CULTURE ET KLEENEX

Dans toute l’Europe, sauf dans quelques états (Russie, Espagne, Pologne, Monaco) les salles sont fermées au public, suscitant les protestations des artistes (il y a peu de jours, Petrenko, Barenboim et tous les chefs des orchestres de Berlin ont demandé à Angela Merkel la réouverture des salles de concerts, démarche unique dans les annales, et à Paris des manifestants occupent en ce moment le théâtre de l’Odéon pour demander la prolongation de « l’année blanche » pour les intermittents, et des négociations sur les conditions de réouverture des lieux culturels – démarche symbolique depuis l’occupation de 1968).

Sans interférer sur les politiques des autres pays, la raison invoquée partout est le risque sanitaire. Un risque sanitaire partagé et donc qui bannit toute réunion notamment dans des espaces fermés. Argument apparemment imparable.
On pouvait comprendre l’impératif du principe de précaution au départ, en mars 2020… En mars 2021, on affiche un prin cipe de précaution peut-être un peu plus politique…
Et pourtant, des études (menées en Allemagne) ont montré qu’il n’y a pas ou peu de contamination dans les lieux de spectacle et qu’il n’y a pas eu de clusters.
Même sans études, s’il y avait eu des clusters dans les salles, le gouvernement aurait tôt fait d’agiter le chiffon (ou le masque) rouge pour le signaler et ainsi justifier la fermeture. On n’a rien entendu.
D’ailleurs, les autorités françaises ont été finalement assez évasives sur la question des raisons sanitaires précises de la fermeture alors que les salles avaient opté pour des protocoles stricts et une jauge réduite.
Plus généralement, le discours gouvernemental à l’égard du monde de la culture a d’abord été inexistant, puis flou, puis franchement ridicule : on se souvient de la désastreuse et risible conférence de presse d’Emmanuel Macron, en bras de chemise avec Franck Riester prenant des notes à ses côtés. On a bien vite compris que le ministre n’avait pas de message à transmettre. Passez votre chemin, rien à voir.
En revanche, il faut reconnaître (et les thuriféraires nombreux ne s’en privent pas) que lorsqu’on n’a pas d’idée, on a du pétrole. Les professions artistiques ont été largement soutenues par l’État pour qu’elles survivent. En France, les musiciens et les artistes sont en général plus protégés socialement qu’ailleurs (en Italie ou au Royaume-Uni par exemple). Ce n’est que justice, mais arroser les artistes d’argent public, c’est aussi (espérer) contribuer à les faire taire.

Si le soutien aux professions artistiques est le bienvenu, et évidemment indispensable, il reste que le monde du spectacle vivant ne peut vivre dans le vide des salles et à l’atonie étatique ne peut répondre une atonie artistique. D’où des initiatives de plus en plus nombreuses et des réponses en termes de productions en streaming, en concerts sans public, en maintien autant que possible les programmes prévus. Ce qui fait dire à la parole officielle que “le spectacle vivant vit”.

On dira que le monde de l’art et de la culture est par définition, contestataire et peu en cour dans les allées des pouvoirs (sauf quelques artistes “officiels” qui sont de tous les régimes et dans toute l’histoire) et donc qu’il est presque logique que l’État s’en moque.
Ce n’est pas notre avis.
La fermeture qui frappe le monde artistique n’est pas un geste anti-monde du spectacle ni un geste de protection sanitaire des publics. C’est un simple geste d’affichage politique. Exclusivement.

Et la nomination de Roselyne Bachelot au ministère de la Culture, sincèrement engagée est évidemment part de cette stratégie de communication.
La ministre fait ce qu’elle peut pour être présente, pour montrer combien on essaie de trouver des solutions et porter à chacun les Kleenex qu’on consomme en commun.
Ainsi des fameux “concerts-tests” dont on parle tant destinés à faire patienter et faire voir le bout du tunnel ou le laisser espérer. Même si les salles de musique d’aujourd’hui et les Festivals pop sont interpellés par l’absence de sièges, et la difficulté à respecter dans ces conditions les gestes barrières et la distanciation physique. Mais l’essentiel est ailleurs.
Et pourquoi la fermeture n’a-t-elle rien à voir avec des raisons sanitaires aujourd’hui ?
C’est assez simple: si vous laissez ouverts cinémas, théâtres, opéras, musées et magasins, même jusqu’à 18h, si les écoles fonctionnent grâce à Saint Blanquer, et que les gens travaillent en télétravail ou au bureau, comment les français verront-ils la différence avec une période “ordinaire” ? Où et comment sera “affiché” le danger de la pandémie ?

Si tout est ouvert même avec quelques restrictions, il n’y aura plus rien à afficher “politiquement” pour le montrer, et donc qu’il faut se préserver et faire attention, parce qu’on est en danger. Comment le rôle protecteur de l’État pourrait-il s’afficher dans ces conditions ?
Les écoles fermées avaient été le symbole du premier confinement et leur réouverture l’indice d’un retour à la normalité. Aujourd’hui, il ne reste plus que les salles de spectacles et lieux culturels (et les lieux de sport) comme indice d’un régime d’exception, avec son cortège de larmes de crocodiles et d’assistance à monde du spectacle en danger.
Ainsi donc, le monde culturel (et sportif) fermé est le meilleur indice pour montrer que les choses sont graves. Indépendamment de l’aspect sanitaire (sur lequel en l’espèce personne ne répond dans les hautes sphères). Il faut des symboles, et cette fermeture est symbolique.
Que pèse un théâtre et un opéra face à des usines arrêtées, des centres commerciaux fermés, ou des écoles (qui, en dépit de ce que dit Saint Blanquer dont le souci est une com très millimétrée, sont des lieux de circulation du virus bien plus risqués que les salles de spectacle) ? Il pèse son poids symbolique, c’est tout.
Il en est exactement de même pour le sport et l’arrivée de Blanquer maître en com et maître dans l’art de dissimuler ses échecs, au sport (il est Ministre de l’Éducation Nationale, de la Jeunesse et des Sports) est un indice concordant, avec pour ce domaine une situation qui concerne encore plus de monde.

Pour signaler que le monde est en danger, que le virus rode (et c’est effectivement le cas, qui le nierait ? qui le sous-estimerait ?) les lieux culturels et les salles de spectacles en soi non dangereux sont proposés comme victimes à plaindre ou boucs émissaires (c’est selon) parce que sinon il n’y a plus d’institutions victimes de la pandémie à pleurer puisque les librairies et disquaires sont devenus “essentiels” et sont ouverts désormais. Et le tour est joué.

Ainsi donc, les concerts-tests sont des paillettes aveuglantes pour montrer que l’État se préoccupe de la chose, mais en réalité il ne peut pour l’instant toucher  au spectacle ni au sport. Il met d’ailleurs en scène tout indice de contamination (voir le Rugby et l’équipe de France). Bien mieux, le Président de la république vient d’indiquer cinq ou six semaines à souffrir, et donc après on envisagera le retour à la vie normale… Comme par hasard les deux concerts-tests ont lieu dans trois ou quatre semaines, le temps d’étudier les données (trois semaines? ) et on affichera  que tout va bien et qu’on peut partiellement rouvrir (alors qu’en réalité on arrivera à la période où toute l’Europe, concerts-tests ou non, envisage de rouvrir pour préserver les festivals d’été et montrer les effets de la vaccination. Car avril-mai est l’objectif partagé.

On le sait, l’objectif de la communication politique est d’abord l’affichage avant l’action (ou l’inaction) réelle (il suffit de suivre les déclarations successives de Blanquer sur les tests salivaires pour comprendre le ballet des nez qui s’allongent) .
Il y a fort à parier que les salles et les lieux culturels ouvriront autour de fin avril début mai, si la danse des variants est en repos et si la danse des vaccins lui a succédé et surtout si la situation est à peu près homogène en Europe pour ne pas apparaître comme le mouton noir. Mais une certitude, la culture est une variable d’ajustement de la com gouvernementale, qui n’en a jamais fait un enjeu sinon verbal. Roselyne Bachelot est la missi macronici d’un gouvernement qui la laisse en rase campagne avec ses valises de Kleenex. Et c’est tout ce que le gouvernement demande : un cautère sur une jambe de bois.

PS du 12 mars: Dans le prolongement de ce post, j’invite les lecteurs à lire ou écouter le billet de François Morel avec Ariane Ascaride sur France Inter du 12 mars 2021 dont le titre est “L’impromptue de l’Odéon” (Cliquer sur le lien)

 

4 réflexions sur « CULTURE ET KLEENEX »

  1. Merci beaucoup, Guy, pour cette analyse.
    Juste une petite phrase à corriger : “La ministre fait ce qu’elle peut être présente” fait ce qu’elle peut POUR être présente.
    Merci de cet éclairage sans esprit polémique, juste clair et net. On en a besoin!

  2. Je ne partage à peu près rien de l’avis que vous exprimez et je suis étonné,venant de vous,que vous ne fassiez pas le rapprochement entre la fermeture des salles en France et ce qui se passe en Europe ou en Grande Bretagne,où les salles sont également fermées, à l’exception notable de l’Espagne qui n’a pas un centime pour indemniser et qui n’avait donc pas d’autre solution que de laisser les spectacles se dérouler.
    Je pense que nous devons concentrer nos efforts pour une réouverture en mai de façon à préserver les festivals,tellement importants culturellement et économiquement.

    1. Mais si, je débute même par les pays qui laissent ouvertes les salles. Je pense que ce raisonnement est à peu près partagé par tous né du principe de précaution légitime au départ, et devenu avec le temps principe d’affichage politique. Qu’on peut approuver ou non d’ailleurs la nécessité d’avoir des fermetures symboliques (plus qu’efficientes), c’est peut-être nécessaire pour la conscience collective. Mais c’est une autre question. En Espagne, à ma connaissance et dans une situation sanitairement difficile, les théâtres n’ont pas été lieux de contamination. Il doit bien y avoir une raison.

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