IN MEMORIAM MARGARET PRICE

mprice7.1296335069.jpgVoilà encore qui s’éteint  l’une des étoiles du ciel lyrique de ma jeunesse .

mprice4.1296335320.jpgMargaret Price, ma première comtesse, ma première Fiordiligi (avec l’immense Josef Krips! et une mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle), ma première Donna Anna (avec Solti!), ma première Desdemona (avec Domingo et Solti et Bacquier). Elle fut ma grande, ma très grande référence mozartienne. Voilà une chanteuse que je n’ai jamais entendue prise en défaut, toujours égale à elle-même, c’est à dire au sommet. Elle était, oui, “égale”, au sens où chacune de ses prestations était un grand moment de chant, un grand moment d’émotion, qui créait toujours un climat poétique, mélancolique, sans “expressionisme”, mais non sans expression. On lui a reproché une certaine placidité, et un manque d’engagement scénique. Ce n’était pas un caractère à la Gwyneth Jones, sa compatriote galloise, c’était une artiste qui donnait à la fois une impression de très grande sécurité, et en même temps qui diffusait une certaine tristesse – ses Donna Anna et ses Comtesses étaient souvent – pour moi du moins- déchirantes. Le rideau qui se lève sur le sublime décor de Frigerio dans les Nozze di Figaro au deuxième acte et cette voix qui murmure en s’affirmant peu à peu un “Porgi amor” crepusculaire, c’est une image qui m’a accompagné toute ma vie.
Car la Comtesse à Paris ce n’était ni Janowitz (qui l’a chantée en 1973 et 1980), ni Söderström ou Eda-Pierre , belles chanteuses cependant. Non, la comtesse à Paris, ce fut elle, vraiment pour l’éternité, entourée de Lucia Popp, Gabriel Bacquier, Teresa  Berganza: nous les eûmes sur scène, avec des chefs divers, si souvent que cela reste ma distribution des Noces. Elle forma dans Donna Anna avec l’Elvira de Kiri Te Kanawa sous la baguette de Solti (et d’autres ensuite car il ne dirigea que quatre fois) une paire incomparable: je me souviens des commentaires incroyables que ces deux chanteuses occasionnèrent dans la presse, des délires d’applaudissements dans la salle.
Oui, Margaret Price fut une très grande. Une voix pure, très chaude, très ronde, à la technique sans failles, aussi bien dans les notes filées et la “morbidezza” que dans le registre le plus aigu, avec une ductilité dans la voix sans forcer, sans jamais faire dans l’excès. Elle fut aussi avec Solti une Desdemone magnifique aux côtés d’un Domingo débutant depuis peu dans le rôle, à qui l’on prédisait le pire des destins s’il persévérait dans les rôles trop dramatiques (on ignorait sans doute tout ce qu’il avait chanté à Hambourg à ses débuts et on connaît la suite).

Qu’il me soit permis rappler une anecdote souriante dont elle fut la victime. Otello à Paris c’était en 1976, une année  de canicule terrible au point que l’orchestre jouait et que le chef (Solti) dirigeait en chemise. On a avait mis de puissants ventilateurs pour que les chanteurs puissent supporter leurs lourds costumes. Lors de la scène finale où Desdemona meurt étranglée, le ventilateur souleva sa robe de manière indécente, et en entrant en scène, Emilia doit crier “Orrore” ce qu’elle fit en rabaissant la robe. Tout le public et les chanteurs se mirent à rire, ce qui évidemment rendit le final un peu décalé…mais Domingo rattrapa en chantant les dernières mesures de manière sublime.
Le répertoire de Margaret Price ne s’est pas limité à Mozart qu’elle chantait à la perfection.

mprice3.1296335278.jpgElle a aussi chanté les grands rôles de lirico spinto de Verdi, Desdemone, Amelia, et Elisabetta. Elle a notamment fait partie du fameux “cast B”comme on dit en Italie lors du Don Carlo dirigé par Abbado à la Scala en 1978. En effet, la reprise TV par la RAI imposait de demander à Karajan de libérer ses artistes de l’exclusivité qu’ils avaient avec lui, et il refusa. Alors, de Carreras-Freni-Ghiaurov-Obratzova on passa à Domingo-Price-Nesterenko-Obratzova, ce qui n’était pas si mal non plus. C’est ainsi que Margaret Price qui n’était pas une chanteuse habituelle d’Abbado enregistra cette reprise peu après le nouvel an 1978 (dans la fameuse mise en scène de Luca Ronconi),le disque (pirate) a conservé les traces des deux distributions, mais on a aussi le vidéo de la seconde. Et elle formait avec Domingo un magnifique couple vocal, d’un dramatisme sans doute moins fragile et moins “vécu” que Freni, mais quelle voix!

A l’étonnement de tous elle fut l’Isolde de Kleiber, pour l’éternité puisque c’est elle qu’il choisit pour graver le chef d’oeuvre de Wagner, composant avec René Kollo (en difficulté) un couple très discuté, cet enregistrement est l’un des grands must de la discographie, sans doute à cause de Kleiber. Mais son Isolde, avec ses moyens et en studio (elle ne risqua jamais Isolde à la scène), est très raffinée, très présente, et au total loin d’être aussi décevante qu’on ne le dit à la sortie du disque en 1981. A réécouter, pour elle, pour Fischer Dieskau, pour Kleiber bien sûr, d’une minutie et d’une vérité époustouflantes.

On le voit, Margaret Price fut une grande, mais toujours discrète (elle s’était retirée en 1999) et mprice2.1296335175.jpgjamais  star.

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Elle était souriante, très  chaleureuse, très ouverte et très sympathique. On l’aimait  et on l’aimera encore pour longtemps.

IN MEMORIAM : SHIRLEY VERRETT et PETER HOFMANN

SHIRLEY VERRETT

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Ces dernières semaines ont été marquées hélas par de nombreuses disparitions, Joan Sutherland, que je ne vis qu’une fois lors d’un concert à Garnier, Shirley Verrett qui  frappa de stupeur le jeune mélomane que j’étais, dans Azucena, où elle était une hallucinante bête de scène douée d’une voix incroyable, au-delà du réel tant elle était présente, chaude, puissante, sauvage! Mais  Liebermann hélas ne l’appela plus, lui préférant la Cossotto. Il faudra attendre les années 80 pour la revoir si souvent, impériale dans Gluck (une inoubliable Alceste, mais aussi une Iphigénie de rêve), bouleversante dans le Moïse de Rossini où elle chante une éblouissante Sinaïde. Elle fut aussi une grande Lady Macbeth à Paris,

verrett4.1292194164.jpgmais elle fut surtout à jamais inoubliable dans celle de Milan, avec Strehler et Abbado avec cette cape à traîne qui se croisait avec la cape de Macbeth-Cappuccilli au premier acte ou qui traçait son parcours dans la scène de la folie, images gravées pour la vie dans notre mémoire de spectateur. Mezzosoprano aux moyens de soprano, elle osa aussi Desdemona ou même Norma après avoir été une grandissime Adalgisa. Mais elle fut toujours moins convaincante dans certains rôles de soprano (Norma) que dans les rôles de mezzo où elle fut  irremplaçable.

verrett3.1292194156.jpgElle frappait le spectateur, qui ne la quittait pas des yeux, par son port altier et sa stupéfiante beauté. Son Alceste était à ce titre anthologique, tout comme sa Lady Macbeth. Elle revint à Paris pour inaugurer Bastille dans les Troyens de Pizzi où elle fut Didon, à jamais, face à une Bumbry tout aussi mythique.
Ainsi s’éteint un mezzosoprano qui porta le chant verdien à son sommet. Jamais remplacée depuis qu’elle quitta la scène.

PETER HOFMANN 

peterhofmann.1292194769.jpgPeter Hoffmann aussi nous a quittés, à 66 ans seulement, emporté par une maladie de Parkinson qui l’attaqua très tôt. Il restera pour moi à jamais le Siegmund de rêve de la mise en scène de Chéreau: jeune, frais, un enfant perdu au milieu de méchants, image qui frappa tous les spectateurs de ce sommet qu’était le premier acte de la Walkyrie.

ringboulez.1292194631.jpgAvec Gwyneth Jones (Walkyrie, Chéreau, Acte II)

Il fut aussi Siegmund à Paris avec Solti dans la mise en scène de Grüber. A Paris on le vit aussi dans le 3ème acte de Parsifal avec Karajan, tout comme à Bayreuth avec Levine et Rysanek puis la jeune Waltraud Meier dans la mise en scène de Götz Friedrich. Il était la star des ténors wagnériens des années 80, notamment à Bayreuth où il fit aussi

peterhofmann3.1292194580.jpgLohengrin et où il aborda Tristan avec Barenboim dans la belle mise en scène de Ponnelle.

A la fin de la décennie, je l’entendis à Bayreuth dans un Tristan pour la dernière fois, avec une phénoménale Catarina Ligendza, artiste injustement oubliée aujourd’hui, qui fut l’une des grandes Isolde de la fin du XXème siècle. Déjà atteint par la maladie, il marqua plus qu’il ne chanta le dernier acte, ce fut la dernière fois je l’entendis .
Sa stature, son physique de Dieu pangermanique, ses cheveux très blonds, son aspect héroïque, tout le prédestinait à chanter les grands ténors wagnériens. Seule la voix est toujours restée en deçà, dans Siegmund comme dans Tristan. C’était un bon Parsifal, un bon Lohengrin, mais il ne fut jamais un chanteur de légende, bien qu’il eût dans les années 80 une notoriété internationale absolument exceptionnelle. Il fut le ténor wagnérien de Karajan avec qui il fit Pasifal, Lohengrin, mais aussi Erik du Vaisseau Fantôme, il fut le ténor vedette de Bayreuth à un moment où le chant wagnérien peinait à trouver ses stars. Il accompagna lui aussi mon parcours et je le vis souvent sur les scènes, mais assez rarement à Paris.

Il était au départ chanteur de rock, il finit chanteur de musical (Le fantôme de l’Opéra) avant d’être terrassé définitivement par la maladie et de finir dans le besoin. Triste destin d’un chanteur qui fut à un moment de l’histoire de l’Opéra incontournable dans toute distribution wagnérienne.