LES SAISONS 2017-2018: À LA CROISÉE DES CHEMINS

 

À LA CROISÉE DES CHEMINS

 La vie du mélomane itinérant est faite de futur rêvé et de passé mythique, avec entre deux quelques déceptions du présent. Quelquefois même, les déceptions deviennent d’agréables surprises au détour de l’audition de l’enregistrement de la représentation qu’on croyait décevante. Ainsi l’annonce des saisons, les fuites sur telle ou telle production qui émaillent les réseaux sociaux, jamais rassasiées de présent sont-elles des moments clefs. Mais dès qu’elle commence, la saison du moment est peu de choses par rapport aux merveilles qu’on va entendre la saison suivante. Cette attente permanente du moment suspendu ou du climax lyrique peut créer des amertumes, peut créer des éternels insatisfaits à la recherche d’une perfection qui n’est jamais par définition atteinte, à la recherche du remplissage du tonneau des Danaïdes, qui signifierait forcément la fin du rêve.

Au moment d’entamer une série d’articles sur quelques saisons d’opéra en France et ailleurs, c’est cette éternelle recherche, jamais rassasiée, qui m’intéresse. C’est aussi alimenté par cette manière qu’ont aujourd’hui les théâtres de nous faire rêver, grâce à la communication numérique : la multiplication des « trailers », à la manière des bandes annonces, éveille le désir et la lyricolibido. Les saisons prochaines ont leurs hauts et leurs bas, mais déjà on se projette sur 2019 quand 2018 n’est même pas entamé. Processus boulimique qui aboutit avec l’expérience et avec l’accumulation des spectacles à une sorte de contradiction interne qui est mienne : à la fois une distance parce que ma mémoire est pleine de souvenirs, souvent exceptionnels, et encore et toujours une curiosité très excitée sur la suite, qui nourrit l’espoir de voir le futur rangé par avance dans le passé mythique : je suis complètement immergé et n’ai pas encore atteint l’ataraxie lyrique.
Je fête par exemple cette année 40 ans de Festival de Bayreuth, 40 ans d’un rêve d’enfant ou de pré-ado découvrant éberlué l’ouverture de Tannhäuser à 11 ans, qui s’est réalisé à l’âge de 24 ans. De 11 à 24 ans, Bayreuth était pour moi un lieu inaccessible, qui m’était probablement interdit – je le vivais ainsi- au point que lorsque j’ai pénétré dans la salle pour la première fois, je me sentais clandestin, invité illégitime de la dernière heure, et que le souvenir de ce sentiment est encore incroyablement vif, tant j’avais désiré des années durant ce moment que je croyais impossible.
Malgré les vicissitudes, les déceptions, les colères, le moment de Bayreuth reste pour moi le sommet de l’année, les « vraies vacances » qui marquent mon attachement viscéral à ce lieu et à ce qui s’y passe, quel que soit d’ailleurs ce qui s’y passe. Et je suis souvent désolé de voir que pour certains, y compris d’ailleurs des artistes, Bayreuth n’est qu’une étape du « summer tour » du mélomane et donc un lieu parmi d’autres de consommation lyrique. Pour ma part, j’y vais indépendamment de l’offre programmatique, mais pour des raisons très personnelles et très proustiennes, sans doute pour vivre chaque année mon Temps retrouvé, ma « matinée chez la princesse de Guermantes » où je retrouve des figures de ma jeunesse, un peu vieillies, quelquefois flapies, quelquefois vives encore, où les regards se croisent et se disent par devers eux-mêmes sans doute la même chose. Alors penser aux saisons, aux festivals, c’est irrémédiablement aussi faire le point sur soi, sur une existence qui a trouvé son sens et été bouleversée et structurée par la musique et l’opéra.

Or, et c’est un second point, j’ai le sentiment que l’opéra est à la croisée des chemins. Je lis çà et là des remarques sur l’épuisement du genre, sur la crise du public, sur l’absence de renouvellement, en somme sur la fin de l’opéra car c’est un genre interdit parce qu’élitiste socialement et culturellement, et donc condamné à terme. Et c’est un sentiment, une opinion hautement partagée, même par des gens habituellement estimables. Pourtant, l’expérience auprès des jeunes qu’on prépare, qu’on éduque me prouve le contraire. Dans mon métier (qui est de m’occuper d’art et de culture dans le monde éducatif), j’ai longtemps hésité à faire de l’opéra une cible de diffusion culturelle auprès des élèves, tant cet art semble éloigné des élèves mais aussi de beaucoup d’enseignants qui n’osent pas s’en approcher. Depuis quelques années au contraire, avec l’appui et la contribution de l’Opéra de Lyon, mais aussi grâce au dispositif Lycéens et apprentis à l’opéra de la région Auvergne Rhône-Alpes, j’essaie – nous essayons avec nos partenaires- d’amener à l’opéra des publics d’élèves très éloignés (comme dit le jargon du Ministère de la Culture), et tout ce qui me revient et tout ce que je vois, c’est que les jeunes nombreux qui sont mis au contact de l’opéra sortent dans leur très grande majorité enthousiastes de l’expérience : des élèves « métalliers » convaincus par la récente Alceste de Gluck, qui n’est pas œuvre facile pour s’initier à l’opéra, d’autres élèves convaincus par La Jeanne au bûcher de Romeo Castellucci au point de s’interposer entre deux spectateurs qui allaient en venir aux mains à propos de ce spectacle clivant. Ces exemples singuliers, mais il y en a d’autres, me confirment ce que je pense depuis très longtemps :

  • Penser qu’on amène à un art, l’opéra en occurrence, considéré comme le plus lointain et le plus hérmétique, en commençant progressivement par ce qu’on pense être la facilité, ou par des œuvres « pour la jeunesse » est une profonde erreur qui présupposerait que les jeunes ne sont pas comme nous, et qu’ils ont besoin de blédine lyrique pour acclimater leur estomac. Les jeunes sont bien plus disponibles que les adultes face à l’inconnu parce qu’ils n’ont pas leur goût formaté et qu’ils gardent tous leur curiosité, quels que soit leur formation, leur cursus ou leur niveau scolaire, pourvu qu’on les considère comme des individus sensibles et non comme des élèves de telle ou telle section, pourvu qu’on les prépare intelligemment, et qu’on fasse appel à leur affect, à leur sensibilité, pour un art aussi physique que l’opéra..
  • Il faut mettre l’élève devant la difficulté, parce qu’il est bien plus stimulé : l’art est exigeant, difficile, l’art « c’est du boulot » disait Karl Valentin. Ce n’est jamais un acquis et adhérer à l’art n’est pas l’attente d’un syndrome de Stendhal hypothétique.
  • Si l’on ne considère pas l’opéra comme un art accessible quelle que soit l’œuvre on aboutit forcément à une attitude contreproductive, comme celle de notre télévision publique, qui honte à elle, en dehors de Carmen, régulièrement proposée aux retransmissions (on n’y échappera pas à Aix en Provence) ne veut pas s’aventurer ailleurs, par peur de faire un bide télévisuel. Le téléspectateur est une fois de plus méprisé, mais c’est habituel.

Car un public se prépare et s’éduque qu’il soit théâtral, lyrique ou télévisuel, et là aussi comme ailleurs, la peur ou li’dée préconçue sont mauvaises conseillères. Récemment, l’Opéra de Lyon (c’est le plus proche mon domicile, donc évidemment, je m’intéresse un peu plus à lui) a été récompensé par les Opera Awards comme  meilleur opéra de l’année 2017 au monde ; c’est une chance pour nous, pour nos élèves, pour les amateurs d’art lyrique. C’est une salle qui programme des œuvres difficiles, avec une rare exigence scénique et musicale. C’est une salle suivie par son public, très disponible et c’est une programmation qui pour sûr serait accueillie différemment dans d’autres théâtres un peu plus fossilisés. Mais voilà, si cette programmation est l’œuvre des idées de Serge Dorny et de ses équipes, ce public a été formé, depuis les années soixante-dix, par l’existence à Lyon (et Villeurbanne) d’abord du TNP de Planchon et Chéreau, qui a façonné les regards, créé des disponibilités et une ouverture, puis par l’action de Louis Erlo et Jean-Pierre Brossmann, aussi bien scénique que musicale : pensons que John Eliot Gardiner et Kent Nagano ont fait leurs armes à Lyon, et pensons à ce qu’ils sont aujourd’hui. Serge Dorny a bénéficié de cette histoire qui a sans conteste façonné et éduqué le public. Toutes les villes n’ont pas cette histoire derrières elles, et tous les managers d’opéra n’ont pas cette intelligence ni cette opiniâtreté qui peuvent aller contre les goûts et les habitudes, mais qui au total permettent que soient acceptées les expériences et les productions les plus difficiles, mais tout autant des visions plus traditionnelles. Former la disponibilité du public, cela veut dire aussi former sa tolérance et son ouverture, en tenant un cap d’une main ferme, sans surfer sur la facilité.

  • Cette manière de voir l’opéra, remonte aussi
  • à la vision de Gérard Mortier, une vision qu’il a essaimée, d’où la vivacité de la scène belge ou hollandaise, aussi bien l’opéra d’Amsterdam, l’opéra des Flandres que La Monnaie, durablement marqués, dont on voit les résultats à Aix en Provence (Foccroule) ou à Lyon (Dorny), et le passage à Madrid de Mortier y a lui-aussi creusé un sillon, dans une Espagne fortement traditionnelle au niveau lyrique,
  • à la présence de Chéreau à Bayreuth de 1976 à 1980, (un scandale absolu au départ) qui a libéré les scènes lyriques allemandes, conjointement avec l’arrivée sur le marché allemand de metteurs en scène formés à l’école brechtienne (et en DDR)  qui ont imposé le Regietheater et contribué à revivifier la scène (on l’a vu avec le triomphe de l’Elektra de Berghaus, encore aujourd’hui, à Lyon)
  • J’y vois pour l’essentiel les deux sources qui ont ouvert au renouvellement des publics, et permis d’éviter la fossilisation et d’ouvrir le genre à la modernité, sans ignorer d’autres motifs, d’autres raisons qui touchent à la politique culturelle, mais on me permettra d’insister sur ce qui croise aussi mon propre vécu.

Mais ces mouvements ont quarante, voire cinquante ans, et deviennent à leur tour une sorte de doxa qu’il convient de revivifier aujourd’hui. Et la crise des publics que connaissent un certain nombre de salles (pas toutes encore) doit sonner comme un avertissement : on doit se demander comment aller plus loin ou comment aller ailleurs, pour exciter encore plus la curiosité, comment aller vers de nouveaux publics, et comment rendre l’opéra accessible, socialement, artistiquement, logistiquement. C’est d’ailleurs l’enjeu éternel du genre, déjà sur la place publique dans les années 80, au moment des débats en France sur l’Opéra-Bastille, qu’on voulait Opéra National Populaire, et qui n’est aujourd’hui qu’Opéra National de Paris.
Ainsi présenter quelques saisons ne saurait être détaché de toutes ces problématiques.

  • une relative crise de public dans certains grands théâtres internationaux qui ont des politiques voisines : obligation de programmes éclectiques s’adaptant à tous les publics et donc contraints de croiser les lignes, tantôt une mise en scène hardie, tantôt classique, des grands standards attrape-tout, quelques moments plus singuliers avec des grands chefs et des moins grands, des grands chanteurs et des moins grands. Chacun a son identité ou la cherche, mais la difficulté réside dans une recherche de nouveaux publics, difficiles à séduire, ou à une absence d’expérience en la matière, parce que ces salles sont habituées à ce que le public vienne spontanément et se retrouvent contraintes d’aller le chercher .
  • des théâtres, comme l’Opéra de Vienne, où au contraire le public afflue, qui a une ligne presque exclusivement musicale : offrir les meilleurs chanteurs, et garantir un niveau musical moyen honorable avec des choix de mises en scène plutôt pâles, car ce théâtre a l’exigence de remplir 300 fois la salle et préfère tabler sur la régularité plutôt que sur le coup médiatique. C’est le modèle du théâtre de répertoire, une offre lyrique en masse, et donc une nécessité de définir une ligne médiane, car chaque production doit durer, en donnant au spectateur la certitude qu’il est à Vienne, une capitale musicale du monde.
  • des maisons très polarisées sur le chant, moins sur les mises en scène, comme les théâtres du Sud de la France, aux moyens plus limités, Avignon, Marseille, Toulon, Nice qui auraient tout intérêt à s’unir ou comme des théâtres de grande tradition comme le Liceu de Barcelone
  • d’autres, comme Amsterdam, Bruxelles, Lyon, voire Madrid qui ont une ligne assez ferme et exigeante sur les mises en scènes et le choix des œuvres, héritiers de la ligne Mortier jadis à Bruxelles, avec des équipes musicales solides mais sans stars, mais pour certains qui connaissent aussi des difficultés (Bruxelles).
  • À la faveur d’une communication mondialisée et de voyages toujours plus facilités on s’intéresse aussi bien plus aux maisons du nord de l’Europe, Copenhague, Stockholm, Oslo, Helsinki de tradition relativement récente, ou qui ont profondément renouvelé leur politique musicale et qui attirent pas mal de mélomanes : en ce moment, le Ring de Stockholm est un aimant (Stemmant ?) pour les wagnéromanes.
  • Il y a aussi un bloc de l’Est, en Pologne, où il y a une réelle ouverture grâce à une école de mise en scène vivace, et ailleurs des maisons d’opéra, qui par tradition, ou par manque de moyens, n’ont pas encore toujours rencontré la modernité, et restent des lieux d’une tradition scénique parfois poussiéreuse, mais souvent musicalement solides et où l’on assiste à la renaissance de maisons de très grande tradition historique, comme Riga. L’Est européen est aussi le champ des matières premières lyriques: le réservoir de chanteurs y semble inépuisable.
  • enfin des maisons plus petites mais prestigieuses comme Bâle, ou l’Opéra des Flandres, sont résolument tournées vers l’innovation et la modernité. D’ailleurs l’intendant de l’opéra des Flandres, Aviel Cahn, viendra dans deux ans diriger Genève tandis qu’en France, on observera avec attention de jeunes maisons valeureuses, comme Dijon ou comme Lille, ouvertes, soucieuses de façonner leur public, inventives.
  • Au milieu de ces situations contrastées, un pays, l’Allemagne, le plus gros marché lyrique d’Europe, régi par le système de répertoire, avec ses grandes références, Munich, Hambourg, Berlin (et ses trois opéras), Stuttgart, Francfort, quand toute l’Europe occidentale – hors espace germanophone- est régie par le système stagione. Même avec ses problèmes spécifiques, l’Allemagne reste l’île heureuse de la musique.
  • En Suisse, une situation contrastée, avec des maisons plutôt ouvertes comme Zürich, magnifique exemple de modernité « contrôlée » et de niveau musical pratiquement sans failles qui en fait l’une des grandes maisons européennes, ou Bâle pôle de modernité dont on vient de parler, et puis d’autres théâtres plus petits, mais où se préparent les managers et les chanteurs de demain comme Bienne-Soleure, Saint Gall, Berne. Quant à Genève, c’est l’exemple même du théâtre de stagione, qui est en travaux actuellement, aux saisons hésitantes, entre modernisme et tradition, toujours de niveau très honorable, mais qui ne réussit pas à capter l’attention par ses initiatives : c’est un théâtre peu lisible en termes de politique culturelle qui dispose tout de même d’atouts importants, dont sa tradition et son histoire, et aussi un budget non indifférent.
  • Et puis il y a les Festivals, Vérone en difficulté, mais inévitable porte-drapeau de l’opéra populaire et spectaculaire, Orange, dans le même filon, qui a pu jadis être un peu plus exigeant et inventif qu’aujourd’hui, un nouvel intendant à Salzbourg après des années de palinodies et hésitations, une vie toujours un peu perturbée pour Bayreuth qui se cherche encore et qui connaît-disons- quelques hésitations dans son public, Aix qui va changer de pilote après une ère Foccroule intelligente, avec une vraie ligne rigoureuse, à l’image de son directeur, Pesaro remarquable exemple de permanence de ligne et de direction, Munich tel qu’en lui-même enfin l’éternité le change et tous les autres dont on parle moins comme Wildbad, en Forêt noire, dédié à Rossini, ou Peralada en Catalogne.
    Fait nouveau depuis quelques années, la floraison de Festivals de Pâques, dont le pionnier Salzbourg vient de fêter ses 50 ans et qui n’est plus le phare qu’on a connu jadis. Ainsi trouve-t-on Berlin et ses barenboimiens Festtage, Baden-Baden qui ne tient que sur les Berlinois, mais sûrement pas sur les productions globalement sans intérêt, pour un public plus aisé encore que l’été, aux goûts esthétiques souvent traditionnels, qui peut se permettre d’écumer les lieux et l’été et au printemps. Enfin, Aix dernier né à la couleur passionnément concertiste grâce à son animateur Renaud Capuçon.

On l’aura compris, la seule question qui vaille, c’est l’avenir du genre opéra, et les réponses que tous apportent, celle de la mise en scène, gage de modernité, celle de l’élargissement du répertoire, qui parie sur la curiosité du public, celle du coup médiatique aussi quelquefois, ou celle de la diffusion par vidéo. L’opéra est un genre qui doit absolument ouvrir ses portes à public plus jeune, sans quoi, comme me l’avait dit jadis Peter Gelb (manager du MET) lors d’une interview, le public disparaîtra sans être remplacé. Or, les jeunes sont disponibles à la découverte, et, lorsqu’ils ouvrent les portes des théâtres lyriques, s’en trouvent plutôt bien, à condition d’être préparés, les expériences en cours en France sous ce rapport semblent plutôt positives.

Les retransmissions au cinéma des grands théâtres internationaux sont-elles une menace sur les théâtres moins importants qui ne peuvent rivaliser ? C’est possible, mais pas obligatoire : ce qui menace les structures, c’est la pérennité des moyens à un moment où ils diminuent partout et où la charge repose pour beaucoup sur les villes, qui paient chèrement le soutien à l’opéra, ou qui dans l’impossibilité d’y pourvoir, laissent leur théâtre dépérir. En Italie, le berceau de l’opéra, seuls trois ou quatre théâtres réussissent à ne pas vivre sous respirateur, alors que souffrent terriblement de hauts lieux historiques de l’excellence, Florence, Bologne, Naples et que ce pays qui a la plus haute densité de théâtres petits et grands, a aussi la plus haute densité de théâtres fermés ou en survie.

Comme on le voit la situation est complexe, et l’impression domine cette année dans beaucoup de théâtres lyriques de saisons prudentes, peut-être moins stimulantes. Peut-être est-ce dû à toutes ces interrogations, et aussi à une offre désordonnée, quelquefois excessive : Paris a quatre scènes d’opéra, trois salles de concert flambant neuves désormais, un signe de vitalité après avoir été une capitale moins mélomane que d’autres : l’offre dépasse Londres dont les salles de concert sont problématiques. Qui s’en plaindrait, si l’affluence répond à l’offre et si les salles ne désemplissent pas. La même abondance se constate à Berlin, ou à Vienne, mais les travées vides à Milan, ou au MET, sont aussi des menaces pour les autres car il n’est pas sûr que tous soient aussi actifs pour conquérir de nouveaux publics ou d’élargir leur étiage.
Enfin dernière remarque, mais pas la moindre : le Wanderer voyage, mais choisit ses cibles : on voyage pour de nouvelles productions prestigieuses, des représentations magnifiquement distribuées, ou dirigées, des œuvres rarement données, bref on choisit son parcours qui doit être semé de diamants. Il en va autrement de l’opéra au quotidien, qui peut quelquefois friser la médiocrité même dans des salles prestigieuses, parce qu’on ne peut offrir chaque soir l’exception. Tout ce qui brille n’est pas or, notamment dans le système de répertoire. En ce qui concerne la stagione, en théorie, c’est fête chaque soir parce que la programmation d’un nombre limité de titres concentre les moyens sur les productions de l’année et non sur 40 ou 50 titres en alternance…mais on peut aussi y rencontrer la routine ou la médiocrité, ce qui est plus inquiétant.

Au total, l’impression globale pour moi est que l’époque d’expansion de l’opéra, de l’élargissement des publics, de 1970 à 2000, est passée. Se pose aujourd’hui la question du renouvellement des spectateurs, des spectacles, celle du répertoire, et celle des managers : dans les cinq prochaines années, tous les titulaires des grandes maisons, voire des moins grandes auront changé. Que sera le paysage dans 10 ans ?
Alors, ce voyage dans les saisons de quelques théâtres va certes prendre en compte toutes ces incertitudes, mais aussi essayer de proposer les sources de plaisir : on va balayer ainsi quelques maisons françaises, Paris et Lyon, Strasbourg qui comme, Toulouse, change de direction, et quelques étrangères, Munich, Francfort Stuttgart, Karlsruhe, Bâle, Zurich, Amsterdam Londres à portée d’ICE pour les suisses, de TGV pour les français ou de Thalys pour les belges…L’Europe n’est pas un vain mot pour les mélomanes car la musique est sans frontières. [wpsr_facebook]

LE FESTIVAL “MÉMOIRES”, FIN DE LA MISE EN SCÈNE?

Bientôt de nouveau sur nos scènes? Die Walküre, Chéreau  © Unitel

Le Festival « Mémoires » de l’Opéra de Lyon, si attendu, a eu lieu avec le succès que l’on sait. Il fallait oser exhumer ces trois productions disparues, les reconstituer, et les présenter à un public qui pour l’essentiel les découvrait. Le succès rencontré, le choc esthétique et théâtral subi, à chaque fois, et à chaque fois pour des raisons différentes a montré que loin d’être des productions muséales que l’on regardait avec respect comme des pièce de patrimoine théâtral, elles ont de nouveau fonctionné pour le public, hic et nunc, sans doute prêtes à une nouvelle carrière dans leur toute nouvelle modernité-éternité…
On peut à ce propos regretter que l’Elektra de Ruth Berghaus, seule production qui n’a pas fait l’objet d’un DVD,  n’ait pu être enregistrée.
Le succès n’est pas seulement dû à la force de ces travaux, mais aussi à la performance musicale, notamment celle de Hartmut Haenchen, qui a donné aussi bien à l’Elektra qu’au Tristan une densité, une profondeur, une rigueur qui a fait l’admiration de tous, et aux distributions réunies, d’un niveau exceptionnel.
Le pari est donc gagné : il y a des productions qui continuent de fonctionner par-delà les années, un peu comme les grands films qui ne meurent jamais. Mais on a tellement glosé sur le côté éphémère de l’art théâtral, sur la rencontre d’une production et d’un contexte, sur la question de la mise en scène notamment à l’opéra qu’il faut sans doute s’arrêter un peu plus sur l’émotion vive que le public de Lyon, rarement aussi enthousiaste, a pu éprouver.
Dans un blog créé et enraciné dans et par la mémoire des spectacles vus, une entreprise comme celle de Lyon ne pouvait que séduire, qui a constitué non des reprises, mais des recréations presque ex-nihilo, grâce à la présence attentive de ceux qui avaient participé à la création. Rien à voir avec une représentation de répertoire qu’on reprend d’année en année sans répétitions, comme souvent dans le théâtre allemand. C’est bien de recréation qu’il s’agit, plus que tradition du « Wiederaufnahme » germanique, la reprise retravaillée : recréation d’une fidélité maniaque pour conserver un esprit. Et de fait tout au long de ces trois productions, l’esprit n’a cessé de souffler.
Mais ce qui rend passionnante l’idée de Serge Dorny, c’est qu’elle revivifie la question de la mise en scène, c’est le côté très positif de l’entreprise, et elle pose une autre question, plus inquiétante peut-être ou en tous cas plus problématique, sur la nature du ressort qui a poussé à reprendre ces travaux.
D’un côté, cette initiative montre qu’une mise en scène peut fonctionner au-delà du public spécifique visé (Dresde 1986/Bayreuth 1993/Aix 1999 face à Lyon 2017) et au-delà du contexte, et que ces travaux, loin d’avoir épuisé leurs forces, les ont vues revigorées.
D’un autre, éprouver le besoin de ces recréations, n’est-ce pas, en creux, constater qu’on est peut-être à la croisée des chemins, à un moment où l’on a l’impression que tout a été dit, que les mises en scène, même les plus récentes et les plus marquantes, sont arrivées au bout d’un parcours.
De fait, l’incroyable choc d’une production de Chéreau en 1976, par rapport à la production ordinaire de l’époque, n’a rien à voir en terme de rupture avec celle de  la génération actuelle des grands metteurs en scène par rapport à leurs immédiats prédécesseurs : Warlikowski, Tcherniakov, tout remarquables soient-ils ne représentent aucune rupture par rapport à ce qui se fait depuis une quarantaine d’année sur les scènes, seul peut-être le théâtre de Castellucci pourrait porter en lui des voies nouvelles.
Ce qui se passa en 1976 avec Chéreau à Bayreuth fut une sorte de prise de conscience que le théâtre, et le théâtre le plus contemporain entrait à l’opéra. Il y avait eu certes Wieland Wagner, il y avait eu certes à Bayreuth aussi Götz Friedrich quelques années auparavant. Mais l’effet « médiatique » de ce Ring (même si Ronconi à la Scala avait largement ouvert la voie, mais pas dans la chambre d’écho qu’est Bayreuth), fut un déclencheur qui ouvrit grand les portes des opéras d’abord allemands, puis plus largement internationaux, à une nouvelle génération de mises en scènes, qui firent dire qu’on entrait dans l’ère des metteurs en scène, manière un peu exagérée de dire que désormais, la mise en scène comptait aussi à l’opéra.
Nous sommes en 2017 et depuis 1986 (date de la Première de l’Elektra de Ruth Berghaus) quelles voies nouvelles ? Sûrement des innovations technologiques, avec l’entrée en force de la vidéo sur les scènes (depuis notamment le Guglielmo Tell de Ronconi à la Scala en décembre 1988), et désormais la vidéo en direct (merci Frank Castorf) qui en révèle les espaces invisibles. Il reste qu’au niveau conceptuel, les démarches de la plupart des metteurs en scène de la génération actuelle reste inspirée par les avancées du Regietheater, même si les aspects idéologiques ou politiques sont atténués au profit d’analyses plus psychologisantes.
Ce qu’a prouvé Serge Dorny avec son idée remarquable, c’est que ces deux pièces (rappelons que le Tristan d’Heiner Müller fut hué et critiqué à la création) sont devenues « classiques », au sens où elles ont pris une valeur intemporelle, qui interroge et fascine le public d’aujourd’hui comme celui d’hier. C’est un peu moins vrai de l’Incoronazione di Poppea, plus historiée de Klaus Michael Grüber, mais là le charme est ailleurs, stylisation d’un univers, renvoi au monde de la fraîcheur cruelle de la jeunesse, sorte de monde d’album qui nous parle encore aujourd’hui : il y a quelque chose de nostalgique qui marque le spectateur.
N’importe, les trois spectacles à leur manière reparlent au public : le théâtre ne serait donc plus cet art de l’éphémère, de l’instant fugitif qui peuple les écrits théoriques ?
Ce qui me fait un peu gamberger sur le moment théâtral que nous vivons, c’est que dans le même temps et pas seulement à Lyon, d’autres événements scéniques interrogent. À Salzbourg, au Festival de Pâques qui fête ses 50 ans, on reprend, on reconstitue la production Karajan/Schneider-Siemssen de 1967 de Die Walküre. Les cahiers de régie ayant disparu, c’est Vera Nemirova qui assure la mise en scène, et l’on reconstruit le décor avec une passionnante exposition sur cette reconstitution. À Baden-Baden, on reprend, dans une autre mise en scène il est vrai (et on pourrait dire hélas) La Tragédie de Carmen de Marius Constant (et Peter Brook). À Mannheim on fête en grande pompe les 60 ans de la production de Parsifal de Hans Schüler tandis qu’à la Scala on s’apprête à reprendre la production légendaire de Entführung aus dem Serail de Giorgio Strehler, née en 1972, tandis que La Bohème de Franco Zeffirelli (1964) continue de reprise en reprise d’y faire exploser les applaudissements au lever de rideau du deuxième acte.
Verra-t-on bientôt une tentative de faire revivre le Ring de Chéreau ou les Wagner de Wieland ? Force est de constater que si le Regietheater a dit au monde des choses que ce dernier ne voulait pas forcément entendre, on assiste aujourd’hui à des tentatives de réaction d’un côté et de célébration de l’autre : la question de la mise en scène est toujours au centre de débats herméneutiques vifs, qui cachent des prises de position idéologiques et –il faut bien le dire – une crise du public dans les opéras les plus célèbres (la Scala en est l’exemple le plus frappant). Cette crise vient aussi dans des institutions qui n’ont pas vraiment afficher de politique claire, allant de l’affichage de titres racoleurs sans vraie ligne (Alexander Pereira à la Scala) à un retour à une pauvreté scénique qu’on a confondu avec le retour à la tradition (Nicolas Joel à Paris) : on ne sent pas cette crise avec autant d’acuité en Allemagne. En France, Serge Dorny qui a résolument choisi une ligne novatrice en matière de mise en scène est très largement suivi par le public lyonnais : il est vrai que l’Opéra de Lyon plonge sa tradition d’innovation dans quarante ans d’une politique théâtrale née au TNP de Planchon, puis poursuivie à l’opéra avec Jean-Pierre Brossmann et Louis Erlo : un public cela se construit et s’éduque. Le Regietheater et les mise en scènes novatrices ne font donc pas peur partout, et que je sache, Lyon n’est pas une ville de tradition révolutionnaire…

Tristan und Isolde (Heiner Müller) Acte II, Lyon 2017 ©Stofleth

Mais que ce soit justement à Lyon que soit affiché ce regard en arrière sur des productions mythiques, dans un théâtre qui cherche résolument des regards neufs et politiques dans ses choix scéniques est un indice : ne serions-nous pas à un moment charnière où tout a été dit scéniquement, au point que le regard en arrière devient une sorte d’échappatoire, que nous sommes devant le mur de verre au-delà duquel pour l’instant il n’y a plus d’avenir en dehors du retour: la mode nous a habitués à ces retours sur le passé, le théâtre en serait-il arrivé à ce point, dans un monde d’ailleurs aujourd’hui largement dominé par l’idée qu’avant c’était mieux…La mode vintage dans tous domaines est aussi un indice…
Par ce Festival, Dorny montre d’un côté que ce théâtre âgé de plusieurs dizaines d’années a toujours sa force et son impact sur le public d’aujourd’hui, et n’a rien de poussiéreux, mais il nous avertit aussi d’une aporie éventuelle dans lequel se débattrait le théâtre d’aujourd’hui. En ce sens le Ring de Castorf à Bayreuth n’est-il pas l’extrême d’un Regietheater au-delà duquel ou il faut radicalement changer de vision, ou bien on risque de se répéter dans la fadeur. La question est essentielle, et vient du théâtre d’opéra le plus novateur de France, et on peut le dire aussi, l’un des plus novateurs d’Europe : et si la mise en scène n’avait plus rien à dire de neuf ?
Il reste que cette question, fondamentale pour le théâtre d’aujourd’hui, se dit par l’opéra. Ce débat est plus feutré au théâtre : la question du statut de la parole au théâtre, des arts du mouvement et de la danse pose une vraie difficulté pour l’art dramatique, mais de manière moins médiatisée qu’à l’opéra. On sait que les metteurs en scène de théâtre les plus originaux viennent souvent à l’opéra au moment où ils sont déjà un peu rangés et « institutionnalisés », épouvantails auprès d’un public lyrique qui frissonne à bon compte : ce ne fut pas le cas ni de Berghaus, ni de Grüber qui assez tôt ont touché à l’opéra dans leur carrière. Et pour Heiner Müller pour qui l’expérience théâtrale procède d’une approche intellectuelle et littéraire, Tristan est d’abord expérience presque « théorique » et non « passage » à l’opéra.
Ces recréations lyonnaises et ce succès incontestable posent désormais une question bien plus fondamentale qui va plus loin que l’événement :  celle du théâtre aujourd’hui, de son devenir dans un monde dont on sait les hoquets et les drames.

De ces questions, la presse allemande s’est fait l’écho, consacrant des pages entières (dans la FAZ, dans la Süddeutsche Zeitung) à l’événement lyonnais, en saisissant le sens et les potentiels. En France, la plus grande revue musicale ne s’est pas déplacée, non plus qu’un « célèbre quotidien du soir », comme on dit…ce sont des fautes lourdes, imbéciles, qui montrent combien échappent les vraies questions culturelles, au profit du contingent attrape-tout, et comment la question culturelle dans nos médias parmi les plus représentatifs (pas tous heureusement) peut-être ignorée dans ses potentialités et bafouée dans sa réalité. [wpsr_facebook]

Tristan und Isolde , Heiner Müller, Bayreuth 1993, Acte I©Archiv Bayreuther Festpiele

LES SAISONS 2016-2017 (5): OPÉRA NATIONAL DE LYON

Tristan und Isolde (Bayreuth) , Ms Heiner Müller ©Bayreuther Festspiele
Tristan und Isolde (Bayreuth) , Ms Heiner Müller ©Bayreuther Festspiele

C’est toujours avec curiosité qu’on attend la programmation annuelle de l’Opéra de Lyon, qui sera la dernière du “règne” de Kazushi Ono, marqué par un vrai travail avec l’orchestre sur un répertoire plus récent, ainsi qu’un souci marqué de la précision des pupitres. La présence de Kazushi Ono a été pour Lyon une vraie chance, qu’il faut évidemment saluer.
Curiosité parce que la politique de Serge Dorny affiche une volonté résolue de modernité, et la recherche de jeunes chefs et metteurs en scène talentueux. C’est à Lyon qu’on a eu et pendant des années, Kirill Petrenko pour les grands Tchaïkovski, et un Tristan und Isolde resté dans les mémoires. Mais c’est aussi à Lyon qu’on a eu des spectacles de Peter Stein, de Klaus Michael Grüber, des gloires de la génération du Regietheater, mais on découvre aussi à Lyon la jeune génération, David Bösch metteur en scène devenu très vite inévitable (on le voit partout en Allemagne actuellement), David Marton à qui on doit trois mémorables spectacles, Capriccio, Orphée et Eurydice et la Damnation de Faust, Stefan Herheim pour Rusalka, Dmitri Tcherniakov pour Lady Macbeth de Mzensk, ou Alex Ollé de la Fura dels Baus mais aussi des metteurs en scène anglo-saxons : John Fulljames, Adrian Noble. Pour beaucoup, presque tous, c’était une première fois en France. Les grands metteurs en scène d’opéra d’aujourd’hui défilent tous d’abord à l’opéra de Lyon.
La saison prochaine est donc particulière pour le départ de Kazushi Ono, mais aussi particulière pour le répertoire affiché, une fois de plus sans concessions, mais totalement passionnant, à découvrir ou redécouvrir.

Octobre 2016 :

L'Ange de Feu (Benedict Andrews) ©Iko Freese :drama-berlin.de
L’Ange de Feu (Benedict Andrews) ©Iko Freese :drama-berlin.de

L’Ange de Feu de Sergueï Prokofiev, dir.mus : Kazushi Ono. La production de l’australien Benedict Andrews est importée de la Komische Oper de Berlin, où elle a triomphé et cette saison et la saison dernière. Une histoire de fantasmes et de désir, rare sur les scènes mais redécouverte ces dernières années. Pour l’incarner, il faut des artistes enflammés et incroyablement engagés. C’est Ausrine Stundyte (la Lady Macbeth de Mzensk cette saison) qui sera Renata, tandis que Ruprecht sera le remarquable Laurent Naouri. Mais le reste de la distribution n’est pas en reste : tous d’excellents chanteurs, Margarita Nekrasova, Dmitry Golovnin, Vasily Efimov, Mairam Sokolova.
Un début de saison brûlant à ne manquer vraiment sous aucun mais aucun prétexte.
Du 11 au 23 octobre (7 représentations)

Novembre 2016 :

L’enfant et les sortilèges, de Maurice Ravel . Une toute petite série pour les enfants d’un côté et pour les jeunes du Studio de l’autre, dirigée en alternance par Philippe Forget et Kazushi Ono, dans une conception légère, avec les vidéos de Grégoire Pont, la mise en espace de James Bonas, des décors et costumes de Thinault Vancraenenbroeck. Le texte de Colette vus au travers des effets spéciaux et de l’animation.
Du 1er au 5 novembre (4 représentations)

Ermione, de Gioacchino Rossini Une seule représentation pour l’un des grands opéras seria de Rossini, en version de concert, qui va clore le cycle bel canto initié il y a quelques années. Mérite d’autant plus le voyage qu’on va y entendre en Ermione, l’une des plus grandes voix actuelles, essentiellement abonnée au MET à New York, Angela Meade ! Je crois même que c’est la première apparition en France . elle a décidé la saison prochaine de chanter en Europe (Madrid, Bilbao, Berlin). Le reste de la distribution est composé de rossiniens ou belcantistes AOC, comme Dmitry Kortchak, Michael Spyres, Enea Scala (le magnifique Leopold de La Juive cette saison à Lyon), Eve-Maud Hubeaux, une jeune mezzo à surveiller (magnifique Mary à Lyon dans Fliegende Holländer en 2014). L’ensemble sera dirigé par le vétéran des rossiniens et le pape de l’édition rossinienne, Alberto Zedda.
Le 13 novembre 2016 (une représentation).
Concert présenté au TCE à Paris le 15 novembre 2016.

Décembre 2016 :

Eine Nacht in Venedig de Johann Strauss, en coproduction avec l’Oper Graz et le Royal Opera House de Mascate (Sultanat d’Oman). L’Opéra de Lyon poursuit l’exploration d’opérettes rares en France, Eine Nacht in Venedig (1883) n’est pas l’opérette de J.Strauss la plus fréquente en France et c’est donc l’occasion de découvrir un Strauss inconnu ou peu connu. Inconnu en France aussi le danois Peter Langdal, directeur de théâtre et metteur en scène qui travaillera à cette production correspondant aux fantasmes vénitiens de la bourgeoisie viennoise, peu de temps après que Venise a regagné le giron italien . C’est Daniele Rustioni, futur directeur musical de la maison à partir de la saison 2017-2018, qui dirigera l’œuvre ce qui nous assure vivacité et rythme, et c’est l’excellent ténor Lothar Odinius qui conduit le carnaval (dans la distribution, Matthias Klink, Piotr Micinski, et Caroline MacPhie).
Du 14 décembre 2016 au 1er janvier 2017 (9 représentations)

Janvier 2017 :

Jeanne au bûcher, d’Arthur Honegger, sur un texte de Paul Claudel. Romeo Castellucci, pour la première fois à Lyon, poursuit sa méditation scénique sur les figures du mysticisme et sur la relation au religieux. Après Œdipe, Moïse, Jésus, voici Jeanne d’Arc, vue par Claudel et Honegger, figure humaine et visitée, parmi les hommes et hors le monde, qui sera portée par Audrey Bonnet. À ses côtés notamment Denis Podalydès (Frère Dominique), mais aussi Ilse Eerens, Valentine Lemercier, Marie Karall et Jean-Noël Briend, le tout porté par Kazushi Ono, à la tête de l’orchestre et de l’excellent chœur de l’Opéra (direction Philip White). Sans aucun doute le public courra voir cette incarnation tant le metteur en scène italien est aujourd’hui devenu un phénomène médiatique.
Du 21 janvier au 3 février 2017 (8 représentations)

Mars 2017

Festival « Mémoires ».
C’est la mémoire du théâtre que Serge Dorny a choisi d’exhumer pour ce Festival 2017 tout à fait exceptionnel, d’une grande difficulté à organiser puisqu’à l’Opéra de Lyon alterneront deux opéras « lourds » exigeant de la part de l’orchestre un engagement rare, tandis que le TNP sera mobilisé pour le troisième. Une mémoire encore vive en Allemagne et peut-être moins sensible en France de spectacles qui ont profondément marqué l’histoire de la mise en scène d’opéra :

Elektra mise en scène de Ruth Berghaus ( Semperoper Dresden 1986)
Tristan und Isolde, mise en scène de Heiner Müller (Bayreuther Festspiele 1993)
L’incoronazione di Poppea, mise en scène de Klaus Michael Grüber (Aix 1999, Wiener Festwochen 2000)
Les trois metteurs en scène sont morts, les trois spectacles enfouis dans les mémoires ou sur des photos, voire en vidéo (Grüber et Müller), bien que la mise en scène de Ruth Berghaus ait duré à Dresde jusqu’en 2009. L’Opéra de Lyon reconstitue costumes et décors, et la mise en scène est reprise à partir des traces qu’on en a. Quel effet ces travaux mythiques sur un public de 2016? quelle réflexion sur la fugacité du théâtre ? Sur la notion de mise en scène comme « œuvre d’art », quelle rencontre entre un spectacle créé pour un public de 30 ans antérieur, et un public de 2016 ? Autant de questions passionnantes autour du théâtre que le public devra se poser, et avec quelle acuité, au contact d’objets aussi mythiques.

L’Incoronazione di Poppea, de Claudio Monteverdi.
Les amours de Néron et Poppée qui détruisent tout sur leur passage, Octavie, la femme répudiée, Sénèque le philosophe et maître à penser. Seuls en réchappent (sur le fil) les deux autres amoureux, Drusilla et Ottone . Sans doute le premier opéra véritablement dramaturgique, avec des « personnages » de chair et de sang traités par Grüber à la fois concrètement et abstraitement, comme des émanations d’images enfouies, rêvées par nos fantasmes pompéiens ou ceux de la peinture Renaissance (magnifique décor de Gilles Aillaud). Pour cette production, des jeunes, rien que des jeunes se confronteront sur la scène du Théâtre National Populaire de Villeurbanne (mais aussi de l’Opéra de Vichy)à la passion dévorante et destructrice : Sebastien d’Hérin et son Ensemble Les Nouveaux Caractères et les jeunes chanteurs du Studio de l’Opéra national de Lyon.
Du 7 au 11 mars (3 représentations) à l’Opéra de Vichy
Du 16 au 19 mars (3 représentations) au Théâtre National Populaire

 Elektra, de Richard Strauss

La vengeance chez les Atrides, dans la version d’Hugo von Hoffmannsthal héritée de Sophocle : le paroxysme des relations affectives d’une charmante famille : père/fille, mère/fille, frère/sœur soeur/soeur : danse sur un volcan musical qui secoue l’opéra depuis 1909.
L’orchestre sera dirigé par Hartmut Haenchen, un des grands chefs pour ce répertoire, Elektra sera Elena Pankratova (que je n’aime pas, mais enfin…on verra), Chrysothemis aura l’immense voix de Katrin Kapplush, Klytemnästra sera Lioba Braun, et Orest Christoph Fischesser, mais aussi Thomas Piffka (Aegisth) et Victor von Halem. Et tout se beau monde évoluera sur le « plongeoir » conçu par Hans Dieter Schaal pendant que l’orchestre sera en dessous.
A ne manquer sous aucun prétexte, évidemment. Une occasion de ce type ne se rate pas.Du 17 mars au 1er avril (6 représentations)

Tristan und Isolde (Bayreuth) , Ms Heiner Müller ©Bayreuther Festspiele
Tristan und Isolde (Bayreuth) , Ms Heiner Müller ©Bayreuther Festspiele

Tristan und Isolde, de Richard Wagner
La dernière fois que Tristan und Isolde a été représenté à Lyon, c’est il n’y a pas si longtemps (En juin 2011) et c’était Kirill Petrenko qui dirigeait. Ce sera cette année Hartmut Haenchen, ce qui n’est pas mal non plus, et qui assurera donc Elektra et Tristan.  La mise en scène de Heiner Müller a été immortalisée par la vidéo en 1995, et constitue la production de la première Isolde de Waltraud Meier. C’est dire l’incroyable force émotive que cette reprise peut avoir pour moi qui ai vu ce spectacle profondément bouleversant à Bayreuth.
La distribution permet de retrouver l’Isolde d’Ann Petersen (elle l’était déjà en 2011), Tristan sera Daniel Kirch, excellent jeune ténor wagnérien, le roi Marke, comme en 2011 sera Christoph Fischesser, tandis que Brangäne sera la jeune Eve-Maud Hubeaux et Kurwenal l’excellent Alejandro Marco-Buhrmester. Une très belle distribution qui promet de beaux moments, qui seront éclairés par le mythique éclairagiste de Bayreuth (et du Ring de Chéreau) : Manfred Voss.
Lyonnais, le mythe sera chez vous, vous savez ce qui reste à faire.
Du 18 mars au 5 avril (6 représentations)

Après ce mois de mars à vrai dire exceptionnel, voire unique, la programmation « ordinaire » reprend ses droits.
Mai 2017

Alceste, de C.W.Gluck,
Retour de Stefano Montanari, l’excellent chef italien auquel on doit déjà de très belles soirées à Lyon (et qui dirigera en juin 2016 l’Enlèvement au Sérail dans la mise en scène de Wajdi Mouawad), et retour d’Alex Ollé de la Fura dels Baus pour la mise en scène de cet Alceste de Gluck, l’histoire de l’épouse Alceste qui consent à mourir pour son mari Admète et que finalement les dieux épargneront. C’est l’une des vedettes du chant français, Karine Deshayes qui sera Alceste, et le très bon Julien Behr qui sera Admète, entourés de Florian Cafiero, d’Alexandre Duhamel et de Tomislav Lavoie.
Du 2 mai au 16 mai (8 représentations)

Borg et Théa, de Frédéric Aurier et la Soustraction des Fleurs
Un spectacle familial, pour enfants, en collaboration avec le Théâtre de la Croix Rousse, sous la direction musicale de Karine Locatelli, et dans la mise en scène de Jean Lacornerie. La Soustraction des Fleurs et le Quatuor Béla accompagnent un spectacle où participe aussi l’excellente Maîtrise de l’Opéra de Lyon.
Du 9 au 17 mai (7 représentations)

Juin 2017

Viva la Mamma (Le convenienze e inconvenienze teatrali) de Gaetano Donizetti.
Dans la production des 71 opéras écrits par Donizetti, pleins de femmes sacrifiées et d’amours interrompues, de meurtre, de sang et de cruauté, les comédies sont très rares et Viva la Mamma en est une, qui raille les mœurs du théâtre lyrique. Un opéra au miroir en quelque sorte ; c’est Laurent Pelly, grand amoureux des opéras souriants qui avec sa complice Chantal Thomas, en fera la mise en scène tandis que l’orchestre sera dirigé par le très jeune et très intéressant Lorenzo Viotti (26 ans, fils du chef disparu Marcello Viotti) qui l’an dernier a remporté le prix des jeunes chefs d’orchestre du Festival de Salzbourg. Ce qui motive d’autant plus car la découverte d’un jeune chef est chose importante. Côté distribution, c’est vraiment l’idéal pour ce répertoire : Patricia Ciofi, grande spécialiste de Donizetti, Charles Rice, qu’on a vu dans La Juive (Albert), Enea Scala , qui lui aussi était dans La Juive (Léopold) et Laurent Naouri. Une conclusion de saison en explosion.
Du 22 juin au 8 juillet (9 représentations)

Comme d’habitude, l’Opéra de Lyon propose une saison bien construite, assez complexe et exigeante pour le spectateur, passionnante pour les amoureux du théâtre et aussi des œuvres un peu exceptionnelles : entre l’Ange de Feu, Jeanne au bûcher, Elektra, Tristan und Isolde et Alceste, c’est une palette très diversifiée d’œuvres monumentales et symboliques de l’histoire du genre qui est interpellée. Quant au Festival « Mémoires »,  il fait déjà rêver.
Je suppose que beaucoup de parisiens feront le voyage lyonnais assez souvent, mais pas seulement les parisiens, je gage qu’outre Rhin la perspective de revoir le Tristan d’Heiner Müller en excitera plus d’un. Magnifique saison. [wpsr_facebook]

Elektra (Prod.Berghaus) ©Semperoper Dresden
Elektra (Prod.Berghaus) ©Semperoper Dresden

SUR L’ÉLECTION DE KIRILL PETRENKO AU PHILHARMONIQUE DE BERLIN

Kirill Petrenko © Wilfried Hösl
Kirill Petrenko © Wilfried Hösl

On attendait une décision dans plusieurs mois et elle est arrivée un mois et 10 jours après ce fatidique 11 mai, tant commenté par les médias et tant raillé par les réseaux sociaux. Qui a regardé la conférence de presse (sur YouTube) a pu constater la satisfaction visible des musiciens qui intervenaient. Satisfaction qui m’a été confirmée par les mails échangés avec quelques-uns des membres de l’orchestre.
Les lecteurs de ce blog savent comme je suis Kirill Petrenko dans la plupart des productions qu’il dirige à Munich, mais les spectateurs de l’Opéra de Lyon (merci Serge Dorny) , où il a dirigé régulièrement de 2006 à 2011, le connaissent bien aussi et savent la qualité de ses Tchaïkovski (un Mazeppa superlatif notamment!) et se souviennent de son Tristan und Isolde qui a suscité un intérêt plus vif de la presse, vu qu’il était le chef désigné (et choisi par Eva Wagner-Pasquier) pour le Ring du bicentenaire de Wagner à Bayreuth. Kirill Petrenko est évidemment un chef de tout premier plan, indépendamment des inévitables discussions d’entracte sur telle ou telle interprétation. Sa récente Lulu à Munich a divisé les commentateurs, notamment étrangers, malgré une appréciation positive de presque toute la presse germanique parce qu’il a pris à revers une œuvre qui commence (depuis assez peu de temps) à avoir une tradition (une doxa serait plus juste) interprétative.
Il reste que bien des commentaires lus dans la presse ou dans les réseaux sociaux français montrent qu’on considère son élection à Berlin comme celle « d’un second couteau », comme l’écrit un twitteur sans doute peu au fait de la manière dont il est considéré outre-rhin dans le monde musical, ou d’un choix « par défaut » puisque ceux qui étaient considérés comme les probables heureux élus éventuels ont été écartés.
Au conclave, on rentre Pape et on en ressort cardinal, c’est bien connu.
Connu à Lyon où il  a dirigé 4 opéras, Petrenko l’est moins à Paris…mais gageons que désormais les Sybilles et les Pythonisses du monde musical français vont édicter leurs jugements éclairés lors des prochaines apparitions du chef sur les rives de la Seine.
Certains vont jusqu’à mettre en doute le jugement des musiciens du Philharmonique de Berlin, car les musiciens d’un orchestre (et de cet orchestre !) ne seraient pas les mieux placés pour juger du discours interprétatif d’un chef. Les Berliner Philharmoniker les attendent impatiemment, ces doctes commentateurs, pour entendre en quoi ils ont fait l’erreur de leur vie.
Il y a partout des cafés du commerce, auprès des stades et auprès des salles de concert. Et partout des programmateurs en herbe (folle). Ah, si on les écoutait.
Une chose est sûre, c’est que jamais Kirill Petrenko n’a fait partie des outsiders , qu’on en parlait en Allemagne pour Berlin  depuis longtemps, et bien avant mai 2015. On sait qu’il est considéré comme l’étoile montante de la direction d’orchestre, travailleur acharné, adoré des orchestres qu’il dirige, des équipes qu’il anime, d’une folle exigence et d’un fol pointillisme, mais en même temps d’une grande gentillesse. Lors d’une conversation avec l’intendant de Munich Nikolaus Bachler, celui-ci me disait ne jamais avoir vu un orchestre prolonger une répétition pendant plus de 30 minutes par rapport à l’horaire prévu simplement « parce que c’est intéressant ». Kirill Petrenko n’a pas de relation avec les médias, qu’il évite, il est d’une discrétion vite devenue légendaire, en ce sens, il est à l’opposé du grand communicant Simon Rattle mais a imposé le respect partout où il est passé.
Il faisait partie des noms cités avec insistance, mais tout le monde focalisait sur Christian Thielemann, le candidat de « l’identité allemande », grand musicien, mais personnalité contestée (d’aucuns disent contestable) ou sur son alternative Andris Nelsons.
L’annulation de son concert avec les Berliner début décembre (Mahler VI, qu’il avait dirigée de manière époustouflante à Munich début octobre – voir ce blog) a été interprétée  comme une fin de non-recevoir et un refus de rentrer dans le « toto-direttore », dans la ronde des possibles élus.
Eliminé, par sa propre volonté, de la course à ce poste, restaient deux possibilités :

  • ou bien élire Thielemann ou Nelsons,
  • ou se replier sur une solution d’attente, un maître plus vénérable, Jansons, un des favoris de l’orchestre, mais qui a signé opportunément sa prolongation à Munich juste avant le 11 mai, Barenboïm, dont le nom circule toujours au moment de l’élection et ce depuis 1989, voire Chailly.

On a même prononcé les noms de Yannick Nézet-Séguin ou de Gustavo Dudamel, improbables, ou même de Esa Pekka Salonen, qui n’a pas mis les pieds à Berlin depuis des lustres.
A la veille du concert de Berlin en décembre 2014, Kirill Petrenko était si attendu que les concerts étaient complets et qu’on pensait que si c’était un triomphe, c’était plié pour l’élection. Pour un outsider, on repassera!
Le choix offert au 11 mai fut donc peut-être, contrairement à ce qu’on écrit ici et là, un choix « par défaut », et cela expliquerait l’échec du vote. Il y avait sans doute de forts partisans de Thielemann, mais aussi de fortes oppositions. Et donc raisonnablement l’orchestre a préféré reporter le choix, qui doit être aussi unitaire que possible, pour préserver l’homogénéité de l’orchestre, malgré les inévitables variétés des opinions à l’intérieur d’un groupe de 124 personnes.
Un revirement si subit (un peu plus d’un mois) et une élection de Kirill Petrenko à forte majorité des musiciens montrent que le chemin s’est ouvert plus rapidement qu’attendu. D’abord, remarquons et c’est tout à leur honneur, que les musiciens ont compris que la communication autour de l’élection leur avait été dommageable en mai : les réseaux sociaux suspendus à la fumée blanche, les fausses nouvelles qui fuitent, puis le soufflé qui retombe, tout cela n’est pas bon pour l’image et la sérénité « artistique » des débats. Ils ont donc procédé dans le plus grand secret, ce qui préservait d’un éventuel échec.
Mais les choses étaient suffisamment avancées pour que le célèbre critique du journal Die Welt, Manuel Brug, publiât ce week-end dans son blog un article annonçant la réunion de l’orchestre et les questions en suspens, encore aujourd’hui d ‘ailleurs, concernant la compatibilité du contrat munichois de Petrenko (qui se termine en 2020) et le début de son contrat berlinois (septembre 2018).( http://klassiker.welt.de/2015/06/21/wird-kirill-petrenko-neuer-chef-der-berliner-philharmoniker-ab-2020/)

Qu’est ce qui a pu décider les musiciens à revenir sur un nom qui paraissait perdu pour la cause, et qu’est ce qui a pu décider Petrenko ? D’abord, il apparaissait que Petrenko n’était pas si fermé à la perspective. Ensuite, Andris Nelsons se refusait à laisser Boston. Or, si un directeur artistique et musical des Berliner peut rester directeur musical d’un opéra (Karajan fut à la fois viennois salzbourgeois et berlinois), il ne peut cumuler deux orchestres. Quant à Thielemann, je pense que les derniers événements de Bayreuth (le Hausverbot d’Eva Wagner-Pasquier et le remplacement dans le dos de Petrenko de Lance Ryan), les commentaires peu amènes de la presse et les communiqués d’une rare netteté de Kirill Petrenko lui-même, lui qui ne parle jamais, n’ont pas favorisé les conditions éventuelles d’un retour serein de Thielemann dans les candidats au poste de Berlin. Si donc les conditions ont été réunies en si peu de temps, c’est que le ciel s’est subitement éclairci mais aussi et surtout que le nom de Petrenko flottait depuis longtemps dans les têtes des musiciens pour s’imposer rapidement.
Dernière remarque enfin, on dit toujours que Berlin se déciderait en fonction de critères musicaux certes, mais aussi commerciaux : ils viennent de choisir un chef à la discographie limitée et au répertoire soi-disant limité (même si Petrenko a été formé en Autriche, gage de grand classicisme). Qui plus est, il n’a dirigé que trois programmes à Berlin. Ou bien ils sont inconscients (ce que disent les gens des cafés du commerce) ou bien ils ont au contraire une raison impérieuse et pour eux évidente. Gageons que ce soit cette deuxième raison qui ait emporté la décision, née de répétitions mémorables aux dires de tous, et de concerts (qu’on peut entendre par extraits sur YouTube) surprenants, voire clivants, ce qui est le gage à tout le moins d’une forte personnalité musicale. C’est bien donc une décision exclusivement artistique qu’ils ont prise, au mépris des conseils de tous genres, au mépris des bruits qui circulaient, et c’est tout à leur honneur là encore.
La dernière fois qu’ils se sont arrêtés sur un nom inattendu qui n’était pas dans la rose des favoris officiels, c’était en 1989 et l’élu s’appelait Claudio Abbado. [wpsr_facebook]

OPÉRA NATIONAL DE LYON: LA SAISON 2015-2016

op1

Comme chaque année, l’Opéra de Lyon profite de la présence de nombreux journalistes à l’occasion de l’ouverture du Festival annuel pour annoncer sa saison, une saison dédiée l’an prochain aux Voix de la liberté, une thématique particulièrement d’actualité.

Comme d’habitude, des projets originaux et des choix stimulants, en version diversifiée et légèrement minorée.
En même temps, la présence de Daniele Rustioni tout nouveau chef permanent de l’orchestre à partir de septembre 2017 a été l’occasion d’annoncer les perspectives des années suivantes, où le répertoire italien sera à l’honneur.

L’an prochain, la saison s’ouvrira par une Damnation de Faust de Berlioz, dirigée par Kazushi Ono, une des œuvres fétiches de Lyon (enregistrée par John Eliot Gardiner puis par Kent Nagano) qui n’a néanmoins pas été représentée depuis 1994. Serge Dorny en a confié la mise en scène à David Marton qui vient de réaliser l’étonnant et fascinant Orphée et Eurydice présenté cette saison dans le cadre du Festival. David Marton à qui l’on doit aussi Capriccio il y a deux ans est un jeune metteur en scène hongrois vivant en Allemagne, une des figures montantes du théâtre. Kate Aldrich, Charles Workman (actuellement distribué dans Les Stigmatisés où il chante Alviano) et Laurent Naouri se partageront les rôles principaux.
Puis en novembre, une création de Michael Nyman, L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, d’après un récit du neurologue Oliver Sacks sur la maladie d’Altzheimer inspiré d’un fait réel, réalisé par le Studio de l’Opéra de Lyon au théâtre de la Croix Rousse, dans une mise en scène de Dominique Pitoiset et dirigé par Philippe Forget.
En décembre, pour les fêtes, une opération Offenbach très lourde, une recréation d’un Opéra-féerie, Le Roi Carotte, créé triomphalement en 1873 à Paris, puis dans les grandes capitales musicales (y compris New York), mais trop cher pour être repris (une durée de 6h et près de 40 rôles). Avec les coupures dues, Laurent Pelly qui a réalisé à Lyon tant d’œuvres d’Offenbach de référence mettra en scène cette satire des excès du pouvoir composée à l’origine pour railler le régime de Napoléon III, confiée à un jeune chef français très prometteur, Victor Aviat, naguère brillant hautboïste et ex-assistant d’Ivan Fischer. On y retrouvera Jean-Sébastien Bou et Yann Beuron, mais aussi la grande Felicity Lott qui reviendra pour l’occasion à Lyon.
Parallèlement au théâtre de la Croix Rousse, un autre Offenbach confié au Studio de l’Opéra de Lyon, Mesdames de la Halle, mise en scène de Jean Lacornerie et dirigé par le jeune chef Nicholas Jenkins.
En janvier, l’un des chefs d’œuvre du XXème siècle, Lady Macbeth de Mzensk de Dimitri Chostakovitch, dirigé par Kazushi Ono, avec une très belle distribution, Ausrine Stundyte, qui a triomphé dans le rôle à Anvers, Peter Hoare, John Daszak et John Tomlinson le vétéran dans le rôle de Boris Ismailov le beau père.
Après le Nez confié à William Kentridge et Moscou quartier des Cerises à Jérôme Deschamps et Macha Makeieff, ce troisième opéra de Chostakovitch présenté a été confié à Dimitri Tcherniakov, qui pour sa première mise en scène à Lyon, reprendra un travail initialement proposé à Düsseldorf (où Lady Macbeth de Mzensk fut créé hors URSS en 1959) dont il retravaillera complètement les premier et deuxième actes. C’est le début d’une future collaboration plus régulière avec le metteur en scène russe.
Le Festival 2016 aura pour thème Pour l’humanité et s’ouvrira le mardi 15 mars par une création de Michel Tabachnik sur un livret de Regis Debray Benjamin dernière nuit consacrée à Walter Benjamin, dans une mise en scène de John Fulljames (qui a fait à Lyon Sancta Susanna et Von heute auf morgen, récemment retransmis à la TV), l’ensemble sera dirigé par Bernhard Kontarsky.
La deuxième œuvre, un des triomphes du XIXème, disparue des scènes en 1934, reprise de manière sporadique depuis et un peu plus régulièrement depuis quelques années, La Juive de Jacques Fromental Halévy, dans une mise en scène d’Olivier Py, dirigé par Daniele Rustioni, avec une très intéressante distribution: Nikolai Schukoff (le Parsifal de Lyon), Rachel Harnisch, Peter Sonn et Roberto Scandiuzzi.
Enfin, le Festival comme cette année, séjournera au TNP Villeurbanne pour  l’Empereur d’Atlantis de Viktor Ulmann reprise de la mise en scène de Richard Brunel, dirigée par Vincent Renaud, le tout confié aux solistes du Studio de l’Opéra de Lyon et aussi théâtre de la Croix Rousse pour Brundibar de Hans Krása, mise en scène de la jeune Jeanne Candel, dirigée par Karine Locatelli. Ainsi ces deux oeuvres issues du camp de Theresienstadt illustreront à leur tour le thème du Festival, traces tragiques d’humanité au coeur de la barbarie.

Les deux productions qui clôtureront la saison ne manquent pas non plus d’intérêt, puisque Peter Sellars reviendra à Lyon dans la production imaginée par Gérard Mortier pour Madrid de Iolanta de Tchaïkovski et de Perséphone de Stravinski, en coproduction avec Aix en Provence. Soirée dirigée par Theodor Currentzis qui fait ses débuts à Lyon, on y verra entre autres Ekaterina Scherbachenko et Willard White dans le Tchaïkovski tandis que dans le Stravinski l’actrice Dominique Blanc et le ténor Paul Groves se partageront l’affiche.
Enfin, l’année se conclura par une production qui n’en doutons pas fera courir les foules : l’Enlèvement au sérail de Mozart, qui manque à Lyon depuis une trentaine d’années, et qui sera confié à Wajdi Mouawad pour sa première mise en scène d’opéra. Sous des dehors de comédie, l’Enlèvement au sérail pose des questions assez brûlantes aujourd’hui, et nul doute que Wajdi Mouawad cherchera à  les mettre en évidence. C’est Stefano Montanari, désormais habitué de Lyon qui dirigera l’orchestre et dans les rôles principaux Jane Archibald, bien connue, dans Konstanze et l’excellent Cyrille Dubois dans Belmonte.
À ce programme il faut ajouter l’opéra belcantiste en version de concert présenté à Lyon et au Théâtre des Champs Elysées à Paris, ce sera cette année Zelmira de Rossini , dirigé par Evelino Pidò avec Michele Pertusi, Patrizia Ciofi, John Osborn (8 et 10 novembre), les récitals de chant (Anna-Caterina Antonacci le 20 septembre, Sabine Devieilhe le 19 décembre, Natalie Dessay le 6 mars et Ian Bostridge le 10 avril dans un Voyage d’hiver qui ne devrait pas manquer d’intérêt) ainsi que la résidence de l’Opéra de Lyon à Aix en Provence en juillet 2015 avec la soirée Iolanta/Perséphone dirigée par Theodor Currentzis et la reprise très attendue du Songe d’une Nuit d’été de Britten dans la mythique production de Robert Carsen, dirigé par Kazushi Ono.
Que conclure de cette saison ? D’abord, tout en tenant compte intelligemment des contraintes économiques qui pèsent aujourd’hui sur le spectacle vivant, on retrouve les constantes de la politique menée à Lyon alliant une volonté de célébration du répertoire et d’invention, comme l’a souligné Serge Dorny, avec une politique raffinée et modulée, alliant nouvelles productions et reprises ou nouvelles propositions sur des spectacles déjà présentés, montée en puissance du studio de l’Opéra de Lyon dirigé par Jean-Paul Fouchécourt, et des formats de spectacles très divers ainsi que des créations (deux l’an prochain). Ensuite, on constate un allègement de la charge de la salle de l’Opéra, au profit de salles partenaires (TNP, Théâtre de la Croix Rousse), permettant sans doute un planning de répétitions moins tendu. Enfin, avec l’arrivée de Daniele Rustioni, très proche d’Antonio Pappano, se profile une réorientation du répertoire.

En tous cas, Serge Dorny lors de la conférence de presse a levé le voile sur certaines productions futures, comme un Festival « Verdi et le pouvoir » en 2017, ou un Mefistofele de Boito en 2018 et un Guillaume Tell en 2019, ainsi que la venue du chef Hartmut Haenchen pour un mystérieux Festival en 2016-2017 ce qui montre que les idées ne manquent pas.
Malgré les inévitables contractions budgétaires, l’Opéra de Lyon continue d’être l’une des scènes les plus innovantes et les plus stimulantes en Europe, et la présence de nombreux lycéens lors de la Première de Les stigmatisés  montre que la Région Rhône-Alpes en matière de culture reste l’un des phares des régions françaises. Au moins, on offre aux jeunes autre chose que Aida ou la Flûte enchantée : ces jeunes auront eu le privilège non seulement d’assister à une création scénique, mais d’accéder à un opéra magnifique, et inconnu. C’est ainsi qu’on se construit une culture : le public lyonnais à ce titre est très gâté. [wpsr_facebook]

OPÉRA NATIONAL DE LYON: LA SAISON 2014-2015

La salle de Jean Nouvel
La salle de Jean Nouvel

Serge Dorny reste donc à Lyon.  En soi c’est une très bonne nouvelle. Pour lui c’est sans doute plus difficile. Après plus de 10 ans il est légitime d’aspirer à autre chose. La perspective de diriger un opéra historique comme celui de Dresde pouvait être d’autant plus intéressante que la programmation actuelle en est relativement médiocre si l’on excepte les quelques soirées dirigées par Christian Thielemann.  L’aventure mort-née laisse un goût amer. Et le retour à Lyon s’accompagne probablement d’un désir d’ailleurs : comment pourrait-il en être autrement ?
Le spectateur que je suis profitera donc néanmoins de ces prochains mois avec gourmandise. Serge Dorny propose une des programmations les plus complètes et les plus intelligentes d’Europe. En cela, il est le digne successeur de Jean-Pierre Brossmann. Combien de metteurs en scène, combien de chefs sont passés à Lyon avant de connaître une gloire internationale ?  Il suffit de penser à Kirill Petrenko ou à Kent Nagano.
Serge Dorny formé à l’école de Mortier a imposé un style,  une esthétique puisant largement dans l’école allemande ; ce n’est pas moi qui m’en plaindrai. Et le public lyonnais, depuis longtemps habitué à des œuvres sans concession, public formé à l’école de Planchon, de Chéreau,  un public qui va du TNP à l’opéra, de Villeurbanne à Lyon,  fait bon accueil à ces productions,  qui d’ailleurs ne sont pas toutes exceptionnelles et c’est bien normal, mais toujours d’un niveau plus qu’honorable au minimum.  Quel opéra en France peut se targuer d’accueillir Peter Stein, Olivier Py, François Girard, Christophe Honoré, Yoshi Oida, La Fura dels Baus, Ivo van Hove ou de faire découvrir David Bösch ou David Marton ?
L’an prochain,  dans une saison appelée « Au-delà du réel », nous reverrons La Fura dels Baus (Le Vaisseau fantôme),  Christophe Honoré (Pelléas et Mélisande), David Marton (Orphée et Eurydice) qui signa un si beau Capriccio, Olivier Py (reprise de Carmen), David Bösch qui crée à Lyon Simon Boccanegra au début de ce mois de juin proposera l’an prochain Les Stigmatisés de Schreker, une production très attendue. Pour la première fois, Stephan Herheim  présentera une production en France, sa Rusalka, déjà vue à Bruxelles et Barcelone, Martin Kušej (La Forza del Destino à Munich…) fera Idomeneo et Michel van der Aa créera à Lyon un opéra hyper technologique,   Le jardin englouti,  dans le cadre du festival désormais traditionnel dédié cette année aux jardins mystérieux.
Enfin, Jean Lacornerie, directeur du Théâtre de la Croix Rousse, élève et compagnon de route de Jacques Lassalle fera à la fois le musical de Broadway bien connu Le roi et moi de Rodgers et Hammerstein, et Roméo et Juliette de Boris Blacher, un compositeur peu connu, classé comme dégénéré par les nazis, spectacles tous deux présentés à La Croix Rousse.
Enfin comme chaque année en version de concert un opéra belcantiste de la première moitié du XIXème : Lyon commence un cycle Rossini avec la redoutable Semiramide dirigée par Evelino Pido’ avec Elena Mosuc.  Mais cette année, en plus, Joyce Di Donato,  prêtresse mondiale du bel canto notamment rossinien  ouvrira la saison par un concert exceptionnel le 22 septembre 2014.
Comme il se doit la programmation propose quelques grands standards, des œuvres du répertoire moins connues, des chefs-d’œuvre totalement ignorés dans des propositions scéniques qui excitent la curiosité:  l’opéra de Lyon reste l’un des meilleurs du monde pour l’innovation et le risque artistique.
Serge Dorny  réunit aussi les équipes musicales cohérentes, jeunes, qui reviennent souvent à l’opéra de Lyon,  et qui finissent par former une sorte de troupe ou tout du moins un groupe d’habitués.  C’est l’occasion d’entendre de belles voix encore protégées du star-system,  ou des chefs originaux , dynamiques,  dont on commence à entendre parler. Ainsi dans l’ordre chronologique découvrirons-nous :

– en octobre 2014, Le vaisseau fantôme  de Richard Wagner,  dans une production de Alex Ollé (La Fura dels Baus) qu’il se situe non dans le Nord mais dans le lointain Sud dans les cimetière de bateaux du Bangladesh,  restes rouillés de l’industrialisation occidentale.  Le chef en sera Kazushi Ono. Simon Neal ( qui a chanté Oedipe de Georges Enesco à Francfort cette année) sera le Hollandais,  Falk Struckmann Daland tandis que que Senta sera chantée par celle qui a stupéfié dans Erwartung, Magdalena Anna Hoffmann.

–En décembre 2014 et au tout début janvier 2015,  Rusalka, de Dvořák, dans l’étourdissante mise en scène du norvégien Stephan Herheim,   conte triste de la nymphe qui veut devenir mortelle et qui est victime de la méchanceté et de l’indifférence des hommes. La meilleure Rusalka du moment, Camilla Nylund, et le vaillant Dmitro Popov se partageront les principaux rôles tandis que Jezibaba sera interprétée par Janina Baechle. L’Orchestre est confié à Konstantin Chudovski, jeune chef russe qui commence a diriger partout en Europe.

–en décembre 2014 toujours mais au théâtre de la Croix-Rousse, Jean Lacornerie dans le cadre des spectacles jeune public présente et met en scène Le Roi et Moi de Rodgers et Hammerstein, le fameux music-hall de Broadway,  dirigé par Karine Locatelli.

–En janvier-février 2015,  Martin Kušej proposera Idomeneo de Mozart, dirigé par Gérard Korsten, bon chef pour ce répertoire, avec une jolie distribution Lothar Odinius, Kate Aldrich, Elena Galitskaya, et Maria Bengtsson (dans Elettra).

–En février-mars 2015 au théâtre de la Croix-Rousse Roméo et Juliette, de Boris Blacher, mis en scène de Jean Lacornerie et dirigé par Philippe Forget par le studio de l’Opéra de Lyon,  occasion de découvrir un compositeur peu connu qui fut  le maître de Gottfried von Einem ou d’Aribert Reimann.

– Du 13 au 29 mars 2015, le Festival annuel dédié cette année aux Jardins mystérieux avec trois opéras,  un opéra du répertoire,  un opéra jadis classé dans les dégénérés et qui revient sur les scènes désormais relativement régulièrement et une création.

  • Les Stigmatisés (Die Gezeichneten) de Franz Schreker (1918),  À voir absolument  dans une mise en scène de David Bösch dirigé par le jeune et talentueux Alejo Perez, et avec une belle distribution, Charles Workman, Magdalena Anna Hoffmann, Simon Neal, Markus Marquardt.
  • Orphée et Eurydice de Gluck,  mise en scène de David Marton,  dans la version de Vienne dirigée par Enrico Onofri, spécialiste du baroque et compagnon de route du Giardino Armonico et de Giovanni Antonini, avec un Orphée masculin, Christopher Ainslie (et son double Franz Mazura, qui aura alors 91 ans) et Elena Galitskaya en Eurydice.
  • Le jardin englouti de Michel Van der Aa, présenté au TNP de Villeurbanne en coproduction avec l’English National Opera et le Toronto Festival of Arts and Culture, dirigé par Etienne Siebens, qui travaille avec Michel van der Aa et participe à de nombreux projets contemporains, avec notamment Roderick Williams , Katherine Manley et Claron McFadden. Un opéra phénomène, réel, virtuel, digital

–fin avril et mai 2015 : reprise de Carmen dans la mise en scène discutée d’Olivier Py, et avec une tout autre distribution, sans doute meilleure que la première série, Kate Aldrich (Carmen), Arturo Chacon-Cruz,  qui fut Werther À Lyon dans la mise en scène de Rolando Villazon,  Jean-Sébastien Bou dans Escamillo (Claude l’an dernier) et Sophie Marin-Degor dans Micaela. L’orchestre sera dirigé par Riccardo Minasi , spécialiste du répertoire baroque qui succède au pupitre à un autre spécialiste du baroque, Stefano Montanari.

–en juin dernier opéra de la saison,  last but not least, Pelléas et Mélisande de Claude Debussy,  dans une mise en scène très attendue de Christophe Honoré qui fait un lien entre Mélisande et Phèdre,  dans une intéressante distribution réunissant Bernard Richter, Hélène Guilmette, Sylvie Brunet-Grupposo, Vincent Le Texier et Jérôme Varnier, dirigé par Kazushi Ono.

Voilà une saison au total très stimulante,  qui excite la curiosité et va élargir la connaissance du répertoire. Face à une saison de l’Opéra de Paris particulièrement terne, le seul conseil qu’on puisse donner aux parisiens est de prendre un abonnement TGV et  un abonnement à l’Opéra de Lyon, car pas une production n’est à négliger. Dresde a beaucoup perdu et, pour cette année encore,  Lyon reste gagnant. [wpsr_facebook]

OPÉRA NATIONAL DE LYON 2013-2014 : LA NOUVELLE SAISON

Coeur de Chien dans la mise en scène de Simon Mc Burney

Tous les théâtres font connaître leurs saisons, j’arrive à peine à suivre: les saisons de Covent Garden, Vienne, Munich, Zürich, Dresde sont parues déjà depuis quelques semaines, mais Lyon vient de paraître et je lui donne la priorité du cœur et de la géographie. La saison lyonnaise de 2013-2014 est riche, variée, et affronte un répertoire à la fois très connu (Dialogues des Carmélites, Les Contes d’Hoffmann,  Le Comte Ory, Simon Boccanegra, ) et des œuvres inconnues ou peu connues en France (Coeur de Chien, de Raskatov, ou Tender Land de Copland) et un Festival Britten en avril, avec trois œuvres plus ou moins célèbres (Peter Grimes, The turn of the Screw, Curlew River), des tournées (Edimbourg, Japon) et des spectacles en périphérie de Lyon (Oullins, TNP Villeurbanne): tout cela atteste de la vitalité de notre second opéra national, qui ne cesse d’oser, d’innover avec des taux de fréquentation qui flirtent avec le 95%. Voilà une salle qui affiche une politique sans concessions, et que le public suit, aveuglément.
La saison ouvrira donc en octobre avec Dialogues des Carmélites, de Francis Poulenc dans une mise en scène de Christophe Honoré (le cinéaste auteur entre autres de La belle personne, inspiré de La princesse de Clèves en 2008), dirigé par Kazushi Ono, avec notamment Laurent Alvaro, Sebastien Guèze, Hélène Guilmette et Sylvie Brunet.
En novembre, une représentation concertante de Norma, qui concluera le cycle Bellini dirigé par Evelino Pido’, avec Carmen Giannatasio (hum!) dans Norma, Sonia Ganassi dans Adalgisa(ça c’est bien mieux!) et Marcello Giordano dans Pollione. Norma est très rare sur les scènes, très difficile à distribuer aujourd’hui, mais c’est une occasion de l’entendre et il faudra être au rendez-vous.
En décembre une reprise, assez bienvenue, de la production de Laurent Pelly des Contes d’Hoffmann d’Offenbach avec l’excellent John Osborn en Hoffmann, Laurent Alvaro en Coppelius/Dapertutto/Miracle/Lindorf, Désirée Rancatore, Patrizia Ciofi se partageront les quatre rôles féminins (si on inclut Stella) et l’excellente Angélique Noldus sera La Muse. Une bonne distribution qui permettra d’entendre aussi l’édition de Jean-Christophe Keck et Michael Kaye, la plus récente avec les manuscrits retrouvés il y a quelques années.
On vient de le voir à la Scala, on le verra en janvier 2014 à Lyon sous la direction de Martyn Brabbins: Coeur de Chien (A dog’s heart), de Alexander Raskatov, inspiré d’un texte de Boulgakov créé en 2010 à l’Opéra d’Amsterdam  arrive dans la mise en scène de la création du génial Simon Mc Burney qu’Avignon a vu dans l’adaptation du Maître et Marguerite du même Boulgakov. C’est un très grand événement musical, il faudra y courir. En février, au théâtre de la Croix Rousse, The Tender Land d’Aaron Copland créé en 1954 au New York City Opera, reprise du spectacle donné au théâtre de la Renaissance d’Oullins en 2010 dans la mise en scène de Jean Lacornerie. Il sera dirigé par un jeune chef, Philippe Forget (qui alternera aussi avec Kazushi Ono dans Les Contes d’Hoffmann).
En février-mars, une nouvelle production, coproduite avec la Scala du Comte Ory (1828) de Rossini, pour lequel il a recyclé bonne part des musiques du Viaggio a Reims de 1825. Dirigé par Stefano Montanari, bien connu désormais à Lyon (il a fait le festival Mozart, la Flûte enchantée et Carmen) et mis en scène par Laurent Pelly qui devrait exceller dans cette folle histoire, la distribution est dominée par Dmitry Korchak et Désirée Rancatore qui sont des rossiniens reconnus.
Le TNP de Villeurbanne accueillera en mars pour trois représentations exceptionnelles I went to the house but did not enter de Heiner Goebbels, créé eu Festival d’Edimbourg 2008, et accueilli par de nombreux scènes européennes. L’œuvre est composée de quatre textes (TS Eliot, Maurice Blanchot, Franz Kafka et Samuel Beckett) et chantée par les voix du prestigieux Hilliard Ensemble.
Avril, c’est le moment du Festival annuel consacré la saison prochaine à Benjamin Britten. Trois opéras en alternance, Peter Grimes dans une mise en scène de Yoshi Oida, dirigé par Kazushi Ono, avec notamment Alan Oke et Michaela Kaune, The Turn of the Screw (le tour d’écrou), dirigé également par Kazushi Ono, mise en scène de Valentina Carrasco et le plus rare Curlew River, un opéra en format réduit, peu d’accessoires, quelques musiciens, mis en scène par Olivier Py (production du festival d’Edimbourg). Isabelle Aboulker présente Jeremy Fisher au théâtre de la Croix Rousse en juin, un opéra destiné aux enfants sur un livret de Mohamed Rouabi, mis en scène par Michel Dieuaide.
Toujours en juin la saison se terminera  à l’Opéra de Lyon avec Simon Boccanegra, l’un des opéras les plus beaux de Verdi, dans une mise en scène du jeune David Bösch, un des metteurs en scène émergents de la scène allemande, actuellement metteur en scène résident à Bochum et remarqué depuis 2006 après avoir remporté le concours des jeunes metteurs en scène de Salzbourg. Le chef est  également jeune, 30 ans, déjà monté au pupitre de la Scala et considéré comme l’un des plus prometteurs de la Péninsule, Daniele Rustioni. La distribution est solide, avec Ermonela Jaho en Amelia (elle fut à Lyon Traviata), Andrzey Dobber en Simon, Riccardo Zanellato en Fiesco et Pavel Cernoch en Gabriele Adorno.
On le voit, une saison diverse, exigeante, avec des titres aussi bien contemporains que classiques, mais presque pas de grands standards, si l’on excepte Les Contes d’Hoffmann. Des metteurs en scène prestigieux (Pelly, Py, McBurney, Oida) et une place laissée aux jeunes, sur scène comme dans la fosse. Une fois de plus l’Opéra de Lyon permet d’explorer autre chose que le répertoire habituel, et de plonger dans la modernité ou dans les classiques revisités. Entendre dans une même saison une telle diversité, une telle palette de la musique la plus ouverte avec Benjamin Britten, Alexander Raskatov, Heiner Goebbels, Aaron Copland, Francis Poulenc, Giuseppe Verdi, Jacques Offenbach  et Gioacchino Rossini, il n’y qu’à Lyon qu’on peut l’oser. Une fois de plus Serge Dorny affiche sa différence, et c’est tout à son honneur.
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David Bösch

INTERVIEW: SERGE DORNY, DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L’OPÉRA DE LYON

Serge Dorny

Il se passe toujours quelque chose sous le péristyle de l’Opéra de Lyon: danseurs de hip-hop en performance, ou pendant l’été un café-concert avec orchestres de jazz : jeunesse et vivacité sont les caractères de cette maison qui affiche dans ses statistiques hors public scolaire une moyenne d’âge du public de 47 ans  (moyenne française: 50 ans) et 25% de public de moins de 26 ans, la plus haute proportion de jeunes à l’Opéra en Europe. C’est ce qui frappe pour n’importe quelle représentation dans ce théâtre que ce soit Sancta Susanna de Hindemith ou La Traviata de Verdi : la salle de Jean Nouvel est remplie de jeunesse.
96,1% de taux de fréquentation des opéras pour une programmation sans concessions : tel est l’Opéra national de Lyon. 10 ans après son arrivée à la tête de cette maison, la plus importante en France après Paris, Serge Dorny, son directeur  formé à l’école belge qui a commencé sa carrière à l’ombre de Gérard Mortier, nous parle de son parcours, de ses idées, et des principes de sa programmation.

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Vous êtes d’origine belge, et il semble y avoir une tradition managériale en Flandres qu’on retrouve à Amsterdam, au festival des Flandres, et à la Monnaie depuis Mortier. Qu’en dites-vous ?

J’ai une reconnaissance profonde pour Gerard Mortier. J’ai fait mes premiers pas avec lui, comme dramaturge à La Monnaie et c’était une époque extraordinaire. La Monnaie s’ouvrait  sur l’avenir, avec une page blanche à écrire, une dynamique de jeune couple, une équipe neuve investie autour du projet de Mortier qui nous mobilisait et nous conduisait. Ce que m’a appris Mortier, même si nous avons des parcours différents, c’est l’énergie, c’est l’engagement, c’est la persévérance infatigable et la capacité à communiquer : voilà ce qui m’a guidé et qui m’a inspiré dans mon parcours.

Comment votre carrière vous a amené à Lyon ?

J’ai un autre parcours que Gérard Mortier, moins linéaire : je n’ai pas fait toute ma carrière dans le domaine du théâtre lyrique. Après avoir été dramaturge à La Monnaie, j’ai été – comme Mortier d’ailleurs – directeur artistique du Festival des Flandres, où j’ai pu développer la notion de programmation construite sur une dramaturgie, en inventant des passerelles artistiques. Puis j’ai été directeur général et artistique du London Philharmonic Orchestra où j’ai pu gérer des ensembles artistiques (comme à l’Opéra) qui sont  le noyau d’une maison car chœur et orchestre et ballet sont des forces permanentes à qui il faut apporter  énergie et envie pour que, chaque soir, ils puissent se dépasser. Ainsi mes deux expériences antérieures m’ont permis de construire des bases solides pour la direction d’un Opéra.

Que diriez-vous du public de l’Opéra de Lyon quand vous êtes arrivé,  et de celui d’aujourd’hui, quelle évolution constatez-vous ?

En 2002, le public de Lyon était surtout constitué de fidèles, d’abonnés, d’un noyau très présent, mais aussi très exclusif, qui s’était un peu approprié l’Opéra. La ville a évolué grâce au pôle universitaire qui attire des populations très différentes, grâce à l’implantation de multinationales importantes, Euronews, Interpol. Tout cela a contribué à l’élargissement et à l’accueil de publics qui pensaient souvent que l’Opéra ne leur était pas accessible parce qu’il appartenait aux abonnés. L’abonnement peut en effet exclure un certain public pour qui « l’opéra c’est complet ». Aujourd’hui, la part des abonnements est de 23%, et la mixité sociale de la cité se retrouve dans la salle : 25% de notre public a moins de 26 ans, 52% de notre public a moins de 45 ans. Cela me permet d’avoir foi en l’avenir de l’Opéra et de ne pas avoir l’impression de diriger un mausolée.

Et puis, dans la mesure où ce théâtre est financé par 80% d’argent public, il est nécessaire d’avoir une maison ouverte et accessible à toutes les populations.

Serge Dorny, @JL Fernandez

Enfin, si on veut que le théâtre lyrique soit vivant et ouvert, il faut constamment élargir et enrichir le répertoire, pour rendre l’opéra riche d’avenir. Le brassage des publics le permet car ces spectateurs sont très ouverts à la diversité des répertoires, très curieux d’oeuvres rares et de découvertes, d’oeuvres connues et moins connues. Voilà ce que j’essaie de développer à l’Opéra de Lyon.

A l’Opéra de Lyon, j’ai voulu donner toute sa places au public jeune ; avec des dispositifs tarifaires : chaque année 3000 lycéens de la région ont accès aux spectacle avec une formation pour les enseignants et des rencontres avec les artistes ; nous avons également initié une démarche et des actions destinées à de jeunes habitants de quartiers en grande fragilité sociale : l’Opéra de Lyon est un acteur culturel, mais aussi un acteur citoyen. Il s’agit pour nous de prendre part à la vie de la société, de nous y enraciner, bref de nous situer au centre de la cité et non plus  à sa périphérie. On s’approprie l’Opéra de manière différente que dans le passé. La société désormais considère légitimes l’Opéra et son financement public. Cela tisse peu à peu une relation de confiance qui nous permet de programmer avec succès un répertoire spécifique : le festival 2011-2012 a été rempli à 95% avec des oeuvres aussi rares que Sancta Susanna, Von Heute auf Morgen ou Une Tragédie Florentine

 

Comment caractérisez-vous le répertoire de l’Opéra de Lyon

C’est un répertoire très varié : en 2011-2012, on y  trouve le répertoire traditionnel, Parsifal, Carmen, en 2012-2013,  Fidelio ou Macbeth, mais aussi des créations, comme Claude de Thierry Escaich (sur un livret de Robert Badinter[1]). La saison dernière, on y a vu des œuvres rares comme Sancta Susanna de Hindemith, Le Nez de Chostakovitch et cette année on verra par exemple Il Prigioniero de Dallapiccola. Même Capriccio de Richard Strauss n’est pas une œuvre si fréquemment jouée. Ainsi même quand on représente du répertoire, on le représente autrement, sous un prisme complètement différent.

 

Comment vous situez-vous par rapport à votre rayonnement territorial ?
En région Rhône-Alpes, l’Opéra est présent avec des représentations chorégraphiques, des concerts. Mais notre présence dans la région est conditionnée par les coûts et les équipements : seules les scènes bénéficiant d’équipements techniques adaptés peuvent nous accueillir. Pour surmonter l’obstacle technique, nous avons inventé des solutions : nous développons de petites formes – cette saison Der Kaiser  von Atlantis, de Viktor Ullmann – dont les premières représentations sont données à la Comédie de Valence ; nous organisons également des vidéotransmissions qui permettent d’aller vers le public, de rencontrer un autre public qui ne vient pas nécessairement à l’Opéra. En été, la vidéotransmission est gratuite, en plein air avec une œuvre populaire – La Traviata, Porgy and Bess, Carmen… : on est présent dans l’ensemble de la région, dans des grandes comme des petites villes. L’Opéra a la capacité de fédérer les personnes autour d’une œuvre lyrique et d’un événement festif. Cela répond aussi à  notre mission de rayonnement régional. Cela crée une première rencontre avec l’art lyrique, c’est une force d’ouverture qualitative.

La salle est là, elle l’était avant moi, elle le sera après. Je la prends et je l’accepte. Je ne peux faire autrement. Mais j’aime cette architecture, ce théâtre, cette salle. C’est un geste architectural que j’aime parce qu’il interroge le genre opéra. Nouvel a mêlé le nouveau à l’ancien, les a fait se rencontrer : c’est un regard sur  l’avenir qui traverse et transcende le passé. Le bâtiment est une installation d’art plastique et d’art visuel, marqué par la sensualité du noir, la dramaturgie du noir ; par le mat et le brillant. Dans la salle il y a une concentration visuelle extraordinaire qui est dirigée vers le plateau. Certes, le bâtiment a des défauts mais quel bâtiment n’en a pas ?

Justement les questions techniques. Comment pouvoir coproduire avec le MET qui a des dimensions très différentes. Comment faire des coproductions avec les théâtres plus vastes comme la Scala, le Met, Vienne?

Nous avons déjà fait de nombreuses coproductions, avec le Theater an der Wien (Lulu), avec le festival d’Aix-en-Provence (Le Nez, Le Rossignol), avec la Scala (Lulu et bientôt Le Comte Ory). Une coproduction part d’une rencontre d’hommes et d’esprits autour d’une œuvre et d’un metteur en scène.

Parsifal Acte II, production de François Girard ©Copyright Opéra de Lyon 2012

C’est ainsi que nous avons eu l’idée, avec Peter Gelb, de faire appel à François Girard pour Parsifal. François Girard a fait 70% de ses mises en scène lyriques à l’Opéra de Lyon, c’est une longue histoire et une longue complicité entre François Girard et moi. Peter Gelb avait travaillé avec François Girard sur un film. Girard a travaillé aussi beaucoup avec la Canadian Opera Company de Toronto. Ce sont ces rencontres appréciées avec François Girard qui ont réuni trois directeurs d’opéra qui s’apprécient. Enfin, c’est une entreprise énorme que de monter un Parsifal : il faut réunir des moyens financiers et humains

Les dimensions sont très différentes, la scène du Met est très grande et celle Toronto est similaire à celle de Lyon. Ce qui a été fait à Lyon, c’est la base commune du projet qui sera élargie au Met (on y ajoute des éléments latéraux et en hauteur). Lorsqu’il y a coproduction entre des scènes très différentes, il est essentiel que la première ait lieu dans le lieu qui pose le plus de contraintes techniques.

Vous avez fait des  Wagner en nombre, Tristan, Lohengrin, Parsifal… Pourquoi avoir fait Tristan et Parsifal?

Parce qu’ils vont ensemble comme un couple d’opposés. Dans le premier projet de Tristan imaginé par Wagner, Parsifal apparaissait au chevet de Tristan au troisième acte. Et parce que les deux œuvres posent des questions voisines,  elles posent toutes deux la question de la relation homme/femme, l’une résolue par l’abstinence – Parsifal –, l’autre par la consommation, Tristan.

Et Meistersinger ?

C’est pour moi une œuvre absolue, sans doute le sommet. Mais elle pose encore plus de problèmes que Parsifal en termes d’organisation, de masses artistiques et de distribution, mais j’ai très envie de donner les Meistersinger à Lyon.

L’Opéra de Lyon a un système différent : un mélange de répertoire et de stagione. La stagione permet de donner du temps et de la maturation aux nouvelles productions et le répertoire permet de les exploiter : la vérité est au centre ! Le système de demain sera sans doute un mélange, même pour les théâtres lyriques allemands avec des périodes d’alternance du répertoire, et des périodes consacrées aux nouvelles productions qui ont besoin de temps pour être préparées.. A Lyon, avec nos moyens spécifiques, j’ai imaginé le festival annuel : une concentration de répertoire donné sur une période limitée, avec une troupe de chanteurs en résidence pour un mois, participant à deux ou trois œuvres. Ce système permet qualité et diffusion et, pour le public, le festival constitue une série de rendez-vous au quotidien.

© Georges Fessy

Comment vous est venue l’idée du Festival ?

Je voulais que l’Opéra de Lyon existe différemment dans la cité, et donc je voulais par des idées et des projets multiples lui donner une autre manière d’exister dans la ville : l’activité estivale du péristyle en fait partie par exemple. L’Opéra, par le Festival, se trouve au cœur de la cité au quotidien parce qu’il y a représentation tous les jours, et tous les jours l’Opéra est lieu de partage et d’échange. Le Festival c’est souvent une même population qui revient et qui parle de ce qu’elle a vu le soir précédent, de ce qu’elle va voir le lendemain, qui partage les émotions vécues et les désaccords. Du même coup, dans la ville, l’Opéra existe, comme un débat au quotidien. Le Festival c’est aussi une façon de mélanger les répertoires, comme en 2012 où l’on a mélangé Le Triptyque de Puccini et des œuvres d’autres compositeurs écrites à cette période de créativité intense dans les arts visuels, le cinéma, le théâtre, la musique et l’opéra.

Cette année vous  proposez en ouverture de saison Macbeth, de Verdi dans une mise en scène de Ivo van Hove. Il y a une école flamande très active dans la mise en scène, Van Hove, Perceval, Cassiers…

Les premiers travaux de Ivo Van Hove que j’ai vu au théâtre, c’était Shakespeare : Macbeth. Cette expérience m’a énormément marqué. C’est un théâtre très engagé qui donnait à Shakespeare une énorme actualité, comme si le texte avait été écrit aujourd’hui. Il lui donnait une grande lisibilité. Shakespeare est une littérature universelle qui appartient à toutes les cultures. Van Hove a cette capacité de rendre cela pertinent (il vient de faire L’Avare de Molière en ce sens). Je voulais revisiter Macbeth de Verdi par le biais de Shakespeare à travers Ivo van Hove. Il n’a jamais mis en scène cet opéra de Verdi et pourtant ce sujet l’accompagne depuis le début de sa carrière. Le sujet de Macbeth c’est comment le pouvoir arrive à éliminer tous ceux qui gênent : les sorcières lui disent ce qu’il veut entendre, cela se réalise  parce qu’il le veut. Regardez ce qui se passe aujourd’hui en Syrie. C’est Macbeth. Autour d’Assad, il y a des aiguillons qu’il croit et qui le poussent. Regardez les oppositions silencieuses, regardez les indignés devant Wall Street ou devant le parlement anglais : ils ne veulent rien de précis, mais ils veulent que cela change. Tout cela est dans Shakespeare.

L’école flamande – en théâtre et en danse – est effectivement en plein essor, avec une grande effervescence dans le nord du pays ; c’est un pays qui se ferme politiquement et qui s’ouvre artistiquement ; c’est la force de ces artistes que de vivre sur des frontières, qui sont des enrichissements pour créer de l’identité. On a besoin d’affirmer une identité, pour créer une telle écriture de création, un tel vocabulaire qui permet d’être reconnu, de dépasser les frontières et de devenir universel.

Qu’est ce qui reste à faire à Lyon, avez-vous un rêve?

Chaque saison est le résultat d’un rêve. Le répertoire lyrique est tellement vaste, il y a tellement d’œuvres que je souhaite présenter. Comment  les présenter ? Comment  les juxtaposer ? Depuis que je suis là, on a représenté 70 à 80 titres : il reste une marge énorme, il faut continuer à développer et surprendre constamment, le public, le regard et l’écoute. Il faut continuer à enrichir le répertoire avec des commandes. Chaque année il y a une création : cette saison Claude Gueux de Thierry Escaich sur un livret de Robert Badinter ; plus tard un opéra de Michel Tabachnik sur Walter Benjamin, avec un livret de Régis Debray ; il y aura aussi un projet de Michel van der Aa, Sunken Garden. Et puis il y a ce projet citoyen avec ce bâtiment implanté dans la périphérie lyonnaise qui s’appelle la Fabrique Opéra, centre de ressources pour les habitants : espace de conception, de fabrication, de répétition, d’insertion autour de l’opéra : un projet ambitieux. Voilà les rêves!


[1] Robert Badinter, rappelons-le, a fait voter l’abolition de la peine de mort en France en 1981.  Il écrit  là son premier livret d’opéra, à partir d’une œuvre de Victor Hugo qui plaide contre la peine de mort.

 

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OPERA DE LYON 2012-2013: LA PROCHAINE SAISON

La prochaine saison de l’Opéra de Lyon a été présentée vendredi 9 mars, avant la première de Parsifal, par Serge Dorny.
Après la très lourde saison 2011-2012, (Puccini Plus, Parsifal, Carmen, Le Rossignol et le Nez, notamment) la saison suivante marque toujours une grande ambition, avec des œuvres passionnantes et souvent rarement jouées. .
La ligne très clairement affichée par Lyon de choix de mises en scène et d’approches modernes est confirmée notamment par l’ouverture de saison, un MACBETH de Verdi dirigé par Kazushi Ono (il l’ a déjà dirigé à la Scala) et une mise en scène de Ivo van Hove qui fera de Macbeth notre contemporain. L’appel à Ivo Van Hove, l’un des metteurs en scène européens les plus radicaux sera sans doute très discuté. (Voir mon compte rendu de son Misanthrope, de Molière, qui va être représenté fin mars aux ateliers Berthier à Paris (Odéon)). Il sera chanté notamment par le baryton Evez Abdullah et  la soprano Iano Tamar. Ce Macbeth répond à la thématique générale de l’année, dédiée au pouvoir, aux tensions de la société et du monde.(Octobre 2012)
Tensions religieuses, avec le MESSIE de Haendel, dirigé par Laurence Cummings et mise en scène par la grande Deborah Warner avec notamment Andrew Kennedy et Catherine Wyn-Rogers.(Décembre 2012)
Tensions entre l’homme et l’animal avec LA PETITE RENARDE RUSEE, de Janaček dans la mise en scène de André Engel et Nicky Rieti, qu’on a aussi vu à l’Opéra Bastille, qui est un spectacle produit par l’Opéra de Lyon, dirigé par l’excellent Tomáš Hanus, avec Jeannette Fischer (Janvier Février 2013).
Un des moments importants de la saison sera la présentation de L’EMPEREUR D’ATLANTIS de Ullman au théâtre de la Croix Rousse, dirigé par Jean-Michaël Lavoie et mise en scène par Richard Brunel. Cette œuvre composée au camp de Theresienstadt et jamais jouée jusqu’en 1975 est une des grandes oubliées du XXème siècle, dans une musique qui prolonge bien les opéras présentés dans le festival Puccini PLUS cette année avec ses échos de Weill, Hindemith ou le jazz. (Février 2013)

CAPRICCIO, de Richard Strauss, dans une belle distribution (Emily Magee) et dirigée par Bernard Kontarsky sera présentée en mai 2013 dans une mise en scène de David Marton. Voilà une oeuvre très peu présentée en France, qui est centrée sur les tensions entre parole et musique dans l’opéra. Cette œuvre écrite pendant la deuxième guerre mondiale, souligne les grands principes de la culture allemande, en contrepoint de la barbarie nazie.

LA FLÛTE ENCHANTÉE de Mozart conclura la saison avec la participation des jeunes du studio de l’opéra de Lyon. Elle sera dirigée par Stefano Montanari, connu du public lyonnais puisqu’il a dirigé le Festival Mozart, et mise en scène par Pierrick Sorin (juin et juillet 2013).

La saison prochaine, en mars et avril 2013, le FESTIVAL portera sur les tensions entre justice et injustice, quatre œuvres sont affichées, avec tout d’abord
Une création , à partir de Claude Gueux de Victor Hugo, CLAUDE, de Thierry ESCAICH, dirigée par Jérémie RHORER, sur un livret de Robert BADINTER et dans une mise en scène d’Olivier PY
– FIDELIO
, de Beethoven, avec Nikolai Schukoff dans Florestan (Leonore n’est pas encore connue) dans une mise en scène du vidéaste Gary Hill (l’un des grands de l’art vidéo avec Bill Viola) et dirigé par Kazushi Ono.
Et en une soirée, dirigée également par Kazushi Ono et mise en scène d’Alex OLLÉ (La Fura dels Baus)
IL PRIGIONIERO de Luigi Dallapiccola, avec Magdalena Maria Hofmann et martin Winkler (qu’on a vus dans le Festival Puccini PLUS cette année)
ERWARTUNG de Schönberg, avec Magdalena Maria Hofmann

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OPERA DE LYON 2011-2012: QUELQUES MOTS SUR UNE (BELLE) SAISON

Les saisons de Lyon sont souvent  passionnantes. La saison qui commence est particulièrement riche avec une ouverture “alla grande” en octobre (le 8)  avec Le Nez de Chostakovitch (voir mon compte rendu d’Aix) dans la production vue à Aix et avec la même distribution et le même chef: à ne pas manquer, vaut absolument le voyage, vous ne le regretterez pas.
Mais toute la saison est intéressante, très bien composée, équilibrée, avec des dominantes et des variations, tout à l’inverse de celle de l’Opéra de Paris, faite de grisaille de luxe.
Lyon avec des moyens importants mais incomparables avec notre première scène nationale, cherche des voies originales, joue habilement sur le répertoire standard et sur les raretés, et propose cette année une dominante sur les formes plus petites (opéras en un acte) et sur les appariements d’œuvres du premier XXème siècle, composant un système d’écho et offrant un travail passionnant sur l’histoire du genre.
Comment ne pas saluer le cycle Puccini Plus (fin janvier-mi février 2012) qui après une série sur Pouchkine et Tchaïkovski, il y a deux ans puis Mozart l’an dernier, va proposer il Trittico de Puccini mis en regard avec des œuvres moins connues de Hindemith, de Schönberg, ou de Zemlinski de la même période, soulignant par là que l’écriture de Puccini est une écriture moderne, inscrite dans les gênes du XXème siècle: on sait combien Puccini aimait le Pierrot Lunaire de Schönberg et combien Schönberg admirait Puccini. On verra ainsi, en contrepoint d’une des trois œuvres du Trittico, la Sancta Susanna de Hindemith (face à Suor Angelica) , Von heute auf morgen de Schönberg (face à Il Tabarro), Une tragédie florentine de Zemlinski (face à Gianni Schicchi) . Avec le même chef (Lothar Koenigs), le même décorateur(Johan Engels)  et la même créatrice de costumes (Marie-Jeanne Lecca) pour les six œuvres, et deux metteurs en scène, un pour Puccini (David Pountney), un pour les trois œuvres mises en contrepoint (John Fulljames). Les mélomanes curieux ne peuvent pas manquer l’occasion de voir des œuvres qu’on ne voit pratiquement jamais sur les scènes d’opéra.
Il suffirait de ces deux opérations (le Nez et Puccini Plus) pour rendre la saison stimulante, mais Serge Dorny a aussi programmé un Parsifal après le Tristan de l’an dernier, avec une belle distribution où on retrouvera les excellents Georg Zeppenfeld en Gurnemanz et Gerd Grochowski en Amfortas, ainsi qu’Alejandro Marco-Buhrmester en Klingsor. Parsifal est confié à Nicolai Schukoff, l’un des astres montants de la petite planète des ténors dramatiques, un artiste vraiment remarquable et Kundry à la très solide Elena Zhidkova. C’est Kazushi Ono qui assure la direction musicale, une garantie, et la mise en scène a été confiée au cinéaste et metteur en scène québecois François Girard, dont on peut espérer une approche originale (Mars 2012).(Coproduction avec le MET de New York).
Encore une curiosité dans une saison dédiée aux appariements d’œuvres brèves, une soirée composée de L’enfant et les sortilèges, de Maurice Ravel, couplée avec Der Zwerg (le Nain) de Zemlinsky: deux oeuvres de Zemlinsky en une saison, le public lyonnais est gâté. Le chef choisi, Martyn Brabbins,   est peu connu en France, mais c’est un spécialiste de la musique du tournant XIXème/XXème siècle et la mise en scène, qui devrait être passionnante est confiée à une équipe polonaise conduite par Grzegorz Jarzyna, l’un des maîtres de la scène polonaise moderne avec Warlikowski. C’est une coproduction avec la Bayerische Staatsoper. (Mai 2012)
Excellente nouvelle que la reprise (en avril 2012) d’un des spectacles les plus magiques des dernières années, Le Rossignol et autres fables, d’Igor Stravinski, mise en scène Robert Lepage, dirigée cette fois par un jeune chef argentin très prometteur, qui a dirigé pas mal de musique d’aujourd’hui, Alejo Perez. Si vous n’avez pas vu ce spectacle fascinant l’an dernier, précipitez-vous car nul doute que ceux qui l’ont déjà vu voudront encore le revoir. A noter dans la distribution Lothar Odinius, qui m’a tant impressionné dans le Tannhäuer de Bayreuth où il chantait Walther.
La saison se clôt par Carmen, titre emblématique, dans une mise en scène d’Olivier Py, et dirigée par Stefano Montanari, excellent chef venu du baroque, que les lyonnais ont entendu cette année dans les Mozart, et qui dirigera une jeune Carmen elle aussi venue du baroque, Josè Maria Lo Monaco. Sans nul doute un point de vue particulier à tous les niveaux (Juin Juillet).

Voilà pour les titres qui m’attirent le plus, mais ce n’est pas tout: la saison est aussi riche d’opérettes d’Offenbach, avec une reprise (en novembre/décembre 2011) de La Vie Parisienne de 2007, mise en scène par Laurent Pelly, un excellent souvenir, avec une distribution où l’on voit notamment Laurent Naouri en baron de Gondremark et Jean-Sebastien Bou en Raoul de Gardefeu, le tout dirigé par Gérard Korsten, bon chef mozartien (il vient de prendre la direction des London Mozart Players), ce qui devrait convenir pour une œuvre du Mozart des Champs Elysées, et une production de Mesdames de la Halle, encore une œuvre en un acte, faite par le tout Nouveau Studio de l’Opéra de Lyon, dirigée par Jean-Paul Fouchécourt qui passe ainsi du chant au pupitre, et mise en scène par Jean Lacornerie (en coproduction avec le Théâtre de la Croix Rousse)(Mai 2012). Enfin une création en mars 2012, Terre et Cendres de Jérôme Combier sur un livret de Atiq Rahimi, dans une mise en scène de Yoshi Oida (au théâtre de la Croix Rousse), dirigé par Philippe Forget

Certes, il y a aussi des concerts (par ex. l’intégrale des quatuors à cordes de Chostakovitch, autour des représentations du Nez)  des soirées de ballet (Forsythe, Cunningham, Balanchine etc…), et même un opéra pour enfants (Douce et Barbe Bleue, d’Isabelle Aboulker) au théâtre de la Croix Rousse (Janvier 2012).
Enfin, last but not least, le répertoire de bel canto est l’objet, comme chaque année, d’une version de concert dirigée par Evelino Pido’, spécialiste de ce répertoire (c’est lui qui a dirigé à Vienne cette année la fameuse Anna Bolena avec les deux dames, Mesdames Garança et Netrebko): ce sera le magnifique Capuleti e Montecchi de Bellini, avec à Lyon aussi deux dames de haut niveau, Anna Caterina Antonacci en Romeo et Olga Peretyatko en Giulietta.(Novembre 2011).
On le voit, c’est une saison à la fois exigeante et très attirante, équilibrée, avec des choix hardis, une grande cohérence et une vraie politique artistique, qui manque souvent ailleurs à l’opéra. Serge Dorny essaie toujours non de procéder par accumulation de titres, mais de composer, au sens presque musical, une saison. Il a aussi la chance d’avoir, à Lyon un public disponible, sans idées préconçues, construit par des années et des années d’une programmation exigeante et originale. C’est une vraie chance pour cette ville d’avoir su recruter ce directeur, après les quelques années d’errements qui avaient suivi le départ de Brossmann. Il faut faire régulièrement le voyage de Lyon.