LA SAISON 2023-2024 DU TEATRO SAN CARLO DE NAPLES

SABLES MOUVANTS

L’exercice est périlleux. La période est instable. Nous avons évoqué la question de Stéphane Lissner, qui a attaqué l’État italien pour l’interruption brutale de son contrat, à cause du Décret-loi du 4 mai dernier et nous avons aussi évoqué la position pour le moins fuyante de la municipalité de Naples qui a pris acte du départ forcé du Sovrintendente. Le site du théâtre porte encore comme Sovrintendente et Direttore artistico Stéphane Lissner, en attendant développements ultérieurs, le décret-loi n’est pas encore devenu loi, mais …
En tous cas, le seul départ attesté est celui de José Luis Basso, chef des chœurs, qui dirigera à partir du 1er septembre le chœur du Teatro Real de Madrid, ce qui est indicatif de la situation fragile du grand théâtre napolitain à plusieurs niveaux.
– D’une part les derniers développements ont évidemment posé de nombreux points d’interrogation sur l’avenir de la programmation construite par Stéphane Lissner et sur la pérennité de ce qu’il a commencé à construire.
– D’autre part, le départ brutal de Lissner a créé un appel d’air dans lequel les syndicats se sont engouffrés et les travailleurs du théâtre ont déclenché des grèves et une agitation qui a amené à de récentes annulations entre mai et juin 2023.
– Enfin le talon d’Achille de ce théâtre n’est pas tant sa force de production que ses forces artistiques, chœur et orchestre, qui n’ont pas le niveau requis pour les ambitions affichées qui sont celles d’égaler au moins L’Opera di Roma et un jour le Teatro alla Scala, même s’il faut reconnaître que leurs dernières prestations s’étaient très nettement améliorées par rapport à ce qu’on avait l’habitude d’entendre. Ambitions légitimes au regard de l’histoire glorieuse d’une institution qui a sans doute plus contribué encore à l’art lyrique et à la gloire du répertoire italien que la Scala elle-même : la liste des premières mondiales napolitaines donne le vertige.

L’Opera di Roma est une institution récente, qui remonte à la fin du XIXe et dont l’identité était d’être l’opéra de la capitale de la nouvelle Italie, Milan et Naples étant les opéras de l’Histoire, auxquels on ajoutera le Teatro La Fenice de Venise, construit en 1792 (c’est le plus récent des théâtres historiques) resté au long du XIXe siècle un théâtre de référence, dans une ville qui a créé le théâtre d’opéra public dès le XVIIe.

Bref, aller au San Carlo est une plongée dans une histoire riche, prestigieuse, représentant une ville qui trouve ses racines dans l’antiquité et qui fut pendant des siècles la seule vraie capitale italienne, restant aujourd’hui encore l’une des villes européennes les plus fascinantes.
À ce titre, et au-delà de toutes les polémiques qui ont entouré Stéphane Lissner pendant les dernières années, l’entreprise qu’il a commencé d’édifier au San Carlo se justifie pleinement, mérite qu’on s’y intéresse et qu’on la salue, même s’il ne faut pas négliger le travail de remise à plat patient effectué par celle qui l’a précédé à ce poste, Rosanna Purchia, l’une des grandes représentantes du management théâtral en Italie, restée de 1976 à 2009 directrice de l’organisation et de la réalisation de la production artistique  au Piccolo Teatro, celle qui a accompagné toutes les directions, Giorgio Strehler, Jack Lang, Luca Ronconi et rendu possible la continuation de la production dans ce théâtre de légende.

Car le San Carlo est une institution depuis longtemps sur le fil du rasoir, qui a besoin de travaux de réfection et de restauration dont certains entamés en 2023, qui a besoin d‘une réflexion sur ses forces artistiques, et qui a aussi besoin d’une politique artistique sur le long terme, les trois ensemble formant un « en même temps » très délicat à combiner et à tisser sur un terrain aussi mouvant que le terrain napolitain. Quand on possède le plus beau des palais, si les fondations sont fissurées, le risque, c’est l’écroulement.
C’est là toute l’histoire des dernières décennies de ce Théâtre merveilleux, un des grands joyaux de l’architecture théâtrale italienne, né 41 ans avant la Scala, en 1737 et qui reste pour tout amoureux de l’art lyrique un lieu d’émotion pure. Et quel que soit le futur immédiat de l’institution, les successeurs, s’ils trouvent des saisons construites, auraient bien tort de les détruire (au nom de la politique bien connue des dépouilles), même si elles sont signées Lissner. Son ombre portée sera encore là, mais les futurs gestionnaires du lieu pourront officiellement s’en parer, ce qui est de bonne guerre. Reste à savoir s’ils seront des gens intelligents ou des sbires, ce qui est une autre histoire au vu de la main politique qui se saisit de la culture (dont elle se soucie comme d’une guigne, dans la bonne tradition née sous Berlusconi) en Italie…

Nous présentons la saison napolitaine telle qu’elle a été annoncée il y a déjà quelques mois, elle sera sans doute réalisée. Dans le cas contraire les uns accuseront la politique « dispendieuse » de Lissner (c’est pour le moins discutable on va le voir), les autres l’incapacité à maintenir un niveau digne au plus vieux théâtre d’opéra en Italie. Mais si les contrats artistiques ont été signés, il n’y pas de raison de douter car les rompre coûterait plus cher… Une autre question est de savoir si les artistes qui avaient envie de dire oui à Lissner (qui a du réseau et de l’influence) diront oui aux successeurs… à eux de jouer.

 

LA SAISON LYRIQUE

Les productions lyriques 2023-2024

13 opéras dont 11 en version scénique. Dans les compositeurs, le répertoire italien en prend la moitié avec 5 compositeurs sur les 10 proposés où Verdi se taille la part du lion (4 opéras). On remarque immédiatement que les nouvelles productions « en propre » du San Carlo sont limitées à la Turandot inaugurale, les autres sont des coproductions (Vespri siciliani, La Gioconda, Maria Stuarda), des productions louées ailleurs (Le château de Barbe Bleue/La voix humaine, Norma) et des reprises de productions marquantes du San Carlo, manière de rappeler que ce théâtre a aussi en magasin des productions de grand niveau (Don Giovanni, La Traviata, Elektra, Carmen), deux opéras enfin sont proposés en version de concert et particulièrement bien distribués, Luisa Miller et Simon Boccanegra.
Bien sûr ce sont des solutions claires pour moins dépenser, de montrer habilement que l’on tient compte de budgets resserrés, sans renoncer à la qualité. Et il faut reconnaître que bien des titres valent le voyage.

Bartok : Le château de Barbe-Bleue/Poulenc : La voix humaine
Bellini : Norma
Bizet : Carmen
Donizetti : Maria Stuarda
Mozart : Don Giovanni
Ponchielli : La Gioconda
Puccini : Turandot
Verdi :
I vespri siciliani
Luisa Miller (Concertant)
La Traviata
Simon Boccanegra (Concertant)
Strauss : Elektra

 

Analyse de la saison

 

Décembre 2023
Giacomo Puccini : Turandot

7 repr. du 9 au 17 déc. – Dir : Dan Ettinger /MeS : Vasily Barkhatov
Avec :
(A) [9, 12, 15, 17]
Sondra Radvanovsky, Yusif Eyvazov, Rosa Feola
(B) [10,13,16] Oksana Dyka, Seok Jong Baek, Amina Edris
et
Nicola Martinucci, Alexander Tsymbalyuk, Alessio Arduini, Gregory Bonfatti Francesco Pittari Nouvelle production Teatro San Carlo.
Le seul nom d’Oksana Dyka est un repoussoir pour la distribution B, qu’on évitera donc.
Tous les rôles de complément sont bien distribués, et on notera la présence de Nicola Martinucci, classe 1941, en Altoum, lui qui fut un des fréquents Calaf des années 1980 et 1990. Yusif Eyvazov sera sans doute un solide Calaf pendant que Madame est à la Scala pour Don Carlo, Rosa Feola la seule Liù possible aujourd’hui, et évidemment la grande Sondra Radvanovsky, lirico spinto de référence saura sûrement donner à la Princesse de glace une couleur plus moirée que les voix métalliques qu’on entend le plus souvent. Au pupitre, Dan Ettinger, chef polymorphe au large répertoire, nouveau directeur musical.
Le metteur en scène russe Vasily Barkhatov est l’un des noms qui émerge ces dernières années. On lui doit la très belle production de « L’Enchanteresse » à l’Opéra de Francfort dont Wanderersite a rendu compte. Tout cela laisse bien augurer de cette production.
Une bonne suggestion serait de coupler Scala et Naples. L’inauguration romaine du 27 novembre (Mefistofele) se poursuit jusqu’au 5, c’est un peu juste pour les dates mais quelques jours en Italie hors saison sont toujours à prendre.

Janvier – Février 2024
Giuseppe Verdi : I vespri siciliani

5 repr. du 21 janv. au 3 févr. – Dir : Henrik Nánási /MeS : Emma Dante
Avec Mattia Olivieri Piero Pretti Alex Esposito Maria Agresta etc…
Nouvelle production, Coprod. Teatro Massimo di Palermo/Teatro Comunale Bologna/Teatro Real Madrid
On a vu à Palerme cette somptueuse production, sicilienne en diable (normal vu à la fois le titre et les origines d’Emma Dante), où l’on parle d’antimafia et Wanderersite en a rendu compte. Malheureusement, si Palerme a osé la version originale en français, Naples ne s’y risque pas et propose I Vespri Siciliani dans une distribution de très bon niveau, avec Mattia Olivieri en Monforte, Maria Agresta en Elena et surtout Alex Esposito en Procida. En Arrigo (Henri), le très bon Piero Pretti sans doute plus à l’aise dans la version italienne que la française qui exige un ténor à la Raoul des Huguenots… Dans la fosse, le chef Henrik Nánási, excellent dans bien des répertoires, qu’on n’attendait pas forcément dans Verdi. Ceux qui adorent cet opéra (dont je suis) prendront le train.

Février 2024
W.A.Mozart : Don GiovannI

6 repr. du 16 au 27 févr. – Dir : Constantin Trinks /MeS : Mario Martone
Avec Andrzej Filończyk Antonio Di Matteo Roberta Mantegna, Bekhzod Davronov Selene Zanetti Gianluca Buratto Valentina Naforniţa Tommaso Barea
Reprise prod.2002
Il est si difficile de trouver une distribution adéquate pour Mozart aujourd’hui qu’un Don Giovanni excite immédiatement la curiosité. La production est une reprise maison de Mario Martone, largement présentable, le chef fait partie de la génération des chefs allemands solides, qui proposera un Mozart de tradition et sans bavures, et la distribution présente quelques choix particulièrement intéressants, en premier lieu Andrzej Filończyk, baryton-basse polonais qui fait largement carrière en Italie dans le rôle-titre, parce que c’est vraiment un excellent chanteur avec face à lui, le Leporello de Gianluca Buratto qui vient de l’univers baroque et qu’on commence à voir sur toutes les scènes. Roberta Mantegna plus entendue dans Verdi que Mozart sera Donna Anna, la voix puissante saura répondre aux exigences techniques du rôle, mais saura-t-elle l’incarner ? Et Selene Zanetti sera Donna Elvira, délicieux soprano d’une autre couleur qu’il sera intéressant d’écouter dans ce rôle redoutable. Notons aussi le moins connu Bekhzod Davronov qui a si favorablement impressionné dans le rôle du prince Kouraguine dans Guerre et Paix de Prokofiev (Bayerische Staatsoper), assez à l’opposé du caractère d’Ottavio qu’il incarnera à Naples. Dans l’ensemble une reprise qui excite la curiosité.

Mars 2024
Vincenzo Bellini : Norma

4 repr. du 16 au 26 mars – Dir : Lorenzo Passerini /MeS : Justin Way
Avec Anna Pirozzi, Ekaterina Gubanova, Freddie De Tommaso, Alexander Tsymbalyuk etc…
Prod. du Teatro Real Madrid (2021)
La production de Justin Way avait en 2021 à Madrid laissé quelques doutes (théâtre dans le théâtre), mais il est difficile de trouver aujourd’hui une production satisfaisante, tant l’œuvre reste rare sur les scènes et difficile à monter. Le chef Lorenzo Passerini est l’un des chefs les plus en vue de la jeune génération et donc c’est un vrai plus. La distribution est solide, mais pas vraiment belcantiste, ni PIrozzi ni Gubanova ne sont des Belliniennes d’origine contrôlée, et Norma n’est ni Tosca, ni Nabucco, ni Aida. Tsymbalyuk, basse bien connue, sera sans doute un bon Oroveso, et toute notre curiosité ira au Pollione du jeune Freddie De Tommaso, lancé désormais sur les scènes internationales, ténor au timbre chaleureux et plutôt intéressant.
C’est louable de monter Norma de toute manière, alors, bon vent.

Avril 2024
Amilcare Ponchielli : La Gioconda

6 repr. du 10 au 17 avril – – Dir : Pinchas Steinberg /MeS : Romain Gilbert
Avec
(A) 10, 13, 16 avr. : Anna Netrebko, Jonas Kaufmann, Ludovic Tézier, Anita Rashvelishvili, Alexander Köpeczi, Kseniia Nicolaieva
(B) 11, 14, 17 avr. : Liana Haroutounian, Giorgio Berrugi, Ernesto Petti, Yulia Matochkina,
Alexander Köpeczi, Kseniia Nicolaieva
Nouvelle production, Coprod. Gran Teatre del Liceu, Barcelona
Ce sera la ruée, vu le trio de tête Netrebko/Kaufmann/Tézier. Je ne parie pas trop sur Anita Rashvelishvili en Laura mais bien plus en Yulia Matochkina qui chante dans la distribution B, intéressante aussi avec Liana Haroutounian, sans doute titulaire en B et doublure en A.
On ne commente pas : il faut pour Gioconda un mythe. J’entendis (la seule fois, en scène) Callas en fin de parcours dans Suicidio et noyé dans mes larmes, je compris en « live » pourquoi elle était un mythe, alors que la voix était détruite.
Tézier et Kaufmann seront là aussi pour compléter la fête, une de ces soirées à ne pas manquer.
Production du jeune français Romain Gilbert qu’on commence à voir sur les scènes et qui fera sans doute un travail spectaculaire, mais sûrement pas révolutionnaire, d’ailleurs, l’œuvre ne s’y prête pas et le public qui viendra ne l’attend pas. En fosse, Pinchas Steinberg, très grand professionnel, une assurance pour l’orchestre. Réservez vos places…

Mai 2024
Béla Bartók : Le Château de Barbe Bleue
Francis Poulenc : La voix humaine

4 repr. du 24 au 30 mai – Dir : Edward Gardner/MeS Krzysztof Warlikowski
Avec (Bartók) Elīna Garanča, John Relyea/(Poulenc) Barbara Hannigan
Prod. Opéra national de Paris/Teatro Real Madrid
Duo de stars pour cette production phare qui a fait les beaux soirs de l’Opéra de Paris et du Teatro Real de Madrid. Après Rome, Krzysztof Warlikowski arrive à Naples, le sud italien s’ouvre plus que le nord à la mise en scène d’opéra, mais historiquement (et contrairement à ce qu’on croit) le sud italien était le lieu de l’innovation économique et artistique et le nord en a tiré, sucé la substantificque moelle.
En fosse, l’excellent Edward Gardner, connu désormais partout mais pas en Italie, à qui l’on doit un magnifique Peter Grimes à Munich et sur la scène, à côté du solide John Relyea en Barbe Bleue, Elīna Garanča en Judith qu’on ne doit manquer sous aucun prétexte. Quant à Barbara Hannigan, la production a été créée pour elle, c’est une des chanteuses fétiches de Warlikowski, et dans l’œuvre de Poulenc, elle sera sans doute époustouflante…
Vous savez ce qui vous reste à faire.

Juin 2024
Giuseppe Verdi : Luisa Miller
2 repr. (version concertante) les 5 et 9 juin – Dir : Daniele Callegari
Avec Nadine Sierra, Gianluca Buratto, Michael Fabiano, Valentina Pluzhnikova, Artur Ruciński, Krzysztof Bączyk
Il est un peu curieux que cet opéra créé au San Carlo ne fasse pas l’objet d’une production, sans doute parce qu’il est un peu moins populaire que d’autres Verdi. Il bénéficie en revanche de la direction de Daniele Callegari, un excellent chef d’opéra, actuel directeur musical de l’Opéra de Nice et pas toujours considéré à sa juste valeur, ainsi que d’une distribution de haut niveau dominée par Nadine Sierra et Michael Fabiano, très connus (et avec raison) et entourés d’Artur Ruciński, Gianluca Buratto, Krzysztof Bączyk, excellents professionnels. Ajoutons la présence en Federica de la jeune mezzo Valentina Pluzhnikova, issue de l’Accademia del Teatro alla Scala, et remarquée l’an dernier à Bergamo dans Chiara e Serafina, à l’orée d’une carrière qui s’annonce bien.

Gaetano Donizetti : Maria Stuarda
4 repr.  du 20 au 29 juin – Dir : Riccardo Frizza/ MeS : Jetske Mijnssen
Avec Pretty Yende, Aigul Akhmetshina, Francesco Demuro, Carlo Lepore, Sergio Vitale etc…
Nouvelle production, coprod . avec Dutch National Opera, Palau de les Arts Reina Sofia Valencia.
Désormais demandée dans pas mal de scènes lyriques européennes, Jetske Mijnssen vient de mettre en scène avec un relatif succès semble-t-il Anna Bolena  à Naples, première brique de la trilogie qui se poursuit donc la prochaine saison avec Maria Stuarda dont le rôle-titre est confié à Pretty Yende, voix séduisante et émouvante, personnalité peut-être moins convaincante en scène. Face à elle l’Elisabetta d’Aigul Akhmetshina, astre montant très rapidement dans le ciel des mezzo-sopranos, tant on voit son nom sur pas mal de distributions un peu partout. Elle avait impressionné dans Polina de Dame de Pique à Baden-Baden en 2022. Autour, une distribution de bonne facture (Demuro, Lepore, Vitale) et un chef donizettien pur sucre, puisqu’il est le directeur musical du festival Donizetti de Bergamo, Riccardo Frizza.  Une production qui a des arguments pour séduire.

Juillet 2024
Giuseppe Verdi : La Traviata

6 repr. du 14 au 30 juillet – Dir : Giacomo Sagripanti /MeS : Lorenzo Amato
Avec Lisette Oropesa, Xabier Anduaga, Luca Salsi etc…
Reprise d’une production maison 2018
L’été lyrique napolitain avait commencé on s’en souvient en 2020 avec de grands concerts en plein air et des stars (Netrebko, Kaufmann) sur la Piazza del Plebiscito alors que le monde était encore secoué par la pandémie (un siège sur deux, masques etc…), l’idée d’un été festif s’est désormais concentrée autour du théâtre, offrant des productions populaires dont la distribution est susceptible d’attirer non seulement le public local, mais aussi le touriste de passage. C’est le cas de cette Traviata qui a tout pour plaire : Lisette Oropesa qui en est aujourd’hui la titulaire incontestée un peu partout, Luca Salsi, le baryton italien le plus célèbre, et Xabier Anduaga, belcantiste à la voix importante et délicate qui visiblement tient à élargir son répertoire. En fosse, Giacomo Sagripanti, qui n’est pas le pire des chefs de répertoire.
Les ingrédients y sont, et si vous passez par Naples en cette fin de juillet.

Septembre-Octobre 2024
Richard Strauss : Elektra

4 repr. du 27 sept. au 3 oct. – Dir : Mark Elder / MeS : Klaus Michael Grüber
Avec Ricarda Merbeth, Evelyn Herlitzius, Elisabeth Teige, John Daszak, Łukasz Goliński etc…
Reprise prod.2003
Une production de Klaus Michael Grüber, même ressorties des placards, même de vingt ans d’âge, même déjà reprise dans l’intervalle, cela ne se manque pas, notamment pour ceux qui ne connaissent pas cette légende du théâtre et de la scène lyrique qui a marqué de son empreinte les trente dernières années du XXe siècle, décédé trop tôt et emporté en 2008 par la maladie. C’est déjà un motif de déplacement. Même si Ricarda Merbeth n’est pas mon Elektra de cœur, c’est une des voix importantes du rôle, et elle voisine avec l’immense Herlitzius qui fut une Elektra phénoménale avec Chéreau, cette fois Clytemnestre, et en Chrysothemis Elisabeth Teige, la dernière découverte de Bayreuth (Der Fliegende Holländer 2022) où elle sera en plus Sieglinde et Elisabeth en 2023. Trio de choc, mise en scène à voir…il est pourtant regrettable que l’entreprise ait été confiée à la baguette sans aucun intérêt de Sir Mark Elder, que je n’ai jamais réussi à trouver convaincant quand je l’ai entendu, à commencer par Die Meistersinger von Nürnberg à Bayreuth en 1981, qu’il dirigea un an seulement…

Octobre 2024
Giuseppe Verdi : Simon Boccanegra
2 repr. (version concertante) les 11 et 13 oct. – Dir : Michele Spotti
Avec Ludovic Tézier, Michele Pertusi, Ernesto Petti, Francesco Meli, Marina Rebeka
Un Simon Boccanegra concertant mais qui au vu de la distribution vaut bien des versions scéniques ; le couple Tézier-Pertusi, deux astres des scènes, qu’on a déjà vu dans le Don Carlo inaugural de la saison présente 2022-2023 se retrouve pour deux représentations, Meli en Gabriele Adorno de très grand luxe, Marina Rebeka en Amelia aura la voix, mais sans doute pas l’émotion attendue dans un rôle qui en demande tant. Mais ne chipotons pas…
En fosse Michele Spotti, qui pas à pas devient l’un des chefs les plus fréquents du répertoire italien : il affronte de plus en plus Verdi, Don Carlos et Rigoletto à Bâle par exemple alors qu’on le considérait comme essentiellement rossinien. Avec Boccanegra, il accède à la cour des grands.
Deux représentations qui sont de réelles promesses.

Octobre – Novembre 2024
Georges Bizet : Carmen
8 repr. du 25 oct. au 3 nov. – Dir : Dan Ettinger/MeS : Daniele Finzi Pasca
Avec Aigul Aktmetshina/Viktoria Karkacheva, Dmytro Popov/Jean-François Borras, Mattia Olivieri/Ernesto Petti, Selene Zanetti/Carolina López Moreno etc…
Reprise prod. 2015
La saison s’achève avec un must, l’opéra le plus représenté au monde (et ici 8 représentations d’une reprise, ce qui veut dire un bon rapport financier pour le théâtre). La Production est signée du tessinois Daniele Finzi Pasca, qui avait ouvert l’ère Aviel Cahn à Genève par une belle réussite, Einstein on the Beach, de Philip Glass.
Deux distributions qui chacune ont leur prix, à commencer par les deux Carmen, incarnées par les deux mezzos qui explosent en ce moment, Aigul Aktmetshina et Viktoria Karkacheva : notez leur nom, elles vont inonder les scènes dans les prochaines années. À Dmytro Popov vaillant sans plus, on préfèrera Jean-François Borras en Don José pour d’évidentes raisons à la fois idiomatiques, techniques et artistiques : le ténor français cultive l’art du chant avant celui du ténor ténorisant. Mattia Olivieri est désormais un des barytons de choix dans les chanteurs italiens, bon acteur, qui devrait convenir à Escamillo, et de son côté Selene Zanetti a tout d’une idéale Micaela. Je conseillerais presque (si vous êtes à Naples) de voir les deux distributions, tant les deux Carmen incarneront deux facettes très différentes du personnage.
En fosse, Dan Ettinger, solide, sûr, mais pas inoubliable.

 

BALLET

Il y a une grande tradition napolitaine du ballet et celui du San Carlo est dirigé par Clotilde Vayer venue de l’Opéra de Paris où elle était directrice adjointe de la danse. Le ballet du San Carlo essentiellement composé de « precari » (CDD) a été consolidé l’an dernier par la création de 21 CDI, le but étant d’arriver à une compagnie stable d’une quarantaine de membres, le théâtre a donc ouvert un concours où 80% des reçus appartenaient au corps de ballet du San Carlo en CDD.  On perçoit là encore les problèmes de gestion d’un théâtre qui n’a pas, comme nous l’écrivions toute la stabilité voulue pour être « en état de marche ».
La saison 2023-24 propose quatre soirées de ballet de répertoire plutôt classique.
Le ballet est dans toutes les maisons un moyen d’engranger de la trésorerie puisque les corps de ballet sont des troupes qui coûtent en salaire et pas en cachets, et qu’en général les soirées affichent complet.
On ne s’étonnera pas de voir à la fois des productions de ballets louées ailleurs sans doute rarement ou pas présentés à Naples et un minimum de six soirées par production. Toujours s’affiche la prudence de gestion dans un théâtre fragile.

Décembre 2023- Janvier 2024
Ludwig Minkus : Don Quichotte

7 repr. du 23 déc. au 4 janv. (Chor : Rudolf Noureev-Marius Petipa/Dir : Martin Yates)
4 repr. « Familles » (à 12h, version réduite, musique enregistrée) les 24 et 31 déc/3 et 4 janvier).
Orchestre et ballet du Teatro San Carlo
Production du Royal Swedish Opera

Un des grands ballets du répertoire académique, une chorégraphie de Noureev ; programme de fin d’année idéal.

 

Avril-mai 2024

Serguei Prokofiev : Romeo et Juliette
6 repr. du 28 avr. au 5 mai (Chor : Kenneth McMillan/ Dir : Paul Connelly)
Orchestre et ballet du Teatro San Carlo
Production du Royal Birmingham Ballet

Un autre des grands piliers du répertoire de ballet, créé au Royal Ballet de Londres en 1965 par Rudolf Noureev et Margot Fonteyn. Et cette chorégraphie est devenue un mythe, reprise sur toutes les scènes du monde, signée de Kenneth McMillan mort en 1992, qui allie modernité et classicisme.

 

Juillet 2024
Soirée Jérôme Robbins

5 repr. du 19 au 28 juillet ( Chor : Jérôme Robbins/Dir : Philippe Béran/Piano : (Chopin) : Aniello Mallardo Chianese ; (Ravel) : Alessandra Brucher)
Orchestre et ballet du Teatro San Carlo

Autre chorégraphe mythique, popularisé par sa chorégraphie et sa mise en scène de West Side Story à Broadway en 1957 puis par le film de Robert Wise en 1961 dont sont présentés trois pièces courtes mais très symboliques :
In the night, ballet en quatre mouvements, sur les musiques des  Nocturnes n° 1 op. 27, n° 1 e n. 2 op. 55, n° 2 op. 9 de Fryderyk Chopin
Afternoon of a faun, du poème symphonique Prélude à l’après-midi d’un faune, de Claude Debussy
En sol , Concerto en sol majeur pour piano et orchestre de Maurice Ravel

 

Septembre 2024
La danse française de Serge Lifar à Roland Petit
6 repr. du 7 au 11 sept. (Chor : Serge Lifar- Roland Petit/Dir : Philippe Béran)
Orchestre et ballet du Teatro San Carlo
Production du Teatro dell’Opera di Roma

Suite en Blanc, Extrait de Namouna d’Édouard Lalo
Chorégraphie : Serge Lifar reprise par Charles Jude
L’Arlésienne
, musique de Georges Bizet
Chorégraphie : Roland Petit reprise par Luigi Bonino
Le jeune homme et la mort
, musique de Jean-Sébastien Bach
(Passacaille en do mineur, BWV 582)
Chorégraphie : Roland Petit reprise par Luigi Bonino

Une soirée composée de trois ballets piliers du répertoire parisien qui clôt une saison à la fois réduite mais diverse par les styles combinant petites formes et grands ballets.

 

CONCERTS ET RÉCITALS

 

Dans une ville qui au contraire de Rome n’a pas une offre musicale très étoffée en dehors du San Carlo, le rôle d’une saison symphonique est déterminante, nous l’avons d’ailleurs déjà évoqué. La suppression en 1992 de l’Orchestra Scarlatti de la RAI puis le regroupement en un seul orchestre à Turin a mis en difficulté la vie musicale napolitaine. La naissance de la Nuova Orchestra Scarlatti dès 1993 a tenté non sans vaillance de combler le vide. Il reste que le San Carlo reste le centre musical de référence.
Ainsi sont programmés en 2023-2024 15 concerts et récitals (exactement 6 récitals et 9 concerts, sur l’ensemble de l’année dont trois concerts du directeur musical Dan Ettinger. Souvent, les chefs invités de la saison lyrique dirigent un concert symphonique en complément, mais on trouve aussi d’autres noms. Chaque concert est donné une seule fois, signe que le public n’est pas encore tout à fait reconstitué pour ce type de manifestation.

Il reste qu’il manque à cette programmation une meilleure lisibilité (séparer les concerts des récitals de chant par exemple). En revanche la programmation des récitals est visiblement destinée à attirer le public (par exemple, la chanson napolitaine, qui gagne à être connue par ailleurs), exclusivement ciblée sur les airs d’opéra populaires. Notons de Luca Salsi fait la part belle au Verdi français, ce qui est une excellente idée.
Un étalement plus clair des concerts symphoniques tout au long de la saison serait aussi souhaitable.

20 Décembre 2023
Concert de Noël

Orchestra e coro del Teatro San Carlo
Dir : Dan Ettinger

Schubert : Symphonie n°5 en si Bémol majeur D.485
Mozart : Grande messe en ut mineur K.427
Nadine Sierra, soprano
Ana Maria Labin, soprano
Attilio Glaser, ténor
Adolfo Corrado, basse

26 Janvier 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Pinchas Steinberg
Nikolai Lugansky, piano

Rachmaninov : Concerto n°3 en ré mineur pour piano et orchestre, op.30
Chostakovitch : Symphonie n°5 en ré mineur, op.47

2 février 2024
Jonas Kaufmann
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Jochen Rieder
Extraits de The Great Caruso, Love Story, Gladiator, Once Upon a Time in America, West Side Story, South Pacific
Musiques de Nino Rota, Bernard Herrmann, Max Steiner, Franz Waxman, Leonard Bernstein

24 février 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Ingo Metzmacher
Adriana di Paola, mezzosoprano
Francesco Castoro, ténor
Dario Russo, baryton

Stravinsky, Ballet avec chant en un acte
Beethoven Symphonie n°7 en la majeur op. 92

14 mars 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Marco Armiliato
Lucas Debargue, piano
Matilda Lloyd, trompette

Beethoven, Egmont , ouverture en fa mineur op.84
Chostakovitch, Concerto n°1 op. 35 pour piano et orchestre à cordes accompagné de trompette op.35
Mendelssihn, Symphonie n°4 en la majeur op.90

20 avril 2024
Maria Agresta, hommage à Naples

Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Antonio Sinagra
Maria Agresta, soprano

Raffaele Viviani, “Bammenella”
Ernesto De Curtis / Edoardo Nicolardi, “Voce ’e notte”
Totò, “Malafemmena”
Ernesto Tagliaferri / Nicola Valente / Libero Bovio, “Passione”
Eduardo Di Capua / Vincenzo Russo, “I’ te vurria vasà”
Mario Pasquale Costa / Salvatore Di Giacomo, “Era de maggio”
Rodolfo Falvo / Enzo Fusco, “Dicitencello vuje”
Salvatore Cardillo / Riccardo Cordiferro, “Core ’ngrato”
Filippo Campanella / Raffaele Sacco, “Te voglio bene assaje”
Ernesto De Curtis / Giambattista De Curtis, “Torna a Surriento”
Gaetano Lama / Libero Bovio, “Reginella”
Eduardo Di Capua / Alfredo Mazzucchi / Giovanni Capurro, “’O sole mio”
Enrico Cannio / Aniello Califano, “’O surdato ’nnammurato”
Ernesto De Curtis / Libero Bovio, “Tu ca nun chiagne”
Alberto Barberis / Michele Galdieri, “Munasterio ’e Santa Chiara”
Francesco Paolo Tosti / Gabriele D’Annunzio, “’A vucchella”

 

10 mai 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Edward Gardner
John Relyea, basse

Berlioz, le carnaval romain, ouverture op.9
Moussorgski, Chants et danses de la mort, cycle de quatre chants pour voix et orchestre
Brahms, symphonie n°4 en mi mineur op.98

11 mai 2024
Récital
Barbara Hannigan, soprano
Bertrand Chamayou, piano

Zorn, Jumalattaret
Scriabine, Sélection d’extraits pour piano seul
Messiaen, Chants de Terre et de Ciel

24 mai 2024
Récital
Nadine Sierra, soprano
Vincenzo Scalera, piano

Gounod, Roméo et Juliette, “Ah, je veux vivre”
Gustave Charpentier Louise, “Depuis le jour”
Richard Strauss
“Allerseelen”, op. 10 n. 8
“Ständchen”, op. 17 n. 2
“Morgen”, op. 27 n. 4
“Wiegenlied”, op. 41 n. 1
“Cäcilie”, op. 27 n. 2
Giuseppe Verdi La traviata, “È strano… Sempre libera”
Gaetano Donizetti Don Pasquale, “Quel guardo il cavaliere… So anch’io la virtù magica”
Heitor Villa-Lobos “Melodia Sentimental”
Ernani Braga “Engenho Novo!”
Joaquín Rodrigo Cuatro madrigales amatorios
“¿Con qué la lavaré?”
“Vos me matasteis”
“¿De dónde venís, amore?” “De los álamos vengo, madre”
Gerónimo Giménez El barbero de Sevilla, “Me llaman la primorosa”

7 juin 2024
Récital
Luca Salsi, baryton
Nelson Calzi, piano

Bizet “Pastel” “Voyage”
Hahn “Si mes vers avaient des ailes”
Martucci Notturno, op. 70 n. 2
Rossini  Guillaume Tell, “Sois immobile”
Donizetti La favorite, “Léonor, viens, j’abandonne“
Verdi
Les vêpres siciliennes, “Au sein de la puissance”
Macbeth, “Honneur, respect, tendresse”
Martucci Notturno, op. 70 n. 1
Verdi Don Carlos, “C’est moi, Carlos… C’est mon jour… Carlos, écoute”

 

22 juin 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Dan Ettinger
Leonidas Kavakos, violon

Ravel, Tzigane, Rhapsodie de concert pour violon
Sibelius, Sérénade n°1 en ré majeur pour violon et orchestre op. 69
Chausson, Poème pour violon et orchestre op.25
Schumann, Symphonie n°4 en ré mineur op.120

28 juin 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Dan Ettinger
Gregory Kunde, ténor

Liszt, Eine Faust-Symphonie d’après Goethe pour soliste, chœur d’hommes et orchestre S.108

4 juillet 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : James Ga ffigan
Lisette Oropesa, soprano

Schubert, Symphonie n°3 en ré majeur D.200
Mozart
“Vado, ma dove? Oh Dei!”, K. 583
“A Berenice… Sol nascente”, K. 70
Tchaikovski, Romeo e Giulietta, Ouverture-fantaisie en si mineur

6 octobre 2024
Jonas Kaufmann/Ludovic Tézier
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Jochen Rieder
Jonas Kaufmann, ténor
Ludovic Tézier, baryton

Giuseppe Verdi
La forza del destino, Ouverture
“Solenne in quest’ora”
“Morir! Tremenda cosa!”
“La vita è inferno all’infelice”
“Invano Alvaro ti celasti al mondo”

Giuseppe Verdi
I vespri siciliani, Ouverture

Amilcare Ponchielli La Gioconda,
“Enzo Grimaldo, Principe di Santafior”
Danza delle ore
“Cielo e mar!”

Giuseppe Verdi Otello, “Tu?! Indietro! Fuggi!”
Giacomo Puccini La bohème, “O Mimì, tu più non torni”
Giuseppe Verdi Don Carlo, “Dio, che nell’alma infondere”

28 juin 2024
Orchestra del Teatro San Carlo
Dir : Mikko Franck
Anna Tifu, violon

Sibelius, Concerto pour violon et orchestre en ré mineur, op. 47
Bruckner, Symphonie n°7 en mi majeur

FESTIVAL DE PIANO

Quatre rencontres avec des pianistes de renom à la fin du mois de mai forment le « Festival de piano ».

Samedi 25 mai 2024
Gregory Sokolov
Programme à annoncer

Mardi 28 mai 2024
David Fray

Bach, Aria avec 30 variations, en sol majeur pour clavecin, BWV 988 “Variations Goldberg”

Liszt,
Années de pèlerinage. Deuxième année: Italie, S. 161
Sposalizio
Années de pèlerinage. Troisième année, S. 163
Les jeux d’eaux à la Villa d’Este
Années de pèlerinage. Deuxième année: Italie, S. 161
Sonetto 104 del Petrarca
Après une lecture de Dante

Mercredi 29 mai 2024
Mikhail Pletnev

Scriabine, vingt-quatre préludes, op. 11
Chopin, vingt-quatre préludes pour piano, op. 28

Vendredi 31 mai 2024
Francesco Piemontesi

Beethoven
Sonate n° 21 en ut majeur pour piano, op. 53 “Waldstein”
Sonate n° 30 en mi majeur pour piano, op. 109

Debussy, Préludes pour piano – Livre II, L. 131

 

MUSIQUE DE CHAMBRE :

Comme à la Scala, dont nous avons salué l’initiative, le théâtre propose une programmation spécifique de musique de chambre, 9 concerts très variés avec des membres de l’orchestre du San Carlo, une fois par mois, le dimanche à 18h à un tarif plutôt séduisant aussi bien pour le public local que les touristes de passage.

Les dates sont :

Dimanche 7 janvier : Andante appassionato
En ouverture du cycle, en grande formation de chambre  (« I reali Filarmonici ») dans un programme Saint-Saëns, Fauré, Rimski-Korsakov, Rachmaninov, Respighi

Dimanche 4 février : Mozart
Deux pièces de Mozart, le Divertimento pour cordes en mi bémol majeur « Grand trio » K.563 et le Quatuor n°1 pour flûte et cordes en ré majeur K.285

Dimanche 10 mars : Bach/Haydn/Ries
Un parcours du XVIIIe au XIXe pour cordes, flûte et clavecin

Dimanche 21 avril : Violoncelles du Teatro San Carlo
Les ensembles de violoncelles sont toujours spectaculaires, ici dans un programme Bach, Aeschbacher, Forino, Elgar, Rachmaninov, Villa-Lobos

Dimanche 12 mai : Stravinski/Khatchaturian/Bartók
Programme de trois trios pour violon, clarinette et piano qui commencera par l’Histoire du Soldat de Stravinsky.

Dimanche 16 juin : Omaggio alla lirica italiana
Des arrangements d’airs célèbres de Rossini, Verdi, Puccini pour vibraphone, violon, alto, contrebasse

Dimanche 15 septembre : Real Cappella del Teatro San Carlo
Formation baroque du Teatro San Carlo (violons, alto, violoncelle, contrebasse, orgue) dans un programme Pergolèse, l’un des plus grands représentants de l’école napolitaine, avec soprano et contralto :
Salve Regina pour soprano, quatuor à cordes et basse continue,
Salve Regina pour contralto, quatuor à cordes et basse continue,
Stabat Mater pour soprano, contralto, quatuor à cordes et basse continue.

Dimanche 20 octobre : Rossini/Mendelssohn
Programme pour cordes
Rossini,
Sonate à quatre n°1 en sol majeur pour deux violons, alto et violoncelle
Sonate à quatre n°2 en la majeur pour deux violons, alto et violoncelle
Mendelssohn, Octuor en mi bémol majeur pour cordes op.20

Dimanche 10 novembre : Mahler
Direction musicale : Maurizio Agostini
Mahler, Symphonie n°4 en sol majeur (arrangement d’Erwin Stein pour formation de chambre)

 

 

Conclusion

Au total, la programmation du San Carlo a une grande cohérence, elle est sensible aussi au public local, par sa prudence dans les choix de répertoire, mais aussi par une certaine variété de l’offre à tous niveaux. La programmation lyrique est loin de manquer d’intérêt, la programmation symphonique assez ouverte et les concerts de musique de chambre ont un programma souvent séduisant, ils sont aptes à attirer un public moins habituel, curieux de pénétrer dans cette salle mythique, à un tarif particulièrement avantageux (15 Euros).
En somme, cette programmation démontre une activité, une ambition, et déjà un bilan car les deux saisons précédentes n’ont pas fait rougir.

C’est pourquoi voir l’État italien déstabiliser brutalement l’institution pour des motifs qui n’ont rien à voir avec l’artistique a quelque chose de désolant, voire d’imbécile mais hélas habituel.

Il reste à espérer qu’une solution pour le théâtre soit trouvée qui le consolide, et que cette merveille ne retombe pas dans les sables mouvants du passé.

 

 

LA SAISON 2022-2023 DU TEATRO SAN CARLO DE NAPLES

Le paysage lyrique italien d’aujourd’hui a singulièrement évolué depuis quelques années, notamment depuis qu’il n’y plus d’institution lyrique qui en soit un fer de lance incontesté. C’est pourquoi pour tout amateur d’opéra intéressé à la vie musicale de la Péninsule, il me semble très stimulant de comparer les politiques des théâtres les plus marquants. Avant d’aborder le Maggio Musicale Fiorentino et l’Opéra de Rome, nous nous intéressons au Teatro San Carlo, l’un des théâtres emblématiques de l’histoire de l’opéra en Italie, dont l’Intendant est Stéphane Lissner.
Entre les annonces lors de son arrivée à Naples, qu’il avait précisé lors d’une interview à Wanderersite.com et la confrontation avec la réalité, pandémie, crise économique, travaux à réaliser dans le théâtre, les choses ne sont pas si faciles, et une personnalité telle que celle de Stéphane Lissner suscite évidemment des oppositions, des critiques, et des manœuvres d’arrière-cour. Si personnage est contesté, on ne peut en revanche contester ni sa force, ni son dynamisme, ni sa malice.
La saison 2021-2022 se poursuit avec L’Eugène Onéguine signé Barrie Kosky, première mise en scène montrée en Italie du metteur en scène australien qui, comme on le sait, vit à Berlin et qui est l’un des plus prolifiques et inventifs dans le paysage actuel et s’annonce pour l’automne un Tristan und Isolde avec rien moins que Nina Stemme, Stuart Skelton, René Pape, Okka von der Damerau, des noms qu’on n’avait pas encore applaudis à Naples.

 

La saison 2022-2023 est marquée par plusieurs éléments :

  • Le théâtre va rester fermé plusieurs mois pour des travaux importants notamment sur la scène, et l’activité sera transférée au Teatro Politeama, une salle qui accueillit des spectacles populaires, des revues (dont celles de Wanda Osiris (1905-1994), célébrissime en Italie). Les productions seront présentées au Politeama en version concertante, manière élégante de conjuguer la nécessité (les travaux) et les économies (frais réduits à la seule distribution, les autres étant des frais fixes)
  • Des productions alléchantes, et un répertoire essentiellement italien (8 titres sur 12), alliant reprises populaires (Butterfly, Bohème, Rigoletto) et titres plus exigeants ou moins représentés (Don Carlo, Anna Bolena Macbeth, Beatrice di Tenda, Maometto II) et par ailleurs 4 autres titres alléchants (Damnation de Faust, Walküre, Requiem de Mozart en version scénique et une création locale d’une œuvre contemporaine Winter Journey)
  • Des metteurs en scène qu’on voit rarement en Italie, Claus Guth pour Don Carlo, Romeo Castellucci (pour la première fois à l’Opéra en Italie) pour le Requiem de Mozart vu à Aix, Calixto Bieito (un peu plus fréquent) pour Maometto II, et Jetske Mijnssen (totalement nouvelle dans la péninsule) pour Anna Bolena.
  • Des reprises du répertoire du San Carlo comme Butterfly et Bohème (reprise de la nouvelle production d’Emma Dante en 2021) et comme Die Walküre signée Federico Tiezzi en 2004-2005.  Des distributions dans l’ensemble très soignées, que ce soit pour les nouvelles productions ou des reprises.

Au total, une saison équilibrée, sinon équilibriste, qui joue sur plusieurs claviers, en essayant d’offrir sur chaque production un élément qui puisse attirer le public, qui comme partout ailleurs, se fait un peu prier pour revenir.

 

La saison lyrique

Novembre-décembre 2022
Giuseppe Verdi
Don Carlo
5 repr. du 26 nov. au 6 déc. – Dir : Juraj Valčuha/MeS : Claus Guth

Avec Michele Pertusi, Matthew Polenzani, Ailyn Perez, Elina Garanča, Ludovic Tézier/Ernesto Petti
Version en cinq actes (en italien)
On peut discuter Matthew Polenzani dans Carlo, ou Ailyn Pérez dans Elisabetta, mais ni Pertusi, ni Tézier (pour 4 repr.) et évidemment pas Garanča. Le public napolitain sera peut-être perplexe devant le travail de Claus Guth, mais devra reconnaître son intelligence. Et puis en fosse, Juraj Valčuha, qui est un chef remarquable fera sans nul doute sonner cette version en cinq actes de Don Carlo (dite version de Modène), pour cette série de représentations d’adieux puis qu’il quitte la direction musicale du San Carlo en décembre 2022 . Sans doute la préparation plus lourde qu’aurait demandé la version originale française a-t-elle fait reculer, mais la version de Modène est un moindre mal.
Il y a vraiment de quoi faire une virée napolitaine pour profiter de son doux soleil d’automne et de ce Verdi quand même exceptionnel.

 

Janvier 2023
Giuseppe Verdi
Rigoletto

4 repr. du 15 au 24 janvier (Dir : Lorenzo Passerini)
Avec Nadine Sierra, Pene Patti, Ludovic Tézier
En version de concert au teatro Politeama
Avec une telle distribution, dominée par le meilleur Rigoletto actuel, et avec une Gilda d’exception et un des nouveaux ténors les plus en vue, le public se moquera sans doute de l’absence de production.  Sur le podium, Lorenzo Passerini, 31 ans, qui depuis la saison dernière dirige dans beaucoup de théâtres, notamment en Allemagne et ailleurs, et qui représente la jeune génération de chefs italiens valeureux.

Février 2023
Hector Berlioz
La Damnation de Faust
4 repr. du 7 au 15 février – Dir : Pinchas Steinberg
Avec Ildar Abdrazakov, Charles Castronovo, Anita Rashvelishvili
En version de concert au teatro Politeama
Encore une distribution flatteuse pour le chef d’œuvre de Berlioz qui va pour l’occasion retrouver son allure d’oratorio prévue à l’origine. On sait que Stéphane Lissner a donné à Anita Rasvelishvili la chance de débuter dans Carmen à la Scala. Charles Castronovo devrait être un Faust séduisant vocalement et on ne présente plus Ildar Abdrazakov. Le tout sous la baguette de Pinchas Steinberg, vieux routier de l’opéra, familier des scènes italiennes, qui garantit un vrai travail d’orchestre..

 

Mars 2023
Giuseppe Verdi
Macbeth
4 repr. du 8 au 18 mars – Dir : Marco Armiliato
Avec Luca Salsi, Alexander Vinogradov, Sondra Radvanovsky, Giulio Pelligra etc…
En version de concert au teatro Politeama
Troisième titre de Verdi dans la saison, soit un quart des titres de l’année. Avec une distribution dominée par Luca Salsi qui promène son Macbeth de Vienne à la Scala, Sondra Radvanovsky, l’une des grandes chanteuses verdiennes du moment (il faut en profiter, elles sont rares), et Alexander Vionogradov, qui promène les basses nobles verdiennes de Zaccaria de Nabucco à Fiesco de Boccanegra dans l’Europe entière. C’est le dernier titre exilé au teatro Politeama, dirigé par Marco Armiliato, l’un des chefs le plus souvent sollicité dans les grandes maisons pour le répertoire italien.
À noter que Radvanovsky et Salsi chantent Macbeth au Liceu de Barcelone en février 2023, dans une production du sculpteur-graveur Jaume Plensa et sous la direction de Josep Pons. Vous aurez donc le choix…


Avril 2023
Richard Wagner
Die Walküre
5 repr du 16 au 29 avril – Dir : Dan Ettinger / MeS Federico Tiezzi
Avec Jonas Kaufmann, Christopher Maltman, John Releya, Okka von der Damerau, Vida Miknevičiūtė.
Pour le retour dans les murs du San Carlo, Stéphane Lissner a réuni une distribution exceptionnelle pour une reprise de Die Walküre dans la production maison, créée en 2005. Dans la fosse, un de ses chefs favoris, le solide Dan Ettinger, qui sera devenu depuis janvier 2023 le directeur musical du San Carlo, succédant à Juraj Valčuha (à mon avis on y perd un peu…)
Jonas Kaufmann en Siegmund, Vida Miknevičiūtė nouvelle en Italie en Sieglinde qui va aussi faire Salome à la Scala, le Wotan nouveau de Christopher Maltman et la Brünnhilde presque neuve d’Okka von der Damerau qu’ona bien aimé à Stuttgart dans sa prise de rôle en avril dernier.
Inutile de dire que cela vaut le voyage…

 

Mai 2023
W.A.Mozart
Requiem

4 repr. du 16 au 20 mai 2023 – Dir : Raphaël Pichon / MeS : Romeo Castellucci
Avec Giulia Semenzato, Sara Mingardo, Julian Pregardien, Nahuel di Pierro
Ensemble Pygmalion Orchestre et chœur du San Carlo.
Ensemble Pygmalion et forces du San Carlo s’unissent sous la direction de Raphael Pichon dans la production qui avait triomphé à Aix en 2019 et qui arrive à Naples, et avec elle pour la première fois sur une scène d’opéra en Italie, une mise en scène de Romeo Castellucci qui devrait être sans doute bien accueillie par le public napolitain, en tous cas mieux que d’autres vues ailleurs. Distribution composée d’excellents chanteurs, dont la seule Sara Mingardo était à Aix.
Pour ceux qui ont envie de voir ou revoir ce merveilleux spectacle. C’est une très belle initiative.

 

Juin 2023
Gaetano Donizetti
Anna Bolena
4 repr. du 8 au 17 juin – Dir : Riccardo Frizza – MeS : Jetske Mijnssen
Avec Alexander Vinogradov, Maria Agresta, Elina Garanča, Xabier Anduaga etc…
Lissner avait annoncé qu’il ferait les trois reines de Donizetti, et voici Anna Bolena dans une distribution où vont s’affronter Maria Agresta en Anna et Elina Garanča en Giovanna Seymour… Ce dernier nom suffit pour faire ses réservations…
Mais Vinogradov, Agresta et Anduaga font une très belle distribution qui sera dirigée par le spécialiste italien de Donizetti, Riccardo Frizza, directeur musical du festival Donizetti de Bergamo. Autant dire que tous les atouts sont réunis. Seule inconnue, la mise en scène de Jetske Mijnssen, qui ne m’avait pas convaincu dans Don Pasquale à la Komische Oper, mais qui semble-t-il a mieux réussi dans cette production qui vient d’Amsterdam.
Évidemment, vaudra le voyage, sans faute.

Juin-Juillet 2023
Giacomo Puccini
La Bohème
7 repr. du 30 juin au 7 juillet – Dir : Francesco Lanzillotta/MeS : Emma Dante
Avec Diana Damrau/Selene Zanetti, Vittorio Grigolo/Vincenzo Costanzo, Andrzej Filończyk etc…
C’est l’été, et l’on programme les grands standards susceptibles d’attirer du public. Reprise de la récente production d’Emma Dante qui a ouvert le mandat de Stéphane Lissner, dans une double distribution, l’une de « stars », avec Damrau et Grigolo, l’autre avec Selene Zanetti qui avait créé la production et le jeune Vincenzo Costanzo, qui a 31ans, assez prometteur.  Le tout avec un Marcello de classe, le magnifique Andrzej Filończyk et en fosse, l’excellent Francesco Lanzillotta.  Une Bohème séduisante pour ce début d’été, qui vaudrait presque le voyage.

 

Septembre 2023
Giacomo Puccini
Madame Butterfly
8 repr. du 12 au 28 sept. – Dir : Dan Ettinger/MeS : Ferzan Ospetek
Avec Ailyn Pérez/Valeria Sepe, Saimir Pirgu/Vincenzo Costanzo, Marina Comparato
Si l’été s’ouvrait avec Bohème, il se ferme avec Butterfly, histoire de lancer la rentrée avec un titre populaire, comme Bohème, dans une production des réserves du San Carlo. Distribution correcte, avec Ailyn Pérez en Butterfly, et Saimir Pirgu en Pinkerton et des jeunes en distribution B. En fosse, Dan Ettinger. Soyons honnêtes, une Butterfly alimentaire qui ne fait pas trop rêver, qui ne coûte pas trop cher et remplit potentiellement la salle

 

Vincenzo Bellini
Beatrice di Tenda
Le 23 septembre 2023 – Dir : Giacomo Sagripanti
Avec Jessica Pratt, Matthew Polenzani, Andrzej Filończyk etc…
Pour une seule soirée en version de concert, et pour marquer le 190e anniversaire de la très rare Beatrice di Tenda de Bellini, créée en mars 1833 à la Fenice de Venise. En fosse, Giacomo Sagripanti qu’on connaît mieux pour son Rossini dirigera un solide trio, la pyrotechnique Jessica Pratt, Matthew Polenzani qui est un bon styliste sans forte personnalité, et l’excellent Andrzej Filończyk, l’un des barytons qui pourrait bien devenir une référence pour le répertoire de la première moitié du XIXe.

 

Ludovico Einaudi
Winter Journey
Les 7 et 8 oct – Dir : Carlo Tenan / MeS : Roberto Andò
Avec Malia, Badara Seck, Jonathan Moore…
Prévu en mars 2020 et annulé pour cause de Covid et de confinement, le spectacle du compositeur Ludovico Einaudi, l’un des compisteurs italiens à succès, dans toute l’Europe, signé Roberto Andò et dirigé par Carlo Tenan revient en automne 2023. Winter Journey est un voyage dans l’hiver européen contemporain et désolé, dans la solitude désespérée de ceux qui sont forcés d’abandonner leur propre pays pour s’embarquer vers des terres où ils peuvent mendier pour gagner leur vie. Un « Voyage d’hiver » gris et amer créé au Teatro Massimo de Palerme, dans cette Sicile qui accueille tant d’immigrés.

Octobre-novembre 2023
Gioachino Rossini
Maometto II
5 repr. du 25 oct. au 5 nov. – Dir : Michele Mariotti /MeS : Calixto Bieito
Avec Roberto Tagliavini, Dmitry Korchak, Vasilisa Berzhanskaja, Varduhi Abrahamyan etc…
La saison se termine alla grande par ce Maometto II de Rossini qui fut créé dans ce théâtre le 3 décembre 1820. Nul doute que Michele Mariotti devrait faire revivre l’œuvre avec la flamme voulue et la nécessaire élégance. La distribution est exemplaire, dominée par Roberto Tagliavini, devenu en quelques années une des basses italiennes de référence, et par Vasilisa Berzhanskaja qui est elle aussi devenue une mezzo incontournable dans Rossini, depuis sa Rosine du Barbiere di Siviglia à Rome, à ses côtés Varduhi Abrahamyan, toujours contrôlée, toujours élégante notamment dans les répertoires XVIIIe et Romantiques. Enfin, le ténor sera Dmitry Korchak, plus irrégulier mais bien connu des rossiniens.
La production est confiée à Calixto Bieito, qui devrait évidemment faire réagir les irréductibles grincheux, car il est rare d’avoir des metteurs en scène de ce calibre dans ce type de répertoire.
De toute manière, quel lyricomane n’inscrirait pas Naples dans ses voyages entre octobre et novembre 2023 ?

Concerts divers et ballets complètent les opéras, comme il se doit.
Au total, Stéphane Lissner joue un jeu d’équilibres subtils, investissant dans des distributions quelquefois follement excitantes, souvent alléchantes, ou au moins solides. Du point de vue des chefs, c’est tout aussi solide sans être éblouissant.
Ce jeu des équilibres on le retrouve dans la série de concerts qui allie, outre le néo directeur musical Dan Ettinger des chefs/cheffes de référence comme Susanna Mälkki ou Fabio Luisi, et dont les programmes alternent concerts vocaux (Netrebko, Agresta etc..) et concerts symphoniques où s’insèrent des voix çà et là, comme si même dans ces concerts, on restait fidèle à la tradition historique très vocale de ce lieu.

Les problèmes économiques très présents sont habilement contournés dans les productions par le recours à du répertoire de la maison, des coproductions ou locations de spectacles et des opéras en versions de concert.
Seules deux nouvelles productions sont « maison », celle de Don Carlo initiale et celle de Maometto II conclusive. Anna Bolena, la troisième, vient d’Amsterdam et le Requiem de Mozart vient d’Aix-en-Provence.

Il reste que, telle qu’elle est, cette saison habilement construite donne envie : elle est guidée par les voix, qui sont l’ADN de ce merveilleux théâtre, mais elle affiche aussi des ambitions dans les choix de mises en scène, entre Calixto Bieito, Claus Guth, Romeo Castellucci et Jetske Mijnssen. Peu d’institutions italiennes n’osent à ce point, tout en reprenant des spectacles locaux très dignes comme La Walkyrie de Federico Tiezzi ou La Bohème signée Emma Dante.
Le travail qui reste à conduire, c’est un travail important sur les forces musicales du théâtre : José Luis Basso, dont on connaît les qualités, a pris en main le chœur depuis une année et espérons que Dan Ettinger saura conduire sa phalange à progresser.
Entre les travaux de rénovation, la question économique, et la restructuration des forces du théâtre, il y a du pain sur la planche, mais la saison telle qu’elle est masque bien les difficultés. On sait à Naples comment faire rêver.

OPÉRA COMIQUE 2011-2012 : LA MUETTE DE PORTICI de D.F.E. AUBER le 15 avril 2012 (Dir.mus: Patrick DAVIN, Ms en scène: Emma DANTE)

Direction musicale, Patrick Davin
Mise en scène, Emma Dante
Décors, Carmine Maringola
Décors et costumes, Vanessa Sannino
Lumières, Dominique Bruguière
Collaboration aux mouvements, Sandro Maria Campagna
Assistante musicale, Alexandra Cravero
Assistant mise en scène, Giuseppe Cutino
Assistante décors et costumes, Mara Ratti
Assistante collaboration aux mouvements, Stéphanie Taillandier

Fenella, Elena Borgogni
Alphonse, Maxim Mironov
Elvire, Église Gutiérrez
Masaniello, Michael Spyres
Pietro, Laurent Alvaro
Borella, Tomislav Lavoie
Selva, Jean Teitgen
Lorenzo, Martial Defontaine

Production, Opéra Comique
Coproduction, Théâtre Royal de la Monnaie
Coproducteur associé, Palazzetto Bru Zane – Centre de musique romantique française

Quel qu’en soit le résultat, c’est déjà une bonne initiative que de proposer au public des œuvres d’Auber, qui connut une grande gloire au XIXème, et qui est aujourd’hui une rue et une station de métro sans que les millions de parisiens qui y passent ne sachent ce qui se cache derrière ce nom. J’ai pour ma part seulement vu Fra Diavolo, à la Scala en 1992, et dans sa version italienne  dirigée par Bruno Campanella dans une mise en scène de Jérôme Savary. J’ai entendu au disque en revanche Manon Lescaut, Gustave III ou le Bal masqué, La Muette de Portici.
C’est dire que j’étais bien tenté par cette production de l’Opéra comique, que j’ai pu voir à cause de l’annulation des Huguenots à Mulhouse pour cause de ténor malade. Et justement, Michael Spyres, le Masaniello de cette production, possède aussi Raoul à son répertoire. Si les dates ne s’étaient pas chevauchées…
Cette petite aventure souligne d’ailleurs la difficulté que peuvent avoir les théâtres à proposer des œuvres peu jouées. Sans double distribution, on court le risque de l’annulation. Quels ténors aujourd’hui possèdent Raoul ou Masaniello à leur répertoire? Et ce n’est pas seulement une question de rareté de répertoire, mais aussi de difficulté des rôles: apprendre un rôle difficile voir impossible, et de plus avoir la certitude qu’on ne le chantera pas souvent, ce cumul tient de l’apostolat.
On ne peut donc que louer à la fois le théâtre de la Monnaie pour sa politique (il est en effet coproducteur et des Huguenots, et de La Muette de Portici) et l’Opéra Comique, qui devient le théâtre spécialisé dans ce répertoire rare du XIXème siècle. Et pourtant, c’est bien sur ce répertoire que s’est construit le chant français au XIXème et la gloire de Paris, première scène d’Europe pour l’opéra à l’époque. Or, depuis longtemps, notre première scène ne cultive plus cette identité-là, et l’Opéra comique y revient grâce à l’intelligente politique de Jérôme Deschamps, qui aime ce répertoire.
La Muette de Portici (1828), ne mérite pas l’oubli, d’abord parce que c’est sans doute le seul opéra qui ait provoqué une révolution (la révolution belge de 1830), ensuite parce qu’on lit dans tous les bons livres qu’il a jeté les bases du “Grand Opéra” à la française. D’autres bons livres disent que le mérite en revient à Guillaume Tell de Rossini qui date de 1829, soit un an après: disons donc que la période fut favorable à la naissance de ce genre, opéra à grand spectacle, avec de nombreux changements de décors, des chœurs impressionnants, une foule de figurants en scène.
Alors la première question qu’on doit se poser, c’est qu’en réalité La Muette de Portici serait faite pour Garnier ou Bastille, pour répondre à l’idée de “Grand Opéra”, et de fait, c’est une production née à l’Opéra et non à l’Opéra Comique. La proposer à l’Opéra Comique, c’est se contraindre à une scène aux dimensions réduites, c’est renoncer au “grand” spectacle, c’est proposer l’œuvre dans un cadre qui n’est pas fait pour elle et donc peut-être en trahir les intentions. On va d’ailleurs voir plus loin que cela pose quand même des problèmes de réalisation, de relation scène fosse, de mise en scène. Mais comme on n’imagine pas une production d’Auber à l’Opéra National de Paris avant longtemps, merci à Jérôme Deschamps de nous l’avoir révélée.
En bref, l’histoire est double: d’une part une histoire d’amour contrariée, d’autre part une histoire politique, et les deux s’entremêlent. Fenella, une jeune fille muette, a été séduite puis abandonnée par un noble (en réalité Alphonse d’Arcos, le fils du vice-roi) qu’elle reconnaît (et qu’elle dénonce) le jour de son mariage avec Elvire, noble Dame espagnole. Et

Portrait de Masaniello, par Micco Spadaro

Fenella est la sœur de Masaniello – personnage historique, grande figure de l’histoire napolitaine né en 1620 et mort en 1647 – (contraction de Tommaso Aniello), chef des pêcheurs de Portici, près de Naples, qui va profiter de l’infortune de sa sœur pour fomenter une révolte populaire contre le pouvoir tyrannique des espagnols. Mais il se refuse à poursuivre les violences et s’oppose à ses compagnons. Même si les insurgés chassent momentanément le vice-roi, cela finit mal: Masaniello est tué par les siens et Fenella se jette par la fenêtre.
En écoutant cette musique, on est évidemment frappé de sa relation à Rossini: notamment au début. L’ouverture a bien le schéma d’une ouverture rossinienne, avec ses trois parties et sa seconde partie très dynamique, ainsi que le premier air d’Elvira. On entend aussi beaucoup d’échos de Cherubini. N’oublions jamais Cherubini, qui va jeter les bases de l’Opéra et l’opéra comique du XIXème avec Mehul et Boieldieu, et quand j’écris Cherubini, je pense aussi Lodoïska, cet opéra que j’adore et qui fut le plus grand succès de la révolution française. Il reste que Cherubini est un personnage important du Paris musical, qu’il va être directeur du conservatoire 40 ans et qu’Auber lui succèdera à ce poste. On sent dans la musique d’Auber des échos forts des opéras de Cherubini. Rossini et Cherubini: étonnez-vous qu’Auber ait été si populaire en Italie aussi .
Que sa Muette de Portici ait pu influencer par sa portée politique (ou par l’influence du drame musical sur le contexte politique) Richard Wagner, il n’y a pas de quoi étonner, lui qui va faire bientôt Rienzi, magnifique parabole sur le pouvoir et ses dérives. Wagner aimait beaucoup Rossini, Auber et Gaspare Spontini, le troisième compositeur phare des trente premières années du XIXème, encore plus ignoré en France (depuis quand n’a-t-on pas joué La Vestale ou Fernand Cortez à Paris?). Riccardo Muti fut un grand défenseur de Cherubini et de tout ce répertoire, que ne le joue-t-il pas plus souvent sur les scènes européennes: pour qu’un tel répertoire refleurisse, il faut qu’il soit porté par une grande personnalité du monde musical. Où seraient des œuvres comme les messes de Cherubini ou Lodoïska si Muti ne les avaient pas enregistrées.
Cette Muette de Portici vaut donc bien plus que l’oubli dans lequel elle est injustement tombée. D’autant qu’écrire un opéra dont l’héroïne est muette, interprétée par une danseuse, tient évidemment du clin d’œil et de l’acrobatie. Dans la mise en scène d’Emma Dante, elle est muette, mais pas inerte. Elle rampe, se débat, se heurte, se tord, se roule, comme une sorte d’animal sauvage, une sauvageonne qui remplit la scène dès qu’elle apparaît (avant même le début du spectacle). Elena Borgogni est actrice, mais elle a une telle maîtrise de son corps, de ses mouvements corporels, qu’elle pourrait bien être danseuse. Le personnage arrive a dominer le plateau, elle s’oppose au groupe, elle s’oppose aux soldats (magnifique groupe d’acteurs/danseurs) qui eux mêmes sont des acrobates accomplis. Ainsi Emma Dante résout-elle le problème de Fenella, en en faisant une figure de la différence, de l’altérité, une sorte d’image qui repousse, et qui répond par le bien. Son rapport au vice-roi et à Elvire est à ce titre effectivement d’ordre de la sainteté, comme l’image finale le suggère. C’est ainsi que le peuple se construit ses héros.
Car Emma Dante a fait une mise en scène qui essaie de remplacer la profusion du grand opéra par une économie de moyens assez séduisante, grâce aussi aux solutions du décorateur Carmine Maringola: des portes sur praticable à roulette , qui se déplacent, créent des espaces, ou les structurent, tantôt portes capitonnées, à la cour, ou portes de bois, à la ville, ces portes peuvent disparaître et laisser l’espace aux voiles, légers, qui structurent, eux , l’univers du peuple et des pêcheurs (vent, mer, et costumes passe partout). Au peuple les pieds nus, à la cour les chaussures (dorées).

©Agathe Poupeney

La cour (beaux costumes de Vanessa Sannino) est vue comme un monde figé, comme des poupées de porcelaine (avec lesquelles les danseurs dansent en un ballet macabre) ou comme des santons napolitains, avec ses coiffures un peu folles, qui rappellent certains tableaux de Velasquez qu’on va ensuite voir apparaître: lustre et Velasquez deviennent des symboles de la cour espagnole, c’est en effet sous le règne de Philippe IV que la révolte de Masaniello a lieu, et son portrait trône en scène,

Portrait de Philippe IV en armure, par Velazquez
Portrait de Philippe IV par Velasquez

mais aussi les coiffures des courtisans le rappellent, voire les costumes. Ce monde de la cour se renverse au dernier acte, occupé par le peuple qui s’empare des symboles du pouvoir et qui n’en fait rien: scène qui rappelle étrangement le fameuse scène de la prise des Tuileries de l’Éducation sentimentale de Gustave Flaubert où le peuple envahit la palais vide, quand tout est fini, et le pille, et où Flaubert assène dans la bouche de Hussonnet avec une terrible ironie “Quel mythe ! ” dit Hussonnet. ” Voilà le peuple souverain ! “: là où en 1792 le peuple avait créé une république, en 1848, il ne fait que détruire les symboles du pouvoir et il s’en travestit. De Auber à Flaubert, il n’y a que quelques consonnes en plus…Car l’idée contenue chez Auber est bien celle-là, les révolutions finissent toujours par profiter à un tyran, ce sera le cas à Naples dans l’histoire où Masaniello se fait haïr par le peuple(mais dans l’opéra, le peuple va le chercher malgré tout quand le danger revient) c’est aussi le cas dans Rienzi, et évidemment dans tout Shakespeare. Car dans cette parabole, Auber ménage et les uns et les autres, le peuple est opprimé, mais il ne sait pas gérer sa victoire et tombe dans la violence et l’excès (Pietro, très bien interprété par Laurent Alvaro, à la belle voix de baryton-basse), puis dans la lâcheté, puisqu’après avoir rejeté Masaniello, il va le rechercher quand la menace est présente. Le pouvoir absolu d’Alphonse est terrible mais il est aussi un pouvoir de sagesse (notamment à la fin): le pouvoir sait distinguer les grandes âmes et les cœurs honnêtes, comme tout pouvoir absolu (voir le discours de l’exempt dans Tartuffe, véritable définition du droit divin “nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude”). Chacun est tantôt bon tantôt méchant, et tout est terriblement relatif; en tous cas, Auber, en mettant en scène une révolution, mais en tempérant cette révolution par un regard sans indulgence sur le comportement des peuples, ménage la censure, mais souligne aussi une vérité qui court toute la littérature sur la naissance des tyrannies.
Tout cela, Emma Dante le dit, d’une manière efficace autant que discrète, la cour faite de pantins, le peuple qui ne sait profiter de la victoire et qui ne fait que se vêtir des oripeaux des vaincus, avec sa versatilité qui lui fait haïr ce qu’il adorait.
Auber est indulgent pour Masaniello, qui en fait un noble cœur entraîné malgré lui dans la violence, il en fait une figure de héros civique, devant lequel s’agenouillent à la fin le peuple et le vice-roi, alors que Fenella devient une sorte de Sainte, une authentique icône qu’on va adorer dans ce sud qui aime les icônes et les figures charismatiques.
Emma Dante, qui est sicilienne, donne aussi de ce spectacle une image très méridionale, telle la danse des pêcheurs qui rappelle les mouvements de la “Mattanza” quand on tue les thons, mais aussi elle s’inscrit dans une tradition esthétique très italienne qui rappelle des images de Strehler (utilisation des voiles), avec aussi une certaine violence stylisée (les soldats qui meurent dans une sorte de délire en s’arrachant leurs habits pour devenir des cadavres nus, dans une pénombre qui ménage les âmes sensibles du public…bien agencée par les éclairages subtils de Dominique Bruguière). Tout cela en fait un spectacle intelligent et raffiné.
A ce travail d’une incontestable propreté, meilleur que sa Carmen à la Scala à mon avis, correspond une réalisation musicale respectable, réussie, malgré la difficulté vocale.
Commençons par les ratages: un seul, qui est le Lorenzo de Martial Defontaine, voix chevrotante, défaut de justesse, cela commençait mal, et heureusement, il ne chante(?) qu’au premier acte. Dommage, ce chanteur naguère promettait bien mieux.
Les rôles secondaires sont tous très bien tenus, Borella (Tomislav Lavoie), Selva (Jean Teitgen), Laurent Alvaro prête sa voix de baryton (baryton basse)  à Pietro et c’est une très belle composition, puissante, qui répond parfaitement à la voix de ténor de Michael Spyres, notamment dans le fameux duo du très bon deuxième acte “Amour sacré de la patrie”.
J’ai plus de réserves sur l’Alphonse de Maxim Mironov, le timbre est agréable sans nul doute, la technique semble maîtrisée, mais aucune dynamique dans cette voix, ni aucune projection, alors peut-être cela sert-il la mise en scène de le voir vêtu comme une poupée, maquillé comme un travesti et chantant un peu comme une dame molle, la figure de l’absolutisme est une figure féminisée, mais tout de même, il doit bien avoir quelque charme et quelqu’énergie pour avoir séduit et Fenella et Elvire. j’attends de l’entendre dans un autre rôle.
La jeune Eglise Gutiérrez a bien des qualités: voix très contrôlée, aigus en place, notes filées, bel appui sur le diaphragme, mais elle semble toujours “à la limite”, sans vraies réserves, elle n’articule pas toujours clairement le français et surtout, les vocalises manquent de ductilité, elles sont peu “agiles”. Ce problèmes d’agilité se sent notamment au premier acte et doit aussi  poser quelque problème dans Rossini. C’est dommage, elle est juste un cran en dessous de ce qu’on attendrait, mais la prestation est très solide quand même.

©Agathe Poupeney

Et Michael Spyres? Pur ténor de l’école américaine: diction impeccable, projection claire, très grand contrôle sur une voix à la fois forte, et mâle (il n’a pas ces accents un peu mièvres de certains ténors belcantistes) mais aussi très technique (montée à l’aigu, passages, notes données en “falsetto”);  avec un timbre sans caractère particulier, il arrive à donner plein de couleurs à sa voix. Il sait chanter “forte” quand il faut, et donner vigueur et énergie (duo “amour sacré de la patrie”) et il sait adoucir jusqu’au lyrisme le plus émouvant: sa cavatine  de l’acte IV “Sommeil descend du haut des cieux” est un chef d’œuvre de retenue et de poésie.  Vraiment, un nom à retenir pour tout le répertoire belcantiste de la première moitié du XIXème, et bien sûr, pour Raoul des Huguenots.  Il obtient à la fin un triomphe justifié.
Les chœurs du théâtre de la Monnaie sont sans reproches, énergiques, clairs, très présents dans une œuvre où ils sont très sollicités.
La direction de Patrick Davin est très en place, précise, accompagne bien le plateau, mais il se pose un problème de volume de l’orchestre dans une salle peut-être pas conçue pour un opéra de ce type, en tous cas pas pour le Grand Opéra. L’œuvre alterne moments lyriques et moments plus martiaux, où l’on joue “forte”. Je ne trouve pas que le chef ait cherché à rendre cette musique plus “raffinée”, et pourtant, il y a des moments de grand raffinement. En ce sens, c’est une direction – avec un orchestre de grande qualité, entendons-nous- qui “dirige” qui “met en place” qui “accompagne” mais “n’anime pas” c’est à dire qu’elle manque un peu d’inspiration et d’âme. Peut-être est-ce en partie dû au rapport fosse/salle et à cette acoustique un peu sèche, peut-être aussi fallait-il plus alléger le son. Mais cela reste solide, en place, et permet de découvrir cette œuvre qu’on a très envie d’aller réécouter à Bruxelles, dans un futur qu’on espère proche, travaux de La Monnaie permettant. Voilà une grande Muette, qui m’a beaucoup parlé, beaucoup appris, et aussi beaucoup plu.
[wpsr_facebook]

©Agathe Poupeney

 

TEATRO ALLA SCALA 2009-2010: CARMEN de Georges BIZET, direction Barenboim, avec Jonas Kaufmann et Anita Rachvelishvili (10 décembre 2009)

La dernière fois à la Scala, c’était en 2004, avec un grand chef (Plasson) mais une distribution de série B, au Théâtre des Arcimboldi, pendant les travaux de réfection de la scène et de la salle historique de Piermarini, mais on se souvient surtout du 7 décembre 1984 avec Abbado,  mise en scène de Piero Faggioni (celle d’Edimbourg vue à l’Opéra Comique en 1980), avec Placido Domingo, Shirley Verrett, Ruggero Raimondi, Alida Ferrarini, alternant notamment avec Agnès Baltsa et José Carreras (distribution B, si l’on peut dire!) dès janvier 1985. C’était un peu décevant, le spectacle de Faggioni étant mieux adapté à des salles plus petites comme l’Opéra Comique ou le King’s Theatre d’Edimbourg, et Verrett n’avait pas convaincu cette mise en scène la gênait; restait Domingo, dans l’un de ses plus grands rôles, bouleversant, Raimondi superbe, éclatant et m’as-tu vu à souhait, et Abbado, bien sûr, avec sa précision exceptionnelle (Ah! son quintette!), sa clarté cristalline, son rythme, son énergie et sa fluidité. On s’en souvient encore, avec émotion (j’ai dû voir six ou sept représentations dans les deux distributions: je venais de m’installer à Milan, c’était mon beau cadeau d’installation.). S’il est difficile de voir une grande Carmen, il est tout aussi difficile de voir une mise en scène qui emporte tous les suffrages; celle de Faggioni, assez sage, jouait la carte Berganza, un atout exceptionnel, et Verrett n’a pu se glisser dans le costume, celle du Châtelet, venue de Berlin, était signée Martin Kusej, gage de qualité, de netteté du propos,   une couleur Regietheater qui ne plaît pas vraiment en Italie ou en France. Un très beau travail pourtant. A Vienne, on en est encore à la production de Zeffirelli (mais Kleiber et Abbado la dirigèrent et donc la transfigurèrent). A Paris, ce fut Francesca Zambello (après José Luis Gomez, un ratage) qui aligne les mises en scènes de grande série faites pour ne poser problème à personne. Un paysage  pas vraiment exceptionnel, sans références théâtrales absolues, mais il y eut, s’en souvient-on, la magnifique “Tragédie de Carmen” de Peter Brook qui vint aussi remettre certaines pendules à l’heure. Emma Dante s’en est un peu souvenue…

Le personnage de Carmen a inspiré nombre de grandes: Callas bien sûr, mais aussi Bumbry, avec Karajan, et surtout Resnik, qui en fut pendant 15 ans une des grandes références, phrasé, puissance, engagement, une tigresse sans rivales, puis arriva Berganza, qui changea tout, qui en fit pour la première fois une vraie espagnole, qui affichait à la fois une détermination sans failles et une joie de vivre lumineuse: il faut écouter l’enregostrement d’Abbado, et surtout le pirate d’Edimbourg, en scène, Domingo et Berganza donnent encore aujourd’hui le frisson.

Et venons en à cette nouvelle production, aujourd’hui, et voyons ce que nous apportent Daniel Barenboim, Emma Dante et la jeune Anita: après la TV, la vision en salle, qui modifie sensiblement ma première impression mitigée.
D’abord c’est sans discussion un beau spectacle, qui a prise sur le public (Emma Dante, encore présente, a cette fois été ovationnée sans discussion ni ‘buh’ trouble-fête), mais qui comme tous les spectacles qui installent un vrai point de vue, un vrai regard,  génère la discussion . Pour Emma Dante, Carmen est la résultante de l’omniprésence religieuse (avec des allusions précises au pèlerinage de Saint Jacques de Compostelle, aux ex voto -liés à la fête taurine du quatrième acte- avec ces prêtres qui suivent à la trace Micaela etc..) et du regard porté par les hommes sur les femmes: tous les hommes ici sont plus ou moins des voyeurs. Carmen se libère et des hommes et de Dieu, dans un monde envahi par la violence, entre les femmes, entre les hommes, contre les animaux(taureaux). C’est une vision sombre, à laquelle nul n’échappe: Don José est un être écrasé, hésitant, une sorte de Wozzeck avant la lettre (les uniformes des soldats y font penser), qui dans le désespoir de l’amour qui fuit n’a plus d’autre solution que le viol ou la mort. Carmen se laisse violer, et lui donne le couteau pour la tuer: elle va jusqu’au bout de sa logique, mais semble traverser les choses en étant presque indifférente. Emma Dante n’est pas tendre non plus pour les femmes, Micaela est d’une infinie tristesse,  vêtue de noir qui fantasme d’abord sur la mariage, puis au troisième acte devient une sorte de vision maternelle culpabilisante, Carmen elle même n’est pas vraiment l’image de la sensualité et de l’érotisme: cet eros là est seulement thanatos. Alors évidemment, tout ce qui fait le pittoresque de l’Opéra Comique, toute la légèreté, est évacué, et les dialogues paraissent bien fades; cela détermine musicalement le choix  d’un symphonisme appuyé et dramatique très nettement assumé par Daniel Barenboim.

Cet univers est bien planté par Richard Peduzzi, qui conçoit un décor énorme, qui écrase les personnages, et en même temps fluide: les changements , imperceptibles, donnent à chaque moment son espace propre, aidés par les beaux éclairages de Dominique Bruguière. Un décor brut, sans “couleur locale”, avec quelques coquetteries (pas vraiment utiles),par exemple les ascenseurs qui descendent vers la taverne de Lillas Pastia, qui serait presque une vaste caverne, une sorte d’espace souterrain, comme une carrière cachée au monde, énorme.

Les costumes, conçus par Emma Dante, sont souvent des jeux de cache-cache,enfants dissimulés dans les vestes des soldats au premier acte, robe double face de Micaela, arbres-buissons au troisième acte, qui sont en fait des figurants, les uniformes sont caricaturaux, surchargés, presque comme dans les bandes dessinés.

Enfin des grandes réussites: le maniement des foules, très élaboré (le choeur ravi a fait une ovation à Emma Dante derrière le rideau à la première) et notamment la scène finale, éblouissante de précision et de jeu théâtral pur, faite de violence, de tendresse, de désespérance, d’espoir: les deux personnages sont déjà ailleurs, ils sont éclatés, contradictoires, Carmen se laisse caresser, puis elle rejette violemment Don José, elle se fait tuer, à la mode du suicide antique en lui offrant le couteau . Et quelques maladresses aussi, des répétitions de motifs (les soldats face à Carmen au premier acte, la robe double-face noir/blanc de Micaela) pas toujours justifiés. Un luxe d’images et d’idées qui aurait sans doute gagné à être épuré: un spectacle entièrement discutable, mais passionnant.
A cette vision correspond celle de Barenboim, toute de violence dramatique: une option, nous l’avons dite résolument tournée vers le symphonisme: oui on a accusé Bizet de wagnérisme, et en écoutant Barenboim, on peut comprendre pourquoi. Mais que de moments intenses, que de finesses dans la lecture, que de relief donné à telle ou telle phrase: le travail de l’orchestre a été prodigieux, cela sonne magnifiquement, même si comme on l’avait constaté à la TV, certains moments réservent de petites déceptions (le quintette du 2ème acte) confirmées ici. Mais un grand travail de “concertazione” comme disent les italiens, de mise en place de l’orchestre, de précision dans les équilibres: impressionnant de bout en bout, le tout servi par des choeurs magnifiquement préparés (aussi bien le choeur de la Scala que celui des enfants) dont on comprend le français (mieux que celui de certains chanteurs) qui donnent un relief rare à leurs interventions.
Enfin, les chanteurs réunis pour l’occasion sont inégaux, les petits rôles, souvent tenus par des Français, se défendent, avec une note particulière pour Frasquita (Michèle Losier) et Mercédès(Adriana Kucerova). Adriana Damato est vraiment insuffisante en Micaela, aucune personnalité vocale, aucune inflexion, aucune vibration: un chant plat, sans intérêt, une émission peu homogène, des cris, et un français incompréhensible à 100%, même en lisant les surtitres. Erwin Schrott (Escamillo) a une vraie voix, mais il en use avec vulgarité, en articulant peu les paroles, il offre une prestation sans grand intérêt, on l’oubliera vite. Jonas Kaufmann en revanche, après un début hésitant, et en retrait (même sa voix, un peu en arrière!), a fait grande impression, son air “La fleur que tu m’avais jetée..” est un chef d’oeuvre de contrôle au service du raffinement et de l’expression, c’est un des rares ténors à savoir très bien émettre des notes filées, négocier des passages de registres homogènes, avec un volume très respectable, il a chanté, on peut le dire, divinement. . Quant à la jeune Anita Rachvelishvili, son personnage n’est pas encore mûri, réfléchi, construit, sculpté. C’est d’ailleurs un peu le parti d’Emma Dante qui en fait la femme de tous les possibles “possibilista” disent les italiens sans privilégier un aspect plutôt qu’un autre. Il reste que l’interprétation devrait avec le temps gagner en intensité. Sa voix en revanche est surprenante par son volume et sa largeur, son ampleur, (ce qu’on ne sentait pas à la TV), par la résonance de ses graves et de son registre central, par sa rondeur et sa pureté; certes, l’aigu est encore à élargir, mais si elle ne fait pas de bêtises, elle devrait être un très grand mezzo, qui nous manque cruellement aujourd’hui.
C’était ce 10 décembre à la Scala, les affres de la PRIMA étaient dépassés, tous les artistes étaient détendus, et engagés, et le triomphe absolu a été au rendez-vous (20 minutes d’ovations). Une belle réussite pour les artistes et pour Stéphane Lissner, qui a réussi à redresser un théâtre qui allait à vau l’eau il y a seulement 5 ans et qui a mené avec cette Carmen une brillante opération de communication. Qu’en dira-t-on seulement dans une année, qu’en dira-t-on à la reprise avec Dudamel, qui sera on s’en doute une seconde “Première”, tant est attendue la prestation du jeune chef. Tout cela montrera si c’est un feu de paille ou si cette Carmen s’installe dans l’histoire de la Scala. Nous en tous cas, comme la veille avec Domingo, nous sommes sortis tous heureux.

CARMEN à la Scala: premières impressions TV

Je verrai le spectacle ce 10 décembre, pour la seconde représentation. La retransmission d’Arte en donne une intéressante préfiguration, qui pourrait pour une fois rejoindre l’impression de Renaud Machart dans le Monde du 5 décembre. Un spectacle intéressant, par moments très beau avec des images frappantes (dans les décors monumentaux – qui rappellent un peu ceux de Faggioni dans le fameux spectacle d’Abbado- et presque funèbres de Richard Peduzzi, on descend chez Lillas Pastia comme dans un tombeau, c’est réussi; c’est même à mon avis plus réussi que ses décors de Tristan il  y a deux ans). Le premier acte m’est apparu plus séduisant que le second: avec plusieurs grands moments de théâtre (le jeu des fleurs, la habanera, la séguedille finale, avec cette très belle image des cordes). Le second acte est traité de manière plus “pittoresque”, avec des costumes plus chatoyants, c’est vrai que c’est l’acte le plus souriant, l’acte de tous les possibles (du moins la première partie: Carmen retombe sur terre dès que José veut “rentrer au quartier pour l’appel”) avec la belle idée du tapis oriental pour isoler les amants comme dans un rêve baudelairien (luxe, calme et volupté..). Musicalement je suis plus réservé sur l’approche de Barenboim mais le son TV ne peut rendre compte ni de la puissance des voix, ni des subtilités orchestrales. La direction me semble froide plus que dramatique. Le quintette du second acte n’a pas la diabolique précision qu’on pourrait souhaiter, mais, je le répète, ce sont des impressions de téléspectateur qui seront peut-être contredites jeudi prochain. Les chanteurs ne sont pas tous convaincants: Adriana Damato est bien pâle, avec un français hésitant et sans véritable engagement ni expressivité, elle ne touche pas. Erwin Schrott n’a  ni le volume ni le souffle voulus, malgré un beau timbre et comme souvent, il n’arrive pas toujours à chanter dans le tempo. Il y a bien des barytons aujourd’hui pour ce rôle, notamment en France. Jonas Kaufmann est comme toujours parfait: prononciation exemplaire, science de la respiration, technique à toute épreuve, son physique exceptionnel passe évidemment la rampe, son dernier acte est extraordinaire, et pourtant, et pourtant, il lui manque un engagement total, il y a toujours semble-t-il un zeste de retenue… ? Mais ne chipotons pas, la performance est là, même si Domingo (dans la salle) était plus émouvant, plus déchiré, plus tragique. Enfin, quelle belle surprise, cette jeune Anita Rachvelishvili à la voix pleine, bien posée, qui fait croire au personnage avec une vraie présence. Il est tellement difficile de trouver une Carmen! Bien peu ont été convaincantes, après Berganza, même la grande Verrett dans cette même salle avec Abbado en 1984 n’a pas réussi à emporter le public.

La mise en scène insiste sur la noirceur et la violence, elle propose des tableaux assez impressionnants (le troisième et le quatrième acte me sont apparus tous deux très réussis, avec là aussi de très belles images et un beau traitement des foules) et c’est une vraie, une authentique mise en scène de théâtre: on le voit dans le dernier duo, qui est vraiment étudié dans ses moindres détails et ses moindres gestes, et qui propose de très belles idées: un Don José déjà “ailleurs”, des gestes de tendresse et de violence, à la limite du viol, et un décor fermé qui étouffe et en même temps dessine l’espace de la tragédie. Tout cela me paraît le résultat d’un vrai travail, intelligent et fort, sans jamais être provocateur. Que le public de la Prima ait hué c’est normal, il y a à Milan un fond de conservatisme qui fait débat depuis très longtemps (quand on pense au scandale que le Don Carlo, ce chef d’oeuvre de Ronconi, a provoqué en 1977!). J’attends d’être dans la salle pour vraiment écouter l’orchestre, mais d’emblée le spectacle me semble plus convaincant que le pâle Don Carlo de Braunschveig la saison dernière, ni  vocalement ni théâtralement convaincant,  sauvé par une direction intéressante (mais discutée âprement) de Daniele Gatti, qui n’avait même pas lui non plus trouvé son public l’an dernier.

Pour info: cette Carmen, complète jusque fin décembre, sera reprise en octobre-novembre 2010 sous la direction de Gustavo Dudamel,  sans Kaufmann, mais avec un bon ténor (Lance Ryan) et une autre Micaela. Il sera intéressant alors de comparer.

A jeudi ou vendredi donc pour  rendre compte du spectacle en salle.