THÉÂTRE À L’ODÉON (ATELIERS BERTHIER) le 27 FÉVRIER 2012: LE MISANTHROPE/DER MENSCHENFEIND (MOLIÈRE) PAR LA SCHAUBÜHNE DE BERLIN (Ms en scène : IVO VAN HOVE, avec LARS EIDINGER et JUDITH ROSMAIR)

J’ai évidemment voulu revoir ce spectacle vu en janvier 2011 qui m’a marqué et qui m’a fait mieux découvrir le travail de Ivo van Hove. C’était le 27 février la première parisienne et le public, à part une dizaine de départs anticipés, a réagi plutôt positivement à ce Misanthrope un peu particulier. Des jeunes d’une classe criaient d’ailleurs leur enthousiasme, ce qui est plutôt sympathique. Le spectacle qui fait abondamment appel aux mythes “Apple” du jour et qui est construit sur une alternance scène et vidéo sans laquelle il ne fonctionnerait pas, se présente tel que je l’avais découvert il y a un peu plus d’un an et et tel que j’en avais rendu compte sur ce blog. Quelques remarques cependant: Lars Eidinger est toujours cet Alceste repoussant (moins cependant que dans mon souvenir à Berlin et moins que sur les photos de scène), et en même temps bouleversant avec sa voix chaude, douce, et ses crises insupportables, y compris lorsqu’il chante “Honesty” de Billy Joel, où il est vraiment exceptionnel face à Oronte. Philinte (Sebastian Schwarz) a, me semble-t-il, gagné en consistance et en profondeur par rapport à janvier 2011, il a une vraie présence apaisante qui en fait une sorte de négatif visible d’Alceste. J’ai été séduit par Jenny König (Eliante), qui campe une  Eliante toute retenue, mais toute énergique,  remarquable face à un Alceste qui l’instrumentalise: la mise en scène du rapport Eliante-Alceste est très serrée et souligne l’ambiguïté d’Alceste qui joue avec elle, authentiquement sincère, la totale insincérité en dépit qu’il en ait.
La scène entre Célimène et Arsinoé est traitée avec un jeu très précis entre la scène et le regard de la vidéo qui accentue les gros plans sur les deux personnages. Avantages du cinéma et du théâtre pour traiter deux visages d’une rare expressivité, l’un plus marqué, l’autre tendu mais jeune, deux actrices très contrôlées, dans une des scènes les plus connues de la pièce, où il n’y a pas de comique de situation, mais beaucoup plus de tension que d’habitude, dans un jeu qui engage à fond, au delà de la parole qui est pourtant essentielle dans cette scène .
Ce qui m’a frappé encore plus que la première fois, c’est justement cette tension qui court toute la pièce:  les scènes sont jouées souvent lentement, puis montent progressivement en tension jusqu’à l’explosion, explosion d’une violence de la parole, de violence entre les personnes (la scène du sonnet d’Oronte en est le modèle), violence du sexe et des rapports au corps: Alceste et Célimène bien sûr, car Célimène est un corps en permanence offert, qui semble en permanence disponible, mais aussi Alceste et Eliante, de manière encore plus violente peut-être à cause de la résistance d’Eliante qui nous mène proche du viol. Et même Arsinoé et Alceste, qu’elle poursuit, qu’elle effleure, contre qui elle se blottit. Mais aussi corps d’Alceste, sali, détruit, et pourtant encore érotisé.
Au total, une expérience forte, inhabituelle, qui montre un Alceste qui rompt tout vernis social, toute trace de rapport humain dans un choix résolu de l’autodestruction et qui finit pourtant par retrouver Célimène à la fin, dans une sorte d’isolement de la chair, puisque le rideau tombe sur leur étreinte.
Post Scriptum: le jeu sur la lance de pompiers dans la dernière scène. Lors de la représentation de Berlin, elle avait échappé des mains d’Alceste et arrosé le public et j’avais pris cela pour un accident. On retrouve exactement le même jeu, y compris sur les rires entre Alceste et Célimène, au milieu d’une scène finale plutôt grise et tendue (Eliante/Philinte d’un côté, immobiles, et Alceste/Célimène de l’autre, dans une sorte de poursuite.) . Ce n’était donc pas un accident, mais faisait partie du jeu, à moins que l’incident ait donné ensuite l’idée d’un jeu, c’est aussi possible. Mystères du théâtre…

En tous cas, de nouveau me frappent les performances d’acteurs, tous excellents, à commencer par Lars Eidinger et Judith Rosmair, et la précision extrême du travail de mise en scène, notamment le jeu sur la vidéo et le plateau, le jeu dedans/dehors, coulisses/plateau: les acteurs attendent leur scène dans un espace de loges: on est au théâtre, tout cela est un jeu sur l’apparence semble dire Ivo van Hove,  espace de jeu, espace d’attente se mélangent puisque la caméra poursuit chacun et s’en moque . J’ai été aussi fasciné par le travail sur le rythme de la parole, sur la modulation de la voix (les acteurs sont munis de micros qui amplifient légèrement): la première scène est à ce titre exemplaire, avec un Alceste tout intériorisé, qui finit par exploser avec Oronte, pour ne pas cesser ensuite de se “distancier”.
Enfin, la distance comique a largement puisé ce soir dans l’utilisation par moments d’expressions françaises (les propositions très crues d’Oronte à Célimène par exemple) qui détendent l’atmosphère et provoquent des rires, mais les moments du rire restent grinçants, tant la vision sociale qui nous est soumise est aussi proche du nous.
Je ne peux évidemment que conseiller d’aller voir ce Molière, qui montre tout de même le terreau inépuisable qu’il constitue.

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