OPÉRA NATIONAL DE LYON 2012-2013: DIE ZAUBERFLÖTE (LA FLÛTE ENCHANTÉE) de W.A.MOZART LE 4 JUILLET 2013 (Dir.mus:Stefano MONTANARI; Ms en scène: Pierrick SORIN et Luc DE WIT)

Le jour…©Stofleth

Connaissez vous le principe de la météo à la TV? Le journaliste devant un écran bleu regarde sur la droite une carte météo, et à l’écran la carte est incrustée sur l’écran bleu, comme si le journaliste évoluait devant alors qu’il est à côté. Illusion vidéo.
C’est ce principe qu’applique le vidéaste Pierrick Sorin pour cette Flûte Enchantée lyonnaise, chantée par les jeunes  studio de l’opéra de Lyon (dirigé depuis 2011 par Jean-Paul Fouchécourt) en deux distributions en alternance: les chanteurs chantent chaque jour, mais pas les mêmes rôles (par ex. le Tamino de la distribution A chante le premier homme d’armes dans la distribution B), seule, la Reine de la Nuit (Sabine Devieilhe) chante son rôle dans les deux.
Ce principe énoncé, je ne sais s’il sera facile au spectateur de la retransmission cinéma du samedi 6 juillet (qui atteint aussi Paris cette année) de repérer le trucage de manière si claire, puisqu’un des propos de la mise en scène est justement de proposer les chanteurs en trois dimensions sur le théâtre qu’on voit en direct sur un grand écran,  en vidéo sur des fonds divers (forêt, ciel, mur et fenêtre, fond aquatique).

Dispositif…©Stofleth

L’originalité du dispositif consiste en général en trois espaces divers : au centre un fond bleu devant lequel évoluent les personnages et sur les côtés de petites maquettes éclairées et reprises en caméra figurant les décors: le résultat de la fusion-incrustation des personnages et des petits décors se voyant sur l’écran au dessus de la scène. Des costumes colorés (même si les initiés du Royaume de Sarastro sont en blanc) , des décors d’albums d’enfants quelquefois désopilants, comme les enfants sur un nuage, sur une soucoupe volante, dans un panier d’osier,

Animaux…©Stofleth

les animaux (lion, éléphant, cheval) dont les têtes semblent voler en apesanteur, Sarastro sur fond de prairie fleurie dont les fleurs croissent à mesure de l’avancée de l’air.
Le procédé se répète pendant toute la soirée, et finirait par devenir répétitif (sans cesse entrée et sortie de figurants en collant bleu pour être invisibles à l’écran), mais le spectateur se laisse gentiment faire, et attend les idées de l’effet suivant. Certains sont moins réussis

Épreuves ©Stofleth

(paradoxalement les épreuves du second acte), d’autres mieux, comme la première apparition de la reine de la nuit, quelques scènes (notamment les scènes de chœur, échappent à ce procédé, sans créer d’effets alternatifs ou originaux: car pour le reste, il n’y a strictement aucune idée de mise en scène.

Apparition de la Reine de la Nuit ©Stofleth

Les personnages souvent contraints d’être devant ce mur bleu qui assure les effets d’incrustation ne peuvent donc bouger, et quand ils bougent, ils restent dans la plus stricte conformité à la tradition.
Certains se sont ennuyés et ont trouvé qu’on a vite viré au procédé, d’autres se sont laissés faire, et ont joué le jeu de l’image, de l’enfance, de la distance réel/virtuel, sans trop se malaxer la cervelle. C’est mon cas, le spectacle se laisse voir, il est frais, il rappelle des dessins d’enfants, des jeux (et des applications qu’on trouve aujourd’hui sur la toile pour se photographier dans des espaces virtuels) et on glisse aimablement du début à la fin. Ce n’est sûrement pas LE spectacle de l’année, ni à Lyon, ni ailleurs, mais c’est un spectacle agréable, vraiment agréable, et même sans tape à l’œil, vu que les effets se répètent et finissent par être attendus.
Du point de vue musical, c’est un peu différent; le studio de l’opéra de Lyon, ne fonctionne pas comme une école en continu mais travaille plutôt en sessions de préparation des productions (dans un village de Saône et Loire) entre lesquelles les jeunes chanteurs peuvent auditionner ou travailler. Le jeune Mauro Peter, Tamino de très grande qualité, ira l’an prochain à Zurich en troupe. C”est la première fois qu’une production entière est confiée à des jeunes issus du studio. On peut affirmer sans crainte que c’est une réussite. L’ensemble est homogène, et même si il y a des rôles qui manquent encore un peu d ‘assise, le spectacle tient très largement la route, à commencer justement par le Tamino de Mauro Peter, un jeune ténor qui pourrait être à l’orée d’une belle carrière. Magnifique ligne de chant, joli timbre, belle diction, la voix a la largeur voulue et le chanteur a du style, de l’élégance et de l’intelligence. Vraiment à retenir.
À retenir aussi, mais sa carrière est lancée (La reine de la Nuit à Paris, festival de Glyndebourne etc…), la Reine de la Nuit tout à fait extraordinaire de Sabine Devieilhe, dans la grande tradition des sopranos colorature à la française: une reine impeccable, avec tous les aigus, l’agilité, les vocalises stratosphériques. Le second air “Die Hölle Rache” est interprété avec une sûreté et une précision impressionnantes dans les notes piquées . Une prestation exceptionnelle.

 Le dispositif…©Stofleth

La Pamina de Heather Newhouse, familière du répertoire baroque, ne m’a pas impressionné au premier acte, même si la diction est bonne, si la musicalité est impeccable, le contrôle sur la voix sans reproche, j’ai trouvé que la projection  manquait de puissance, que le registre central n’était pas totalement convaincant. En revanche son second acte emporte l’adhésion par l’émotion diffusée, par l’interprétation très contrôlée, très juste notamment de son “Ach ich fühl’s”, par un contrôle impressionnant du souffle et simplement par une technique globale non seulement maîtrisée, mais presque sublimée par la science de l’interprétation. Magnifique.
Moins convaincant le Sarastro de Johannes Stermann, belle voix de basse qui pour moi manque un peu de maturité et d’étendue pour Sarastro dont il a la taille, mais pas l’épaisseur ni la présence.
Les trois Dames (Barbara Zamek, Camille Dereux, Dorothea Splilger) s’en tirent avec honneur, même si j’ai moins apprécié la troisième dame, et les enfants (avec quelques scories et quelques erreurs de mesure) très frais.
Le Papageno de Philippe Spiegel malgré un joli costume, manque de cette présence qui doit remplir la scène, et manque surtout d’épaisseur vocale. Peu d’aigu, un chant un peu monotone et jamais vraiment de relief: il est sympathique en scène, mais il lui manque cette légèreté, cette aisance, ce délié qui doit habiter les Papageno. Il lui manque enfin un chant au registre étendu, car la puissance n’y est pas. Un Papageno un peu en creux.
À noter également le très joli timbre et l’élégance de Rémy Mathieu qui compose un Monostatos qui pour une fois n’est pas caricatural. Tout le reste de la distribution (Sprecher et homme en armes de Jean Baptiste Mouret, homme  en armes de Jan Petryka, prêtres de Bonko Koradjov et Guillaume Andrieux, Papagena très fraîche et alerte de Caroline MacPhie) n’appelle pas de reproches, tout fonctionne à la perfection.
Tout fonctionne aussi vraiment sans problème avec le chœur  d’Alan Woodbridge et grâce à la direction musicale de Stefano Montanari. On pourrait préférer quelque chose de plus lyrique, de plus “poétique”, des tempos plus apaisés, plus de legato. Stefano Montanari , violoniste, vient du baroque, et “sonne” baroque, rythmes soutenus, sons très secs, tempos rapides, beaucoup d’énergie et un look un peu rock assez sympa , du Rockspiel à défaut de Singspiel. Tout cela est rondement mené, avec un orchestre précis et dont le son finalement surprend un peu pour Zauberflöte, mais finit par convaincre, en cohérence avec une acoustique de salle qui convient mieux à ce type d’approche.
Il en résulte ce qu’on appelle une bonne soirée, une très bonne soirée même qui ne laisse pas le public indifférent (très gros succès, plusieurs minutes de rappels). Je ne peux que vous encourager, lecteurs rhônalpins ou parisiens, à passer trois heures sous les étoiles samedi pour écouter cette Flûte dans la douce chaleur de l’été, et vous rafraîchir à la source Mozart, la plus jeune, la plus inventive, la plus jaillissante qui soit.
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La nuit…©Stofleth