OPÉRA NATIONAL DE LYON 2017-2018: LE CERCLE DE CRAIE (DER KREIDEKREIS) de Alexander von ZEMLINSKY le 20 JANVIER 2018 (Dir.mus: Lothar KOENIGS, Ms en sc: Richard BRUNEL)

Haitang arrêtée et arrachée à son enfant ®Jean-Louis Fernandez

Dit la force de l’amour 

Il y a une vingtaine d’années, Zemlinsky n’apparaissait pas dans les saisons d’opéra, à de rarissimes exceptions près. La recherche assez récente de titres nouveaux qui puissent élargir le répertoire des maisons d’opéra a changé le paysage, aussi bien la Florentinische Tragödie (par exemple à Amsterdam en novembre dernier) que Der Zwerg (par exemple à Lille également en novembre dernier) sont assez fréquemment donnés, on a vu aussi à l’Opéra des Flandres la saison dernière le très rare König Kandaules.
C’est encore plus rare pour Der Kreidekreis (le Cercle de craie) dont à ma connaissance après la création à Zürich en 1933 et quelques présentations en Europe (De Stettin à Graz) à l’époque de sa création et après-guerre (1955, Dortmund) pas de traces de représentations, à part une reprise à Zürich en 2003 sous la direction d‘Alan Gilbert, dans une mise en scène de David Pountney avec Brigitte Hahn et Francisco Araiza entre autres, si bien que les représentations lyonnaises sont une création en France. Il faut donc une fois de plus saluer la politique de Lyon qui en quelques années a présenté une somme impressionnante d’œuvres rares ou inconnues

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Une œuvre étrange 

Ce Kreidekreis est une œuvre étrange, sur un livret du compositeur appuyé sur la pièce de Alfred Henschke dit Klabund (1925), elle-même inspirée d’une pièce chinoise de Li Qianfu (XIIIe siècle). L’œuvre de Zemlinsky est fortement politique et traite tout à la fois de la misère qui suscite l’oppression et contraint à la prostitution, de la corruption des juges, et d’une justice soumise aux puissants et dure aux petits, de l’appât du gain universel.
Mais elle traite aussi de la force de l’amour maternel, de l’amour en général qui modifie les êtres, et enfin de la grandeur du souverain, qui sait juger, « nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude » eut dit Molière (dans Tartuffe) : cette fin heureuse où le Prince Deus ex machina vient résoudre l’intrigue et (en plus) épouser l’héroïne est assez proche du final de Tartuffe, elle consacre un souverain évergète qui sait distribuer le bienfait et surtout démêler le bien du mal et le vrai du faux. Le conte est à la fois moral et politique, et Brecht va s’en saisir (il y a là du millet pour son serin) dans Le cercle de craie caucasien.

Le tribunal : Haitang (Ilse Eerens), Yü Pei (Nicola Beller Carbone et assis Tchao (Zachary Altman) et le juge (Stefan Kurt ) ®Jean-Louis Fernandez

Les deux parties sont musicalement  différentes, et la musique de Zemlinsky dont on dit souvent qu’elle est quelque part entre Puccini, Strauss, Wagner et Schönberg (une sorte de géographie impossible) prend cette fois des chemins de traverse. Si la deuxième partie fait songer à Chostakovitch, Puccini (Turandot) Strauss, et plus particulièrement le final  à Die Frau ohne Schatten ,  la première partie prend en compte (nous sommes en 1930-31) toute la musique des années vingt, aussi bien du côté d’Hindemith, voire de Schönberg (notamment dans leurs petites formes) que du côté du jazz et surtout de Kurt Weill, notamment dans la première scène (La maison de thé). Deux ambiances, deux univers celui plus symphonique de la deuxième partie et celui presque plus chambriste, fait de miniatures, de la première, comme si la musique de la première partie illustrait la vie fragmentée de la jeune héroïne Haitang (comme dans les vignettes des icônes ou des fresques de vie de saints, voire des miniatures de scènes du XVIIIe à la Pietro Longhi) en quatre moments, Haitang vendue par sa mère à Monsieur Tong, Haitang chez Tong séduit les clients,  puis un an après, Haitang chez Monsieur Ma, dont elle est la  deuxième épouse et enfin l’empoisonnement de Monsieur Ma au quatrième tableau, tandis que la deuxième partie (troisième acte) est une sorte de variation sur un jugement à rebondissements, une sorte d’anti-jugement dernier où seuls les corrupteurs et les méchants sont vainqueurs avec un juge (Tschou Tschou) sinistre à force d’être désopilant (rôle parlé confié à l’excellent Stefan Kurt)
N’ayant aucune référence sur cette œuvre, il faut faire confiance à notre imaginaire pour nous construire un univers : en tous cas, c’est une œuvre qui excite la curiosité par son développement et son étrangeté : un opéra qui alterne dialogues et chant, avec une fluidité dans les passages de l’un à l’autre qui évidemment nous éloignedes formes de l’opéra-comique par exemple et arrive à la modernité d’un « théâtre musical » avant l’heure.

Maison de thé (de tolérance) ®Jean-Louis Fernandez

L’histoire met donc au centre l Haitang, vendue par sa mère à Tong propriétaire d’une maison de thé (c’est à dire de tolérance…) parce que son père s’est suicidé, ne pouvant payer l’impôt demandé par le collecteur Monsieur Ma. Cette maison de thé, où les jeunes femmes s’appellent des Blumenmädchen et où le propriétaire Tong, s’est émasculé, rappelle évidemment le monde de Klingsor au deuxième acte de Parsifal: Aussi bien Klabund que Zemlinsky connaissent leur Wagner.
Dans la maison de Tong, la jeune fille excite le désir du jeune Prince Pao, qui en devient amoureux, et celui de Monsieur Ma lui-même, le potentat local : elle est mise aux enchères et c’est Ma qui l’emporte. La voilà donc aux mains de celui qui est cause de sa misère.
Elle finit seconde épouse de Monsieur Ma, qui, au contact de l’amour change totalement à son contact et passe du mal au bien. La jeune femme lui a donné un fils que la première épouse Yu Peï, n’avait pas été à même de lui donner. Cette dernière, écartée et jalouse, a pour amant Tchao, un secrétaire de tribunal fou d’amour et prêt à tout pour sa maîtresse. Sans enfant, Yu Peï sera déshéritée, et Mr Ma veut d’ailleurs la répudier.
Yu Peï va donc empoisonner le mari, en accusant la seconde épouse Haitang, et insinuant l’idée que l’enfant n’est pas d’elle, mais qu’elle-même en est la véritable mère.

Décor clinique de l’acte IIII ®Jean-Louis Fernandez

Le piège fonctionne si bien que tout le troisième acte, comme on l’a dit, constitue le procès, avec ses péripéties, ses témoins subornés, sa sage-femme achetée, son juge corrompu et pour finir la condamnation à mort de Haitang.
Au moment où elle va être exécutée (par injection létale), tout s’arrête (écran descendu des cintres montrant une nouvelle d’une chaine d’info:  l’Empereur vient de mourir et lui succède le Prince Pao (apparu comme rival de Monsieur Ma au début), qui arrête toutes les condamnations en demandant à juges et condamnés de se présenter à Pékin. Il reconnaît Haitang que, fou d’amour et de désir, il avait aimée (violée?) alors qu’elle dormait en croyant rêver. Il se retrouve donc à arbitrer entre les deux femmes et propose de tracer un cercle avec au centre l’enfant, les deux mères le tireront chacune de son côté et celle qui le portera à l’extérieur du cercle sera la mère. Haitang, ne voulant pas faire souffrir son enfant et lui faire risquer l’écartèlement, renonce pour que l’enfant ne souffre pas.
Le Prince décrète donc que c’est Haitang la mère, parce qu’elle a pris en compte la souffrance de l’enfant. Il se révèle à la jeune femme, propose de l’épouser et de reconnaître l’enfant (qui est peut-être de lui d‘ailleurs, mais l’histoire ne le dit pas, tout en le suggérant). Rideau.

De la fable au regard sans concession sur notre monde

Voilà un vrai conte de fées, une sorte de variation sur Cendrillon avant l’heure, que la production de Richard Brunel évacue au profit d’un récit continu, qui clarifie certes la trame et  en fait aussi une sorte de récit plus réaliste que la fable à laquelle on aurait pu s’attendre (option qu’avait au contraire choisie David Pountney à Zurich).
Les avantages de ce choix sont clairs, parce qu’ils rendent fluides une histoire qui ne l’est pas, avec un dispositif scénique à la fois imposant mais aussi paradoxalement léger de Anouk dell’Aiera, privilégiant les voiles (premier acte), les baies vitrées (deuxième et troisième acte), avec un écran vidéo projetant fleurs et pistils (lourdement symbolique …) et les déplacements assez fluides de structures blanches dans les beaux éclairages de Christian Pinaud qui atténuent quand même ce qui serait trop réaliste et déterminent plusieurs espaces qui partagent le plateau, avec des scènes parallèles, des personnages (nombreux) en arrière-plan, un jeu sur les différents plans (par exemple la maison de thé en trois espaces, l’entrée, la salle, et la scène, ou le troisième acte, plus unifié en deux espaces : la chambre d’exécution derrière une baie vitrée et la grande salle qui sert pour ceux qui assistent à l’exécution, puis aussi de tribunal et qui s’efface en espace circulaire pour l’épreuve du cercle de craie. Cet acte s’unifie donc en une sorte d’espace tragique unique dont le cercle lumineux rappelle étrangement l’orchestra des théâtres grecs.

Tong, propriétaire de la maison de thé ®Jean-Louis Fernandez

Richard Brunel nous veut de plain-pied avec l’histoire, dont il évacue aussi la Chine, essentiellement présente au premier tableau, par quelques signes, (le maquillage de Tong, le propriétaire de la maison de thé et ses danseuses – des travestis – , ce qui renvoie à la Chine des concessions où la clientèle est occidentale) mais pas vraiment dans les costumes de Benjamin Moreau: il n’y rien de pittoresque qui renverrait à une Chine rêvée ou fantasmée sinon quelques touches : le drame qui se joue semble aller vers l’universalité d’un monde où le pauvre, ce salaud, est systématiquement écrasé par un système où l’argent fait tout.

Nicola Beller Carbone (Yü Pei) et Ilse Erens (Haitang) ®Jean-Louis Fernandez

Richard Brunel a soigné la direction d’acteurs, très efficace, mais aussi les mouvements des personnages, les images aussi dont certaines ne sont pas dépourvues de poésie : l’apparition de la neige au troisième acte, du cheval chevauché par l’enfant sur fond de forêt tranche évidemment sur le décor clinique du tribunal-chambre d’exécution. Car le troisième acte a ce caractère terrible de dénonciation d’un système judiciaire qui conduit directement du jugement à l’exécution, – la première image est celle d’une jeune femme condamnée qui se débat, qui finit exécutée : par son aspect démonstratif elle annonce la suite de l’histoire. L’apparition de Pao fait disparaître ce qui glace et transforme l’espace (les cloisons s’effacent)à  en espace poétique (forêt lointaine, neige): on quitte le réel, mais la manière dont le décor s’efface en laissant la vitre de la chambre d’exécution au centre, plus longtemps que les autres éléments de décor, éclairée d’un vilain vert, nous avertit en quelque sorte de ne pas croire au rêve.

Adieu à la fable, adieu à la Chine, adieu à Brecht

Car le conte de fées, la fable de l’Empereur qui vient rétablir le bien et le vrai n’est justement qu’une fable, nous dit Richard Brunel, et après le final triomphant qui semble tout droit venu des dernières mesures de Die Frau ohne Schatten il laisse place à une dernière image où le rideau s’ouvre sur la baie vitrée et où le cadavre de Haitang est dévoilé sur la table d’exécution. Tout cela n’était donc qu’un rêve, comme le suggéraient cheval, forêt et neige, en contradiction avec la musique triomphale qui marque ce final et donc ressentie rétrospectivement comme illusoire, voire sarcastique.
L’histoire a sa logique  mélodramatique: la jeune femme victime de sa pauvreté est vendue deux fois, trouve un bonheur contrecarré par une première épouse jalouse, est accusée faussement d’assassinat et de vol d’enfant, puis jugée par une justice corrompue et véreuse, elle est condamnée et exécutée. N’en jetez plus ! L’accumulation de malheurs sur cette jeune fille finit par être lui-aussi irréaliste, dans la tradition des mélos du XIXe siècle, ou du néo-réalisme italien, à moins qu’il ne soit démonstratif ou didactique à la manière de Brecht.
Et c’est pourquoi l’option résolument anti-brechtienne de Richard Brunel, très bien rendue, me paraît peut-être discutable : il veut raconter dit-il une histoire d’humanité, de personnes, de situations : l’absence de références à la Chine dès le deuxième tableau conduit à une imagerie proche du téléfilm, esthétiquement et scéniquement et cela dérange, notamment dans les deuxièmes et troisième tableaux.
L’œuvre en revanche a un aspect didactique qui convient évidemment au dramaturge allemand qui en a fait une pièce de théâtre, et Zemlinsky en était proche : sa musique renvoie aussi à Kurt Weill et son histoire raconte l’histoire de la pourriture sociale qui rappelle Aufstieg und Fall der Stadt Mahagonny dont a dirigé d’ailleurs la première berlinoise au Theater am Schiffbauerdamm (l’actuel Berliner Ensemble) en 1931 au moment de la composition du Cercle de craie. C’est donc aussi un univers et une esthétique particuliers à laquelle la pièce renvoie, historiquement brechtiens, sur une thématique commune.

Acte II: Arrière plan Haitang et Ma, premier plan Yü Pei et Tchao

Brunel dit lui-même dans l’interview avoir dé-brechtisé le texte. Je défends suffisamment les metteurs en scène qui travaillent les livrets en soi et en dehors des contextes de création pour ne pas accuser Brunel de trahison, mais je me demande s’il n’a pas par son choix affadi et banalisé le propos qui devient presque un topos télévisuel, avec sa dénonciation de la peine de mort et des exécutions létales à l’américaine et à la chinoise (elles sont fréquemment pratiquées en Chine, y compris dans des camions itinérants spécialement aménagés), de la justice expéditive où le tribunal voisine l’échafaud ou son substitut. J’en prends aussi pour indice l’utilisation du cercle presque anecdotique, qui n’est cité que par le livret auquel il faut de toute manière obéir sans lui donner de vraie fonction sauf au final rêvé. Ce cercle apparaît donc au premier tableau, il est un marqueur pour le frère de Haitang qui inscrit un cercle sur la vitre de la maison de Ma pour signer l’arrêt de mort de Monsieur Ma, comme on marquait les maisons protestantes à la vieille de la Saint Barthélémy, ou comme ces signes de ralliement de sociétés secrètes. Le cercle est donc rappelé à divers moments sans vraiment être le centre du propos, et au troisième acte, le tribunal est un cercle autour duquel tous les protagonistes se retrouvent pour enfin, pendant l’intervention de l’Empereur devenir fonctionnel et devenir espace de jeu et espace de drame  ainsi la question du cercle est presque « évacuée » comme signe anecdotique d’une histoire qui est ailleurs, alors qu’il pourrait être l’unique espace scénique.
Si on apprécie l’effort de simplification de la trame et la rigueur du travail de Brunel pour lui donner une linéarité, et pour casser ces vignettes successives qui afficheraient des « scènes de la vie de Haitang », on peut regretter le côté roman noir (ou blanc vu la couleur du décor)  à peine compensé par quelques vrais moments de poésie. Et si on avait osé Brecht ?

Une direction très juste et un orchestre remarquable

Mais l’œuvre a aussi une structure et une musique qui ne disent à mon avis pas tout à fait ce que dit Brunel. Il laisse à la musique l’onirisme et se réserve en quelque sorte le réalisme, même avec des « trous » oniriques. La musique de la première partie notamment renvoie aussi bien à la musique de cabaret berlinois qu’à des œuvres plus chambristes. La direction irréprochable de Lothar Koenigs,  particulièrement familier de ce type de répertoire, sait valoriser les instruments singuliers, dans une approche d’une grande limpidité et presque légère au premier acte, faisant ressortir de cette musique tout ce qu’elle doit aux inventions des années 20, dont Weill, dont le jazz mais pas seulement : on y trouve la seconde école de Vienne, on y trouve Hindemith, on y trouve tout la foisonnement des inventions sonores de l’époque et les dernières mesures de l’acte II font penser à Mahler. Plus symphonique , et quelquefois un peu plus classique, la deuxième partie renvoie évidemment de manière plus marquée d’autres compositeurs pour un autre univers, on pense à la Turandot de Puccini, on pense aussi de manière fugace à Chostakovitch et à la fin, à Strauss, on l’a dit . Non que cette musique ne soit pas personnelle ou originale, mais elle est si inhabituelle et si peu connue que l’auditeur essaie de composer sa propre géographie musicale. Il reste qu’il y a des moments d’une très grande intensité et d’une grande originalité qui doivent évidemment beaucoup à l’expressionisme aussi. Le chef a su rendre à cette musique sa variété, sa diversité, son étrangeté aussi avec ses sons légèrement orientaux, tout en soulignant sa richesse et son originalité, une musique qui dans l’ensemble diffère de la production connue de Zemlinsky, et Lothar Koenigs a su aussi insuffler à l’orchestre un engagement qu’on identifie très vite, et à valoriser chaque pupitre, en grand coloriste.

Une distribution sans failles

Comme souvent à Lyon, une distribution solide, sans failles, homogène, équilibrée illumine la soirée, à commencer par l’ensemble de femmes sans conteste dominé par Ilse Eerens, qui est à l’image de son personnage d’apparence fragile et incroyablement solide. Un physique tendre, et une voix bien assise, contrôlée, puissante,  parfaitement posée, qui remplit la salle, avec une diction impeccable et un vrai sens de la couleur, nécessaire dans un rôle qui traverse des situations si diverses. Elle sait en effet être énergique voire agressive, mais aussi émouvante et tendre . Une voix sans aucun doute à suivre.
Nicola Beller Carbone est d’abord un personnage, on se souvient d’elle en comtesse de la Roche dans Die Soldaten de Zimmermann à Munich, mise en scène d’Andreas Kriegenburg. Elle promène dans Yü Pei sa silhouette filiforme et élancée, qui se déplie quand elle se lève, sur un plateau où elle s’oppose à la figure menue de Haitang. Son chant est tout dans l’expressivité, plus que dans la démonstration, elle est une interprète avant tout et soigne les couleurs et les variations de l’expression, avec de jolis accents. Et quelle démarche en scène ! quelle figure ! Et quelle justesse !
Moins marquante la figure de la gouvernante chantée par Hedwig Fassbender, un peu plus banale et passepartout, même avec de beaux aigus, tandis que la brève apparition de madame Tschang au premier tableau est marquée par la personnalité toujours forte de Doris Lamprecht, son expressivité et sa capacité à transmettre l’émotion et qu’on remarque avec plaisir la jeune Blumenmädchen qui intervient au début (Josefine Göhmann, du Studio de l’Opéra de Lyon).
Du côté des rôles masculins, domine le Monsieur Ma de Martin Winkler, un rôle qui permet de jouer sur les deux tableaux du bien et du mal, avec un souci éminent de la couleur, un véritable sens du texte (et une diction exemplaire, dans une œuvre qui l’exige à cause de l’alternance chant-parole qui doit être fluide et permettre de passer de l’un à l’autre presque insensiblement), et une expressivité si soignée et si évidente que l’humanité du personnage transfiguré par l’amour frappe à la fin du premier acte autant que le cynisme du premier tableau. Une belle performance qui rappelle que Martin Winkler, à la voix forte, au volume marqué, est l’un des grands barytons du moment doué d’un sens inné des rôles qu’il interprète.
L’autre baryton Lauri Vasar, dont la carrière explose, – il fut dans Lear de Reimann à Salzburg un Gloucester très remarqué et bouleversant-, était annoncé souffrant.  Il donne de Tschang Ling une humanité déchirée, très juvénile, avec une voix  pleine de relief, même si un peu voilée (la maladie ?) qui tranche avec la retenue de Haitang, deux personnages en quête de vérité dans un monde qui la leur refuse.
Troisième baryton, le Tchao de Zachary Altman, l’amoureux fou au timbre chaud,  avec la faiblesse inhérente à ce type de personnage prêt à tout pour servir l’être aimé, et aller jusqu’au meurtre pour affirmer le couple qui compose une sorte de Macbeth-Lady Macbeth au petit pied. L’interprète est juste, presque tendre et rend parfaitement la faiblesse qui conduit au meurtre et à l’abdication de toutes les valeurs, alors qu’il a la réputation d ‘incorruptible, avec en complément sa veulerie devant l’Empereur où il enfonce joyeusement sa bien aimée .
Stephan Rügamer est le Prince Pao ; le ténor, en troupe à la Staatsoper de Berlin où il joue souvent et avec grand talent les rôles de caractère, est moins intéressant dans ce rôle que la mise en scène néglige peut-être un peu. Un rôle qui se veut positif, mais même par amour (ou par désir) Pao abuse de Haitang dans son sommeil et participe donc  du système en renchérissant sur Ma. C’est d’ailleurs dans cette scène initiale où l’interprétation est la plus intéressante. Il est donc lui aussi dans ces hommes qui font de la femme une marchandise, au départ, mais il est transfiguré quand il revient comme Empereur où il ne peut plus que dire le vrai, le pouvoir peut aussi changer en bien : il dit le vrai sur le jugement du cercle, mais aussi en avouant avoir violé Haitang : en cette fin prévue par Zemlinsky, l’amour fait tout, amour filial mais aussi amour qui transfigure, Ma d’abord, Pao ensuite. La révolution par l’amour en somme. Rügamer arrive difficilement dans la scène finale à afficher la palette de couleurs requise par ce rôle ingrat (on le voit seulement au tout début et à la fin) parce que le flot musical du final ne lui rend pas la partie facile, bien qu’on l’entende bien.  Voilà un rôle qui semble fait pour un Klaus Florian Vogt soit dit incidemment…

Dans les rôles secondaires, on remarque le Tong de Paul Kaufmann assez bien caractérisé, avec la diction expressive d’un personnage coloré qui semble sorti tout frais d’un opéra de Brecht/Weill, pas assez caricatural encore peut-être ici, et enfin les deux coolies tout frais et très énergiques des jeunes artistes du studio Luke Sinclair et Alexandre Pradier.

Malgré mes réserves sur le parti-pris  de Richard Brunel, il restera le souvenir d’une production solide, bien réalisée, qui éclaire l’œuvre et qui devrait donner des idées à d’autres programmateurs, l’œuvre de Zemlinsky mérite de figurer au programme des grands théâtres. Encore une réussite de l’Opéra de Lyon, qui justifie plus que jamais les prix reçus en 2017.

Acte II: Lauri Vasar (Tschang Ling) en arrière plan derrière la fenêtre Zachary Altman (Tschao) et Nicola Beller Carbone (Yü Pei)

OPÉRA NATIONAL DE LYON 2017-2018: WAR REQUIEM de Benjamin BRITTEN le 9 OCTOBRE 2017 (Dir.mus: Daniele RUSTIONI; MeS: Yoshi OIDA)

Scène finale ©Stofleth

2017 a été une année faste pour l’Opéra de Lyon, tour à tour récompensé aux Opera Award et par le mensuel allemand Opernwelt, où un jury de 50 critiques l’a désigné comme « Opernhaus des Jahres » c’est à dire Opéra de l’année. Cette dernière distinction, peu connue en France, a une grande importance en Allemagne, et il est rarissime qu’une maison non allemande soit distinguée. Cela consacre évidemment la politique artistique novatrice menée par Serge Dorny, qui a su imposer son théâtre comme une référence internationale et fidéliser le public autour de choix sans concessions et d’un répertoire large qui a fait découvrir des œuvres souvent inconnues en France.
Le public de Lyon reste un public particulier, formé au lait du TNP de Planchon, mais aussi à l’opéra par la longue période Louis Erlo/Jean-Pierre Brossmann qui avait déjà donné une couleur particulière à cette maison, qu’il faut rappeler – la mémoire est toujours trop courte. C’est ce qu’on appelle un public averti. Autre particularité de l’Opéra de Lyon, la présence inhabituelle de jeunes, même en ce soir de première,  grâce au dispositif Lycéens et apprentis à l’Opéra, financé par la Région Auvergne-Rhône-Alpes qui permet à des lycéens ou des apprentis même très éloignés géographiquement et préparés de se rendre à une représentation d‘opéra.
Enfin, après 9 ans de loyaux services, Kazushi Ono quitte Lyon : on doit saluer le travail effectué auprès de l’orchestre aujourd’hui remarquable, qui a toujours eu la chance d’être dirigé par des chefs qui ont forgé un son et une tradition : John Eliot Gardiner et Kent Nagano sont des noms qu’on ne présente plus aujourd’hui et qui ont fait la réputation de l’orchestre de l’Opéra de Lyon. Pendant cette période, le chœur est devenu aussi un des meilleurs chœurs d’opéra en France et même au-delà des frontières, à la fois pour son engagement musical, mais aussi pour ses qualités d’adaptation scénique, importantes parce que Lyon a une vraie politique en matière de mise en scène.

Daniele Rustioni © Blandine Soulage Rocca

À Kazushi Ono succède Daniele Rustioni, aussi flamboyant que Kazushi Ono était réservé. Le jeune chef italien fait partie d’une nouvelle génération vraiment digne d’intérêt. Formé en Italie (il est milanais) et surtout à Londres auprès d’Antonio Pappano dont il fut l’assistant, il a acquis un répertoire large et riche, et une expérience au pupitre dans toutes les formes (des petites formes au grand répertoire symphonique). C’est une grande chance pour Lyon que d’avoir tant de cartes dans son jeu actuel.
Alors il y a un revers de la médaille : les forces de l’opéra remarquables dans leur ensemble, doivent suivre un rythme soutenu, notamment au moment du Festival où cette maison typique de « stagione » doit s’adapter à un rythme presque semblable à celui du répertoire allemand, avec une alternance serrée. Les maisons françaises (Paris à part) sont peu habituées à ces rythmes et n’ont pas toujours le personnel adapté, et sans doute ce rythme et la qualité exigée pour répondre aux normes internationales génèrent-ils des tensions internes dont l’intervention initiale de la CGT lors de cette première est le symptôme, à laquelle Serge Dorny a répondu en appelant à une pacification des esprits en cohérence avec l’œuvre qui allait être jouée.
Lors de grandes productions, les opéras doivent faire appel à du personnel supplétif (les intermittents) car leur structure ne permet pas de répondre à ce type de pression. C’est la conséquence des choix français autour de l’opéra qui déterminent des personnels en nombre plus limité (sinon les budgets explosent): il y a en France une quinzaine de maisons, quelquefois en difficulté, qui proposent au mieux une trentaine de soirées d’opéra dans l’année pour la plupart (à Lyon on affiche autour de 80 soirées d’opéra, toutes scènes confondues sans compter le ballet ni les concerts, Toulouse affiche 82 levers de rideau mais moins de 40 soirées d’opéra, Strasbourg tourne autour de la cinquantaine (avec l’obligation de jouer à Mulhouse et quelquefois à Colmar), des chiffres qui n’ont rien à voir avec les maisons allemandes comparables qui dépassent très largement les 100 voire deux cents soirées annuelles).
Les opéras ne sont pas responsables de la situation, due au système (stagione) et aux subventions versées souvent limitées et à la charge quasi exclusive des villes, donc aux limitations en personnel, et ce qui a abouti à une stabilisation de l’offre mais aussi quand même à de réelles difficultés pour certaines maisons. Dans l’ensemble pourtant, les choses fonctionnent et ces dernières années on a vu des opéras (Dijon, Lille) offrir un travail de grande qualité et très diversifié, à l’intérieur de budgets très raisonnables .
Dans ce paysage, Lyon est un territoire singulier, évidemment, avec sa ligne affirmée de mises en scènes toujours novatrices, de choix de répertoire très audacieux avec cette année entre autres, Germania, Le cercle de craie, War requiem, Mozart et Salieri, autant d’œuvres soit nouvelles soit rares, qui feront sans doute presque toujours salle comble, grâce à un public disponible, éduqué et curieux, et d’une qualité musicale constante : Serge Dorny, né en Flandres, au pays de Gérard Mortier sait que l’homogénéité d’un plateau de très bonne qualité sans stars vaut mieux que la danse avec les stars qui sont souvent l’arbre qui cache la forêt : c’est le modèle qui prévaut à Bruxelles comme à Anvers et Gand.
Ainsi donc la saison ouvre avec War Requiem de Britten, un choix triplement surprenant. Surprenant parce que l’œuvre est rare, surprenant parce qu’elle est ici représentée en version scénique, alors qu’elle est plutôt représentée en forme traditionnelle et concertante, surprenant enfin pour ce choix d’ouverture de saison d’un nouveau chef italien, qu’on attendrait sur son répertoire « traditionnel » plutôt que sur un Britten mal connu.
C’est surprenant, et donc pleinement justifié : faire commencer Rustioni par Britten, c’est affirmer d’emblée l’éclectisme du chef et son ouverture, alors que traditionnellement et dans tous les opéras du monde les jeunes chefs italiens sont appelés sur Rossini ou Verdi (voir Sagripanti, Bisanti, Mariotti, Battistoni par exemple). C’est aussi réaffirmer une ligne programmatique qui pose une réflexion politique sur le monde (War Requiem, comme son nom l’indique, est une œuvre directement critique sur les guerres en général, dont la dernière qui a provoqué la destruction de la cathédrale de Coventry). C’est enfin montrer toutes les forces musicales de la maison en ordre de marche, orchestre, chœur, maîtrise.
La surprise faisant partie de l’art de la programmation, proposer War Requiem, absent de Lyon depuis des décennies entre pleinement dans la cohérence d’une politique artistique qui ne se place jamais dans le sillon des sentiers battus, mais dans la forêt touffue des œuvres hors standards. C’est bien la couleur de l’Opéra de Lyon, sa marque de fabrique, ce qui lui a valu la reconnaissance du monde lyrique international.

Il y a ces dernières années une tendance (une mode ?) à proposer des grandes œuvres chorales en version scénique ou semi-scénique. On l’a vu encore la saison dernière à Zürich avec le Requiem de Verdi. Les orchestres proposent aussi des concerts en version semi-scénique d’œuvres chorales, cela commença il y a quelques années avec les Passions de Bach, et Peter Sellars, par exemple, a proposé avec Simon Rattle un certain nombre d’expériences en ce sens. Personnellement, je ne suis pas toujours convaincu des résultats, même si la plupart du temps les spectacles sont de grande tenue.
Celui de Lyon est sans conteste d’une très haute tenue, dont la puissance s’impose, avec des images d’une grande force et souvent d’une grande beauté. En appelant Yoshi Oida, Dorny garantit un travail épuré, réfléchi, dans la grande tradition du théâtre de Peter Brook avec lequel Oida a fait un bout de chemin, mais aussi d’une culture théâtrale japonaise (Oida a travaillé sur le Nô) qui fascine le théâtre occidental. De plus, né en 1933, Oida a vécu les ravages de la guerre au Japon, dont l’arme atomique, et en connaît directement les blessures. L’œuvre lui sied donc parfaitement car elle se prête à un travail sans fioritures et hiératique.
Le War Requiem est une œuvre de grande envergure où chaque élément du plateau prend en charge une couleur de l’œuvre, née d’un mélange entre les parties traditionnelles du Requiem chrétien et de poèmes d’un poète mort quelques jours avant la fin de la première guerre mondiale, Wilfred Owen, qui a crié son amertume dans des textes écrits à la fin de la guerre, alors qu’il s’était engagé volontairement.
L’œuvre est donc très structurée : la voix de femme et le chœur accompagnés de l’orchestre chantent la partie liturgique du Requiem. Les deux solistes masculins accompagnés d’un orchestre de chambre chantent les textes de Owen, le chœur d’enfants et l’orgue, spectateurs et victimes des temps, représentent la partie plus spirituelle et transcendante.  Lors de la création, Britten voulait que les solistes représentent les pays engagés dans la guerre : Allemagne (Dietrich Fischer-Dieskau), URSS (Galina Vichnevskaia), Royaume Uni (Peter Pears), mais Moscou n’a pas permis à Vichnevskaia de participer à la création et c’est Heather Harper qui a créé l’œuvre. C’est en revanche Vichnevskaia qui a participé à l’enregistrement consécutif, sous la direction du compositeur, avec le London Symphony Orchestra. C’est un peu le même principe qui a guidé le choix de Serge Dorny qui a appelé le soprano Ekaterina Scherbachenko (Russie), le ténor Paul Groves (USA) et l’estonien Lauri Vasar (Baryton). L’Estonie est en effet une victime directe de la deuxième guerre mondiale : après son indépendance en 1918, elle retombe sous le joug soviétique après la 2ème guerre mondiale, après que ses élites (souvent germanophones) eurent flirté avec le nazisme.
Le chœur d’enfants (l’excellente maîtrise de l’Opéra de Lyon dirigée par Karine Locatelli) est vu par Oida comme spectateur de ce spectacle : il arrive de la salle juste avant les premières notes, monte sur scène et s’installe à cour, regardant ce qui se passe sur la plateau, comme s’il appartenait à une communauté religieuse spectatrice (Karine Locatelli est vêtue en religieuse), avec derrière lui l’orgue qui l’accompagne. On connaît aussi l’importance des voix d’enfants dans la liturgie anglicane.

Yoshi Oida © Mamoru Sakamoto

Le dispositif conçu par Yoshi Oida est assez simple, construit autour d’un praticable central, à jardin l’orchestre de chambre, au fond le chœur, à cour, les enfants, avec un fond de scène mouvant et argenté, sur lequel vont se projeter quelquefois des images. Le chef dirige l’ensemble du dispositif, notamment les deux orchestres alors qu’en principe il y a deux chefs.
La mise en scène consiste en un immense rituel funèbre conçu dans l’esprit de l’œuvre où devant la mort et la guerre, il n’y a plus d’ennemis. Replaçant l’œuvre au temps de Wilfred Owen, de la première guerre mondiale (une indication 14-18 sur la scène le souligne), et donc en cohérence avec les manifestations autour du centenaire de la Première Guerre Mondiale, il va sur l’espace vide central placer les solistes, qui enterrent leurs morts de manière symétrique, habillés de manière plus ou moins semblable, seuls se distinguent les casques : on reconnaît à droite les casques à pointe germaniques et à gauche le casque traditionnel anglais « Brodie ». Chaque soldat porte en écharpe son drapeau national, mais tout évidemment devient dérisoire quand chacun est face à ses pertes, ses morts, et la même dévastation.
Les deux soldats (Paul Groves et Lauri Vasar) disent les poèmes de Owen : ils sont ces représentants de l’humanité déchirée et entraînée, de cette humanité victime des « Somnambules » qui portèrent à la guerre.
le soprano (Ekaterina Scherbachenko), représente d’une certaine manière la synthèse de cette humanité, elle exprime l’universel, et les enfants restent en retrait, victimes des conflits sans l’avoir voulu. Ainsi donc en un seul tableau global Yoshi Oida expose à la fois les résultats et les contradictions de tout conflit, qui se résout toujours de la même manière par l’enterrement des morts. Au-delà des symboles, drapeaux, poupées de chiffon figurant les morts anonymes ou les marionnettes humaines, cercueil devant lequel se recueille le soprano, mais aussi les cadavres anonymes enveloppés qui peuplent la première scène, au-delà des images qui quelquefois défilent sur le fond, au-delà du décor géométrique qui n’est pas sans rappeler certaines images wagnériennes de Wieland Wagner ou de Günther Schneider Siemssen, dans lequel s’insèrent les images, comme si les formes et les images se fondaient en un seul imaginaire,  on ne retient guère qu’une totalité où tous célèbrent la mort, à laquelle nul n’échappe, et devant laquelle vainqueurs et vaincus sont égaux.
C’est bien cette dernière notion, qui efface le résultat « politique » au profit du bilan humain qui est ici soulignée, et dominante. On voit bien que la Première Guerre Mondiale est l’emblème de toutes les guerres qui ont émaillé le siècle qui nous en sépare. Un « plus jamais ça » tellement ritualisé qu’il en devient presque sarcastique : le rituel se repropose à chaque guerre, tout comme le « plus jamais ça ». D’ailleurs, ce War Requiem composé pour la reconstruction de la cathédrale de Coventry détruite pendant la deuxième guerre mondiale, appuyé sur les poèmes écrits pendant la première, montre à la fois une universalité et une terrible vérité, presque sarcastique : le rituel n’est rituel que parce qu’il se répète : le « plus jamais ça » est en fait un « toujours », et cette émotion qui traverse l’œuvre et les images que nous voyons n’empêche ni n’empêchera rien. Même si Britten voulait composer un Requiem à la Guerre, celui-ci reste hélas à écrire, 55 ans après la création.
L’idée d’une mise en scène est donc pleinement justifiée pour une œuvre à la géométrie sonore et spatiale très complexe, mais la forme architectonique de l’Opéra de Lyon est peut-être un obstacle à sa pleine réalisation : une salle trop à l’italienne, trop étroite et impossible à moduler pour une spatialisation et une respiration sonores de l’œuvre telle qu’on la rêverait. Il faudrait sans doute une salle plus ouverte, une Philharmonie de Berlin, une halle aux grains de Toulouse, pour permettre à l’œuvre de frapper encore plus le spectateur. Il manque à ce travail un espace qui lui corresponde vraiment. Je mesure la vacuité de la remarque : on fait avec ce qu’on a.
Il reste que la mise en scène de ce Requiem lui donne une chair et une présence que peut-être le concert ne lui donnerait pas, même si au concert c’est l’imaginaire de l’individu qui est sollicité, alors qu’ici, l’imaginaire nous est en quelque sorte imposé. Mais la vision de Yoshi Oida touche à l’universel, au temps et à l’espace („Zum Raum wird hier die Zeit…“ comme chez Wagner pour définir la cérémonie du Graal dans Parsifal), avec des allusions à la Bible (le sacrifice d’Abraham) à la première et à la seconde guerre mondiale, dans une sorte d’imagerie générique de tout conflit qu’il l’enlève à son contexte propre.

©Stofleth

Au total, ce travail est empreint de grandeur et aussi de simplicité comme cette magnifique idée des parapluies qui s’ouvrent, image de protection face à un événement extérieur, mais une protection légère et fragile qui devient presque image de la fragilité humaine, image pascalienne de la situation humaine prise entre les infinis et entre des cataclysmes qu’il ne peut maîtriser .
A cette grandeur visuelle, à ce rituel déchirant parce qu’il marque la fragilité de l’humain correspond une réalisation musicale de très haut niveau, dont la grandeur fait vibrer le spectateur.
Les trois solistes sont remarquables de simplicité et de vérité : Paul Groves, le soldat « britannique », le ténor, Lauri Vasar, le baryton soldat « allemand » et Ekaterina Scherbachenko, qui se découvrira à la fin comme la veuve du poète Owen portant son portrait, comme le chœur porte les portraits des morts en un rite qui ressemble aux rites funèbres de l’antiquité romaine où les portraits des défunts étaient portés, et à l’origine du culte orthodoxe des icônes), mais qui représente toutes les veuves : son salut émouvant au cercueil visant évidemment à l’universel et non à l’histoire particulière d’Owen qui n’était pas marié et en outre ouvertement homosexuel.

Paul Groves ©Stofleth

Paul Groves à peine plus jeune que l’œuvre qu’il chante à la voix au départ un peu engorgée, révèle de nouveau et très vite toutes ses qualités : ductilité, savant dosage entre les mezze voci et les aigus triomphants, timbre qui garde une étonnante pureté, intensité dans les moments les plus dramatiques.
Lauri Vasar confirme les belles qualités qu’on connaît (il fut récemment Gloster déchirant dans le Lear salzbourgeois), beauté du timbre, belle diction, belle projection, mais moins d’intériorité peut-être que son collègue ténor.

Ekaterina Scherbachenko, est comme on l’a dit, une sorte de veuve universelle qui en enterrant le poète salue tous les morts. Une prestation sans défaut technique, bien dominée, mais sans particulière émotion, un peu extérieure. La voix manque d’expressivité et un peu de projection notamment à l’aigu, alors qu’elle se montre plus concernée dans les moments plus intimistes.

Ekaterina Scherbachenko ©Stofleth

Mais ce sont les masses chorales et orchestrales qui sont ici  les maîtres de l’espace : un chœur immense, renforcé (ce ne sera pas la seule occasion cette année…) très bien préparé par Geneviève Ellis, avec des moments très subtils, un réel travail des contrastes et une belle diction, et qui surtout chante  de mémoire, et participe avec engagement à la mise en scène en envahissant l’espace à la fin : beaucoup de couleurs dans ce chant où les voix explosent (Dies irae), mais aussi montrent une retenue qui va jusqu’au murmure (derniers moments), en des contrastes vraiment conduits de manière exceptionnelle. Une de ses prestations les plus impressionnantes.
La Maîtrise aussi avec ces enfants extérieurs, témoins et aussi victimes dirigés par Karine Locatelli montre un belle capacité d’émotion, et aussi une véritable expressivité. Tout cela est remarquable et montre le degré d’engagement des personnels artistiques qui justifient pleinement les récompenses internationales reçues.
Mais l’architecte et le maître d’œuvre c’est Daniele Rustioni qui réussit à diriger l’ensemble impressionnant de ces masses, et notamment les deux orchestres, avec une énergie et une fougue à souligner, mais aussi une capacité à retenir le son, à lui donner sens aussi notamment dans les moments les plus sarcastiques et les plus grinçants, qui ne cherche pas à s’imposer, mais qui accompagne : la manière dont l’orchestre accompagne les solistes quelquefois aux limites du parlando s’apparente presque à un dialogue intime. Les écarts de dynamique, les passages les plus intérieurs mais aussi les moments les plus spectaculaires, sont pris à bras le corps par un orchestre sans aucune scorie, parfaitement concentré, dynamisé par le chef qui semble être partout. Une très grande prestation, un accompagnement orchestral exceptionnel grâce à des musiciens tendus et attentifs, mais aussi visiblement très engagés autour de leur nouveau directeur. Une inauguration parfaitement réussie et dont le résultat exceptionnel montre la pertinence du choix et qui surtout laisse augurer de grands moments futurs.

Rituel ©Stofleth

OPERA NATIONAL DE PARIS 2015-2016: LEAR de Aribert REIMANN le 23 MAI 2016 (Dir.mus: Fabio LUISI; Ms en scène: Calixto BIEITO)

Lear (Bo Skovhus) Cordelia (Annette Dasch) ©Elisa Haberer
Lear (Bo Skovhus) Cordelia (Annette Dasch) ©Elisa Haberer

J’ai coutume d’ironiser sur les retards de l’Opéra de Paris en matière de créations, mais pour cette fois je me tairai, puisque Lear, d’Aribert Reimann, créé pour Dietrich Fischer-Dieskau en 1978, a été créé en France (et même en version française !) en 1982 au Palais Garnier dans une production de Jacques Lassalle et Yannis Kokkos, jamais reprise depuis. Stéphane Lissner fait d’une pierre deux coups avec cette nouvelle production, d’une part il crée la version originale allemande, et d’autre part il ouvre enfin Paris à l’espagnol Calixto Bieito, scandaleusement ignoré des scènes parisiennes alors qu’il écume les scènes européennes depuis une vingtaine d’années.

En confiant la direction musicale à Fabio Luisi, Lissner a surpris, car Luisi est plus connu à Paris pour le répertoire italien que germanique ou contemporain, même s’il  est l’un des chefs au répertoire le plus large, puisqu’il a passé la moitié de sa carrière à diriger tous les grands standards allemands et italiens en Allemagne, en Suisse et en Autriche ; c’est son statut de premier chef invité au MET, où il a remplacé James Levine malade, notamment pour le Ring de Lepage, qui l’a « lancé » sur le marché lyrique des chefs de premier plan ; Il est aujourd’hui directeur musical à Zürich et à Gênes (il est génois) et a renoncé à ses fonctions substitutives au MET, pour prendre les rênes de Florence. Il serait arrivé à la Scala si Pereira avait suivi les envies de l’orchestre. C’est en effet un chef solide, aimé des orchestres par sa connaissance approfondie des partitions, par sa technique qui garantit une grande sécurité, mais qui n’a pas la réputation d’être « imaginatif », ce qui est injuste. Ses Wagner new-yorkais n’étaient pas médiocres, très loin de là.

Enfin Lissner réunit une distribution enviable, avec trois sopranos importants, Ricarda Merbeth (Goneril), Erika Sunnegårdh (Regan) et Annette Dasch (Cordelia), le contre-ténor Andrew Watts, le ténor Andreas Conrad, Lear étant confié à Bo Skovhus, désormais le grand titulaire du rôle du vieux roi sur les scènes internationales. On peut difficilement rêver mieux. Fischer-Dieskau sur scène était un mythe vivant lorsqu’il a abordé Lear, et le public accourait pour le seul désir de le voir à l’opéra, ce qui à l’époque était devenu rarissime. Même lorsque le chanteur a quitté les scènes, Lear a alimenté tout de même de manière plus ou moins continue les saisons des théâtres germaniques.

Le Roi Lear est une tragédie qui s’éloigne des canons shakespeariens, au sens où elle se disperse peu en actions secondaires, et qu’elle n’est que l’histoire d’une déchéance programmée, celle d’un Roi trop confiant, qui n’a rien du Prince machiavélien, de ce Prince vanté aussi par Molière dans Tartuffe (Acte V sc.7) qui est un exposé de qualités que le Roi Lear n’a pas, ce qui montre dès le départ de la pièce, que Lear n’est pas (ou plus) un bon souverain.
« Nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude
Un Prince dont les yeux se font jour dans les cœurs
Et que ne peut tromper tout l’art des imposteurs
D’un fin discernement sa grande âme pourvue
Sur les choses toujours jette une droite vue ;
Chez elle jamais rien ne surprend trop d’accès,
Et sa ferme raison ne tombe en nul excès. »
On pourrait faire émerger une définition de Lear en remplaçant bien des mots de ce texte par leurs antonymes. Lors que le rideau se lève, Lear ne correspond plus à la définition du Prince vertueux et n’attend de ses filles que des mots, indépendamment de leur véracité, pourvu que ces mots tressent sa gloire. Le jugement l’a déjà abandonné.
C’est donc l’histoire d’une déchéance à laquelle s’attache Shakespeare. Autour de Lear, un monde de duplicité et de mensonge, qu’il épouse pour chasser la seule expression de sincérité, celle de Cordelia, qu’il est incapable de discerner. Du même coup, tous les personnages positifs sont emportés dans la ruine. Et les mécanismes du pouvoir font le reste, avec leurs abus et leurs cruautés : Lear est peu à peu isolé et chassé parce qu’il ne représente plus ni menace ni pouvoir, encore moins que le dernier de ses ex-sujets.

A priori, on comprend pourquoi aucun des grands projets autour du Roi Lear au XIXème siècle n’a vraiment réussi. La trame est peu « opératique » puisqu’au fond tout est à peu près dit dès les premières scènes et qu’il y a peu de péripéties. Drame d’individualités plus que de situations, Lear n’avait sans doute pas un destin lyrique malgré les envies des uns ou des autres.
Ce qui caractérise le Roi Lear, c’est aussi un certain dépouillement et Calixto Bieito l’a bien saisi, décevant ceux qui pensaient à une mise en scène échevelée et provocatrice. D’abord, aucun spectacle de Bieito n’est provocateur, si l’on considère que l’adjectif gratuit est sous-entendu. Bieito est un analyste des textes et des situations et va jusqu’au bout de leurs possibles, sans jamais en abdiquer la cohérence. Ainsi de cette idée de doubler Lear par un personnage de fou, dépouillé jusqu’à la nudité, corps décharné comme pris au Greco confié à l’excellent Ernst Alisch. Ce qui passionne Bieito, c’est la constatation d’une violence universelle, d’un isolement des êtres, et d’une société presque seulement régie par des rapports de forces. Il en résulte souvent des tensions à la limite du supportable, des images de violence, du sang et du sexe : mais quel autre spectacle s’offre-t-il à nous dans le monde d’aujourd’hui ? Ainsi du Roi Lear, qui n’est que le constat d’une déchéance et d’une déréliction du monde, états et individus. Où les « bons » meurent et les « méchants » triomphent, où le mensonge est l’outil du verbe, et le verbe n’est plus Dieu. Rien n’est racheté à la fin. Le désert des âmes règne dans une désolation de corps difformes, mis à nu, et un désert fait de cadavres, dans un monde étrange entre théâtre de la cruauté et théâtre de l’absurde, quelque part entre Artaud et le Ionesco du « Roi se meurt » .
Comment montrer le désert des âmes, c’est bien l’objet de cette pièce terrible à laquelle Aribert Reimann s’est attaqué, pour que le personnage de Lear habille Dietrich Fischer-Dieskau, dans un hiver des âmes, sans voyage autre qu’une errance et qu’un abandon.
La partition de Reimann fait la part belle aux écarts, aux solos de percussions ici placées dans les loges d’avant-scène, au niveau des baignoires, et quasiment dissimulées à la vue du public, mais donnant une sorte de ligne permanente; les cordes, dans la seconde partie surtout, sont particulièrement subtiles, et très sollicitées dans un jeu de clair-obscur que Fabio Luisi réussit à merveille à rendre. Dans l’ensemble, l’orchestre de l’opéra est remarquable, et Luisi, qui est un très grand technicien exalte avec une précision redoutable les rugosités de la partition, qui finit par sonner étrangement « classique », dans un climat tendu, ce qui n’étonnera pas personne vu l’œuvre.
Classique aussi la vocalité qui résume sans doute toutes les couleurs vocales de l’opéra, du contreténor au baryton-basse, et les variations sur la voix de soprano, du dramatique au lyrique, trois couleurs différentes merveilleusement personnifiées par Merbeth, Sunnegårdh et Dasch. Cette dernière, qui reprend un rôle créé par Julia Varady (Madame Fischer-Dieskau à la ville), une voix pleine, qui oscillait entre Donna Elvira (dont elle fut une interprète légendaire) et Abigail (phénoménale sur la scène de l’Opéra Bastille), et qui n’avait aucune difficulté avec ce rôle construit pour elle. Annette Dasch a cette expressivité marquée, avec une voix toujours aux limites (on pense à son Elsa, sur le fil du rasoir elle aussi), mais qui va très bien avec le propos de Bieito et ce personnage fragile, sensible et tendre. Annette Dasch a une sorte de « tendresse tendue » qui rend cette fragilité éminemment prenante et émouvante, même si le chant n’a peut-être pas la richesse d’autres voix, elle a une présence en scène qui saisit le spectateur, d’une manière singulière, elle est à la fois jeune et mûre, fille et mère, comme le souligne la figure de pietà michelangelesque que Bieito compose à son retour vers son père, une figure maternelle guidant un père que la raison a abandonné.

 Regain (Erika Sunnegårdh) Lear (Bo Skovhus) Goneril (Ricarda Merbeth) Narr (Ernst Alisch) (©Elisa Haberer
Regain (Erika Sunnegårdh) Lear (Bo Skovhus) Goneril (Ricarda Merbeth) Narr (Ernst Alisch) ©Elisa Haberer

Ricarda Merbeth est une Goneril aux aigus triomphants et tranchants, avec des écarts phénoménaux , une expressivité extraordinaire, glaçante, et un jeu particulièrement fort. La couleur, le ton, le jeu tout en fait un personnage totalement opposé à Cordelia, une sorte de soleil noir contre le soleil pâle. Merbeth, qui ne me convainc pas toujours (une voix souvent exceptionnelle, mais une interprétation pour mon goût assez frustre) trouve ici un personnage qui lui va tout spécialement, pour cette fois totalement convaincant et présent.
Erika Sunnegårdh est surprenante de présence : son chant se définit par l’expressivité et la couleur, dans une interprétation très ciselée, particulièrement sarcastique, avec un timbre plus chaud que celui de Merbeth, et un sens de la parole particulièrement travaillé. C’est peut-être des trois sopranos celle que j’ai préférée, avec beaucoup de présence, sans la puissance d’une Merbeth certes mais, un sens de l’insinuation, une ironie marquée, une sulfureuse présence qui m’ont vraiment étonné. Les trois femmes marquent la production dans leurs personnalités contrastées, qui valent bien celles de l’enregistrement d’Albrecht.
Autour de Lear et des trois femmes gravitent des personnages divers, épisodiques, dont certains frappent pour la performance, comme l’Edgar d’Andrew Watts, le contreténor qui réussit à imposer une figure à la fois inquiétante et déchirante, dont la voix (de tête) réussit presque à créer le malaise ; performance exceptionnelle, qui marque la représentation, tandis que Andreas Conrad (Edmund) en très bon caractériste (c’est un Mime excellent), réussit à imposer à la fois l’idée de fragilité, d’inquiétude et de crainte qui habite le personnage. D’ailleurs, l’ensemble des personnages qui entourent Lear sont tous à des degrés divers ballotés entre une vraie faiblesse ou une vraie fragilité, et quelque chose de mystérieux ou de redoutable, par ces faiblesses même, comme l’Albany de Andreas Scheibner ou même le roi de France de Gidon Saks, à la fois noble et faible, du moins tel qu’il est ressenti par la mise en scène de Bieito, ou le Gloster bouleversant de Lauri Vasar, un des artistes les plus solides de l’actuelle génération.
Bo Skovhus est devenu le Lear du moment. L’acteur est tendu et émouvant dans son personnage de roi descendant progressivement aux enfers, personnage à la Ionesco que ne démentirait pas le Béranger 1er du Roi se meurt, comme évoqué plus haut. La voix particulière, opaque, qui semble quelquefois fatiguée (mais l’est-elle vraiment ?) convient tout particulièrement à Lear, une voix dépourvue de la noblesse et de la profondeur qu’avait Fischer-Dieskau, mais qui en revanche gagne en humanité et en déchirement. Bo Skovhus cependant a quelquefois tendance à chanter de manière uniforme des rôles assez différents ; j’ai retrouvé dans ce Lear des accents d’autres rôles, comme Cortez de Die Eroberung von Mexico, voire Schön dans Lulu . J’applaudis la performance, mais je ne suis pas vraiment ému.  Il reste que l’image finale de Lear, assis au bord de scène, restera marquante.

Lear (Bo Skovhus) ©Elisa Haberer
Lear (Bo Skovhus) ©Elisa Haberer

Le chœur masculin (dir.Alessandro di Stefano) est particulièrement attentif aux paroles, même si on l’entend dissimulé derrière les lattes de bois qui forment décor. Quant à Fabio Luisi, inattendu dans ce répertoire, il a conduit l’orchestre de l’opéra avec une sûreté et une rigueur marquées. Il réussit à rendre à la fois toutes les délicatesses de cette musique et même son classicisme, et les écarts, les dissonances, la force, notamment des percussions particulièrement élaborées et distribuées aux marches de l’orchestre. Ainsi, jamais les voix ne sont couvertes, et l’approche est si claire et si transparente que la lisibilité de la musique est totale : l’orchestre de l’opéra, sans aucune scorie, avec une tension remarquée et un engagement total, dans une partition qui allie rudesse et délicatesse, violence et retenue, est tout particulièrement à l’honneur.
Au total, une soirée passionnante, surprenante aussi par certains aspects, qui a été accueillie triomphalement par le public –Reimann, présent et ravi, et  même Bieito, ce qui ne laisse pas d’étonner-, car elle correspond exactement à ce qu’on attend de l’opéra, drame, émotion, tension. Il reste à souhaiter que la production soit reprise dans les saisons suivantes pour s’installer durablement dans le paysage français où depuis les 34 dernières années, elle n’avait pas réussi à s’imposer. [wpsr_facebook]

Décor et ambiance©Elisa Haberer
Décor et ambiance©Elisa Haberer