FESTIVAL D’AIX-EN PROVENCE 2014: WINTERREISE de Franz SCHUBERT le 12 JUILLET 2014 avec Matthias GOERNE, Markus HINTERHÄUSER, William KENTRIDGE

Winterreise © Patrick Berger/ArtComArt
Winterreise © Patrick Berger/ArtComArt

La programmation de Bernard Foccroulle est très diversifiée dans ses formes, même si elle montre une double unité, qui donne à Aix une couleur plus conforme à sa tradition qu’au temps de Stéphane Lissner. Il est revenu cette année  tout à un répertoire qui suit le fil du baroque (jusqu’à 1830) en incluant Il Turco in Italia, puisqu’aujourd’hui il est assez commun de faire interpréter Rossini, ou ce Rossini-là avec des orchestres d’instruments anciens vu que les formes restent très liées à la tradition XVIIIème, mais il a essayé de diversifier les formes de spectacles, concerts, opéras et « performances » si l’on peut appeler ainsi cette présentation du Voyage d’Hiver ou Trauernacht, un spectacle construit autour des cantates de Bach.

Autre cohérence, Foccroulle n’a fait appel cette année qu’à la fine fleur des metteurs en scène anglo-saxons qui a explosé ces dernières années, explorant un autre chemin que celui du Regietheater, moins conceptuel, plus visuel et spectaculaire, laissant une part plus grande à l’imagination (Simon Mc Burney) . Ainsi sont présents en ce juillet venteux les meilleurs metteurs en scène anglo-saxons du jour, Richard Jones (Ariodante), Christopher Alden (Il Turco in Italia), Katie Mitchell (Trauernacht), Simon Mc Burney (Die Zauberflöte) et bien sur William Kentridge qui accompagne ce Winterreise interprété par le baryton Matthias Goerne et Markus Hinterhäuser au piano. Cette “petite forme” permet à un très grand moment musical de pouvoir tourner dans plusieurs villes à des frais contenus, on verra en effet le spectacle au Holland Festival, à Hanovre, New York, Lille, Luxembourg et naturellement aux Wiener Festwochen dont le directeur est Markus Hinterhäuser, le pianiste de cette “performance”.
Markus Hinterhäuser est relativement moins connu en France, très connu en Autriche en revanche puisque c’est un pianiste de très haut niveau, un grand spécialiste de musique contemporaine, mais aussi un manager de référence : il a dirigé la programmation musicale du Festival de Salzbourg. Il est actuellement le directeur des Wiener Festwochen, et succédera à Alexander Pereira comme directeur artistique du festival de Salzbourg, fonctions déjà exercées par interim en 2011.

Winterreise, des paysages intérieurs croisés © Patrick Berger/ArtComArt
Winterreise, des paysages intérieurs croisés © Patrick Berger/ArtComArt

Il est difficile de séparer l’entreprise en sections, piano, chant, vidéo, même si les univers sont apparemment d’ordre différent. Le piano de Markus Hinterhäuser réussit à être à la fois énergique, dynamique dans une sorte d’effleurement, tant le toucher est subtil. Le piano donne une couleur finalement assez vigoureuse à ce Winterreise, en lui laissant en même temps une très grande poésie, ce n’est pas une présence discrète, c’est une présence tissée entre la voix et l’accompagnateur très engagé et très tendu, et en même temps très attentif à tenir une ambiance, à construire un univers en cohérence avec la voix, c’est très net dès le début dans Gute Nacht, mais aussi dans des poèmes plus inquiétants, plus angoissés comme Der stürmische Morgen. Un travail non d’accompagnateur, mais de co-protagoniste, où le piano chante, en parallèle avec la voix, en co-présence, sans l’accompagner à proprement parler. La courte introduction suspendue de Der Leiermann, l’un des moments les plus bouleversants, est à ce titre frappante, comme d’ailleurs l’ensemble du poème où Goerne de son côté prête une voix suave, adoucie, et en même temps pleine de mélancolique nostalgie.

Hinterhäuser, Goerne et, en projection, Kentridge © Patrick Berger/ArtComArt
Hinterhäuser, Goerne et, en projection, Kentridge © Patrick Berger/ArtComArt

Car Matthias Goerne malgré une voix qui peut-être a perdu son éclat, donne à chaque mot un poids, une couleur, à chaque syllabe une histoire qui donne à ce Winterreise une extraordinaire tension, et une indicible poésie. Nous ne sommes pas à l’opéra, nous sommes dans le cadre intimiste de cette belle salle du Conservatoire Darius Milhaud, où proximité et chaleur humaine, tension et attention se mêlent et atteignent directement l’auditeur. Goerne nous montre l’exemple de ce qu’est le grand art : aucun artifice, un travail qui semble naturel et direct, une simplicité apparente du discours qui masque tout le travail d’appropriation et d’élaboration, là où par exemple Dietrich Fischer-Dieskau, une référence historique,  pourrait sembler maniériste et artificiel, un peu trop construit et en représentation. Goerne connaît ce texte au point où il fait corps avec lui, chaque inflexion vocale s’accompagne de mouvements du corps qui contribuent à donner une vie physique à la poésie quand quelquefois le récital de Lieder peut apparaître un peu rigide et compassé : rien de cela ici, et les variations coloristes de cette voix très homogène, dans le grave comme dans l’aigu ou dans les parties plus nerveuses (par exemple dès le n°2 Die Wetterfahne ) finissent par créer, avec le piano, un univers presque autonome auquel les vidéos de William Kentridge contribuent, sans intrusion dérangeante, mais laissant chacun vivre sa vie : ce qui m’a frappé dans ce spectacle, c’est l’expression de vies parallèles, musique et image qui tantôt se croisent, tantôt divergent : ainsi de poème en poème, de note en note, des feuilles mortes qui volent sous le vent, des arbres feuillus puis décharnés, des personnages qui traversent l’écran, des feuilles projetées et feuilles collées au décor de Sabine Theunissen, sol jonché, murs tapissés de feuillets d’écritures qui sont autant de tranches de vies, auxquels vont se superposer sans les effacer les projections vidéos, dessins au fusain animés, visions de paysages, portraits de femmes, autoportraits : tout cela est un voyage intérieur, dans les traces et les souvenirs d’une vie, notamment de l’enfance sud-africaine, un voyage intérieur qui se déroule au son d’un autre voyage intérieur, deux parcours qui se croisent ou non, comme deux bilans, deux regards sur le passé et des flaques de vies démultipliées et pourtant en cohérence. Tout est plein d’âme.
À vrai dire, je ne me suis jamais posé la question du « ça va ensemble ? » ou je n’ai jamais été troublé par les images au détriment de la musique : j’ai été surpris par une sorte de déroulement naturel, tantôt accroché par une image, tantôt par un vers ou une phrase de piano, allant ou plutôt me laissant aller sans m’en rendre compte de l’un à l’autre dans un merveilleux balancement et un étrange bien-être. William Kentridge n’a pas produit en fonction de ce spectacle puisque les images sont empruntées à des œuvres déjà réalisées  qui ont leur vie autonome comme l’œuvre de Schubert a sa vie autonome, elles ont été seulement ordonnées, et leur déroulement en parallèle forme cette ténébreuse et étrange unité, en correspondance baudelairienne : on en revient toujours à Baudelaire lorsque les parfums les couleurs et les sons se répondent.

Winterreise, Correspondances...© Patrick Berger/ArtComArt
Winterreise, Correspondances…© Patrick Berger/ArtComArt

Ce fut un moment en suspension, une alliance étrange, comme évidente et en même temps sans autre lien que le lien produit par le voyage intérieur auquel le spectateur est malgré lui amené à vivre pour lui-même : un vrai moment synesthésique presque impossible à rendre, mais qui m’a laissé à la fois rêveur et ravi.
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Un paysage de William Kentridge
Un paysage de William Kentridge

DE NEDERLANDSE OPERA 2014-2015: LA PROCHAINE SAISON D’AMSTERDAM

Le caractère de l’opéra d’Amsterdam, c’est une qualité régulière, musicale comme scénique, et une ouverture vers la modernité et le contemporain. Dirigé depuis 25 ans par Pierre Audi, il possède un choeur, mais pas d’orchestre fixe, même si on y voit régulièrement  le Netherlands Philharmonic Orchestra et au moins une fois par an le Royal Concertgebouw. Ce sera encore le cas cette année (2014) pour un Falstaff (celui de Robert Carsen, vu à la Scala et ailleurs) de fin de saison dirigé par Daniele Gatti.
La saison 2014-2105 commence  le 2 septembre 2014 par six représentations d’une version scénique des Gurre-Lieder de Schönberg, avec notamment Burkhard Fritz, Emily Magee et Anna Larsson, mis en scène de Pierre Audi (décors de Christof Hetzer) et dirigé par le directeur musical Marc Albrecht (avec le Netherlands Philharmonic Orchestra). Immédiatement après, le 3 septembre et pour trois représentations, c’est au tour de l’Orfeo de Monteverdi dans la vision de Sasha Waltz, dirigé par Pablo Heras-Casado (avec le Freiburger Barockorchester et le Vocalconsort Berlin).
En octobre, Patrick Fournillier (et le Residentie Orchestra) dirigera L’Étoile de Chabrier pour huit représentations à partir du 4 octobre avec Chritophe Mortagne, Stéphanie d’Oustrac et Hélène Guilmette, dans une mise en scène de Laurent Pelly, qui signera aussi les décors et les costumes.
Du 10 au 29 novembre pour 7 représentations, une nouvelle production de Lohengrin de Wagner dirigée par Marc Albrecht (avec le Netherlands Philharmonic Orchestra) dans une mise en scène de Pierre Audi et des décors du plasticien Jannis Kounellis avec Nicolai Schukoff, Juliane Banse, Günther Groissböck, Michaela Schuster et Evguenyi Nikitin.
En décembre, 10 représentations de La Bohème, de Puccini avec le Netherlands Philharmonic Orchestra dirigé par Renato Palumbo, dans une mise en scène de Benedict Andrews (metteur en scène australien à qui on doit une mise en scène de Grands et Petits de Botho Strauss passée par le Théâtre de la Ville en 2012) et des décors de Johannes Schütz avec Atalla Ayan (Rodolfo) et Grazia Doronzio (Mimi).
Du 20 janvier au 8 février, Il Viaggio a Reims de Rossini pour huit représentations  avec le Netherlands Chamber Orchestra dirigé par Stefano Montanari (Le comte Ory à Lyon) et mis en scène par Damiano Michieletto (cela décoiffera pour sûr), avec une distribution honorable, Nicola Ulivieri, Roberto Tagliavini, Carmen Giannatasio, Juan Francisco Gatell, Anna Goryachova et Nino Machaidze. En même temps, l’Opéra présentera une adaptation (version nouvelle) pour quatre représentations qui a nom Ramble to Reims spécialement pour le jeune public, avec le Netherlands Chamber Orchestra, dirigé par Aldert Vermeulen et une mise en scène de Marcel Sijm.
L’Opéra se transporte fin février / début mars au Stadsschouwburg Amsterdam (siège du Toneelgroep de Ivo van Hove) pour  Tamerlano  et Alcina de Haendel avec Les Talens Lyriques dirigés par Christophe Rousset. Trois représentations de Tamerlano avec notamment Delphine Galou, Sophie Karthäuser et Christophe Dumaux, et trois représentations de Alcina avec notamment Sandrine Piau et Varduhi Abrahamian (comme à Zürich), le tout dans une mise en scène de Pierre Audi et des décors de Patrick Kinmonth (Samson et Dalila à Genève)  qui signera également les costumes avec le chœur de La Monnaie de Bruxelles (avec lequel le spectacle est en coproduction).
En mars et pour 10 représentations, Die Zauberflöte de Mozart dans la production de Simon McBurney (et les décors de Michael Levine) qu’on aura vu à Aix en Provence cet été, dirigée par Marc Albrecht – et Gergely Madaras fin mars- , avec notamment Maximilian Schmitt, Brindley Sherratt, Chen Reiss et Iride Martínez (Netherlands Philharmonic Orchestra).
En avril, Verdi à l’honneur avec Macbeth dirigé par Marc Albrecht (et le Netherlands Philharmonic  Orchestra) avec Tatiana Serjan et Scott Hendricks, ainsi que le Banco de Vitalij Kowaljow, dans une mise en scène d’Andrea Breth (et des décors et costumes de Martin Zehetgruber) (9 représentations à partir du 3 avril).
Il faudra nécessairement venir à Amsterdam en mai pour l’une des 7 représentations (à partir du 9 mai) du rarissime Benvenuto Cellini de Berlioz dirigé par Sir Mark Elder (avec le Rotterdam Philharmonic Orchestra) avec une jolie distribution, John Osborn, Orlin Anastassov, Laurent Naouri, Patricia Petibon et une mise en scène de Terry Gilliam (ex-Monty Python) et Leah Hausman (qui assure aussi la chorégraphie).
En juin, le Royal Concertgebouw Orchestra sera dirigé par Fabio Luisi pour une nouvelle production de Lulu de Berg, dans une mise en scène de William Kentridge et Luc de Wit, et des décors de William Kentridge et Sabine Theunissen. Mojka Erdmann sera Lulu, Jennifer Larmore la Geschwitz, Johan Reuter le Dr Schön et Alwa Daniel Brenna.
Même si je ne sens pas Luisi dans ce répertoire, une mise en scène de William Kentridge est attirante  et il faudra sans doute se rendre à l’une des huit représentations (première le 6 juin).
Comme toujours une saison équilibrée, stimulante par l’appel à des metteurs en scène imaginatifs et originaux, un peu moins cette année cependant par le choix de certain chefs. Mais peut-on résister à une Lulu‘ avec le Concertgebouw ou un Benvenuto Cellini? Et puis, Amsterdam (notamment pour un parisien) c’est une virée un dimanche, et un petit week-end charmeur  au bord des canaux: cela peut-il se refuser?
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OPERA DE LYON 2011-2012: LE NEZ de Dimitri CHOSTAKOVITCH (Ms.en scène William KENTRIDGE, Dir.Mus: Kazushi ONO

Une fois de plus, ce spectacle a fait mouche: l’Opéra de Lyon ne désemplit pas et chaque soir c’est un triomphe: Le Nez, de Dimitri Chostakovitch, qui l’eût cru, est le spectacle à ne pas manquer de cette rentrée. Les quatre représentations d’Aix avaient créé la curiosité et l’événement, Lyon propose sept représentations (dernières le 20 octobre) avec la même distribution ou presque. Le fait d’avoir déjà vu la production permet de se concentrer sur des détails, de mieux appréhender le texte (même si les sous-titres sont très mal placés, et je ne sais ce que peuvent en voir les spectateurs des 5ème et 6ème balcons), et surtout de revivre l’intense plaisir connu la première fois. Cette oeuvre est une explosion d’inventivité, de jeunesse, d’ironie, une sorte de dessin animé sonore que la production de Kentridge renforce sans jamais écraser la musique. L’explosion visuelle qui correspond à cette explosion sonore ne gêne jamais l’audition, mais la renforce sans cesse, et construit une telle solidarité entre scène et fosse qu’on pourrait se demander si l’on ne tient pas là une sorte de version définitive…Il aurait fallu aller voir cette année la production de Zurich (Ingo Metzmacher au pupitre et Peter Stein à la mise en scène), qui a connu sa dernière le 8 octobre, pour se faire une idée claire. Il reste que les deux petites heures passées à Lyon sont un indicible plaisir.
Un plaisir parce que le spectacle repose solidement sur les trois pieds du trépied lyrique:
– une direction d’orchestre au petit poil, d’une redoutable précision, encore plus qu’à Aix peut-être, qui suit avec une minutie métronomique les éléments du spectacle qu’elle accompagne presque comme si elle illustrait, elle commentait ce qui se passe en scène, comme une musique de film. Kazushi Ono fait un travail magnifique avec l’orchestre de l’Opéra de Lyon, (les musiciens ont l’air de s’amuser comme des fous!) dans un répertoire où il excelle
– une distribution exemplaire, où chacun est à sa place, dans le jeu comme dans la voix. la voix de Vladimir Samsonov sonne mieux dans la salle plus petite de l’Opéra de Lyon. On retrouve avec plaisir le désopilant Ivan de Vassily Efimov, et naturellement l’exceptionnel sergent de Andrei Popov. Tous (c’est la même distribution qu’à Aix) sont vraiment excellents acteurs et remarquables chanteurs: on note encore une fois leur diction exceptionnelle et leur engagement prodigieux
– une mise en scène étonnante, qui ne laisse pas un instant de répit, qui nous entraine dans un tourbillon d’images mais qui en même temps est un remarquable travail historique sur le constructivisme russe, sur le monde intellectuel de l’époque, mais aussi sur la société russe dans ses racines et sa diversité. Elle utilise la vidéo, le cinéma d’animation, les collages, et explose sans cesse en images diverses: la scène du journal est encore une fois l’une de mes préférées, mais la première scène du coiffeur est aussi à la fois surprenante et exacte, collant remarquablement au texte de Gogol. J’ai déjà écrit un compte rendu lors de ma première vision à Aix, je n’ai qu’à ajouter une seule chose: Allez-y, allez-y, allez-y, c’est jusqu’au 20 octobre, risquez si vous n’avez pas de billet, il y a toujours de places de dernier moment.

FESTIVAL d’AIX 2011: LE NEZ, de D.CHOSTAKOVITCH, dir.mus:Kazushi ONO, ms en scène: William KENTRIDGE


© Pascal Victor / ArtcomArt

“Le Nez” de Dimitri Chostakovitch, écrit en 1927-1928 et créé au théâtre Maly (aujourd’hui Mihailovski) de Leningrad en 1930  ne connut à la création que 16 représentations, critiqué pour “formalisme” par la critique stalinienne; l’oeuvre disparut des scènes jusqu’en 1975 où elle fut reprise en Union Soviétique par Guennadi Rojdestvenski . Encore aujourd’hui c’est une oeuvre qui résiste: il est difficile de rentrer dans cet univers sonore, et même théâtral. Beaucoup restent encore hermétiques à cette musique riche, foisonnante,  souvent à la limite de l’atonalité, mais aussi pleine d’humour. L’histoire est celle de la nouvelle de Gogol (1835), légèrement modifiée et enrichie d’autres scènes prises dans d’autres œuvres de Gogol, d’un Assesseur de collège, Kovaliov, qui se réveille un matin sans nez, et dont le nez se promène par la ville, vêtu en Conseiller d’Etat. c’est l’occasion d’une satire féroce de la société de Saint Petersbourg et du monde tsariste.
© Pascal Victor / ArtcomArt

La musique quant à elle, est résolument novatrice: n’oublions pas que les années 20 en Europe voient éclore Wozzeck (créé à Leningrad en 1927), les petits opéras de Hindemith ou de Schönberg (Von heute auf morgen est aussi de 1928) et que la musique bouillonne. L’avant garde russe est aussi en bouillonnement, musical et théâtral: en 1929, la pièce “la Punaise” donnée au théâtre Meyerhold de Moscou rassemble Meyerhold, Maiakovski, Chostakovitch, Rodtchenko. C’est ce bouillonnement là qui est montré par la mise en scène de William Kentridge et sa nombreuse équipe, qui rappelle par certains côtés le style de Alexandre Rodtchenko. C’est un fourmillement d’écrits en russe ou en anglais qui écrase le spectateur et dilue volontairement son attention: écrits, projections, films d’animation, sculpture tournantes faisant apparaître le visage de Chostakovitch ou de Staline, décors apparaissant dans des espaces réduits sortis des feuilles imprimées (le décor du coiffeur est presque un décor de bande dessiné, celui du journal est impressionnant d’inventivité). Spectacle étourdissant d’intelligence, de fantaisie, qui est presque à lui seul une performance plastique: William Kentridge, plasticien, metteur en scène et cinéaste utilise tous les arts dans un travail syncrétique qui correspond, qui colle totalement à l’ambiance intellectuelle ébouriffante de la fin des années 20 à Leningrad.


© Pascal Victor / ArtcomArt

Dans cette ambiance, c’est l’écrit et ses variations qui dominent, un écrit qu’on voit dans tous les sens, écrit fixe, animé, écrit de journal, feuilles volantes qu’on se passe, jusqu’aux surtitrages qui semblent faire partie de la mise en scène. A cette mise en scène extraordinaire correspond une direction musicale de Kazushi Ono pleine de fantaisie, d’invention, d’humour, collant aux intentions du compositeur, avec un orchestre de l’opéra de Lyon d’une redoutable précision, sans une scorie, et un chœur dirigé par Alan Woodbridge rompu au répertoire russe depuis les Tchaïkovski et le Rossignol à Lyon. Un travail exemplaire: il faut souligner qu’à peine le rideau tombé sur la dernière de Tristan und Isolde à Lyon,  l’orchestre est parti pour Aix répéter, et retourne aussitôt après  ce “Nez”  à Lyon pour un Cosi’ fan Tutte retransmis dans toute la région. Une fin de saison qui montre la qualité du travail accompli et la nécessité pour tout mélomane de passer par la capitale des Gaules. Quant à la distribution, presque entièrement russe, elle montre la qualité de la formation russe actuellement, qui inonde les scènes européennes de chanteurs qui savent à la fois jouer et chanter, et qui ont une qualité de diction proche de la perfection. beaucoup sortent d’ailleurs de l’Opéra Centre Galina Vichnevskaia, l’un des centres de formation les plus avancés actuellement en Europe.


© Pascal Victor / ArtcomArt

Notons évidemment Vladimir Samsonov, étourdissant Kovaliov, le barbier d’Alexandre Ognovenko, les ténors Alexandre Kravets et surtout Vasily Efimov, le valet à la Balalaïka fantaisiste deKovaliov ,

© Pascal Victor / ArtcomArt

et Andrey Popov, l’inspecteur de police à l’extraordinaire voix de ténor de caractère. Les autres (très nombreux) sont exemplaires, dans cette composition folle, où la folie créatrice voulue par le compositeur et le metteur en scène étouffe la critique de la société tsariste montrée dans Gogol. On n’ose imaginer ce qu’aurait été la créativité russe si le stalinisme dès les années trente ne l’avait pas étouffée (Meyerhold est fusillé en 1940).
Seulement quatre représentation d’un spectacle qui est sans doute celui qu’il ne fallait manquer sous aucun prétexte à Aix cette année. Par chance, cette coproduction entre le MET, Aix et l’Opéra National de Lyon sera à Lyon cet automne dans la même distribution: on pourra la revoir les prochains 8,10, 12, 14 , 16, 19, 20 octobre. Elle vaut le voyage, précipitez-vous, il y a encore des places !!

© Pascal Victor / ArtcomArt