LUCERNE FESTIVAL 2014: DANIELE GATTI DIRIGE LE MAHLER CHAMBER ORCHESTRA le 25 AOÛT 2014 (MENDELSSOHN); soliste, MIDORI (violon)

Daniele Gatti à la tête du MCO © Georg Anderhub/Lucerne Festival
Daniele Gatti à la tête du MCO © Georg Anderhub/Lucerne Festival

J’ai entendu Daniele Gatti diriger pour la première fois en 1991, à Bologne, le Moïse de Rossini, avec une toute jeune Antonacci, à peine sortie des concours de chant. Rossini a été une pierre miliaire dans ma relation à ce chef, je l’ai entendu de nouveau, mais à Pesaro, et toujours avec les musiciens de Bologne, dans La Donna del Lago avec un jeune Florez, Mariella Devia et une toute jeune Barcellona. Puis à Aix, dans l’écrin enchanteur du Grand Saint Jean, avec le Mahler Chamber Orchestra, dans Il Barbiere di Siviglia. J’aimais ce Rossini, vif, alerte, un peu plus symphonique que chez d’autres chefs et déjà si attentif au chant et au plateau. Entre temps bien entendu je l’avais entendu en concert, mais Daniele Gatti  sera toujours pour moi lié à ces expériences rossiniennes, très personnelles, très rigoureuses aussi, ce Rossini rythmé, assez carré au total, mais aussi pétillant,  pas forcément comme du champagne, peut-être le frémissement de l’eau sur la roche des torrents qui s’écoulent, un Rossini vivace, et vivant, légèrement bouillonnant comme l’acqua pazza chère à la cuisine de mer en Italie.

Ce soir, dans un tout autre programme, j’ai entendu cette vivacité, mais en même temps une vivacité qui jamais ne reste à la surface, cela ne mousse pas comme le champagne justement, on est au contact direct de la matière musicale et surtout d’un discours. Cela ne mousse pas, et c’est peut-être ce qui crée la réserve de mélomanes qui ne réussissent pas à comprendre l’univers de Gatti.
Un exemple, le concerto pour violon de Mendelssohn, joué par Midori l’autre soir et accompagné par l’excellent Mahler Chamber Orchestra . Une connaissance en sortant du concert a trouvé l’orchestre trop fort, empêchant la violoniste de laisser libre cours à l’inspiration et à la respiration musicale et a donc attribué au chef la responsabilité de l’ambiance musicale installée.

Midori, Daniele Gatti et le MCO © Georg Anderhub/Lucerne Festival
Midori, Daniele Gatti et le MCO © Georg Anderhub/Lucerne Festival

Or, je n’ai rien vu de tout cela, et pour moi la question n’était pas celle de fort/pas fort ou de l’ambiance musicale, mais celle de la soliste, prodigieuse techniquement, mais complètement abstraite dans son univers, jouant du violon, mais ne faisant pas vraiment  de musique, lancée à corps et à archet perdu dans une performance solitaire, et ne semblant pas écouter l’orchestre, ni jeter un œil au chef. Vite separate, des vies séparées, comme disent les italiens. Je n’ai pas ressenti vraiment la musicienne derrière ce jeu, et j’ai entendu des notes de Mendelssohn mais non sa musique, une sorte de Mendelssohn revu et corrigé par Paganini. Il suffisait de voir les gestes de Gatti, les regards, pour comprendre qu’il n’arrivait pas à entrer en contact avec la soliste dans son scaphandre. Or, Gatti est musicien, et le but d’un concert, c’est bien faire de la musique et non pas être seulement dans la performance : il ne pouvait pas faire de musique avec Midori, il a donc renoncé en se refusant d’entrer dans cette course-là. Au rythme effréné de la soliste, toute à sa course contre la montre, toute à ses notes, sans expression, sans discours, sans aucun intérêt, il a opposé une sorte de neutralité bienveillante, mais n’entrant visiblement pas en synergie. Lucerne a invité Midori comme artiste étoile, il était légitime qu’elle soit la soliste ce soir, même si la musique y a perdu.
Le bis (Bach) solitaire et glacé, était quand même un peu plus animé oh, une simple goutte d’âme dans cet océan gelé.
Ce concerto de separati in casa (séparés à la maison) m’a rappelé dans ce même lieu le dernier concert Perahia/Abbado où le soliste essayait de diriger et d’imposer ses rythmes…les répétitions avaient été croquignolesques, mais le concert défendable car c’étaient deux très grands artistes, ou bien certains soirs où Radu Lupu n’écoute plus que lui même perdu dans son univers. Mais Perahia et Lupu sont des musiciens, Midori est une violoniste. Du moins est-ce ainsi que je la perçois, plus soucieuse du rendu de son bel instrument que de la musique, plus technicienne que visionnaire. On peut comprendre que l’orchestre soit attentif au soliste, ce qui était le cas, mais c’était une attention obligée et non concertée justement. Où est l’intérêt du concerto si le concert n’est plus le concours de deux personnalités artistiques et un dialogue d’univers ?
Bien évidemment, la Symphonie n°4 de Mendelssohn « italienne » a été d’une autre couleur. Le Mahler Chamber Orchestra, on le sait constitue le tronc du Lucerne Festival Orchestra, et joue un à deux concerts pendant les premières semaines du Festival, en parallèle avec les programmes du LFO. C’est un orchestre accompagné par Abbado depuis sa fondation. Même si le groupe a évolué, il reste suffisamment de musiciens présents depuis les origines pour créer un esprit qui reste «  faire de la musique ensemble », avec des pupitres de très haut niveau, notamment dans les bois (Emma Schied et Mizuho Yoshii Smith au hautbois par exemple, ou Chiara Tonelli à la flûte, Olivier Patey à la clarinette),  un son d’une clarté toujours exceptionnelle et surtout un enthousiasme à jouer qui ne faiblit pas : un orchestre à la qualité d’une exemplaire régularité.
En début de concert l’ouverture du Songe d’une nuit d’été, a un peu posé le Mendelssohn de Gatti, avec les premières mesures que Wagner va réutiliser pour Tannhäuser (pour une autre nuit, celle de la romance à l’étoile…), un Mendelssohn contrasté avec une très grande légèreté alternant avec le côté spectaculaire que doit nécessairement avoir une ouverture, et une très belle dynamique, mais qui reste maîtrisée par le soin apporté aux transitions, et à la fluidité, avec un son plein, presque quelquefois terrien, en tous cas très théâtral car on revient aussi malgré les explosions sonores, à la légèreté et à la rapidité des cordes, tout en conservant une très grande clarté (les flûtes en écho des violons) et des interventions des cuivres qui feraient presque penser à du Weber: après tout, il a aussi composé un Oberon et Mendelssohn s’en souvient…
La symphonie « italienne » est interprétée dans le même esprit : même les toutes premières mesures font irrésistiblement penser à Abbado, ainsi que la première partie de l’allegro vivace, justement vivace, sans être allégée au maximum comme chez Abbado qui joue le jeu du presque rien totalement inégalable, Gatti prend au autre chemin. Il essaie de montrer dans cette Italie de Mendelssohn non pas la traduction musicale d’une Italie qui serait décrite, mais l’interprétation musicale d’une Italie rêvée, de l’Italie telle que la culture allemande la rêve dans le cadre d’un Drang nach Süden goethéen (Goethe est vivant au moment du voyage en Italie de Mendelssohn et sans doute est-il encore vivant quand Mendelssohn commence à composer sa symphonie). Il s’agit, plus que d’une évocation, d’une lecture au sens intellectuel du terme d’une Italie rêvée par l’Allemagne. On y entend une très grande fluidité, une belle dynamique, un rythme dansant, mais pas de danse italienne, une manière de danse, et– et peut-être me trompé-je, j’entends surtout des échos schubertiens: j’entends vraiment le romantisme allemand, c’est à dire une joie ensoleillée mâtinée de mélancolie, une Italie légèrement assombrie (on entend merveilleusement les contrebasses scander certains moments et leur donner cette touche un peu grave, pour le sens et pour le son). Plus j’écoute le travail de Gatti et plus je trouve qu’il y a une approche jamais complaisante, où l’intellect compte autant que le sensible : il ne nous laisse pas envoûter par l’Italie, mais il essaie de traduire musicalement une représentation italienne telle que la culture allemande la peint, et Mendelssohn est à la fois un homme de culture, un voyageur, qui sait construire une sorte de synthèse entre sensible et intellect, entre ce qu’on attend de l’Italie (en début de mouvement) et quelque chose de plus profond, de plus épais qu’on attend moins et qui va se développer dans le deuxième mouvement, soutenu par les très beaux bois du MCO, dont les échos sont clairement plus mélancoliques (inspiré de chants de pèlerins), presque picturaux, j’ai pensé aux voyages en Italie bien sûr, et curieusement à celui du Marquis de Sade, qui s’était fait accompagner d’un peintre, Jean Baptiste Tierce, qui livrait sur l’heure ses visions. Je sais que je ne fais pas œuvre critique ici, mais j’essaie de traduire et de raconter ma promenade intime dans cette Italie de l’intellectuel sensible et artistique que Gatti voit dans Mendelssohn, où l’art n’est jamais loin, et d’évoquer la construction d’un paysage intérieur qui m’est propre. Échos sonores et échos picturaux se mélangent, dans ce moment où Gatti a su exalter les sons plus graves, a su donner une épaisseur qui est tout sauf de la lourdeur, car son orchestre est consistant, même au troisième mouvement plus dansant, comme s’il voulait éviter une sorte de légèreté de tarentelle qui ferait croire à un travail seulement joyeux.
Il y a de la joie, il y a du sourire, il y a du soleil, il y a de la nature dans ce rythme dansé et quelque chose d’agreste, avec l’évocation de la chasse (magnifique cor de José Vicente Castellò), nous sommes dans l’élégie dans ce qu’elle a de double, à la fois légère et grave, dans ces visions que je lie aux Bucoliques de Virgile, qui raconte ici la même Italie : toute description agreste de l’Italie prend quelque chose à Virgile.

L’explosion finale avec sa rapidité, avec sa domination de la flûte au départ, son rythme, devrait être joyeuse, du moins c’est ce qu’on lit partout. Je ne lis pas de joie explosive, j’y sens toujours quelque chose d’un peu tourmenté : d’une certaine manière Gatti nous en dit plus sur le romantisme que sur sa riante Italie. Il y a dans sa manière de diriger tout sauf les absurdités qu’on lit quelquefois (« ou trop doux, ou trop fort… »), il y a au contraire une science des dosages et des volumes qui m’a frappé dans ce dernier mouvement, tout en maintenant une vraie dynamique et une vraie fluidité sonore, et la dernière partie est vraiment presque tendue car dans les dernières mesures on est au seuil de Beethoven : oui, c’est bien sur une ambiance beethovénienne que se termine cette étrange « Italienne » qui m’a fait rêver littérature et penser Allemagne, comme si Gatti voulait nous faire toucher quelque chose de l’âme allemande, et refusait une Italie de complaisance et superficielle, pour nous plonger dans le rêve d’Italie tel que l’ont vécu tous les grands artistes des temps modernes.
En ravivant mes souvenirs de lectures et de peinture, ce fut pour moi un beau moment, sensible, profond, émouvant. Un moment où prend sens le mot culture. [wpsr_facebook]

Midori, Daniele Gatti et le MCO © Georg Anderhub/Lucerne Festival
Midori, Daniele Gatti et le MCO © Georg Anderhub/Lucerne Festival

PHILHARMONIE BERLIN 2012-2013: Claudio ABBADO dirige les BERLINER PHILHARMONIKER les 18, 19 & 21 MAI (MENDELSSOHN & BERLIOZ)

La foule debout, Abbado salue les musiciens

SAMEDI 18 MAI

J’ai tellement usé de superlatifs pour qualifier les derniers concerts de Claudio Abbado que je crains à la fois de manquer de ressources grammaticales pour marquer un degré supérieur de comparaison et de lasser le lecteur qui pensera qu’en ce monde où l’emploi du superlatif est devenu commun, en politique, en football et en art, je sacrifie à une mode médiatique. Et pourtant…
Et pourtant, à Florence le 4 mai dernier le concert était extraordinaire, à un niveau rarement atteint par les orchestres impliqués, et l’interprétation de Wagner, Verdi et Berlioz semblait s’être installée dans le marbre définitif des soirées mémorables.
Et ce fut effectivement une soirée à la fois mémorable et émouvante.
Il faut néanmoins ouvrir un étage supérieur du paradis musical, pour y placer le concert du 18 mai à la Philharmonie de Berlin, car ce fut anthologique. Ce fut écrasant et lumineux. Ecrasant car devant un tel monument, on ne peut que rester époustouflé. Lumineux parce que ce concert a encore ouvert des horizons inconnus. On avait sans doute oublié que les Berliner Philharmoniker, quand ils adhèrent à un projet, quand ils s’engagent aux côtés d’un chef, quand ils font de la musique pour quelqu’un, quand ils sentent la singularité du moment d’exception, peuvent être les instruments du pur miracle. Jouer ainsi, dirais-je, est-ce encore humain?
On sait que les concerts de Claudio Abbado (un par an à Berlin) sont des moments très attendus d’un public qui l’a toujours aimé, cette année plus que toute autre, avec un programme romantique Mendelssohn/Berlioz, un programme presque shakespearien.
On a vu à Paris il y a un mois comment Mendelssohn pouvait nous parler, avec cette urgence, ce dramatisme, cette incroyable tension. On constate aujourd’hui comment il peut nous susurrer, nous murmurer, nous pacifier dans une interprétation de ces extraits du “Songe d’une nuit d’été” d’une légèreté séraphique: c’est Ariel qui nous parle en permanence, esprit du vent, esprit aérien qui à peine effleure le souffle des vents. Dès le départ, avec cet accord que Wagner va réutiliser tel quel, les cordes sont à peine audibles,  à peine effleurées, et produisent malgré tout un son si net, et si clair. Pour comprendre ce qui est proposé, et ce qui est ressenti, il faut se projeter dans un monde de divinités sylvestres, d’Elfes: jamais le son n’écrase, jamais il s’impose, mais il se glisse, mais il s’insinue, avec une souplesse, une fluidité une justesse qui confond. Quelle technique chez les cordes! Et quelle magie…on y lit tout, le monde fantastique de l’œuvre, mais aussi les lectures de l’enfance, les contes, la naïveté et une légèreté inouïe, inouïe, à n’en pas croire ses oreilles. On sait qu’Abbado obtient des pianissimi de rêve, auprès de tous les pupitres, y compris des percussions, et auprès de tous les orchestres. Ce qui frappe ici, c’est qu’on est dans un espace sonore qu’on n’arriverait pas à imaginer, l’espace de l’effleurement, de la caresse invisible, un espace où seul la plume et ses douceurs aurait accès.
D’une certaine manière, l’intervention des voix (magnifique chœur de femmes du Bayerische Rundfunk, dirigé par Konstantia Gourzi, plus ordinaires les solistes Stella Doufexis et Deborah York – mais d’où j’étais placé, il est difficile de saisir une projection vocale) a non interrompu la magie, mais ramené à de plus terrestres effets, poétiques, certes, mais d’une présence presque gênante tant c’était l’orchestre qui semblait à tous tout en poésie, tout en abstraction, tout en vapeur. Il faut faire un sort au “Notturno” dont le cor de Martin Owen fut un moment extatique. Même si Stephan Dohr était absent, ce musicien du BBC Symphony Orchestra “prêté” pour six mois aux Berliner a fait étonnement, sinon merveille, dans une pièce où l’ambiance sonnée par le cor est déterminante, définitive. Il n’est que d’entendre le soupir du public à la fin du morceau. La fameuse “marche nuptiale” fait toujours son effet, interprétée avec le juste tempo et sans aucune couleur martiale, et enfin le finale, qui reprend les premières mesures, avec le chœur en complément, et qui finit en extase, oui une douceur extatique, nous a renvoyé tout droit au ciel, à la nuit paradisiaque d’un été de rêve… rien qu’en l’écrivant, mon cœur bat.
En abordant la Fantastique, j’avais évidemment en tête l’interprétation fulgurante du concert de Florence, et la répétition générale de la veille, où évidemment, la différence de pâte sonore se note dès les premières mesures. Je ne renie rien de ce qui a été dit du concert florentin, j’ai trop vibré pour cela.
Mais il faut se rendre à l’évidence dès les premières mesures: de cette tristesse inhérente au début à Florence, il reste la mélancolie, il reste la retenue, il reste aussi un discours qui nous parle immédiatement et il y a surtout un incroyable toucher des cordes, qu’on va encore éprouver de manière plus aiguë plus tard, avec des pizzicati confondants du côté des contrebasses et des altos notamment, mais aussi encore plus légers, encore plus fins, encore plus limbés, chez les violons.
On ne sait que dire, que rappeler, que citer pour donner au lecteur juste un goût de ce qui s’est passé, rappelons le final du premier mouvement “Rêveries-passion” à la fois urgent, inquiétant puis tendu et déchirant. La valse de “Un bal”, second mouvement qui n’est jamais apaisé, jamais vraiment gai: les quatre harpes initiales emmenées par Marie-Pierre Langlamet sont d’une incroyable présence, très marquées: Abbado ne les veut pas séraphiques, il ne les veut pas liquides, il les veut là, pleinement présentes, au milieu de l’orchestre avec un effet presque surprenant. Ce bal, c’est un dernier tourbillon, fluide, avec cette once de retenue qui montre qu’on n’est pas tout à fait emporté dans le mouvement, mais qu’on est toujours dedans et dehors, qu’on se dédouble presque dans un regard quasi prophétique.   Car c’est bien dans le troisième mouvement “Scène aux champs” que les choses basculent: je dois dire que là, nous sommes assommés par tant de beauté, née d’une telle capacité à saisir l’assistance: Dominik Wollenweber, le cor anglais nous a tous bouleversés. Certes, on dira, comme toujours, aussi bien dans Tristan que dans les Rückert Lieder, il a cette capacité de nous “interdire”, de nous saisir, de nous tirer les larmes, au départ avec le hautbois en coulisse de Jonathan Kelly (Albrecht Mayer ne jouait pas), d’une légèreté incroyable, mais surtout à la fin du mouvement, dans son dialogue avec des percussions souveraines, inquiétantes: le silence dans la salle était tendu, saisissant, et le soupir (et les toux) pendant la courte pause ont montré cette tension extrême créée chez le public qui se détend pour quelques menues secondes. Pendant la courte pause, d’un geste très discret avec un magnifique sourire, Abbado applaudit doucement le soliste – du jamais vu.
Les percussions et les cuivres sont mises à contribution dans la “marche au supplice”, mais c’est  l’accompagnement incroyablement en rythme des cordes, qui frappe. L’imposante collection de timbales fait avancer l’œuvre, donne les rythmes, avec une technique et une science du crescendo qui confond. Mais ce qui impressionne, c’est l’engagement de plus en plus net des musiciens, conscients de la magie de l’instant, ils donnent tout, ils explosent au moindre geste du chef, comme si ils étaient en parfaite osmose, même ceux qui ne le connaissent pas ou le connaissent à peine, il y a une communication subliminale inexplicable qui peu à peu s’est mise en place et produit l’exception. C’est évidemment dans le “Songe d’une nuit de Sabbat”, dernier mouvement, nuit de Sabbat et Dies irae, que le choc arrive à son climax: signalons d’abord la flûte d’Emmanuel Pahud, miraculeuse: tous les sons lui sont possibles, les plus aériens, les plus violents, les plus dissonants dans une technique qui laisse bouche bée. Depuis le début de la symphonie, on va avec la flûte (et les bois en général) de surprise en surprise: ah! ces systèmes d’écho avec la clarinette incroyable de Wenzel Fuchs!! Ah! ces moments éperdus de légèreté dans le premier mouvement!! Ah! cet engagement dans le dernier!! Ces sons qui semblent venus d’ailleurs, à la flûte, aux violons, aux altos, avec ces decrescendos glaçants, étranges, dont on n’imaginait pas la présence aussi marquée dans la partition, mais dans cette danse macabre capable de tout, qui reste encore, une quinzaine d’heures plus tard, dans la tête et qui a toute la nuit de manière obsessive occupé mon cerveau, ce qui domine, c’est ce son des cloches immenses, placées sous la voûte, en haut, à gauche, juste avant le ciel, qui descend des hauteurs et qui scande de manière terrible, angoissante, presque effrayante, ce rondo funèbre qui conclut la symphonie.. Un journaliste écrit ce matin qu’avec ces cloches, c’était comme si Dieu était descendu dans la salle. Un Dieu vengeur, un dieu de terreur et de saisissement, pendant qu’explosait l’orchestre dans un mouvement d’une tension et d’un engagement extrêmes.
Et les cœurs battent, à l’unisson en salle et sur la scène, pendant qu’Abbado, visiblement épuisé, déchaine les forces telluriques de cet orchestre qui ce soir, n’a pas de concurrence et donne le vertige.
Alors, évidemment, là encore du presque jamais vu, pendant que la salle, qui explose en hurlements et applaudissements,  se lève dans un enthousiasme général, Abbado prend dans ses bras Guy Braunstein, le premier violon, puis va serrer la main dans les rangs des musiciens aux héros du jour, Pahud(flûte), Kelly (hautbois), Wollenweber (Cor anglais) , Fuchs (clarinette) aussi le cor de Martin Owen.
C’est une incroyable fête.
Et nous en sommes aussi abasourdis.
Les musiciens souriaient tous à la fin et se regardaient: on sentait la satisfaction et la joie! Revenu tard dans la nuit prendre mon véhicule dans le parking, des musiciens étaient encore là, sur le balcon de leur “cantine”, à bavarder, tant il était difficile de laisser le lieu avec la tête occupée à entendre encore et toujours  cette musique, dans le souvenir d’une soirée unique, qui restera dans les souvenirs marquants, sinon le souvenir marquant des dix dernières années.
Ce soir, 19 mai, le concert est retransmis sur internet via la Digital Concert Hall (voir le site des Berliner) et dans bien des cinémas d’Europe: Allemagne Autriche Suisse, UK, Irlande, Belgique, Italie…tiens il n’y a pas la France…cela vous étonne?

L’orchestre est parti, Abbado revient seul appelé par le public

DIMANCHE 19 MAI

19 mai, la salle, debout, applaudit Claudio Abbado

Fondamentalement, il n’y pas de grosse différence entre les deux concerts, même si le Songe d’une nuit d’été de Mendelssohn est apparu plus maîtrisé le 18 que le 19. Le cor de Martin Owen notamment n’a pas été au niveau de la veille (mais seulement dans Mendelssohn) et l’approche est apparue un peu plus agressive, moins éthérée que la veille. Il reste qu’on reste toujours abasourdi par la capacité des cordes a produire un son à peine audible, d’une légèreté époustouflante et par le travail des bois et notamment de la flûte vraiment incroyable d’Emmanuel Pahud. Étant à une autre place, derrière l’orchestre, le son n’est évidemment pas tout à fait identique, même dans la Philharmonie où la clarté du rendu est toujours exceptionnelle. Enfin nous avons su que la transmission dans les cinémas avait été un succès, et que par ailleurs la chef du chœur Konstantia Gourzi avait raconté dans une interview retransmise avoir été un peu bousculée quand Abbado, peu de jours avant les répétitions, avait demandé la version anglaise du texte, avec des partitions plus difficiles à trouver, mais que tout finalement avait été résolu. On ne peut que regretter encore que cette retransmission n’ait pas eu lieu en France.

Philharmonie, le 19 mai

Bien que le public soit ce soir un public d’abonnés, l’accueil  est toujours aussi chaleureux, toujours aussi vigoureux, et il explose de la même manière à l’issue de la Symphonie Fantastique, standing ovation, hurlements de centaines de “bravo!”. Et de fait l’exécution est encore ce soir anthologique. Inutile de se livrer au jeu du “c’est meilleur qu’hier!”: c’était fascinant de précision, de technique, d’acrobatie sonore, et une fois de plus Dominik Wollenweber au cor anglais a démontré sa maîtrise et surtout sa grande sensibilité, jouant très subtilement sur le volume, sur la légèreté, une fois de plus, Kelly(hautbois), Pahud (flûte), Fuchs (clarinette) ont chaviré le public par cet exceptionnel engagement qu’ils démontrent, mais j’ai aussi trouvé les harpes emportées par Marie-Pierre Langlamet exceptionnelles de netteté, de justesse, de présence sonore au 2ème mouvement (Un bal). Et puis on est encore surpris de la présence des cloches dont le son tombe sur la salle comme un signe du ciel. Extraordinaire effet qui rappelle combien Abbado (moins fatigué que la veille) est un sculpteur d’espace musical, qui met le son en relief comme un metteur en scène de théâtre.
Et puis, à la fin pendant les applaudissement, encore un geste jamais vu: Madeleine Caruzzo, violoniste du rang depuis les temps d’Abbado, sort rapidement de la scène pour aller chercher un bouquet de fleurs qu’elle lui remet sous les hurrahs de la salle, et évidemment l’orchestre sorti, Abbado revient seul visiblement ravi.
Le troisième concert a lieu mardi 21 après une journée de respiration bien méritée. Le devoir appelant ailleurs, je ne peux y assister, mais j’y serai par le cœur, cherchant à savoir auprès des amis présents comment ce sera, et sûr qu’on me dira comme d’habitude “Ah! comme tu aurais dû être là, c’était le meilleur des trois!”. Les retours d’Abbado à Berlin sont toujours des moments de joie, et des moments émouvants, mais cette fois, il y a eu miracle , grâce à un programme très bien trouvé, cohérent,  grâce à un orchestre qui a retrouvé son maître, et grâce à 80 ans de jeunesse.

Abbado, seul, devant les ovations du public (19 mai)

 

MARDI 21 MAI

J’étais absent, et comme je le prévoyais, ce fut au dire des amis présents non seulement le meilleur concert (mais qu’est-ce que cela signifie à de tels sommets?), mais aussi le plus émouvant, car bien des musiciens qui n’étaient pas retenus dans l’orchestre pour cette série étaient dans le public, et très émus. Je ne résiste pas à vous transmettre ce court compte rendu d’une de mes plus fidèles amies:

” En effet c’était de la magie. Il était détendu, souriant, très engagé (plus que les autres soirs il a prononcé tout le texte du Mendelssohn) et il donnait l’impression d’être bien reposé. Il n’a pas été épuisé au bout et le public a hurlé sa joie. Les musiciens étaient tous parfaits – pas de fautes, pas de “Kiekser” dans le cor. Albrecht Mayer était sur le podium et j’ai encore vu Riegelbauer, Ottensamer, Koncz et d’autres. C’était vraiment le sentiment d’une grande soirée.”

Et voilà, prochain rendez-vous à Paris le 11 juin, mais sans les Berliner, et rendez-vous à Berlin l’an prochain les les 16, 17 et 19 mai 2014 à 20h pour un programme Strauss (Till Eulenspiegel et Tod und Verklärung – Mort et Transfiguration -) et le concerto pour violon n°3 de Mozart avec Frank Peter Zimmermann en soliste. Mais avant, essayer de repérer Deutschlandradio Kultur le  28 mai 2013 à 20.03 Uhr qui retransmet le concert du 21 mai (celui de Digital Concert Hall est le concert du 19).
Je n’arrêterais jamais de parler de ces journées, qui m’ont vraiment marqué. Joie, immense joie. Et immense admiration.

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GEWANDHAUS LEIPZIG 2012-2013: Riccardo CHAILLY dirige l’Orchestre du GEWANDHAUS le 23 février 2013 (MENDELSSOHN, SCHLEE, MAHLER)

Leipzig, Augustusplatz, 23 février 2013

Soirée enneigée: il a fallu trois heures pour parcourir en voiture les 170 km qui séparent Berlin de Leipzig. ce soir concert spécial au Gewandhaus, salle de concert moderne située Augustusplatz, en face de l’Opéra où opère aussi l’orchestre du Gewandhaus. J’ai déjà eu l’occasion de rappeler l’histoire prestigieuse de cet orchestre, l’un des plus chargés d’histoire, dans une ville qui a vu naître Richard Wagner, où Jean-Sebastien Bach est enterré, et dont Felix Mendelssohn fut le premier “directeur musical” au sens moderne du terme. C’est dire que la Augustusplatz où trônent Opéra et Gewandhaus face à face est vraiment le centre référentiel d’une cité par ailleurs largement célèbre pour sa vitalité économique, avec sa foire considérée comme la plus ancienne au monde, qui remonte au Moyen Âge.
L’orchestre du Gewandhaus, on le sent quand les musiciens s’installent sous les longs applaudissements d’un public très largement autochtone, est vraiment l’orchestre identitaire de la cité, très lié à son histoire et récemment lié à l’histoire de la réunification puisque c’est autour de cet orchestre et de son chef Kurt Masur que les grandes manifestations de Leipzig ont eu lieu, foyer des premières manifestations contre la défunte République démocratique allemande.
Aujourd’hui, c’est Riccardo Chailly qui le dirige, jusqu’à 2018, et ce soir est programmé un des concerts spéciaux préparatoires à la tournée à Vienne qui aura lieu début mars. La soirée comprend trois pièces: une ouverture de Mendelssohn, le compositeur maison par excellence, l’Ouverture de Ruy Blas, écrite en 1839 pour précéder une représentation théâtrale du chef d’œuvre de Victor Hugo, une création “Rufe zu mir” (Appelle à moi) de Thomas Daniel Schlee, scène symphonique pour orgue et orchestre, et la 5ème symphonie de Mahler.
Mendelssohn détestait Ruy Blas, qu’il considérait comme une pièce nulle (Ich las das Stück, das so ganz abscheulich und unter jeder Würde ist, écrit-il à sa mère), il renonça à sa composition dans un premier temps, mais sous l’influence des commanditaires (la Caisse de retraite de l’Altes Theater, où Ruy Blas était représenté pour la première fois), et piqué par son ambition, il finit par la composer en trois jours, la faire jouer en introduction et la rejouer une semaine plus tard au Gewandhaus. C’est dire que la pièce symphonique de 8 minutes est assez indépendante de l’esprit ou de la lettre de la pièce de Hugo. Le Ruy Blas original est un drame romantique, l’ouverture de son côté est un exercice de style brillant qui rappelle un peu Weber et beaucoup les opéras de Schubert par son dynamisme et sa rapidité, ses contrastes et sa vitalité. Un esprit pas aussi noir que le drame hugolien, et exécuté par l’orchestre avec une clarté et une dynamique particulières, qui rappelle que Chailly est un très bon chef pour Mendelssohn.

La salle du Gewandhaus, dominée par son orgue

La salle du Gewandhaus, moins vaste que la Philharmonie ou le Gasteig à Munich, donne un sentiment de proximité de l’orchestre et a un son magnifique, très clair, très proche, très équilibré aussi: on entend tous les instruments, à égale valeur, avec une jolie réverbération qui enrichit l’espace sonore: c’est toujours un privilège que d’entendre un orchestre dans son espace propre, dont il connaît l’acoustique, car c’est quand même là qu’on mesure la totalité de ses qualités bien plus que lorsqu’il joue en tournée dans des salles dont il ne maîtrise pas l’acoustique. Le Gewandhaus a une acoustique magnifique et la prestation de l’orchestre, dès ce début de concert, est exceptionnelle.
La pièce de Thomas Daniel Schlee apparaît comme très liée au symphonisme post-Chostakovitch: une musique qui n’est pas très originale mais qui valorise tous les pupitres de l’orchestre avec des interventions de l’orgue qui permettent d’entendre l’instrument monumental qui trône au centre de la salle, au dessus de l’orchestre. A Leipzig, l’orgue est une question d ‘atavisme! Et Schlee est d’abord un organiste (né à Salzbourg) . Certains moments sont d’ailleurs plus intéressants: la transition entre un passage soliste de l’orgue aux cordes murmurantes, ou bien la fin de la fugue finale, reprise à la flûte et au piccolo. Les parties orchestrales, spectaculaires, pleines de relief, restent en deçà de l’originalité attendue, mais la pièce se laisse entendre avec plaisir.
Le moment attendu était l’exécution de la Cinquième de Mahler. J’avais entendu à Lucerne sa Sixième et Riccardo Chailly, depuis son passage au Concertgebouw peut être considéré comme un grand mahlérien.
La cinquième symphonie qui commence par une marche funèbre, peut-être liée à l’hémorragie intestinale dont Mahler a souffert en 1901 est créée en 1904 à Cologne sous la direction du compositeur. On pourrait croire que la symphonie va être marquée par une sorte de marche à la mort et que le climat général va en être atteint. Mais en contraste c’est la aussi la période du mariage avec Alma Schindler et d’autres considèrent le fameux adagietto comme une lettre d’amour à Alma, et le rondo-final comme une explosion positive. Abbado insiste souvent en revanche sur la souffrance de Mahler et son regard sarcastique sur la vie, d’où le soin qu’il prend à insister sur les moments plus lyriques, mais aussi sur les aspects ironiques ou plus sarcastiques de la musique (c’est visible dans son troisième mouvement), ses interprétations s’en trouvent allégées, très claires, cristallines mêmes, et avec des choix d’attaques très particulières, des sons grinçants, des moments noirs et des moments d’indicible douceur.
Chailly fait au contraire le choix presque exclusif de la dynamique: un tempo rapide, un refus de s’attarder sur ce qui pourrait être attendrissement, et sans appui lourd non plus sur les aspects morbides de la marche funèbre. Il se place résolument dans une optique d’avenir, dans une explosion d’espoir: son adagietto manque ainsi légèrement de sentimentalité, avec sa rapidité de rythme, même si il est parfaitement construit à l’orchestre avec les échanges aux cordes exemplaires, même s’il a sans doute le tempo juste. Karajan ou Abbado le prennent sur un tempo plus lent qui accentue l’arrêt sur image et sur une image fortement lyrique. Le choix de massifier les deux premiers mouvements en presque un seul bloc qui marque la dynamique explosive voulue. La courte pause entre le deuxième et troisième mouvement accentue la beauté du début du troisième mouvement (le scherzo). En fait il respecte parfaitement les pauses entre les parties (Abteilungen), avec une longue pause entre troisième mouvement et adagietto.
Je l’ai dit, la première partie est moins funèbre et plus explosive, avec une organisation dynamique, une grande rapidité des tempi, et une particulière vélocité des passages entre pupitres: apparaissent des moments sublimes notamment au niveau des violoncelles et contrebasses, en proportion plus nombreux que les premiers violons: ce qui massifie le son, et donne des moments d’une rare intensité lorsque violoncelles et contrebasses sont ensemble, seuls, ou au moment des (sublimes) pizzicatis.
Cette dynamique qui emporte la salle évidemment comporte le risque de quelques couacs (au cor) ou d’un suivi acrobatique des cordes notamment au dernier mouvement étourdissant et même époustouflant; rarement on a eu cette impression de valse folle où c’est le tourbillon qui domine, le mouvement, une joie un peu désordonnée mais totalement vitale, de cette vitalité qui déborde, et qui emporte tout sur son passage. Une interprétation totalement irrésistible, telle un fleuve formé par un barrage qui a craqué, un Vaion ou un Malpasset de la musique qui inonderait non de mort mais de joie, d’agitation et d’indicible espoir.
Il faut souligner également la qualité de l’exécution par l’orchestre du Gewandhaus: certes quelques imprécisions aux cuivres (cors et trompettes) malgré l’excellent trompette solo, mais les cordes, disposées différemment, de gauche à droite, violons 1, contrebasses et violoncelles, altos, violons 2, somptueuses, à l’écoute les unes des autres, menées par l’étourdissant Sebastian Breuninger, un spectacle à lui seul (il est l’un des “Konzertmeister” du Lucerne Festival Orchestra) ainsi que la petite harmonie sont absolument irréprochables, son d’une grande pureté, attaques impeccables, notamment à la flûte et au hautbois. Écouter un orchestre exemplaire, l’un des phares du monde symphonique allemand, dans sa salle à l’acoustique exceptionnelle, c’est un immense privilège dont les mélomanes peuvent jouir à des prix raisonnables (maximum 60 euros) .
Ainsi Chailly fait-il un choix très différents de ses collègues, d’un Mahler irrésistiblement dynamique, d’un Mahler de la vie, d’un Moi noyé dans la vie et dans un débordement dansant d’espoir, certains disent d’un Mahler presque “italien”. En ce sens , la cinquième est bien ce moment de climax qui va déjà évoluer dans la sixième, même si Chailly choisit là aussi d’avancer dans une dynamique d’énergie, mais du désespoir. Nous sommes au bord du gouffre de l’inconnu, mais nous sommes aussi dans le battement irrésistible de la vie, qui emporte sur son passage toutes les scories et les peurs, toutes les angoisses et les doutes. Un Mahler de l’Eden retrouvé.
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LUCERNE FESTIVAL 2010: Daniel HARDING dirige le MAHLER CHAMBER ORCHESTRA le 21 août 2010 (ELIAS, de Mendelssohn, avec Thomas QUASTHOFF, répétition générale)

Elias, de Felix Mendelssohn, n’est pas exactement une rareté, mais n’est pas exécuté régulièrement. c’est une très belle oeuvre, à la musique généreuse, où l’on entend à la fois des souvenirs de Haendel, de Bach bien sûr, et de Weber aussi mais que l’on sent aussi être la source d’inspirations postérieures. C’est une oeuvre au fort accent romantique, en deux parties, l’une à l’action plutôt dramatique, l’autre plus intériorisée. Elle est interprété par un bariton basse (Elias), un ténor, un soprano, un mezzo-soprano, et dans le choeur, huit solistes (quatre hommes, quatre femmes).L’histoire, tirée de l’Ancien Testament (Livre des Rois), raconte l’histoire d’Élie, qui menace son peuple de la sécheresse puisqu’il s’est détourné de l’Eternel et s’est remis à adorer les idoles. Le sacrifice d’un taureau va déterminer qui est le vrai Dieu, Baal ou Yaveh. Elie déchaîne le feu du ciel et le peuple reconnaît en l’Eternel le vrai Dieu, qui envoie la pluie. Dans la deuxième partie Élie est condamné à mort par la Reine, maison l’isole dans la montagne où il attend Dieu avec confiance, puis est aspiré vers le ciel dans un char de Feu.

J’ai entendu la répétition générale, enregistrée pour un disque, interprétée par Thomas Quasthoff, Michael Schade, Bernarda Fink, Julia Kleiter, l’extraordinaire Choeur de la Radio Suédoise, et le Mahler Chamber Orchestradirigé par Daniel Harding. Ce fut un vrai beau moment de musique. Daniel Harding a traversé une période difficile, et il m’est apparu plus sûr, avec un geste moins nerveux, cherchant une expression plus lyrique, plus ronde, moins rapide et moins tranchante que dans d’autres occasions. Il en résulte une pâte orchestrale superbe, une vraie osmose avec le choeur et les chanteurs, et un remarquable travail sur la couleur. Certes, ayant entendu le même orchestre (fondu dans le Lucerne Festival Orchestra) la veille, on reste étonné devant la différence d’épaisseur sonore, et même de clarté. Il reste que l’orchestre a été remarquable de bout en bout.

On reste éberlué par la qualité du choeur, dans les ensembles et dans les parties solistes, les quatre femmes notamment sont étonnantes, et les voix ont une qualité de voix solistes, et non de voix choristes. On connaît l’excellence de cette phalange, qu’Abbado a souvent dirigée aussi, et même si cette prestation merveilleuse est attendue de leur part, la surprise est toujours au rendez-vous. les quatre voix solistes sont remarquables elles aussi. Bernarda Fink chante sans jamais forcer, avec un naturel confondant, et une simplicité qui laisse tout décoratif pour aller à l’essentiel. Magnifique la prestation de Julia Kleiter, qui je dois le dire m’a étonné. je la considérais une bonne chanteuse, mais sans rien de particulier. Elle réussit à être , intense, lyrique: son “Höre Israel”, air d’entrée de la deuxième partie, est profondément émouvant et particulièrement réussi. Le ténore Michael Schade est comme toujours impeccable (il est Abdias), mais comme toujours aussi, un tantinet froid, et pas toujours vraiment expressif. Face à lui, le magnifique Élie de Thomas Quasthoff, à la voix chaude, parfaitement posée dans « Herr Gott Abrahams », un peu plus en difficulté dans les aigus et les vocalises de « Ist nicht des Herrn Wort wie ein Feuer », et particulièrement adapté à la toute la deuxième partie, splendide. Il reste que Thomas Quasthoff, peut-être fatigué, ne nous est pas apparu aussi sûr que dans d’autres concerts. Il est vrai aussi que la partie est redoutable, et que le rôle d’Élie est presque un rôle d’Opéra.

En conclusion, une très belle répétition générale qui a, je le sais, tenu ses promesses en concert.  Il reste à se procurer le disque, qui sortira dans les prochains mois: il vaudra sûrement le coup.