OPERNHAUS ZÜRICH 2010-2011 : TANNHÄUSER le 6 février 2011 (Dir:Ingo METZMACHER, Ms.en scène:Harry KUPFER, avec Nina STEMME)

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Il y a des représentations où la qualité musicale envahit tout, et où on arrive même à fermer les yeux sur une mise en scène ratée ou discutable. C’est bien le cas aujourd’hui à Zürich, où j’ai assisté un Tannhäuser musicalement exceptionnel. Alexander Pereira a réuni, il faut le dire, une distribution de choix: Nina Stemme (Elisabeth), Vesselina Kasarova (Venus), Peter Seiffert (Tannhäuser), Michael Volle (Wolfram), Alfred Muff (Landgrave), l’orchestre et le choeur sous la direction d’Ingo Meztmacher. Je m’attendais à un beau moment, mais pas forcément à un très grand moment, d’autant que la première à ce qui m’a été rapporté n’avait pas si bien marché (Seiffert en méforme, Stemme ordinaire, orchestre trop fort). Mais voilà, l’opéra est un art qui n’est jamais uniforme et monolithique, les choses de soir en soir peuvent évoluer. Cette matinée dominicale en est la preuve. Sans doute l’effet du temps ensoleillé sur la ville de Zürich.

En revanche, Harry Kupfer n’a pas vraiment réussi son cinquième Tannhäuser. Certes, c’est un metteur en scène de qualité, il l’a prouvé de nombreuses fois, et les idées qu’il véhicule sont souvent justes. Dans ce travail, il transpose  l’oeuvre de nos jours, au sein d’une société gavée de luxe, une société de réseau, d’aisance, où l’Eglise et l’Armée dominent. Que ce soit au Venusberg ou dans la “teure Halle” du deuxième acte, on retrouve les mêmes messieurs élégants, les mêmes prêtres (Eh! oui,  au Venusberg aussi!), mêmes hauts gradés de l’armée. Au premier acte, la Bacchanale est bien sage, même si elle essaie de suivre le livret, très détaillé qu’Olivier Py avait suivi de manière très provocatrice et assez juste à Genève il y a 6 ans. Dans la deuxième partie de ce premier acte, on ne revient pas de la chasse (on ne chasse plus à courre…) mais du golf, et on se repose sur des chaises longues, servis par une armée de domestiques. On ne joue pas de la harpe, mais de la guitare (électrique?).
Le deuxième acte se déroule sur une scène, sous l’oeil de caméras TV, et devant un parterre de ces mêmes membres gâtés de la société la plus haute, celle qui emploie et fait vivre les artistes. je dois dire qu’il est le moment le moins intéressant, le plus conforme et l’ensemble est réglé sans inspiration.
Plus intéressant à mon avis le troisième acte, le décor (fait de cloisons tournant sur elles-mêmes et remplies de portes, comme au premier acte) représente un hall de gare avec une gigantesque verrière (la gare de Leipzig?) et au milieu un banc où attend Elisabeth. C’est une image intéressante, enrichie par la présence de Wolfram deux âmes solitaires dans cet espace de drame qu’est le lieu de l’attente.
Au final, après les efforts de Vénus (qui apparaît dans les mêmes conditions qu’elle avait disparu au premier acte, derrière les portes de vitre opaque), la société, toujours la même, se réunit autour du cadavre d’Elisabeth, qui passe, puis devant celui de Tannhäuser qui meurt sauvé, et même sanctifié par le pape sous un cercueil de verre comme on voit les saints dans les églises, avec le bâton de pélerin qui a refleuri: l’artiste est réintégré dans le corps social après en avoir été rejeté, mais mort, pour être objet du culte effrené de l’art dans nos sociétés, mais sans qu’il ne soit plus un danger. Kupfer souligne bien la maladresse de Tannhäuser, son comportement discutable à tout le moins avec Elisabeth, ses excès, mais le propos reste tout de même assez banal, plutôt déjà vu. Carsen à l’Opéra Bastille avait entrepris une lecture de ce type, mais plus subtile que celle de Kupfer:  on pense surtout à des visions à la Götz Friedrich, des lecture socio-politiques telles qu’on les voyait dans les années 80. Le décor de Hans Schavernoch (une vieille connaissance lui aussi) est habile, très contemporain, métal et verre, utilisant la vidéo. Mais j’ai plutôt l’impression qu’on a fait du neuf avec du vieux. Il reste que les chanteurs sont assez bien dirigés et que ce spectacle est discutable mais pas détestable. Dans la même maison, j’ai de beaucoup préféré l’approche de Claus Guth dans Tristan und Isolde et attends avec impatience son Parsifal en juin prochain.

chef2.1297205344.jpgSalut de Ingo metzmacher

Du côté musical en revanche une grande réussite d’ensemble, sans être à l’orchestre aussi brillant que la lecture d’Ozawa à Paris en 2007. D’abord, une fois de plus, je trouve qu’Ingo Metzmacher est un chef qui gagnerait à être invité plus souvent sur des scènes autres que celles de l’espace germanophone.  Sa manière de sculpter la musique, d’en faire ressentir les détails, son tempo sans reproche, qui colle parfaitement aux moments de l’action, sa manière de suivre les chanteurs, sans les couvrir (il est vrai que les voix sont telles que c’est une entreprise difficile) sont des points positifs:   il semble qu’il ait trouvé le juste équilibre dans cette salle assez petite – bien que des amis aient eu une tout autre impression l’autre dimanche. Pour moi c’est une belle prestation,un beau moment, avec un choeur très honorable, sans être exceptionnel. Un seul reproche, la sonorisation de certains pupitres à certains moments (les cors au milieu du premier acte par exemple) ou du choeur quand il est derrière la scène (lever de rideau). Vu la taille de la salle, c’est inutile, et si c’est voulu, c’est raté.

salutseiffert2.1297205518.jpgPeter Seiffert (second plan Nina Stemme et Michael Volle)

Difficile de reprocher quoi que ce soit aux chanteurs: Peter Seiffert, qui est souvent irrégulier, était ce dimanche en forme éblouissante, expressif, engagé, avec ce timbre à la fois clair et puissant qui le caractérise: il était juste,  sans failles avec des aigus triomphants,ce fut un magnifique Tannhäuser. Même remarque pour la Vénus de Vessalina Kasarova. Certes, son visage carré et assez dur ne fait pas penser à la Vénus de Botticelli, mais la prestation est tellement convaincante, éclatante, imposante qu’on trouve presque juste une Vénus plus inquiétante que séductrice, une Vénus “dure” qui use sans doute d’arguments cachés pour séduire. Face à elle, Nina Stemme promène sa voix puissante, légèrement affligée d’un petit vibrato. La prestation sans être impressionnante (comme au troisième acte de Walküre à Milan) est de très  haut niveau, sans être pourtant digne de la légende ou égaler simplement celle de Westbroek à Paris: elle n’est pas vraiment émouvante et même un tantinet indifférente, comme ailleurs, pas toujours concernée. On était heureux de revoir Alfred Muff, un vétéran, avec cette voix très humaine, encore très sonore, d’une belle couleur et d’une belle intensité dans le Landgrave. Signalons aussi les autres chanteurs, tous honorables, notamment Christoph Strehl en Walther von der Vogelweide, meilleur au deuxième acte qu’au premier (souvenez-vous, il était le Tamino d’Abbado) et le touchant berger de la jeune Camille Butcher.
Il reste Le chanteur triomphateur absolu de la matinée, digne, lui, de la légende: Michael Volle, qui a chanté pour moi le plus beau des Wolfram entendus sur une scène. Il tire les larmes dans “Oh du, mein holder Abendstern”. Il a tout: puissance, intelligence du chant, diction parfaite, inflexions, subtilités: du beau chant tout pur, et en même temps un magnifique personnage, humain, émouvant, senti, généreux. Il m’avait déjà convaincu dans son époustouflant Beckmesser à Bayreuth, il est vraiment pour moi le plus grand baryton wagnérien actuel. Un miracle qui surpasse même Goerne à Paris à mon avis.

Il y a encore quelques représentations, une matinée le dimanche 13 février: si vous n’êtes pas si loin de Zürich, courez y: rien que pour Michael Volle, cela vaut le voyage. Et si les autres sont aussi en forme que dimanche dernier, ce sera d’autant mieux. Un beau moment wagnérien, comme il y en a pas mal en ce moment.

Dimanche en sortant de l’Opéra, j’étais heureux.

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