XLIIIème CONCOURS INTERNATIONAL DE CHANT TOTI DAL MONTE, TREVISE, 24-29 JUIN 2013

Le livre anniversaire du concours

Le concours Toti dal Monte à Trévise est l’un des plus anciens concours de chant italiens. Fondé par la soprano originaire de Trévise Toti dal Monte en 1969, très fameuse interprète, notamment de Madama Butterfly, il avait alors l’originalité (il a été bien imité depuis) d’attribuer des rôles pour une production du Teatro Comunale di Treviso (aujourd’hui Teatro Comunale di Treviso « Mario del Monaco »). Il ne s’agit donc pas de primer la plus belle voix, mais la mieux adaptée au rôle proposé. Le jury était cette année composé de Evguenia Dundekova, mezzo soprano et enseignante de chant, Vincenzo Scalera, fameux accompagnateur et chef de chant, attaché à l’Accademia della Scala, Claude Thiolas, enseignant (français) de chant installé depuis longtemps à Trévise, Gianni Tangucci, Directeur artistique de la fondation Pergolesi-Spontini de Jesi (près d’Ancone) et consultant du Mai musical florentin, Gabriele Gandini, Directeur artistique de Teatri Spa, qui gère entre autres le Théâtre de Trévise, Gianfranco Gagliardi, Président du Conseil d’administration de Teatri Spa, XX, directeur artistique du Teatro Comunale di Ferrara, Stephen Hastings, directeur de la revue italienne MUSICA et présidé cette année par Guy Cherqui, collaborateur de la revue musicale AMADEUS de Milan.
L’opéra mis au concours était cette année La Bohème de Puccini, pour la troisième fois de l’histoire du concours (dédié cette année à Alida Ferrarini, décédée pendant les épreuves, qui avait été la lauréate pour le rôle de Mimi au concours 1974), puisque La Bohème a été proposée en 1974 (outre Alida Ferrarini, parmi les vainqueurs, Paolo Barbacini , Garbis Boyagian, Max-René Cosotti et Alessandro Corbelli) et en 1984 (vainqueurs Fiamma Izzo d’Amico, Lucietta Bizzi et Roberto Servile).
Le nombre de candidats cette année particulièrement élevé (environ 150) a nécessité un écrémage important pendant les premières éliminatoires. Le concours est organisé en premières éliminatoires pendant lesquelles les candidats doivent présenter un air à leur convenance non lié à l’opéra mis au concours et en secondes éliminatoires où les candidats présentent, un air à leur convenance ou un air extrait de l’opéra (le choix étant fait par la commission), puis en demi-finale où les candidats encore en lice présentent les ensembles de l’opéra mis au concours et quelques airs, et une finale où deux distributions ou trois exécutent la plupart des airs et ensembles de l’opéra.
Ce qui a frappé le jury pendant les éliminatoires, c’est que les candidats ont souvent présenté des airs qui stylistiquement n’ont rien à voir avec l’époque ou le style de l’opéra mis au concours : cette année, de nombreux sopranos ont proposé de longs airs de bel canto (Anna Bolena, Lucia di Lammermoor par exemple) aux difficultés notables, mais aidant peu à comprendre si derrière une Lucia se cachait une Mimi. Pour une fois en revanche la commission s’est réjouie d’avoir à écouter une petite vingtaine de ténors, mais malheureusement beaucoup (7 à 8) ne se sont pas présentés ou ont renoncé en cours d’épreuve. Quelques-uns se sont présentés sur deux rôles (Mimi/Musetta ou Schaunard/Marcello avec des fortunes diverses.
À cause des nombreuses demi-finalistes pour Mimi et Musetta, la commission a dû procéder à une sélection ultérieure, pour déterminer qui des demi-finalistes pour ces deux rôles continuerait à se faire entendre dans les ensembles.
Il faut souligner qu’après les secondes éliminatoires, le niveau moyen des chanteurs était dans l’ensemble assez solide, et les épreuves finales ont permis d’entendre des distributions homogènes, d’un niveau très honorable, qui laisse espérer aux représentations de la Bohème (9 au total à Trévise, Ferrare, Jesi, Bolzano)  un joli succès.
Les chanteurs sélectionnés auront droit, avant les représentations, à une semaine de stage de préparation de chant, dirigé par Evguenia Dundekova, auxquels s’adjoindront ceux qui ont été distingués par une bourse d’études d’un montant de 500, 600, 1000€.
Même si tout au long de la semaine, la commission a eu le temps de se faire une idée précise de la distribution finale et que le choix définitif n’a pas donné lieu à des débats homériques, il reste que même départagés, les finalistes avaient des qualités qui aurait pu permettre de construire deux distributions, aux couleurs différentes, mais ce n’est pas conforme au règlement du concours, refusant les ex-aequo, et ne permettant de primer qu’une seule distribution.
Deux Mimi se disputaient le rôle, l’italienne Chiara Margarito et la sud-africaine Nozuko Teto. Deux voix et deux personnalités radicalement différentes. Chiara Margarito, avec quelques défauts de justesse, avait pour elle une très belle personnalité, fragile, distillant l’émotion, tandis que Nozuko Teto montrait une maîtrise technique,  une solidité musicale, une homogénéité vocale et une maturité telles qu’elle a emporté le rôle. Si elle continue sur cette lancée, et si elle continue à travailler, cette jeune chanteuse est une graine de soprano lirico spinto pour Verdi : la voix est large, les passages à l’aigu faciles, l’appui solide, et la personnalité scénique affirmée. Chacun des airs présentés au long du concours a été vraiment réussi.
La discussion a été plus animée pour le choix des ténors : au bout du compte, deux ténors se sont retrouvés en finale, avec chacun autant de qualités que de défauts. L’un, l’argentin Pablo Karaman, a séduit la commission par la musicalité, par la technique, la qualité du timbre, l’interprétation mûre et une réelle émotion (3ème acte), mais la voix était trop petite pour le rôle et surtout pour l’orchestration puccinienne et déjà elle disparaissait dans les ensembles. La commission a donc choisi l’italien Matteo Lippi, à la voix mieux adaptée au rôle, malgré des défauts dans les notes plus graves et une fâcheuse tendance à la nasalisation, et malgré un manque de tenue de scène. Mais elle a estimé que ces défauts pouvaient être corrigés lors de la préparation et qu’en tous cas la qualité et la tenue des aigus très bien placés, très bien projetés, et sans aucun des défauts remarqués dans les registres plus graves, ainsi que la projection générale de la voix (notable dans les ensembles) permettaient de le déclarer vainqueur. Il reste qu’aucun des deux n’était totalement convaincant, mais que le niveau des deux artistes ne justifiait pas la non-attribution du rôle (dans ce cas, la direction artistique recherche un chanteur « sur le marché » comme on dit).
Une autre discussion a marqué le rôle de Musetta, disputé entre trois jeunes artistes aux qualités diverses, mais équivalentes, la japonaise Erika Tanaka, aux grandes qualités techniques, à la voix puissante, aux aigus faciles, mais un peu agressive dans l’expression, et un peu verte encore, la russe Alla Molchanova, à la maîtrise technique affirmée, à l’élégance notable, déjà en carrière en Israël où elle va interpréter Musetta avec Daniel Oren, mais manquant un peu de cette fraîcheur qu’on aime chez Musetta et c’est la troisième, l’arménienne Buzan Mantashian, alliant les qualités des deux précédentes, agrément, technique, fraîcheur et facilité dans l’aigu, qui a remporté la finale.
Pour Marcello, encore trois candidats chacun très différents et chacun pouvant prétendre au rôle, le jeune italien Matteo Ascenzi, 23 ans, encore un peu rêche dans le style, mais engagé, au timbre agréable, à la jeunesse séduisante, l’italien Sergio Vitale, un peu plus âgé, qui après avoir été en troupe à Berlin, revient se réinsérer dans le circuit italien : il a la voix, les qualités déliées de qui a déjà fait de la scène, mais par rapport aux autres un peu trop « professionnel » et risquant de détoner. Enfin, le jeune coréen (24 ans) Byong Ick Cho, qui malgré une certaine inexpérience scénique, présente d’incontestables qualités vocales, volume important, timbre velouté, engagement, présence dans les ensembles. C’est lui que la commission a fini par choisir. Cette nouvelle génération de chanteurs coréens est vraiment mieux préparée, moins scolaire et plus engagée que les premiers venus étudier en Italie, il y a quelques années.
Entre les deux Colline, beaucoup de différence également, couleur, personnalité, structure vocale. Le jeune arménien Vahan Harutyunyan (25 ans) a la musicalité, le style, la technique : il a beaucoup séduit la commission durant les éliminatoires par l’intelligence du chant. Mais la voix est très claire, trop claire pour Colline, elle disparaît dans les ensembles jusqu’à l’inexistence (gênant au troisième acte notamment) et nous avons affaire plutôt à un baryton-basse, voire peut-être un baryton selon certains des collègues de commission. Il ne peut en tous cas convenir à Colline pour la composition d’une distribution de Bohème : c’est un vainqueur possible d’un concours purement vocal, mais sans doute pas pour un concours offrant une distribution pour La Bohème
Nous avons donc choisi Francesco Milanese, 33 ans, moins styliste, moins musical, mais plus présent, plus affirmé, une vraie voix de basse qui conviendra à Colline et notamment à la « Vecchia zimarra » qui constitue le cheval de bataille du rôle.
Restaient les Schaunard, avec un choix entre deux italiens, Filippo Fontana, très à l’aise en scène, avec quelques tics professionnels déjà, à la voix affirmée, mais en même temps une tendance à chanter toujours sur le même mode, et Paolo Ingrasciotta, 26 ans, au timbre plus élégant, plus juvénile, plus cohérent avec les choix effectués précédemment. Il est clair que le Schaunard d’Ingrasciotta correspond mieux au Marcello de Cho, alors que celui de Fontana est plus adapté au Marcello de Vitale. Tout cela sera vérifié début octobre, lors des premières représentations, à Trévise, à partir les 2, 4, 6 octobre prochains.
Car le « Toti dal Monte » est vraiment le symbole (« il fiore all’occhiello ») du Teatro Comunale di Treviso, lui aussi secoué par la crise économique. Porté par Teatri Spa, une structure qui dépend de la Fondazione Cassamarca (la fondation de la banque locale, qui a financé tant de transformations de la ville de Trévise), il est Teatro di Tradizione, et à ce titre reçoit aussi des financements publics. Mais ses financements sont très tendus : c’est le théâtre du Veneto le plus important après la Fenice de Venise et la Fondazione Arena di Verona, il a été récemment restauré, consolidé, réaménagé. Il serait profondément dommage que son activité soit interrompue. Or, ce concours lui donne sa couleur, et sa couleur, c’est la jeunesse. Ce fut longtemps, sous l’impulsion du grand chef Peter Maag et de l’immense Regina Resnik, un centre d’insertion pour jeunes chanteurs et musiciens « La Bottega ». Il faudrait retrouver à travers des mécanismes européens, à travers un peu d’imagination aussi, cet esprit-là. Car s’il y a de nombreuses structures de formation en Italie et quelques structures d’insertion (Comme l’AsLiCo en Lombardie ou celle du Teatro Sperimentale de Spoleto), il n’y a pas vraiment de structure de production dédiée exclusivement aux jeunes appuyée sur des lieux idoines: il y a à Trévise le magnifique théâtre où a lieu le concours, un théâtre plus réduit, pour des petites formes, et un théâtre studio pour des expériences de musique d’aujourd’hui. Rares sont les villes moyennes en Italie avec tant de structures qui n’attendent que les initiatives pour vivre ou revivre. Le Veneto qui est l’une des régions les plus riches d’Europe est au contraire une région assez pauvre en initiatives culturelles fortes (Venise et Vérone mises à part) en scènes musicales et en saisons musicales complètes, avec pourtant des foyers possibles comme Asolo, Conegliano, Bassano, Vicenza, Castelfranco Veneto – et son merveilleux mini-théâtre-), Trévise pourrait être une structure de production irriguant toute la région et la faisant vraiment renaître culturellement (car actuellement Venise aspire et assèche beaucoup d’initiatives) et en attirant des jeunes de tous pays, pourrait bénéficier de financements européens. Malheureusement, les débats clochemerlesques, les clans, les oppositions politiques sont souvent en Italie des obstacles difficilement surmontables ; l’Italie est un pays d’initiatives individuelles souvent originales et il a besoin d’idées fraîches, il serait tellement stimulant de rebondir ici sur une telle aventure. C’est un futur possible pour mettre ce concours au centre d’un système !

Enfin, ce concours permet de vérifier la diversité des chanteurs qui, de nationalités très variées, étudient pour la plupart en Italie et la difficulté pour les jeunes de s’insérer dans un processus de production. Il y a peu de débouchés pour un chanteur en Italie, les saisons se réduisent pour les raisons économiques que l’on sait. Les théâtres préfèrent alors se rabattre sur des chanteurs confirmés, voire sur des noms connus pour se garantir la venue du public, ce qui exclut d’emblée les débutants, condamnés aux petits rôles, même dans des théâtres moins importants. Les carrières pour certains se résument à quelques petits rôles et à un catalogue de concours d’où ils sortent finalistes ou demi-finalistes. Il est triste de voir des gens dont on devine les qualités ou le talent piétiner. Il est aussi triste d’entendre des voix déjà fatiguées à trente ou trente-cinq ans. Je suis sûr que certains d’entre eux auraient intérêt à se présenter dans des théâtres de troupe, en Allemagne, où le marché est bien plus ouvert et où le répertoire notamment italien est apprécié. D’ailleurs, de nombreux chanteurs italiens en carrière ne chantent plus en Italie et se concentrent sur les théâtres allemands où ils passent d’un théâtre à l’autre sur les grands rôles du répertoire italien. Ce ne sont pas des stars, mais au moins ils travaillent régulièrement et gagnent leur vie ; en Italie, beaucoup trop d’artistes sont contraints de vivre d’expédients, à cause d’un système bloqué, et de débouchés bien trop réduits l’Opéra ne doit pas mourir dans le pays de l’Opéra.
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