TEATRO ALLA SCALA 2011-2012: MANON de J.MASSENET le 19 Juin 2012 (Dir.mus: Fabio LUISI, Ms en scène: Laurent PELLY)

Le Cours la Reine, Acte II - ©Brescia / Amisano - Teatro alla Scala

Sans doute suis-je de parti pris. Mais je n’aime pas Manon. Autant j’aime le roman de Prévost, autant j’écoute avec plaisir la Manon Lescaut de Puccini, autant celle de Massenet m’indiffère, et m’ennuie. Je trouve le tout début longuet, avec son ambiance “opérette” et il faut attendre de bien longues minutes le commencement de l’action. Le troisième acte (Saint Sulpice) et les deux derniers se sauvent par une action dramatique plus serrée, le dernier acte est assez poignant, mais pour accéder à ces moments, il faut passer par de grands trous noirs.
Néammoins, présent en Italie pour d’autres motifs, je n’ai pas résisté à aller à la Scala pour la Première de cette Manon, mise en scène de Laurent Pelly, dirigée par Fabio Luisi, qui a eu bien des mésaventures: Natalie Dessay initialement prévue a déclaré forfait. Anna Netrebko, qui connaît la production pour avoir chanté le rôle cette année au MET, a été appelée et était affichée pour les deux premières représentations, le reste étant donné à la jeune et valeureuse albanaise Ermonela Jaho, vue dans Traviata à Lyon et qui l’une des valeurs montantes du chant. Las, Anna Netrebko a annulé ses deux représentations et c’est Ermonela Jaho qui assume toutes les représentations . Loi des séries, ou conséquence d’un système qui finit par épuiser les chanteurs qui sautent d’un avion à l’autre? Netrebko et Kaufmann ont beaucoup annulé ces derniers temps et Natalie Dessay n’est pas bien en forme vocalement.

Saint Sulpice - ©Brescia / Amisano - Teatro alla Scala

N’importe, Ermonela Jaho et Matthew Polenzani sont de beaux artistes, et la soirée pouvait s’annoncer positive.
Manon n’est pas un rôle facile, la première partie est un peu légère, rôle enfantin, une sorte de soubrette avec des aigus faciles, l’orchestre devient de plus en plus prégnant dans les parties dramatiques et la voix doit évidemment exister face à un orchestre plus épais, des sopranos légers: Damrau, Dessay bien sûr l’ont affronté, et s’en sont sorties avec les honneurs professionnels, ce sont des dames du chant qui savent esquiver les difficultés. Netrebko avait il ya cinq ou six ans la voix exacte du rôle; il n’est pas sûr qu’elle l’ait aujourd’hui, où la voix s’est élargie, mais a perdu en soyeux et en timbre ce qu’elle a gagné en volume; il reste que c’est une grande artiste. Il faut aussi comprendre ce qui est dit et surtout, français oblige, avoir une diction impeccable.
Ermonela Jaho a les aigus, qu’elle négocie bien la plupart du temps, mais elle n’a pas beaucoup de grave, n’a pas non plus toujours le volume et surtout, n’a absolument pas la diction: on ne comprend pas un traitre mot de ce qu’elle chante, et dans les parties plus parlées, son accent empêche son discours de passer la rampe. Il en résulte l’impression que le texte n’est pas toujours compris, et des difficultés à rentrer dans le rôle. Plus adaptée au départ au rôle de petite gamine de 16 ans qui domine le début, c’est joli, c’est propre, c’est frais; elle n’arrive pas à faire évoluer le personnage, joue la sensualité mais n’a aucune vraie sensualité en scène, et peu d’aura; de plus, dans la scène de Saint Sulpice, rate quelques aigus en proférant des sons pas très propres.
Sa prestation n’est pas scandaleuse, et d’ailleurs elle remporte un joli succès public (sans excès cependant) et ne se fait pas huer du public du “loggione” toujours prompt à défendre violemment les valeurs du chant. Elle a des moments plus émouvants (la fin évidemment), mais dans l’ensemble elle m’a laissé totalement froid, voire agacé de ne pas voir le personnage exister vraiment.
Matthew Polenzani n’a pas son problème de diction: son français est impeccable. Mais il faut attendre le dernier acte pour voir sortir les tripes. L’ensemble reste peu “senti”, peu concerné, et si le chant est très correct et appliqué, il ne sort pas d’une élégance un peu froide. Ce chanteur est un joli styliste, je l’ai entendu dans du bel canto qu’il fait très bien, mais pour Des Grieux, il faut du relief, de la passion, de la tripe, je le répète. Il est magnifique au cinquième acte et il se passe quelque chose, mais il faut attendre quatre actes et c’est un peu pénible.
Un couple Manon-Des Grieux qui n’a pas le potentiel d’émotion et de passion voulu, (le premier acte est gentil sans plus) même si globalement, le chant n’est pas scandaleux, nous n’y sommes pas vraiment  et nous sommes un peu frustrés.
Le Lescaut de Russell Braun, sans être une voix exceptionnelle, a lui aussi une diction française modèle, et au moins est bon acteur, le Des Grieux de Jean-Philippe Lafont est encore bien sonore, il est vrai que ses interventions sont limités, mais cela fait plaisir de le revoir et d’entendre encore cette voix brillante. Le Guillot de Morfontaine de Christophe Mortagne en fait des tonnes, finit par être un peu vulgaire: ténor de caractère certes, ridicule certes, mais lassant. William Shimell ne fut jamais une jolie voix, mais il fut un joli personnage lorsqu’il était sur scène: mais là, c’est insupportable. La voix est vieillie, le timbre vilain, le français peu audible et Pelly en fait une sorte de pendant/pantin de Guillot, sans qu’on  voie le personnage exister. On ne cesse de grimacer en l’entendant. Notons les jolies Poussette (Linda Jung), Javotte(Louise Innes)et Rosette (Brenda Patterson).

Fabio Luisi

La surprise agréable vient de Fabio Luisi. Il réussit à faire ressortir de la fosse tout ce que la partition peut avoir de raffiné, c’est intense sans être tonitruant, c’est dramatique sans jamais couvrir les voix, un vrai travail de “concertazione”. Du Ring de New York à Manon (à New York et Milan), Fabio Luisi fait là un grand écart éclectique: mais il est vrai que ses années de série B dans les théâtres européens en font un des chefs qui a le répertoire le plus large. Luisi n’est pas un chef exceptionnel, ou très original, mais il est toujours juste, toujours en place, toujours sûr. Il était temps que la Scala fasse appel à lui, et je l’ai écrit ailleurs, on commence à le voir partout. Tant mieux. Hier pour moi, c’est lui que je retiendrai, car l’orchestre était vraiment présent, et il faisait (presque) aimer cette partition.
La mise en scène de Laurent Pelly est “alimentaire”. Laurent Pelly est un metteur en scène talentueux quelquefois, qui sait trouver avec sa complice Chantal Thomas des images justes. Je me souviens d’une représentation du Songe de Strindberg où la première image était un choc. Et puis suivie de trois heures d’un mortel ennui.
Il sait construire un propos ironique (voir la Fille du Régiment), sait réussir des spectacles “sur le moment”: il n’en reste pas vraiment grand chose après. Il a un vrai talent, mais il n’est pas sûr qu’il aille jusqu’au bout. Il préfère sans doute faire de la grande série  comme cette Manon XIXème pour souligner l’époque de la création plus que l’époque de l’histoire, mais sans rien dire de plus: cela ne change rien sinon au quatrième acte de voir clairement le père Des Grieux furieusement ressembler au père Germont de Traviata: intéressant, ce fil rouge des pères la morale, mais sans aller plus loin. On aurait tout fait en costume XVIIIème cela ne changeait pas le propos. De même la distance ironique, qu’on voit dans le traitement de Guillot de Morfontaine, est plus excessive que raffinée.
Le décor est assez stylisé, l’espace bien géré (joli décor de mansarde).

Hôtel de Trasylvanie Acte IV - ©Brescia / Amisano - Teatro alla Scala

La scène la mieux réglée est sans doute celle de l’hôtel de Transylvanie, avec son espace sur plusieurs hauteurs et ses éclairages. Mais s’ il suit l’intrigue, il ne la clarifie pas: la manière dont Lescaut fait s’éloigner les soldats qui accompagnent Manon sur la route du Havre n’est pas claire, et plusieurs fois, ce qu’on voit n’a pas cette clarté qui traduit scéniquement l’intrigue: l’enlèvement de Des Grieux est ridicule, la triche à l’hôtel de Transylvanie peu claire, l’entrée des agents malaisée. Plein de petits détails qui déçoivent: le Cours la Reine manque de brio, les mouvements sont mal construits. En bref un travail très superficiel, où la patte Pelly se note rarement. Dommage.
Au total, une soirée passable, qui n’a aucune accroche scénique vraiment forte, peu d’accroche vocale malgré une certaine qualité, incontestablement, mais pas toujours adéquate à l’œuvre; la seule source de vraie satisfaction est une direction musicale de grand niveau. Il faudra peu-être attendre quelques jours pour le tout se raffermisse. Mais je n’irai pas revoir Manon de si tôt.
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