OPERAS EN EUROPE 2011-2012 (2): SPECTACLES A RETENIR – VIENNE & BERLIN

Se reporter aux commentaires spécifiques sur les saisons pour la Scala, Paris, Lyon.

Vienne, Berlin,  voici venir le moment des deux grandes capitales européennes de la musique d’opéra, 300 soirs à Vienne, trois opéras à Berlin, des titres variés, des standards certes, mais aussi bien des raretés. L’énorme offre berlinoise permet de diversifier les styles, les approches, les artistes, même si on voit mal se prolonger encore longtemps une situation d’une telle richesse. A Vienne, nous avons pour l’instant passé sous silence le Theater an der Wien, qui propose une programmation nouvelle correspondant à l’espace plus réduit et à un authentique théâtre du XVIIIème, et qui explore un répertoire différent de la Staatsoper, ni la Volksoper, qui n’a pas les mêmes choix esthétiques que la Komische Oper de Berlin, bien qu’elle ait la même fonction sociale et même si l’apport intellectuel de la  Komische Oper à l’histoire du théâtre est autrement plus riche (Se reporter aux sites respectifs).  Les productions du Theater an der Wien sont certes alléchantes, mais elles ne me sont pas apparues plus stimulantes que dans d’autres lieux similaires, c’est une programmation qu’on verrait bien à Aix en Provence par exemple.

VIENNE

Le Staatsoper de Vienne est un lieu un peu particulier. Un des hauts lieux de la grande tradition de l’Opéra, une institution d’une importance considérable dans le paysage autrichien, trois cents soirées du 1er septembre au 30 juin, un bal qui fait courir le monde, un vrai public de fans, capable de faire des jours et des jours de queue pour voir ses idoles (je fis trois jours pour Carmen avec Abbado, Baltsa, Carreras…)et un intendant, pour la première fois de son histoire, non issu de la sphère germanique, le français Dominique Meyer, germanophone, grand ami des Wiener Philharmoniker, qui a entrepris de faire bouger un peu les lignes dans cette vénérable institution et qui semble y réussir, tant à l’opéra qu’au ballet, introduisant le répertoire baroque (Armida avec Anja Harteros), le bel canto (l’an dernier Anna Bolena – Netrebko/Garanca- fit son entrée au répertoire) ou rafraichissant les productions maison vénérables et légendaires (cette année le Rosenkavalier de Otto Schenk).
Dans l’énorme quantité de titres (rien que dans les nouvelles productions ou les reprises qui ont été retravaillées, on compte 16 titres entre ballets et opéras)  au total une quarantaine  d’opéras différents, il est difficile de faire un choix clair, mais je vais signaler tout de même ce qui me fait très envie:

Don Carlo/Don Carlos: cette année, Vienne s’offre le luxe de présenter deux productions du chef d’oeuvre de Verdi, d’une part la version française dans la production désormais culte de Peter Konwitschny et une nouvelle production du Don Carlo italien montée par Daniele Abbado, fils de…On s’offrirait bien le luxe d’aller revoir l’une et découvrir l’autre.
Don Carlos, mise en scène Peter Kontwitschny, dir.mus. Bertrand de Billy avec Kwanchoul Youn (Philippe II), Ludovic Tézier (Rodrigue), Yonghoon Lee (Don Carlos), Adriane Pieczonka (Elisabeth), Béatrice Uria-Monzon (Eboli). Une distribution très honorable qui devrait produire un spectacle de haut niveau.

Don Carlo, mise en scène Daniele Abbado, dir.mus. Franz Welser-Möst, avec René Pape (Filippo II), Ramon Vargas (Don Carlo), Simon Keenlyside (Rodrigo), Luciana d’Intino (Eboli), Krassimira Stoyanova (Elisabetta). Inutile de dire qu’une fois de plus René Pape sera très attendu, comme à Munich ainsi que Simon Keenlyside, dont on connaît le magnifique Posa. Mais la distribution est moins excitante que celle de Munich (16-29 juin 2012)

Entre Zürich, Munich, Berlin, Vienne, beaucoup de Don Carlo(s) à voir cette année, et c’est heureux, avec des distributions assez variées, ce qui ne peut que réjouir.

Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny. C’est une des nouvelles productions de l’année qu’il faudra aller voir. L’oeuvre de Kurt Weill reste rarement représentée ( il y a eu récemment une belle production à Nantes) j’avais vu la représentation de Salzbourg en 1998, mise en scène Peter Zadek, dir.mus. Dennis Russell-Davies, dans les décors de Richard Peduzzi où Gwyneth Jones prêtait sa voix ruinée, mais fantastiquement ruinée pour le rôle à Leokadja Begbick, (avec aussi Catherine Malfitano et Jerry Hadley). En reproposant une forme “opéra”, Weill et Brecht posent à la fois la question de sa légitimité et celle de son public. Une oeuvre d’un immense intérêt et surtout tellement d’actualité! Dominique Meyer a composé une distribution stimulante (Christopher Ventris, Angelika Kirschlager, Elisabeth Kulman – Leokadja – , et le très bon Tomasz Konieczny) et fait appel à Jérôme Deschamps, peintre d’une société déjantée pour la mise en scène, le tout sera dirigé par Ingo Metzmacher, un maître pour ce type de répertoire. A VOIR ABSOLUMENT. (Du 24 janvier au 5 février 2012).

Parmi les spectacles viennois attirants, on peut aussi noter

Roberto Devereux, avec, comme à Munich, Edita Gruberova, cette fois-ci dirigée par Evelino Pido’, qui porte décidément à Vienne (et en France…) le bel canto, dans une mise en scène du roumain Silvio Purcarete , que les français connaissent bien, avec José Bros, et Nadia Krasteva (26 mai-10 juin)

Die Frau ohne Schatten, dirigée par Franz Welser-Möst, dont on connaît l’affinité pour Strauss, mise en scène de Robert Carsen, avec Adriane Pieczonka (Kaiserin), Robert Dean Smith (Kaiser), Evelyne Herlitzius (Färberin), Wolfgang Koch (Barak, der Färber), soit une belle distribution. Frau ohne Schatten est un de ces opéras qu’on aime à peine on commence à l’écouter et qui a laissé de sublimes interprétations (Rysanek, Nilsson, Böhm…) . (17-27 mars 2012).

Signalons au passage un Ring des Nibelungen unique du 1er au 13 novembre dirigé cette année par Christian Thielemann dans la mise en scène maison de Sven-Eric Bechtolf, avec une pléiade de grands chanteurs wagnériens, Albert Dohmen, Katharina Dalayman, Stephen Gould, Christopher Ventris, Waltraud Meier, Janina Baechle, Tomasz Konieczny…succès assuré même si je ne suis pas fan de Thielemann.

Signalons aussi un Faust, dir.mus: Alain Altinoglu, Mise en scène Nicoals Joel, avec Inva Mula..jusque là on est en terrain connu, mais aussi avec Jonas Kaufmann et l’excellent Adrian Eröd dans Valentin, Albert Dohmen étant Mephisto. Ce Faust devrait faire courir les foules.

Enfin, last but not least, j’ai un faible un très gros faible pour une reprise du Rosenkavalier dans la mise en scène de Otto Schenk, dirigé par Peter Schneider en décembre et par Jeffrey Tate en avril, avec en décembre, Anja Harteros, Chen Reiss, Kurt Rydl et Michaela Selinger et en avril Nina Stemme, Kurt Rydl, Elina garanca et Miah Persson, alternative difficile je crois que je choisirai(s) avril, le trio est vraiment un trio de choc! A NE PAS MANQUER.

Il y aurait bien d’autres choses à signaler: le beau Cardillac d’Hindemith dirigé par Welser Möst qui a triomphé l’an dernier (29 mars-4 avril), un Parsifal pascal dirigé par Thielemann avec Angela Denoke dans Kundry, une Clemenza di Tito avec Michael Schade et Elina Garanca, mise en scène Jürgen Flimm, direction Louis Langrée (17 mai-1er juin 2012) et la Traviata d’Aix (mise en scène Jean-François Sivadier) sans Dessay, mais avec Ermonela Jaho, et dirigée en mai par Bertrand de Billy (10-20 mai) et De la Maison des morts, de Janacek (11 décembre-30 décembre) dirigée par Franz Welser Möst dans une mise en scène de Peter Konwitschny et puis..et puis..et puis..promenez-vous (que dis-je..perdez-vous) dans le site de l’opéra de Vienne, vous resterez étonné de l’offre de ce théâtre “de répertoire” qui allie les avantages du répertoire et ceux de la stagione (notamment pour les distributions)… et puis c’est l’occasion d’aller voir et revoir les Klimt et les Schiele du Belvedere, et les Brueghel et les Archimboldo du Kunsthistorisches Museum, sans oublier le Café Landtmann, le Café Schwarzenberg (mon préféré), le café Mozart, le café Hawelka et le café Diglas (Wollzeile, derrière la Stephansdom, mon second préféré)…

 

BERLIN

Avec ses trois opéras, Staatsoper Unter den Linden, Deutsche Oper, Komische Oper, Berlin à elle seule peut justifier un long séjour lyrique, encore faut-il trouver la période qui permette de voir dans les trois établissements un spectacle qui en vaille la peine.

  • STAATSOPER UNTER DEN LINDEN

Comme son nom ne l’indique plus, la Staatsoper unter den Linden a déménagé à cause de très gros travaux de rénovation (surélévation de la scène notamment) pour trois à quatre ans au Schiller Theater, plus petit, situé presque en face de la Deutsche Oper, côté ouest, alors que la Staatsoper fut l’Opéra de Berlin Est avant la chute du mur. Le directeur artistique depuis vingt ans en est Daniel Barenboim, l’orchestre en fosse est la Staatskapelle Berlin. Daniel Barenboim étant aussi le directeur musical de la Scala, les liens entre ces deux théâtres se sont resserrés, ils ont notamment en commun le Ring de Guy Cassiers, et quelques distributions ou productions (Don Giovanni cette saison affiche dans les deux théâtres, pour deux productions différentes, bien des chanteurs communs). Un regard sur la riche programmation m’a permis de repérer deux reprises intéressantes :

    • Candide, de Leonard Bernstein, dir. mus. Wayne Marshall, mise en scène Vincent Boussard (costumes de Christian Lacroix). L’œuvre mérite d’être vue, elle est encore rare dans les théâtres, et cette production a une flatteuse réputation, la distribution comprend Maria Bengtsson dans Cunégonde et la grande Anja Silja dans the Old Lady. C’est en ce moment…du 1er au 15 novembre (à combiner avec le Don Carlo – encore-  du Deutsche Oper).
    • L’Etoile, de Chabrier, succès de l’an dernier, repris pour Noël (du 4 au 22 décembre) dans la mise en scène de Dale Düsing, et dirigé par Simon Rattle (qui est très bon dans ce type de répertoire) avec Jean-Paul Fouchécourt, Magdalena Kožená, Giovanni Furlanetto.

            On remarquera aussi dans les reprises le fameux Simon Boccanegra (mise en scène minable de Federico Tiezzi) avec Placido Domingo et Anja Harteros (cela vaut encore le voyage malgré tout), dirigé par Daniel Barenboim (26 au 31 mai 2012), un beau Tristan (Barenboim, avec Waltraud Meier), du 10 au 25 mars 2012, une Butterfly de pur répertoire, mais dirigée par…Andris Nelsons et avec la nouvelle coqueluche Kristina Opolais (6 au 13 mai), et pour les nostalgiques de Paris ou d’Aix, la magnifique Traviata mise en scène par Peter Mussbach (vous vous souvenez…Aix) avec la non moins magnifique Christine Schäfer (vous vous souvenez..Paris) dirigée par le jeune et talentueux Omar Meir Wellber entre le 27 novembre et le 17 décembre et une reprise les 29 juin et 1er juillet sans Christine Schäfer.

Dans les nouvelles productions, celle de De la Maison des morts (Chéreau) vient d’avoir un triomphal succès dirigée ici par Sir Simon Rattle, une autre devrait promettre :

Al gran sole carico d’amore, de Luigi Nono, œuvre revenue sur les scènes grâce à Salzbourg (c’est d’ailleurs la même production qu’on va revoir) avec au pupitre Ingo Metzmacher, qui ici aussi fera sans doute l’unanimité (Mise en scène Katie Mitchell) (entre le 1er et le 11 mars). A INSCRIRE SUR SES TABLETTES.

Dans les œuvres contemporaines, une autre coproduction avec Salzbourg, et avec Amsterdam, encore dirigée par Ingo Metzmacher :

Dionysos, de Wolfgang Rihm, dans une mise en scène de Pierre Audi du 8 au 15 Juillet 2012 dans le cadre de « Festival Infektion »…

Dans les autres « premières », il faut signaler quand même
Don Giovanni, dans la production salzbourgeoise très discutée de Claus Guth (un Don Giovanni blessé à mort par le Commandeur et qui vit le tout pour le tout dans ses dernières heures) avec Anna Netrebko, Christopher Maltman, Erwin Schrott, Dorothea Röschmann…(du 24 juin au 6 juillet).

Lulu, avec l’équipe du Wozzeck (Andrea Breth, Daniel Barenboim) et une distribution qui impose le respect : Mojka Erdmann dans Lulu, Deboreh Polaski dans Geschwitz, et Michael Volle dans Schön.. m’est avis que cela devrait valoir le voyage (31 mars-14 avril)

Orphée aux Enfers, d’Offenbach, dans une mise en scène du cinéaste Philipp Stölzl (Celui à l’on doit le Rienzi de la maison d’en face, le Deutsche Oper)  dirigée par Christoph Israel qui devrait là aussi décoiffer un peu.

Quelques productions pour les jeunes d’œuvres peu connues qui devraient stimuler l’intérêt des anciens :

–          Aschenputtel (Cendrillon) de Ermanno Wolf-Ferrari (du 5 au 29 décembre) chaque jour au Werkstatt (Atelier-Théâtre) du Schiller Theater

–          Moscou quartier des cerises, de Chostakovitch, que les lyonnais connaissent bien au Werkstatt (Atelier-Théâtre) du Schiller Theater tous les deux jours entre le 2 mai et le 17 mai prochains.

Enfin, le baroque et musique ancienne ne sont pas en reste, avec deux productions à noter :

Rappresentazione di anima e di corpo, de Emilio De Cavalieri, dirigé par René Jacobs et mis en image par Achim Freyer, avec Marie-Claude Chappuis, et l’Akademie für Alte Musik Berlin (8 juin-17 juin)

Il trionfo del corpo e del disinganno, dirigé par Marc Minkowski avec les Musiciens du Louvre, avec Delphine Galou et Charles Workman, dans une mise en scène de Jürgen Flimm (15 au 29 janvier 2012)

Comme on le voit, une programmation riche, qui couvre des directions et des répertoires, exigeante, fouillée, comme on en voit peu en France, complétée par l’offre un peu plus « grand public » (mais pas tant que ça) de la Deutsche Oper (mais il faut remplir une salle beaucoup plus vaste). Il faudra faire des choix. Je pense quand même que j’irai voir Al gran sole carico d’amore et Lulu.

 

 

 

 

  • DEUTSCHE OPER

Au milieu des 7 nouvelles productions (avec trois productions concertantes dues à des choix économiques) et de la trentaine de titres offerts par la Deutsche Oper, il va être encore difficile de faire des choix. On va finir par avoir envie de s’installer à Berlin ! Notons que la Deustche Oper vient d’offrir  une fois de plus l’inusable production du Ring des Nibelungen (ce mois de septembre dernier) de Götz Friedrich, qui régna sur cette maison, sous la direction du directeur musical actuel, Donald Runnicles, avec une distribution de bon niveau (Jennifer Wilson en Brünnhilde de Walküre, Stephen Gould en Siegfried, avec Torsten Kerl, avec aussi Robert Dean Smith en Siegmund.

Dans les reprises notons aussi

Rienzi, mise en scène Philipp Stölzl, dir.mus : Sebastian Lang-Lessing, avec Torsten Kerl en Rienzi et Manuela Uhl en Irene. J’ai rendu compte dans ce blog de cette très belle production et je ne saurais trop conseiller de faire le voyage : Rienzi est si rare.(20 au 30 avril)

Si vous êtes à Berlin pour Noël, ne pas manquer non plus la reprise de
Hänsel und Gretel, de Humperdinck, un des must de l’opéra allemand, dans une mise en scène de Andreas Homoki (un bon metteur en scène), dirigée par Garett Keast avec Jana Korukova/Julia Benziger et Anna Schoeck/Martina Welschenbach (23-27 décembre)

Parmi la longue liste des premières de la saison où l’on voit notamment la première berlinoise du Tancredi de Rossini (Dir.mus Alberto Zedda, mise en scène : Pierluigi Pizzi avec Patrizia Ciofi (du 22 janvier au 4 février), Patrizia Ciofi assurera (avec Joseph Calleja) aussi deux  représentations concertantes des Pêcheurs de perles de Bizet, direction Guillermo Garcia Calvo (les 19 et 22 décembre), ce qui est aussi une première berlinoise. On note aussi une Jenufa, un Lohengrin. J’ai noté aussi la nouvelle production de

Don Carlo mise en scène Marco Arturo Marelli (qui avait fait à Garnier le Don Carlos français et le Don Carlo italien dans les années 1980 sous l’ère Bogianckino.) dirigé par Donald Runnicles, avec Roberto Scandiuzzi en Filippo II et Anja Harteros (qui chante souvent au Deutsche Oper (je l’y ai entendue dans Traviata où elle fut pour moi inoubliable) Massimo Giordano en Carlo et Anna Smirnova dans Eboli…(du 23 octobre au 12 novembre, et du 8 au 14 avril avec d’autres chanteurs)

Mais c’est sur deux représentations concertantes d’un relief particulier que j’ai jeté mon dévolu :

Candide, de Leonard Bernstein, le 15 mars prochain en hommage à l’humoriste Loriot (Vicco von Bülow) mort en août dernier, dirigé par Donald Runnicles, avec notamment Toby Spence dans Candide et Grace Bumbry dans the Old Lady..Qui manquerait Grace Bumbry ??

Il Trovatore, de Verdi. J’ai dit qu’un Trovatore bien distribué était difficile à trouver aujourd’hui. Les 6 et 9 juin prochains au Deutsche Oper de Berlin, on pourra entendre en représentation concertante Stuart Neill qui est un bon ténor (mais est-ce un Manrico ?), mais surtout Anja Harteros en Leonora (enfin !!), l’excellent Dalibor Jenis en Luna, et la somptueuse Stephanie Blythe (la fabuleuse Fricka de New York) en Azucena, le tout dirigé par le très jeune chef italien Andrea Battistoni…J’espère que cela va palpiter, haleter et qu’on va enfin avoir un Trovatore digne de ce nom.

On l’aura compris, s’il y a un voyage à faire pour moi, c’est le samedi 9 juin pour Trovatore, pour écouter Harteros et Blythe, et découvrir Battistoni dont on parle tant.

 

  • KOMISCHE OPER

t voilà le troisième larron, le théâtre de Felsenstein, que Andreas Homoki va quitter pour Zürich. Pour faire exister son établissement (où tous les opéras sont donnés en allemand) entre les deux géants berlinois, il a tablé sur la nouveauté des mises en scène et sur la provocation. Si vous voulez voir cette année des mises en scènes de Hans Neuenfels, allez donc voir Traviata, si vous voulez, après le Tannhäuser de Bayreuth voir encore une production de Sebastian Baumgarten, vous pourrez voir Carmen dès la fin Novembre, et depuis octobre et jusqu’en janvier vous pourrez voir Im weissen Rößl (l’auberge du Cheval blanc, oui oui) toujours par Baumgarten. Vous pourrez aussi voir une nouvelle production de Homoki (La petite renarde rusée), de Calixto Bieito (Freischütz) et enfin de Stefan Herheim (Xerxès). Bref, c’est le théâtre à ne pas fréquenter pour ceux qui sont allergiques au Regietheater.
Pourtant on y voit souvent des spectacles intelligents et vifs dans des conditions musicales moyennes : quelquefois on voit à la Komische Oper les stars de demain, quelquefois celles d’hier, mais on fait aussi des découvertes (le chef Konrad Junghänel qui va diriger Xerxès que j’entendis dans Armide est vraiment excellent). Mon goût pour le théâtre allemand qui m’est souvent reproché fait que je vais sans doute faire le voyage pour Carmen et L’auberge du cheval blanc : je veux comprendre la manière dont travaille Baumgarten, Le Freischütz de Calixto Bieito, qui va être dirigé par Patrick Lange le directeur musical du théâtre m’attire également. Et inutile de dire que je vais me précipiter au Xerxès de Haendel, mis en scène par Stefan Herheim vu mon admiration pour ce metteur en scène et mon intérêt pour le chef Konrad Junghänel.

Aussi proposerais-je la sélection suivante, destinée aux curieux, aux fous furieux, aux inconscients et aux masos.

Carmen, de Bizet, mise en scène Sebastian Baumgarten, dir.mus. Stefan Blunier, avec Stella Doufexis en Carmen (du 27 novembre au 27 janvier et le 4 juillet)

Im weissen Rößl, [L’auberge du cheval blanc] de Benatzky, mise en scène Sebastian Baumgarten, dir.mus Koen Schoots/Peter Christian Feigel (6 nov-15 janv)

Der Freischütz, de Weber, mise en scène Calixto Bieito, dir.mus Patrick Lange avec Günter Papendell, Bettina Jensen, Dmitry Golovnin (depuis le 29 janvier, en fév., mars, avril, jusqu’au 6 juillet)

Xerxès, de Haendel, mise en scène Stefan Herheim, dir.mus Konrad Junghänel à partir du 13 mai et jusqu’au 5 juillet, avec Stella Doufexis.

On remarque aussi dans les nouvelles productions
Le cheval de bronze [das bronzene Pferd], d’Auber, livret de Eugène Scribe dans une mise en scène de Frank Hilbrich, dirigé par Maurizio Barbacini. Auber est si rare dans nos contrées que cela vaut aussi le voyage d’aller voir cette production, qui court du 11 mars au 3 juillet.

Enfin lst but not least, un peu de Hans Neuenfels ne peut faire mal à la santé et donc pour les irréductibles, la reprise de
Traviata, mise en scène Hans Neuenfels, dir.mus.Patrick Lange, du 14 janvier au 14 février (mais surtout en janvier !)

Pour ma part, Xerxès, bien sûr, mais aussi Carmen,  l’Auberge du cheval blanc et sans doute Freischütz. Le système de répertoire permet néanmoins d’étaler ses projets sur plusieurs années, les productions étant reprises régulièrement.

 

Comme on le voit, à Berlin, on a tous les choix, tous les styles, tous les répertoires, la tête tourne devant cette offre à la limite excessive – est-ce que les restrictions économiques le permettront longtemps ?  En tous cas pour l’instant,  pas de quoi s’ennuyer, mais l’exercice est délicat qui consiste à concentrer en peu de temps des spectacles qui valent le déplacement.

 

 

 

A suivre.. Londres, New York, Florence, Rome

La chute du Mur de Berlin…la musique comme “Passe Muraille”

S’il ya un domaine où la différence entre République Fédérale Allemande et République Démocratique Allemande (la DDR) n’est pas si profonde, c’est bien la musique classique et la scène musicale, et les observations faites au moment de la chute du mur, le rôle joué par la musique, les organisations d’un côté et de l’autre du mur montrent qu’au-delà des différences idéologiques, évidemment énormes, les différences du point de vue de l’organisation des théâtres à l’Est et à l’Ouest ne sont pas si importantes. En ces temps d’anniversaire, il m’apparaît intéressant de rappeler quelques faits.

La musique et le théâtre, la scène, sont des éléments importants de la formation “à l’Allemande”: depuis longtemps les universités forment en “Theaterwissenschaft” des étudiants qui deviennent ensuite critiques ou metteurs en scène, des académies préparent les acteurs, il y a de vrais cursus universitaires partout, et bien avant que le concept d'”études théâtrales” arrive dans l’université française. Il y a entre 250 et 300 théâtres en Allemagne, recensés dans le fameux “Deutsche Bühnen Jahrbuch”, le répertoire annuel des scènes allemandes,dont la plupart, dans une écrasante majorité, sont publiques, supportées essentiellement par les villes ou les Länder (le théâtre engloutit en général l’essentiel des budgets culturels des municipalités) et ces salles jouent des centaines de soirées par an, opéra, opérette, ballet, théâtre. Dans les villes petites ou moyennes, le théâtre municipal (Stadttheater) propose à la fois lyrique, ballet et théâtre. Dans les villes plus importantes, il y a un opéra, et un théâtre municipal, quelquefois, comme à Mannheim ou à Karlsruhe, deux salles dans le même bâtiment. Cela signifie que la proposition en matière d’opéra est beaucoup plus forte et ouverte qu’ailleurs en Europe, et que le marché des chanteurs y est très large. Cela veut dire aussi que si l’on ne peut s’attendre partout à des soirées mémorables, au moins, chaque allemand (et notamment chaque jeune) pour un prix raisonnable peut en n’importe quel point du territoire, avoir accès à l’essentiel des grands standards du répertoire à 30 km à la ronde (qui habite Mannheim, outre Mannheim, peut aller à Heidelberg (13km), Ludwigshafen (2km), Darmstadt (50 km), Francfort (80 km), Stuttgart (120 km), Pforzheim (80km), Karlsruhe (58km) ou même Baden Baden (90km) ou Strasbourg (130km). cela veut dire enfin que les troupes locales sont très enracinées, que les spectateurs sont très attachés à leurs acteurs, leurs chanteurs, leurs théâtres. Ce système du répertoire, très coûteux certes,  permet aux jeunes chefs, aux jeunes chanteurs, de travailler un répertoire large en ayant l’assurance d’un salaire mensuel (la plupart des artistes en troupe ont un statut qui s’approche de celui de fonctionnaire municipal). La même chose vaut pour les acteurs. Et ce système permet  au jeune public de se faire une vraie culture par le contact non avec le disque mais avec le spectacle vivant et ça, c’est irremplaçable. La tradition allemande est celle d’un théâtre public, vécu comme un service public, qui n’est pas un luxe, mais une nécessité sociale. La chute du mur a donné l’occasion de réfléchir sur ce système, beaucoup ont pensé qu’il ne tiendrait plus longtemps vu ses coûts, on discute toujours (notamment à Berlin!) de l’avenir des théâtres, mais pour l’instant, les choses tiennent encore, car toute fermeture de théâtre est vécue comme une blessure, à Berlin comme ailleurs en Allemagne.

Pourquoi préciser tous ces points, sinon pour dire qu’en DDR, oui dans l’ex-DDR et en République Fédérale, le système était à peu près le même, et que sur le plan du théâtre et de l’opéra, la réunification n’a rien changé à son fonctionnement, même si elle a changé les hommes, évidemment (mais pas toujours) et même si le théâtre à l’Est a beaucoup, mais beaucoup souffert dans les nouveaux Länder, de la réunification au départ. Je me souviens y avoir fait un voyage d’études en 1992, et tous les directeurs rencontrés disaient qu’il y avait une chute du public énorme, qui menaçait le maillage culturel de l’ex-DDR. En effet, il y avait un très grand nombre de salles, le public des salles sous le régime communiste était garanti par les usines environnantes qui achetaient des abonnements. Or, vers 1992, les entreprises fermaient les unes après les autres, provoquant chômage et désarroi, et bien sûr, plus d’abonnements de garantie pour les théâtres, d’autant que le public disait-on était plus intéressé par les feuilletons ou les émissions de la télévision que par les théâtres, qui rappelaient la période communiste: il a donc fallu revoir les politiques publiques, fermer des salles; mais, 20 ans après, les choses sont stabilisées. Un seul exemple: je me souviens à l’époque avoir visité le très charmant théâtre de Altenburg, en Thüringe. Il était dans une situation désespérée: je suis allé voir son site internet…je ne commente pas, je vous y renvoie, vous constaterez vous-mêmes ce qu’une petite structure de l’ex-Allemagne de l’Est peut produire aujourd’hui !(http://www.tpthueringen.de/frontend/index.php).
Parlons de Berlin: pour des raisons à la fois politiques et géographiques, c’est l’ex-DDR qui avait sur le territoire de l’ex-Berlin Est toutes les grandes scènes historiques de la ville, à commencer par la Staatsoper, le Deutsches Theater, et le Berliner Ensemble, mais aussi la Komische Oper (le théâtre de Felsenstein) et la Volskbühne am Rosa Luxemburgplatz. Car tout le quartier du centre (Mitte) se situait à Berlin Est. De facto dépositaire de la tradition historique théâtrale et lyrique, la DDR s’en est évidemment emparée pour redorer son blason et montrer qu’en matière d’identité culturelle allemande, elle n’avait pas de leçons à recevoir. D’ailleurs ses artistes (Theo Adam, Peter Schreier) essaimaient les scènes …de l’ouest et les enregistrements de l’époque pour les mêmes raisons, et ses orchestres (Gewandhaus de Leipzig et Staatskapelle de Dresde) continuaient d’être ce qu’ils sont encore, des orchestres de référence!  (Mais il ne fallait pas trop être révolutionnaire, bien des jeunes metteurs en scène (Frank Castorf) vont être sanctionnés par le régime)

Je me souviens d’une tournée triomphale du Staatsoper de Berlin Est, au théâtre des Champs Elysées, qui présenta une Walkyrie bien sage au demeurant mais magnifiquement chantée, avec Theo Adam dans Wotan, début avril 1973. La musique de Berlin Est était alors une vraie référence. Cette situation aboutit bien sûr au trop plein  berlinois d’aujourd’hui: trois opéras et trop d’orchestres et de grandes institutions théâtrales publiques coûtent très cher à Berlin aux finances chancelantes. Mais voilà, on ne ferme pas un théâtre si facilement à Berlin et en Allemagne, surtout là où chacun porte en lui une marque historique profonde. Ironie de l’histoire, la Staatsoper Unter den Linden ferme pour trois ans à la fin de la présente saison. Elle va s’installer à l’ouest, au Schiller Theater, à quelques centaines de mètres et dans la même avenue que son grand rival, la Deutsche Oper (l’opéra de l’ex Berlin Ouest). Pendant trois ans, l’Opéra à Berlin sera à Charlottenburg, et l’on passera d’un trottoir à l’autre pour goûter à l’un (Opéra de l’ex Berlin Est) ou à l’autre (Opéra de l’ex Berlin Ouest) , au style de programmation assez différent. Quant à la Komische Oper, marquée par la tradition à la fois de l’opéra populaire (tous les opéras sont donnés en allemand), et celle de la mise en scène (Felsenstein est passé par là), elle se spécialise de plus en plus dans des mise en scènes un peu particulières (Calixto Bieito par exemple), sous l’impulsion de Andreas Homoki, son directeur, qui part à Zürich dans deux ans. C’est l’avenir de cette salle (l’ex Est) qui pose le plus de problèmes.

Mais l’Est théâtral a depuis longtemps irrigué l’Ouest: bien des metteurs en scènes fameux des années passées sont des transfuges de l’Est, à commencer par Götz Friedrich,  décédé il y a quelques années, qui fut le premier metteur en scène “new look” de Bayreuth (avec son Tannhäuser), et qui ironie là aussi, fut longtemps directeur de la Deutsche Oper (de l’Ouest), Harry Kupfer, à qui l’on doit à Bayreuth un Ring et un mémorable Vaisseau Fantôme, à Berlin un autre Ring, fut lui aussi un hiérarque du théâtre à l’Est puisqu’il dirigea la Komische Oper à la fin des années 70:  il resta quant à lui à l’Est. Parlons aussi de Ruth Berghaus, dont les mises en scènes ensanglantèrent bien des opéras allemands ou autrichiens. Enfin, Frank Castorf, l’un des plus brillants metteurs en scène d’aujourd’hui, qui dirige la Volksbühne de Berlin a fait mettre au fronton du théâtre en lettres lumineuses “OST” (EST), revendiquant une identité culturelle marquée, et désireuse de s’identifier comme “Ossie” (venant de l’est, en langage populaire).
On le voit, la pénétration de l’Est dans le monde de l’Ouest a commencé bien avant la chute du mur, et cette chute au total a posé peut-être plus de problèmes aux artistes locaux, puisque Berlin a été l’objet de convoitises multiples!

Dernier point, si Barenboim dirige depuis bientôt vingt ans la Staatsoper de Berlin, ce n’est pas un hasard, l’artiste, très engagé par ailleurs, trouve sans doute symbolique d’être installé dans le théâtre historique de la capitale allemande, lui l’israélien d’origine argentine, qui défend la cause palestinienne et fonde un orchestre de jeunes qui justement transperce transcende ou ignore les Murs: l’ouverture et la disponibilité qui sont des caractères de cette ville vont bien à sa personnalité. Ce n’est pas un hasard non plus que l’année même de la chute du Mur, les Berliner Philhamoniker aient choisi à la surprise générale et de l’élu lui même Claudio Abbado pour mener leur révolution post Karajanesque! Ce n’est pas un hasard si Rostropovitch, ou Bernstein, se soient retrouvés au pied du Mur pour de mémorables concerts, ils ont porté les uns ou les autres le message social et politique de la musique. Et ce n’est pas non plus un hasard enfin, bien qu’on ne l’ait pas assez rappelé ces derniers jours que les premières grandes manifestations de Leipzig, qui allaient d’exporter à Berlin et provoquer la fin du régime, aient été portées par l’orchestre du Gewandhaus et de son chef Kurt Masur, qui a rencontré l’histoire à cette occasion!

Il y a bien des choses à rappeler sur les moments musicaux de cette période, sur les échanges Est/Ouest, sur le nouveau paysage musical et artistique des “nouveaux Länder” et de Berlin mais il n’y a pas eu rupture, il y a eu élargissement, remise en cause, changements de personnes, enjeux d’ambitions personnelles fortes, mais autour d’idéaux et de croyances qui étaient assez communes, et qui avaient déjà transcendé les murs et les frontières: la musique passe les murailles!