LA SAISON 2023-2024 DU THEATER BASEL

@DR/WIKIpedia

ET SI ON ALLAIT À BÂLE?

Nous proposons à nos lecteurs pour la première fois de découvrir la saison lyrique du Theater Basel, qui offre en outre une saison théâtrale et une saison de ballet.
En effet, ce théâtre est assez particulier dans le paysage, par une programmation souvent imaginative, pas forcément au niveau des titres, mais au niveau des offres qui les soutiennent, cette année par exemple, les manifestations proposées autour du Ring des Nibelungen, dont seront présentés Das Rheingold et Die Walküre.

C’est aussi un théâtre accessible depuis la France, au public alsacien et franc-comtois (Une quarantaine de kilomètres de Mulhouse, 180 kilomètres de Strasbourg et à portée d’autoroute de toute la Franche Comté) et à trois heures de TGV de Paris avec un aéroport (Bâle Mulhouse) fréquenté par les low-coast. Il y a donc des arguments forts qui nous induisent à offrir dans nos comptes rendus une place à cette institution que le Wanderer fréquente depuis plus d’une quinzaine d’années, sans jamais avoir été déçu.
En outre Bâle est une ville fort sympathique qui a d’autres atouts, et si on peut l’estimer un peu chère pour des bourses françaises, on peut toujours loger en Allemagne, à trois kilomètres, tout près de la frontière à Weil am Rhein, ou à Saint Louis en France, voire à Mulhouse et les prix pratiqués par le théâtre sont bien plus raisonnables que ceux pratiqués à Genève ou Zurich.

Il y a en plus des arguments touristiques qui ne sont pas indifférents aux amateurs d’art, notamment l’architecture (Bâle est une des capitales européennes de l’architecture) et l’art contemporain, avec le Musée Tinguely, et la Fondation Bayeler ainsi qu’en Allemagne sur la frontière, le Vitra campus, un vaste espace qui mêle architecture, design art, nature dont le Vitra Design Museum conçu par l’architecte Frank Gehry. Enfin pour les amateurs de réjouissances aquatiques, attenant à Vitra et toujours à Weil am Rhein, le Laguna Badeland.
Vous n’y pensiez peut-être pas, mais Bâle peut être un vrai but de long week-end, à l’occasion d’une ou plusieurs soirées d’opéra qui souvent valent la peine.

Le Theater Basel, institution municipale est un ensemble moderne, abritant la grande salle de spectacle d’environ mille places, une plus petite salle (kleine Bühne) de 320 places et à deux cents mètres le Schauspielhaus, le théâtre de prose, avec une salle d’environ 500 places et c’est dans tous ses espaces un lieu accueillant et agréable.
La saison, composée d’opéra, de ballet et de théâtre propose environ 600 représentations. L’intendant actuel est le metteur en scène Benedikt von Peter qui à l’instar de son collègue de Zurich, assume la mise en scène du nouveau Ring.
C’est un théâtre de troupe, (acteurs comme chanteurs) et c’est par Bâle que Simon Stone qui y était en résidence a commencé sa carrière européenne, mais pas un théâtre de répertoire au sens strict, beaucoup de nouvelles productions et quelques reprises. Enfin chaque production bénéficie pour l’essentiel de 10 à 18 représentations dans l’année ce qui laisse un vaste choix pour les dates. Pas de productions proposées seulement pour une dizaine ou une douzaine de jours.

La saison 2023-2024 propose les 10 productions d’opéra suivantes (7 NP et 3 reprises):

Nouvelles productions
Wagner :
Das Rheingold
Die Walküre

Herbert Grönemeyer :
Pferd Frisst Hut

Georges Bizet :
Carmen

Claudio Monteverdi :
L’incoronazione di Poppea

W.A.Mozart :
Requiem

Ambroise Thomas :
Mignon

Reprises :

Rossini :
Il Barbiere di Siviglia

Weber :
Der Freischütz

Verdi :
Rigoletto

 

NOUVELLES PRODUCTIONS

Septembre-Octobre 2023

Richard Wagner : Der Ring des Nibelungen
Das Rheingold

8 repr. du 9 sept. au 22 juin – Dir : Jonathan Nott/MeS : Benedikt von Peter
Avec : Nathan Berg, Michael Borth, Michael Laurenz, Solenn’ Lavanant Linke, Hanna Schwarz, Lucie Peyramaure, Andrew Murphy etc…
Sinfonieorchester Basel

Die Walküre
8 repr. du 16 sept. au 23 juin – Dir : Jonathan Nott/MeS : Benedikt von Peter
Avec : Nathan Berg, Solenn’ Lavanant Linke, Ric Furman, Artyom Wasnetsov, Theresa Kronthaler.
Sinfonieorchester Basel

Le Ring n’a pas été monté à Bâle depuis quarante ans, et au-delà de la représentation du cycle wagnérien, c’est à un effort de contextualisation des thèmes traités dans le cycle wagnérien qu’invite le Theater Basel en élargissant les représentations à un « Festival » qui s’appuie sur les thématiques du Ring pour les insérer dans des perspectives actuelles, multiples et quelquefois inhabituelles, soulignant ainsi l’actualité d’une œuvre qui continue de nous parler.
L’entreprise, toujours lourde pour un théâtre,  sera dirigée par Jonathan Nott, actuellement directeur musical de l’Orchestre de la Suisse Romande, que nous avions entendu diriger un Ring concertant très correct à Lucerne avec son ancien orchestre, les Bamberger Symphoniker.
La distribution est composée de jeunes chanteurs à découvrir et d’autres plutôt bien connus à commencer par la légende Hanna Schwarz en Erda, la Fricka de Chéreau continue de chanter et c’est toujours un plaisir très évocatoire et personnel de l’entendre, Loge est confié à Michael Laurenz, que nous entendons souvent et Wotan au baryton-basse local, le canadien Nathan Berg, que nous avions entendu dans Philippe II  en 2021/2022, chanteur expressif et précis. Fricka sera Solenn’ Lavanant Linke, Sieglinde Theresa Kronthaler, et Brünnhilde Trine Moller, chanteuse danoise à la voix bien trempée. C’est évidemment l’occasion de découvrir des voix nouvelles (Ric Furman en Siegmund, Artyom Wasnetsov en Hunding,  à un moment où bien des chanteurs wagnériens arrivent en fin de carrière. C’est aussi l’occasion de découvrir les artistes de la troupe bâloise qui est loin d’être médiocre.
Évidemment impossible de connaître l’approche scénique sinon qu’elle portera sur la question du patriarcat, et qu’il y aura des marionnettes.
De toute manière, un Ring ne se rate pas, d’autant que celui-ci est à portée de main.

 

Ein Ring Festival
En écho aux représentations du Ring, plusieurs manifestations de complément sont prévues, en illustration, en contraste, changeant les contextes, dans et autour du théâtre concentrées entre septembre et octobre, avec aussi des initiatives surprenantes et heureuses, comme de mettre en vente deux places pour Die Walküre (mais aussi pour d’autres titres comme Carmen, Requiem et Rigoletto) en fosse d’orchestre pour observer l’opéra « vu de la fosse ».

Pour ce Festival autour du Ring ont été invitées des compagnies de théâtre de milieux différents aussi bien que d’approches esthétiques diversifiées à adopter des perspectives ouvertes sur le drame de Wagner avec un regard critique. Le collectif Gintersdorfer/Klassen, qui travaille avec des performeurs de Côte d’Ivoire, rencontrera le duo de théâtre documentaire Hans-Werner Kroesinger et Regine Dura. L’artiste sonore britannique Matthew Herbert développera une installation chorale participative sur la Theaterplatz. Ainsi est conçu le Festival « Ein Ring Festival » à partir du 9 septembre. Une série de late night et des manifestations d’introduction complètent ce programme de ‘Der Ring – Ein Festival’. Sans oublier que la ville de Bâle est traversée par le Rhin, lieu central de la Saga wagnérienne…

Rheinklang, ein Chorritual :
Compositeur : Matthew Herbert
Chorégraphie : Imogen Knight
Chœur et chœur supplémentaire du Theater Basel
Hommage au Rhin qui traverse la ville, avant chaque représentation de Rheingold entre le 9 septembre et le 6 octobre sur la Theaterplatz. Chants du chœur et bruits de l’eau du Rhin tissés par Matthew Herbert se mêlent en un prélude à la représentation..


Gold, Glanz und Götter
Du 10 septembre au 8 octobre
Concept et mise en scène :
Hans-Werner Kroesinger et Regine Dura
Avec Klaus Brömmelmeier, Johannes Dullin, Sascha Bitterli, Lulama Taifasi, Nadejda Petrova Belneeva
La lutte pour le pouvoir est le moteur du Ring wagnérien. Les deux metteurs en scène Hans-Werner Kroesinger et Regine Dura sont d’importants représentants du théâtre documentaire, héritier d’Erwin Piscator, qui plonge dans la réalité contemporaine pour en dénoncer les dérives. Ici, il s’agira d’explorer les centres de pouvoir à Bâle à partir des implications politiques de l’œuvre de Wagner. Le spectacle conçu comme un parcours se déroulera dans les coulisses du théâtre la plupart du temps interdits au public (deux représentations par jour, de 18h à 19h30 et de 20h à 21h30. 

Der Youpougon-Ring
9 repr. du 22 sept. au 8 oct.
Concept: Monika Gintersdorfer et Knut Klassen
Avec Álfheiður Erla Guðmundsdóttir, Hauke Heumann, Gadoukou la Star (Edmond Franck Yao), Cora Frost, Annick Prisca Abgadou, Spaguetty Mazantomo etc…
(Dans la grande salle)
Une performance qui passe au crible les thèmes du Ring et ses mythes entre magie, domination, culte des héros, au travers de diverses formes d’expression esthétiques et culturelles, danse, culture pop etc… dans une perspective transculturelle s’appuyant notamment sur des artistes ivoiriens.

 

 

Novembre 2023-Mai 2024
Herbert Grönemeyer
Pferd frisst Hut

  • du 4 nov. 2023 au 18 mai 2024 (Dir : Thomas Wise/MeS : Herbert Fritsch)

Sinfonieorchester Basel

Le célèbre compositeur-interprète allemand Herbert Grönemeyer, l’une des stars de la pop outre-Rhin crée cette comédie musicale d’après « Le chapeau de paille d’Italie » de Labiche dans une mise en scène d’Herbert Fritsch, l’un des metteurs en scène les plus réclamés aujourd’hui sur les scènes du monde germanique (on lui doit par exemple  Il Barbiere di Siviglia à la Staatsoper de Vienne) et dirigé par l’américain Thomas Wise directeur des formations musicales du Theater Basel.
Après les débuts du Ring Wagnérien, un contraste plus léger qui ne manquera pas d’attirer un nombreux public.

Janvier-juin 2024
Kurt Weill-Bertolt Brecht
Die Dreigroschenoper

15 repr. du 13 janv. au 19 juin 2024 – Dir : Sebastian Hoffmann/MeS : Antú Romero Nunes
Avec  Elmira Bahrami, Aenne Schwarz, Thomas Niehaus, Jörg Pohl, Barbara Colceriu, Sven Schelker, Paul Schröder , Chanteuse – Cécilia Roumi

Au Schauspielhaus
Dans le cadre plus réduit du Schauspielhaus, dans la mise en scène du directeur « Théâtre » du Theater Basel, Antú Romero Nunes de qui nous avions vu à Hambourg un Ring « parlé »  et qui aime travailler sur les frontières texte-opéra, voilà l’une des œuvres les plus difficiles à monter, et qui pourtant fait partie du répertoire classique de toute scène lyrique ou théâtrale. Opéra ou théâtre ou les deux, nous avons voulu inclure cette production marquée « théâtre » dans la programmation musicale du Theater Basel. Il sera intéressant de voir ce qu’en fait Antú Romero Nunes, justement à cause de la nature hybride de l’œuvre.

Février-juin 2024
Georges Bizet
Carmen

15 repr. du 3 févr. au 11 juin 2024. (Dir : Maxime Pascal/MeS : Constanza Macras)
Avec Edgaras Monvidas/Rolf Romei, Kyu Choi, Rachael Wilson/Jasmin Etezadzadeh, Sarah Brady etc…

(Existence de places en fosse)
Sinfonieorchester Basel

Maxime Pascal est devenu l’un des chefs français les plus demandés notamment dans le répertoire contemporain. On va l’entendre à Salzbourg dans The Greek Passion

de Martinu d’après Le Christ recrucifié de Nikos Kazantzakis. Le voilà dans la fosse pour l’opéra le plus connu du répertoire lyrique international, Carmen, à l’autre bout du spectre en quelque sorte. La chorégraphe Constanza Macras et sa compagnie Dorky Park combinent danse, texte, musique films en spectacles interdisciplinaires. Elle est en résidence à la Volksbühne de Berlin. Elle essaiera de s’attaquer à la diversité du mythe de Carmen dans toutes ses implications.  Dans la distribution, Edgaras Monvidas en Don José, bien connu des scènes lyriques et l’américaine Rachael Wilson, qui fut l’un des meilleurs éléments de la troupe de la Bayerische Staatsoper de Munich et désormais en carrière un peu partout.

Mars-mai 2024
Claudio Monteverdi

L’incoronazione di Poppea
11 repr. du 3 mars au 25 mai – Dir : Laurence Cummings – MeS : Christoph Marthaler
Avec Kerstin Avemo, Jake Arditti, Anne-Sofie von Otter, Álfheiður Erla Guðmundsdóttir, Stuart John Jackson etc…
La Cetra Barockorchester
Une représentation « historiquement informée » sous la direction de Laurence Cummings, solide spécialiste de ce répertoire. Une distribution de bon niveau, homogène, où l’on reconnaît Jake Arditti, le Nerone de la production 2022 d’Aix en Provence et surtout l’Ottavia de Anne-Sofie von Otter, chanteuse fétiche de Christoph Marthaler, qui signe la mise en scène. C’est l’un des phares de la mise en scène des trente dernières années, une figure incontournable toujours contestée et souvent incomprise, et qui pourtant entre sarcasme, ironie, mélancolie et poésie sert un théâtre toujours respectueux de la musique (il est lui-même musicien). Derniers spectacles vus, Giuditta de Lehár et Lear de Reimann à la Bayerische Staatsoper . Nous avions vu de lui à Bâle une Grande Duchesse de Gerolstein commençant en Offenbach et finissant en opéra baroque sur la guerre et la mort qui était un spectacle fort et dérangeant. On ne manque pas un Marthaler, il faut y aller sans aucune hésitation.

 

Avril-juin 2024
W.A.Mozart
Requiem

11 repr. du 20 avril au 15 juin – Dir : Ivor Bolton – Francisco Prat/MeS : Romeo Castellucci
Sinfonieorchester Basel (Existence de places en fosse)
Coprod. Festival d’Aix en Provence, Adelaide Festival, Wiener Festwochen, Palau des Arts Reina Sofia di Valencia, La Monnaie Bruxelles, Teatro San Carlo Napoli

La production du Requiem de Mozart au Festival d’Aix (édition 2019) avait été triomphalement reçue, pour sa fraicheur, sa vie foisonnante, sa poésie. Après Bruxelles et venant juste d’être présentée à Naples en mai 2023, la voilà au Theater Basel, dirigée par un grand spécialiste de ce répertoire Ivor Bolton (en alternance avec Francisco Prat) qui plus est directeur musical du Sinfonieorchester Basel. Si vous n’avez pas vu ce spectacle, c’est l’occasion de le découvrir, car il s’agit d’une des plus belles réussites de Romeo Castellucci.

Mai 2024
Ambroise Thomas
Mignon

20 mai 2024 (semi concertante) – (Dir : Hélio Vida – MeS : Tilman aus dem Siepen)
Collegium Musicum Basel
Opernstudio OperAvenir
Une production du Studio de l’œuvre de Thomas rare sur les scènes, mais célèbre à cause de Goethe (Mignons Lied, Kennst du das Land…), chaque théâtre d’un peu d’importance a un studio et ces centres de formation-apprentissage se sont multipliés ces dernières années.
La direction musicale est assurée par Hélio Vida, jeune chef brésilien formé entre autres à Nancy qui dirige le Studio du Theater Basel et la mise en scène (ou en espace) par Tilman aus dem Siepen, jeune metteur en scène formé à Berlin qui vient d’intégrer le Theater Basel comme assistant à la mise en scène.

 

REPRISES

Octobre-Décembre 2023
Gioachino Rossini
Il Barbiere di Siviglia
10 repr. du 14 oct. au 31 déc. – Dir : Hélio Vida/MeS : Nikolaus Habjan
OpernStudio OperAvenir
Sinfonieorchester Basel
Nikolaus Habjan originaire de Graz est considéré comme l’un des maîtres de la mise en scène alliant marionnettes et acteurs. Il a produit ce Barbiere di Siviglia en fin de saison 2021-2022 pour le studio avec un beau succès et la production est reprise pendant les trois derniers mois de l’année 2023, notamment pour la période des fêtes du 15 au 31 décembre mais aussi en tournée à Zug et Winterthur. L’orchestre est dirigé par le directeur du studio OperAvenir Hélio Vida. Les reorésentations hybrides pour marionnettes sont fascinantes et valent le déplacement.

 

Octobre-Novembre 2023
Carl Maria von Weber

Der Freischütz
6 repr. du 15 oct. au 12 nov. – Dir : Titus Engel – MeS : Christoph Marthaler
Avec
Sinfonieorchester Basel

Un chef parmi les plus intéressants aujourd’hui qu’on a entendu ces dernières années à Lyon Genève et à Munich notamment (Giuditta, dans la mise en scène de Marthaler) et de nouveau ici avec la mise en scène de Christoph Marthaler. Ce couple seul vaut le voyage pour une œuvre très connue mais paradoxalement rarement représentée. La distribution n’est pas connue, mais l’équipe Engel/Marthaler est une garantie suffisante pour ne pas manquer cette reprise d’une production de l’automne 2022, aux couleurs tragicomiques, dans une société de chasseurs. L’univers de Marthaler est à la fois singulier, touchant et juste.

Novembre 2023-janvier 2024
Giuseppe Verdi
Rigoletto

10 repr. du 30 nov. au 21 janv. 2024 – Dir : Michele Spotti-Thomas Wise/MeS : Vincent Huguet

Avec Pavel Valuzhin, Nikoloz Lagvilava, Regula Mühlemann/ Álfheiður Erla Guðmundsdóttir
Sinfonieorchester Basel (avec places en fosse)
Michele Spotti après un Don Carlos qui a marqué la saison 2021-2022 est revenu à Bâle en 2022-23 pour une œuvre de Verdi plus populaire, Rigoletto, avec le même metteur en scène, Vincent Huguet. La production été plutôt bien accueillie notamment pour sa distribution et la direction musicale particulièrement colorée du jeune chef italien, et la reprise est affichée avec les mêmes. Autant d’arguments pour ne pas hésiter à faire le déplacement.

 

Conclusion

La saison lyrique du Theater Basel n’affiche que quelques rares stars, mais elle donne envie, parce que les initiatives autour des spectacles sont intéressantes, parce que l’offre est variée, tant au niveau des styles musicaux que de la couleur des mises en scène et parce que l’expérience montre que le niveau n’y est jamais médiocre.
Voilà bien des raisons pour lesquelles un lecteur intéressé par l’opéra doit penser à un déplacement à Bâle, parce qu’aucun théâtre français ni suisse n’a cette originalité ni cette couleur.

@DR/ Girlsberger

LA SAISON 2023-2024 DU GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE

Le Grand Théâtre de Genève

Un grave problème de remplissage
Le Grand Théâtre de Genève vit à la fois une période compliquée et tout à fait passionnante, compliquée parce que le débat actuel porte sur l’inquiétante chute de la fréquentation qui l’atteint, notamment depuis la pandémie, mais pas seulement, et donc sur la nature de la programmation d’Aviel Cahn que d’aucuns accusent de l’avoir provoquée.
C’est une discussion passionnante parce qu’elle pose directement et sur pièces, les données de la crise actuelle de l’opéra, que j’ai par ailleurs évoquée dans plusieurs articles, et semble apparemment donner raison à ceux qui attaquent les mise en scène dites « modernes » que porte la politique d’Aviel Cahn , et par laquelle non seulement il a porté au sommet l’Opera-Ballet Vlaanderen au cours de son mandat précédent mais aussi pour laquelle, il ne faut pas l’oublier, il a été appelé à diriger le Grand Théâtre de Genève. On considérait (à juste titre je crois) que la politique de son prédécesseur Tobias Richter avait un côté plan-plan, aimablement médiocre, et qu’il fallait donc donner un coup de pied dans la fourmilière.
Le coup de pied a été donné, et la fourmilière s’est vidée… plus de fourmis Place de Neuve…

Au-delà de cette pirouette, on constate des mouvements divers pour attaquer les mises en scène contemporaines – ce n’est pas nouveau, mais cela prend plus d’ampleur- de la part d’un public conservateur qui exige un « respect des intentions de l’auteur » que la plupart du temps il ne connaît pas, un « respect de l’œuvre » , qu’il serait bien incapable de détailler, et surtout demande une mise en scène sans implicites ni dérives idéologiques (« fantasmes de metteurs en scène », « clique de metteurs en scène qui ont pris le pouvoir » «apologie du laid») pour rendre à l’opéra sa fonction de divertissement noble dans la grande tradition du théâtre bourgeois du XIXe, celle que Wagner dénonçait déjà fortement et contre laquelle il s’est élevé toute sa vie, et que l’essentiel de l’opéra du XXe siècle dément, un opéra qui éviterait le trash, la laideur etc… Mais qui pourrait définir le Beau ? toujours bizarre selon Baudelaire… Et Wozzeck, Il Tabarro, Suor Angelica, Die Soldaten, Lady Macbeth de Mtsensk, Lulu, mais aussi dans ce XIXe bourgeois  La Traviata ou Tosca et j’en passe sont évidemment des histoires « divertissantes », pour ne pas dire fleur-bleue, parfaitement digestibles avec du champagne et les discussions badines entre amis aux entractes (quand il y en a) qui ne posent aucun problème et laissent tout leur temps de cerveau disponible au vestiaire… C’est un signe supplémentaire de la montée des conservatismes esthétiques et culturels qui affecte aussi des institutions comme Bayreuth, un comble quand on connaît les premières conditions de fondation du Festival et la détestation qu’avait Wagner de la première mise en scène de son Ring.

Cela donne l’idée de la complexité du problème, de l’inculture qui le sous-tend, et du slalom auquel doivent se livrer les managers d’aujourd’hui pour garder leur public (pas seulement à Genève d’ailleurs).

Il reste que je serais bien incapable de donner une raison unique à cette subite désaffection qu’on peut expliquer pour une création mondiale ou un opéra très contemporain (même si le MET a délibérément choisi d’afficher six compositeurs contemporains dans sa prochaine saison pour attirer un public plus jeune moins intéressé par le grand répertoire) moins pour le grand répertoire et des productions d’un niveau particulièrement haut.  Par exemple, d’aucuns ont accusé Lady Macbeth de Mtsensk d’être une œuvre trop moderne ou inconnue pour Genève. L’œuvre étant proposée pour la troisième fois depuis 2001, il faudrait comparer les fréquentations des trois programmations pour voir si décidément le public n’est jamais venu en nombre ou si la tendance est nouvelle et surtout si la mémoire de ce public plutôt mûr s’est émoussée.
On ne peut non plus accuser la programmation de titres inconnus ou impopulaires en prenant pour exemple La Juive de Halévy, un des titres les plus glorieux de l’histoire de l’opéra au XIXe, qui a été reproposé plusieurs fois (à Lyon, à Paris et à Vienne notamment) depuis ces dernières années. Le public de Genève serait-il si ignare ? Il a pourtant applaudi il y a quelques années la Médée de Cherubini, ou Mignon de Thomas qui ne sont pas des opéras qu’on voit partout aujourd’hui.

Un regard sur quelques saisons du passé montre d’ailleurs qu’elles sont toutes à peu près construites de la même manière avec sa dose de répertoire traditionnel français, allemand ou italien, sa création, son œuvre du XXe et son petit pas de côté (répertoire tchèque, ou russe ou autre…).
Je pense qu’il y a une conjonction de planètes en ce moment pas si favorables, comme souvent, dont on peut avancer quelques éléments.

Quelques remarques cependant qui peuvent cotnribuer à expliquer le phénomène

  • Une politique tarifaire assez sélective qui propose une amplitude qui avoisine ou dépasse les tarifs des plus grandes salles européennes (prix maximum 239 CHF et avec option OR (avec champagne et petits fours) 309 CHF.
    Du côté des minimums, 17 CHF pour quelques places très latérales et sinon 62 CHF en amphithéâtre haut (dont le premier rang coûte tout de même 98 CHF, le prix d’une place d’orchestre à Lyon ou Strasbourg).
    Certes la Suisse est chère, le Franc Suisse est au plus haut, et Genève est riche, mais ce sont des prix de salles qui proposent le plus souvent quelques stars (ou au moins des noms connus du public) dans chaque production , avec en général en fosse un orchestre de très grande qualité etc…

Si les spectateurs peuvent payer, tant mieux pour eux et le théâtre, mais pour ma part en tant qu’amateur d’opéra, aimant être bien placé, je me refuserais à payer ce genre de prix pour entendre un Parsifal seulement honorable avec une distribution de bonne facture, mais sans aucun chanteur de tout premier plan ou une Maria Stuarda médiocre et mal distribuée, une protagoniste d’Elektra problématique ou une Turandot distribuée à la va comme je te pousse.
Un des problèmes de ce théâtre, c’est que du point de vue des distributions et des chefs, il est comparable à Lyon, ou Strasbourg, avec des tarifs qui sont plus du double des prix pratiqués dans ces deux théâtres (et le budget qui va avec) et très comparable à La Monnaie de Bruxelles, opéra capitale où les tarifs pour les productions les plus demandées ne dépassent pas 165 Euros (Tarif Gold) et la catégorie A est à 138 Euros (10 Euros de plus pour le Ring l’an prochain)
Il y a incontestablement un problème de rapport qualité-prix.

  • Un rapport qualité prix problématique

Les distributions sont toujours de bon niveau, pratiquement jamais de très grand niveau. Aviel Cahn garde sa politique des Flandres, parfaite pour Anvers ou Gand… où le prix maximum est de 133 Euros… une minuscule différence. C’était la politique inaugurée par Mortier à La Monnaie dans les années 1980, à une époque où l’Opéra explosait et où l’on venait de populariser la mise en scène à l’opéra (ce que certains appellent l’ère des metteurs en scène)

Les prix pratiqués à Genève me paraissent prohibitifs par rapport à la nature de l’offre, même dans la cité des banques et des Institutions internationales. Si l’on veut continuer de pratiquer ces tarifs, il me semble qu’un effort pour étoffer les distributions avec quelques noms qui pourraient attirer le chaland serait à même de stimuler le public. C’était la politique de Hugues Gall, qui a laissé un tellement grand souvenir à Genève et qui était en revanche bien plus sage en matière scénique…
Raisonnons autrement : je suis un bon client j’ai de l’argent, 239 CHF ou 321 CHF ne sont pas pour moi un problème. Mais j’aime bien l’opéra, alors à tout prendre je vais à Londres, Vienne ou Berlin et pour le même prix (voire moins cher) j’ai une qualité supérieure et une petite virée européenne…

En dehors de Hugues Gall, il y a eu des moments où les distributions genevoises étaient solides sans être galactiques, par exemple au temps de Jean-Marie Blanchard ; qui s’intéressait aux chanteurs, allait les écouter, et revenait avec les perles du futur. Quand Jonas Kaufmann, Anja Harteros, Klaus Florian Vogt ont chanté à Genève, ils n’étaient pas débutants, mais juste à l’instant fugace où ils allaient basculer dans la starisation. Blanchard savait les saisir au bon moment. Oubliera-t-on que Nina Stemme était Elisabeth (et Stephen Gould Tannhäuser) dans la production d’Olivier Py (avec son fameux phallus en vrai) ou Primadonna dans Ariane à Naxos, alors qu’elle avait déjà explosé en Isolde à Bayreuth.
Donc deuxième raison possible, un manque d’éléments de séduction ou d’imagination dans pas mal de distributions.

Il est clair qu’à l’opéra, la présence de quelques noms connus dans la distribution du public fait passer la pilule de mises en scène dites modernes, c’est la cerise merveilleuse sur un gâteau amer qui aide à faire contre mauvaise fortune bon cœur. Si par exemple un Jonas Kaufmann décidait de venir chanter un rôle dans une mise en scène résolument contemporaine, il attirerait les foules. Il faut aussi donner au spectateur pour son désir ou son fantsame…et son argent..

  • Un choc anaphylactique violent
    Troisième type de raison de la désaffection, le choc qu’ont constitué les premières saisons d’Aviel Cahn tronquées par la pandémie. D’une part, le public hésitait à revenir par peur de contagions etc… d’autre part, il a perdu l’habitude de venir (et cette habitude se perd très vite, hélas), notamment parce que l’offre qu’il y trouvait constituait un obstacle et amenait à une renonciation d’autant plus facile qu’il avait pris l’habitude de ne plus sortir.
    Jamais le Grand Théâtre de Genève n’a été un lieu de mises en scène très « sacrilèges » pour le public local. Sous Richter c’était évident (sauf de rares productions qui ne manquaient pas de séduction), sous Blanchard également qui restait toujours à la limite de l’acceptable pour ce public, on a fait appel à Olivier Py, Patrice Caurier et Moshe Leiser, Pierre Strosser, des figures plutôt connues, de qualité, et toujours accessibles au public. Une modernité réelle, mais sage.
    Avec Aviel Cahn d’emblée, il y a eu de vraies prises de risque, ce qui est louable, qui ont pu passer (Einstein on the Beach, peut-être), mais qui ont plus souvent cassé, comme la version Luk Perceval/Asli Erdogan de Die Entführung aus dem Serail. Et dans ce cas, il suffit de deux ou trois productions pour que le processus s’enclenche et amorce la désaffection (le bouche à oreille aidant). Et les saisons n’ont pas offert de dosage acceptable/insupportable au public qui sans doute s’est senti brutalisé dans ses habitudes, sans avoir d’autres os à ronger comme des chanteurs/chanteuses connu(e)s compensatoires…
  • Cette question affecte exclusivement plateaux et mises en scène, mais elle n’affecte pas les chefs, ni les orchestres en fosse. La politique de chefs à Genève a toujours été assez régulière et que ce soit sous Hugues Gall, sous Renée Auphan et sous Blanchard, elle est à peu près semblable, avec un fléchissement sous Richter vers des chefs de théâtre de répertoire allemand, sans véritable politique affûtée (même malgré Metzmacher dans Macbeth).
  • Seul, le ballet actuellement surnage, avec une fréquentation qui dépasse les 100%, et une offre pourtant très contemporaine grâce à Sidi Larbi Cherkaoui, un très grand nom de la chorégraphie aujourd’hui, et grâce à des tarifs moins sélectifs… Mais entre les deux publics, il ne semble pas y avoir de vases communicants.

En résumé

  • Un rapport qualité-prix déséquilibré qui n’offre pas, à qualité égale pour les chefs et l’orchestre, de plateaux suffisamment excitants et privilégie la production par rapport au plateau : c’est trop cher pour ce que ça promet et ce que ça offre malgré des productions souvent passionnantes, mais la seule production peut difficilement attirer le public, et les plateaux ne sont pas stimulants pour ce public-là
  • Une trop grande brutalité dans le changement de ligne intervenu à l’arrivée d’Aviel Cahn, accentuée par la Pandémie, qui a cassé toute dynamique et qui a eu pour résultat de vider la salle et son public habituel sans le substituer par un nouveau public.
  • Conséquence, des difficultés endémiques à remplir la salle quelle que soit la production désormais, y compris quand elles sont légendaires comme Lady Macbeth de Mtsensk, y compris pour Parsifal dans un théâtre de grande tradition wagnérienne Et c’est désolant.

 

La saison 2023-2024

Avec une production en moins, on tire les conséquences de la situation, bien que la saison offre des titres importants, attirants, qui partout ailleurs seraient susceptibles de faire le plein et dont on espère qu’ils le feront, dans un réveil bienvenu du public genevois et alentour.
On déplorera bien sûr Ariodante en version de concert et pour une seule représentation, mais on applaudit à Don Carlos, il était temps, après une soixantaine d’années d’absence de la version originale, on applaudit aussi à Idomeneo, sans doute la meilleure offre de la saison (on verra pourquoi) et à Saint François d’Assise, survivance de la période Covid, qu’on va enfin voir : c’est un événement authentique.

Quant à Rosenkavalier mis en scène (assez sagement) par Christoph Waltz, acteur fétiche de Quentin Tarantino, c’est une importation de l’opéra des Flandres (2013) sous le règne d’Aviel Cahn, dont on verra s’il a supporté aussi bien le voyage et les traces du temps que Lady Macbeth de Mtsensk à peu de choses près contemporain.
La création d’Hèctor Parra Justice, mise en scène par Milo Rau, s’annonce évidemment passionnante à cause des protagonistes (Hèctor Parra, Milo Rau, et l’excellent Titus Engel en fosse).

Enfin, Maria de Buenos Aires est une excellente idée pour faire entrer un vent de tango dans le Grand Théâtre, et offrir une diversion, divertissement, un ailleurs surprenant et donc bienvenu.
La saison se terminera par le troisième opéra de la trilogie des Reines de Donizetti, dont on connaît désormais le principe, si l’on applaudit au retour du chef Stefano Montanari, le reste n’a pas convaincu, mais l’intéressant sera de revoir les trois opéras d’affilée, une expérience unique en Europe.

Du beau, du bon, du moins bon, c’est une saison quand même plus ouverte et moins « difficile » que la précédente. Le public retournera-t-il place de Neuve ? C’est un vrai test et on l’espère parce que malgré tout, la politique qui y est menée le mérite..

Septembre 2023
Giuseppe Verdi, Don Carlos
6 repr. Du 15 au 26 septembre 2023 (Dir : Marc Minkowski/MeS : Lydia Steier)
Avec Dmitry Ulyanov, Eve-Maud Hubeaux, Stéphane Degout, Charles Castronovo/Leonardo Capalbo (28/09), Rachel Willis-Sørensen, Liang Li etc…
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande
Nouvelle production

Soyons clairs et définitifs : un Don Carlos ne se manque jamais, la version originale est trop rare pour la rater, avec des raffinements inouïs parce qu’elle est à tous niveaux plus réussie que sa traduction italienne, dans toutes les versions. La distribution est largement défendable, avec les phares que constituent Stéphane Degout dans Rodrigue et Eve-Maud Hubeaux dans Eboli et le reste de la distribution de très bon niveau.
Pour le reste, hélas, cascade de regrets et d’erreurs.
D’abord si on choisit la version originale c’est pour faire entendre les musiques inconnues et non pas faire de la dentelle de type ça oui, ça non…La version originale, même à Paris a été très peu représentée et son péché capital est d’avoir toujours été considérée comme trop longue. Alors, jusqu’à la version en 4 actes de 1884, ce ne sont que ça oui, ça non dans chaque théâtre où elle est créée, avec des versions adaptées aux nécessités du lieu et des coupures, toujours des coupures et encore des coupures. Mais notons qu’aussi bien la version en quatre actes de Milan (1884) que celle de Modène en cinq actes (1886) sont non des versions italiennes, mais des traductions en italien de la version française, dont le livret est l’un des plus beaux de toute la production verdienne.
Aussi bien la version originale créée en 1867 à Paris est-elle aussi un produit de coupures diverses de répétitions à cause des exigences du directeur Léon Escudier, des capacités des chanteurs (d’autant que Verdi n’était pas satisfait de son plateau) et des coupures de dernière minute à cause de la longueur de l’œuvre . Même Verdi a joué, par nécessité plus que par désir à ça oui, ça non.

Le seul théâtre qui ait eu le courage de donner toutes les musiques en français est le Regio de Turin en 1991, sous la direction du chef Gustav Kuhn.
Abbado de son côté en 1977 à la Scala a donné toutes les musiques (y compris celles coupées à la première de 1867) sauf le ballet, et en italien (à l’époque aucun chanteur ne voulait apprendre la version originale en Français). C’est musicalement sublime, cherchez en les vidéos (avec le cast B, soit Margaret Price et Placido Domingo) qui existent…
Aussi bien à Bâle (Bieito 2007) qu’à Barcelone et Vienne (Peter Konwitschny), on s’en est tiré pour le ballet par des solutions habiles et séduisantes.
Alors, au lieu d’avoir le courage et l’intelligence de proposer une version complète de l’opéra, la Genève francophone joue au ça oui, ça non, comme au temps de Verdi, alors que le Grand Théâtre avait une occasion d’afficher un Don Carlos unique et jamais joué depuis trente ans, jamais joué ailleurs qu’à Turin, et même pas à Paris aussi bien à l’Opéra en 2017 qu’au Châtelet en 1996 et pour ainsi dire jamais joué depuis la création.
Ainsi le fameux Lacrimosa (le duo et chœur qui suit la mort de Posa), peut être le moment le plus émouvant et le plus beau de la partition qu’Abbado proposa dans sa version de 1977 et qui fut un considérable événement ne soit pas présenté à Genève au motif (vaseux) que « Verdi ne l’a jamais réinséré après l’avoir coupé »  est ridicule. Il paraît qu’en outre le public ne viendrait pas pour un opéra trop long (il n’est pas venu pour Parsifal cette année). Si Verdi ne l’a jamais réinséré, c’est que tous les théâtres voulaient couper ça oui, ça non et que Paris ne l’a jamais repris. Mais Verdi en a gardé la musique, sublime, pour la réutiliser dans rien moins que son Requiem en 1874, excusez du peu. Quant au public qui ne viendrait pas pour Don Carlos, parce que c’est trop long, on l’a vu aussi ne pas venir pour bien plus court, alors, puisque le pire n’est pas toujours sûr, il fallait oser.
En réalité, quel théâtre, une fois, aura le courage, l’intelligence de proposer au moins la version des répétitions sans coupures, voire sans ballet (il n’y a plus de Jockey club et le Carré d’or de Genève n’entretient pas de danseuses) que Verdi a été forcé d’écrire à cause de la loi de l’Opéra de Paris d’alors : pas d’opéra sans ballet…
Ce ne sera pas Genève…
Dernière remarque, avec Marc Minkowski en fosse, on aura peut-être un spécialiste du Grand Opéra à la française (La Juive), mais sûrement pas le chef raffiné et subtil dont Verdi a besoin dans cette œuvre, quant à Lydia Steier, elle écume en ce moment les théâtres, parce qu’elle est à la mode, avec sa capacité à rendre l’or en plomb, l’eau cristalline en eau trouble, et faire rentrer à toutes forces ses idées (à la mode bien sûr)  dans un livret qui n’en demande pas tant et sa mise en scène devrait comme d’habitude nous faire souffrir… Donc une équipe de production pour mon goût à côté de la plaque. Mais les miracles étant toujours possibles il faut leur laisser une chance de nous surprendre …
Mais on ira, parce que même tronqué et taillé à la serpe de plomb, et mis en scène à coups de massue, Don Carlos dans sa version originale reste une splendeur.

 

Octobre 2023
Haendel, Ariodante
5 octobre 2023 — 19h (Dir : William Christie/MeES : Nicolas Briançon)
Lea Desandre, Ana María Labin, Ana Vieira Leite, Hugh Cutting, Krešimir Špicer, Moritz Kallenberg, Renato Dolcini
Orchestre des Arts Florissants
Coproduction avec la Philharmonie de Paris et l’Opéra de Dijon.
Le répertoire baroque est proposé de manière contrastée à Genève :
Atys, Il ritorno d’Ulisse in patria, Les Indes galantes ont fait l’objet de productions, d’autres de productions semi-scéniques ou très allégées, comme L’Orfeo et L’Incoronazione di Poppea par le Budapest Festival Orchestra et Ivan Fischer. On aurait aimé qu’Ariodante, l’une des œuvres en vogue ces dernières années fasse l’objet d’une production, mais sans doute les temps sont-ils durs, et le public n’aura droit qu’à une soirée avec une belle distribution dominée par Lea Desandre et surtout en fosse Les Arts Florissants, la formation historique qui a tant compté pour la diffusion du baroque en France et son chef William Christie. À quand un Haendel scénique, alors que de belles productions (Claus Guth) fleurissent ?

 

Octobre-novembre 2023
Ástor Piazzolla,
Maria de Buenos Aires
7 repr. du 27 oct au 6 nov. (Dir : Facundo Agudin/MeS : Daniele Finzi Pasca)
Raquel Camarinha, Inés Cuello, Melissa Vettore & Beatrix Sayard
Acrobates et acteurs de la Compagnia Finzi Pasca
Cercle Bach de Genève et Chœur de la Haute école de musique de Genève
Orchestre de la Haute école de musique de Genève complété par des solistes du tango

Un vrai pas de côté, inhabituel et assez malin. L’opéra tango d’Ástor Piazzolla, créé en 1968, a fini par connaître une diffusion internationale à partir des années 1990 et surtout depuis les années 2000 où il a été représenté un peu partout dans le monde. Voilà l’œuvre à Genève confiée pour la scène à la compagnie Finzi Pasca (de Lugano) à qui l’on doit le très bon Einstein on the Beach qui avait ouvert l’ère Aviel Cahn et  pour la musique à un orchestre de jeunes et au chef Facundo Agundin, argentin établi en Suisse et fondateur de l’orchestre Symphonique du Jura. Voilà un projet helvéto-argentin, séduisant dans son propos,  qui serait susceptible d’attirer un public différent au Grand Théâtre, en espérant que la palette de tarifs soit adéquate…

 

Décembre 2023
Richard Strauss, Der Rosenkavalier

7 repr. du 13 au 26 décembre (Dir : Jonathan Nott/MeS : Christoph Waltz)
Avec Maria Bengtsson, Michèle Losier, Matthew Rose, Bo Skovhus, Melissa Petit, Thomas Blondelle, Ezgi Kotlu etc…
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande
Nouvelle production, d’après la production créée à l’Opera Ballet Vlaanderen en 2013

Pour la période des fêtes, un opéra festif et assez populaire, qui revient à l’affiche genevoise après une dizaine d’années, dans une production qui avait été considérée comme un « coup » en 2013, tant l’appel à l’acteur autrichien Christoph Waltz, icône « tarantinesque » prix d’interprétation à Cannes et doublement oscarisé avait frappé.
Sans doute Christoph Waltz va-t-il venir régler de nouveau sa mise en scène, mais à l’époque, c’était la sobriété de son travail qui avait frappé et même déçu certains. On retrouvera la maréchale d’origine, Maria Bengstsson, une mozartienne bon teint, et Michèle Losier en Chevalier, une chanteuse de qualité. La jeune Melissa Petit se lance dans Sophie, elle avait séduit à Salzbourg dans Bellezza aux côtés de Bartoli dans Il Trionfo del tempo e del Disinganno de Haendel. Ochs sera Matthew Rose, une basse solide, étrangement homonyme du Ochs qui a marqué les vingt dernières années, Peter Rose, et en Faninal, Bo Skovhus, grand interprète lyrique qu’on n’attendait pas dans ce rôle. En fosse, Jonathan Nott dont on attend plus de couleur straussienne que dans son Elektra.

 

Janvier 2024
Hèctor Parra, Justice
4 repr. du 22 au 29 janvier 2024 (Dir : Titus Engel/MeS :Milo Rau)
Avec Katarina Bradić, Willard White, Peter Tantsits, Simon Shibambu Idunnu Münch etc…
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande
avec la participation de Kojack Kossakamvwe
Création mondiale

Une création mondiale, et quatre représentations : la voilure est réduite (quand on connaît ses saints, on les adore…) pour un projet qui devrait pourtant être passionnant. D’abord Hèctor Parra (1978) est l’un des compositeurs les plus intéressants de la génération actuelle dont l’Opéra Les Bienveillantes d’après le roman de Jonathan Littell avait profondément marqué lors de la création en 2019 à Anvers (gestion Aviel Cahn) dans la mise en scène de Calixto Bieito. Il arrive à Genève avec un autre projet, scénarisé et mise en scène par Milo Rau, l’un des phares de la mise en scène contemporaine, avec un livret écrit par l’écrivain congolais Fiston Mwanza Mujila. Il évoque un accident en République Démocratique du Congo entre un Bus et un camion plein d’acide appartenant à une multinationale suisse, causant plus de vingt morts avec ses conséquences sur la vie locale et les conflits d’intérêt nés de l’exploitation de ce continent par les multinationales. En fosse, Titus Engel, le talentueux chef qui avait dirigé Einstein on the Beach à Genève, mais aussi Le Château de Barbe Bleue à Lyon ou Giuditta de Léhar à Munich et sur scène un beau plateau avec notamment le ténor Peter Tantits, la basse légendaire Willard White. À ne pas manquer.

Wolfgang Amadeus Mozart
Idomeneo, re di Creta
6 repr. du 21 février au 2 mars (Dir : Leonardo Garcia Alercón/MeS Sidi Larbi Cherkaoui)
Avec Stanislas de Barbeyrac, Lea Desandre, Federica Lombardi, Giulia Semenzato etc…
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre composé de l’ensemble Cappella Mediterranea et de L’Orchestre de Chambre de Genève
Avec des danseuses et danseurs du Ballet du Grand Théâtre et d’Eastman

Très belle distribution dominée par Stanislas de Barbeyrac et une belle lignée de chanteuses de talent, et en fosse Leonardo Garcia Alarcón à la tête des forces conjointes de la Cappella Mediterranea et de l’Orchestre de Chambre de Genève dans un répertoire (Mozart) où on l’entend moins souvent. Autant d’arguments passionnants auxquels s’ajoute la mise en scène de Sidi Larbi Cherkaoui, qui mêlera chorégraphie et opéra. Pour avoir vu de lui de merveilleuses Indes Galantes à Munich, et aussi ses chorégraphies de Rheingold dans le Ring de Guy Cassiers à la Scala et Berlin, on ne peut que saluer un projet qui est sans doute le plus complet et probablement le plus abouti de la saison.

Nouvelle production en coproduction avec le Dutch National Opera Amsterdam et les Théâtres de la ville de Luxembourg

 

Avril 2024
Olivier Messiaen

Saint François d’Assise
4 repr. du 11 au 18 avril 2024 (Dir : Jonathan Nott/MeS: Adel Abdessemed)
Avec Robin Adams, Claire de Sévigné, Aleš Briscein, Kartal Karagedik, Jason Bridges
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Le Motet de Genève
Orchestre de la Suisse Romande
Création au Grand Théâtre de Genève
Nouvelle production

Voilà un autre projet passionnant, qui a été retardé par le Covid. La production était prévue en 2020, lors de la première saison d’Aviel Cahn à Genève (2019-2020) et a été annulée pour cause de pandémie.
On attendait donc avec impatience la reprogrammation en soulignant quel effort représente pour un théâtre la production de cette œuvre géante, à l’orchestre énorme, qui est l’un des phares de la musique du XXe  (créée en 1983 à l’Opéra de Paris) et qui a bénéficié quelquefois de grandes mises en scènes, comme celle de Peter Sellars à Salzbourg et Paris.
Cette fois-ci, la production est confiée au plasticien Adel Abdemessed, aux installations très fortes, qui interrogent notre monde. Le message franciscain  est aujourd’hui plus que jamais vivant, vivace dans un monde où il ne fait pas bon être pauvre et où la violence et l’individualisme dominent. Nous écrivions en 2019 en présentant la saison à propos de cette production : « La confier à Adel Abdemessed, originaire d’Algérie, musulman, prend aussi un sens dans une œuvre qui retrace la vie du plus subversif des saints, dans une société d’aujourd’hui traversée par la violence religieuse, par l’égoïsme, par le triomphe de l’argent et dans une ville dont on connaît la relation au grand capital. Aviel Cahn fait ainsi le lit de ce qui pourrait être un grand choc esthétique et intellectuel. C’est sain, c’est intelligent, c’est inattendu. »
En fosse, Jonathan Nott, déjà prévu en 2020, et sur le plateau, à la place de Kyle Ketelsen prévu à l’origine, c’est Robin Adams, beau baryton lyrique qui reprend le rôle créé jadis par José van Dam, fort bien entouré par Claire de Sévigné, Aleš Briscein, Kartal Karagedik (qu’on vient de voir à Genève dans Le voyage vers l’Espoir), Jason Bridges…
Qu’une pareille œuvre soit montée à Genève est un grand événement : il ne faut pas manquer ce rendez-vous là.

 


Mai-Juin 2024
Gaetano Donizetti
, Roberto Devereux
6 repr. du 31 mai au 30 juin 2024 (Dir : Stefano Montanari./MeS : Mariame Clément)
Avec Stéphanie d’Oustrac/Aya Wakizono, Elsa Dreisig/Ekaterina Bakanova, Edgardo Rocha/ Mert Süngü, Nicola Alaimo, Luca Bernard etc…
Première fois au Grand Théâtre de Genève
Nouvelle production
3e épisode de la « Trilogie Tudor » de Donizetti
Chœur du Grand Théâtre de Genève
Orchestre de la Suisse Romande

Des trois opéras « Tudor » de Donizetti, Roberto Devereux n’est pas le plus représenté, et il est étroitement lié dans les dernières décennies à la légendaire Edita Gruberova, la dernière à l’avoir défendu après Leyla Gencer, l’autre légende . C’est dire le défi…
On a écrit plusieurs fois nos doutes sur cette distribution dans les autres œuvres, nos doutes sur la mise en scène aussi. Néanmoins la présence de Nicola Alaimo est rassurante, c’est l’un des plus grands barytons-basses italiens et il ne faut jamais le manquer, et il y a une distribution alternative, qui peut exciter notre curiosité, Ekaterina Bakanova/Aya Wakizono/ Mert Süngü  (les 2 et 6 juin) qui pourraient réserver d’agréables surprises. Il reste enfin que la présence en fosse de Stefano Montanari est une garantie et que l’œuvre est si peu connue et suffisamment rare pour qu’on prenne le chemin du Grand Théâtre.

En version « trilogie » :
C’est une trilogie thématique, mais avec trois librettistes différents, elle n’est trilogie que pour les programmateurs affûtés…
On réentendra avec grand plaisir Alex Esposito dans Anna Bolena, un vrai styliste.. pour le reste…

Cycle 1
Dir : Stefano Montanari/MeS : Mariame Clément
Chœur du Grand Théâtre de Genève

Orchestre de la Suisse Romande

18 juin 2024
Anna Bolena
Avec : Alex Esposito, Elsa Dreisig, Stéphanie d’Oustrac, Edgardo Rocha, Lena Belkina

 

20 juin 2024
Maria Stuarda
Avec : Elsa Dreisig, Stéphanie d’Oustrac, Edgardo Rocha, Nicola Ulivieri, Simone del Savio, Ena Pongrac
Coproduction avec l’Opéra Royal du Danemark, Copenhague

23 juin 2024
Roberto Devereux
Avec : Stéphanie d’Oustrac, Elsa Dreisig, Edgardo Rocha, Nicola Alaimo, Luca Bernard , Ena Pongrac, William Meinert

Cycle 2
Dir : Stefano Montanari MeS : Mariame Clément
Chœur du Grand Théâtre de Genève

Orchestre de la Suisse Romande

26 juin 2024
Anna Bolena
Avec : Alex Esposito, Ekaterina Bakanova, Stéphanie d’Oustrac, Edgardo Rocha, Lena Belkina
28 juin 2024
Maria Stuarda
Avec : Elsa Dreisig, Stéphanie d’Oustrac, Edgardo Rocha, Nicola Ulivieri, Simone del Savio, Ena Pongrac
Coproduction avec l’Opéra Royal du Danemark, Copenhague

30 juin 2024
Roberto Devereux
Avec : Stéphanie d’Oustrac, Elsa Dreisig, Edgardo Rocha, Nicola Alaimo, Luca Bernard , Ena Pongrac, William Meinert

 

Récitals

C’est toujours un vrai défi que d’afficher des récitals dans un Opéra aujourd’hui, une pratique de plus en plus abandonnée, faute de public, faute de formation des chanteurs sur ce type de répertoire, on ne va donc pas se plaindre que Genève affiche une saison de récitals, où l’on trouve des noms qui pourraient par ailleurs donner de la couleur à certaines distributions locales. Les invités sont une image de la diversité de l’art lyrique, du Lied allemand au ténor populaire. Et si le public de Genève avait un sou de curiosité, il pourrait y trouver un joli parcours

Septembre 2023
Mercredi 20 septembre
Laurence Brownlee – Levy Segkapane / Giulio Zappa, Piano
Opération « ténors rossiniens » avec deux des voix qui comptent aujourd’hui, Laurence Brownlee qu’on ne présente plus, une des voix les plus sûres et les plus stylées pour Rossini et la nouvelle génération avec le jeune sud-africain Levy Segkapane, ténor aux aigus stratosphériques, au phrasé impeccable qui semble bien prendre le chemin de la gloire s’il est prudent. En tous cas, on ne peut guère faire mieux dans le genre. Ceux qui aiment les (bons) ténors et le bel canto romantique doivent cocher sans faute le mercredi 20 septembre.

Octobre 2023
Dimanche 15 Octobre
Matthias Goerne / Alexander Schmalcz piano
Une soirée sans doute traditionnelle dédiée au Lied Allemand, par l’un des plus grands spécialistes du genre, sans doute même plus singulier que dans ses apparitions à l’opéra. Il est avec Christian Gerhaher l’un des derniers à pouvoir défendre cet univers ; c’est pourquoi il ne faut pas le manquer, d’autant qu’est programmé « La belle Meunière/Die Schöne Müllerin » de Schubert, un sommet de la musique.

Décembre 2023
Dimanche 31 Décembre
Concert du Nouvel an
Simon Keenlyside
Orchestre Camerata Genève, dir. David Greishammer
On n’imagine pas a priori dans le répertoire de Broadway Simon Keenlyside, l’un des grands barytons de ce temps qui fut à Genève un merveilleux, inoubliable Pelléas, mais c’est le caractère très ductile des chanteurs anglo-saxons qu’on retrouve ici, pour un concert avec orchestre où les grands tubes de Gershwin, Cole Porter, Oscar Hammerstein etc…  vont nous rappeler que le Musical fut l’un de grands genres lyriques du XXe, à ne jamais dédaigner.

Mars 2024
Vendredi 1er Mars
Sandrine Piau / David Kadouch, piano
Une des voix les plus intéressantes de l’école de chant française, qui excelle dans plusieurs répertoires, le baroque certes, mais aussi Mozart, mais aussi la mélodie française. Son récital avec David Kadouch s’intitule « Voyage intime », et part d’Allemagne (Schumann, Schubert, Liszt) pour traverser le Rhin (Duparc et Debussy). Sandrine Piau est une chanteuse « à tête »,  dont le chant est toujours pensé et intelligent. On ne rate pas une telle soirée.

Mai 2024
Samedi 25 Mai
Roberto Alagna/Alexandra Kurzak
Pour la première fois Roberto Alagna vient au Grand Théâtre, accompagné de son épouse pour une soirée qu’on imagine opératiquissime et généreuse, autour de grands airs et duos des répertoires italiens et français.
Imagine-t-on le couple chanter autour d’un piano ? Pourquoi pas ? Mais une première à Genève mériterait un orchestre. On ne sait ce qui bout dans la marmite parce que le programme n’en dit rien.

Nous ne traiterons pas du ballet, dont nous savons à l’avance le succès probable, et nous fermons ici cette porte ouverte sur la saison prochaine de Genève, qui s’annonce prometteuse, avec des œuvres lourdes mais toutes séduisantes et dont la couleur est moins grise ou sombre que 2022-2023.
Il y a de la variété, et de quoi exciter les curiosités, sans bouder son plaisir; et même si je ne réussis pas à digérer les choix sur Don Carlos la saison ne manque ni de séduction, ni d’ouverture, ni d’idées ; espérons que le public reprendra nombreux  le chemin de la Place de Neuve.

 

 

 

 

 

LUCERNE FESTIVAL 2013: DER RING DES NIBELUNGEN, GÖTTERDÄMMERUNG (concertant) de Richard WAGNER le 4 SEPTEMBRE 2013 (BAMBERGER SYMPHONIKER, Dir: Jonathan NOTT)

Immolation © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Cet été  aura été celui des Ring tronqués, après Munich où j’ai vu Siegfried, mais pas le reste, Bayreuth où je n’ai vu que Götterdämmerung, mais pas le reste, cette fois-ci je rate Siegfried, (mais pas le reste) même si je me suis laissé dire que la soirée n’était pas de celles qui restent dans les mémoires. Les obligations laborieuses contraignent quelquefois à choisir le reste du monde plutôt que Wagner.

Et même après un Ring tronqué, on est toujours ému au moment du Crépuscule, toujours le cœur bat de cette musique tant écoutée, et sans jamais se lasser, même quand l’exécution n’est pas parfaite, même quand les chanteurs ne sont pas exactement là où on les voudrait, même si le chef n’est pas forcément dans une ligne qu’on aime, il reste que la musique fonctionne toujours, émeut toujours: il y a toujours pour le cœur quelque chose à prendre. Et ce dernier jour du Ring à Lucerne ne fait pas exception, d’autant que la curiosité d’un nouveau Siegfried peu connu, Andreas Schager, remplaçant Torsten Kerl malade, donnait quelque piment à la soirée et créait une attente.
Par ailleurs, les représentations concertantes obligent par leur forme à se concentrer sur le texte, et permettent à l’esprit non de vagabonder, mais d’approfondir certaines ambiguïtés, certains points complexes du livret,  sans que l’on ait à réfléchir sur le sens d’une mise en scène: l’esprit n’est pas plus libre, mais il est occupé différemment, il est concentré sur l’orchestre, sur certaines phrases musicales, sur le chant, sur le texte.
Pour les artistes aussi les enjeux sont différents: ils sont plus “observés”, on les sent pour quelques uns désireux de jeu, pour d’autres plutôt installés confortablement derrière la sécurité de la partition (bien peu la lisent, ou l’ont en main tout en s’en libérant) quant à l’orchestre, c’est incontestablement lui la vedette, mis en relief par sa position, par l’acoustique très favorable de la salle, par la disposition de certains pupitres, dissimulés en hauteur. Seul le chef est gêné, ne voyant pas les chanteurs (dans Siegfried, il paraît que cela a créé des petits problèmes), même si eux avaient sous les yeux des écrans qui renvoyaient son image. En bref, les sources d’intérêt et d’émotion sont certes différentes, mais elles contribuent à faire de la soirée, même imparfaite, et elle le fut, une belle soirée.

Acte III © Priska Ketterer/Lucerne Festival

C’était une jolie idée que de faire en cette année Wagner un Ring à Lucerne, avec un public qui peut-être n’a pas l’habitude d’en voir un. Profitant de la forme concertante, peut-être aurait-il gagné à être plus concentré (comme à Budapest, dans une salle similaire, où il y a quatre jours consécutifs) avec  des distributions différentes chaque jour (comme à Munich en janvier), ce qui évite la fatigue des chanteurs dans les rôles lourds comme Brünnhilde, Wotan ou Siegfried, tel que, il est difficile pour quelqu’un qui habite loin d’être présent 6 jours consécutifs à Lucerne: je me suis laissé dire que la salle était plus clairsemée pour Siegfried.
Néanmoins le profil général de l’opération reste très positif et satisfaisant. Il n’y a jamais un Wagner de plus, ou un Wagner de trop: une fois de plus, nous avons pu faire des découvertes, avoir des surprises, et même songer à des possibles d’une mise en scène, à partir des difficultés du livret, Götterdämmerung étant à mon avis faussement linéaire, à cause du statut de “l’oubli” de Siegfried, et de l’attitude de Brünnhilde en conséquence: je me demande toujours pourquoi Brünnhilde ne reconnaît pas Siegfried quand il revient en Gunther (car c’est quand même une sorte de “super” Gunther qui lui ressemble singulièrement – beaucoup de mises en scène en marquent l’ambiguïté ) et l’affaire de l’anneau surpris à son doigt laisse toujours perplexe et rêveur: Siegfried ne répond pas, il balbutie presque, Gunther avoue ne pas avoir donné l’anneau à Siegfried, et tout se passe comme si finalement chacun se contentait de la situation sans qu’elle se résolve. Un metteur en scène devait y instiller une part de doute, une part de possible reconnaissance, une part de résolution, bref, dans tout le deuxième acte, rien n’est de l’ordre de la vérité, mais rien n’est de l’ordre du mensonge non plus.
Et dites moi au fait, pourquoi  Siegfried en super Gunther reprend-il l’anneau à Brünnhilde?..Bref, le spectateur, le lecteur du livret a de quoi méditer.
J’ai dit beaucoup de bien du Bamberger Symphoniker dans mon compte rendu de Rheingold. Au bout du parcours, il convient de nuancer, il convient aussi de mieux appréhender le sens donné à sa direction par Jonathan Nott . D’un point de vue strictement technique, cet orchestre a des cordes superbes, ductiles, pleines, charnues (et dans le Götterdämmerung, les cordes ont la part belle), de bons bois, mais le problème réside dans des cuivres irréguliers et donc peu sûrs. Si les cors ont été meilleurs cette fois-ci (avec l’emploi bien mis en valeur d’une sorte de cor naturel à la forme allongée à plusieurs moments), le reste des cuivres avait de petits accidents, souvent couverts par l’orchestre. Jonathan Nott quant à lui a beaucoup trop négligé les équilibres sonores de la salle, en imposant un volume beaucoup trop important dès que l’orchestre jouait seul, il en résulte des fortissimi qui explosent à l’oreille, une marche funèbre qui écrase par son volume et finalement rate l’effet attendu, un final bruyant (ah! ces coups de cymbales!) moins harmonieux, et dès que les cordes reprennent la mélodie, elles mêmes souvent trop hautes, c’est incontestablement plus dominé.
En fait j’ai eu l’impression d’une volonté de créer des effets, qui ont sans doute plu au public au vu du succès énorme remporté par l’orchestre et le chef, mais la musique de Wagner a-t-elle besoin d’effets? Et surtout de ces effets-là qui finissent par perturber l’audition. Au total, si Jonathan Nott est un chef précis et de bonne réputation, il donne l’impression ici de ne pas tenir de vrai discours, de ne pas avoir de ligne, mais de rester superficiel, voire de se concentrer sur l’orchestre sans toujours prendre garde aux chanteurs (Filles du Rhin), ni même au choeur, car sa direction du choeur du deuxième acte ne m’a pas paru maîtriser les masses mais plutôt   laisser  le choeur un peu seul, d’où des impressions de décalage et de petite confusions dans les attaques.

Siegfried et les filles du Rhin © Priska Ketterer/Lucerne Festival

La distribution est plutôt honorable, avec des chanteurs splendides, et d’autres moins à l’aise. Les filles du Rhin m’ont moins plu que dans Rheingold: elles chantent fort, trop fort dans un moment qui devrait au contraire être plus lyrique, plus léger. Au début du troisième acte, leur chant est plutôt poétique, un peu mélancolique : rien de cela ici, déjà à cause de l’orchestre, qu’elles doivent dominer, et qui joue un peu au dessus de la ligne. D’où un effort trop marqué et un chant trop présent, même si les deux mezzos sont , comme dans Rheingold, plus en place que la soprano Martina Welschenbach (Woglinde) On les retrouve aussi comme Nornes (concentration de la distribution oblige), où elles donnent la réplique à Meagan Miller, c’est correct, mais sans vrai relief ni mystère.
Peter Sidhom est Alberich. Décidément, je n’arrive pas à accrocher à ce chanteur, il y a bien dans ce chant une volonté de donner de la couleur,  de dire le texte de manière acceptable, mais  la qualité intrinsèque de la voix n’est pas remarquable, le style reste un peu négligé, et le volume peu marqué: c’est bien pâle. Ainsi, le début de l’acte II n’a pas cette tension qu’on devrait noter. Thomas Johannes Kränzle dans Rheingold, avec une voix fatiguée, avait bien plus de relief et de maîtrise du personnage. Hagen, son fils (Schläfst du Hagen mein Sohn?), est Mikhail Petrenko. Cette fois-ci et surtout au premier acte, il domine beaucoup plus le rôle qu’il a interprété sur bien des scènes (Aix et Salzbourg par exemple), dans lequel on remarquait une voix jeune, assez claire qui tranche avec les Hagen habituels. Mais si le premier acte passe bien, les actes suivants suscitent plus de difficultés, qu’il résout un peu comme il le faisait avec Hunding, en appuyant sur certaines notes, en criant, et en négligeant la diction. Dans l’appel du choeur au deuxième acte, et dans l’ensemble qui conclut l’acte (avec Gunther et Brünnhilde) ce n’est pas la voix qui domine (Nagy s’impose plus dans Gunther). Mais là aussi, les effets des rugissements (qui remplacent le simple chant), portent sur le public qui lui fait un authentique triomphe. Je persiste à penser que Petrenko doit abandonner ces rôles qui ne conviennent pas à sa vocalité, sinon il ne durera pas longtemps à mon avis. Il était en effet vraiment fatigué à la fin.

Scène de Waltraute (Petra Lang – Elisabeth Kulman) © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Une fois de plus, comme dans Fricka, Elisabeth Kulman fait la démonstration dans Waltraute d’un chant maîtrisé, intelligent, d’un texte mâché avec soin. Elle tient la partition, mais  finalement ne s’en sert pas, et réussit en peu de temps à capter l’attention du public, exceptionnellement silencieux par ses seules paroles, sans gestes superflus (alors que dans Fricka elle jouait). Sa Waltraute est captivante et tendue, complètement incarnée: personnellement, je trouve qu’elle est encore supérieure à Waltraud Meier dans la tension née du dire du texte. La seule référence qu’elle me rappelle, et elle est déjà lointaine, c’est Brigitte Fassbaender. Nous sommes à un très haut niveau de technique, d’intelligence, de chant: un moment d’exception. J’ai pensé à ce qu’elle fera un jour dans la Clytemnestre d’Elektra…Elle provoque d’ailleurs lorsqu’elle vient saluer une immense clameur, méritée.

Gutrune (Anna Gabler) Siegfried (Andreas Schager) © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Anna Gabler est Gutrune. À personnage inexistant chanteuse pâlichonne. l’impression des Meistersinger de Salzbourg où elle chantait Eva il y a quelques jours se confirme, une voix agréable, un physique avantageux, mais une expression assez absente; elle se réveille un peu au troisième acte et son intervention a un impact plus dramatique, plus présent, moins évaporé. Cette chanteuse devrait vraiment travailler l’expressivité et l’engagement.

Siegfried (Andreas Schager) Gunther (Michael Nagy) Acte I © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Tout différent est le Gunther de Michael Nagy (le très beau Wolfram de Bayreuth) qui a remporté un succès seulement ordinaire, là où j’avais envie de hurler mon enthousiasme. Mais c’est vrai, Gunther ne déchaine pas l’enthousiasme. Le personnage est pâle, falot, lâche, sans relief. D’abord, Nagy en dessine un personnage en peu de gestes: mains qui se tordent, petit gestes nerveux, presque des tics, regards en dessous, ne s’imposant jamais vraiment, et il chante le rôle comme il vit le personnage, sans excès, rien de trop, μηδὲν ἄγαν, même si on sent la voix volontairement retenue, notamment dans les ensembles au deuxième acte. En plus, le chant est vraiment intéressant, relief du texte, intelligence de la diction, joli timbre, un vrai ton et pourtant en scène une extraordinaire modestie, il est seulement juste, terriblement juste. Une vraie performance. Superbe.

Brünnhilde (Petra Lang)-Siegfried (Andreas Schager) © Priska Ketterer/Lucerne Festival

La Brünnhilde de Petra Lang est sans doute plus à l’aise que dans Walküre, d’abord, elle connaît mieux le rôle, mais cela ne veut pas dire qu’elle l’incarne: la scène avec Waltraute est terrible sous ce rapport: chanteuse honnête face à incarnation; théâtralement, elle n’existe pas. C’est un vrai mystère pour moi qui l’ai vue en  Ortrud qui brûlait les planches. J’en viens à penser que Brünnhilde pour elle est une erreur de casting (même si elle le chante sur bien des scènes). D’abord, la voix a des problèmes. Ayant sans doute cultivé les aigus ébouriffants qu’elle avait dans Ortrud, et ayant sans doute travaillé ce registre si important pour Brünnhilde, elle qui était mezzo, voire contralto, elle n’a plus de grave. Le son  ne sort pas dans le registre grave. c’est comme si elle avait une voix clignotante, à éclipses, tantôt du son, tantôt du vide, dès que dans une même phrase on a une alternance aigu/grave. De plus, l’aigu existe évidemment, mais il reste banal, il n’a pas de vraie chaleur, pas de vrai développement (Catherine Foster à Bayreuth avait le même problème avec les graves, mais elle avait un registre aigu superbe, large, chaud). Elle se sort honorablement de la scène de l’immolation, mais sans rien de particulier, ni vécu et vivant, ni incarné et charnel. Je parlais de ton juste à propos de Michael Nagy, je parle ici d’une Brünnhilde qui est quelquefois musicalement et vocalement inexistante qui n’a justement pas de ton. On attend de Brünnhilde une vibration,  et ici il n’y en a pas, et cela reste plat. J’attendais une bête de scène, et je trouve seulement une chanteuse appliquée, sans cette petite lumière qui porte à l’incandescence public et plateau. Une Brünnhilde de série pour un rôle qui ne supporte pas la série. Surprenant et décevant, mais pas indigne.

Jonathan Nott-Siegfried (Andreas Schager-Hagen (Mikhail Petrenko) © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Et Siegfried? Siegfried, c’est Andreas Schager, qui a chanté aussi Siegfried ce printemps avec Barenboim, qu’on a entendu à Rome dans Rienzi. Il connaît parfaitement le rôle, il le joue, avec engagement, et même un soupçon d’excès. Il joue un ado attardé, naïf, sans distance par rapport aux choses, il bouge beaucoup, s’assoit, se couche, bref, autant la Brünnhilde de Petra Lang est figée, autant lui virevolte. Il est agréable, a peu le profil du Heldentenor (il est filiforme) et il n’en a pas la voix non plus, mais il a une vraie voix, un timbre assez agréable, et son chant est vraiment expressif. C’est évidemment supérieur à Lance Ryan,  et aussi à Torsten Kerl même quand il est en forme. Son troisième acte (aussi bien la scène des filles du Rhin que celle de la mort) est tendu, vraiment en place et même assez impressionnant dans le contrôle vocal et la manière de ménager des effets calculés. Il a eu un ou deux menus accidents, dont une attaque (à aigus…) ratée et passée par profits et pertes avec un sourire et une certaine désinvolture élégante qui ne m’a pas déplu. Voilà une très agréable surprise, qui a bien éclairé le premier acte car ce Siegfried au pied levé a immédiatement démontré une grande maîtrise. Apparu assez tard sur le marché des Siegfried internationaux (il a 42 ans), c’est un chanteur qu’on va sans doute voir assez fréquemment sur les scènes wagnériennes. Jay Hunter Morris, Torsten Kerl, Stephen Gould, Lance Ryan et maintenant Schager, on a plus de Siegfried en ordre de marche (ou à peu près) que de Manrico pour Il Trovatore…

Mort de Siegfried (Andreas Schager) © Priska Ketterer/Lucerne Festival

Je disais mon émotion à la fin de ce Götterdämmerung, et peut-être après ce compte rendu assez tatillon y voit-on une contradiction. Je maintiens qu’il y a plusieurs  niveaux de lecture et de jouissance wagnériennes: il y a l’audition pure de l’oeuvre qui de toute manière produit son effet, il y a aussi l’attention et la chaleur du public qui est communicative (et Wagner génère tension et attention), il y a enfin quand on en écoute souvent sur les scènes, les inévitables comparaisons: Le Götterdämmerung de Munich en janvier reste insurpassable. Celui de Lucerne nous a permis de (re)découvrir des artistes vraiment exceptionnels (Kulman, Nagy, Vogt) et de découvrir (par le hasard des grippes)  un nouveau Siegfried, et a constitué malgré les réserves un moment de plaisir, puisqu’à l’accord final, on avait déjà envie de remettre ça, comme dans toute pratique addictive…car je vous le rappelle, dans les drogues, il y a le cannabis, l’héroïne, la cocaïne et Wagner.
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Saluts

LUCERNE FESTIVAL 2013: DER RING DES NIBELUNGEN, DIE WALKÜRE (concertant) de Richard WAGNER le 31 AOÛT 2013 (BAMBERGER SYMPHONIKER, Dir: Jonathan NOTT)

Les Walkyries ©Peter Fischli / Lucerne Festival

C’est toujours quand le prologue est passé qu’un Ring commence vraiment à se dessiner. avec Die Walküre, c’est l’entrée en scène de Brünnhilde, c’est la présence des personnages les plus sympathiques de la Tétralogie, Siegmund et Sieglinde: tout prend corps et forme, et c’est musicalement surtout la pièce la plus populaire.
Il faut dire que la Walküre de ce soir laisse un brin perplexe: après un Rheingold la veille plutôt homogène, nous avons une Walküre plutôt contrastée, avec du très remarquable, et du passable. Ce n’est jamais mauvais, mais cela n’enthousiasme pas toujours. Grand succès auprès du public (standing ovation) qui (au moins pour les gens de Lucerne) ne peut voir un Ring dans le théâtre local, bien trop petit.
L’orchestre confirme les qualités des cordes entendues la veille, c’est même encore accentué, tant on a l’impression qu’elles emportent tout et qu’elles dictent toute la couleur (dans le Lucerne Festival Orchestra, ce sont les bois qui ont ce rôle moteur), des cordes engagées, soyeuses, vigoureuses. En revanche, les cuivres confirment leurs faiblesses, avec plusieurs accidents (les trompettes! les cors!), et les bois sont plutôt de qualité. Mais la direction de Jonathan Nott manque d’homogénéité et de ligne. C’est une direction attentive, précise la plupart du temps parce qu’à quelques moments, on a l’impression que les choses sont suspendues et sans rênes, et très soucieuse des chanteurs, comme la veille: mais dès que les chanteurs disparaissent, alors le volume augmente fortement, et cela devient trop fort, voire bien trop fort (la Chevauchée des Walkyries). Avec des exagérations dans la mise en valeur de certains instruments, les percussions notamment, dont le volume sonore est disproportionné et finit par fausser tout l’équilibre (fin du prélude, début du second acte). Il y a des moments trop forts, écrasants et bien trop marqués et d’autres vraiment réussis, voire magnifiques, singulièrement dans les moments de retenue, dans les moments lyriques, comme tout le premier acte, plutôt très réussi dans son ensemble, ou le monologue de Wotan au deuxième acte, magnifique à l’orchestre, ou dans l’annonce de la mort: je dis bien à l’orchestre, car pour les voix, c’est autre chose. On n’arrive pas encore à vraiment nommer ou identifier ce style de direction, à moins qu’il n’y en ait pas, et qu’elle s’adapte aux opportunités laissées par la partition, et qu’elle se réduise au seul souci de faire sonner l’orchestre et finisse par le faire trop sonner, et que cela sonne au total superficiel et incolore, alors que les grandes qualités de précision et de couleur se lisent plutôt dans les passages plus retenus et moins spectaculaires.

Du point de vue vocal, c’est tout aussi contrasté et déséquilibré, bien qu’au total, cela passe assez bien comme on dit. Un tel plateau dans le répertoire italien aurait fini pour certains chanteurs dans le sang ou la tomate pourrie: chez Wagner, parce que Wagner demande autre chose que de la simple performance (les italiens aussi demandent plus, mais la performance compte beaucoup), le défaut de performance vocale peut être compensé par le style, la diction, telle ou telle couleur.
Prenons le Wotan d’Albert Dohmen. Un timbre voilé, peu d’aigus, une voix vieillie prématurément, voire usée mais une présence (sans grands gestes, sans expression du corps ou du regard particulière, avec un air éternellement las), mais du style, mais une jolie diction, ou plutôt un joli dire. Car le monologue du deuxième acte, qui passe très bien la rampe grâce à un bel orchestre notamment et grâce à la manière de dire le texte, est plutôt une sorte de Sprechgesang, tant l’effort de modulation et de contraste est écrasé par l’impossibilité de monter à l’aigu, voire de simplement chanter . Il en est de même au troisième acte, où les aigus disparaissent totalement à la fin. Est-ce à dire que la prestation est insuffisante: non, parce que malgré tout, et même fatigué, voire usé, le personnage est là (on peut imaginer un Wotan fatigué dès le départ) et Dohmen a un reste de style encore bien en place et intelligemment mis en valeur. C’est un vieux renard (il a la partition, mais la regarde de loin, sans y toucher…).
Le Hunding de Mikhail Petrenko pose un autre type de problème. La voix est jeune, joliment colorée, le timbre intéressant, mais – et son Hagen d’Aix nous l’avait fait remarquer – insuffisamment puissant pour les grandes basses wagnériennes. Cela peut être intéressant pour un postulat de mise en scène, mais pas pour une représentation concertante. Je crains que Petrenko ne se gâche dans ce type de rôle. Outre quelques problèmes de diction (comme dans Rheingold, certains moments sont peu compréhensibles), il rencontre de vrais problèmes techniques qu’il masque de la manière la plus agressive et vulgaire qui soit, en accentuant jusqu’au cri certains mots, “faisant” le méchant, cela passe pour une volonté d’acteur, pour une trouvaille de jeu, alors c’est un trucage qui masque une insuffisance technique. C’est très désagréable et ne rajoute rien à l’ensemble. Depuis plusieurs soirées Petrenko montre des limites (voir Elektra à Aix), il faudrait peut-être revoir le répertoire, il y bien d’autres rôles de basse. Et Mikhail Petrenko n’est pas une basse profonde wagnérienne.

Petra Lang ©Peter Fischli / Lucerne Festival

La Brünnhilde de Petra Lang est d’abord très décevante: dans un Festival de haut niveau comme Lucerne, on ne se présente pas dans  Walküre le nez plongé dans la partition, tenue à la main, empêchant ainsi tout mouvement, toute liberté des gestes. Mais pas seulement, empêchant aussi la liberté du chant, l’expression, l’engagement: son deuxième acte est d’une singulière platitude. Elle qui sait être si sauvage en scène, elle est inexistante: inexistante face à Wotan, inexistante face à un merveilleux Klaus Florian Vogt dans l’annonce de la mort où elle est totalement inexpressive, voire éteinte. Quand on pense à ses Ortrud extraordinaires, on se demande pourquoi alors elle se fourvoie dans Brünnhilde. Elle se réveille tant soit peu au dernier acte, car, même toujours esclave de sa partition, elle réussit à libérer sa voix et donner un peu d’intensité. Mais cela reste tout de même bien peu passionnant.

Meagan Miller (Sieglinde) ©Peter Fischli / Lucerne Festival

Meagan Miller en Sieglinde n’a pas non plus la voix attendue, bien que la prestation soit honnête, comme souvent chez les chanteurs américains: il y a de la technique, c’est juste, c’est bien conduit, mais en revanche, si peu d’intensité et si peu de capacité à développer du volume! On l’avait noté la veille dans Freia, où elle était très peu marquante, et c’est une Sieglinde sans vraie tension, aux aigus qui sortent sans s’épanouir, c’est donc insuffisant pour le rôle. La voix sort vraiment au troisième acte (c’est bien le minimum, vu les exigences du troisième acte en matière de volume pour Sieglinde), mais elle reste en deçà de ce qu’il faut attendre d’une Sieglinde et au premier, et au deuxième acte. Honnête, sans plus mais pas pour un festival et sûrement pas encore pour la scène.
Les huit Walkyries en version concertante m’ont permis de noter un détail qui a son importance: vu qu’elles sont en robes de soirée chacune différentes, et non en uniforme casqué et ailé comme dans les bonnes mises en scène, on voit les individualités, alors qu’en scène, elles apparaissent comme un groupe compact et indistinct, et même si on peut distinguer les voix, c’est toujours l’ensemble qui prime: ici elles arrivent en scène les unes après les autres et chantent chacune de manière bien identifiée leurs répliques: le résultat c’est qu’on distingue très bien les bonnes et moins bonnes, voire des pires. Cela donne même des idées de mise en scène pour individualiser les Walkyries…Comme je suis d’une gentillesse coupable, je ne dirai pas qui, mais il y a vraiment des voix dures à entendre, alors qu’une fois de plus (comme hier dans Wellgunde) se distingue Ulrike Helzel, Waltraute au beau volume sonore, à la technique maîtrisée, à la ligne de chant impeccable. Elle devrait vite être remarquée par des théâtres pour des rôles plus importants.
À ce point du compte-rendu, sans doute le lecteur va-t-il se demander ce qu’il y a de sauvable dans la soirée, mais qu’il se détrompe: malgré les défauts des uns et des autres, ça passe, et ça passe même plutôt bien auprès du public, tout simplement parce que cela reste d’un niveau acceptable sans être ni remarquable, ni scandaleux, et puis, c’est de la si belle musique.
Mais je vous rassure, le remarquable vient enfin.

Elisabeth Kulman, impériale Fricka ©Peter Fischli / Lucerne Festival

D’abord, honneur aux dames, par la Fricka exceptionnelle d’Elisabeth Kulman, déjà remarquée dans la Walküre de Munich en janvier dernier et hier dans Rheingold. D’abord, il y a un style et une diction modèles, ensuite, il y a une intelligence du texte telle qu’on a l’impression que madame Kulman chante avec le ton, elle est ironique, sarcastique, faussement naïve, à la fois chatte et lionne: quelle superbe incarnation – car c’est le seul mot qui vient pour qualifier ce travail tout à fait extraordinaire: à côté, le Wotan de Dohmen fait pataud: on comprend qu’il renonce bien vite à son dessein de soutenir Siegmund:  face à un tel feu nourri d’artifices féminins, face à cette superbe Fricka, il n’y a qu’une chose à faire, céder. Impérial. Mes voisins et moi nous nous regardions à sa sortie de scène, éberlués.

Meagan Miller (Sieglinde) et Klaus Florian Vogt (Siegmund) ©Peter Fischli / Lucerne Festival

Et puis il y a Klaus Florian Vogt, l’autre ténor allemand. Inoubliable Walther, inoubliable Lohengrin. J’avoue que j’avais un peu de doutes sur son Siegmund. Eh bien, tout est vite dissipé tant le ténor arrive dès le début à dessiner un personnage autre, juvénile, tendre, naïf, rêveur, un Siegmund complètement “deshéroïsé”, poète, le regard perdu, épuisé, un Siegmund qui aurait pris quelque chose de Parsifal. Et à accompagner cela d’un chant complètement habité, qui impose son tempo et sa respiration, qui impose son volume aussi et son timbre si particulier. Chaque parole est inspirée, chaque mot est pesé, chaque phrase fait sens et couleur et émotion. Même ses “Wälse” sont tendres, presque retenus et fragiles. Et dans l’annonce de la mort au deuxième acte, face à une Petra Lang en creux, il est proprement bouleversant de simplicité, et de justesse, de modération. Comme il demande s’il pourra serrer Sieglinde au Walhalla, l’air ailleurs, le ton absent et la voix néanmoins décidée, je ne l’ai jamais entendu chez aucun ténor – c’est unique et c’est bouleversant : avec ses moyens propres il m’a fait penser à Jon Vickers, car Vickers , avec certes un tout autre volume, avait cette capacité à émouvoir dans la simplicité, avec son timbre si singulier et procurait le même type d’impression dans les rôles déchirants. Vogt devrait s’essayer un jour à Peter Grimes…
Kulman et Vogt ont fait vibrer et vivre le texte, ils étaient à eux seuls théâtre.
Alors pour Elisabeth Kulman et Klaus Florian Vogt, oui, cette Walküre valait le voyage. Ils ont fait de certains moments de la soirée des moments d’exception, de ces moments qui valent la peine d’être vécus, et qu’on ne peut vivre qu’à l’opéra.
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Jonathan Nott ©Peter Fischli / Lucerne Festival

LUCERNE FESTIVAL 2013: DER RING DES NIBELUNGEN, DAS RHEINGOLD (concertant) de Richard WAGNER le 30 AOÛT 2013 (BAMBERGER SYMPHONIKER, Dir: Jonathan NOTT)

L’ensemble des artistes ©Priska Ketterer / Lucerne Festival


Enfin!
Enfin on va pouvoir se concentrer sur la musique de Wagner. Une musique qui ne sera pas perturbée, pervertie, pourrie par des élucubrations de metteurs en scène qui osent faire de l’ombre à la divinité. Et pourtant, une exécution concertante du Ring a quelque chose d’antiwagnérien, parce qu’elle efface le théâtre que Wagner a voulu toute sa vie remettre au premier rang, jusqu’à en construire un spécifique pour ses œuvres. Le théâtre est intrinsèque chez Wagner.
Mais si le théâtre est absent, le théâtral lui, est bien présent dans l’oeuvre et donc un Ring concertant peut avoir une couleur théâtrale, sans qu’il y ait forcément une mise en scène. Le théâtre apparaît souvent là où on ne l’attend pas.
Le prologue de l’Anneau du Nibelungen est sans doute en l’occurrence le moment le plus théâtral du Ring,  pas de longs monologues, des dialogues et des débats continus, des personnages très construits et différenciés, une palette de voix très large, y compris avec des couleurs différentes dans la même tessiture (les basses!) et des performances d’acteur nécessaires (Mime, Alberich, Loge). Les femmes y sont plutôt secondaires, victimes (Freia), épouses-au-côté-du-mari (Fricka), gentilles écervelées (Filles du Rhin): seule Erda, si son apparition est bien conduite, peut constituer un moment fort et asseoir le personnage. Chez les hommes, une belle brochette de voleurs (Wotan, Loge, Alberich), une victime (Mime), deux brutes (les géants) dont une au coeur tendre (Fasolt) et deux bouches inutiles (Froh et Donner): bref un raccourci d’humanité.
Dramaturgiquement, le prologue doit se dérouler en continu, parce qu’il est prologue,  et dans une fluidité totale voulue par la musique que le metteur en scène doit aménager: si possible tout à rideau ouvert, avec des transformations à vue; c’était d’ailleurs le seul problème à mon avis du Rheingold de Chéreau, où à chaque scène (descente au Nibelheim notamment), le rideau se fermait, laissant cependant se déployer la musique.
Dans la salle toute blanche du KKL, ce Rheingold a fière allure, avec un accompagnement scénique minimaliste, mais enrichi de ce que les chanteurs n’ont pas de partition et peuvent s’échanger des regards, et faire quelques mouvements, sans qu’on puisse dire qu’il s’agit d’une version semi-scénique (ou semi-concertante), il y a quelques éclairages très discrets (filles du Rhin, apparition d’Erda, apparition du Walhalla), bref, une concession minimaliste au théâtral.
Mais la représentation concertante exige un certain nombre de conditions: d’abord, n’ayant pas à gérer une mise en scène, les chanteurs sont beaucoup plus concentrés sur le texte et soignent particulièrement sa diction: c’est le cas, et il faut saluer la performance de tout le plateau pour une émission particulièrement claire du texte, dans ses moindres inflexions: Alberich (Thomas Johannes Kränzle) en est le meilleur exemple, avec Loge (Adrian Eröd), Fricka (Elisabeth Kulman) et Wotan (Albert Dohmen). Une excellente diction chez Wagner peut compenser certains problèmes vocaux (c’est notable chez Dohmen). Car diction veut aussi dire couleur, modulation sur telle ou telle parole, insistance ou allègement, le tout dans une compréhension parfaite du texte, qui apparaît par ailleurs en surtitrage.
Un autre problème est le rapport orchestre/voix, essentiel chez Wagner. La voix doit être entendue et clairement entendue (ah, le théâtre, toujours le théâtre) et à Bayreuth, c’est d’abord la voix qui est favorisée, et le spectateur qui est dans la salle pour la première fois est toujours surpris de la relative discrétion de l’orchestre. Dans une représentation concertante, où le chanteur doit affronter l’orchestre qui est immédiatement derrière lui avec sa centaine de musiciens, trouver des équilibres acoustiques est plus délicat, et l’on a déjà entendu des représentations concertantes où les voix sont englouties dans la vague orchestrale. Pour essayer d’équilibrer ici, quelques solutions techniques: orchestre et chanteurs sont sur le même niveau: sur le plateau pas de niveaux différents pour les musiciens, sauf un petit rehaussement minime pour les cuivres, ensuite, quand les chanteurs interviennent (c’est très notable dans toute la première partie , l’orchestre est très retenu, se fait assez discret, pour laisser au dialogue et aux paroles tout l’espace. On a rarement entendu une scène des filles du Rhin aussi claire au niveau vocal, et la scène des Dieux laisse  la conversation s’épanouir. Dès qu’il y a un intermède symphonique en revanche, l’orchestre reprend ses droits, de manière très marquée, et le volume sonore grossit, s’élargit, jusqu’à devenir presque explosif (bien trop quelquefois, par contraste). Ainsi donc, la primauté des voix est respectée, scrupuleusement, ce qui n’est pas si facile dans une salle très réverbérante, et pas toujours favorable aux chanteurs. Il faudrait encore vérifier l’acoustique à d’autres places, notamment vers les galeries.
Ce qui impressionne d’abord, c’est le son de l’orchestre et sa qualité.
Les Bamberger Symphoniker sont une formation de tradition, mais relativement récente, fondée en 1946, par des ex musiciens du Deutsches Philharmonisches Orchester Prag  (l’orchestre Philharmonique allemand de Prague) que dirigeait Joseph Keilberth et des musiciens qui avaient dû fuir l’Allemagne pendant le nazisme. Il prit d’abord le nom de Bamberger Tonkünstlerorchester. Il est profondément lié à Joseph Keilberth, qui le dirigea de 1950 à 1968. Immédiatement, il fut considéré comme l’un des meilleurs orchestres allemands et il a été dirigé par les plus grands chefs (Hans Knappertsbusch, Rudolf Kempe, Clemens Krauss, Sir Georg Solti, Christoph von Dohnanyi, Günter Wand, Giuseppe Sinopoli) et plus récemment Gustavo Dudamel – vainqueur du premier concours de direction d’orchestre Gustav Mahler (2004), qui a lieu à Bamberg – et Ingo Metzmacher. Il est dirigé depuis 2000 par le chef britannique Jonathan Nott, et depuis 2003, l’orchestre a la qualification de Bayerische Staatsphilharmonie (Philharmonie d’Etat de Bavière). C’est la formation emblématique de la petite ville de Bamberg (70000 habitants et presque 10% de la population abonnée à l’orchestre) , connue par sa cathédrale et notamment la statue gothique du Cavalier de Bamberg. La ville est située au Nord de la Bavière, à égale distance entre Nuremberg et Würzburg, à 65 km à l’ouest de Bayreuth. L’orchestre dispose d’un vaste auditorium moderne. Formation de tradition à cause de ce son très stable, très plein, aux cordes merveilleuses (elle furent dans Rheingold vraiment étourdissantes), un ensemble très singulier, charnu, très “symphonique” au sens fort du terme: les musiciens à l’évidence s’écoutent, et illustrent à merveille cette école allemande qui semble disparaître hors Leipzig et Dresde, et qui reste ici profondément enracinée. Évidemment, la musique de Wagner est ici chez elle, géographiquement, historiquement, viscéralement: on connaît les Wagner que Keilberth a dirigés à Bayreuth, mais aussi Eugen Jochum (qui fut “Ehrendirigent” et qui joua un grand rôle à la mort de Keilberth pour continuer la tradition) et Horst Stein, le chef suisse qu’on connaissait bien à Paris du temps de Rolf Liebermann, très grand wagnérien  qui fut directeur musical des Bamberger Symphoniker de 1985 à 1996.
C’est donc une grande chance d’écouter cette phalange très respectée en Allemagne, qui ne fait pas grand bruit, mais qui continue de porter une tradition musicale riche; je renvoie le lecteur au site de l’orchestre pour qu’il se rende compte de ce que peut être l’apport d’un tel orchestre pour une petite ville (http://www.bamberger-symphoniker.de). Et ce Rheingold laisse espérer un Ring d’une très grande qualité à l’orchestre, tant c’est lui qui est le véritable triomphateur de la soirée, pas un pupitre ne fait défaut (très bons bois, cuivres un peu plus faibles mais globalement d’assez bon niveau, cordes phénoménales d’homogénéité, de rythme, d’engagement).

Jonathan Nott ©Priska Ketterer / Lucerne Festival

À sa tête, Jonathan Nott, qui en a perdu sa baguette. Direction somptueuse, énergique, veillant scrupuleusement aux équilibres sonores, au geste précis. Son interprétation n’a pas l’originalité qu’on lit chez d’autres chefs, mais c’est un Wagner de grande tradition, très engagé, très sonore, et en même temps très modulé pour laisser la place aux voix qu’on entend.

La distribution est de haut niveau, et très homogène, avec des chanteurs connus pour leurs prestations dans les grands rôles wagnériens.

Thomas Blondelle, Elisabeth Kulman, Mikhail Petrenko, Christoph Stephinger, Adrian Eröd ©Priska Ketterer / Lucerne Festival

Albert Dohmen est Wotan, il l’a aussi été à Bayreuth, c’est une des grandes basses wagnériennes des 15 dernières années, avec une diction, un jeu sur les paroles, un art de la coloration exemplaires. La voix a beaucoup perdu de son éclat et de sa force, le timbre n’est plus non plus ce qu’il était: un organe  vieilli, mais il reste un style, il reste une émission, il reste une technique, il reste une personnalité  et cette capacité qu’ont les grands de savoir compenser les problèmes de volume par exemple, par des artifices techniques qui les masquent habilement : c’est toujours possible chez Wagner, moins chez Verdi…

Adrian Eröd et Thomas Johannes Kränzle ©Priska Ketterer / Lucerne Festival

À ses côtés Thomas Johannes Kränzle, l’un des meilleurs Alberich d’aujourd’hui. La voix n’est pas d’une qualité intrinsèque particulière, ni le timbre, ni même le volume et semble un peu usée. Mais il a l’expressivité, l’intelligence du texte, le sens de l’interprétation et de la couleur; la prestation est supérieure de présence et de tension avec une capacité  remarquable à masquer les insuffisances. Beau travail

Thomas Laske Thomas Blondelle Meagan Miller Adrian Eröd ©Priska Ketterer / Lucerne Festival

Remarquable aussi le Loge d’Adrian Eröd; Eröd est un baryton, Loge est écrit pour un ténor de caractère. Il a déjà interprété Loge avec grand succès à Vienne. On l’a entendu à Bayreuth (et Amsterdam) dans Beckmesser. La qualité de ce chanteur, c’est d’abord la ductilité de la voix, l’expressivité, le sens du texte (il a étudié à Vienne avec Walter Berry), l’intelligence qui sort par tous les pores, la construction immédiate d’un personnage. Alors il joue avec une voix qui n’est pas tout à fait celle du rôle, mais il est aussi un baryton au timbre très clair, aux frontières du baryténor, ce qui rend cohérent ce choix. Le personnage lui même, petit, mobile, aux gestes rapides renforce la présence scénique incontestable.

Adrian Eröd

Pour ceux qui ne le connaîtraient pas,  il ressemble beaucoup (par l’allure) à notre ancien président Nicolas Sarkozy: après tout, Sarkozy en Loge, intelligent, roublard, et plein d’idées, et pas trop regardant, cela colle, non?
Les deux géants sont vocalement très différenciés, deux voix de basse qui évoluent dans deux univers opposés. Fasolt (Christoph Stephinger) à la voix imposante, large, un peu brute, très soucieuse de l’expressivité et de la diction, et qui correspond bien à un personnage un peu fruste, mais avec un coeur, et Fafner (Mikhail Petrenko) au timbre jeune, velouté, plus éduqué, et par là même pas toujours vraiment au rendez-vous de la force et de la projection nécessaires, avec de vrais problèmes de diction quand le discours s’accélère. Petrenko sera Hunding dans Walküre et Hagen dans Götterdämmerung, une autre paire de manches . On connaît (Aix et Salzbourg) son Hagen juvénile et subtil et même un peu léger pour mon goût: il est ici un Fafner pas tout à fait dans le rôle, un peu vocalement “border line”. Mime est le ténor suisse Peter Galliard, ténor de caractère qui s’en sort avec les honneurs, sans avoir un timbre particulièrement séduisant. On revoit avec plaisir le ténor Thomas Blondelle (David dans les Meistersinger à Amsterdam), mais Froh est vraiment un rôle de complément, et le Donner de Thomas Laske est très honorable notamment dans ses “Heda Hedo”, sans marquer particulièrement.

Les Filles du Rhin ©Priska Ketterer / Lucerne Festival

Du côté des rôles féminins, je m’arrête sur les excellentes filles du Rhin, que la version concertante met en valeur, avec une note toute particulière pour la magnifique Wellgunde de Ulrike Helzel, sens du contrôle vocal, volume notable, timbre séduisant mais les trois, avec la Flosshilde de Viktoria Vizin et la Woglinde de Martina Welschenbach (un peu plus en retrait) composent un ensemble notable. La Freia de Meagan Miller est assez fraîche mais ne m’a pas particulièrement impressionné, elle chante Sieglinde ce soir aux côtés de Klaus Florian Vogt, ce sera une épreuve de vérité. En revanche, la Fricka d’Elisabeth Kulman est vraiment intéressante (plus qu’à Munich cet hiver dans Rheingold). Rôle ingrat que celui de Fricka dans Rheingold, seulement insérée dans des dialogues, sans vraiment un moment qui soit concentré sur elle (dans ce sens, c’est bien plus intéressant dans Walküre où elle n’a qu’une scène, mais quelle scène!). Mais la version concertante nous fait nous concentrer de manière plus systématique sur les qualités d’émission, de diction, sur l’expressivité et la Fricka d’Elisabeth Kulman à ce titre un vrai modèle de chant intelligent, modulé, coloré, presque même un peu maniériste. Beau personnage, bien dessiné, magnifiquement interprété.
Reste enfin la Erda de Christa Mayer, en troupe au Semperoper de Dresde, vue il y a peu à Bayreuth dans Mary du Fliegende Holländer, rôle épisodique qui permet de voir les défauts mais non les qualités d’une voix. S’il manque ici la mise en scène pour mettre en valeur le personnage et son mystère (on ne peut pas dire que Christa Mayer apparaisse vraiment mystérieuse…), la voix est ici bien isolée et mise en valeur, une voix sonore, aux riches harmoniques, bien posée: une très agréable surprise qu’il faudrait revoir en Erda à la scène, mais déjà, l’impression est favorable.
Ainsi donc ce Rheingold, sans être une référence, fait honneur et aux 75 ans du Festival, et au bicentenaire de Richard Wagner, dans cette ville où il a séjourné (Tribschen est à quelques centaines de mètres): c’est pour moi l’orchestre qui emporte la conviction (c’est lui d’ailleurs qui provoque la standing ovation) et cela laisse augurer de beaux moments pour la suite des trois autres journées. [wpsr_facebook]

Salut final