GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE 2015-2016: GUILLAUME TELL de GIOACCHINO ROSSINI le 15 SEPTEMBRE 2015 (Dir.mus: Jesus LOPEZ-COBOS; Ms en scène: David POUNTNEY)

Gessler, la flèche, la pomme © Richard Hubert Smith
Gessler, la flèche, la pomme © Richard Hubert Smith

L’œuvre est rare, même si dans l’histoire de l’art lyrique elle jouit d’un vrai prestige. C’est en effet le dernier opéra de Rossini, en 1829, considéré comme le premier “Grand Opéra” même si un an avant La Muette de Portici d’Auber avait ouvert la voie. D’ailleurs, pour des raisons différentes, les deux œuvres sont liées à l’histoire politique de deux pays, Auber parce que La Muette de Portici, créée à Bruxelles, voit le duo Amour sacré de la patrie devenir une sorte de ralliement national, la seconde parce qu’elle célèbre la libération des cantons suisses du joug autrichien par sa légende la plus significative..

C’est une œuvre majeure de l’histoire de l’opéra de Paris qu’on a représentée à Bastille en 2003 (avec Hampson dans Guillaume Tell) : entre les chœurs, les masses, les figurants possible,s le ballet il y a de quoi faire un grand spectacle, à condition qu’on le confie à un vrai metteur en scène.

51mIpBZgwxL._SX355_Peu de références au disque de la version française, Antonio Pappano l’a enregistrée en 2011 avec Santa Cecilia, sinon c’est la version Gardelli avec Gedda, Caballé et Bacquier (quand même…) qui fait autorité. En revanche la version italienne bénéficie de noms comme Riccardo Muti (Merritt, Studer, Zancanaro) ou Riccardo Chailly (Pavarotti, Freni, Milnes) qui rappelons-le, est peut-être plus grand rossinien que verdien.

TellPappano

Moi même, j’ai vu Guglielmo Tell pour la première fois à la Scala en 1989, inauguration de la saison, dans une mise en scène impressionnante de Luca Ronconi avec pour la première fois peut être l’utilisation de la vidéo de manière vraiment importante, des écrans énormes proposant une vue de torrents en furie et de paysages alpestres. Tandis que le décor figurait le parlement bernois. Grand souvenir pour Muti et Ronconi, moins pour les voix, une Studer à la limite, un Zancanaro bon sans être exceptionnel dans Guglielmo, et un Chris Merritt comme souvent remarquable.

L’enregistrement, y compris vidéo, existe : allez y en confiance.

Il y a donc une vraie légitimité pour le Grand Théâtre de Genève à proposer Guillaume Tell, d’une part parce que Tobias Richter a depuis son arrivée à Genève une vraie politique autour de l’opéra français, en version scénique ou de concert ! On y a vu entre autres Samson et Dalila, Mignon, et même Sigurd, et d’autre part, on est en Suisse et Guillaume Tell est un titre maison qui se justifie évidemment.

Sur le papier, l’affiche est attirante: Jesús López Cobos est un grand chef rossinien et spécialiste du bel canto romantique. Le fidèle de l’opéra de Paris se souvient avec émotion que ce fut lui qui dirigea alors jeune La Cenerentola à Paris sous l’ère Liebermann avec en alternance Teresa Berganza et Frederica Von stade dans une mise en scène de Jacques Lasalle. C’est un de ces chefs de confiance qui assure solidement une représentation avec élégance.

Depuis la mort d’Abbado qui n’en dirigeait d’ailleurs plus, il est difficile de trouver un grand chef pour Rossini, et notamment pour le Rossini bouffe, quant au Rossini sérieux, ou au Rossini pré-romantique, le marché est plutôt clairsemé, et en tous cas jamais labouré par des chefs de premier plan. Ce fut longtemps Bruno Campanella qui assura les utilités rossiniennes partout, y compris à Paris où il dirigea Guillaume Tell.

Et pourtant, cette musique n’est pas la musique médiocre ou faible que d’aucuns disent.
Si elle l’était, on n’entendrait pas des échos verdiens ou même wagnériens assez fréquents dans le tissu musical, avec en sus des moments magnifiques, le final par exemple, dont Wagner va se souvenir par bribes, et même les ballets, oui les ballets sont bien meilleurs que la plupart des ballets écrits sur un coin de table par Verdi.

Et c’est une œuvre aussi difficile à réussir pour la partie vocale. Le ténor, Arnold, fait partie des ténors impossibles de la période, les Raoul des Huguenots, les Cellini, les Léonard de La Juive, les Henri des Vêpres Siciliennes, le baryton, pour Tell, doit avoir une voix large, avec un spectre large, à cause de graves marqués, quant à la soprano, Mathilde, elle fait partie des sopranos qui nécessitent une science des agilités, des notes filées, d’autres très ouvertes : il y faut un lirico spinto un peu colorature, de la race des héroïnes meyerbeeriennes ou verdiennes un peu tendues, Elvira d’Ernani, Valentine des Huguenots, de ces voix qui exigent de la tension d’un bout à l’autre parce que le rôle offre divers registres très variés. En plus, Rossini, jamais sympa avec les chanteurs, leur fait chanter des aigus impossibles dans l’air, mais sans jamais ou presque donner une note finale qui puisse ramasser les applaudissements du public, la plupart du temps, l’air se termine en demi teinte, ou s’éteint.

Difficulté supplémentaire, il y a beaucoup de personnages, et qui sont tous sollicités à un moment ou un autre, ce qui veut dire pour celui qui compose le cast une exigence de niveau homogène.

On peut comprendre, vu l’accumulation d’une distribution très homogène et de très haut niveau, que peu de théâtres se lancent dans l’aventure. C’est ce qui rend l’initiative genevoise d’autant plus méritoire.
La dernière production de Guillaume Tell, je l’ai vue à Munich, dans une mise en scène sans génie mais solide de Antu Romero Nunes avec au pupitre Dan Ettinger (qui s’est un peu trompé de répertoire) et un cast très respectable (Volle, Rebeca, Hymel).

La distribution genevoise est dominée par l’Arnold de John Osborn et le Tell de  Jean-Francois Lapointe, dans un rôle où on ne l’a jamais entendu, avec une diction parfaite, un aigu bien ouvert, une science des couleurs mais un petit problème de graves: à chaque fois, les graves sont détimbrés, difficilement audibles, mais centres et aigus sont bien projetés et affirmés. Et le personnage est intéressant en scène, vif, énergique, humain. Un vrai Tell!

Mathilde(Nadine Koutcher) et Arnold (John Osborn) © GTG/Magali Dougados
Mathilde(Nadine Koutcher) et Arnold (John Osborn) © GTG/Magali Dougados

John Osborn est Arnold, il est comme il se doit magnifique. Magnifique pour une diction parfaite, stupéfiante même,où tout est clair, articulé, émis avec un contrôle exceptionnel permettant une tenue de ligne impeccable. Avec des aigus éblouissants, même si le public n’a pas toujours l’air de s’en apercevoir, parce qu’ils apparaissent au détour d’un vers, d’un mot sans préparation et surtout sans mise en scène vocale. C’est un rôle plus ingrat qu’il n’y paraît, parce que tout le monde pense que le rôle le plus difficile est Tell et qu’en fait c’est bien Arnold le piège de l’opéra.

Nadine Koutcher © GTG/Magali Dougados
Nadine Koutcher © GTG/Magali Dougados

Mathilde, c’est la jeune Soprano russe Nadine Koutcher, qui impressionne dans le premier air, notes bien projetées, bonne diction, belle ligne de chant, c’est vraiment intéressant d’autant que la voix n’est pas si grande. Le reste déçoit un peu, le volume manque, la voix semble se fatiguer.Elle n’a pas suffisamment de largeur et d’assise pour passer dans les ensembles et reste indifférente dans l’héroïsme. Il reste que la prestation est vraiment défendable.

Parmi les autres rôles, signalons le Gessler moyen de Franco Pomponi, diction là aussi claire, mais la mise en scène en fait un personnage tellement ridicule et caricatural, sorte de monstre qui croque des pommes sorti du double cabinet des docteurs Frankenstein et Folamour, mais qui pour en rajouter, pourrait diriger aussi Spectre dans un James Bond que je pense qu’il est gêné.

Triomphe final de la famille Tell (à gauche, Enea Scala dans Arnold) © GTG/Magali Dougados
Triomphe final de la famille Tell (à gauche, Enea Scala dans Arnold) © GTG/Magali Dougados

Très belle Hedwige de Doris Lamprecht dont le rôle est concentré vers la partie finale, un rôle qu’elle défend non seulement avec une belle présence et une notable énergie, mais aussi une très belle ligne de chant. Très beau Ruodi (le pêcheur) d’Enea Scala, qui alterne avec Osborn dans Arnold : la voix est claire, bien timbrée, bien projetée, et la diction impeccable. Un chanteur sans nul doute à suivre, qui avait déjà bien plu à Munich dans le même rôle et qu’on commence à voir dans ce type de rôle sur les scènes internationales.
Si dans l’ensemble la distribution est bien équilibrée, les deux jeunes artistes appartenant à la troupe des jeunes solistes en résidence au Grand Théâtre de Genève (excellente initiative par ailleurs), Erlend Tvinnereim et Amelia Scicolone ont une charge un peu trop lourde pour leurs voix encore vertes. Jemmy n’est pas un rôle de complément, mais un rôle de caractère, avec une voix très présente dans les ensembles, et la voix de la jeune Amelia Scicolone a encore des aigus mal maîtrisés, trop acides, trop dardés (il faut qu’elle soit entendue) par rapport à un centre encore fragile. Il en résulte un manque d’homogénéité dans la présence vocale malgré une prestation scénique convaincante. Ces rôles de travestis, très présents dans le Grand Opéra (il en restera des traces dans Oscar de Un ballo in maschera) par le fait même que ce sont des rôles travestis, sont exposés parce qu’ils ne sont jamais secondaires. Quant à Erlend Tvinnereim, en Rodolphe, il est pris au piège d’un rôle qui apparaît être de complément, mais avec un joli défi vocal dans le final de l’acte I qu’il n’arrive pas à relever, diction erratique, rythme, aigus, vélocité exigée par Rossini, tout cela n’est pas maîtrisé. C’est bien là le danger de Rossini, et en même temps sa force : il n’y a pas de « petits rôles » et chacun a droit à ses pièges, d’où la nécessité d’une compagnie très homogène et techniquement sans aucune faille.
On constate avec joie que le choeur du Grand Théâtre dirigé par Alan Woodbridge est toujours aussi bon, engagé, bien préparé, et qu’il est vraiment, et depuis longtemps, l’honneur de cette maison.
J’ai été en revanche un peu déçu par la direction de José Lopez-Cobos, spécialiste de Rossini, et aussi du bel canto, un chef discret mais sûr, et très bon technicien. Il soigne la clarté de l’orchestre, notamment la petite harmonie et les cordes : à ce titre, la mise en scène expose Stéphane Rieckhoff, habillé en Armailli (il me semblait que la tenue était spécifique de Fribourg ou du canton de Vaud, mais qu’elle n’allait pas jusqu’à Uri) l’excellent premier violoncelle de l’Orchestre de la Suisse Romande, en en faisant la première victime des monstres autrichiens (sortis d’une bande dessinée à la Matrix, avec leurs heaumes en tête de loup), puisque soliste seul en scène pendant l’exécution du célèbre solo initial, il se fait bientôt emporter par l’envahisseur (les autrichiens n’aiment pas la musique ? étrange, j’aurais cru le contraire) qui laissent en scène sson instrument brisé. Quel symbole ! Mais un joli talent aussi, qui illustre la bonne tenue des cordes de l’OSR. Les cuivres en revanche souffrent d’imprécision, dans les attaques, dans la manière de projeter le son, jamais clair, jamais net.
Au-delà de ces détails , ce qui manque à la direction, c’est une certaine énergie, notamment dans les parties les plus épiques, et les ensembles. Dans une œuvre qu’aussi bien Verdi (notamment dans Nabucco, qui raconte aussi une histoire d ‘oppression et d’envahisseur, avec un baryton basse en héros et un ténor en embuscade) que Wagner (Tannhäuser, Rheingold) ont regardé avec insistance, il m’a semblé qu’elle eût pu sonner d’une autre manière.
Enfin, même si c’est une décision de la direction, le chef eût pu protester contre les coupures trop importantes. Certes, Guillaume Tell, c’est long, et l’œuvre n’est jamais représentée intégralement, mais il me semble qu’une exécution intégrale eût été à la fois à l’honneur du GTG, mais surtout, eût rempli un manque, avec un vrai sens, en Suisse, dans sa partie francophone. Certes on présente une version française, mais surtout une version tronquée. Et comme l’œuvre n’est pas connue, personne ne proteste. On couperait une heure de Götterdämmerung ou de Meistersinger, que n’entendrait-on pas ! Mais pour Rossini…Décision regrettable pour laquelle on trouvera tous les justificatifs du monde, sauf qu’un théâtre francophone suisse qui présente Guillaume Tell dans la version originale en coupant un tiers de l’œuvre, n’est ni à la hauteur et du défi, ni de sa réputation.

Quant à la chorégraphie d’Amir Hosseinpour , nécessaire dans un opéra qui contient des parties importantes de ballet, elle n’est pas en soi médiocre et elle est très bien exécutée, mais trouverait sa place peut-être au sein d’une représentation monographique de ballet, mais pas au sein d’une production où elle semble plaquée et sans lien réel avec la trame, voire là aussi un peu ridicule. C’est l’image du cheveu sur la soupe qui s’impose.

Le gentil Tell (Jean-François Lapointe contre le méchant Gessler (Franco Pomponi) à droite © GTG/Magali Dougados
Le gentil Tell (Jean-François Lapointe)  contre le méchant Gessler (Franco Pomponi) à droite et à la pomme © GTG/Magali Dougados

La mise en scène de David Pountney n’est pas non plus à la hauteur de l’œuvre, qu’elle abâtardit, la rendant caricaturale voire ridicule par moments. Une seule idée : la flèche qui tenue par les paysans, parcourt sa trajectoire jusqu’à la pomme (déjà croquée au demeurant par le mélophage Gessler) au ralenti : jolie image, qui résout la question technique et qui devient alors emblématique de ce moment central.
Les coupures, sans doute imaginées pour rendre plus claire la ligne de l’intrigue, ont toujours pour effet lorsqu’elles sont importantes de schématiser et de réduire les détails de l’intrigue à l’os : il est d’autant plus facile alors de tomber dans la simplification et le manichéisme, il y a les bons suisses d’un côté (tous unis autour d’un Mechthal idolâtré sous forme de Mohai ou de statut du commandeur, notamment pour son fils Arnold) et l’horrible Gessler de l’autre. En rendant l’opposition si grossière, la mise en scène se décrédibilise et décrédibilise le livret. Inutile de chercher trop de psychologie, inutile de chercher la nature domptée ou sauvage, si importante dans l’œuvre dès l’ouverture : elle est totalement absente, au profit d’un univers métallique, uniformément gris. Les suisses sont tous gris, les oppresseurs tous en armure. Même les scènes familiales chez les Tell restent esquissées, alors qu’elles sont importantes, de même l’évolution d’Hedwige, qui passe de mater familias à pilier de la révolte n’est pas soulignée.

La question d’Arnold, amoureux de la princesse ennemie, et la délicatesse psychologique qui pourrait en résulter n’est pas abordée sinon sous l’angle esquissé de la peur du père: les choses sont brutes, sommaires, sans âme, sans intérêt et sans raffinement, alors que la musique est si raffinée. Si l’intérêt de la production est qu’elle est coproduite, la question artistique est passée au second plan au profit des intérêts économiques. Mais d’un côté, ils ont bien peu de goût ces directeurs de théâtre, de tomber d’accord sur une production aussi médiocre et d’un autre, je trouve regrettable qu’on perde une occasion de confier l’œuvre à un authentique metteur en scène et non pas un faiseur.

Au total, voilà une production aux qualités musicales indéniables, une distribution qui a globalement de la tenue, une direction musicale d’une certaine élégance un peu grise (comme la mise en scène), sans  relief suffisant dans les moments plus tendus, et une mise en scène qui reste d’un niveau médiocre, ignorant des pans entiers de l’ambiance nécessaire à poser dans Guillaume Tell, et qui simplifie les choses, donnant de l’opéra de Rossini une idée fausse. Cette ouverture de saison eût pu être une référence, elle n’est qu’un opéra de plus, tronqué et malmené, même si musicalement très défendable.[wpsr_facebook]

Acte 1 Scène 1 © GTG/Magali Dougados
Acte 1 Scène 1 © GTG/Magali Dougados

 

OPÉRA NATIONAL DE PARIS 2013-2014: ALCESTE de C.W.GLUCK le 19 SEPTEMBRE 2013 (Dir.Mus.: Marc MINKOWSKI, Ms en scène: Olivier PY)

Palais Garnier, Palais d’Apollon © Opéra National de Paris /Agathe Poupeney

Alceste n’est pas un des opéras les plus populaires de Gluck, comparable à un succès de répertoire comme son Orphée et Eurydice, qui lui aussi est une descente aux Enfers. C’est un long lamento, une succession de plaintes, celles d’Alceste qui va perdre son mari Admète, puis celles d’Admète qui va perdre sa femme, puis celles des deux, enfin celles du peuple qui va perdre ses modèles politiques et ses références morales. Long lamento ponctué d’un air célébrissime, Divinités du Styx, redoutable fête de sons graves pour la protagoniste. Pour que l’œuvre passe auprès du public, il faut en général une forte personnalité scénique qui ait suffisamment de charisme pour imposer le personnage : on a vu par exemple Germaine Lubin, Maria Callas et plus près de nous Shirley Verrett s‘y  confronter. Shirley Verrett, statue impériale au milieu d’une magnifique colonnade conçue par Pierluigi Pizzi dans ce même Palais Garnier (production de Florence), c’est un souvenir que les spectateurs parisiens (un peu) plus âgés ont gardé dans un coin de leur mémoire mélomaniaque. J’ai pour ma part aussi entendu  à la Scala la version italienne (1767) de Ranieri de’ Calzabigi à Milan sous la direction experte de Riccardo Muti, qui a un sens inné de la grandeur gluckienne (laissons l’adjectif gluckiste aux débatteurs du XVIIIème), avec Rosalind Plowright, la précédente édition scaligère en 1972, avait eu Leyla Gencer comme protagoniste.
La version française qui remonte à 1776 est de Le Bland du Roullet. L’Opéra de Paris a d’ailleurs repris Alceste assez fréquemment : c’est la deuxième production depuis l’ouverture de Bastille,  et la troisième depuis 1980. En confiant à Olivier Py la mise en scène, et la musique aux complexes des Musiciens du Louvre-Grenoble dirigés par Marc Minkowski, Nicolas Joel montrait quelle importance il accordait à cette production qui devait à l’origine marquer en plus le retour de Roberto Alagna sur notre scène nationale. Mais ce dernier a déclaré forfait et c’est Yann Beuron qui a repris le rôle d’Admète.
On connaît l’histoire : Admète se meurt, et Alceste son épouse demande à Apollon de sauver son mari : le Dieu consent à le sauver si un mortel meurt à sa place. Devant la fuite générale, Alceste s’offre à la place de son époux. Celui-ci, sauvé, découvre bientôt qui s’est offert en sacrifice et en refuse la perspective, mais il est (presque) trop tard. Au seuil des Enfers,  Hercule, qui a fini ses 12 travaux, intervient (Deus ex machina) fait reculer les Dieux infernaux, sauve Alceste, tandis qu’Apollon invite la ville à fêter le retour de ses souverains.
La source principale est évidemment la tragédie d’Euripide qui fait presque d’Alceste l’héroïne unique (Admète est bien ambigu et fait bien peu pour sauver sa femme) dans une pièce qui ne manque pas de contrastes, avec par exemple un Hercule trivial, qui tranche avec le ton somptueux de l’ensemble.
J’ai lu çà et là que Py avait conçu une cérémonie funèbre, sur une scène marquée par le noir (décor, costumes) sauf par la tache blanche de la robe d’Alceste (quand elle s’offre en sacrifice, c’est la couleur dont on revêt les victimes) ou du lit d’Admète, devenu ensuite lit d’Alceste, sorte de lit d’hôpital auprès duquel rôde un médecin (en fait l’oracle chanté par l’excellent François Lis). Mais cette cérémonie est sans cesse détournée par des détails dérangeants ou cocasses, à commencer par quatre ou cinq figurants qui dessinent à la craie des « ambiances », plus que des décors, sensées remplacer les toiles peintes, qui la plupart du temps représentaient des natures sauvages ou domptées et des longues perspectives de colonnades ou  des architectures antiques rêvées. Ces dessins, qui rappellent les architectures de Monsu Desiderio, qu’on dessine avec grande habileté et technicité et qu’on efface aussitôt pour montrer la fragilité des choses humaines, ont fasciné le public qui ne parlait que de cela à l’entracte. Ils représentaient entre autres le Palais Garnier, des perspectives à la Claude Le Lorrain, des arbres, des flots déchainés avec un navire à la Cutty Sark (inspiré par les étiquettes du fameux whisky: clin d’oeil quand tu nous tiens), une tête de mort, la lyre resplendissante d’Apollon, le rideau de scène de Garnier.
La craie n’est pas là par hasard évidemment, tout eût pu être travaillé à la vidéo, avec de l’informatique (comme l’électrocardiogramme d’Admète), projeté ou filmé, y compris en noir et blanc pour être dans le style…Mais la craie renvoie tout à la fois à un monde de l’enfance perdue, à un monde lointain qu’on efface facilement, mais aussi à un monde dominé par la manualité, la main humaine et non le machinisme (les décors sont poussés ostensiblement par des machinistes). À la craie aussi quelques aphorismes dont Py est friand (à la craie dans cette production , dans d’autres au néon), sans réponses, désespoir politique, le soleil ni la mort ne se peuvent rencontrer, ANANKÈ (la nécessité, ce qui doit arriver), seule la musique sauve, Les nuits d’été. Ce côté “artisanal” de l’opération, parfaitement voulu et central dans l’ambiance créée par Py, renvoie bien sûr à l’essentialité du théâtre, avec aussi sa distance ironique (la scène de l’électrocardiogramme à la craie provoque évidemment quelques rires) et son regard sur les illusions, sur les illusions de la caverne platonicienne, qui apparaissent, disparaissent, et qui jouent même avec le mélange des signes de l’effacement et de la lumière, traces des balais et de l’eau laissées sur les surfaces éclairées par les projecteurs, d’autres formes naissent ainsi, d’ombres et de lumière, plus abstraites, plus “contemporaines” (voir les photos jointes).

Apollon au sommet du Palais Garnier

Le propos d’Olivier Py pourrait bien partir de “Seule la musique sauve“: le palais d’Admète et d’Alceste est un dessin qui représente le palais Garnier, dominé, on le sait par Apollon entouré de la musique et la poésie (un groupe du sculpteur Aimé Millet). C’est donc cet Apollon protecteur du Palais Garnier, qui est aussi celui auquel s’adresse Alceste pour sauver son mari, comme si l’opéra de Gluck devenait une métaphore du genre-opéra et du lieu-Opéra. D’ailleurs, l’image finale est la lyre qu’il porte, qu’on voit plusieurs fois dans le déroulement de la représentation, et c’est lui,  corps doré recouvert de paillettes, qui intervient dans les dernières secondes. La musique est donc l’élément porteur, ce qui ne saurait étonner puisque pendant la seconde partie (Acte III) l’orchestre est sur la scène, et les espaces de jeu se réduisent au proscenium et au fond de scène: habilement, Py y fait dessiner le rideau du palais Garnier par ses quatre techniciens dessinateurs (de l’équipe du décorateur Pierre-André Weitz), ce qui recrée un rapport traditionnel scène/orchestre sur la scène et donc un théâtre en abîme: le rideau dessiné du Palais Garnier ouvrant sur le retour d’Alceste des Enfers. On entre aux enfers par la fosse, et on en ressort par le fond: l’Enfer est partout, pas d’échappatoire: seul le plateau est la vie.

Car sans orchestre, la fosse devient l’entrée des enfers, d’où émerge le choeur, avec des masques de mort: à l’opéra, l’Enfer c’est la fosse…vous percevez l’ironie du propos..? Et pour sortir de l’enfer, l’orchestre doit être sur scène…est-ce si gentil pour Minkowski tout ça…?
Je plaisante, bien entendu…Il reste que le dispositif du troisième acte, faisant de l’orchestre le protagoniste qui occupe l’essentiel du plateau, avec un choeur derrière, bien de face, comme dans une représentation en version (semi) concertante et un proscenium occupé par les chanteurs rappelle bien des concerts d’opéra et en souligne et en impose l’organisation. Py nous dirait-il en plus, que la mise en scène est inutile à l’opéra et que la musique nous dit tout, parce qu’elle nous sauve? Bref, triomphe de la musique dans sa sublime abstraction (image finale de la Lyre), et mort de l’opéra: d’ailleurs le Palais Garnier de craie est bien vite effacé, ainsi que le rideau de scène à l’arrière. Jolie pirouette pour illustrer un auteur fondateur de l’opéra moderne.
C’est donc pour moi d’abord un travail non pas sur l’histoire d’Admète et d’Alceste, illustrée assez platement une fois que la surprise des dessinateurs aux longs bâtons de craie est passée et devient système, et donc non plus pour parler d’une histoire funeste de mort et d’enfers, d’effroi et de mythologie, mais plutôt c’est plutôt un travail sur la mort baroque du genre opéra (ou peut-être de la variation baroque de l’opéra). Le public fait donc un triomphe à la mort de son genre préféré, le noir renvoyant plus à une abstraction qu’à un signe mortuaire.
Mais je continue de plaisanter…

Craie, coeur, tableau mouillé, jeux d’ombres et de lumières © Opéra National de Paris /Agathe Poupeney

La craie: parlons-en justement. Bien sûr ces dessins font référence aux toiles peintes des opéras baroques, avec leurs perspectives rêvées et leurs visions de l’infinitude, elles apparaissent, elles s’effacent,  mais alors que dans l’opéra, elles offrent seulement un cadre évocatoire, ici les dessins deviennent en quelque sorte protagonistes: tous les spectateurs s’interrogent en se disant “alors et maintenant, qu’est-ce qu’ils vont nous dessiner?” et se concentrent sur leur travail, n’ayant ni Lubin, ni Callas, ni Verrett à se mettre sous la dent et surtout, Py s’arrangeant pour que le drame passe après
Je trouve le travail de Py très brillant, très virevoltant, ouvrant des possibilités multiples d’interprétation, très déstabilisant même par sa profusion et dans sa très apparente simplicité: au théâtre, ne jamais se laisser prendre à l’apparence.
Par exemple: et si tout le monde était en noir pour illustrer/représenter le noir des concerts (choeurs et orchestre sont tous en noir: le noir est la couleur du concert en représentation, la couleur de la musique classique appelée quelquefois sérieuse, pour enfoncer encore plus l’horrible clou) et non pour l’histoire d’Alceste. Bon, je concède, il y a le blanc du lit, le blanc d’Alceste, mais qui connaît l’antiquité sait que le blanc est la couleur du deuil, la couleur funéraire: le blanc, c’est la mort, pas le noir: tout ce qui est en blanc sur scène est la mort. Non, le noir ici n’est pas la mort, mais la couleur de la musique, la couleur que chaque soir, à Pleyel ou à Lucerne, à la Philharmonie de Berlin ou au Musikverein, nous acceptons comme un topos de la musique dite classique. Il n’y a que la musique qui sauve, nous dit Py: quand on vous le dit que ce noir là est un noir de vie…

Par ailleurs, l’antiquité dans son système de références artistiques (le blanc en est une) est bien présente: il y a dans ce travail une idée que je trouve vraiment géniale, c’est d’avoir fait chanter Divinités du Styx comme une invocation funéraire en plaçant la protagoniste assise de profil contre un fond aux dimensions de stèle, comme s’il s’agissait d’une stèle funéraire attique, avec un serviteur qui porte le miroir parce que celle qui va mourir se prépare et se fait belle pour le dernier voyage. Une sorte de stèle animée. J’ai immédiatement pensé à la très fameuse stèle d’Hègèsô, du Musée d’Athènes. Un vrai moment de mise en scène.
Py ne cesse aussi de jouer sur les distances avec l’histoire racontée. L’histoire en elle-même ne semble pas trop l’inspirer: certes, la lecture d’Euripide lui a inspiré un Hercule facétieux (et l’idée est excellente) une sorte de magicien à la Mandrake très bien personnifié par Frank Ferrari, un Hercule qu’on ne prend pas trop au sérieux, qui fait sortir bouquets et colombes de son chapeau; certes, l’image des enfants (une trouvaille de la version française) tantôt éplorés dans des gestes convenus comme pour faire la photo, tantôt absents, jouant à la balle, littéralement ailleurs et plus adolescents indifférents qu’enfants éplorés; certes aussi il sépare le choeur des “Coryphées” coiffés d’une couronne de laurier qui ont directement la fonction du choeur antique, commentant l’action, pendant que le choeur réel est le peuple, affolé au premier acte, lâche et fuyant (comme toujours: le peuple n’est pas fait de la trempe des héros) festoyant pour le retour d’Admète au second, lisant les journaux pour avoir des nouvelles: les journaux, encore un signe d’une sorte de passé; aujourd’hui les choeurs tweetent les news, voir Ivo Van Hove -Macbeth à Lyon, ou Andreas Kriegenburg – Götterdämmerung à Munich; dans le monde de l’Antiquité selon Py, on lit encore les journaux et on écrit à la craie. Tout fait signe au théâtre.
Et malgré toute cette profusion de possibles, malgré ce travail très brillant, il reste que toute cette distance fait disparaître l’émotion: Py est brillant, mais serait-il pour autant substantiel? Je n’arrive pas à voir dans ce travail un autre discours que celui du jeu sur les formes, sur le théâtre, sur la musique, qui ne va pas au-delà d’une acrobatie au total superficielle. Un exercice de style de haute voltige, mais rien qu’un exercice de style. Que reste-t-il au bout du compte? On peut se poser la question.

Yann Beuron – Sophie Koch © Opéra National de Paris /Agathe Poupeney

Je trouve en revanche que le travail sur les personnages  reste dans  ce maelström étonnamment frustre, que les mouvements, les rapports des êtres entre eux restent confinés dans des gestes relativement convenus et peu chargés d’émotion, sauf à de rares moments (Alceste se penchant sur le corps d’Admète dans son lit) et encore. Il y a certes une volonté de rester sur une sorte de grammaire du geste très abstraite, réduite au minimal nécessaire, sans doute aussi pour respecter le tragique, qui refuse tout pathos. Mais cela ne cadre pas suffisamment avec la construction de la silhouette très contemporaine de Sophie Koch ou même d’un Admète en bras de chemise. Des silhouettes d’aujourd’hui avec des gestes d’avant hier, qui conviendraient à une Adrienne Lecouvreur (la vraie, pas celle de Cilea) en stola ou à un Lekain en tunique ou en toge. Je sens là quelque chose qui n’a pas  (pour moi du moins) fonctionné et qui reste très froid et très distant. Adieu émotion.
Musicalement, l’ensemble de la distribution est très honorable, il n’y a vraiment aucune faute de goût, même si tous ne sont pas totalement convaincants.
Yann Beuron interprète un Admète au style impeccable, tant dans la diction, que l’expression, que la projection c’est au niveau du chant de très loin le plus convaincant, le plus présent vocalement aussi: il ne m’a pas en revanche convaincu comme personnage ou comme acteur, plutôt pâle, mais en cela il convient bien au rôle, pas très passionnant: on se demande bien pourquoi un tel amour d’Alceste, pour un Admète si peu héroïque et aussi fade.
Sophie Koch en revanche éprouve des difficultés dans ce rôle redoutable entre tous. C’est une prise de rôle, et sans doute va-t-elle peu à peu polir le propos; mais la fréquentation de rôles plus aigus (Wagner par exemple) pèse évidemment pour un rôle qui frappe par ses exigences dans les graves. Elle ne les a pas. On ne l’entend pas dès que la voix descend, et encore plus quand l’orchestre est sur scène. Quant aux aigus, ils sont un peu criés. Et donc  il y a du tiraillement dans la voix et dans la ligne de chant. L’artiste reste évidemment intéressante, soucieuse de proposer une vision cohérente, et la proposition reste honorable et défendable, mais je suis persuadé que si elle était plus à l’aise avec sa voix et avec le chant, le personnage sortirait beaucoup plus incarné: ici, il y a l’actrice, très correcte comme toujours, et il y a le chant,  un peu plus discutable, et les deux n’arrivent pas vraiment à créer une osmose. Bref, je n’ai pas été vraiment touché.
Le grand prêtre d’Apollon (en soutane…) de Jean-François Lapointe confirme en revanche  l’excellence de cet artiste dont la qualité du chant marque chaque apparition. On se passionne pour ce chant et cette technique, qui dominent largement le premier acte et qui ravissent l’oreille: Lapointe est une valeur très sûre, notamment pour ce répertoire. Ne le manquez jamais.
Frank Ferrari, très à l’aise comme personnage dans Hercule offre une jolie prestation qui contraste bien heureusement par son côté vital, joyeux, trivial. Un joli moment, très souriant, très roboratif, très sympathique.
Parmi les autres rôles, qui sont épisodiques, notons les quatre coryphées, confiés pour l’essentiel à d’anciens élèves de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris, et qui montre que le travail mené a porté ses fruits, des voix très présentes, techniquement au point, bien projetées, très musicales (Florian Sempey, Marie Adeline Henry), mais j’ai un faible pour Stanislas de Barbeyrac, dont le style impeccable, le velouté du timbre, l’élégance, la projection laissent espérer une carrière brillante. Si on ajoute François Lis (l’oracle, une divinité infernale) qui a étudié au conservatoire de Paris, on peut être particulièrement satisfait du travail de préparation des jeunes chanteurs français d’aujourd’hui. Il est vrai qu’on les voit maintenant émerger un peu partout, et ils ont vraiment un niveau technique particulièrement remarquable. L’idée d’un chant français piteux, qui est un topos superficiel du monde lyrique, ne correspond vraiment plus du tout à la réalité, et on peut ici saluer l’Opéra de Paris qui met en valeur cette génération déjà bien présente sur les plateaux.
Mes doutes les plus marqués au niveau musical vont à la direction de Marc Minkowski, et à l’ensemble orchestre et choeur. On regrette quand même que pour une oeuvre pareille le choeur de l’Opéra de Paris n’ait pas été convoqué; certes, il prépare Aïda, mais tout de même Alceste est une oeuvre phare, le choeur a un grand rôle et celui de l’opéra est en général au rendez-vous…  Le choeur des Musiciens du Louvre est (juste) un ton en dessous de ce qui serait à attendre dans ce théâtre, en terme de volume, en terme de rondeur, en terme de présence. Et du point de vue des rapports entre l’orchestre et le choeur, il y a de trop nombreux décalages et, plusieurs fois,  comme des erreurs de tempo, comme si les deux n’allaient pas toujours ensemble, ni toujours de conserve.
Quant au choix de l’orchestre, j’avoue que j’ai des réserves sur l’emploi dans Gluck d’un orchestre baroque (notamment pour les cuivres, presque pénibles). Je sais qu’on pourrait en discuter à l’infini, mais j’entends toujours Gluck à la lumière du futur qu’il a impulsé, Spontini, Cherubini, voire Rossini et bien sûr Berlioz et Wagner et non à la lumière de son propre présent ou de son passé. Et je préfère l’entendre avec des orchestres modernes, on y lit beaucoup plus les filiations, les nouveautés, les fulgurances. Ainsi, voir et entendre l’orchestre sur scène impose un style sonore qui ne me convient pas, question de goût, d’habitude (d’autres diraient sans doute manque de goût et de culture). J’avoue, comme d’ailleurs lorsque j’ai entendu Cherubini dirigé par Spinosi, ne pas comprendre ce que cela apporte de plus, ou de mieux, au-delà de la curiosité esthétique: là aussi un exercice de style inutile. Quand je pense qu’on commence à nous infliger du Rossini (Bartoli-Spinosi au TCE et à Salzbourg) ainsi, comme si cela allait devenir la norme, cela me désole, car on tombe encore dans l’effet de mode et de marché, mais absolument pas dans l’effet musical utile (même si j’ai assez aimé Norma à Salzbourg, je ne suis pas vraiment convaincu que l’orchestre de Giovanni Antonini y soit à sa place, mais expérimentation fait loi). Je rappelle pour mémoire que le Couronnement de Poppée qui me marqua à jamais fut celui où chantaient ces baroqueux bien connus qui ont nom Jon Vickers, Christa Ludwig, Gwyneth Jones, Nicolaï Ghiaurov.
Mais qu’on ne se méprenne pas, je ne remets pas en cause l’interprétation des oeuvres baroques sur instruments anciens ni l’apport musicologique essentiel de ces recherches. Mais puisqu’on ne peut savoir exactement quel son entendaient nos ancêtres, ni comment ils le percevaient (pas plus qu’on ne peut savoir exactement comment ils disaient ou entendaient les vers, pas plus qu’on ne peut savoir exactement comment ils percevaient les couleurs) on ne peut pas imposer une uniformité de styles et de formes. Or je cherche ce que ce son sec et déséquilibré, quelquefois vacillant, apporte à Gluck. J’ai entendu plusieurs fois Riccardo Muti (qui est loin d’être mon chef de prédilection) dans ce répertoire avec un orchestre “ordinaire”, j’ai été cent fois, mille fois plus impressionné, surpris et ému.
Dans la fosse d’ailleurs, on n’entendait pas vraiment bien l’orchestre, notamment les cordes si essentielles étaient d’une discrétion notable. Ainsi les effets aux cordes des inserts de l’orchestre dans le grand choeur du premier acte, qui sont à la fois sublimes et très “modernes” et qui doivent avoir du relief, restaient d’une désespérante platitude, et à peine audibles. Sur scène au contraire, on l’entendait un peu trop et il couvrait souvent les voix. Où est le juste équilibre? Et la direction de Minkowski, certes comme toujours énergique et dynamique, n’avait pas pour moi l’épaisseur voulue. J’ai lu que certains y ont vu une insondable profondeur, avec un relevé de détails sublimes de la partition: je dois vite courir chez Audika, car j’ai bien peu entendu de détails, de raffinements, de profondeur dans ce travail: cette direction ne me dit rien, ne me parle pas, elle ne me tient pas un discours: elle avance, elle file puis elle passe et on l’oublie. Ainsi d’ailleurs suis-je terriblement frustré: face à un travail du metteur en scène sur la musique , c’est justement la musique qui pêche et qui ne répond pas suffisamment du moins à mon goût aux exigences de cette partition. Seule la musique sauve, eh bien, pas ici, pas vraiment.
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Alceste, mort, choeur © Opéra National de Paris /Agathe Poupeney