BAYREUTH 2013 / BAYREUTHER FESTSPIELE 2013: DER RING DES NIBELUNGEN – QUELQUES MOTS SUR CE QU’ON ENTEND ET SUR CE QU’ON LIT

Walküre Acte I (puits de pétrole en Azerbaïdjan il y a un siècle) © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

J’ai peu de chance de voir le Ring de Frank Castorf cette année. J’irai à Bayreuth, mais pour voir encore le Tannhäuser problématique de Sebastian Baumgarten, dirigé cette année par Axel Kober, et pour le Fliegende Holländer dirigé par Christian Thielemann. Entre les représentations j’aurai peut-être la chance d’attraper un Siegfried ou un Götterdämmerung, mais ne rêvons pas.
On a donc pu entendre  les retransmissions radio en direct sur BR (Bayerischer Rundfunk): à noter que France Musique a depuis longtemps renoncé à ces directs, qui étaient pourtant il y a quelques décennies une sorte de passage obligé. C’est ainsi, grâce au direct de Bayreuth sur France Musique que j’ai pu entendre le Tristan und Isolde de Carlos Kleiber de 1975. Les têtes pensantes de France Musique considèrent sans doute que le festival de Bayreuth, surtout en cette année de bicentenaire, ne vaut pas tripette, et que ce qu’ils programment à la place est tellement plus stimulant…Même si à un moment ou un autre France Musique retransmettra en différé, il est clair que le direct a quelque chose de plus urgent, et que l’on participe un peu plus à l’événement et pour qui s’occupe de musique, le Festival de Bayreuth est un événement.

Rheingold, les géants.© Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

A entendre les retransmissions, les réactions du public, la direction musicale et les voix (avec la distance que procure la radio), et à lire les critiques de la presse allemande, on comprend que quelque part, les deux soeurs Wagner ont gagné la partie: la mise en scène n’est pas accueillie de manière pire que d’autres (Tannhäuser par Baumgarten, ou Parsifal par Schlingensief) les voix ont l’air de s’en sortir avec grand honneur, et la direction musicale, même en radio, apparaît comme extraordinaire.
Il me semble en effet qu’au-delà de ces manifestations de bicentenaire, après le demi-échec des Frühwerke (oeuvres de jeunesse) comme je l’ai expliqué dans un article précédent (voir l’article dans ce site), les médias et une partie du public attendaient un épouvantable scandale à cause de l’épouvantail Frank Castorf et une distribution sur le papier considérée comme moyenne: seule la direction musicale qui excitait la curiosité. Vu ainsi, on allait à l’échec; et un échec sur ce Ring, c’était une menace sur la gestion même du festival par les deux soeurs, en conflit larvé avec les tutelles (et notamment l’État de Bavière) et l’attente en embuscade d’éventuels successeurs, de la famille ou non, toujours prêts à relever le défi. La réforme de 1976 avait bien stipulé que si aucun membre de la famille Wagner ne se révélait apte à gérer le Festival, celui-ci serait confié à un professionnel par le conseil d’administration. On peut bien penser qu’il y a de potentiels candidats, dans la famille (bien généreuse en conflits internes et en exclus, à commencer par toute la descendance de Wieland Wagner) et hors famille. Wolfgang Wagner, vieux renard, avait essayé d’imposer sa fille Katharina en excluant son autre fille d ‘un premier lit Eva, qui pourtant est celle des deux qui a la plus grande expérience dans le monde de l’opéra, conseillère artistique de Stéphane Lissner au Châtelet, puis à Aix (où elle a préparé le Ring d’Aix et Salzbourg), puis au MET. Dans le partage des tâches qui semble s’être construit lorsque la solution bicéphale a été arrêtée, Eva apparaît responsable de l’artistique (et plutôt du chant), tandis que Katharina est chargée de la gestion au quotidien, de la communication et des productions: c’est à Katharina qu’on doit le retour en force du Regietheater sur la colline verte (Christoph Schlingensief, Christoph Marthaler, Sebastian Baumgarten, Jan Philipp Gloger, Stephan Herheim, Hans Neuenfels), bref un générique qui fait le bonheur des vieux wagnériens (au sens des vieux croyants de Khovantchina…). Katharina s’est frottée à la mise en scène un peu partout en Allemagne et a commencé à Bayreuth par une production des Meistersinger, très discutée, mais très courageuse et très intelligente où elle a crânement posé le problème de Bayreuth et du nazisme, et notamment du destin de cette oeuvre, la seule autorisée jusqu’à la fin par Hitler à Bayreuth.
Les deux soeurs, à peine enterré le patriarche, ont dû à la fois affronter les travailleurs saisonniers du Festival qui ont menacé sécession, puis le regard un peu distant des curateurs. Elles sont entrées en conflit avec la Société des Amis de Bayreuth, et ont suscité la naissance d’une société rivale (les choses se sont arrangées depuis) et entretiennent comme je l’ai rappelé des relations tendues avec l’Etat de Bavière, principal bailleur de fonds (depuis les origines….). Il est clair que tout ce qui entoure le Festival les attendait au tournant, comme on dit.

Rheingold © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

Je l’ai écrit par ailleurs, le Festival de Bayreuth étant un festival à public captif avec à peu près une demande 10 fois supérieure à l’offre, la question du marketing ne s’est jamais posée, et ce Festival peut se permettre d’être le dernier à ne pas utiliser internet pour la location, à avoir une communication minimale, avec un matériel au design discutable etc…etc…Encore que la manière dont au dernier moment les (magnifiques) photos de la production du Ring ont inondé internet et la presse internationale est un joli coup de pub !

Siegfried et l’Oiseau © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

Mais peu importe, l’important est que Bayreuth reste envers et contre tout, bon an mal an et au grand dam des détracteurs, une rampe de lancement d’artistes, une référence pour la travail scénique, cet atelier (Werkstatt) souhaité dès 1951 par Wieland et Wolfgang: rappelons quand même que Wieland devenu une référence historique de LA représentation wagnérienne a essuyé en son temps les mêmes insultes que les Chéreau et autres. Un atelier, cela veut dire un lieu de propositions, de travail continu, le lieu des points de vue. En ce sens il est clair que le Ring de cette année sera modifié l’an prochain par Castorf.

Rheingold Nibelheim © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

Ce que je vais écrire sur ce Ring est donc par force sujet à caution, dans la mesure où je n’ai qu’entendu la musique et vu des photos de production que je vais reproduire ici, à partir de quoi on peut déjà se faire non une opinion mais une idée vague de ce qu’il en est.
L’audition de Rheingold, Walküre et Siegfried est d’abord stupéfiante de clarté. On sent qu’un soin tout particulier a été donné à la diction, ce qui veut dire à la fois attention du chef (on sait qu’il a assisté à toutes les répétitions scéniques depuis le 22 avril) et attention du metteur en scène au ton; d’ailleurs, les variations d’expression sont nombreuses et laissent deviner un chant particulièrement accentué, coloré, composé (au sens de composition scénique et textuelle) c’est évident à entendre Wolfgang Koch qui fait un Wotan apparemment remarquable, une sorte de belcantiste wagnérien, mais aussi Burckhard Ulrich (extraordinaire d’expressivité) et Martin Winkler (Alberich), ainsi que Günther Groissböck dans un magnifique Fasolt.

Johan Botha (Siegmund) © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

Johan Botha (Siegmund) chante toujours bien, mais sans particulière expressivité (même si je ne le voyais pas en scène, je le devinais…).

Walküre Acte III, presque traditionnel © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

Cette présence du théâtre en bouche chez pratiquement tous les protagonistes, cette attention au texte est un atout majeur dans un Ring, car il met en scène d’emblée des personnages et non des chanteurs. Du côté des femmes, notamment Sieglinde et Brünnhilde, rien à redire apparemment: l’engagement d’Anja Kampe est évident (très intense au 2ème acte de Walkyrie)et Catherine Foster est impressionnante: cela confirme la bonne santé du chant wagnérien.  Anja Kampe est une bonne Sieglinde (à l’entendre en radio) mais elle n’est pas meilleure que d’autres (notamment Eva-Maria Westbroek ou même Waltraud Meier, toujours exceptionnelle en scène), Catherine Foster est vraiment une grande voix: son réveil dans Siegfried est remarquable, même si elle me semble abuser du vibrato. La voix est claire, limpide. Et dans le troisième acte de la Walkyrie elle est vraiment émouvante: elle démontre là être une grande artiste.
Kirill Petrenko est très surprenant: tout le monde a noté son énergie, son sens dramatique (les critiques italiennes à son Rheingold romain étaient unanimes) et les comptes rendus de sa direction à Bayreuth vont toutes dans ce sens. Mais ce qui m’a frappé en écoutant ce travail c’est d’abord, en accord avec la diction des chanteurs, l’extraordinaire clarté du rendu orchestral, il rend la partition translucide, et il épouse le texte d’une manière stupéfiante, donnant encore plus de couleur à la musique, accentuant les contrastes, accompagnant très doucement quelquefois, brutalement forte voire fortissimo ensuite. Le début du deuxième acte de Siegfried commence par un murmure noir de l’orchestre, qu’on entend à peine pour monter ensuite en crescendo dramatique d’une très grande tension. Le réveil de Brünnhilde dans Siegfried n’est que chatoiement de timbres, tout comme le final de Walküre. C’est une très grande direction, cela s’entend immédiatement, mais qui va bien plus loin que l’énergie, le dramatique, c’est une construction d’un relief inouï. Ah, oui on a envie de voler à Bayreuth!

Le décor de Siegfried, Acte I © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

Évidemment, il est plus difficile de parler d’une mise en scène qu’on n’a pas vu, et je ne tenterai pas l’exégèse. Entre les déclarations de Frank Castorf et ce qu’en disent les critiques, et à la vue des photos, quelques remarques de base quand même dictées par l’expérience et par un regard attentif sur les traces photographiques, ou d’un mythe complètement démythifié: regardez la photo ci-dessous: qui peut deviner qu’il s’agit du duo d’amour de Siegfried ?

Siegfried Acte III, duo Siegfried Brünnhilde © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

D’abord, on sent chez les journalistes une surprise, la surprise qui serait la traduction d’un “tiens ce n’est pas si terrible que ça”…Frank Castorf est lui aussi un vieux renard du théâtre, il a choisi lui aussi de raconter une histoire, qui n’est pas celle du mythe allemand mais d’un mythe en négatif, en puisant dans l’univers du cinéma (certains on parlé d’atmosphère à la Tarantino) qu’il utilise d’ailleurs dans la mise en scène: il fait apparemment de Rheingold un film de série B, une sorte de mauvaise comédie et de mauvais acteurs, un film de gangsters. Que Wotan soit un gangster, qui nage dans l’abus de pouvoir comme les filles dans le Rhin, c’est évident. Il fait de cette histoire le parcours de l’Or noir, des premiers puits d’Azerbaïdjan (Walküre 1er acte), jusqu’à Wall Street (Götterdämmerung).

Décor de Rheingold © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

Rheingold se passe dans un motel de la route 66, avec sa station service. Apparemment c’est suffisamment bien fait et habile pour que le public soit au moins partagé (il paraît même que les huées étaient plutôt rares à Walküre). Faire de l’Or noir l’enjeu du pouvoir , c’est presque banal, vu l’importance de la question énergétique aujourd’hui, et les enjeux politiques qu’elle génère, ainsi que les guerres et la violence (voir les états d’Asie centrale, les guerres en Irak etc…). Que le Ring soit l’histoire dérisoire de notre monde, une histoire violente, assez sale, où l’amour est piétiné au nom du gain et du pouvoir et non pas le grandiose mythe des Dieux (qui chutent, ne l’oublions pas), c’est suffisamment banal pour que Castorf ne soit pas accusé de trahison: en ce sens, l’approche est bien voisine, à un autre niveau, de celle de Bieito dans son Boris de Munich. Là où Calixto Bieito montrait Poutine et Sarkozy, Frank Castorf montre Wotan en gangster de mauvais film, même sens de la lecture politique, même manière de nous dire “ces oeuvres nous parlent, hic et nunc” et peut-être nous déchirent-elles.

Siegfried Acte III, Erda/Wanderer © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

Avoir vu les photos des décors d’Aleksandar Denić installés sur une tournette permet à la fois de constater qu’ils sont beaux (au moins les photos), impressionnants, et cohérents avec une esthétique de l’ironie et de la distance vaguement inspirés aussi par la bande dessinée. Les parisiens le connaissent d’ailleurs puisqu’il était l’auteur du beau décor de la Dame aux Camélias tellement honnie par une partie du public.
Enfin, un point indiscutable est l’importance de Frank Castorf dans le théâtre allemand. Il représente ces artistes produits par l’ex-Allemagne de l’Est qui véhiculent un théâtre militant, politique, qui réfléchit de manière chirurgicale au destin allemand, à la germanité (les parisiens ont vu il y a quelques années Meistersinger à Chaillot et plusieurs autres spectacles depuis 2000), mais aussi un homme de théâtre très rigoureux malgré une allure un peu distanciée et déjantée. C’est incontestablement un intellectuel représentant d’un théâtre dit “postdramatique” dans lequel il insère des textes de référence, des éléments biographiques tressés dans l’oeuvre (ce qui lui a été interdit par contrat à Bayreuth), une sorte de théâtre de l’intertextualité et un théâtre évidemment politique. Pour ma part j’ai vu de lui outre La Dame aux Camélias (voir le compte rendu dans ce blog), Meistersinger, que j’avais trouvé moins réussi, et surtout l’Idiot de Dostoïevski, pur chef d’oeuvre de théâtre, inoubliable. Et on peut donc lui faire confiance dans une lecture acérée du texte de Wagner, notamment lorsqu’il dit que le Ring est “fröhliches Anarchie” autant dire un “joyeux bordel”. Il a laissé des interviews, où il ironise sur la direction, sur les temps de répétition (9 jours pour Rheingold, c’est pure folie!) où il affirme qu’il ne veut pas faire un Ring de bicentenaire, il lui suffit de faire un Ring de l’année. Bref, il joue son vieux routier de la provocation, lui qui fut sous la DDR pratiquement chassé de tous les théâtres où il travaillait et où ses mises en scènes étaient interdites. Castorf est l’un des hommes de théâtre les plus importants de l’Europe d’aujourd’hui, et il est encore et toujours une sorte de Seigneur dans sa forteresse de l’Est, la Volksbühne de Berlin sur laquelle trône un fier  néon “OST”: c’est un homme avec lequel il est quelquefois difficile de travailler (j’ai discuté avec quelques uns de ses comédiens qui quelquefois en souffrent); Christoph Marthaler en sait quelque chose, lui qui a codirigé la Volksbühne pendant quelques années où il a produit parmi ses plus beaux spectacles (La Vie Parisienne, Légendes de la Forêt viennoise). Mais Castorf  reste une des grandes figures du théâtre de ce temps, l’une des plus importantes de l’Allemagne “post-Wende”, et en ce sens, l’appeler à Bayreuth est pleinement légitime et lui donner le Ring, cette incroyable histoire de pouvoir, est totalement juste. J’attends avec impatience l’occasion de voir ce spectacle et je vous engage demain à brancher votre internet à 15h57 sur le site de Bayerischer Rundfunk pour la conclusion,  Götterdämmerung.
Quelques remarques à propos de ce Götterdämmerung radiophonique: une direction musicale toujours aussi somptueuse, à la fois analytique, énergique, ironique, qui suit de près les chanteurs. Il faudrait évidemment voir la scène pour comprendre comment le chef travaille avec la mise en scène, élément essentiel à Bayreuth, mais d’emblée, c’est le Ring de Petrenko. Relative déception du côté des chanteurs, moins à l’aise semble-t-il, Attila Jun en Hagen ne me convainc pas, il manque de présence et surtout de noirceur. Catherine Foster a un peu de mal à la fin (les aigus semblent un peu tirés) mais fait de beaux premier et deuxième acte. Lance Ryan faisait encore il y a cinq ans de beaux Siegfried (aussi bien dans Siegfried que dans Götterdämmerung), le Siegfried de Götterdämmerung ne lui convient plus du tout, on est à la limite de la justesse, émission trop nasale, une manière de chanter quelquefois à la limite de l’acceptable. Je n’ai pas trop aimé la Gutrune de Allison Oakes, mais bien aimé en revanche la Waltraute très présente de Claudia Mahnke qui chantait aussi Fricka et l’Alberich de Martin Winkler, une très bonne prestation tout au long du Ring. Toutes ces observations à l’écoute de la radio, et donc évidemment sujettes à modification dès que j’entendrai et je verrai ce Ring, dans un mois ou dans un an….
Car on l’a tous compris, ce spectacle est discutable, encore irrégulier (sans doute les choses vont-elles se préciser), le public est partagé mais il y a des moments que tous disent exceptionnels et c’est paraît-il le plus convaincant des dernières années musicalement (et pour bien des critiques , et musicalement et scéniquement). Que demande peuple wagnérien?
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Les filles du Rhin © Bayreuther Festspiele / Enrico Nawrath

BAYREUTHER FESTSPIELE/FESTIVAL DE BAYREUTH 2013 – WAGNERJAHR 2013 – FRÜHWERKE/OEUVRES DE JEUNESSE: QUELQUES QUESTIONS SANS RÉPONSES

Programme de salle, couverture

La présentation des œuvres de jeunesse de Richard Wagner s’est terminée à Bayreuth avec Das Liebesverbot du 14 juillet dernier. Même si je n’ai pas vu Die Feen en juillet, j’avais vu cet opéra à Leipzig en février dernier, avec la même distribution ou peu s’en faut, le même chef et le même orchestre; je renvoie donc le lecteur au compte rendu de ce spectacle. On peut dire que l’initiative est un succès musical, malgré les inévitables imperfections sur des œuvres peu jouées et peu familières aux artistes. Rienzi a bénéficié de la présence de Christian Thielemann et d’une distribution internationale, mais c’est Das Liebesverbot qui reste l’opération la plus réussie, au total, avec une exécution de qualité et une mise en scène habile et intelligente, pour une œuvre qui contrairement aux deux autres, n’a pas bénéficié de productions récentes dans les théâtres européens et qui donc est une vraie surprise.
Mais on devait bien se douter qu’avec des chefs reconnus ou prometteurs, un orchestre aussi prestigieux que le Gewandhaus de Leipzig et la garantie du partenariat d’un opéra solide comme l’Oper Leipzig, la qualité artistique (exception faite de la mise en scène de Rienzi, superficielle et bâclée) ne ferait pas défaut.

La question est ailleurs, les questions devrait-on dire, qui se posent après le relatif échec commercial de cette programmation, et les erreurs de marketing qui l’accompagnent.
Partons déjà de la question posée par la qualité artistique: quand on propose des places au prix maximum de 500€, c’est à dire le billet d’opéra le plus cher du marché (plus que Salzbourg) , peut-on admettre une production de Rienzi aussi insignifiante? Certes, il s’agit d’une production qui ne sera pas reprise, faite ad-hoc pour un lieu qui lui, n’est pas ad-hoc pour l’opéra! Justement, qu’est-ce qui justifiait des prix aussi élevés pour une manifestation dans une salle de sport, à 2km du Festspielhaus?
Adéquation lieu, programme, prix et image…voilà la principale série de points d’interrogations.
On pourra discuter à l’infini du lieu choisi pour cette programmation exceptionnelle. Quelles qu’en soient les motifs, il me semble qu’on aurait du mal à convaincre un public qui paie de 100 à 500€ de venir à Bayreuth sans aller au Festspielhaus. En terme d’image,  le Festival de Bayreuth, c’est d’abord le Festspielhaus. Mais l’amener dans une grande salle de sport, aménagée de manière partielle, sur des sièges de plastique, sans un minimum de rituel festivalier (les fanfares de fin d’entracte remplacées par une sorte de coup de casserole, par exemple), et croire que le public va venir seulement parce qu’on est à Bayreuth, c’est vraiment faire une grossière erreur de jugement. Le public qui paie en veut évidemment pour son argent. Et là, à l’évidence, il n’en a pas pour son argent.
La motivation pour venir à Bayreuth, c’est évidemment le théâtre: c’est d’ailleurs très largement le motif pour lequel le festival n’a pas besoin de gros efforts de marketing pour attirer le public et pour lequel la demande est infiniment supérieure à l’offre. L’erreur vient peut-être que les organisateurs ont cru qu’il suffirait d’afficher “Bayreuth” et “Thielemann” pour mettre en branle les longs cortèges de visiteurs. Si au moins dans l’offre une soirée avait été prévue dans le théâtre (pour un concert par exemple) je suis sûr que la réponse du public  aurait été différente, a fortiori si l’on avait programmé dans la salle du festival les mêmes œuvres en version concertante, sans orchestre en fosse (puisque, dixit Thielemann, elles ne conviennent pas à la fosse de Bayreuth) et à n’importe quelle date (par exemple au moment de la Pentecôte, autour de la date anniversaire du 22 mai).

Sans Festspielhaus, il aurait fallu pour attirer le public développer une politique marketing particulièrement ciblée, et conquérir, aller chercher ce public “avec les dents” comme dirait l’autre alors que ce festival a l’habitude d’un public captif qu’il n’a jamais eu besoin d’aller chercher. D’où évidemment la difficulté notable et le résultat pour le moins contrasté.
On reste assez colère de voir des rangs entiers vides (y compris pour Rienzi qui affichait Thielemann) les gradins latéraux (places les moins chères) remplis à peine à 10% et on se pince en se disant “je suis à Bayreuth”.
Défaut de marketing, manque d’initiative pour vendre au dernier moment, repli sur une politique minimale dès qu’il a été clair qu’on ne remplirait pas, tout cela est si évident qu’on se demande s’il n’y a pas là de propos délibéré. Pourquoi programmer en fanfare il y a un an les “Frühwerke” pour ensuite proposer un site mal identifié, mal fichu, mal affiché, avec des plans de salle ne permettant pas de voir les places libres, un site qui ne met pas en avant les qualités de l’offre et qui n’est pas clairement en lien avec le site officiel du Festival. Déjà, il y a là un mystère.
Mystère qui s’épaissit lorsqu’on est sur place, à Bayreuth: on trouve peu d’affichage ou de publicité, des indications parcellaires du lieu des représentations , et sur le site du Festspielhaus, où l’on  va quand même en pèlerin, parce qu’on ne peut aller à Bayreuth sans au moins y faire un tour, aucune allusion à ce qui se passe plus bas .
Sur place, à l’Oberfrankenhalle, à part le kiosque à bière et à saucisses, une billetterie discrète, un étal pour vendre disques et “souvenirs” wagnériens (tee shirts et autres joyeusetés), il reste des indications peu claires sur les places (rangs etc…), pas la moindre décoration un peu festive ni dehors ni dedans (sinon des fanions des sponsors) et une salle inadéquate aménagée avec un gradin central entouré des gradins latéraux à peu près vides, et  les places les plus chères dans les premiers rangs, sans recul, sans vision un peu globale du dispositif.

Mise en page du résumé de l’action de Das Liebesverbot

Quant au matériel d’accompagnement du spectateur, je veux parler du programme de salle on reste bouche bée, on reste incrédule: un programme commun aux trois œuvres, au graphisme faussement contemporain, avec des distributions écrites en une police si réduite que la lecture en est difficile (en plus en blanc sur fond gris) avec des élégances graphiques qui rendent certaines pages illisibles, un graphisme et une mise en page différentes à chaque page, le pompon étant le résumé de Das Liebesverbot où alternent ligne à ligne le résumé du premier acte et du second acte: autrement dit (si je n’ai pas été assez clair ): ligne 1 premier acte ligne 2 second acte ligne 3 premier acte etc…. Où certains textes sont en anglais seulement et d’autres en allemand seulement, sans cohérence, sans rien pour clarifier, alors que ces programmes se devaient d’éclairer le public pour qui ces œuvres sont très peu connues. J’ai renoncé à le lire, c’est une entreprise vaine tant on fatigue, mais je le tiens à disposition de qui douterait de ma bonne fois ou penserait que j’exagère un peu.
Hélas, j’aimerais avoir un peu d’humour, mais j’ai tellement ce lieu dans la peau, ce festival dans mon cœur que je suis plutôt à la fois stupéfait et désolé. Certes, le matériel habituel du festival n’est pas d’une qualité notoire (design, contenus) : les programmes de Munich, ou même tout simplement de Paris sont bien plus détaillés et bien mieux faits. Mais sur ce coup là comme on dit, tous les records sont battus: personne dans le management n’a pu arrêter ce projet graphique absurde?
Alors on se pose des questions: pourquoi si peu de publicité, pourquoi si peu de marketing, pourquoi cette impression de Bayreuth du pauvre malgré le soleil éclatant? Certes, on peut penser que l’absence de remplissage de la salle a induit une limitation des disponibilités financières, mais il semble qu’on ait aussi bien manqué de compétences techniques, managériales, d’organisateurs efficaces: vu le résultat, tout se passe comme si le Festival voulait se faire tout petit, alors que le produit présenté était de qualité, pouvait valoir le déplacement, même dans une salle à l’acoustique pas toujours convaincante. Le mystère reste pour moi la contradiction entre des prix exagérés et une offre qui en rien ne les justifiait, même si elle était de qualité. Ce pouvait être au contraire l’occasion pour attirer un public qui ne vient pas habituellement, avec des prix attractifs avec une ambiance alternative, plus “cool”(et peut-être dans le package une visite du Festspielhaus, malgré la fermeture jusqu’en septembre pour répétitions – il n’y pas si longtemps, le Festspielhaus se visitait le matin avant 10h en temps de Festival ) .
Obtenir un résultat aussi contrasté quand on a de l’or dans les mains (Bayreuth, Wagner, Thielemann,Gewandhaus), comme on dit, il faut le faire. C’est une vraie question sans réponse. Simplement je ne comprends pas que ce qui était évident pour les gens du public avec lequel j’ai pu échanger ne l’ait pas été à un niveau plus haut. Je ne comprends pas.

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FESTIVAL DE BAYREUTH 2011 : En guise de conclusion

Le Festival se poursuit, mais pour le spectateur, tout a une fin et il faut rentrer. La tête encore dans les nuages wagnériens, l’esprit mobilisé par la lecture des différentes opinions émises sur la toile, de ceux qui ont vu les spectacles, de  ceux qui les ont entendus à la radio, et de  ceux qui ne les ont ni vus ni entendus, et les critiques de la presse allemande. On se plonge dans les livres et documents à sa disposition, on réécoute certaines œuvres ou les disques achetés là-bas (pour mon cas je me suis limité à des éditions très bon marché des premières œuvres « Das Liebesverbot », « Die Feen », et « Rienzi ».). Mais peu à peu se construit le bilan de l’édition 2011, la 100ème du festival.
Ma première remarque concerne les polémiques de l’année sur ce que certains blogs ont appelé la chute vertigineuse de la demande, et sur l’offre qui paraît-il se serait considérablement élargie. Certes, les Maîtres Chanteurs s’offraient et ne se cherchaient pas, certes, j’ai trouvé les places que je voulais (Parsifal, Tannhäuser). Mais inutile de se faire d’illusion : on n’en trouvait pas par brassées ! Loin de là. Certes, ce n’était pas la terrible chasse aux billets de certaines années. Mais j’ai connu par le passé des années de basses eaux : le Kartenbüro chassait les candidats à un éventuel « Vaisseau fantôme »(dans la légendaire production de Harry Kupfer, pourtant la meilleure de ces 30 dernières années) en 1985, pour sa septième édition !

Année sans Ring, année plus grise 

Lorsqu’il n’y a pas de Ring, qui attire toujours beaucoup de monde, le Festival reprend ses productions en cours avec la distribution des origines (ou à peu près s’il y a eu des accidents ou des erreurs de distribution) et ajoute une nouvelle production par an. Les années sans Ring sont toujours moins excitantes. Nous vivrons sans doute une année 2012 un peu similaire. Il est donc normal que Tristan (2005) et Meistersinger (2007) soient les moins demandés. Mais Tristan reste plus demandé que Meistersinger parce que la distribution en est honorable. Meistersinger en revanche a une mise en scène très discutée : certains spectateurs ne supportent pas l’idée qu’un membre de la famille Wagner prenne une position aussi critique sur cette œuvre symbole (Katharina est régulièrement huée), et il faut bien dire que l’équipe de chanteurs  réunie reste d’une qualité relativement modeste (notamment James Rutherford et Michaela Kaune) avec des accidents de parcours (Amanda Mace la première année, et  Franz Hawlata qui en dépit de ses qualités d’acteur fut vocalement très insuffisant).  C’est donc le spectacle le moins attractif pour le public et effectivement le moins attirant musicalement. J’ai dit plusieurs fois en revanche combien je trouvais l’approche de Katharina Wagner intelligente et cohérente. Par ailleurs tous les amis que j’ai croisés ou es personnes avec qui j’ai pu échanger à l’occasion des entractes apprécient le travail de Neuenfels sur Lohengrin, celui de Herheim sur Parsifal qui fut la première année un immense succès, et la curiosité prévaut sur ce Tannhäuser qui semble faire si peur …

Une chute de niveau continue…depuis très longtemps

Depuis que je viens à Bayreuth (34 ans cette année) j’entends parler de déclin, de chute du niveau, de mises en scène épouvantables, c’était une fois Wolfgang Wagner qui laissait tout à vau l’eau, trop âgé pour bien gouverner, c’était une autre fois la venue de Thielemann qui sonnait un retour à l’hyperclassicisme, ou bien à d’autres moments l’influence néfaste du clan Barenboim, ou bien celle de Levine (avec les allusions à leurs origines…). Que n’a-t-on pas dit sur Schlingensief, une erreur monstrueuse que même Pierre Boulez aurait marqué en laissant le pupitre au bout de deux ans (alors que c’était prévu dès l’origine, lorsque c’était Martin Kusej qui devait faire la mise en scène), production victime du départ de Boulez bien sûr (bien qu’Adam Fischer, qui quant à lui détestait la mise en scène, lui ait honorablement succédé), mais aussi et surtout de chanteurs pas vraiment à la hauteur. Je me souviens en 1978 d’une dame française, qui déclarait déjà qu’elle se demandait pourquoi elle venait chaque année, vu que c’était si mauvais. Une phrase que j’entends encore souvent.  Au total, Bayreuth ? C’est nul ! Rempli de snobs qui s’escriment à passer des heures dans une salle chaude et moite, mal assis sur des sièges durs et inconfortables, serrés les uns contre les autres (chaque année des évanouissements !), à crier au génie devant des spectacles qui ne valent pas tripette, avec des chanteurs qui ne connaissent rien au chant wagnérien et des chefs médiocres qui font la province allemande. Bref, 1900 masochistes présents qui expient au nom du snobisme…Je connais un blog italien très bien documenté, bien écrit , mais spécialisé dans la destruction tous azimuts de tout ce qui est offert sur les scènes d’aujourd’hui, au nom du bien chanter (celui du passé, bien sûr, celui qu’on n’a jamais entendu !) ce blog s’appelle Il Corriere della Grisi, j’y renvoie les lecteurs italophones, qui y trouveront aussi des informations nombreuses et un panorama complet de ce qui se fait (et qui ne devrait pas se faire, selon les auteurs) à l’opéra aujourd’hui.

Un moment délicat pour le Festival

Plus simplement, chaque festival, chaque institution culturelle a ses ratés, ses moments de doute, ou de transition. Pour le festival de Bayreuth après 50 de règne absolu de Wolfgang Wagner, il est clair que nous sommes à la croisée des chemins. D’une part les deux (demi)sœurs, qui doivent apprendre à travailler ensemble, et qui ont la charge de préparer le festival 2013, vrai test du fonctionnement de ce couple étrange, fait d’une jeune femme qui a grandi à Bayreuth, et a appris la mise en scène à l’école allemande, appartenant à la génération typique du Regietheater, et une femme beaucoup plus mûre, écartée au départ par son père, qui a été conseillère artistique à l’opéra de Paris, au Châtelet, au Festival d’Aix, et au Metropolitan : l’une sur la scène, l’autre derrière la scène. Cela peut fonctionner, cela peut aussi échouer, et on peut évidemment penser que si l’échec de cette paire est patente, la partie de la famille (les héritiers de Wieland) exclue du festival  (notamment Nike Wagner, la fille de Wieland, directrice artistique de »pèlerinages« « Kunstfest Weimar ») s’intéressera fort à la situation. Nous sommes dans un moment de fragilité et je ne serais pas étonné que les rumeurs qui courent actuellement ne soient pas si bien intentionnées. En termes artistiques, le festival 2011 ne m’est pas apparu d’un niveau si bas, avec un Lohengrin anthologique, un Parsifal et un Tristan très corrects, des Maîtres plus pâles au niveau musical, mais c’était déjà le cas les saisons précédentes, et un Tannhäuser âprement critiqué, musicalement à consolider, mais qui montre un vrai travail d’analyse aussi bien du côté théâtral que du côté orchestral :  on est loin du naufrage !

Des metteurs en scènes discutés, mais toujours de haut niveau

Du point de vue des mises en scènes, dans des genres d’approche très différents, on a un florilège de la mise en scène d’aujourd’hui en terre germanique : Marthaler est aujourd’hui appelé dans de très nombreux théâtres, Herheim est l’un des plus réclamés en Europe lui aussi, Neuenfels, moins connu hors d’Allemagne, est considéré comme une référence de la mise en scène, Katharina Wagner est plus jeune mais  travaille aussi beaucoup à l’extérieur de Bayreuth,  et Sebastian Baumgarten a derrière lui une grande expérience de théâtre, même s’il s’est lancé assez récemment dans la mise en scène. A moins de considérer tous ces artistes comme justes bons à attirer le chaland, il ne me semble pas que là non plus on alimente un déclin. Je n’ose imaginer l’accueil au futur Ring 2013 de Frank Castorf : d’autant que Castorf est très irrégulier, souvent critiqué y compris par les tenants du Regietheater et n’a pas connu que des triomphes : j’ai vu de lui une superbe production de « L’Idiot » et un spectacle (théâtral) plus discutable,  « Meistersinger ». Le spectateur parisien pourra juger sur pièces puisqu’il vient cette saison à l’Odéon pour mettre en scène La Dame aux Camélias…
Enfin, le travail scénique à Bayreuth, et les prouesses techniques réalisées par les techniciens du plateau, font partie des modèles du genre, et de ce point de vue, on n’a pas non plus constaté une baisse de niveau. Il faut rappeler que c’est toujours le concept de « Werkstatt Bayreuth » (atelier Bayreuth), inventé par Wolfgang Wagner qui prévaut ici, à savoir proposer au public à Bayreuth un travail sur la mise en scène, où prévalent la recherche et l’expérimentation, où l’on permet éventuellement de revenir sur ce qui été fait, de changer des éléments (ce que fit Chéreau fortement entre 1976 et 1978), un perpétuel  « work in progress » . Autrement dit, si on vient à Bayreuth pour voir ce qui se fait ailleurs, le festival devient inutile.

 Un niveau musical  relativement homogène sans être exceptionnel

Du point de vue des chefs et des distributions, c’est un peu la même chose. Du point de vue des chefs, on a réuni Gatti, Hengelbrock, Nelsons qui sont des chefs assez jeunes internationalement reconnus aujourd’hui. Weigle et Schneider (le vétéran) sont très reconnus en Allemagne (rappelons que Weigle fut aussi directeur musical au Liceo de Barcelone) : ce n’est pas un triste bilan.

il suffit de rappeler que Pierre Boulez fut appelé à Bayreuth en 1966, à 39 ans, pour diriger Parsifal et qu’il commençait à peine à être connu comme chef d’orchestre , que Lorin Maazel débute à 30 ans à Bayreuth en 1960, Schippers à 33ans en 1963  et Sawallisch à 34 ans, en 1957. Rien de nouveau donc sur la colline de ce point de vue là non plus, avec aussi au long des ans des météores: Mark Elder appelé à diriger Meistersinger en 1981 à 34 ans, ne fera qu’une saison (tout comme Schippers en 1963 lui aussi pour Meistersinger), Carl Melles en 1965 (Tannhäuser) ou Alberto Erede en 1968 (Lohengrin),  Sir Georg Solti pour un unique Ring en 1983, Christoph Eschenbach en 2000 (Parsifal) et Eiji Oue (Tristan) en 2005.  Au total, sur les chefs venus sur la colline depuis une trentaine d’années je ne vois pas vraiment de déclin notable (Levine, Barenboim, Solti, Sinopoli, Thielemann pour ne citer que les plus connus).
Quant au chant,  on a certes vu à Bayreuth des chanteurs consacrés (Domingo par exemple, venu dans les années 90), mais ils sont plutôt jeunes en général et ont été lancés par Bayreuth, l’exemple le plus connu du public aujourd’hui est Waltraud Meier, mais pensons aussi à Leonie Rysanek (en 1951), voire Birgit Nillson qui fut appelée pour la neuvième symphonie en 1953, puis en 1954 pour Elsa..et Ortlinde, ou Elisabeth Connell, jeune chanteuse qui commençait à peine à émerger comme Ortrud (magnifique) en 1980-82 ou même  Deborah Polaski.  Beaucoup de chanteurs en effet,  étaient loin du faîte de leur carrière lorsqu’ils ont été engagés à Bayreuth. Même si quelques grands wagnériens manquent à l’appel (Vickers, qui détestait Bayreuth, n’y a chanté que deux fois, en 1958 et en 1964, Bryn Terfel aujourd’hui n’y a pas encore fait son apparition et personnellement j’aimerais qu’on y entende Jennifer Wilson, magnifique Brünnhilde à Valence et Florence), et même s’ils sont fâchés pour certains avec la colline sacrée, ils y sont la plupart tous passés à un moment ou à un autre. Peut-être n’y restent-ils pas aussi longtemps qu’auparavant, peut-être aussi la pression du marché rend elle difficile les conditions (qui sont sans doute en train d’évoluer)  imposées par Bayreuth – moindres cachets, obligation de rester sur place, exclusivité pendant la période du festival (encore que ce soit très élastique) –  .

Et si l’on considère les chanteurs de cette édition 2011, indépendamment  de l’appréciation qu’on peut porter sur leurs prestations, aussi bien Klaus Florian Vogt, Robert Dean Smith, Burkhard Fritz, Simon O’Neill, Camilla Nylund, Annette Dasch, Petra Lang, Irene Theorin, Adrian Eröd, Kwanchoul Youn, Günther Groissböck sont des chanteurs qui conduisent actuellement une grande carrière internationale, même s’ils n’ont pas le format des chanteurs wagnériens d’antan. Ce n’est peut-être pas un critère aux yeux de certains, mais c’est un fait que tout mélomane peut les rencontrer distribués dans de grands rôles dans une des salles d’opéra qu’il fréquente.

Sans doute chacun de nous rêve-t-il pour Bayreuth des fameuses distributions idéales, qui se rencontrent quelquefois, mais rarement systématiques, des soirées miraculeuses, qui se rencontrent quelquefois, mais rarement systématiques, et des chefs de légende (ah…si Abbado avait accepté l’invitation de Wolfgang Wagner en son temps…), mais il reste que le niveau d’exigence du Festival n’a pas vraiment baissé : les temps ont changé (sous Wieland et Wolfgang, dans la mesure où ils se partageaient les mises en scène, c’étaient les chefs qui étaient les références, et Wolfgang, dès que les mises en scènes de Wieland ont cessé d’être programmées (soit au seuil des années 70), s’est tourné vers la jeune génération de metteurs en scène, Götz Friedrich, pour un Tannhäuser qui fit (déjà) scandale, en 1971, puis Le Ring de Chéreau (choisi sur le conseil de Boulez suite à la défection de l’alors jeune  Peter Stein), en 1976, le scandale le plus énorme qu’ait connu Bayreuth, puisque même des artistes de la distribution réunie faisaient campagne alors contre cette mise en scène (René Kollo, Karl Ridderbusch). Les Cassandre prédisaient un éclatement de l’orchestre, une fuite des chanteurs, et horreur des horreurs, de la Begum ! On sait ce qu’il en est advenu…
La seule différence avec cette époque, c’est qu’il y avait alors toujours dans la programmation les propres mise en scène de Wolfgang ou d’autres, à tempérer l’effet produit par les nouvelles productions : August Everding et son Tristan, ou ses propres Parsifal ou Meistersinger, qu’il a presque continûment mis en scène entre 1975 et 2000 (à l’exception de la belle production de Parsifal de Götz Friedrich pour le centenaire en 1982) comme des pierres miliaires auxquelles le public traditionaliste pouvait se référer. Aujourd’hui, ce n’est plus exactement cela, et le Tristan de Marthaler fait presque figure de classique…

…Mais un lieu exceptionnel

Enfin, il reste un fait, évident, aveuglant, et devenu un lieu commun : Bayreuth restera toujours un lieu d’exception à cause de sa salle, de son acoustique, de ce son si particulier et incomparable (je l’ai encore vécu en comparant les deux Tristan, chacun de haut niveau, entendus à Bayreuth et à Munich il y a quelques jours. Entendre à Bayreuth les premières mesures de la musique monter du sol reste un grand moment magique, là est la véritable exclusivité.

Post Scriptum

Plusieurs amis venus à Bayreuth pour les représentations successives confirment qu’il est plus difficile de revendre des places, que l’on trouve assez facilement des Meistersinger (ça je l’avais déjà constaté) des Parsifal, des Tristan et même des Lohengrin, et que beaucoup de gens ont rendu leurs places commandées. Si vous êtes encore disponibles en cette deuxième moitié du mois d’août, vous devriez tenter le coup.

BAYREUTHER FESTSPIELE 2011: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG, le 26 juillet 2011 (dir.mus: Sebastian WEIGLE, ms en scène: Katharina WAGNER)

Comme Eva est un rôle ingrat!  Le rôle est scéniquement et vocalement assez plat pendant deux actes, et la chanteuse surtout sollicitée au dernier acte où les aigus du fameux quintette sont ravageurs, ainsi que la scène avec Sachs qui précède. Pour ma part, je me souviens de deux Eva très différentes, Lucia Popp, avec Wolfgang Sawallisch à Munich, et Anja Harteros, à Genève il y a quelques années, deux magnifiques personnalités, deux Eva très présentes. Cette année, comme l’an dernier c’est Michaela Kaune qui chante Eva à Bayreuth. L’an dernier c’était passable, cette année c’est un peu plus difficile : les aigus que cette voix n’a pas vraiment naturellement sont tirés et mobilisent toute l’énergie, d’où des sons métalliques et des difficultés dans les passages. On l’oubliera assez vite dans ce rôle qui ne lui convient pas : pas de poésie, interprétation plate, difficultés techniques. A ses côtés, la Magdalena de Carola Guber est carrément inexistante : on ne l’entend simplement pas. On n’entend pas beaucoup non plus (à Bayreuth c’est un comble) Burkhard Fritz, le nouveau Walther qui succède à Klaus Florian Vogt. Autant Vogt avait une voix sonore, autant Fritz, qui s’applique et qui sait chanter, a une voix trop petite pour le rôle (il disparaît dans les ensembles) et des aigus lui aussi difficiles (c’est très perceptible dans l’air final). L’interprétation scénique est tout à fait satisfaisante dans ce rôle d’artiste insupportable et mauvais garçon, mais on est assez déçu de la prestation vocale, en dépit, je le répète, d’évidente qualités. Je doute que Walther apporte quelque chose d’intéressant pour sa carrière.
James Rutherford en Hans Sachs manque de personnalité vocale. Le timbre est voilé, la puissance limitée, même si cette année certains moments sont vraiment musicalement très réussis (les plus retenus, les plus lyriques : début du second acte, magnifique, et première moitié du troisième acte). Il est aidé par l’orchestre qui l’a vraiment accompagné de manière exceptionnelle.
Encore une fois, j’ai aimé le David de Norbert Ernst, ténor de caractère techniquement parfait, à la voix claire, bien posée, très bien contrôlée, et bien sûr le magnifique Beckmesser d’Adrian Eröd, qui sans moyens exceptionnels, mais avec un phrasé modèle, un texte dit à la perfection, et des qualités d’acteur exceptionnelles, très sollicitées dans cette mise en scène propose un personnage complexe, polymorphe, d’une présence ahurissante. Une interprétation de très grand niveau. On signalera aussi le Pogner de Georg Zeppenfeld, basse de très grande qualité, l’une des meilleures basses en Allemagne aujourd’hui (il fut le Sarastro d’Abbado) et dans l’ensemble le reste de la distribution n’appelle pas de réserves (un bon point pour Friedemann Röhlig, Nachtwächter toujours efficace).
Le chœur dirigé par Eberhard Friedrich est comme toujours exceptionnel, et notamment dans les parties moins spectaculaires (le tout début par exemple), et la direction de Sebastian Weigle m’est apparue un peu plus intéressante que l’an dernier, notamment dans les parties plus lyriques, mais elle manque tout de même de relief (c’est frappant dans l’ouverture) : le final du second acte semble toujours aussi brouillon on ne sent toujours pas le crescendo qui doit gouverner toute la fin de l’acte. C’est dommage.
Quant à la mise en scène de Katharina Wagner, last but not least, elle garde tout son intérêt et son intelligence. C’est une mise en scène sur le conformisme et l’originalité : sur le conformisme en art (y compris dans la fausse marginalité artistique représentée par Walther – puisque les rôles sont inversés à la fin, Sachs et Walther étant les conformistes et Beckmesser celui qui dit non et qui fuit le totalitarisme- et sur le conformisme du public qui siffle l’artiste qui sort du rang, et qui applaudit aux valeurs télévisuelles et consensuelles. Un conformisme qui mène tout droit au totalitarisme (Hans Sachs en métaphore d’Hitler, est à la fois inquiétant et tellement juste). Un regard à rebours sur une œuvre qui a symbolisé largement l’âme et la culture allemandes (et qui fut la préférée des nazis, jamais interdite à Bayreuth, au contraire de Parsifal): voilà où la culture allemande nous a menés, semble dire Katharina Wagner, notamment dans ce terrible bal des gloires germaniques ou quand Sachs brûle tous ces oripeaux culturels et reste seul, illuminé par une flamme qui rappelle étrangement, par ses jeux d’ombre et de lumière, les films de propagande des grands rassemblements de Nuremberg, réunis autour du bûcher de la pensée..

Ce spectacle fourmille d’idées, les chanteurs sont magnifiquement dirigés, les mouvements sont d’une redoutable précision. Katharina Wagner est un authentique metteur en scène, qui affronte bravement les huées du public (de ce même public qui hue les travaux originaux à la fin de sa mise en scène des Maîtres), et dont le travail mérite tout notre intérêt. J’ai écrit précédemment combien ce spectacle gagnait à être revu. Avec une distribution vraiment à la hauteur, et un chef moins banal, c’eût été un très grand soir. Notons tout de même que – fait rarissime – il y avait des gens qui vendaient des billets « biete Karte » alors qu’on voit habituellement des « Suche Karte » (je cherche un billet). Alors, si vous avez des velléités de Bayreuth cette année, n’hésitez pas, vous trouverez des places pour ces Maîtres Chanteurs et vous le ne regretterez sans doute pas.

FESTIVAL DE BAYREUTH 2011: NOTE SUR LES DISTRIBUTIONS

Le Festival de Bayreuth (dont 2011 sera la 100ème édition) a publié dernièrement les distributions des opéras au programme: Tannhäuser, Lohengrin, Parsifal, Trsitan und Isolde, Meistersinger von Nürnberg. C’est une tradition à Bayreuth d’afficher peu de vedettes du chant. Le mode de rémunération, lié au rôle et pas à la notoriété, y est sans doute dans les dernières années pour quelque chose.
La tradition voulait que le prestige de chanter à Bayreuth puisse valoir bien des cachets. Les seules star “importées” ces dernières années  furent Jonas Kaufmann, pour une seule édition (2010) et une quinzaine d’années auparavant Placido Domingo, qui remporta il est vrai d’indescriptibles triomphes (dans Parsifal et dans la Walkyrie). Mais bien des stars d’aujourd’hui (Nina Stemme, Waltraud Meier, Deborah Polaski) furent des jeunes inconnu(e)s révélées par le Festival et bien des chanteurs déjà un peu connus furent révélés à Bayreuth et passèrent au rang de star, comme Simon Estes ou plus récemment Stephen Gould dont le Tannhäuser et le Siegfried  firent sensation.
Depuis plus d’une dizaine d’années, le Festival de Bayreuth peine à garder ses stars, ou à en trouver d’autres. Même Lance Ryan, le Siegfried actuel des scènes internationales, fut révélé par Valence ou même Karsruhe avant de le chanter par raccroc à Bayreuth.

Les distributions de Bayreuth sont souvent correctes, mais n’appellent pas de superlatifs, et sont malheureusement aussi souvent insuffisantes. Le temps des Hotter, des Nilsson ou des Windgassen semble révolu. Il est sûr que les choix vocaux du Festival sont souvent discutables et surprenants (Amanda Mace, vraiment hors de propos pour Eva des Meistersinger il y a quelques années en est un excellent exemple). Il y a là une vraie difficulté qui tient à la fois à l’image et au statut de ce festival, et à une tradition qui s’estompe. Cela tient aussi tout simplement à des choix vocaux erronés essentiellement fondés sur ce qu’on entend sur les scènes allemandes aujourd’hui sans vraiment mettre en couveuse de futures voix wagnériennes, comme pourrait être le “Werkstatt Bayreuth” (“atelier Bayreuth”) qui devrait plus qu’un autre faire émerger  voix, chefs et metteurs en scènes que les autres scènes s’arracheront ensuite…

Le paradoxe est qu’aujourd’hui, je l’ai écrit souvent, on peut distribuer assez correctement Wagner partout et qu’on entend des représentations vocalement exceptionnelles, sauf, excusez du peu, à Bayreuth où le niveau est une honnête moyenne, qui ne dépasse pas toujours ce que produit la moyenne des scènes allemandes, mais pas forcément la moyenne des  meilleures scènes allemandes. De plus, le Festival est incapable de retenir les vedettes qu’il a suscitées ou invitées: Jonas Kaufmann y fut la star le temps d’un été, Nina Stemme ne veut plus chanter à Bayreuth dans les conditions actuelles (trop de temps à attendre, obligation de séjourner, cachets insuffisants), Waltraud Meier claqua la porte en 2000.   Problèmes d’organisation? problèmes financiers? L’avenir le dira.  Mais ce n’est pas en tous cas ce qui retient le public car les salles sont toujours pleines, ce qui n’est pas un encouragement à changer de méthode de gestion…
L’autre paradoxe est qu’au pays de la “Gesamtkunstwerk”(l’oeuvre d’art totale), c’est exclusivement la mise en scène qui retient l’attention et non le chant ni même le chef. Que Kirill Petrenko soit le chef choisi pour le prochain Ring du bicentenaire en 2013 n’a pas agité les médias culturels. Ne parlons pas non plus des interrogations sur la distribution . Non, ce qui a agité le petit monde médiatique, c’est le choix du metteur en scène puis l’arrivée de Wim Wenders. Et Katharina Wagner est naturellement plus intéressée aux choix scéniques: on la dit à l’origine de l’appel à Christoph Schlingensief pour Parsifal ou à Christoph Marthaler pour Tristan. Eva Wagner Pasquier est plus intéressée à l’aspect musical des choses et elle a été à Aix, au Châtelet, et même à l’Opéra de Paris conseiller artistique. Elle est encore “Senior Artistic Advisor” au Metropolitan Opera de New York et elle est dit-on à l’origine de la distribution du Ring du MET. Le premier test important marquant son influence sera évidemment à Bayreuth le futur Ring.

L’expérience de Bayreuth est un passage obligé qui a beaucoup perdu en “symbolique” dans les vingt dernières années. On peut triompher dans le chant wagnérien sans jamais avoir chanté à Bayreuth (Bryn Terfel, Juha Uusitalo). Et l’expérience de Bayreuth peut être aussi trompeuse pour le spectateur car bien des chanteurs semblent ici exceptionnels dans une salle très favorable aux voix, et paraissent décevants ailleurs (je me souviens par exemple des Ortrud phénoménales d’Elisabeth Connell et de ses prestations moins impressionnantes dans des salles ordinaires).

Il en va ainsi des distributions de ce Festival 2011: nihil novi sub sole. Sauf accident, on reconduit les distributions d”une année sur l’autre, pour des problèmes techniques évidents. Les productions nouvelles bénéficient de temps de répétitions plus longs, mais les reprises sont très peu répétées (c’est le système du répertoire à l’allemande qui règne ici), ce dont se plaignent certains chefs d’ailleurs et depuis longtemps (Carlos Kleiber…). On a donc intérêt à garder les mêmes distributions parce qu’elles ont longuement répété lors de la première saison, même si on procède çà et là à des ajustements (ainsi du Sachs de la production actuelle des Meistersinger: James Rutherford est le troisième Sachs-bien pâle- après Alan Titus et Franz Hawlata). On reverra donc à peu près la même distribution des Meistersinger, sans grand éclat, à l’exception de Klaus Florian Vogt, qui succédera à Jonas Kaufmann dans Lohengrin, remplacé dans ces Meistersinger par Burckhard Fritz, mais toujours avec Adrian Eröd dans Beckmesser, chanteur d’une grande finesse et d’une réelle intelligence, même s’il ne fait pas oublier le Beckmesser de l’immense Michael Volle . Comment Bayreuth a-t-il laissé échapper ce chanteur? Mystère… Enfin, l’excellent Georg Zeppenfeld y reprend Veit Pogner et c’est une bonne nouvelle.

Lohengrin (Mise en scène Hans Neuenfels)toujours dirigé par Andris Nelsons sera donc chanté cette année par une distribution assez renouvelée: à commencer par Klaus Florian Vogt; son Lohengrin est déjà largement rôdé ailleurs (notamment à la Staatsoper de Berlin avec Barenboim et dans la mise en scène de Stefan Herheim) et l’on connaît la qualité de ce chanteur. Petra Lang remplace Evelyn Herlitzius dans Ortrud ( j’aime l’engagement de Herlitzius malgré ses quelques problèmes de justesse), mais petra Lang, vu son ortrud de Budapest, devrait faire crouler le théâtre. Lucio Gallo prévu l’an dernier dans Telramund et ayant abandonné le rôle en répétition, a été remplacé alors par Hans-Joachim Ketelsen, auquel succède cette année Tómas Tómasson, un baryton islandais(?) dont on commence à beaucoup parler et qui pourrait même être un Sachs. Pour le reste, même distribution que l’an dernier. Mais ce Lohengrin promet donc de sonner différemment.

Pour Tristan und Isolde (Mise en scène Christoph Marthaler), pas de changement: Robert Dean Smith reste le très bon Tristan des années passées, et Irène Theorin l’Isolde de référence, voix sonore, aigus triomphants, graves problématiques, mais un bel engagement scénique: la Suède fournit des Isolde et des Brünnhilde à foison et celle-là n’est pas la pire, mais elle ne fait pas oublier Nina Stemme  . Pour le reste, une bonne distribution avec notamment l’excellent Jukka Rasilainen en Kurwenal et Robert Holl en Marke.

Parsifal (Mise en scène: Stefan Herheim) change de Parsifal cette année puisque Simon O’Neill, qui avait remplacé l’an dernier Jonas Kaufmann souffrant dans Lohengrin, reprend le rôle donné jusque là à Christopher Ventris. Ce ténor m’a fait une excellente impression dans Siegmund à la Scala en décembre dernier. il devrait donc être un très bon Parsifal .Le reste de la distribution de change pas, et Susan Mclean chante  Kundry pour la seconde fois dans cette production, avec des résultats discutés l’an dernier: elle y succéda à Mihoko Fujimura dont ce n’était pas le meilleur rôle. J’aime beaucoup la direction de Daniele Gatti très discutée elle aussi, mais je crois qu’il a su travailler en osmose avec Stefan Herheim qui signe là une magnifique mise en scène (on garde en soi longtemps l’image finale bouleversante).

Enfin, le nouveau Tannhäuser dans la mise en scène de Sebastian Baumgarten devrait lancer la carrière internationale de ce metteur en scène né à Berlin Est quadragénaire, fils d’une famille liée au spectacle (mère chanteuse, grand-père directeur d’opéra), ex-assistant de Bob Wilson et de Ruth Berghaus qui a beaucoup travaillé au Stadttheatrer Kassel, à la Komische Oper, à la Volksbühne de Berlin et qui a produit de nombreux spectacles inspirés librement d’opéras ou de pièces musicales (Tosca, Oreste, Banditen, Mozart Requiem) qui a aussi travaillé autour de l’oeuvre de Lars von Trier et dont on a vu à Bobigny “Les mains sales”. Ce Tannhäuser est confié à  Thomas Hengelbrock, longtemps cantonné au répertoire baroque et XVIIIème siècle; ce chef intelligent, rigoureux devrait proposer une lecture intéressante.
La distribution a priori semble être prometteuse sans vraiment provoquer une formidable attente: Günther Groissböck est une basse de très haut niveau, qu’on a entendu à Paris dans Rheingold et Walkyrie et on se réjouit de l’entendre en Landgrave pour ses débuts à Bayreuth. Bien des chanteurs de cette distribution font leurs débuts à commencer par Lars Cleveman dans Tannhäuser que j’entendis à Londres dans Tristan avec Nina Stemme où il remplaçait (de manière plus que correcte) Ben Heppner souffrant: voir compte rendu dans ce blog en octobre 2009. Pur produit du chant scandinave, Lars Cleveman est un très solide chanteur, à l’émission élégante et à la voix claire et bien posée. Elisabeth sera Camilla Nylund. J’ai plus de doutes sur cette artiste qui ne m’a jamais vraiment impressionnée (je la vis dans Rusalka à Salzbourg, et dans Salomé à Paris-voir compte rendu dans ce blog en novembre 2009-, et ce fut à chaque fois décevant). Venus sera l’américaine Stephanie Friede (voir son site www.stephaniefriede.com ), un soprano dramatique qui chante tous les grands sopranos du répertoire avec un certain succès. Après avoir entendu Michael Volle dans Wolfram à Zürich, on se prend à rêver de l’entendre à Bayreuth. Wolfram sera l’élégant Michael Nagy, un jeune baryton spécialiste d’oratorio à l’émission claire, à la voix très contrôlée et à la technique remarquable et sa prestation devrait être intéressante. Au total, une distribution qui pourrait réserver de bonnes surprises.

Cette centième édition du festival, ne devrait pas provoquer de grosses polémiques, non plus que l’édition de l’an prochain avec un Vaisseau fantôme dirigé par Christian Thielemann (avec l’arrivée d’internet dans le système de réservation, révolution qui fait glousser tous les habitués du Festival): en fait tous les yeux sont tournés aujourd’hui vers 2013, qui sera le véritable départ de la nouvelle équipe.
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BAYREUTHER FESTSPIELE 2010: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG le 2 août 2010 (Sebastian WEIGLE – Katharina WAGNER)

 

020820102257.1281000874.jpgLe sort m’a attribué cette année non pas des billets pour le nouveau Lohengrin, dirigé par Andris Nelsons, mis en scène par Hans Neuenfels, avec Jonas Kaufmann, Annette Dasch, Evelyn Herlitzius et Hans Joachim Ketelsen remplaçant Lucio Gallo, mais pour les Meistersinger, avec un Hans Sachs nouveau, le jeune britannique James Rutherford. J’ai déjà écrit l’an dernier sur cette production : à la revoir, on l’apprécie de plus en plus. Elle pose directement la problématique de l’artiste et du social, et s’affiche comme ouvertement idéologique, refusant de s’intéresser à la relation Eva-Stolzing (s’intéressant d’ailleurs un peu plus à la relation Sachs-Eva) c’est-à-dire évitant de traiter les relations entre individus, mais traitant bien plutôt la situation artistique et idéologique.

Du point de vue théâtral, les scènes d’ensemble sont assez bien traitées, la « Festwiese » finale manquant peut-être de mouvement, mais la partie finale est une telle explosion d’idées diverses que l’on n’y prête pas trop attention.
On peut rappeler le concept : au départ Hans Sachs et Walther von Stolzing sont les non conformistes, Beckmesser étant un personnage totalement coincé, engoncé dans la tradition et le conformisme bourgeois. Sachs refuse les rituels des maîtres, marche pieds nus, lui le cordonnier, et Walther est une véritable « tête à claques » pendant presque les deux premiers actes dans leur ensemble. Tout bascule au final du second acte, sorte de happening général (avec allusion à la Campbell Soup de Warhol) qui confine à l’anarchie, Sachs et Walther réalisent qu’ils ne veulent pas voir l’art mener à ça : Walther commence à nettoyer les peintures qu’il a gribouillées. Beckmesser au contraire se décoince ! Et c’est tout l’enjeu du troisième acte que de voir comment Sachs et Walther se « normalisent » au point de devenir l’un une sorte d’Hitler (Sachs), l’autre (Walther) un médiocre promoteur de l’art officiel., pendant que Beckmesser se lance dans la
performance échevelée, et fuit devant cette normalisation artistique encadrée par Sachs.

kthrina.1281001402.jpgBeaucoup de huées pour la mise en scène à la fin. La nouveauté venait donc de ce jeune anglais, James Rutherford, succédant à Franz Hawlata (génial acteur, mais sans voix), puis à Alan Titus (voix vieillie et acteur peu à l’aise dans le personnage voulu par la mise en scène ). La performance n’est pas concluante. Il est visiblement lui aussi mal à l’aise avec ce que la mise en scène lui demande (notamment à la fin), et ne bouge pas vraiment avec bonheur. Le chant n’est pas vraiment tout à fait au rendez-vous. Non qu’il chantât mal, mais la voix est engorgée, opaque, sans vraie projection, ce qui gêne beaucoup notamment au premier acte et dans les longs monologues. L’absence de personnalité scénique et aussi sans doute de maturité rendent son chant complètement inexpressif. Le reste de la distribution est honorable, avec trois magnifiques prestations, 

– d’abord le Beckmesser d’ Adrian Eröd, en tous points remarquable: c’est lui qui, avec Klaus Florian Vogt, emporte tous les suffrages : expressivité, intelligence du jeu et du chant, voix claire, bien projetée, une vraie performance, alors qu’il m’avait moins impressionné l’an dernier. En tous cas, voilà un chanteur à ne pas manquer. eroed.1281001429.jpg

– ensuite, Klaus Florian Vogt est vraiment l’un des plus beaux Walther qui soient, la voix est saine, lumineuse, solaire, puissante et il compose un personnage délirant !

– enfin, David (Norbert Ernst) est excellent à tous égards, et remporte un triomphe mérité (décidément, nous sommes dans une années à ténors).

On reste plus réservé sur les prestations de chanteuses : Michaela Kaune est une Eva correcte, mais sans vraie poésie, Magdalene (Carola Guber) semble cette année avoir plus de difficulté, sons désagréables, voix inégale et peu homogène.

Le chœur dirigé par Eberhard Friedrich est éblouissant comme toujours, et l’orchestre dirigé par Sebastian Weigle, directeur musical à Francfort, reste comme l’an dernier un peu plat, sans mettre en exergue certains pupitres (les bois notamment). Même si tout cela sonne fort bien dans la salle, on reste avec l’ impression mitigée d’un travail très professionnel sans touche vraiment personnelle.

Il reste que la soirée a été bonne, et comme d’habitude, malgré les plaintes, les remarques acerbes, les critiques des productions, on n’a qu’une seule envie, c’est de revenir…

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FESTIVAL DE BAYREUTH : QUELQUES CONSIDERATIONS GÉNÉRALES

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Bayreuth est vraiment un festival particulier. En ce moment, il semble qu’il soit fait bien des efforts pour le « moderniser », avec un bonheur assez contrasté. En 2011, un nouveau système de réservation sera introduit, qui remplacera le traditionnel bulletin de commande envoyé par poste pour le 16 octobre. Le design des programmes a changé, on est passé d’élégants « Programmhefte » à un livre unique, puis on est revenu aux livrets individuels, par opéra, les ouvreuses vendant 1 Euro la distribution du soir. Le design des programmes est pour le moins banal et manque et d’originalité comme d’élégance. Nul doute que les cahiers programmes qui faisaient l’image du festival que j’ai connus des années 70 aux années 90 correspondaient plus à l’esprit du lieu: ils contenaient un article de fond traduit en trois langues qui souvent faisait ensuite référence (Chéreau, Boulez y ont écrit des textes importants). Aujourd’hui ils contiennent des extraits de grands textes de Wagner, ou de ceux dont il s’est inspiré, ou même des grands textes esthétiques qu’il a lui-même inspirés. Parallèlement, la nouvelle direction promeut des colloques scientifiques, (pourquoi pas ?) mais aussi des versions des opéras pour enfants, avec un très grand succès, voilà de bonnes initiatives qui amènent un peu de nouveauté.

Car l’un des caractères spécifiques du lieu est son côté immuable, si bien que tout changement se remarque et se commente : cela fait partie des gènes de ce Festival, puisque Cosima a longtemps veillé jalousement à ce que RIEN ne change. Le rituel est ainsi fait : on arrive généralement une heure avant le début, pour se promener, humer l’air du lieu et… trouver une place de parking pas trop éloignée. Le spectacle est annoncé par trois fanfares à 15min, 10min, 5 min du début, l’une des plus fameuses est la troisième fanfare annonçant le troisième acte du Crépuscule, très émouvante. Les entractes qui durent une heure permettent de se dégourdir les jambes (s’il ne pleut pas…) autour du théâtre (fermé pendant les entractes) et dans le parc, ou de se restaurer, ou simplement manger les traditionnelles saucisses (4,20€ tout de même cette année…), la charcuterie locale qui les produit a même fait une affiche assez terrible (Bayreuther Bratwürste !) qui semble être celle de l’étal d’un boucher.Chaque année un stand supplémentaire: Champagne, glaces, eaux minérales, café pour occuper les festivaliers, dont certain se restaurent soit au self, soit au restaurant qui prend réservation et commandes avant le début de l’opéra, pour permettre de servir dans les meilleures conditions en une heure d’entracte. Cette année, nouveau stand de vente des chocolats locaux, mais aussi bijoux, fichus, porcelaines et même statuettes.

vuegen1.1281006421.jpgLe théâtre est à mi hauteur d’une colline, à quelques encablures de la gare, entouré d’un parc, les parkings à flanc de colline sont à l’arrière (gratuits et gardés), et au sommet, à trois cents mètres, une institution, le « Bürgerreuth », jadis une “Gasthof ” traditionnelle et populaire à la terrasse de laquelle il faisait bon passer un moment, depuis le années 80 c’est un restaurant italien, chic et cher. Mon restaurant de référence à Bayreuth, c’est goldloewe.1281007071.jpgactuellement le « Goldener Löwe », très bonne table aux prix fort raisonnables et à l’accueil sympathique et discret. 

intfest4.1281006309.jpgLe public est comme il se doit, d’un âge certain, avec une élégance discutable et très diversifiée  mais qui  n’a rien à voir avec le tape à l’œil de Salzbourg. Bayreuth n’est pas un rendez-vous de la Jetset…6 heures d’opéra en restant coincé sur des sièges inconfortables en bois, dans une salle non climatisée (à déconseiller aux claustrophobes tant s’en échapper est difficile) ne sont pas favorables à la mondanité.

face1.1281006366.jpgComme chaque année, la chancelière Angela Merkel est dans la salle, mais pas dans la loge d’honneur, d’où un contrôle des billets légèrement renforcé et une présence sécuritaire discrète, mais rien de plus, même pas une voiture de police (quand on pense à ce que mobilise notre président à chacun de ses déplacements, cela laisse rêveur…). Et on la voit discuter volontiers avec les autres spectateurs qui l’abordent sans chichis.

face2.1281006383.jpgOn reconnaît les habitués, ceux que l’on a vus jeunes et fringants il y a trente ans, aujourd’hui un peu vieillis et installés. Même l’industriel du marché noir, qui eut en son temps l’honneur de sa photo devant la billetterie (WANTED !) s’est assagi même s’il continue de rôder avec paraît-il des offres à des prix astronomiques…

queue.1281007765.jpgphoto DPA (site du Spiegel qui a une belle galerie de photos de Bayreuth)

Il y a toujours la petite queue des gens cherchant des billets, ce qui est ici un sport pittoresque, beaucoup rivalisant d’originalité pour afficher leur recherche (dessins, objets, symboles). Le spectacle joue à guichet fermé : une dizaine de places à peine peuvent être disponibles à l’occasion de billets retournés aux caisses. J’ai vu une seule fois lors de mes 33 séjours à Bayreuth, une des caissières sortir sur le trottoir et proposer un billet (pour la dernière année du Vaisseau fantôme mis en scène par Harry Kupfer, magnifique spectacle à la durée de vie exceptionnelle à Bayreuth).

La ville elle-même est une cité du XVIIIème siècle avec quelques curiosités touristiques,d’abord

whnfrd3.1281006479.jpgla villa Wahnfried reconstruite en 1976 pour devenir un Musée Richard Wagner, whnfrd1.1281006456.jpgdans le jardin de laquelle sont enterrés Richard et Cosima (et leur chien), le Nouveau Château, construit au temps de Frédéric de Prusse pour sa sœur, la Markgräfin Wilhelmine, à qui l’on doit aussi le ravissant Eremitage, sorte de palais d’été.  Le plus beau monument de la ville est sans nul doute l’Opéra, construit au XVIIIème par Giuseppe Galli Bibiena, un des théâtres baroques les plus beaux et les mieux conservés au monde, qui vient de rater l’inscription au patrimoine mondial de l’humanité de l’UNESCO, ce qui est une grosse bêtise. Il reste que le temps pour le tourisme est limité, car les représentations commencent à 16h, pour finir aux alentours de 22h : toute la journée est donc dirigée vers la représentation du soir. On passe même le matin au festival, pour regarder les disques wagnériens sortis cette année, les offres spéciales, les livres en vente.

Au contraire de Salzbourg, la ville vit sa vie et le Festival vit la sienne, les deux mondes restent assez séparés, ce qui fait le désespoir des édiles locaux, qui aimeraient bien que Bayreuth profite plus de la manne festivalière. Mais l’un des avantages du lieu est justement cette séparation et cette relative discrétion du tourisme de masse: Wagner n’est pas Mozart, et en faire un produit marketing est beaucoup plus difficile (on envisage difficilement un chocolat Richard Wagner). D’autant que la ville n’est pas accessible facilement sauf en voiture; en train, il faut changer à Pegnitz, Nuremberg ou Würzburg et la ligne n’est même pas électrifiée. Et il y a bien un aérodrome, mais petit et réservé à l’aviation privée, à peine aux turbopropulseurs… Rien à voir donc avec Salzbourg là non plus. Cependant, la région est agréable (notamment la Suisse franconienne), les prix sont raisonnables, (on trouve de nombreuses pensions aux alentours, dans des cadres bucoliques et charmeurs, à 35 ou 40 € la nuit même en temps de Festival). En fait, il y a environ 2000 festivaliers, et quelques touristes, et changer la donne ne pourrait être que dommageable. On se demande d’ailleurs comment Bayreuth, cité charmante au demeurant, pourrait devenir une Mecque du tourisme de masse.

Une autre particularité de ce festival est aussi que, quelle que soit la qualité du spectacle, ce qui compte c’est d’être dedans (« drin sein »). La demande est 7 à 8 fois plus forte que l’offre. Bayreuth n’a pas besoin de marketing ou de publicité, et ne souffre même pas de la qualité discutable de certains spectacles, comme le Ring actuel. C’est quelquefois très mauvais, mais c’est quand même complet. Pendant longtemps, les prix ont été les plus raisonnables du marché festivalier. Cette année, ils ont fait un bon de 40%, déficit et pression sociale oblige : les personnels techniques, qui sacrifient leurs vacances pour venir à Bayreuth, menaçaient de faire grève le jour de la première, ce qui aurait été un scandale épouvantable. Ils ont attendu pour réagir que le vieux Wolfgang Wagner laisse la place à ses deux filles, Katharina (32 ans), fille d’un second lit, et Eva (environ 30 de plus), fille d’un premier. La succession fut le théâtre de conflits internes à la famille, puisque toute la famille de Wieland a été depuis longtemps écartée de toute responsabilité.

foyer2.1281006351.jpgBayreuth « joue » pendant un peu plus d’un mois, du 25 juillet au 28 août. Si les répétitions théâtrales commencent en juin, les répétitions musicales ont lieu globalement pendant les trois premières semaines de juillet, sachant que la dernière semaine est prise par les répétitions générales presque toutes publiques. Seule, la nouvelle production de l’année a droit à plus de temps de préparation. Mais c’est un an à l’avance que les choses sont fixées le plus souvent, notamment pour un nouveau Ring, ce qui signifie la charge immense de quatre nouvelles productions en même temps. Les musiciens et techniciens venus de tous les orchestres et de tous les théâtres allemands ont l’habitude de l’alternance serrée du système dit « de répertoire », ainsi les reprises des productions, longuement répétées au départ, ne donnent pas habituellement lieu à des répétitions approfondies, sauf si d’une année sur l’autre, une production doit être modifiée profondément (comme ce fut le cas pour le Ring de Chéreau entre 1976 et 1977). Certains chefs d’ailleurs s’en sont plaints (Kleiber lorsqu’il fit Tristan ou même Boulez) ou refusent de diriger à Bayreuth à cause du temps de répétitions trop contraint (cinq à sept productions à remonter en trois semaines de travail global): cela veut dire qu’il faut multiplier les scènes de répétitions, et actuellement un débat fait rage pour ajouter une scène supplémentaire qui coûterait 22 millions d’Euros. C’est qu’on répète à Bayreuth partout, y compris dans les espaces du self ou du restaurant et que le théâtre occupe à peine 20% des espaces de travail du Festival. Il faut évidemment repenser la philosophie et l’organisation, je l’ai déjà écrit, les conditions du marché de l’art lyrique sont différentes. On demandait aux artistes il y a trente ou cinquante ans de rester sur place et de se consacrer exclusivement au Festival, comme une troupe permanente, c’est devenu impossible aujourd’hui: Jonas Kaufmann, Lohengrin cette année, partage son temps entre Lucerne – pour le Fidelio dirigé par Abbado- et Bayreuth et le chef Andris Nelsons en profite pour une petite tournée avec son orchestre, le City of Birmingham Symphony Orchestra. Pas de Lohengrin donc entre le 6 et le 17 août, mais Kaufmann à Lucerne le 12 et le 15 août, Nelsons à Lucerne le 16 août, et tout ce petit monde se retrouvera à Bayreuth le 17 août… Voilà les agendas des artistes aujourd’hui, il faut en tenir compte pour « moderniser ». Or, moderniser sans perdre son âme, c’est le défi et du Festival et de la ville de Bayreuth.

 intfest3.1281006286.jpg    foyer1.1281006328.jpg  foyer2.1281006351.jpg

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BAYREUTHER FESTSPIELE 2009: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG (Ms en scène: Katharina WAGNER, Dir.Mus: Sebastian WEIGLE))

 

Je suis en train d’écouter un bel enregistrement de Die Meistersinger von Nürnberg dirigé en 1953 par Fritz Reiner au MET, le 11 janvier 1953 (4 CDs Walhall). Je suis toujours frappé par la qualité des interprétations de ce chef, respecté, mais qui n’est pas très connu du grand public (sauf peut-être pour sa Salomé avec Ljuba Welitsch), limpidité de l’orchestre, tempi très étudiés, en fonction du texte, attention visible à ce qui se passe sur scène, sens du lyrisme, avec des chanteurs qui ont pour nom Paul Schöffler, Victoria de Los Angeles, Josef Greindl, seul Hans Hopf en Walther ne me touche pas trop, comme toujours. Une magnifique soirée. J’ai acheté ce coffret pour la somme de 14,99 à Berlin, chez Dussmann, le paradis des mélomanes de tous poils, à côté duquel la FNAC fait figure de petite échoppe. Si vous allez à Berlin, il faut vous y précipiter, on peut même y fureter après une soirée à la Staatstoper, toute proche, puisque c’est ouvert jusqu’à minuit (Métro Friedrichstrasse).

Bon, je reviens à mes Maîtres: cette audition de Reiner m’a fait mettre en perspective une fois de plus, la production actuelle de Bayreuth de Katharina Wagner, moins horrible que certains ont pu le dire, mais à la direction musicale d’une fadeur désespérante. La cuvée 2009 du Festival, en demi-teinte, ne présentait aucune production nouvelle, et quelques modifications des productions existantes. En fait, l’attraction était la première année effective du tandem Katharina Wagner-Eva Wagner-Pasquier, demi-sœurs qui succèdent à leur père Wolfgang. Interviews, reportages des magazines musicaux et non, conférences de presse, mais aussi difficultés initiales avec menaces de grève des techniciens, événement incroyable et unique dans les annales. C’est que le Festival a vécu durant les années Wolfgang sur des principes et un fonctionnement héritant largement des années cinquante, qu’il faut aujourd’hui revoir complètement, tant au niveau économique qu’organisationnel et artistique. Cette redoutable tâche, les deux sœurs semblent l’assumer avec énergie, Katharina se consacrant plus sur la production et l’organisation, et Eva sur l’artistique. Premier objectif, le bicentenaire de 2013, année Wagner. En attendant, on a revu avec plaisir le Tristan mis en scène par Christoph Marthaler, même si l’Isolde de Irène Theorin crie un peu, le Parsifal très intelligent et dérangeant de Stefan Herheim (voir l’article dans ce blog), magnifiquement dirigé par Daniele Gatti, chanté par la même compagnie que l’an dernier, mais un peu fatiguée, et ces Meistersinger, qui après deux ans offraient rien moins qu’un nouveau Sachs (le vétéran Alan Titus) et un nouveau Beckmesser (le jeune Adrian Eröd). La mise en scène de Katharina Wagner a été légèrement modifiée selon l’habitude du neues Bayreuth, atelier de réflexion sur le théâtre de Wagner(« Werkstatt Bayreuth ») pour s’adapter aux nouveaux chanteurs, mais l’esprit en est toujours le même : il s’agit pour la première fois au Festspielhaus, d’évoquer le problème idéologique posé par l’œuvre, et notamment sa relation au nazisme. Pour ce faire, elle inverse la lecture traditionnelle : Sachs et Walther de marginaux au départ (dans cette lecture) deviennent conformistes, le discours final de Sachs étant même assimilé à un discours d’Hitler, avec ses tics et ses gestes, tandis que Beckmesser au contraire peu à peu devient le créatif, le marginal, celui qui trouve enfin son identité artistique. Ce travail, marque d’une réflexion intelligente, pêche par radicalité et manque de « musicalité », des moments musicaux marquants sont en effet gauchis par une mise en scène envahissante (final du II° acte, ou quintette du III° acte que les rires du public empêchent d’entendre). La direction de Sebastian Weigle manque de sensibilité, même si elle est un peu plus énergique que les années précédentes., mais tout cela reste d’une grande platitude. Quant aux chanteurs, Adrian Eröd, baryton élégant, excellent technicien, compose un Beckmesser dandy et maniéré, et c’est très réussi, mais la voix reste un peu légère, et la couleur un peu claire pour le rôle. Il ne fait pas oublier Michael Volle dont la composition alliait élégance et puissance. Paradoxalement, Alan Titus ne fait pas oublier non plus Franz Hawlata, alors que vocalement, il lui est supérieur. Mais Hawlata était le personnage exactement voulu par la mise en scène et sa composition restait impressionnante malgré un chant problématique . Titus est gauche, mal à l’aise dans le personnage, et son chant peu expressif et linéaire ne peut compenser l’absence de présence scénique : une très grosses déception. En revanche Klaus Florian Vogt est un magnifique Walther, pleinement convaincant, la voix qui s’est élargie est claire, l’émission parfaite, et le personnage totalement crédible. Micaela Kaune est une Eva honorable, sans être exceptionnelle, et Norbert Ernst un David solide face à une Magdalena honnête (Carola Guber). Mais, malgré les réserves, c’est toujours une fête d’entendre Die Meistersinger, que j’écoute et j’aime de plus en plus, peut-être est-ce l’oeuvre la plus complexe et la plus passionnante du Maître de Bayreuth, en tous cas elle a alimenté bonne partie du symphonisme de la fin du XIXème, Mahler en tête (dernier mouvement de la 5ème symphonie!).

BAYREUTH 2009
Die Meistersinger von Nürnberg
3 Août 2009

Hans Sachs, Schuster Alan Titus
Veit Pogner, Goldschmied
Artur Korn Kunz Vogelgesang, Kürschner Charles Reid Konrad Nachtigall, Spengler Rainer Zaun Sixtus Beckmesser, Stadtschreiber Adrian Eröd Fritz Kothner, Bäcker Markus Eiche Balthasar Zorn, Zinngießer Edward Randall Ulrich Eisslinger, Würzkrämer Timothy Oliver Augustin Moser, Schneider Florian Hoffmann Hermann Ortel, Seifensieder Martin Snell Hans Schwarz, Strumpfwirker Mario Klein Hans Foltz, Kupferschmied Diógenes Randes Walther von Stolzing Klaus Florian Vogt David, Sachsens Lehrbube Norbert Ernst Eva, Pogners Tochter Michaela Kaune Magdalene, Evas Amme Carola Guber Ein Nachtwächter Friedemann Röhlig

Direction musicale: Sebastian Weigle Mise en scène: Katharina Wagner Décor: Tilo SteffensCostumes: Michaela Barth
Tilo Steffens
Choeur:
Eberhard FriedrichLumières: Andreas Grüter