OPÉRA DE PARIS 2011-2012: ARABELLA de Richard STRAUSS le 7 juillet 2012 (Dir.mus: Philippe JORDAN, Ms en scène: Marco Arturo MARELLI) avec Renée FLEMING et Michael VOLLE

L’histoire ne repasse pas deux fois le même plat, et si Richard Strauss et Hugo von Hoffmansthal voulaient de nouveau réussir avec Arabella le coup du Rosenkavalier,  force est de constater que la sauce n’est pas montée de la même manière. Certes, les ingrédients se font écho, une Vienne qui valse, une aristocratie qui chancelle, un riche propriétaire terrien disposé à épouser la belle héritière ruinée, une femme travestie en homme, en bref, une situation à la “Gattopardo” transférée dans la Vienne insouciante des années 1860, mais un opéra composé après la chute de l’Empire, et au seuil de l’arrivée du IIIème Reich (1933).
Par ailleurs, le livret n’a pas la rigueur de celui du Rosenkavalier et pour cause, Hoffmansthal est mort en 1929 d’une crise d’apoplexie consécutive à la mort de son fils et n’a pas eu le temps de revoir le livret des actes II et III. Par respect pour sa mémoire, Strauss n’est pas intervenu pour le modifier.
Ce sont les duos Arabella-Zdenka au premier acte, Arabella-Mandryka au deuxième et au troisième qui sont les sommets de la partition, et qui bouleversent l’auditeur, et la Komödie für Musik développe l’art de la conversation, qui nécessite de la part des chanteurs à la fois naturel et art suprême de la diction.
L’histoire est assez simple dans son invraisemblance, une famille aristocratique ruinée cherche à marier l’ainée des deux filles, Arabella, pendant qu’elle fait habiller en garçon la cadette, Zdenka, pour éviter de la doter. Zdenka (habillée en Zdenko) cherche à placer son ami Matteo (dont elle est secrètement amoureuse) auprès d’Arabella, mais celle-ci ne cesse d’éconduire les prétendants, au nom d’un rêve secret (“Der Richtige, wenn’s einen gibt für mich “) qui va évidemment se réaliser dans l’opéra sous les traits d’un étranger qu’Arabella a remarqué. Et cet homme, Mandryka, va se croire trompé suite à une manigance de Zdenka, mais tout rentrera dans l’ordre et tout est bien qui finit bien.
Trois couples et deux générations, Arabella-Mandryka, Zdenka-Matteo, Waldner-Adelaide se partagent donc la scène, une scène un peu vaste que celle de la Bastille pour cette comédie intimiste, qui eût mieux convenu à Garnier.
L’équipe Jordan-Marelli a produit il y a quelques années un joli Capriccio à la Staatsoper de Vienne, avec Renée Fleming et Marelli a déjà produit Arabella à Graz; c’est sans doute ces souvenirs qui ont donné naissance au projet parisien. Le spectacle viennois était joli, construit sur l’idée des miroirs et de la transparence, le spectacle parisien est construit autour d’un espace unique, aux cloisons défraichies et modulables, et d’un plateau tournant qui fait défiler les espaces à peu de frais. Un espace vide, vidé de ses meubles puisque les Waldner sont ruinés et qui laisse percevoir au fond des ombres (parc, immeubles). Le ton dominant est le bleu, couleur du costume d’Arabella, avec quelques taches rouges ou roses (Fiakermilli), Zdenka/Zdenko étant en beige et Zdenka femme en gris (costumes de Dagmar Niefind) .
La mise en scène est sage, et élégante, elle ne problématise rien ou si peu, laisse entendre par allusions les malheurs de l’aristocratie, la fragilité des sentiments (Adelaide et Dominik), la gentille rustrerie du bal des cochers (avec la véritable figure d’opérette qu’est Fiakermilli):

seule idée forte, la valse étourdissante des Arabella qui défilent sous les yeux hallucinés d’un Mandryka en folie, à la fin du deuxième acte. En somme une mise en scène dans la lignée des travaux présentés ces dernières années à l’Opéra. Même le travail sur les acteurs est limité, chacun avec sa personnalité donnant libre cours à sa fantaisie en colorant son personnage.
Du point de vue musical, Philippe Jordan a appuyé bonne part de sa carrière sur ses interprétations straussiennes (Rosenkavalier, Ariadne auf Naxos, Capriccio, Arabella etc…). Aucun doute sur ses capacités à engager l’orchestre, à lui faire produire un son clair, à suivre avec précision chaque pupitre, en bref à produire un travail propre et sans grand reproche. A-t-on eu un exemple de luxuriance straussienne, d’un son miroitant, d’éclats scintillants comme souvent on en attend dans ce répertoire ? Pas vraiment. J’ai trouvé l’orchestre assez éteint au premier acte. Les deuxième et troisième actes réservent à l’orchestre des morceaux de bravoure qui évidemment passent beaucoup mieux, mais dans l’ensemble, au niveau de l’interprétation, cela reste une petite déception. Cela me paraît un peu trop sage et “convenu”, et pour tout dire, peu marqué du sceau de l’originalité.
On ne peut reprocher à Nicolas Joel d’avoir mégoté sur la distribution, qu’on peut qualifier de luxueuse, voire exceptionnelle. On peut difficilement rêver d’une Arabella mieux distribuée sur le papier, encore mieux distribuée que dans la première production de 1981, dominée par Kiri Te Kanawa et Franz Grundheber et dirigée par l’élégant Silvio Varviso. L’œuvre est rare sur les scènes et mérite évidemment cet effort.
Kurt Rydl est un vieux routier de la Staatsoper de Vienne et promène son Waldner avec une efficacité toute professionnelle. Le timbre est encore beau, la voix sonore, même si elle n’est plus ce qu’elle fut, le personnage est bien planté sur le plateau.Même remarque pour

Arabella et Adelaide © opéra national de paris | ian patrick

l’Adelaide de Doris Soffel: celle qui promena sa Fricka sur toutes les scènes du monde et qui reste une des grandes de l’ancienne génération sera peut-être affublée d’un vibrato excessif, mais la voix et le timbre sont encore là, et le personnage est doué d’une incontestable présence.

 

 

 

 

Le Matteo du canadien  Joseph Kaiser semble un peu perdu sur le large plateau de Bastille, et la voix élégante quelquefois étouffée par l’espace, par l’orchestre, avec des aigus un peu difficiles. Il est vrai que Kaiser a été remplacé le 4 juillet, et que la voix n’a peut-être pas retrouvé ses moyens. Il reste que la prestation est loin d’être déshonorante, à défaut d’être exceptionnelle.

De gauche à droite: Kaiser, Kühmeier, Volle, Fleming, Rydl, Soffel

La Fiakermilli de la jeune Iride Martinez, qui va entrer en troupe au Staatsoper de Vienne, est pétillante, avec une présence scénique affirmée. Les aigus et suraigus sont là, la couleur aussi. Le volume un peu moins. Joli Elemer d’Eric Huchet, la voix est élégante et sonore, le timbre agréable.
Venons en aux trois grands protagonistes à commencer par Genia Kühmeier, qu’on pourrait surnommer géniale Kühmeier, tant ses apparitions montrent  dans chaque rôle des qualités vocales exceptionnelles: la voix est sûre, l’aigu éclatant et l’artiste est douée d’une sensibilité qui a prise immédiate sur le public. Elle est une Zdenka idéale, par la fraicheur, par le naturel, par l’émotion qu’elle distille en scène. Elle obtient un triomphe mérité, c’est pour moi la reine du plateau.

Le Mandryka de Michael Volle est lui aussi bien proche de l’idéal. Ce baryton est pour moi l’un des chanteurs exceptionnels de sa génération, d’abord par ses qualités de diction et d’articulation-voilà quelqu’un qui sait converser en musique-, ensuite par l’art de colorer la voix, enfin par un jeu qui donne une idée juste du personnage voulu, cette brusquerie alliée à une sensibilité exacerbée, cette brutalité de l’homme des forêts et cette tendresse tout à la fois. Volle est maître dans l’art d’émouvoir lui aussi. La voix cependant accuse une certaine fatigue, perceptible aussi à Zürich dans Sachs l’hiver dernier, certains aigus sont mal négociés, quelques sons apparaissent un peu rauques, elle n’a plus la sonorité pleine et somptueuse qui faisait chavirer (comme dans son Wolfram à Zürich); peut-être une fatigue passagère, peut être aussi la fréquentation de rôles écrasants (Mandryka est presque tout le temps en scène aux deuxième et troisième actes, dans des registres très tendus). Il reste qu’il est littéralement époustouflant sur scène et qu’il remporte un triomphe mérité.
Last but not least, Renée Fleming, l’une des grandes straussiennes de sa génération, avec sa voix “crémeuse” comme disait Solti, la crème d’une pâtisserie viennoise. Le timbre est toujours magnifique, la rondeur vocale impressionnante, notamment dès qu’elle monte à l’aigu. J’ai cependant toujours eu des réserves sur l’effet qu’elle produit en scène, et la réserve dont elle fait preuve. Autant une Kühmeier est en prise directe avec l’émotion, autant Fleming reste toujours un tantinet distante: cette Arabella est mûre, n’a rien d’une enfant. Vocalement, si elle reste somptueuse, la voix accuse quelques opacités dans le grave, quelquefois détimbré, voire le registre central où elle a perdu en homogénéité, même si l’aigu reste splendide. Alors évidemment, les dernières minutes de l’opéra, où elle est très sollicitée à l’aigu, sont anthologiques. Il est vrai que la cantatrice a l’âge exact où Leontyne Price abandonna la scène, parce qu’elle sentait qu’elle ne pouvait plus donner la pleine mesure de son immense talent.   Renée Fleming est certes toujours une immense chanteuse, mais Dame Nature commence hélas son travail de sape.

Il serait injuste de dire que cette Arabella n’est pas un beau spectacle, et même grâce à sa distribution, un grand spectacle. Avec une mise en scène plus acérée et une direction musicale moins “sage”, peut-être aurait-on eu droit à un spectacle d’anthologie. On veut toujours plus, évidemment, mais “quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a”.
Et l’on a aimé.

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OPERNHAUS ZÜRICH 2011-2012 le 5 février 2012: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG, de Richard WAGNER (Dir.Mus: Daniele GATTI-Ms en scène: Harry KUPFER)

Saluts, Daniele Gatti

Après Tannhäuser, Harry Kupfer s’est vu confier par Alexander Pereira dont c’est la dernière saison zurichoise une mise en scène nouvelle des Meistersinger von Nürnberg.
Après Parsifal à Bayreuth, Lohengrin à la Scala, Daniele Gatti affronte cette partition foisonnante que peu de chefs non germaniques abordent.
Après Beckmesser à Bayreuth (un immense triomphe), Michael Volle aborde  Hans Sachs, autre paire de manches, le rôle sans doute le plus écrasant du répertoire wagnérien, le plus écrasant, et l’un des moins spectaculaires. Trois motifs pour venir à Zürich.
Quelques souvenirs de Bernd Weikl et de Dietrich Fischer Dieskau font mes grands Hans Sachs sur scène, j’aime beaucoup le Theo Adam d’un enregistrement de Böhm chez Orfeo. Aujourd’hui, l’expérience de Bayreuth (Hawlata, Rutherford) est décevante, seul Bryn Terfel aux proms de Londres a pu impressionner.
Michael Volle est l’un des grands barytons basses du moment, son Wolfram l’an dernier dans cette même salle était tout simplement sublime, et son Hans Sachs ne pouvait qu’exciter ma curiosité.
Me voilà donc sur le chemin de Zürich (-13°) , entre deux Puccini lyonnais!
Au premier abord, la mise en scène de Harry Kupfer apparaît décevante, non parce que le livret est scrupuleusement suivi, ce qui est plutôt positif, mais parce qu’on se demande alors pourquoi cette transposition après guerre. En effet à part les costumes (juste après guerre) et le décor (une église en ruines qu’on commence à reconstruire – échafaudages métalliques qui semblent le faire tenir debout -, une ville au fond en ruines), on ne réussit pas au premier abord à mettre en relation  l’espace et l’intrigue. Kupfer nous avait habitués à bien d’autre propositions, à bien d’autres postures…Pourtant, je suis frappé par la qualité et la précision de la direction d’acteurs, de la mise en place, de la manière, notamment dans la dernière partie de l’acte (les discussions des maîtres) combien Kupfer soigne le naturel, les échanges, les gestes, y compris ces petits gestes à peine esquissés d’une conversation. En observant Michael Volle, et la manière dont il construit Sachs, une sorte de primus (implicite) inter pares, comment il discute, comment on voit naître son étonnement d’abord, son admiration ensuite envers le jeune Walther, et comment Kupfer construit l’image conformiste des autres protagonistes. Du beau travail, tissé seulement à partir des gestes et des mouvements.
Dès le second acte, dans les mêmes espaces: la scène est constituée comme au premier acte d’une ruine de portail monumental gothique et de quelques piliers et de pans de mur, installés sur une tournette, qui ainsi amène sans cesse un changement d’espace et une mobilité des foules, sans que le plateau n’ait à être modifié. Le fond de scène a changé, des ruines on est passé aux grues, on reconstruit…on commence alors à comprendre le propos de Kupfer, qui inscrit ces Maîtres dans un contexte particulier et dans un univers qui est au fond l’opposé de celui de Katharina Wagner à Bayreuth, qui fait des Maîtres une réflexion sur le conformisme en art, sur le populisme et le refus de la marginalité. L’univers de Kupfer est d’abord un univers incroyablement optimiste. Lui qui vient de l’Est et qui a été marqué par une culture scénique plutôt idéologique, le voilà qui fait de ce symbole d’une germanité qu’on a tendance à refuser (Les Maîtres Chanteurs furent le seul opéra de Wagner qui trouva grâce aux yeux du nazisme finissant, et qui eut droit d’être représenté à Bayreuth jusqu’à la fin) le symbole d’une germanité et d’une Allemagne retrouvées, dans le bonheur et la joie d’un futur ouvert et réussi, une germanité ouverte et moderne. De fait, le troisième acte se déroule sur fond d’Allemagne reconstruite (gratte-ciels), seuls les échafaudages subsistent autour de l’église centrale, on peut s’imaginer que bientôt, tout sera reconstruit (on pense irrésistiblement à la Frauenkirche de Dresde), ou l’on peut voir derrière cette ruine qui permane, qu’une certaine Allemagne peine à se retrouver dans la nouvelle, ou qu’on tient à laisser des traces visibles de la destruction. Dans une Allemagne qui retrouve sa place et sa tradition, les Maîtres retrouvent le symbolique positive et non pervertie… Kupfer nous étonnera toujours. On était loin de s’attendre de sa part à une lecture aussi ouverte et aussi positive de cette œuvre. Il en résulte donc à la fois une construction très précise des personnages, une attention à garder à la fois la fraîcheur et les gestes de la comédie – si j’osais, je dirais aussi…de l’opérette. la Festswiese est un authentique défilé des corporations, mais un défilé comme on en voit dans les carnavals d’aujourd’hui, si populaires encore en Allemagne (voir le Carnaval de Mayence, par exemple).

Kupfer est très attentif aux rapports qui se construisent entre les personnages, notamment entre Eva et Sachs, on apparaissent très clairement l’ambiguité de la relation, et la situation d’Eva, qui a peine à choisir entre Sachs et Walther, entre le refuge et le désir. Ainsi l’individu Sachs, tel une maréchale au masculin, laisse les jeunes gens s’aimer et le désir s’assouvir, et reste seul, mais une solitude qui est compensée par l’admiration de tous, qui le fêtent comme l’artiste de référence, mais là aussi, Sachs comprend qu’entre l’artiste artisan qu’il est et le génie qu’il entrevoit chez Walther, il doit là aussi laisser la place. D’où son insistance pour que Walther devienne Maître: il refuse l’idée de l’artiste “voleur de feu” à la Rimbaud qui repousserait la reconnaissance sociale, même si elle passe par une institution un peu fossilisée. Walther doit intégrer une institution qui fait que même les bourgeois, même les artisans parlent d’art. Et le monologue final de Sachs, qui parlent de l’art allemand et qu’on a si souvent pointé du doigt pour ses relents nationalistes est d’abord un monologue à la gloire de l’art.
Il s’agit donc à mon avis d’un vrai travail de reconstruction, d’un véritable effort pour replacer les Maîtres Chanteurs à une place positive, ouverte, et non à une place qui obligerait systématiquement à en faire une lecture destructrice.
A cette entreprise vraiment optimiste correspond une troupe de chanteurs souvent remarquables. Matti Salminen, qui est l’un des artistes maison les plus fidèles, compose un Pogner puissant, et humain, avec une voix certes un peu vieillie, mais toujours impressionnante. Quel plaisir de constater qu’il a encore une présence et une personnalité vocales incomparables. Martin Gantner, lui aussi l’un des piliers de l’opéra de Zürich, compose un Beckmesser loin de la caricature, homme mur un peu traditionaliste, peu clairvoyant, mais qui rend le troisième acte à la fois désopilant (il arrive en scène encore tout déglingué par la bataille finale du second acte) et attendrissant, la manière dont il est seul, laissé de côté lors de la Festwiese, et dont Sachs s’approche pour “faire la paix” avant que chacun de son côté s’enfuie vers sa solitude est très tendre et si juste. La voix est claire, bien posée, et la composition est excellente.
Roberto Saccà est une   surprise en Walther, la voix, sans être d’une qualité intrinsèque exceptionnelle, est forte, bien conduite, la technique est sans faille. Son air final est vraiment de très grande qualité. Un artiste  à suivre, sans nul doute, même si la personnalité et l’interprétation restent un peu frustes et plates…
Le David du jeune autrichien Peter Sonn est aussi une belle personnalité scénique et vocale, il remporte un grand succès personnel. je suis moins enthousiaste des rôles féminins: une Magdelene à la voix chaude, bien timbrée,  de Wiebke Lehmkuhl, et une Eva malheureusement discutable de Juliane Banse. Magnifique scéniquement, avec une fraicheur et une jeunesse éclatante, et un engagement réel, mais vocalement inégale, ne réussissant pas toujours à stabiliser la voix, ayant tendance à crier à l’aigu, ce qui fait du quintette du 3ème acte de ce point de vue un des moments musicaux les plus attendus et les moins réussis de la soirée, tant les voix ne réussissent pas à fusionner, et Juliane Banse a sa responsabilité!

Roberto Saccà /Michael Volle Photo Suzanne Schwiertz, @ Opernhaus Zürich

Reste Michael Volle. Son Sachs prend le parti pris du non spectaculaire, avec une fluidité de la “conversation en musique” vraiment étonnante, et une diction exemplaire. Mais la voix, impressionnante dans d’autres rôles, est apparue un peu fatiguée, luttant contre l’orchestre, et réellement à bout dans les dernières minutes. Il reste un très grand artiste, et son Hans Sachs est présent, fort, passionnant et tellement juste au niveau scénique, tellement “naturel”, tellement humain. Mais je suis un tout petit peu déçu par rapport aux attentes, même si parmi les Sachs de ces dernières années (hors Terfel) il  émerge du lot sans discussion.
Daniele Gatti, directeur musical de l’opéra de Zürich, s’en titre avec les les plus grands honneurs. Le programme de salle souligne  qu’il affronte une œuvre symbole de la culture germanique, à laquelle  peu de “latins” osent s’attaquer. Il se place dans le sillage de Toscanini, qui comme lui dirigea Parsifal à Bayreuth. Mais Daniele Gatti est dirige aussi bien Wagner ou Berg que Verdi. Il est donc dans son élément ici et dirige un Wagner très clair, très limpide, même si dans la très petite salle de Zürich l’orchestre apparaît quelquefois un peu fort et les équilibres scène/salle quelque peu bousculés. Il est possible que Volle en ait souffert. Il reste que sa direction très contrastée (prélude du 3ème acte exceptionnel), et particulièrement lisible permet de constater une fois de plus la complexité et l’épaisseur de cette partition, qui a inspiré bien des musiciens de la fin du XIXème, la manière dont la musique aide à DIRE le texte, dont elle l’accompagne comme si elle commentait des images, et si l’on se met à suivre un seul instrument, n’importe lequel, on entre alors dans une forêt de surprises, une sorte de labyrinthe de sons à se perdre. Dans mon parcours wagnérien, j’ai eu du mal avec cette œuvre au début, mais plus je l’écoute, plus je la respire, et plus je me dis que c’est peut-être là le chef d’œuvre absolu du maître de Bayreuth et la direction remarquable de Gatti permet de s’y immerger et de s’en étourdir. En sortant du théâtre, après 6h de spectacle, on est heureux, regonflé, et on en  reprendrait bien un “Schluck”…

Salut général

BAYREUTHER FESTSPIELE 2011: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG, le 26 juillet 2011 (dir.mus: Sebastian WEIGLE, ms en scène: Katharina WAGNER)

Comme Eva est un rôle ingrat!  Le rôle est scéniquement et vocalement assez plat pendant deux actes, et la chanteuse surtout sollicitée au dernier acte où les aigus du fameux quintette sont ravageurs, ainsi que la scène avec Sachs qui précède. Pour ma part, je me souviens de deux Eva très différentes, Lucia Popp, avec Wolfgang Sawallisch à Munich, et Anja Harteros, à Genève il y a quelques années, deux magnifiques personnalités, deux Eva très présentes. Cette année, comme l’an dernier c’est Michaela Kaune qui chante Eva à Bayreuth. L’an dernier c’était passable, cette année c’est un peu plus difficile : les aigus que cette voix n’a pas vraiment naturellement sont tirés et mobilisent toute l’énergie, d’où des sons métalliques et des difficultés dans les passages. On l’oubliera assez vite dans ce rôle qui ne lui convient pas : pas de poésie, interprétation plate, difficultés techniques. A ses côtés, la Magdalena de Carola Guber est carrément inexistante : on ne l’entend simplement pas. On n’entend pas beaucoup non plus (à Bayreuth c’est un comble) Burkhard Fritz, le nouveau Walther qui succède à Klaus Florian Vogt. Autant Vogt avait une voix sonore, autant Fritz, qui s’applique et qui sait chanter, a une voix trop petite pour le rôle (il disparaît dans les ensembles) et des aigus lui aussi difficiles (c’est très perceptible dans l’air final). L’interprétation scénique est tout à fait satisfaisante dans ce rôle d’artiste insupportable et mauvais garçon, mais on est assez déçu de la prestation vocale, en dépit, je le répète, d’évidente qualités. Je doute que Walther apporte quelque chose d’intéressant pour sa carrière.
James Rutherford en Hans Sachs manque de personnalité vocale. Le timbre est voilé, la puissance limitée, même si cette année certains moments sont vraiment musicalement très réussis (les plus retenus, les plus lyriques : début du second acte, magnifique, et première moitié du troisième acte). Il est aidé par l’orchestre qui l’a vraiment accompagné de manière exceptionnelle.
Encore une fois, j’ai aimé le David de Norbert Ernst, ténor de caractère techniquement parfait, à la voix claire, bien posée, très bien contrôlée, et bien sûr le magnifique Beckmesser d’Adrian Eröd, qui sans moyens exceptionnels, mais avec un phrasé modèle, un texte dit à la perfection, et des qualités d’acteur exceptionnelles, très sollicitées dans cette mise en scène propose un personnage complexe, polymorphe, d’une présence ahurissante. Une interprétation de très grand niveau. On signalera aussi le Pogner de Georg Zeppenfeld, basse de très grande qualité, l’une des meilleures basses en Allemagne aujourd’hui (il fut le Sarastro d’Abbado) et dans l’ensemble le reste de la distribution n’appelle pas de réserves (un bon point pour Friedemann Röhlig, Nachtwächter toujours efficace).
Le chœur dirigé par Eberhard Friedrich est comme toujours exceptionnel, et notamment dans les parties moins spectaculaires (le tout début par exemple), et la direction de Sebastian Weigle m’est apparue un peu plus intéressante que l’an dernier, notamment dans les parties plus lyriques, mais elle manque tout de même de relief (c’est frappant dans l’ouverture) : le final du second acte semble toujours aussi brouillon on ne sent toujours pas le crescendo qui doit gouverner toute la fin de l’acte. C’est dommage.
Quant à la mise en scène de Katharina Wagner, last but not least, elle garde tout son intérêt et son intelligence. C’est une mise en scène sur le conformisme et l’originalité : sur le conformisme en art (y compris dans la fausse marginalité artistique représentée par Walther – puisque les rôles sont inversés à la fin, Sachs et Walther étant les conformistes et Beckmesser celui qui dit non et qui fuit le totalitarisme- et sur le conformisme du public qui siffle l’artiste qui sort du rang, et qui applaudit aux valeurs télévisuelles et consensuelles. Un conformisme qui mène tout droit au totalitarisme (Hans Sachs en métaphore d’Hitler, est à la fois inquiétant et tellement juste). Un regard à rebours sur une œuvre qui a symbolisé largement l’âme et la culture allemandes (et qui fut la préférée des nazis, jamais interdite à Bayreuth, au contraire de Parsifal): voilà où la culture allemande nous a menés, semble dire Katharina Wagner, notamment dans ce terrible bal des gloires germaniques ou quand Sachs brûle tous ces oripeaux culturels et reste seul, illuminé par une flamme qui rappelle étrangement, par ses jeux d’ombre et de lumière, les films de propagande des grands rassemblements de Nuremberg, réunis autour du bûcher de la pensée..

Ce spectacle fourmille d’idées, les chanteurs sont magnifiquement dirigés, les mouvements sont d’une redoutable précision. Katharina Wagner est un authentique metteur en scène, qui affronte bravement les huées du public (de ce même public qui hue les travaux originaux à la fin de sa mise en scène des Maîtres), et dont le travail mérite tout notre intérêt. J’ai écrit précédemment combien ce spectacle gagnait à être revu. Avec une distribution vraiment à la hauteur, et un chef moins banal, c’eût été un très grand soir. Notons tout de même que – fait rarissime – il y avait des gens qui vendaient des billets « biete Karte » alors qu’on voit habituellement des « Suche Karte » (je cherche un billet). Alors, si vous avez des velléités de Bayreuth cette année, n’hésitez pas, vous trouverez des places pour ces Maîtres Chanteurs et vous le ne regretterez sans doute pas.

OPERNHAUS ZÜRICH 2010-2011 : TANNHÄUSER le 6 février 2011 (Dir:Ingo METZMACHER, Ms.en scène:Harry KUPFER, avec Nina STEMME)

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Il y a des représentations où la qualité musicale envahit tout, et où on arrive même à fermer les yeux sur une mise en scène ratée ou discutable. C’est bien le cas aujourd’hui à Zürich, où j’ai assisté un Tannhäuser musicalement exceptionnel. Alexander Pereira a réuni, il faut le dire, une distribution de choix: Nina Stemme (Elisabeth), Vesselina Kasarova (Venus), Peter Seiffert (Tannhäuser), Michael Volle (Wolfram), Alfred Muff (Landgrave), l’orchestre et le choeur sous la direction d’Ingo Meztmacher. Je m’attendais à un beau moment, mais pas forcément à un très grand moment, d’autant que la première à ce qui m’a été rapporté n’avait pas si bien marché (Seiffert en méforme, Stemme ordinaire, orchestre trop fort). Mais voilà, l’opéra est un art qui n’est jamais uniforme et monolithique, les choses de soir en soir peuvent évoluer. Cette matinée dominicale en est la preuve. Sans doute l’effet du temps ensoleillé sur la ville de Zürich.

En revanche, Harry Kupfer n’a pas vraiment réussi son cinquième Tannhäuser. Certes, c’est un metteur en scène de qualité, il l’a prouvé de nombreuses fois, et les idées qu’il véhicule sont souvent justes. Dans ce travail, il transpose  l’oeuvre de nos jours, au sein d’une société gavée de luxe, une société de réseau, d’aisance, où l’Eglise et l’Armée dominent. Que ce soit au Venusberg ou dans la “teure Halle” du deuxième acte, on retrouve les mêmes messieurs élégants, les mêmes prêtres (Eh! oui,  au Venusberg aussi!), mêmes hauts gradés de l’armée. Au premier acte, la Bacchanale est bien sage, même si elle essaie de suivre le livret, très détaillé qu’Olivier Py avait suivi de manière très provocatrice et assez juste à Genève il y a 6 ans. Dans la deuxième partie de ce premier acte, on ne revient pas de la chasse (on ne chasse plus à courre…) mais du golf, et on se repose sur des chaises longues, servis par une armée de domestiques. On ne joue pas de la harpe, mais de la guitare (électrique?).
Le deuxième acte se déroule sur une scène, sous l’oeil de caméras TV, et devant un parterre de ces mêmes membres gâtés de la société la plus haute, celle qui emploie et fait vivre les artistes. je dois dire qu’il est le moment le moins intéressant, le plus conforme et l’ensemble est réglé sans inspiration.
Plus intéressant à mon avis le troisième acte, le décor (fait de cloisons tournant sur elles-mêmes et remplies de portes, comme au premier acte) représente un hall de gare avec une gigantesque verrière (la gare de Leipzig?) et au milieu un banc où attend Elisabeth. C’est une image intéressante, enrichie par la présence de Wolfram deux âmes solitaires dans cet espace de drame qu’est le lieu de l’attente.
Au final, après les efforts de Vénus (qui apparaît dans les mêmes conditions qu’elle avait disparu au premier acte, derrière les portes de vitre opaque), la société, toujours la même, se réunit autour du cadavre d’Elisabeth, qui passe, puis devant celui de Tannhäuser qui meurt sauvé, et même sanctifié par le pape sous un cercueil de verre comme on voit les saints dans les églises, avec le bâton de pélerin qui a refleuri: l’artiste est réintégré dans le corps social après en avoir été rejeté, mais mort, pour être objet du culte effrené de l’art dans nos sociétés, mais sans qu’il ne soit plus un danger. Kupfer souligne bien la maladresse de Tannhäuser, son comportement discutable à tout le moins avec Elisabeth, ses excès, mais le propos reste tout de même assez banal, plutôt déjà vu. Carsen à l’Opéra Bastille avait entrepris une lecture de ce type, mais plus subtile que celle de Kupfer:  on pense surtout à des visions à la Götz Friedrich, des lecture socio-politiques telles qu’on les voyait dans les années 80. Le décor de Hans Schavernoch (une vieille connaissance lui aussi) est habile, très contemporain, métal et verre, utilisant la vidéo. Mais j’ai plutôt l’impression qu’on a fait du neuf avec du vieux. Il reste que les chanteurs sont assez bien dirigés et que ce spectacle est discutable mais pas détestable. Dans la même maison, j’ai de beaucoup préféré l’approche de Claus Guth dans Tristan und Isolde et attends avec impatience son Parsifal en juin prochain.

chef2.1297205344.jpgSalut de Ingo metzmacher

Du côté musical en revanche une grande réussite d’ensemble, sans être à l’orchestre aussi brillant que la lecture d’Ozawa à Paris en 2007. D’abord, une fois de plus, je trouve qu’Ingo Metzmacher est un chef qui gagnerait à être invité plus souvent sur des scènes autres que celles de l’espace germanophone.  Sa manière de sculpter la musique, d’en faire ressentir les détails, son tempo sans reproche, qui colle parfaitement aux moments de l’action, sa manière de suivre les chanteurs, sans les couvrir (il est vrai que les voix sont telles que c’est une entreprise difficile) sont des points positifs:   il semble qu’il ait trouvé le juste équilibre dans cette salle assez petite – bien que des amis aient eu une tout autre impression l’autre dimanche. Pour moi c’est une belle prestation,un beau moment, avec un choeur très honorable, sans être exceptionnel. Un seul reproche, la sonorisation de certains pupitres à certains moments (les cors au milieu du premier acte par exemple) ou du choeur quand il est derrière la scène (lever de rideau). Vu la taille de la salle, c’est inutile, et si c’est voulu, c’est raté.

salutseiffert2.1297205518.jpgPeter Seiffert (second plan Nina Stemme et Michael Volle)

Difficile de reprocher quoi que ce soit aux chanteurs: Peter Seiffert, qui est souvent irrégulier, était ce dimanche en forme éblouissante, expressif, engagé, avec ce timbre à la fois clair et puissant qui le caractérise: il était juste,  sans failles avec des aigus triomphants,ce fut un magnifique Tannhäuser. Même remarque pour la Vénus de Vessalina Kasarova. Certes, son visage carré et assez dur ne fait pas penser à la Vénus de Botticelli, mais la prestation est tellement convaincante, éclatante, imposante qu’on trouve presque juste une Vénus plus inquiétante que séductrice, une Vénus “dure” qui use sans doute d’arguments cachés pour séduire. Face à elle, Nina Stemme promène sa voix puissante, légèrement affligée d’un petit vibrato. La prestation sans être impressionnante (comme au troisième acte de Walküre à Milan) est de très  haut niveau, sans être pourtant digne de la légende ou égaler simplement celle de Westbroek à Paris: elle n’est pas vraiment émouvante et même un tantinet indifférente, comme ailleurs, pas toujours concernée. On était heureux de revoir Alfred Muff, un vétéran, avec cette voix très humaine, encore très sonore, d’une belle couleur et d’une belle intensité dans le Landgrave. Signalons aussi les autres chanteurs, tous honorables, notamment Christoph Strehl en Walther von der Vogelweide, meilleur au deuxième acte qu’au premier (souvenez-vous, il était le Tamino d’Abbado) et le touchant berger de la jeune Camille Butcher.
Il reste Le chanteur triomphateur absolu de la matinée, digne, lui, de la légende: Michael Volle, qui a chanté pour moi le plus beau des Wolfram entendus sur une scène. Il tire les larmes dans “Oh du, mein holder Abendstern”. Il a tout: puissance, intelligence du chant, diction parfaite, inflexions, subtilités: du beau chant tout pur, et en même temps un magnifique personnage, humain, émouvant, senti, généreux. Il m’avait déjà convaincu dans son époustouflant Beckmesser à Bayreuth, il est vraiment pour moi le plus grand baryton wagnérien actuel. Un miracle qui surpasse même Goerne à Paris à mon avis.

Il y a encore quelques représentations, une matinée le dimanche 13 février: si vous n’êtes pas si loin de Zürich, courez y: rien que pour Michael Volle, cela vaut le voyage. Et si les autres sont aussi en forme que dimanche dernier, ce sera d’autant mieux. Un beau moment wagnérien, comme il y en a pas mal en ce moment.

Dimanche en sortant de l’Opéra, j’étais heureux.

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BAYREUTHER FESTSPIELE 2009: DIE MEISTERSINGER VON NÜRNBERG (Ms en scène: Katharina WAGNER, Dir.Mus: Sebastian WEIGLE))

 

Je suis en train d’écouter un bel enregistrement de Die Meistersinger von Nürnberg dirigé en 1953 par Fritz Reiner au MET, le 11 janvier 1953 (4 CDs Walhall). Je suis toujours frappé par la qualité des interprétations de ce chef, respecté, mais qui n’est pas très connu du grand public (sauf peut-être pour sa Salomé avec Ljuba Welitsch), limpidité de l’orchestre, tempi très étudiés, en fonction du texte, attention visible à ce qui se passe sur scène, sens du lyrisme, avec des chanteurs qui ont pour nom Paul Schöffler, Victoria de Los Angeles, Josef Greindl, seul Hans Hopf en Walther ne me touche pas trop, comme toujours. Une magnifique soirée. J’ai acheté ce coffret pour la somme de 14,99 à Berlin, chez Dussmann, le paradis des mélomanes de tous poils, à côté duquel la FNAC fait figure de petite échoppe. Si vous allez à Berlin, il faut vous y précipiter, on peut même y fureter après une soirée à la Staatstoper, toute proche, puisque c’est ouvert jusqu’à minuit (Métro Friedrichstrasse).

Bon, je reviens à mes Maîtres: cette audition de Reiner m’a fait mettre en perspective une fois de plus, la production actuelle de Bayreuth de Katharina Wagner, moins horrible que certains ont pu le dire, mais à la direction musicale d’une fadeur désespérante. La cuvée 2009 du Festival, en demi-teinte, ne présentait aucune production nouvelle, et quelques modifications des productions existantes. En fait, l’attraction était la première année effective du tandem Katharina Wagner-Eva Wagner-Pasquier, demi-sœurs qui succèdent à leur père Wolfgang. Interviews, reportages des magazines musicaux et non, conférences de presse, mais aussi difficultés initiales avec menaces de grève des techniciens, événement incroyable et unique dans les annales. C’est que le Festival a vécu durant les années Wolfgang sur des principes et un fonctionnement héritant largement des années cinquante, qu’il faut aujourd’hui revoir complètement, tant au niveau économique qu’organisationnel et artistique. Cette redoutable tâche, les deux sœurs semblent l’assumer avec énergie, Katharina se consacrant plus sur la production et l’organisation, et Eva sur l’artistique. Premier objectif, le bicentenaire de 2013, année Wagner. En attendant, on a revu avec plaisir le Tristan mis en scène par Christoph Marthaler, même si l’Isolde de Irène Theorin crie un peu, le Parsifal très intelligent et dérangeant de Stefan Herheim (voir l’article dans ce blog), magnifiquement dirigé par Daniele Gatti, chanté par la même compagnie que l’an dernier, mais un peu fatiguée, et ces Meistersinger, qui après deux ans offraient rien moins qu’un nouveau Sachs (le vétéran Alan Titus) et un nouveau Beckmesser (le jeune Adrian Eröd). La mise en scène de Katharina Wagner a été légèrement modifiée selon l’habitude du neues Bayreuth, atelier de réflexion sur le théâtre de Wagner(« Werkstatt Bayreuth ») pour s’adapter aux nouveaux chanteurs, mais l’esprit en est toujours le même : il s’agit pour la première fois au Festspielhaus, d’évoquer le problème idéologique posé par l’œuvre, et notamment sa relation au nazisme. Pour ce faire, elle inverse la lecture traditionnelle : Sachs et Walther de marginaux au départ (dans cette lecture) deviennent conformistes, le discours final de Sachs étant même assimilé à un discours d’Hitler, avec ses tics et ses gestes, tandis que Beckmesser au contraire peu à peu devient le créatif, le marginal, celui qui trouve enfin son identité artistique. Ce travail, marque d’une réflexion intelligente, pêche par radicalité et manque de « musicalité », des moments musicaux marquants sont en effet gauchis par une mise en scène envahissante (final du II° acte, ou quintette du III° acte que les rires du public empêchent d’entendre). La direction de Sebastian Weigle manque de sensibilité, même si elle est un peu plus énergique que les années précédentes., mais tout cela reste d’une grande platitude. Quant aux chanteurs, Adrian Eröd, baryton élégant, excellent technicien, compose un Beckmesser dandy et maniéré, et c’est très réussi, mais la voix reste un peu légère, et la couleur un peu claire pour le rôle. Il ne fait pas oublier Michael Volle dont la composition alliait élégance et puissance. Paradoxalement, Alan Titus ne fait pas oublier non plus Franz Hawlata, alors que vocalement, il lui est supérieur. Mais Hawlata était le personnage exactement voulu par la mise en scène et sa composition restait impressionnante malgré un chant problématique . Titus est gauche, mal à l’aise dans le personnage, et son chant peu expressif et linéaire ne peut compenser l’absence de présence scénique : une très grosses déception. En revanche Klaus Florian Vogt est un magnifique Walther, pleinement convaincant, la voix qui s’est élargie est claire, l’émission parfaite, et le personnage totalement crédible. Micaela Kaune est une Eva honorable, sans être exceptionnelle, et Norbert Ernst un David solide face à une Magdalena honnête (Carola Guber). Mais, malgré les réserves, c’est toujours une fête d’entendre Die Meistersinger, que j’écoute et j’aime de plus en plus, peut-être est-ce l’oeuvre la plus complexe et la plus passionnante du Maître de Bayreuth, en tous cas elle a alimenté bonne partie du symphonisme de la fin du XIXème, Mahler en tête (dernier mouvement de la 5ème symphonie!).

BAYREUTH 2009
Die Meistersinger von Nürnberg
3 Août 2009

Hans Sachs, Schuster Alan Titus
Veit Pogner, Goldschmied
Artur Korn Kunz Vogelgesang, Kürschner Charles Reid Konrad Nachtigall, Spengler Rainer Zaun Sixtus Beckmesser, Stadtschreiber Adrian Eröd Fritz Kothner, Bäcker Markus Eiche Balthasar Zorn, Zinngießer Edward Randall Ulrich Eisslinger, Würzkrämer Timothy Oliver Augustin Moser, Schneider Florian Hoffmann Hermann Ortel, Seifensieder Martin Snell Hans Schwarz, Strumpfwirker Mario Klein Hans Foltz, Kupferschmied Diógenes Randes Walther von Stolzing Klaus Florian Vogt David, Sachsens Lehrbube Norbert Ernst Eva, Pogners Tochter Michaela Kaune Magdalene, Evas Amme Carola Guber Ein Nachtwächter Friedemann Röhlig

Direction musicale: Sebastian Weigle Mise en scène: Katharina Wagner Décor: Tilo SteffensCostumes: Michaela Barth
Tilo Steffens
Choeur:
Eberhard FriedrichLumières: Andreas Grüter