tout le monologue final, la voix noyée dans le flot orchestral. Les notes sont faites, sans musique, sans poésie, sans interprétation et sans aucun jeu, sinon un bras lancé par ci par là, pour tout dire, sans aucun, mais aucun intérêt.

Au total donc, un Rheingold passable, une Walkyrie décevante, un très grand Siegfried, et un Götterdämmerung sans âme, mais tout de même un orchestre de plus en plus somptueux et un chef de grande classe accompagnant une distribution faite de quelques diamants (les ténors) sans écrins. Cela reste insuffisant pour un tel lieu. Mais on oubliera vite ces années d’un Ring gris, en attendant le prochain, dans 3 ans.

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BAYREUTHER FESTSPIELE 2010: Die WALKÜRE le 28 juillet 2010 (Christian THIELEMANN – Tankred DORST)

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Après la déception de l’Or du Rhin, on pouvait espérer que La Walkyrie relèverait le niveau. Incontestablement, Christian Thielemann est cette fois au rendez-vous, grandiose, au classicisme monumental, mais très attentif aux menus détails de la partition, un vrai travail à la fois de sculpteur et d’orfèvre : cela m’a beaucoup plus frappé qu’il y a quatre ans où j’avais trouvé la direction sans âme et sans effets. Cette année, cette Walkyrie est nettement plus réussie à l´orchestre.

Pour le reste, la déception est presque totalement confirmée : le travail théâtral est inexistant, les idées intéressantes jamais exploitées : le lever de rideau du deuxième acte, claire allusion à un célèbre tableau romantique de Kaspar David Friedrich (Le Wanderer au dessus des montagnes) et tout le reste de l’acte qui se déroule dans un parc où sont remisées des statues de Dieux, et où Wotan est debout sur sa propre tête à demi enterrée, tout cela pourrait être une bonne idée qui se développe, mais n’est pas vraiment exploité, et les scènes restent marquées par un travail théâtral d’une banalité étonnante. Paradoxalement, la tendresse entre Wotan et Brünnhilde semble plus intéresser le metteur en scène que l’urgence de la passion entre Siegfried et Sieglinde : le premier acte semble si peu travaillé : il est vrai que Johan Botha n’est pas vraiment un acteur, mais il ne se passe rien entre les deux protagonistes, ils ne se touchent jamais, semblent empruntés, plâtrés par la situation et se contentent des gestes convenus du pire des opéras (main sur le cœur etc…) : la direction de Thielemann à ce moment, mais c’est bien le seul, pèche aussi par indifférence, rien n’est urgent, rien n’est haletant, aucun pulsation amoureuse.

Les voix sont là aussi en deçà, sauf Johan Botha, à la voix claire, puissante, bien posée, qui donne à Siegmund un relief vocal qui lui manque sur la scène, il obtient un triomphe mérité.

sieglhaller.1280484591.jpgEdith Haller est une Sieglinde honnête sans plus, dont les aigus du premier acte sont souvent criés, mais qui réussit son troisième acte, Hunding est Kwanchoul Youn, la basse abonnée au Festival depuis plusieurs années, un peu froid, un peu indifférent, sans rien de « terrible », où êtes vous les Salminen ou les Ridderbusch ? La Fricka de Mihoko Fujimura confirme la déception de l’Or du Rhin, la voix est présente, mais l’expression plate, le Wotan d’ Albert Dohmen affronte difficilement les aigus du rôle, ils sont péniblement négociés, au prix de trucages de respiration, et la voix est le plus souvent opaque, même si les qualités de diction du texte sont réelles.

brunnhwatson.1280484686.jpgLinda Watson (Brünnhilde) n’a jamais été une de mes chanteuses de prédilection : une grosse voix, mais pas de réel engagement. Cette fois-ci la grosse voix est moins grosse, bouge dangereusement au prix de sons peu convaincants et la prestation est médiocre. Quant aux Walkyries, elles n’ont pas l’homogénéité voulue pour chanter ensemble, et certaines hurlent en produisant de vilains sons en chevauchée solitaire. Désagréable.
Au total, sans Thielemann et son magnifique travail et sans Botha, une Walkyrie à oublier : à Bayreuth, un Ring avec un Wotan et une Brünnhilde problématiques, c’est tout de même un comble.

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BAYREUTHER FESTSPIELE 2010: Das RHEINGOLD le 27 juillet 2010 (Christian THIELEMANN – Tankred DORST)

J´ai voulu assister à la dernière année de ce Ring, pour voir si, à la cinquième édition de cette production, j’y trouvais un peu plus de prix qu’il y a quatre ans, lorsque je sortis furieux des représentations. Eh bien non : voilà un travail qui ne laissera pas de traces notables dans les mémoires, sinon celles d’une médiocrité affligeante.

Rappelons les circonstances : pour des raisons peu claires, Lars von Trier, à qui Wolfgang Wagner avait confié ce Ring, abandonne le travail à deux ans de la première : dans l’urgence, Wofgang Wagner confie à Tankred Dorst, un dramaturge très connu en Allemagne, peu contestable comme penseur et écrivain, la conception du Ring. Tankred Dorst, qui n’est pas metteur en scène, s’entoure d’une équipe nombreuse, au premier rang de laquelle son épouse, qui va mettre en image et en espace le concept développé, à savoir que le Ring se déroule en transparence dans notre monde, aussi périodiquement, voit-on sur la scène un photographe, des enfants qui jouent, un cycliste, des ouvriers, sans que ce concept, intéressant au demeurant, ne soit vraiment exploité scéniquement.

rhgld3.1280484989.jpgL’Or du Rhin qui ouvre le cycle est d’une totale platitude : les trois filles du Rhin (correctes) complètement habillées sont fixes au fond du Rhin pendant que des corps nus nagent (en vidéo) ou que des jambes apparaissent çà et là entre les galets. On se demande comment Alberich peut être saisi de fièvre érotique dans ces conditions. Alberich apparaît plus comme un animal malheureux qu’on plaint que comme le parangon du mal qui renonce à l’amour pour l’amour de l’Or.

Les dieux, installés sur une sorte de terrasse de béton, avec au fond un œil de pierre sensé être le Walhalla, sont de blanc (dans Walkyrie, ils seront en noir) vêtus, un peu comme des statues vivantes, aux cheveux de plâtre. Le jeu est justement emplâtré : il ne se passe rien, aucun travail d’acteur, des attitudes convenus, des voix très moyennes : Fricka (Mihoko Fujimura peu en forme) Freia (Edith Haller) indifférente, Wotan en réelle difficulté : où est l’Albert Dohmen triomphant du Fidelio d’Abbado (il chantait Pizzaro) ou des Meistersinger de Genève (un Hans Sachs vraiment convaincant) : la voix est ici éteinte, sans relief, sans puissance. Les géants sont acceptables (Diogenes Randes en Fafner et Kwanchoul Youn en Fafner, assez convenable), rien de notable à dire de Froh (Clemens Bieber) et Donner (Ralf Lukas). Les deux Nibelungen, Andrew Shore (Alberich) presque trop élégant pour le rôle, et Wolfgang Schmidt (Mime) sont en revanche parmi les mieux distribués. A ce plateau vocal très moyen, qui semble terriblement fatigué (il est temps que tout ça se termine) fait écho une direction de Christian Thielemann qui sauve l’ensemble, parce qu’elle est très en place, techniquement parfaite, parce qu’elle fait tout entendre. Il reste que l’interprétation reste en deçà de l’attendu, par le manque de dramatisme et d’adhésion à l’histoire : si tout est en place, rien n’est mis vraiment en relief. Dommage.
Au total, une soirée sans grand intérêt : on est triste pour les spectateurs qui ont attendu peut-être dix ans pour voir cela. Bayreuth reste un lieu fascinant, mais gare si la réalité détruit le mythe encore vivant…

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OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2009-2010: LA WALKYRIE à l’OPERA BASTILLE (Mise en scène GÜNTER KRÄMER, Dir.Mus: PHILIPPE JORDAN), le 20 Mai 2010

 

200620102128.1277111334.jpgAprès l’Or du Rhin en mars, la Walkyrie clôt cette première partie de L’Anneau di Nibelung, entamé cette année par Nicolas Joel, qui se poursuivra l’an prochain par Siegfried et le Crépuscule des Dieux. Cette entreprise, indispensable pour notre Opéra national, est à mettre au crédit de Nicolas Joel, même si le résultat artistique est pour l’instant pour le moins contrasté. Cette Walkyrie confirme la perplexité face au choix du metteur en scène Günter Krämer pour conduire le projet. Mais elle confirme aussi l’excellent choix du directeur musical Philippe Jordan, qui a de qui tenir, son père Armin Jordan ayant été un remarquable chef wagnérien, et qui est le triomphateur de la soirée -disons plutôt de la matinée-.
Commençons par le plus pénible, la mise en scène.
On avait remarqué déjà dans l’Or du Rhin des incohérences, des maladresses, une pauvreté conceptuelle qui laissait mal augurer de la suite. Cette Walkyrie, premier jour, n’est pas pire que le prologue, on pourrait même dire que l’ensemble est moins hideux. Disons seulement qu’elle confirme la pauvreté de l’entreprise et que ce spectacle sans vision, sans propos, sans structure ne laissera pas de traces indélébiles dans la mémoire, mais seulement des soupirs d’agacement. Trois actes, trois styles, trois orientations, Acte I, « Guerre des clans en Serbie », Acte II, « Vive les pommes », Acte III, « Panique à la morgue ».
Chéreau avait génialement introduit l’idée de clan ou de bande, lorsque Hunding entrait en scène, accompagné de ses hommes et qu’il entourait les deux enfants perdus (qui rappelaient vaguement ceux de “La Dispute” de Marivaux). Krämer la reprend, en commençant par évoquer la guerre des clans dans laquelle Siegmund est pris malgré lui, et les soldats de Hunding qui massacrent le petit peuple (on dirait bien des soldats serbes), entrent en forcent avec lui dans la maison. Des cadavres amoncelés en arrière plan, violence contre Sieglinde, violence de Siegmund contre Hunding menacé, tout cela est très démonstratif et va contre une musique très tendue, toute de violence rentrée au contraire. L’épée est dissimulée derrière un tableau qui , tiens tiens, représente un frêne, et que Sieglinde et Siegmund déchirent de manière un peu ridicule au couteau (le tableau est en papier…). Tout ce premier acte aux couleurs pseudo politiques, n’est pas vraiment passionnant et la mise en scène reste peu inventive, le travail sur l’acteur, inexistant, et tout ce qui pourrait donner vie, la pulsation érotique par exemple, est systématiquement éliminée. La direction très précise et analytique de Philippe Jordan manque quand même un peu d’éclat, de vie de sève dans cet acte et le duo final se traîne un peu.
J’ai appelé le deuxième acte « Vive les pommes » puisque la pomme est le motif central de l’acte, le fil rouge qui tient lieu de cohérence. Dans le Walhalla (nous sommes en haut de l’Echelle de Jacob menant au Walhalla (voir l’Or du Rhin) et les athlètes ont fixé les lettres du mot Germania (voir encore l’Or du Rhin), bientôt d’ailleurs les lettres GER disparaissent pour ne laisser que « ..mania »..Est-ce un autre signe à décrypter ?….Les Walkyries s’amusent au lever de rideau autour de la table des dieux et jouent avec des dizaines de pommes, symbole d’éternelle jeunesse (voir encore et toujours l’Or du Rhin, où ce fruit obsédait beaucoup le metteur en scène), Brünnhilde, lors de l’annonce de la mort, compose une sorte de chaîne de pommes, sans doute une ligne directe vers le Walhalla, et Siegmund, pour signifier son refus, donne un coup de pied vengeur dans le bel ordonnancement de fruits composé par Brünnhilde. Ce deuxième acte est très sage par ailleurs, il ne se passe pas grand-chose, sinon, seule vraie réussite de l’entreprise, les interventions de Fricka, magnifiquement portées par une Yvonne Naef royale en crinoline rouge sang, qui assiste au combat final Siegmund/Hunding en un face à face avec Wotan qui lui montre à la fin le cadavre de Siegmund avec un geste qui a l’air de dire « t’es contente, hein ? ».
Le dernier acte s’ouvre sur une sorte de morgue ou de salle de médecin légiste où des Walkyries infirmières nettoient les corps nus des héros morts (ouh la la ! comme c’est osé !!), la chevauchée des Walkyries, c’est « Panique à la morgue » où les cadavres s’amoncellent, passent sur la table, sont nettoyés, puis repartent régénérés.  Avec un baisser de rideau inattendu entre la deuxième et la troisième scène (le duo Wotan- Brünnhilde) car il faut bien – au mépris de la fluidité scénique à laquelle Wagner tenait tant, débarrasser le plateau des cadavres, des tables, des cuvettes, des torchons. Toujours pas la moindre attention au travail d’acteur, les chanteurs ne sont pas guidés, pas conduits, et font grosso modo ce qu’ils font partout. Une curiosité finale, Erda passe devant le brasier (après tout pourquoi pas), et Brünnhilde profondément endormie sur une table aux côtés du cadavre de Siegmund (on n’ose imaginer le futur réveil de Brünnhilde par Siegfried face au cadavre de papa !), se lève et va sous la table : elle ne peut dormir, elle devenue simple mortelle, au même niveau que le héros mort, et sous les yeux de tous (Walkyries, soldats) au fond dans l’ombre rougeoyante du brasier.
Krämer a repris à Braunschweig l’idée des fauteuils XVIII° (ici, ils sont noirs et non rouges) évoquant le Walhalla, il a repris à Chéreau et à d’autres l’idée de la bande de Hunding, il n’en a cependant rien fait : pas de mise en scène, un travail sans construction sans colonne vertébrale, sans aucun intérêt. Finalement mieux vaut ce deuxième acte sans grandes idées (mais avec des pommes) où les chanteurs sont laissés à eux-mêmes que des idées inutiles, qui ne disent rien de l’intrigue et sont souvent scéniquement mal réglées (une fois de plus, comme dans l’Or du Rhin, des sorties injustifiées: « Ein Quell » au premier acte où Siegmund demande de l’eau), et quelques incohérences des mouvements réglés dans l’espace scénique.
A ce travail médiocre et sans intérêt aucun correspond au contraire une réalisation musicale de qualité, même si la distribution, solide au demeurant, n’est pas totalement convaincante. Robert Dean Smith est un Siegmund émouvant, à la voix claire, si claire même qu’on se demande s’il arrivera au bout des « Wälse » des « Nothung » ou de l’accent final (« Wälsungenblut ») que même le grand Vickers rata un soir de MET avec Karajan. Son deuxième acte est plus pâle. La voix fatigue, l’orchestre la couvre. C’est dommage car le chant est engagé et l’interprétation prenante.  La Sieglinde de Ricarda Merbeth en revanche montre de bout en bout une voix très solide, mais l’interprétation reste froide (une seule lueur de passion au troisième acte), et un peu distante, comme d ‘habitude chez cette chanteuse qui n’a jamais réussi à me convaincre (son Elisabeth de Tannhäuser à Bayreuth me laissait totalement froid). Voilà une de ces voix qui « assure » sans séduire ni créer l’adhésion. Le Hunding de Günther Groissböck est solide et compose un personnage de soldat brutal et violent très crédible, tout comme le Wotan de Thomas Johannes Mayer, initialement prévu en complément de Falk Stuckmann pour trois représentations, et qui a jusqu’ici assuré toute la série. Sans avoir une voix éclatante, sans avoir un timbre exceptionnel, c’est sans doute celui qui est le plus expressif et qui suit les inflexions du texte avec le plus de précision, dans son personnage de perdant, de Wotan humain, trop humain. Une bonne prestation, face à la Fricka de très grande facture de Yvonne Naef, impériale en crinoline rouge, qui campe un vrai personnage avec une voix somptueuse, et particulièrement expressive, la meilleure du plateau. Des Walkyries-infirmières, on retiendra d’étranges notes raclées, des couacs gênants au moins au début du 3ème acte, avec une meilleure cohésion à la fin de leur scène, mais on les oubliera vite. Reste la Brünnhilde de Katarina Dalayman, avec ses aigus comme toujours plus tonitruants que chantés (ses « Hojotoho » initiaux), qui au total, même si cette chanteuse ne m’a jamais totalement convaincu, s’en sort avec les honneurs, même si je persiste à penser qu’on ne tient sûrement pas la Brünnhilde du moment, mais seulement la plus demandée du moment.

Le plus convaincant, c’est à n’en pas douter le chef. Je ne partage pas son option analytique et lente du premier acte, d’où n’émergent dans le duo final aucune pulsion, aucune vibration, aucun pathos. C’est l’ambiance pesante de la première partie qui gouverne la couleur donnée à l’ensemble de l’acte. On aimerait plus de rythme, on aimerait que la musique se laisse plus aller, mais Philippe Jordan n’a ni la fantaisie, ni l’imagination de son père. C’est un rigoureux constructeur, d’une redoutable précision, qui sait parfaitement accompagner le plateau et sait faire ressortir toutes les qualités de l’orchestre, même si quelques faiblesses se laissent encore percevoir (les cors…). Cordes somptueuses, bois et vents magnifiques. Le son charnu, plein, le souci de faire ressortir tous les niveaux, le relief font des deuxième et troisième actes des moments de référence. Une direction exemplaire même si quelquefois discutable, qui projette cette production au rang de celles qu’il faut aller écouter malgré ses failles et avec une distribution au total sans grands défauts ni grand éclat… Jordan sera sans aucun doute l’atout majeur de ce Ring, car pour le reste, la caravane peut passer.

200620102131.1277111443.jpgUne conclusion en demie teinte donc, avec la certitude maintenant bien installée d’un spectacle sans aucun intérêt scénique, faussement provocant, faussement analytique, et surtout complètement dépassé, celle d’une distribution honnête à très honnête, sans être celle de l’année loin de là, et un chef, qui sauve totalement la représentation par la qualité de son approche et le soin apporté à la « concertazione ». Pour le coup, le choix de Philippe Jordan comme directeur musical est une très bonne intuition de Nicolas Joel.

TEATRO ALLA SCALA 2009-2010: DAS RHEINGOLD (L’Or du Rhin), mise en scène Guy CASSIERS, direction Daniel BARENBOIM (19 mai 2010)

Les images se réfèrent aux reprises berlinoises

 

Après les déboires du Ring précédent, dirigé par Riccardo Muti, on attendait impatiemment l’Or du Rhin, confié pour la musique à la baguette de Daniel Barenboim et pour la mise en scène au flamand Guy Cassiers, directeur du Toneelhuis d’Anvers, une des figures les plus emblématiques du théâtre aujourd’hui. Le spectacle qui en sort, s’il est musicalement impeccable (Barenboim signe là une de ses interprétations les plus originales, parmi tous les Ring qu’il a dirigés), est aussi scéniquement fort, mais déconcertant par ses présupposés, sa nouveauté, et sa complexité. Deux longs articles éclairent dans le programme de salle la démarche de Cassiers, et leur lecture est plus qu’utile, elle serait même indispensable avant le lever de rideau. Le spectacle est complexe par ses exigences techniques, par le sens des images, par la présence obsessionnelle de danseurs qui collent aux chanteurs, les mettant quelquefois en porte à faux, par la multiplicité des regards et des points de vue: la complexité naît de l’exigence de regarder les chanteurs, mais aussi leur image video, ou les images qui accompagnent les scènes, et qui elles aussi racontent, quelquefois en décalage, l’histoire de l’Or du Rhin.

 

Alors commençons par l’interprétation musicale qui nous est apparue trancher avec ce que Daniel Barenboim propose habituellement: une direction bien sûr très attentive, mais aussi très analytique, qui ne laisse passer aucun détail musical, qui met en relief des phrases qu’on n’entendait pas forcément, qui suit avec scrupule le déroulement scénique, avec lequel elle apparaît totalement en phase (d’ailleurs, les dramaturges qui analysent les propositions de Cassiers citent Barenboim abondamment dans le programme). Il en résulte un travail tendu à l’extrème, au tempo bien plus lent que d’habitude, mais jamais ennuyeux ou à contresens,  moins éclatant, moins “Furtwänglerien” – on sait que Furtwängler est un des grands maîtres de Barenboim dans les interprétations wagnériennes- mais d’une redoutable précision, d’une grande rondeur sonore: il obtient de l’orchestre de la Scala une maîtrise technique qu’on ne lui connaissait pas depuis longtemps, et qui renoue avec la grande tradition wagnérienne de cet orchestre (depuis Toscanini, en passant par De Sabata,  Furtwängler, Sawallisch, Kleiber, Abbado et même Muti, qui a dirigé le Ring, le Vaisseau Fantôme et Parsifal avec des succès divers…). Barenboim est clairement beaucoup plus à son aise que dans Boccanegra ou Carmen, et il nous apprend des choses sur l’oeuvre. Il est accompagné d’une équipe de chanteurs avec laquelle il a sculpté le texte et travaillé la diction avec une si grande rigueur que même telle ou telle faiblesse vocale – très contingente – est compensée par un réel plaisir du texte qui est dit, infléchi, coloré, mâché avec une telle science (on dirait quelquefois du Lied) que l’on ne peut que saluer le travail de préparation, auquel  les exigences du metteur en scène ne sont pas étrangères, tant Cassiers dans tout son théâtre fait dire le texte à ses acteurs d’une manière quasi pointilliste (on le remarque même lorsque c’est du neerlandais que nous ne comprenons pas a priori).

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René Pape (Wotan)

Evidemment, le Wotan de René Pape domine, voix profonde, sonore, d’une étonnante clarté et lisibilité, avec une étendue remarquable dans une partie très sollicitée dans ce prologue. Sans avoir le relief et la violence expressive d’autres (Kelemen, von Kannen), Johannes Martin Kränzle a une présence marquée, et travaille la couleur vocale et l’interprétation de manière exemplaire, une sorte d’Alberich tout de violence rentrée. Le Mime de Wolfgang Ablinger Sperrhacke, qui ne m’avait pas particulièrement convaincu à Paris, est ici beaucoup plus à l’aise et compose un vrai “négatif” de son frère Alberich, avec le même sens du texte. Une fois de plus, on a trouvé un Loge de référence, une sorte de monsieur Loyal légèrement clownesque, Stefan Rügamer, qui va sans doute marquer le rôle: tout y est, présence vocale et physique, inflexions ironiques marquées, technique de fer, science des mots ! En revanche, les géants me semblent bien pâles, avec un Fasolt (Tigran Martirossian) en réelle difficulté dans les passages (des moments vraiment gênants ou le chant devient râclure) et une voix en arrière, jamais projetée, comme s’il se forçait à chercher au plus profond des sons qu’il ne sait pas produire naturellement, et un Fafner bien pâle (Timo Riihonen). Froh (Marco Jentzsch) et Donner (Jan Buchwald, un vrai physique de composition) sont honnêtes sans plus et pâles comme il convient à leurs rôles. A part Anna Larsson (Erda d’une altière noblesse et d’une sépulcrale beauté) dont on connaît la voix de contralto qui fait le tour du monde et qui propose une intervention impressionnante de justesse, Doris Soffel et Anna Samuil déçoivent un peu. Doris Soffel interprète d’une manière exemplaire et sa diction est un modèle du genre, sa tenue en scène et le personnage campé font que les regards se concentrent sur elle, mais la voix n’est plus ce qu’elle était, même si sa prestation reste fort honorable, plus marquante par sa présence que par sa voix; Anna Samuil malgré une voix bien posée, n’a pas l’épaisseur voulue pour le rôle, (mais j’ai en tête Helga Dernesch avec Solti à Paris!) et la voix ici manque de dramatisme: j’aime les Freia qui peuvent être des Sieglinde, car alors, le rôle gagne en dramatisme et n’est pas confiné aux larmes d’une jeune fille perdue. Les filles du Rhin, Aga Mikolaj, Maria Gortsveskaya, Marina Prudenskaya, sont irréprochables, dans une scène à la mise en scène la plus complexe qui soit, il y a longtemps que je n’avais pas entendu un trio aussi juste. Comme on le voit, malgré quelques faiblesses, la distribution réunie  fait honneur à la  Scala, quant à Barenboim, il était là dans un grand soir où il a mis toute son équipe et son orchestre au service de la “Gesamtkunstwerk”, de l’oeuvre d’art totale que Wagner appelait de ses voeux.

 

Le travail de Guy Cassiers est exemplaire sur le plan dramaturgique, pas toujours d’une clarté cristalline sur scène, et sans doute ce travail mérite-t-il peut être quelque affinage pour les représentations berlinoises et les futures représentations du Ring en 2013. Autrement dit, autant les présupposés impressionnent, autant le résultat scénique à certains moments reste-il en deçà des attentes, notamment toutes les scènes avec l’ensemble des dieux, qui apparaissent répétitives, malgré de belles idées. Sans doute les chorégraphies (de Sidi Larbi Cherkaoui), omniprésentes et inattendues chez un public wagnérien, finissent-elles par lasser alors qu’elles sont un élément porteur de la vision “déconstruite” du metteur en scène, sans doute aussi la nécessité d’avoir l’oeil partout, en ensemble,  sur les chanteurs, sur les projections vidéo, sur les danseurs, pour recomposer une vision syncrétique et globale, perturbe-t-elle nos habitudes de spectateur, car ce qui se passe sur les écrans n’est pas toujours une reprise exacte de la scène, mais en éclaire les enjeux. Quant aux danseurs, leur fonction diffère selon les moments: ils collent aux dieux car ils  sont la représentation de leurs sentiments ou de leurs émotions et les empêche presque de se mouvoir, ils en sont une gêne permanente (voulue) dans les mouvements des chanteurs. En effet, les dieux restent assez fixes, ils n’expriment rien avec le corps (contrairement à Chéreau), et sont bloqués par un espace difficile et des circulations contraintes sur des pontons étroits passant sur des étendues d’eau : ainsi les Dieux omnipotents sont-ils déjà dans la contrainte et l’impuissance, d’où une chorégraphie qui montre le mouvement “intérieur”que les corps n’expriment pas. Cassiers aime dans son théâtre utiliser tous les arts de la scène et du mouvement, théâtre, danse, vidéo, et le tout en même temps: au spectateur de reconstruire le puzzle déconstruit qui est offert, car chaque élément n’est pas à voir séparément, mais en un tout. Cette approche convient à la scène initiale des filles du Rhin: elles apparaissent en chair et os, mais en même temps sur un écran géant, quand l’une chante, l’autre se mire devant une caméra qui reprend ses gestes et ses mimiques, dans une vision aquatique glauque, noire ou boueuse. Ce qui explique clairement qu’ainsi démultipliées, elles échappent à Alberich qui ne comprend plus rien, n’attrapant ni les corps, ni les ombres ni les images. C’est une très grande réussite scénique et esthétique. Autre réussite, la scène du Nibelheim, où Alberich trône dans une sorte de régie couverte de caméras, qui reprennent l’espace et le projettent sur écran dans les moindres détails, à la manière de big brother ou loft story, sorte de téléréalité redoutable où rien n’échappe à l’oeil du maître. Les danseurs sont là ses esclaves, ils n’expriment aucun sentiment, mais sont des objets, tour à tour trône, Tarnhelm, dragon, grenouille: les scène de transformations sont étonnantes, et là aussi, l’effet théâtral est impressionnant.

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Anna Larsson (Erda)

Impressionnante aussi l’apparition d’Erda, qui monte des profondeurs et ne cesse de monter, perchée sur une immense robe de plusieurs mètres de haut, qui domine ainsi les dieux et les hommes (une peu comme la Reine de la Nuit dans la vision de Bob Wilson à la Bastille).
La conséquence, c’est une sorte de continuité, sans jamais baisser le rideau, et donc une fluidité des changements à vue (ce qui évidemment est conforme à ce que Wagner voulait et multiplie la tension scénique), mais aussi une sorte d’unicité de l’espace, comme si la scène devenait la scène du monde dans sa globalité, Nibelheim (le bas),  Terre,  Dieux (le ciel, le haut)et qu’en réalité les choses se confondaient déjà dans l’unicité d’un univers perdu d’avance. Car au delà des scènes dans leur détail, la vision de cet Or du Rhin est très noire: tout est déjà joué, et il n’y a aucun espoir. Les filles du Rhin évoluent déjà en eau trouble, une eau troublée par un monde déjà en déliquescence, notre monde où toute réalité n’est déjà plus que virtuelle ou numérique, et le rideau se ferme sur une scène désertée annonçant déjà la suite (La Walkyrie) où Loge sautille ironiquement devant les désastres futurs, et une musique ronflante et creuse (celle que Wagner écrit, pleine d’ironie terrible) illustre  la victoire à la Pyrrhus des Dieux engloutis par un Walhalla inquiétant (une sorte de bas relief de corps d’enfants aux formes torturées).
Dans cette vision très actuelle (décors technologiques de Enrico Bagnoli, magnifiques costumes de Tim van Steenbergen), novatrice à n’en pas douter (incroyable travail video de Arjen Kleerkx et Kurt d’Haeseleer), certaines scènes semblent inachevées: d’abord, l’analyse n’est pas totalement nouvelle: Chéreau lui même montrait le cortège des dieux entrant à reculons dans le Walhalla enfin conquis, Peter Stein à Paris en faisait des membres d’un salon mondain impuissants (déjà) à maîtriser la marche du destin – Cassiers n’en est pas loin -, mais Chéreau, comme Stein et comme d’autres, travaillaient beaucoup sur la relation entre les êtres, sur l’acteur, sur la personne. Ici il n’y pas de travail sur la psychologie de l’acteur, car le jeu est réduit au minimum, et c’est l’ensemble de la contruction, video, chanteurs, danseurs, qui fait sens ensemble et non pas séparément, corps déconstruits, rôles déconstruits, vision déconstuites que le spectateur doit reconstituer pour donner sens (en lisant le programme, cela vaut mieux). Ainsi les géants n’apparaissent-ils géants que dans la projection de leur ombre, et face à leurs ombres, l’ombre de Freia minuscule fait sens, mais ces ombres ont une vie autonome sur l’écran, et ne sont pas les projections de ce qui se passe sur le devant le la scène: ainsi dans les ombres même des géants, se projettent des corps disloqués, en souffrance renvoyant sans doute au monde du travail destructeur que les géants symbolisent. Il en résulte un ensemble fascinant à n’en pas douter, qui laisse une foule d’interrogations, jamais d’indifférence, mais qui en même temps n’arrive pas à convaincre tout à fait. On se demande si l’ennui qui quelquefois pointe son nez n’est pas voulu, pour induire une sorte de lassitude, de fatigue à l’aube même d’une histoire, qui apparaît après cet Or du Rhin presque inutile, et si la suite ne serait plus trois journées, mais trois soubresauts d’une bête déjà agonisante.

Je ne peux que conseiller le voyage de Milan, avant fin mai, ou à Berlin, en automne, pour vous faire une idée plus claire que celle que je puis exprimer: une réussite musicale et une grande interrogation scénique, mais comme pour tous les spectacles de Cassiers, qui laissent toujours un goût étrange en bouche. Et si vous ne connaissez pas Cassiers, rendez-vous à Avignon cet été ou à Grenoble en automne pour faire connaissance avec cette approche fascinante et si particulière.

Une seule certitude: rien à voir avec la médiocrité grise de la production parisienne, à Milan au moins, les méninges fonctionnent, à s’en faire mal.

NB: Ce Rheingold est retransmis le 26 mai à 20h en direct de la Scala sur MEZZO .

OSTERFESTSPIELE SALZBURG 2010: GÖTTERDÄMMERUNG de Richard WAGNER au Festival de Pâques de Salzbourg, dirigé par Sir Simon RATTLE, mise en scène de Stéphane BRAUNSCHWEIG (Le 5 avril 2010)

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Le cycle est clos. Une aventure de quatre ans, partagée avec Aix-en-Provence, dont on espère voir un jour la présentation en cycle complet, car on se sent un peu orphelin de ne l’avoir vu que par épisodes. Bernard Foccroule à Aix ne semble pas avoir été séduit par l’aventure du Ring en Provence, initiée par Stéphane Lissner, même s’il confesse que le succès des Berlinois a été le plus gros succès jamais obtenu par des concerts à Aix. Ce qui est exceptionnel à Aix est “ordinaire” si on ose dire à Salzbourg puisque les berlinois y sont (presque) chez eux. Il reste que monter un Ring est un défi peu commun, et c’est pourquoi on aimerait que l’aventure ne reste pas sans lendemain et ne se range pas dans le tiroir aux souvenirs. Même si la mise en scène de Braunschweig ne m’a pas vraiment convaincu, on ne peut vraiment apprécier un travail scénique sur le Ring que si on le voit d’affilée. J’ai aimé ces deux moments, découvrir à Aix et entendre à Salzbourg: on n’a jamais la même impression. Acoustiquement, je trouve que la fosse d’Aix est sonore, trop sonore, et couvre souvent les voix. Ici rien de semblable et les équilibres reprennent leurs droits. L’impression a donc été sensiblement différente entre les deux lieux. Et le même spectacle se regarde dans un autre contexte.
On sait que Sir Simon Rattle est un wagnérien apprécié, ses Tristan, ses Parsifal ont laissé à Vienne ou à Amsterdam des traces durables et positives. Dans l’ensemble, son Ring a été salué par la critique, focalisée en France sur la qualité de l’orchestre, plus peut-être que par l’approche du chef. Il reste que l’entreprise est un succès. Une fois de plus à Salzbourg, Ben Heppner a déclaré forfait: l’enregistrement à peine sorti de Siegfried, distribué ici aux membres bienfaiteurs, reprend les représentations de Salzbourg, avec Lance Ryan, sans doute le meilleur Siegfried d’aujourd’hui. C’est Stefan Vinke qui  remplace en ce printemps Heppner pour Götterdämmerung. Puisque Heppner a toujours chanté à Aix et jamais à Salzbourg (la Provence en été lui va sans doute mieux que le Salzburger Land au Printemps), on aura ainsi eu l’occasion de comparer trois Siegfried, ce qui renforce encore l’intérêt.

Las! Alors que le Götterdämmerung vu à Aix ne m’avait pas déplu- je l’avais même mis aux côtés de Rheingold pour l’approche scénique ( Walküre et Siegfried m’avaient plutôt déçu) la représentation du 5 avril a apporté bien des déceptions et des doutes. D’abord, au contraire des autres jours, j’ai trouvé que certains pupitres de l’orchestre manquaient de concentration, notamment dans les cuivres (à l’exception des cors). On a entendu beaucoup d’approximations, des problèmes de justesse et d’attaques. Certes, la prestation d’ensemble reste de très grand niveau, mais par rapport aux autres soirs on était incontestablement un ton en dessous.
J’ai des doutes ensuite sur l’interprétation de Sir Simon Rattle: un de mes interlocuteurs germaniques m’a dit – et je ne suis pas loin de le suivre: “L’oeuvre resiste à tout, même à une interprétation médiocre”. Il ne se dégage aucune émotion, et le premier acte (notamment) était – un comble- ennuyeux. On n’arrivait pas entrer dans l’oeuvre. la direction à elle seule ne peut être responsable de ce sentiment très mitigé, mais je ne pense pas que le chef ait su entraîner dans une vision marquante l’ensemble des forces artistiques. c’est toujours très construit, très spectaculaire mais souvent aussi trop fort, sans vraie motivation, et sans aucune mais aucune poésie.
Il est vrai aussi que Rattle n’est pas aidé par une distribution inégale, dont il est responsable: je trouve scandaleux que ce Festival, qui vend les billets parmi  les plus chers du monde, ose afficher une Gutrune (Emma Vetter) criarde, à la voix courte, sans aucun intérêt, et s’adresse pour Brünnhilde à une chanteuse certes affichée dans de nombreux théâtres, mais qui n’est pas c’est le moins qu’on puisse dire une Brünnhilde habitée. Katharina Dalayman n’a pas une voix homogène, rien dans le grave, complètement opaque, et toute la voix  se concentre sur l’aigu, avec une impression pénible de cri et non de chant. Dans ces conditions, aucune interprétation, aucune émotion, aucune poésie. Un seul exemple: toutes les grandes Brünnhilde soignent la fin de la première partie du récit finaldu troisième acte, où Brunnhilde prononce “Ruhe, Ruhe, du Gott” en s’appuyant sur l’orchestre en une longue note tenue. Behrens avec Solti en avait presque fait un climax. Ici, rien, aucun écho aucune correspondance avec l’orchestre. Des notes, mais pas de musique.
La seule a s’en sortir au niveau du chant est Anne Sofie von Otter en Waltraute: je ne suis pas sûr que ce soit vraiment un rôle pour elle, le volume n’est pas toujours au rendez-vous, mais dans la manière de dire le texte, de le moduler, on entend la chanteuse de Lied et cela reste avec ses limites une prestation de très haut niveau.

Le Siegfried de Stefan Vinke est sonore, très sonore, mais là aussi, un legato absent, des difficultés à maîtriser le suraigu, notamment au deuxième acte, une voix un peu nasale qui semble plus une voix de tête, que d’appui sur le coffre et le diaphragme. Ce n’est pas une prestation scandaleuse, mais ce n’est pas un Siegfried pour Salzbourg. Le forfait de Ben Heppner y est pour quelque chose sans doute, mais avec Lance Ryan l’an dernier, on avait gagné au change. Ce n’est pas le cas cette année.
Mikhail Petrenko en Hagen pose un autre problème, qui d’ailleurs était le même à Aix: voilà un chanteur intelligent, doué d’une excellente diction, un grand interprète, mais le rôle de Hagen réclame une puissance qu’il n’a pas, notamment dans les ensembles et avec le choeur au deuxième acte. Il est remarquable dans les parties moins épiques, mais le volume reste notoirement insuffisant, mais c’est l’un des seuls personnages “habités”.

Malgré une annonce de rhume, Gerd Grochowski est vraiment un Gunther excellent: lui aussi sait prononcer le texte avec attention et subtilité, la voix a du volume et de la présence dans un rôle ingrat. Quant à Dale Duesing en Alberich, même si la voix est désormais un peu fatiguée, c’est lui qui fait preuve de la plus grande intelligence interprétative, et son intervention est saisissante en début de deuxième acte face à son fils Hagen “Schläfst du Hagen mein Sohn”. D’ailleurs c’est la scène musicalement la plus réussie car sans doute la mieux chantée. Les Nornes sont honnêtes, et les filles du Rhin bonnes: la scène avec Siegfried du début du troisième acte est avec la scène Hagen/Alberich la plus musicale, celle aussi où Rattle conduit l’orchestre, le fait chanter, et où l’on entend un son plein et charnu, et une vraie poésie. Très beau moment.

Comme on le voit, beaucoup de problèmes musicaux et une distribution à tout le moins inégale,  en aucun cas du niveau requis pour Salzbourg.
Quant à la mise en scène, s’il y a çà et là des moments intéressants des images fortes et de belles lumières, monologue final de Hagen au premier acte, scène Hagen/Alberich, scène du palais des Gibichungen avec une bonne utilisation de l’espace, et projections video impressionnantes dans la scène finale et notamment le Rhin, le reste n’a pas beaucoup d’idées ni d’intérêt. Les bonnes idées, on les a déjà vues ailleurs (Wotan réapparaissant à la fin, c’était déjà dans Kupfer à Bayreuth, le “peuple” autour du Rhin, puis tourné vers le public, c’était dans Chéreau). S’il n’y a pas vraiment de mauvaises idées (bon, le choeur des vassaux de Hagen en joueurs de golf et de chasseurs, cela fait sourire), il n’y a rien de notable, rien d’original,et surtout pas de vraie direction d’acteurs, pas de travail sur les relations entre les personnages, pas de  poésie, comme si Braunschweig n’y croyait pas.En fait, des quatre opéras, le plus séduisant reste l’Or du Rhin. Ce Götterdämmerung ne marquera ni les annales du Festival, ni celles du théâtre en général, même si l’entreprise aura marqué Aix en Provence, par son côté exceptionnel. Ici où l’exceptionnel devrait être l’ordinaire,cela aura été une production ni aboutie, ni vraiment inspirée, sans voix exceptionnelles et avec une mise en scène indifférente et plate.
050420101950.1270680627.jpgL’orchestre au complet est venu saluer le public à la fin du spectacle.

L’an prochain (voir le lien), Salomé, avec Emilie Magee (bof) et Stefan Herheim dans comme metteur en scène (mieux) dirigé par Rattle et Gustavo Dudamel comme chef invité dans un des concerts! On reviendra donc!

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2009-2010: DAS RHEINGOLD (L’Or du Rhin) de Richard Wagner, mise en scène Günter KRÄMER à l’Opéra Bastille (16 mars 2010)

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L’entreprise était une nécessité. L’Opéra de Paris, la plus grande maison d’opéra du monde avec ses deux énormes salles,  n’avait plus à son répertoire depuis des lustres une production de l’Anneau du Nibelung (le “Ring”). C’est au Châtelet (Bob Wilson) et au Théâtre des Champs Elysées (Mesguich) qu’on doit les dernières productions présentées, et mieux encore, à l’Opéra de Paris, la dernière tentative, qui remonte à 1976,- une production hardie de Peter Stein et Klaus Michael Grüber- avait avorté après “La Walkyrie”, pour cause économique (Problème des coûts de production soulevé par un audit-vengeance de Giscard suite à une grève survenue lors d’une soirée dédiée “aux français méritants”  ). Hugues Gall avait d’autres priorités, Gérard Mortier n’avait pas osé, ou pas envie.(1)
Nicolas Joel l’a enfin programmé, et c’est donc un projet qui se justifie, d’autant que tous les théâtres se mettent en ordre de marche pour 2013, année du bicentenaire de Richard Wagner. La Scala commence aussi cette année, le MET l’an prochain. Vienne, Londres, Florence et Valence ont déjà leur production en boite.
Quels sont les enjeux d’un “Ring”? Paradoxalement, pour une grande maison, ils sont évidemment musicaux, mais peut-être pas  prioritairement . En effet, la plupart des maisons d’opéra cherchent naturellement à proposer une interprétation de grande tenue avec des chanteurs de qualité et un chef de prestige (Pappano, Levine, Welser-Möst, Barenboim). La rareté des représentations, des reprises, font qu’un “Ring” est toujours un événement, c’est bien le cas cette année qui voit la ruée des spectateurs sur les représentations de l’Opéra Bastille. Pour une maison d’Opéra, l’enjeu du Ring, et notamment depuis celui de Chéreau à Bayreuth, réside sans doute plus dans la mise en scène, qui devient un emblème des choix artistiques, et qui va marquer les esprits, notamment par l’intérêt des médias. Le MET par exemple investit beaucoup dans le choix de Robert Lepage, La Scala aussi en misant sur Guy Cassiers, choix très novateur. En confiant la réalisation à Günter Krämer, Nicolas Joel fait le choix d’un grand professionnel pas vraiment inventif ni original, et celui d’une lecture conforme à la tradition allemande , suffisamment moderne pour être dans l’air du temps et suffisamment sage pour pouvoir durer sans trop choquer, le choix du répertoire plutôt que du coup médiatique, c’est le choix de la sécurité. En faisant de cet Or du Rhin, la première production dirigée ès qualités par le nouveau directeur musical Philippe Jordan, il en fait aussi un moment très symbolique de la vie de l’orchestre.

Malheureusement c’est raté. Le résultat tape en dessous de tout ce qu’on pouvait souhaiter. Si les trois autres journées valent le prologue, cela nous promet de longs moments d’ennui. Le spectacle ne tient que par la direction musicale, précise, fouillée, très analytique, trop même car elle manque quelquefois de tension. Peut-on en tenir rigueur au chef quand on voit ce qui se passe sur scène ?…Philippe Jordan a fait preuve de sa rigueur habituelle dans la lecture de la partition, et l’orchestre le suit, avec une concentration qu’on ne lui connaît pas toujours. Il lui manque un soupçon de fantaisie, un soupçon de dramatisme, mais l’ensemble est vraiment appréciable, sinon remarquable.

La distribution réunie par Nicolas Joel est globalement décevante. Certes, Falk Struckmann est un Wotan de haut niveau, doué d’une diction parfaite, d’une voix encore sonore, d’un timbre de qualité. Mais il ne campe pas un personnage intéressant, dominant comme il doit l’être dans le prologue. Sophie Koch est une Fricka de très grande qualité, sans être aussi intense que dans Brangäne par exemple, Kim Begley s’en tire avec tous les honneurs dans Loge, c’est sans doute le meilleur de la compagnie, avec Iain Paterson dans Fasolt et la Erda de Qiu Lin Zhang  dont l’intervention cependant est bien mal réglée par le metteur en scène. Mais aucun n’est vraiment exceptionnel.
En revanche Peter Sidhom est un Alberich  bien pâle (comme le Mime de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke), au moins dans la première partie, quasiment inexistant dans la première scène avec les filles du Rhin (un comble!), cela s’améliore cependant dans la scène de Nibelheim. Froh (Marcel Reijans) et Donner (Samuel Youn) sont traités par la mise en scène comme des comparses, et vocalement cela ne vaut guère beaucoup mieux. Freia est notoirement insuffisante (Ann Petersen), pas de volume, voix stridente et courte. Et les filles du Rhin restent assez moyennes, voire insuffisantes (Daniela Sindham en Wellgunde).
Quand on pense à la distribution rassemblée par Liebermann en 1976 (Sir Georg Solti, Adam, Ludwig, Dernesch, Mazura, tear, Finnilä), on reste sur sa faim.
Quand on pense aussi à la mise en scène de Peter Stein, qui avait si intelligemment utilisé l’espace de la scène de Garnier pour en faire un Univers, on se dit que le travail de Günter Krämer est un vrai recul, même par rapport à cette production de 34 ans plus ancienne. D’ailleurs, on aurait pu voir son spectacle il y a dix ans, vingt ans, trente ans tant il est déjà vieux, après quatre représentations. Tous les poncifs des 30 dernières années y sont servis, y compris les géants en ouvriers avec drapeaux rouges qui hurlent de la salle. Aucune direction d’acteurs (ils n’ont rien à faire pendant de longs moments sinon être là), des incohérences (entrée de Freia),  les scènes centrales (Les dieux, Nibelheim)  d’un ennui mortel: il ne s’y passe rien, les chanteurs sont livrés à eux mêmes ou platrés dans l’immobilité. Aucun travail sur les rapports des personnages entre eux, qui vivent une sorte d’existence cloisonnée, aucune lecture vraiment claire: l’allusion à Germania, le rêve architectural des nazis, est comme plaquée, et son absence n’enlèverait rien de fondamental à l’ensemble. Nibelheim est marquée au centre par une sorte de pendule (coupe-pizza géant a dit fort justement Renaud Machart dans “Le Monde”) qui taille l’or et les solutions des scènes de transformation (Dragon, Grenouille) a priori intéressantes, tournent court. Le Walhalla est une sorte l’Echelle de Jacob immense gravie comme les gradins de l’Olympia Stadion de Berlin par des athlètes en blanc “Riefenstahl”. Esthétiquement, cela ne vaut pas non plus tripette. Globe terrestre qui rappelle de très loin  la coupole actuelle du Reichstag pour le séjour des dieux, des solutions scéniques lourdes, qui nécessitent des machinistes a vue: on sait – c’est suffisamment souligné- que nous sommes au théâtre. Les mouvements des figurants, des machinistes, le miroir qui renvoie la salle ou les cintres, tout cela est archi déjà vu et ne donne pas grand sens à l’ensemble. Seuls le lever de rideau et la scène des filles du Rhin sont assez frappants et procèdent d’une bonne idée (des mains rouges qui remuent comme des animaux au fond des flots). . Ne parlons pas des costumes de Falk Bauer, hideux; quant aux décors de Jürgen Bachmann, ils sont sans intérêt. Bref, tout cela est une proposition faible qui ne fait qu’ accompagner ou illustrer (mal) l’histoire dont au fond, rien ne nous est dit. Il résulte qu’il est impossible d’y voir une ligne claire, un propos. Je préfère de loin Otto Schenk au MET, au moins, le parti pris “traditionnel” est assumé. On a ici une fausse modernité, qui n’apporte rien à la compréhension ni du texte ni de l’œuvre.

Allez, chers amis, replongez- vous dans vos DVD et revoyez Chéreau, ou même Schenk, cela vous évitera de perdre du temps en baillant à ces représentations qui laissent mal augurer de la suite. Dommage, vraiment dommage, quand on pense à l’investissement que représente un Ring: c’est une occasion ratée, et c’est vraiment regrettable pour Philippe Jordan qui défend vaillamment la musique de Wagner.

(1) Pendant l’interrègne de Bernard Lefort en 1971-1972, avant l’arrivée de Liebermann, avait été présentée une production de “Die Walküre”.