BAYREUTHER FESTSPIELE 2017: Die WALKÜRE de RICHARD WAGNER le 30 JUILLET 2017 (Dir.mus: Marek JANOWSKI; Ms: Frank CASTORF)

Voir aussi :

Walküre 2010 (Prod.précédente, Thielemann/Dorst)
Walküre 2014

Walküre 2015
Walküre 2016

Dans l’économie di Ring, Die Walküre a une place à part, pour plusieurs raisons. D’abord, c’est une histoire qui peut être détachée du reste, l’histoire close de la désobéissance de Brünnhilde, et ce n’est pas un hasard si l’an prochain à Bayreuth, c’est Walküre qui été choisie pour les débuts de Placido Domingo dans la fosse. On ne commentera pas par pudeur le goût très marketing de cette programmation destinée à faire buzz, mais Die Walküre se prête à l’expérience plus facilement que les autres journées du Ring.
La deuxième raison, c’est que la mise en scène en est peut-être plus simple, plus linéaire : peu de chanteurs (les Walkyries mises à part, mais elles apparaissent au III seulement), des scènes qui sont essentiellement des duos : Siegmund-Sieglinde, Wotan-Fricka, Wotan-Brünnhilde deux fois, et quelques démonstrations spectaculaires, Wälse pour le ténor au premier acte, les Hojotoho de Brünnhilde au deuxième, et la chevauchée des Walkyries au troisième.
Dans cet ensemble, le duo du deuxième acte entre Wotan et Brünnhilde est un des moments clefs de l’œuvre, où tout est dit, et où l’on perçoit même déjà l’idée de la fin (« Das Ende ! das Ende !) évoquée par Wotan, comme si tout était déjà conclu. Un duo intense que Chéreau avait magistralement réglé, avec le jeu du miroir et le pendule, dont tous les spectateurs se souviennent, sans doute le travail le plus accompli qui ai jamais été conduit sur cette scène. Il faut un chanteur qui une fois de plus, sache non seulement chanter, mais aussi dire, car le rythme des mots, l’expression « parlée » me paraît ici essentielle : il s’agit d’une conversation intime, d’une confession de Wotan à sa fille, d’autant plus essentielle que Brünnhilde va désobéir, tout en sachant ce que Wotan lui a raconté, et peut-être parce qu’elle le sait, et aussi parce que confusément peut-être Wotan a déjà tout écrit, le crépuscule des Dieux et la fin de son monde.
La conséquence est qu’au-delà du spectaculaire ponctuel, Die Walküre reste un opéra intimiste : intimité Siegmund-Sieglinde, intimité Wotan-Brünnhilde et d’une certaine manière intimité Wotan-Fricka.
La conséquence aussi, c’est une musique peut-être à la fois plus spectaculaire et peut-être plus aisée à diriger que Rheingold ou Siegfried, où les différences d’interprétation sont moins sensibles (d’une Chevauchée des Walkyries à l’autre, que choisir ?) sauf dans le deuxième acte justement, qui est aussi une clef musicale. Il est clair qu’à Bayreuth cette année en l’occurrence, Walküre réussit mieux à Marek Janowski que Rheingold, parce que l’œuvre passe très bien musicalement avec une direction plus « traditionnelle », plus conforme aux attentes et qu’on peut s’y laisser aller aux tempi larges, à la respiration, à tout ce qui fait l’ivresse (ou la fausse ivresse) wagnérienne.
Ainsi, Die Walküre en est d’autant plus délicat à mettre en scène, car il ne peut y avoir d’éléments très disparates qui casseraient le récit et la mise en scène de longs duos est aussi un défi pour les metteurs en scène : combien de trous noirs où les chanteurs sont livrés à eux-mêmes !
C’est pourquoi pour moi c’est le moment le plus réussi de Chéreau, parce qu’il est arrivé à rendre une incroyable intensité à l’œuvre, à en faire un raccourci déchirant d’humanité : frère et sœurs isolés entourés de Hunding et de sa horde au premier acte, scène entre Wotan et Brünnhilde avec le pendule, extraordinaire annonce de la mort avec Brünnhilde qui apporte à Siegmund son linceul, apparition au troisième acte du rocher qui constitue l’une des images emblématiques de la production.
Pourquoi parler de Chéreau ? Parce que Chéreau a choisi de raconter avec précision le livret, en des images stupéfiantes qui n’ont pas été depuis effacées, des images mythiques fidèles à un mythe et que Castorf à l’opposé refuse le mythe et tombe dans l’histoire.
Et pourtant son travail sur Walküre est le moins contesté par le public, c’est d’une certaine manière le plus sage, que même l’imbécile qui plusieurs années de suite a arboré avec fierté un masque de sommeil pendant le Ring (un imbécile inculte, antiwagnérien), pourrait regarder, tant est évidente la « fidélité » au récit, même dans l’étrange contexte d’un puits de pétrole en Azerbaïdjan. Le travail de Castorf n’a d’ailleurs jamais consisté à détruire le récit ou trahir le livret : je mets au défi quiconque de trouver dans ce travail une infidélité aux caractères ou aux rapports entre les personnages. Castorf met en contexte, dans un contexte particulier, une histoire qu’il pense universelle :  quoi de plus universel que la soif d’or et de pouvoir.
Alors cette longue histoire pour lui commence dans Walküre. Nous allons avancer dans le temps à mesure que les journées passent : temps des pionniers (Walküre), temps des idéologies (Siegfried), temps du triomphe de l’argent (Götterdämmerung) qui se joue de tous les Crépuscules.
Castorf voit à travers la soif de l’Or celle qui a déterminé bonne part de notre histoire ces deux derniers siècles, celle de l’Or noir, c’est connu et nous n’y reviendrons pas. Un personnage aussi castorfien que Donald Trump le sait bien d’ailleurs.
Ainsi donc l’histoire de Walküre est inscrite dans le contexte des origines, les premiers puits d’Azerbaïdjan, dans le contexte d’une société encore profondément marquée par l’agriculture qui va sous les effets de cet or noir tout neuf se transformer, et générer des premières oppositions idéologiques. L’idée de Castorf, c’est que l’Or noir a été un enjeu partagé par les idéologies dominantes, mais son propre passé, sa jeunesse et sa culture le portent à mieux analyser les effets du stalinisme et des luttes idéologiques à l’Est, notamment en Russie, avec les différents mouvements ouvriers, l’anarchisme, le triomphe d’un ordre nouveau, aussi pesant que l’ancien.
D’où l’intelligence du décor conçu par Aleksandar Denić, qui est un décor à la fois stylistiquement très unifié, mais en même temps composite : tout en bois, il est une ferme (bottes de foin,  dindons qu’on nourrit), il est un puits de pétrole primitif, voire une église. Ce décor dit tout de l’histoire qui veut nous être proposée, dans sa rusticité – même les vidéos sont en noir et blanc, comme de vieux films muets – et dans ce qu’il annonce : Grane est figuré par un puits de pétrole, un chevalet de pompage que les anglais appellent « horsehead pump» (voir article Grane, dans l’abécédaire Castorf) et les écrits en russe et en azéri sont des incitations à produire plus de pétrole (certaines tradcutions sont données dans les articles sur Walküre les années précédentes).
Ce qui frappe dans la vision de Castorf, c’est une fois de plus sa distance par rapport aux symboles du Ring, Notung est bien fichée dans le bois, mais pas dans un arbre, elle est à la fois sur la terrasse, mais aussi dans la bâtiment, et c’est là que Siegmund va la retirer. Deux Notung pour le prix d’une : les tenants de la tradition seront comblés. Mais le Ring , c’est aussi la violence: dans la maison de Hunding on laisse traîner un cadavre ensanglanté dans une charrette, trace de batailles récentes, et Hunding rentre à la maison avec une tête fichée au bout de sa lance, avec d’ailleurs un effet ironique qui fait rire certains dans la salle tant l’affaire est caricaturale.
Castorf nous amuse aussi avec un Wotan toujours attentif à l’histoire qu’il construit, mais se distrayant avec des cousettes qui adorent les gâteaux (on le voit à l’écran, comme dans un film muet) pendant qu’il a un oeil (le seul?) sur le frère et la sœur qui se retrouvent : à l’instar d’Alberich et de manière moins démonstrative, Wotan a renoncé depuis longtemps à l’amour, depuis l’aventure avec Erda peut-être…alors il regarde avec distance ce frère et cette sœur qui vont jouer à ce jeu illusoire et délétère de l’amour à mort.
Castorf s’amuse aussi avec l’histoire du philtre et du narcotique : pour mieux nous en faire comprendre tous les ressorts, il montre à l’écran Sieglinde préparant le philtre avec des mimiques si ridicules et exagérées (comme dans un mauvais film muet cette fois) qu’il y a des rires justifiés en salle. Il nous indique ces ingrédients comme un bric à brac de l’opéra traditionnel (philtres, endormissements agités, amants magnifiques qui se retrouvent à l’insu du mari) nous montrant par là même que même Walküre peut n’être pas loin du vaudeville.
Le deuxième acte est moins évident, et bien plus délicat à régler, à cause de sa structure dramaturgique, faite de conversations (même l’annonce de la mort en est une) sans événement, sinon les dernières minutes de la scène finale.

Le cadre en est cette fois non plus l’extérieur, mais l’intérieur de cette ferme : chez les Hunding, on était isolé et rustique, chez les Wotan, on est rustique, mais un peu moins, plus riche et plus mécanisé, on a des esclaves parce qu’on commence un travail industriel. Fricka arrive portée par un serviteur se frotte le dos à peine l’a-t-il déposée, Wotan, vêtu à la Tolstoï (il va être une sorte de raconteur pendant cet acte) lit la Pravda, et montre à un serviteur comment couper la glace sans la gâcher (la glace à cette époque est un enjeu économique fort) d’autres s’affairent en arrière-plan.
La deuxième scène se passe pour l’essentiel à l’extérieur du bâtiment, Wotan conteur, sur son fauteuil patriarcal (comme dans le portrait de Tolstoï par Repin) installé par Brünnhilde sur un tapis qu’elle déroule et qui masque les flaques de pétrole…c’est le début de l’exploitation.
Déjà les crises se préparent, déjà les révolutions couvent et Brünnhilde écoute papa distraitement pendant qu’elle remplit un chariot de nitroglycérine, avec moins d’insistance que les autres années, car la mise en scène et les vidéos s’intéressent plus cette année aux caractères et aux individus. Mais elle l’écoute suffisamment pour aller annoncer sa mort à Siegmund, dans une scène d’une poésie insigne, où juchée en hauteur sur le puits de pétrole désossé (en est-il encore un, n’est-il pas, déjà, autre chose), elle regarde le couple arrêté dans sa fuite, avec une Sieglinde épuisée et au bord de la folie (voir comme elle observe tous les recoins et comme il fait claquer plusieurs fois la porte de la cuve vide (qui s’enflammera au III). Une scène qui peut-être avait plus de force quand Brünnhilde chantait juchée au sommet, aujourd’hui, elle descend au premier niveau pour être à vue directe du chef…mais il reste que ce moment est toujours fascinant.
Comme les autres années, le combat ne se déroule pas à vue, mais à l’intérieur du bâtiment, vu à la vidéo sur un drap tendu à l’entrée, une entrée où pendent des chaines (comme les chaines qui pendent à l’entrée de la caravane du NIbelheim dans Rheingold) avec un montage très serré, passant d’un personnage à l’autre. Clairement on voit Brünnhilde jetant sur le cadavre de Siegmund une carte, la Dame de Pique, comme le héros d’Apocalypse Now (La Chevauchée des Walkyrie…) en jetait sur les cadavres des Viêt-Cong, et le jeu accéléré sur les têtes de Siegmund et de Hunding au rythme de la musique renforce le côté haletant de la scène, mais à l’écran, comme à distance, sans lui donner l’extrême violence – quelquefois insupportable au public qui hurlait- , de Chéreau sur le théâtre. C’est évidemment un choix : depuis Chéreau et Wotan qui serrait Siegmund dans les bras après l’avoir sacrifié,  les metteurs en scène se sont ingéniés à trouver une image nouvelle qui cherchât à effacer l’ineffaçable : alors Castorf fort justement va ailleurs, il en fait un film d’action, loin de nous et pourtant si près.

La chevauchée des Walkyries au troisième acte est l’un des moments les plus virtuoses du Ring, et en tous cas le plus virtuose de la soirée. Parce qu’il représente pour les chanteuses un défi physique, parce qu’elles sont dispersées sur trois ou quatre niveaux, qu’elles montent et descendent, et doivent chanter ensemble. La plupart du temps, dans les autres mises en scène, elles sont ou alignées, ou disposées au même niveau pour une question d’efficacité technique du chant. Elles sont aussi toujours habillées du même costume (ou uniforme), une petite armée de la mort qui traîne les héros.
Ici, les héros, ce sont les révolutionnaires qui envahissent l’espace et qui sont immédiatement pris au piège et meurent : les Walkyries ont eu leur peau et chanteront au milieu des cadavres dispersés sur l’escalier qui mêne au sommet couronné par une…Étoile rouge. Le temps a passé.

Ces Walkyries, Castorf les individualise au contraire, les isole, leur donne des habits d’abord de dames de la bourgeoisie de Bakou venues de toute la Russie en Azerbaïdjan pour s’enrichir. Mais ce qui intéresse Castorf, c’est à la fois que chacune soit différente des autres, comme en une réunion hétéroclite de gens aux intérêts communs, et aussi  la question de la mutation, des changements, des évolutions, et certaines portent sur elles jusqu’à quatre costumes (tous magnifiques et souvent orientalisants d’Adriana Braga Peretzki) qu’elles changent au fur et à mesure, devenant des Walkyries de revue, avec leurs habits clinquants et leurs casques punk : dans ces Walkyries, Brünnhilde avec son lourd manteau de fourrure rousse, est la plus voyante et sans doute la plus importante. Pour le chant d’ensemble, cela demande une préparation précise, cela bouge dans tous les sens, cela monte et descend, cela boit sur la sorte de Biergarten installé en terrasse, et cela signifie donc mise en place millimétrée pour éviter les décalages.

Avec le dialogue Brünnhilde-Wotan, les choses changent. Sans doute les deux personnages bougent-ils un peu plus : Wotan lance à Brünnhilde une peau d’ours, en un mouvement violent et théâtral. Un ours ? annonciateur de l’ours ramené dans l’épisode suivant par Siegfried ? ours berlinois ? (Lire à ce propos l’article ours dans l’abécédaire Castorf). En tous cas la peau de l’ours est déjà là, alors qu’il n’est pas tué…

Wotan boit, joue avec ses cartes (les runes…) il jongle avec les destins d’une manière indifférente. La scène serait au fond assez traditionnelle jusqu’au moment où Wotan décide de suivre Brünnhilde dans ses suggestions (leb’wohl du kühnes, herrliches Kind), scène marquée par un embrasement de l’orchestre dans cet instant où il serre Brünnhilde dans ses bras et qui remue le cœur de tout spectateur. Alors une fois de plus Castorf casse l’effet (il faut toujours se méfier de la musique de Wagner…) car Wotan embrasse violemment et goulûment les lèvres d’une Brünnhilde outrée et blessée : ironiquement c’est la manière dont Castorf traduit la didascalie wagnérienne « sehr leidenschaftlich » (très passionnément).
Au-delà du geste, on sait que Wotan n’est pas à un inceste près : les relations familiales sont compliquées chez les Wotan, voir les liens familiaux qui uniront Siegfried et Brünnhilde, et donc Wotan à qui aucune femme n’est indifférente – une sorte d’épouseur du genre humain (rappelons-nous aussi son réveil entre sa femme et sa belle-sœur dans le Rheingold de cette production) – peut avoir subitement envie de Brünnhilde. Plus subtilement peut-être, il préfigure le baiser de réveil de Siegfried, lui donnant le baiser – le même – pour l’endormir : papa pour dormir et le neveu-fiancé pour le réveil. Ou bien il lui fait sentir ce qu’un réveil brutal avec un homme non choisi aurait pu être. En plus, Brünnhilde est encore Walkyrie et vierge à ce moment, et toute manifestation de sensualité lui fait horreur : il lui faudra un peu de temps dans Siegfried pour s’y résoudre. En bref, c’est, comme on dit un baiser chargé.
Enfin quand Brünnhilde s’allonge, elle se pose sur elle comme elle avait posé sur le corps de Siegmund une carte de tarots, et ça c’est un geste nouveau, édition 2017. La question des cartes dans ce Ring doit donc s’enrichir, avec leur signification pour Wotan et Brünnhilde qui se les partagent.
Tout cela dans un contexte de guerre, première comme deuxième guerre mondiale où les russes ont fait exploser les champs pétrolifères de Bakou pour empêcher l’armée allemande de s’en emparer (« opération Edelweiss », primitivement appelée Siegfried) (voir article Bakou de l’abécédaire Castorf). Les extraits qu’on voit d’un film comme Tschapajew (1934) des frères Wassiljew sont à double effet, ils réfèrent à la propagande stalinienne d’une part (le stalinisme naissant puis triomphant est implicite dans tout l’opéra) mais aussi à la DDR de Castorf enfant, où le film dans les années 50 a eu beaucoup de succès.
Cette mise en scène de Walküre est en même temps une mise en abyme. Sans altérer l’histoire, Castorf, après un Rheingold très différent, prologue presque hors temps, qu’il inscrit dans la grande mythologie des films américains des années 50 , se met désormais dans la logique d’un récit historique continué qui commence dans Walküre, aux origines de l’Or noir, dans un décor très daté, plus archaïque, dont la rusticité raconte les origines, les rapports sociaux inégalitaires, les premiers effets du pétrole, mais aussi, par ses visions cinématographiques apocalyptiques, un monde en explosion, un mode de destruction qu’on avait déjà entrevu sur les télés de Rheingold.

Sans conteste cette année, la distribution est plus homogène, d’une part parce que bien des chanteurs étaient déjà l’an dernier présents, et que ceux qui sont arrivés non seulement se sont bien adaptés, mais ont donné bien plus de cohérence à l’ensemble, et musicalement et scéniquement.

C’est le cas de Sieglinde, confiée cette année à Camilla Nylund, dont la silhouette rappelle la triomphante Anja Kampe des premières années, même si le chant est plus lyrique et un peu plus retenu. C’est une Sieglinde intense, à la voix charnue, bien contrôlée, mais qui n’est jamais explosive comme pouvait l’être Kampe, une belle prestation qui en même temps permet à Christopher Ventris d’être plus à l’aise dans son Siegmund, chanté avec une voix claire, suave, bien plus séduisante que l’an dernier, même si les aigus restent en-deçà de ce qu’on pourrait attendre pour le rôle. Ventris, par son lyrisme, s’accorde parfaitement à cette nouvelle Sieglinde et leur couple est convaincant sans avoir ni l’un ni l’autre les moyens exacts de leur rôle. Intensité, rondeur, chaleur et engagement compensent très largement. Face à eux, le Hunding de Georg Zeppenfeld : très engagé cette année au festival, il n’a peut-être pas l’assise de l’an dernier, et peut-être la voix est-elle un peu claire pour le rôle, mais la diction est toujours fascinante, tout comme l’intelligence du texte qui va avec. Mais c’est justement peut-être un chanteur trop « fin » pour Hunding, trop « éduqué », – là où il convient à merveille à Gurnemanz par exemple.
L’autre arrivée dans cette distribution, c’est une nouvelle Fricka, Tania Ariane Baumgartner qui donne un vrai relief au personnage, une Fricka colère, agressive, vive, aux aigus tranchants, bien engagée, qu’on avait déjà bien perçue dans Rheingold, mais qui donne sa pleine mesure dans sa scène avec un Wotan (John Lundgren) maîtrisant mieux  cette année son personnage, vocalement très en forme, avec de puissants aigus et une vraie incarnation, bien dans le sens du travail de Castorf, très différent de Wolfgang Koch, moins « humain » même s’il a des mouvements de vraie tendresse, et plus « Wotan », où il est souvent impressionnant.
Catherine Foster est Brünnhilde. Après un Hojotoho initial mal projeté, la voix reprend ses droits, sûre, sans scories, avec une expressivité incroyable. Elle est dans une forme exceptionnelle. Elle se joue des aigus, mais surtout, garde une grande limpidité dans l’expression, avec de notables qualités de diction, son texte est dit avec une rare clarté ce qui n’est pas toujours évident pour un soprano. Magistral.
Le groupe des Walkyries n’est pas en reste, on a dit le désir de Castorf d’individualiser les personnages et ainsi par exemple la Schwertleite de Nadine Weissmann apparaît dans tout son relief, tandis que l’Helmwige très présente aussi de Christiane Kohl a toujours un suraigu un peu difficile et crié. Mais l’ensemble reste remarquable.

Les options de Marek Janowski à la tête de l’orchestre du Festival de Bayreuth, toujours magnifique, ont été moins déphasées par rapport à la mise en scène que dans Rheingold, d’abord parce que, comme expliqué plus haut, Walküre avec ses six personnages qui évoluent dans des scènes où les mouvements sont plus rares et moins convulsifs que dans Rheingold, permet sans doute de mieux contrôler, et la question du volume et des variations se pose moins (l’orchestre reste quand même assez fort ici) : on peut diriger en version « concertante » sans que cela n’affecte trop la scène. Ainsi la direction de Janowski, de toute manière plus en place que l’an dernier, est-elle ici de très bonne facture, une belle direction wagnérienne, avec de beaux moments (prélude, annonce de la mort, incantation du feu et final), plutôt attendus, et qui ne font pas hiatus avec ce qu’on voit en scène. Il y a là de la respiration, des tempi larges à l’intérieur desquels les chanteurs peuvent prendre leurs marges sans tension.

Une très belle soirée pour les chanteurs, et un travail scénique toujours fascinant et inépuisable,dans la perspective de revoir cette production l’an prochain, avec un nouveau Wotan (Matthias Goerne qui devrait nous offrir un deuxième acte sculpté) et un chef pour le fun et les fans, Placido Domingo. [wpsr_facebook]

 

 

 

0 réflexion sur « BAYREUTHER FESTSPIELE 2017: Die WALKÜRE de RICHARD WAGNER le 30 JUILLET 2017 (Dir.mus: Marek JANOWSKI; Ms: Frank CASTORF)  »

  1. Étant sans pudeur permettez moi de revenir sur le choix de domingo comme chef d’ orchestre.
    Il a été un immense ténor, un bon bariton, un estimable directeur d’opéra, un excellent créateur d un remarquable prix de chant et un très inutile directeur d orchestre.
    Comment un festival comme bayreuth peut prendre une décision aussi pathétique. thielemann son directeur artistique se sépare de nelsons pour l’ après petrenko et engage domingo…
    J attends les réactions du public et votre critique …….

      1. Qui êtes-vous pour être aussi savant que André Tubeuf sur l’art lyrique , et surtout comment faites-vous pour obtenir chaque année des billet pour Bayreuth ?

  2. Je partage tout à fait votre opinion sur la Walkyrie 2017.Tout est beaucoup mieux qu’en 2016 et avant tout Ventris qui etait dans une forme éblouissante le 9 août.Nylund meilleure que Melton.Foster grandiose.John lundgren n’était pas au mieux vocalement mais il s’est emparé de son rôle et reste un excellent Wotan.
    Marek Janovsky fait preuve à la fois de lyrisme et de raffinement.
    Quant à la mise en scène,vous avez tout dit.Elle semble passer tres bien auprès du public cette année.Nous verrons demain avec les crocodiles qui mettaient le public en fureur les années précédentes.

  3. (Mein Schlaf ist Traümen) / Mein Traümen Sinnen / Mein Sinnen Walten des Wissens.
    Votre pensée, cher Wanderer, est savoir ; et devant les deux, l’errant s’incline… et ne les contourne pas comme Claude Debussy devant Wagner ; mais au contraire en fait l’étude. Bref toujours des blogs passionnants ! Cela m’a donné des idées.
    Je me réfère ici à votre blog sur la Walkyrie de Bayreuth le 30 juillet 2017. Je viens d’écouter les retransmissions de France-Musique et il s’agissait ici de la même représentation. Je précise que j’ai assisté à ce cycle sur la Colline verte en 2015 c’est-à-dire avec une équipe différente. J’ai beaucoup aimé cette interprétation et en particulier la mise en scène ce Castorf, mais je vais y revenir. Déjà sur le plan musical, je diffère pour quelques une de vos appréciations. Je reprends mes notes (ce que je fais autant que possible). Le premier acte est décevant : d’abord l’orchestre est bien sage voire mou, rapide (55 min), manque de poésie dans Wintersturme ; ce sont en général les caractéristiques de la direction de M Janowski que j’ai entendu de multiples fois (deux RING parisiens entre autre), bon technicien, respectable musicien mais rarement passionnant. C Nylund et C Ventris ont tous deux le même défaut : ils ont une qualité de chant somme toute bonne, mais dès qu’il faut pousser soit l’ampleur soit la hauteur, les voix deviennent assez laides (je n’ose dire que C Ventris m’évoque Fritz Uhl). Pas de poésie, pas d’élan épique. Je partage votre appréciation de G Zeppenfeld, remarquable, mais c’est un gentil Hagen ; j’aime les brutes épaisses dans ce rôle. Les deuxième et le troisième actes vont être plus satisfaisants. Au deuxième acte, je suis bien d’accord avec vous : T.A Baumgartner est remarquable, Catherine Foster presque parfaite (là aussi, dans le Crépuscule la scène 2 du prologue va être une médiocre « mise en voix » partagée par S Vinke). Mais elle est d’emblée excellente dès le premier Hojotoho ! « Au débotté ». Je trouve J Lundgren globalement excellent : belle voix baryton-basse, ce qu’on demande, me rappelant par exemple Thomas Stewart à Bayreuth 1970 (donc jeune) que j’ai écouté récemment. Il est bon « diseur » dans le grand monologue, retenu d’abord, dramatique, théâtral ensuite et véhément. L’annonce de la mort est superbe car ici C Ventris se trouve dans le medium et la voix est belle. La fin de l’acte, théâtrale, mais comme toujours avec le chef, elle manque un peu de violence (c’est un chef de consensus et de retenue). Dans le troisième acte la chevauchée est parfaite mais surtout C Nylund est ici très bien avec la belle envolée du thème « la rédemption par l’amour », pour citer mon vieux Lavignac, C Foster superbe, et Wotan dans le dialogue avec Brunhilde magnifique. Mais je dois dire que j’ai trouvé que J Lundgren montrait ici ses limites et les adieux sont très décevant, tant musicalement que dramatiquement : voix écrasée, pas de poésie, peu de mélancolie, pas à la hauteur. Voilà pour s’en tenir à l’audition.
    Cependant cela m’a amené à quelques réflexions sur « écoute et représentation ». Pour faire simple j’ai écouté ma première retransmission de Bayreuth en 1961 (avec un grand gap de 1970 jusque 2008). La Walkyrie est le seul drame du RING que j’avais vu à cette époque : Palais Garnier en 1967 (donc mise en scène Wielandienne), puis ensuite à Paris, Grüber, sans intérêt, des sacs de sable, Mesguish, aucun souvenir mais j’avais assez aimé, Strosser, aucun souvenir, le vide, Krämer, bof !, et Castorf. Bon, j’écoute maintenant : quel est mon imaginaire de ce que j’entends ? Désolé, pas Castorf ; ah ! Je reprends mes notes… ah oui, dans le grand duo Siegfried – Brunhilde (Siegfried 3) je vois l’immense diarama Wielandien, pas le bistrot avec les crocodiles (au fait ont-ils fait des petits cette année ?) ; le monologue de Wotan, Walkyrie 2 : la grande muraille de rochers avec le défilé wielandien. Bon, c’est vrai souvent je vois aussi Chéreau (que je ne connais que par le DVD et le CD).
    Sans doute y a-t-il une grande différence dans l’appréciation de ces spectacles entre la curiosité, l’intellect et le moi profond. Il me semble que la musique de Wagner correspond à un moi profond et qu’ensuite on se représente (pour la Walkyrie, pour moi, c’est Wieland et en partie Chéreau), et la curiosité intellectuelle qui me fait apprécier Castorf.
    Pour finir, j’ai lu que vous aviez écrit (dans une critique) que vous aviez 40 ans d’expérience. Mais le blog n’a que quelques années d’existence. Il serait intéressant que vous fassiez une histoire de la mise en scène wagnérienne (ou à tout le moins du RING) car votre approche est très rare dans la presse ou les livres. Je repensais à ce que je connais, par exemple pour la Walkyrie (les étapes importantes de l’interprétation, surtout la mise en scène). Sur le fond il me semble qu’il serait utile d’avoir une analyse (par une revue de la littérature) de la mise en scène 1876 : c’est théâtralement sans intérêt mais il faut savoir d’où on vient. Ensuite je crois qu’il faut lire Appia (cela existe en français) et la biographie de Mahler par HL de la Grange car il y a des détails sur la vision d’A Roller ; tout cela nous conduit en droite ligne à Pretorius et Tietjen (il y avait dans la villa Wahnfried, avant la création de ce musée décevant (je me réfère à 1992), des collections de photos en noir et blanc de mises en scène et de chanteurs instructives sur ce point). L’après-guerre : pour ce qui concerne Wieland je ne vois que certains numéros de « Musique en Jeu » et le livre militant de Claude Lust (qui finalement est parfois très descriptif et suggestif, je pense à la scène Hagen / Günther / Gutrune Crépuscule 1). Je repense au livre en allemand des mises en scène de Bayreuth qui n’est pas très détaillé, au beau livre en français sur la mise en scène de Chéreau. Enfin, plus que les numéros de l’Avant-Scène Opéra, le livre très intéressant de Bruno Lusati qui a été mon livre de chevet à Bayreuth en 2015 : j’avais classé la mise en scène de Castorf dans un « mixte » lecture « socio-économique » et lecture « contre-culture », selon Lusati. J’en avais conclu que cela aboutissait à une distanciation totale, Brechtienne ; le final Crépuscule 3 : soit avec l’immense scène vide rougeoyante, soit les humains, dos à la salle regardant l’embrasement …. soit a contrario le feu de poubelles actuel !
    Bon. Ne restez pas assis sur vos trésors comme Fafner sur son or ! quand reliez-vous vos œuvres et surtout publiez-vous une synthèse voire une méta-analyse ? Je l’espère un jour…..
    Damned vous venez de publier le Crépuscule: je lirai ce soir.

    1. Merci de vos remarques et de vos suggestions. C’est un vaste programme. Mais c’est une entreprise passionnante parce que Wagner est à l’orgine de l’histoire de la mise en scène, et pas seulement wagnérienne…

      1. Crépuscule
        Trop génial, cher Wanderer ! La psychologie (psychanalyse) de Hagen : Ah que l’idée elle est bonne ! Pas possible de tout commenter, surtout en reprenant l’histoire (de la mise en scène) depuis 2013 et en intégrant toutes les journées du RING. Alors il faut que je me limite aujourd’hui à UN sujet : Hagen. D’accord ! Je trouve cela passionnant.
        Peut-être serait-il intéressant d’être méthodique. Mais je dois avouer mes limites : en villégiature à la campagne mon appareil bibliographique est limité (parfois à mon « erinnerung »). Il me manque mes livres et… mes 59 enregistrements du Crépuscule. Foin de tout cela, essayons malgré tout.
        Comme plan, adoptons, introduction, matériel & méthodes, résultats, discussion, conclusion et perspectives.
        Introduction : l’hypothèse est que Hagen se trouve dans la situation psychologique de Siegmund, Siegfried, Parsifal. Cela me plait bien. Ils ont tous des problèmes de filiation, avec une importance plus ou moins grande de leur matrilinéage et/ou de leur patrilinéage. Ici ce sont les deux.
        Matériel et méthodes : utilisons d’abord le texte de Wagner, puis les interprètes du rôle, puis les écrits de notre Wanderer et enfin les films.
        – Pour ce qui concerne le texte j’ai identifié 1- le récit de Wotan (WaII-3 : Walkyrie acte 2 scène 3) « und für das Ende sorg Alberich…zernage ihn giering dein neid », mais surtout évidemment le Crépuscule : 2- « nur hör, hagen…die der Gibishung noch nicht gewann » (CrI-1) ; 3- « Hier sitz ich zur wacht…. Der Niblungen Sohn » (CrI-3) ; « Gemahnt sei der Macht…. Freur mich nie » (CrII-1) ; 4- « dich Zaglosen …. Schwörst du mir’s, hagen, mein Sohn » (CrII-1) ; 5- « sterb’er dahin…. Des Ringes Herrn ! » (CrII-5).
        – Ensuite les interprètes : la « data base » de Bayreuth, ma propre data base et ma discographie audio/vidéo, mes notes de 2015 & 2017,
        – les publications sur le blog du Wanderer, 2013-2017 et le dictionnaire,
        – deux films basés sur la « Chanson des Nibelungen » (qui n’est évidemment pas la source unique d’inspiration de Wagner – puisqu’il faudrait ajouter les Eddas et bien sûr le contexte contemporain). Les films, ce sont « les Nibelungen » de Fritz Lang et un film méconnu : « la vengeance de Siegfried » et « le massacre des burgondes » de Harald Reini en 1966.
        Résultats :
        a- Le texte de Wagner : dans le texte 1, Wotan explique bien la conception de Hagen, presque une « procréation assisté » : Grimhilde est payée par Alberich pour concevoir Hagen, pas d’amour, de l’or ; dans le texte 2 : Gunther reconnait Hagen comme un héros (en fait il l’envie, reconnaissant d’avance sa pleutrerie mais reconnait son intelligence – ses « conseils » comme le souligne Wanderer- qui sert sa gloire ; et là Hagen commence sa grande manipulation… ) mais Hagen se sent profondément illégitime, ce que sa mère lui a dit explicitement ; dans le texte 3 (le monologue) Hagen dit beaucoup de choses : il dévoile la manipulation, il dévoile son but (conquérir l’or) et il reconnait son état, « vil », même s’il revendique son état de fils du Nibelung ; dans le texte 4, Alberich, le père, se réjouis du caractère brave de Hagen, pourtant ce dernier reconnait cela mais parait regretter un rôle que sa mère, inséminée par Alberich, lui fait jouer ; il se ressent vieux, rabougri, haineux, sans joie : le regrette-t-il ? dans le texte 5, Alberich explicite à Hagen sa manipulation, l’instillation de la haine et le but ultime, que, lui récupère l’anneau ; mais il n’est pas si sûr de lui : Hagen doit jurer… ; texte 6 : et Alberich a bien raison de douter : car Hagen est d’une ambiguïté folle –le trésor sera sien – mais il demande à Alberich de veiller sur lui et d’envoyer la troupe des Nibelungen pour « dir zu gehorchen, des Ringes herrn ! » obéir à quel maitre ? certainement pas Alberich, mais bien Hagen.
        b- Les interprètes : sans a priori j’ai regardé la data base de Bayreuth (depuis 1951). Ma préférence était jusqu’alors J Greindl (G Frick est vraiment une brute trop épaisse). Mais j’ai sélectionné K Ridderbusch, J Tomlinson et peut-être L Weber (1951 : à réécouter). J’ai mis de côté F Hübner (Chéreau), Halfvarson (Kirschner 1997 et 2010), Kang (Kupfer) et König (Dorst) que je ne peux réécouter faute de discothèque ici. Néanmoins cette année en cours de retransmission j’ai noté sur S Milling : « chant superbe, voix profonde, caractère, voix bien différenciée au CrII-1 puis puissance et nuance dans le chœur des hommes ». En 2015 (à Bayreuth) j’avais noté : « Hagen de grande lignée, puissant, voix ronde et pas trop agressive ; bon acteur, fait penser à K Ridderbusch ». C’est exactement ce que dit Wanderer : « Je me souviens en 1977 de Karl Ridderbusch littéralement inoubliable ».
        c- Wanderer nous dit que le Hagen d’Atilla Jun, aussi bien en 2013 et 2014, est bien en place, diction, phrasé, émission, mais qu’il manque de volume et de puissance. En 2016 il écrit qu’Albert Pesendorfer a la voix du rôle, et sa tenue, il n’en a pas la noirceur, et surtout son chant manque d’expression. Enfin en 2015 il écrit de Stephen Milling « La voix a une puissance réelle et surtout une ligne impeccable, avec un aigu remarquable et une expressivité et des couleurs qui font de son monologue final de la scène II de l’acte I un des grands moments de la soirée. La diction est supérieure, tout comme l’allure scénique ». Puis en 2017 : « Stephen Mailing est peut-être encore plus impressionnant cette année que les années précédentes, la voix est magnifiquement projetée, avec une carrure vocale (et physique) bluffante. Il impose sa présence, à la voix rude et retenue, terrible et réservée. Une très grande incarnation.
        d- Pour ce qui concerne les films : il me semble que le Hagen de F Lang reste très classique de la « brute épaisse », mais chez Harald Reini on trouve un Hagen nuancé (Siegfried Wischnewski), parfois protecteur mais surtout manipulateur, quoique évidemment très violent comme chef d’armées ; tout cela est proche du texte de la Chanson des Nibelungen.
        Discussion :
        Je ne reprends pas ici la description, tellement riche du Wanderer, de la mise en scène de Castorf et je me limite finalement aux interprétations psychologiques et à la caractérisation de la voix de Hagen. Cela étant dit, il est évident que tout est lié et j’ajouterai un autre facteur : le spectateur. Je note que, au fil des années, les analyses du Wanderer évoluent et même sont contradictoires, mais, qui n’a pas ressenti d’une façon différente une représentation, une écoute selon sa propre humeur et les circonstances du moment ?
        Wanderer fait l’hypothèse que d’une part il y a une lignée parallèle aux Wälsungen, les Nibelungen (pas au sens wagnérien des « races » : les dieux, les albes et des géants) et que d’autre part Hagen est un personnage complexe. Wanderer nous livre quelques traits de sa personnalité : instrumentalisation par Alberich, rejet de la mère, chef de bande, incestueux, politique et manipulateur.
        L’analyse du texte me parait confirmer cette hypothèse. Hagen est d’abord voulu par Alberich comme un « outils », conçu par Grimhilde qui le rejette, il est manipulé par Alberich pour conquérir l’or, mais Hagen reprend à son compte la manipulation. Je diverge un peu de ce que dit Wanderer : « et Castorf a senti cette face cachée d’un Hagen, certes fils d’Alberich, mais aimant, et aimant sa mère ». Je ne crois pas, car il dit « je lui en veux pourtant d’avoir cédé à ta ruse » (Cr4). Il me semble qu’il est par contre ambigu vis-à-vis de son père (Cr6). Cela étant dit ces différentes interprétations plaident de toute façon en faveur de la complexité de Hagen. Et cela est corroboré par au moins un film (Harald Reini) et en tout cas par le typage interprétatif : grand Hagen, personnage qui est au mieux représenté par un chanteur stylé, bon diseur, donc le contraire de la brute épaisse à laquelle on pense (et que subjectivement on peut aimer voir comme cela). En réécoutant K Ridderbusch j’ai confirmé cela pour ma part (il s’agissait d’ailleurs aussi d’un grand Sachs). Il y a quand même une question concernant les interprètes « noirs » (J Greindl, G Frick) : ils ont pu être de grands Gurnemanz, rôle qui réclame justement une basse capable de nuancer, de ciseler les phrases ; mais ont-ils été cela ? En fait il faut retourner aux différentes interprétations historiques pour se faire une opinion.
        Enfin je voudrais juste évoquer une question qui conduit à proposer une interprétation différente de celle que fait le Wanderer de la conception de Castorf : si Hagen est un personnage complexe, souffrant, si la lignée des Nibelungen est comme celle des Wälsungen frappée d’une lourde histoire familiale (psychologique), est-il si certain que l’or (le pétrole), le gain soit le moteur de ce drame, interprété par Castorf comme désespéré. Alberich, homme souffrant, crée Hagen, marionnette qui lui échappe, mais aussi homme souffrant, comme Wotan, qui crée des marionnettes qui lui échappent certainement mais qui ne comprennent rien ; ces deux hommes souffrant sont les véritables « agissant » du RING ; l’or n’est-t-il pas alors en fait « la pureté » vers laquelle ils tendent désespérément ? Puis Wotan périt dans le feu et Hagen dans le Rhin ; mais seule Brunhilde a compris : « alles, alles, alles weiβ ich, alles ward mir nun frei ». Elle a compris mais elle périt : la pureté périt. Reste seul Alberich : n’est-il pas le représentant de l’humain… ce qui n’est guère plus optimiste que le monde matérialiste de Castorf.
        Conclusion : je crois que les interprétations et commentaires du Wanderer sont vérifiés par les différentes approches du sujet.
        Perspectives : il resterait à approfondir, si on se limite au personnage de Hagen, les différentes interprétations, à faire une étude comparative de ce rôle dans différentes mises en scène. On peut faire l’hypothèse que changer la vision de ce rôle peut conduire à changer l’interprétation globale du RING. Cela nécessite des investigations complémentaires : Zwangvolle Plage ! Müh’ ohne Zweck ! (Siegried I-1)

  4. Juste une question sans lien avec la Walkyrie: pourquoi votre analyse des Meistersinger de Barrie Kosky a-t-elle disparu de votre blog?

  5. Qui êtes-vous pour être aussi savant que André Tubeuf sur l’art lyrique , et surtout comment faites-vous pour obtenir chaque année des billet pour Bayreuth ?

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