VU À LA TV : QUELQUES MOTS sur LA BOHÈME de Giacomo PUCCINI AUX CHORÉGIES d’ORANGE (Ms en scène: Nadine DUFFAUT, dir.mus :MYUNG WHUN CHUNG)

Vittorio Grigolo et Inva Mula

Il est évidemment toujours délicat de rendre compte d’un spectacle retransmis à la TV, les remarques qui suivent sont à prendre pour ce qu’elles valent, une impression générale et un effet produit sur le téléspectateur mélomane qui n’aura pas eu droit au coucher de soleil provençal, à la forte impression produite par le lieu, son histoire, à la foule c’est à dire à un contexte de représentation  qui à Orange est essentiel.
Les Chorégies proposent de chaque œuvre deux représentations seulement, tout essai d’augmentation s’est soldé par un échec. Orange est un lieu fort dont il faut s’accommoder: le fameux mur, qui délimite une scène large de 60m, et peu profonde, que chaque décorateur doit se coltiner: Paris et ses rues en carton pâte contre un gigantesque mur romain, et bientôt la Chine de Turandot, c’est un vrai pari. Le parti pris scénique d’Emmanuelle Favre la décoratrice et de Nadine Duffaut est de ne pas surcharger un plateau qui déjà est écrasé par ce mur. Un Paris évoqué par une façade, un sol qui est en fait un plan et quelques éléments qui limitent les espaces; c’est propre et discret, le décor n’écrasera pas cette Bohème. Les mouvements de foule sont dictés par la géographie du lieu, tout en largeur et jamais en profondeur. Les foules se meuvent donc essentiellement latéralement. Une vision traditionnelle, qui ne dérange pas, et qui n’est pas dépourvue d’élégance (jolis costumes dans les gris de Katia Duflot).
La distance de la scène au public fait qu’au-delà des premiers rangs, il est difficile de lire une expression, un visage, un jeu dramatique: tant mieux si c’est pour voir le jeu outré et artificiel de Vittorio Grigolo, le ténor vedette de cette Bohème, au beau timbre lumineux, mais un peu court sur certaines notes (le final du premier acte); il peut tout de même donner des espoirs à ceux qui attendent enfin le ténor italien du moment  mais ne bouleverse pas les classements des grands ténors dans ce rôle, les grands anciens résistent largement, que ce soit Pavarotti, Domingo,  Carreras ou même Aragall: ils savaient autrement distiller l’émotion. C’est presque encore plus vrai pour Inva Mula qui me laisse froid à chaque fois que je l’entends, y compris dans cette Bohème où elle ne  fait que son métier sans vraiment frapper:  elle ne sera jamais une Mimi légendaire, pas de frémissement, pas d’émotion, pas de pathos. Un couple d’une certaine manière sans surprise (senza pregi ne diffetti diraient nos amis italiens) ce qui pour Bohème laisse forcément froid.
Le plaisir et la surprise viennent de la Musetta de Nicola Beller Carbone, voix bien trempée, jolis sons, jolis effets, du Marcello impeccable de Ludovic Tézier, le baryton français de référence aujourd’hui à la maîtrise technique et au chant d’une grande élégance, sans conteste le meilleur du plateau, du Colline de Marco Spotti et du Schaunard de Lionel Lhôte, tous à leur place. Une distribution qui marque plus par les rôles secondaires, c’est dommage pour une Bohème qui devrait faire exploser le couple Rodolfo/Mimi.
La surprise ne vient pas vraiment non plus  de la luxuriance de l’orchestre, tel qu’on le perçoit à la TV. C’est là aussi cependant très professionnel, Myung Whun Chung fait très bien son métier, et valorise les pupitres (bois notamment) mais propose une lecture très sage du chef d’œuvre de Puccini. Voilà une soirée d’Orange passe-partout, du moins comme on la ressent en télé: on ne criera ni au génie, ni à la légende, ni au miracle.
Juste une question subsidiaire: Est-il voulu qu’Alcindoro (Jean-Marie Frémeau) ressemble autant au Victor Hugo des dernières années?

Jean-Marie Fremeau (Alcindoro) et Nicola Beller-Carbone (Musetta)

OPERA DE PARIS 2011-2012: FAUST, de Charles GOUNOD (Dir.mus.: Alain ALTINOGLU, ms en scène: Jean-Louis MARTINOTY avec Roberto ALAGNA) le 16 octobre 2011

Beaucoup de bruit pour “rien”

A lire certains articles ou blogs, on allait avoir affaire à une représentation “indigne”, ce n’est pas le cas. Cette mise en scène n’est pas indigne, mais elle est globalement ratée. Au sortir de ce Faust, on n’est certes pas enthousiaste, à aucun niveau, mais certes pas scandalisé non plus, on a vu bien pire. La mise en scène de Jean-Louis Martinoty pèche par excès, par  accumulation  et finit par se noyer.
Martinoty n’est pas un provocateur, c’est un metteur en scène sérieux d’une grande culture germanique, qui a fait des spectacles corrects (les Mozart de Vienne, le Pelléas du théâtre des Champs Elysées, et quelques autres qui m’avaient séduit en leur temps (une belle Ariane à Naxos couleur Klimt en 1986 à l’Opéra Comique, si je me souviens bien) .
Monter Faust n’est pas particulièrement facile à l’Opéra de Paris (souvenons-nous de Lavelli) et justement, venir après Lavelli n’est pas si facile non plus, tant le public des vieux habitués a encore la production en tête (elle date de 1975 et elle a duré 28 ans, dernière en 2003, passant de Garnier à Bastille sans encombres, au contraire des Nozze di Figaro de Strehler qui ont dû subir transformation et affadissement).  En tous cas, si ce spectacle ne m’a pas  plu, il ne m’a pas (trop) gêné, et si j’y ai vu des choses un peu ridicules ou mal fichues (le final notamment), j’y ai vu aussi de bonnes idées, et même quelques beaux moments.
Commençons donc par cette mise en scène,  qui a horrifié une certaine partie du public et de la presse. Martinoty propose une vision très didactique de l’œuvre, qui va souligner à gros traits des éléments constitutifs du mythe.  Faust est un scientifique, son cabinet est donc une gigantesque bibliothèque, un capharnaüm où l’on distingue un globe terrestre, une lunette, une sorte de jardin en miniature sous globe, un piédestal où apparaîtra le jeune Faust, un Rhinocéros (en fait une horloge monumentale) de bronze doré (aux cornes phalliques?) supportant un obélisque translucide où apparaîtra l’ombre de Marguerite, un portrait de Mephisto en costume traditionnel. Bon c’est beaucoup, mais c’est aussi la représentation des cabinets de curiosités qui devaient ressembler à ça… L’espace est assez impressionnant, semi-circulaire rappelant nettement l’espace lavellien  – galeries circulaires, fer forgé, colonnettes – tout se passera sur l’espace central  comme chez Lavelli, sorte d’espace tragique dévolu à l’action,  il est dominé par une gigantesque croix qui écrase l’ensemble des scènes -sauf Walpurgis, évidemment-. En fond de scène, en disant “rien”, Faust éclairera un énorme “Rien” qui luira (ou non) tout au long de l’opéra. L’idée de ce premier acte? Faire chanter le Faust-vieillard par un autre chanteur, âgé, Rémy Corazza, que j’ai vu chanter des petits rôles à Garnier dans les années 70. il ne s’en sort pas si mal et cette voix un peu vieillie finalement donne cohérence à ce début. Ainsi l’apparition qui fait s’écrier “Ô merveille!” à Faust n’est pas celle de Marguerite, mais celle du Faust jeune, vêtu d’un tee shirt couleur or, qui apparaît un peu comme un jeune Dieu. C’est une image de Marguerite, une statue (ombre) sous verre dissimulée dans l’obélisque (voir plus haut). L’idée n’est pas mauvaise, allez. L’acte suivant, de la kermesse, est assez semblable d’esprit à ce qu’on voyait chez Lavelli, défilé de la bourgeoisie provinciale, ici plus marquée par l’ambiance où évolue Faust, universitaires, jeunes médecins ou étudiants en médecine, soldats (légionnaires…) dans une ambiance de danse macabre, sous un christ-squelette gigantesque couronné de fleurs. Valentin est ainsi un légionnaire en partance et Marguerite est vêtue d’une petite robe et d’une coiffe de petite fille bien sage. Le veau d’or est chanté traditionnellement au milieu de cette assemblée, rien de terriblement neuf.
La scène du jardin se déroule dans une sorte de reproduction du jardin sous verre dont on parlait plus haut, vision luxuriante de ce que pourrait être un jardin d’Eden à la Cranach, avec un lit (recouvert de feuillages) au milieu. Ce lit central dit bien l’espace du désir, un des points centraux de la mise en scène, aux dires de Martinoty dans le programme de salle. Effectivement, Marguerite étendue dans ce lit et saisie (tordue?) de désir irrépressible appellera Faust à la fin de l’acte (Viens! Viens!). une seule bonne idée, mais vraiment bien réussie dans cet acte: c’est Mephisto qui habille Marguerite des fameux bijoux, en une sorte de ballet déjà vaguement érotique.
La scène de l’église est transposée après le choeur “Gloire immortelle de nos aïeux”, on verra pourquoi. et au lieu du jardin d’Eden au centre du dispositif, un jardin mort, arbres morts, et branchages au lieu de la luxuriance précédente. De Cranach on passe à Kaspar David Friedrich…Le chœur est réglé de manière très démonstrative: des bourgeois rutilants, un accueil de sous-préfecture et l’arrivée d’un corbillard recouvert d’un drapeau et de quelques éclopés (merci Lavelli) qui reçoivent une décoration. C’est la même idée, de manière plus lourdement démonstrative, que chez Lavelli. Autre bonne idée cependant, pas de duel entre Valentin et Faust, mais une illusion de duel conduite par Mephisto qui fait se battre Valentin seul contre le vent, et qui donne à Faust au dernier moment l’épée meurtrière qui agit presque avant que de toucher Valentin.
La scène de l’église dans cette mise en scène, est en fait la scène des obsèques de Valentin, d’où son déplacement après le meurtre: Marguerite en est exclue, regardée, méprisée par tous ceux qui pénètrent dans la nef, dont Siebel , et Méphisto, vêtu en prêtre tient à Marguerite le discours d’exclusion de l’église: discours de Satan et discours de l’église se rejoignent: ça aussi, c’est une bonne idée. Marguerite pénètre dans l’église quand tous sont sortis et poignarde son bébé sur le cercueil du frère (mmoui, un peu exagéré dans le genre mélo).
La croix qui dominait le décor descend au sol pour la nuit de Walpurgis (pas de ballet…Gounod lui même le détestait), et devient la passerelle qui permet à Faust de se mêler aux reines de l’antiquité: il se couche sur une croix (une autre) et se laisse crucifier de désir par ces dames qui le déshabillent (enfin…commencent à…) . Si le dôme de verre de Lavelli était descendu, on se serait presque cru revenir trente ans en arrière.
Dernière acte, comme chez Lavelli, Marguerite est en camisole de force, et dans la même position (et la même coiffure) que jadis Freni, dans un décor où bonne partie des livres qui garnissaient la bibliothèque du début jonchent le sol. Mais libérée par Faust, après avoir chanté “Anges purs, anges radieux” elle tire vers elle une guillotine gigantesque, s’offre au couperet, le Moine qui est là se découvre, c’est Valentin qui va accueillir sa sœur au cieux après l’avoir promise au bourreau. Une procession portant alors la relique de sa tête passe en chantant “Christ est ressuscité”, Faust la suit, rentrant “littéralement” dans le rang et au loin Méphisto observe.
Mais beaucoup de maladresses et trop de personnages: pourquoi Siebel prend-il l’eau bénite du troisième acte auprès d’un prêtre et de deux enfants de chœur qui passaient par là? Pourquoi ces scènes au lavoir où on lave des linges tachés de sang(tiens tiens, d’où vient cette idée légère…) les amies de Marguerite l’écoutent chanter la chanson du roi de Thulé, puis la lamentation initiale du quatrième acte. Au total trop de lourdeur, trop de volonté démonstrative, trop de nuisances qui troublent l’audition et n’apportent pas grand chose. car au total, on en n’a pas plus appris qu’il y a 36 ans avec Lavelli, c’est très largement le même propos, avec un peu plus de fatras, et beaucoup moins de poésie, et encore moins d’émotion.

L’émotion est-elle née de la musique et du chant? Pas plus. Non que les protagonistes n’aient pas le niveau requis, loin de là, mais ils n’arrivent pas à faire vibrer un seul instant.

D’abord, de bons points pour  le Siebel très frais d’Angélique Holdus (sera-t-elle la Renée Auphan d’aujourd’hui,  qui marqua tant le rôle) et surtout la Dame Marthe si bien caractérisée par Marie Ange Todorovitch qu’on est très heureux de retrouver, et qui semble prête à succéder à Jocelyne Taillon dans les Marthe mythiques, en version moins charnue que la grande Jocelyne!
Tassis Christoyannis (excellent Monfort l’an dernier à Genève dans les Vêpres siciliennes) est là aussi  excellent, très intense, très contrôlé même si la couleur n’est pas celle d’un baryton Martin: c’est lui qui remporte avec justice le plus grand succès.
Paul Gay est un Méphisto de belle allure, très bon acteur, il campe un personnage vif, ironique, distancié, avec une diction impeccable, une bonne voix (notamment dans la scène de l’église, où il est vraiment magnifique). Mais la voix est pour mon goût un peu trop claire. J’aime des basses profondes dans ce rôle. Il reste que la prestation est très satisfaisante. Un très beau chanteur.
Inva Mula chante la partie de Marguerite sans difficulté (sauf dans le suraigu, très tendu: la voix n’a plus de réserves) et donne à son interprétation une certaine intensité, mais ne réussit jamais à se départir d’une certaine froideur, avec une diction douteuse, et donc n’arrive jamais à émouvoir (à m’émouvoir, au moins). Cette chanteuse, de qualité certes, ne m’a jamais touché…et dans Marguerite, l’ombre de Mirella Freni dont chaque note palpitait et respirait le drame et l’émotion est encore trop présente (je vous renvoie à l’enregistrement de Prêtre, pourtant pas extraordinaire).
Le cas de Roberto Alagna est plus délicat à mon avis: la voix a perdu beaucoup de son timbre magique, même si l’aigu reste solide. Pour attaquer les notes, le timbre change, comme si la voix avait perdu en homogénéité, en couleur, en velouté. Et il n’y a plus de grave, complètement détimbré dans la cavatine “Salut, demeure chaste et pure”. L’aspect du personnage est toujours  juvénile, vif en scène, mais le chanteur a perdu beaucoup de ce qui en faisait un artiste d’exception. Quand on écoute Domingo chez Prêtre, pourtant dans un rôle qui n’est pas vraiment fait pour lui, on est frappé justement par l’unicité de cette voix, qui est distille la même lumière dans tous les registres; ici, on sent que la voix souffre, qu’il n’y a plus cette même facilité insolente. Au jeu des comparaisons, quand on pense à ce que faisait jadis Nicolai Gedda, fabuleux (jamais je n’entendis une cavatine aussi bien dite) et même Alain Vanzo, on est un peu triste pour Alagna. Ce n’est pas lui qui remporte le plus grand succès, et je ne suis pas sûr que ce type de rôle lui convienne encore.

Déception également pour le chœur: exactement comme la semaine dernière pour Tannhäuser, il m’a semblé que le chœur n’avait pas la présence, la vaillance et le brillant habituels sur cette scène. On avait envie de plus d’énergie, de plus d’engagement, de plus d’éclat. Rien de tout cela mais une prestation appliquée sans plus.
Enfin, Alain Altinoglu, qui a remplacé Alain Lombard parti avant terme, dirige l’orchestre avec attention, précision, et souci du détail. Mais là aussi, je trouve un certain manque d’énergie et un tempo un tantinet trop lent pour moi. Il en résulte une interprétation un peu pâle, et sans vrai relief pour mon goût, sans vibration, sans poésie, même si l’ensemble reste très honorable.

Au total, dans un écrin sans bijoux mais débordant d’excès, on est passé à côté: Martinoty a voulu trop en faire, trop en dire:  à trop charger la barque elle chavire. Tout finit par sonner creux. L’équipe musicale est de bon niveau, mais on est quand même assez loin du très  grand niveau. Ce fut une matinée d’un dimanche ensoleillé où le temps a glissé assez agréablement, sans rien, de ce rien tant répété dans cette œuvre, sans rien pour accrocher vraiment l’oreille et surtout le cœur. Et donc beaucoup de bruit pour rien.

NB: A réécouter pour l’éternité Gedda/Los Angeles/Christoff avec un André Cluytens comme toujours au rendez-vous.

 

OPERA NATIONAL DE PARIS, Opéra Garnier: MIREILLE, de Charles GOUNOD (Dir.mus: Marc MINKOWSKI, Ms en scène: Nicolas JOEL) le 2 octobre 2009

Décevant!

En ouvrant sa saison et son règne par Mireille, de Gounod, Nicolas Joel voulait annoncer une direction nouvelle: rédécouverte d’une oeuvre un peu oubliée, large appel aux chanteurs français, fin du Regietheater, enfant chéri de l’ère Mortier. Et comme on n’est jamais si bien servi que par soi-même, il a assumé lui-même la mise en scène, alors qu’il avait lui-même annoncé qu’il n’enferait pas à Paris. Il aurait mieux fait de s’en tenir à sa déclaration, à mon humble avis.

Le résultat de ce pari est donc mitigé, plus convaincant musicalement que scéniquement. La distribution de cette Mireille est très honorable sans être étincelante. Le plus marquant, c’est le plus ancien, le vétéran Alain Vernhes, dont la voix de basse sonore sied parfaitement au rôle de Ramon, le terrible père  de Mireille. Il est pleinement convaincant, campe un personnage juste, remplit l’espace scénique. Vraiment au-dessus des autres, dans la composition, comme dans le chant, qui a  le volume voulu. Tous les autres sont à leur place, dans tous les rôles, grands ou petits, avec une note particulière pour Anne-Catherine Gillet et la Taven de Sylvie Brunet . Frank Ferrari est un Ourrias très correct qui manque cependant d’éclat.

Quant aux protagonistes, ils sont eux aussi sans reproches au niveau du chant et de la technique. Charles Castronovo prononce le français à la perfection, chante avec la douceur voulue, le timbre est joli, la voix est bien placée. Mais ce chant reste un peu appliqué, et la voix manque un de volume et de projection. Le volume est aussi le problème de Inva Mula, souvent émouvante au demeurant, qui rencontre quelques problèmes dans le suraigu, la voix se montrant très tendue, à la limite de ses réserves; son timbre un peu clair pour mon goût dans ce rôle nuit à la force dramatique, qui en souffre. N’est pas Freni (qui l’a enregistré, mais n’a pas voulu le proposer sur scène) qui veut.

Il reste que cette musique nous touche, notamment dans la seconde partie (3ème au 5ème acte), avec de superbes moments (le troisième acte), où le mélodiste Gounod sait atteindre l’auditeur. La direction musicale, hélas,  ne stimule pas l’émotion. Marc Minkowski ne me paraît pas diriger cette oeuvre avec la sensibilité voulue, le son reste sec, le lyrisme absent, même si techniquement tout est très au point.

Mais le vrai problème de ce spectacle, c’est justement le spectacle. Ezio Frigerio conçoit un décor et Franca Squarciapino des costumes comme toujours soignés, soulignés par des éclairages subtils de Vinicio Cheli (ah, le lever de soleil au IVème acte). Mais ce décor n’est qu’une image plaquée, il n’a aucune fonction dramaturgique, On ne décèle aucune invention non plus pour les scènes plus mystérieuses  du Val d’Enfer, ni  du Rhône, qui est rendue de façon un peu ridicule d’ailleurs. Car toute la mise en scène se joue au premier plan, avec des entrées et des sorties toujours latérales, sans aucune utilisation de l’espace en profondeur, alors que l’évocation du désert de la Crau pouvait être mieux soulignée que par un ciclorama, cette absence de spatialisation scénique fait perdre à l’oeuvre de la respiration. Les choeurs (solides) sont disposés comme aux pires soirs de l’opéra de papa, le provençal devient pacotille, et les chanteurs font comme ils peuvent, car il n’y aucune direction d’acteurs, sauf quelques gestes çà et là, d’ailleurs bienvenus.

Il en résulte des moments de notable ennui, et un spectacle illustratif qui ne nous dit rien de Mistral, rien de la Provence, rien de cette liaison entre réel et surnaturel (il ya un peu de Freischütz dans cette ambiance), aucun mystère nocturne, Taven est bien peu sorcière (même si le passeur ressemble à la mort, Ah, merci Charon!)  au point qu’on finit par se demander pourquoi Mireille meurt, ce qui est quand même un comble .

C’est dommage, l’oeuvre pouvait être portée par une autre vision, pas forcément plus novatrice, mais sans doute plus sensible et plus habitée. Ici c’est l’indifférence qui essaie de mettre en scène la sensibilité, avec le résultat qu’on peut craindre…

On ne peut néanmoins que se réjouir de voir un certain répertoire un peu méprisé aujourd’hui revenir sur le devant de la scène, mais doit-on se réjouir que des millions de téléspectateurs aient vu un spectacle poussiéreux dès la première, confirmant les pires poncifs qui circulent sur l’art lyrique?

Pour mon goût, si je pense que le retour à l’Opéra d’oeuvres françaises (ou en français) oubliées, est une excellente initiative, (verra-t-on un jour Lodoiska de Cherubini, le plus grand succès de la révolution française, deux cents représentations!), j’aurais bien préféré comme inauguration en grand style d’une saison et d’un règne, voir Les Huguenots de Meyerbeer revenir à Paris. Attendons donc mieux.