FESTIVAL d’AIX-EN-PROVENCE 2012: LE NOZZE DI FIGARO de Wolfgang Amadé MOZART le 17 juillet 2012 (Dir.mus : Jérémie RHORER , Ms en scène : Richard BRUNEL)

La troupe salue le 17 juillet 2012

Mozart est le fonds de commerce  du festival d’Aix-en-Provence, né autour de l’interprétation de ses opéras. Cette saison, deux opéras sont affichés au programme : Le nozze di Figaro et La finta giardiniera.  Face à des œuvres aussi représentées que les grands opéras de Mozart, deux voies s’ouvrent pour un festival qui doit être un lieu d’exclusivité : ou bien attirer les foules par chef, orchestre et distribution, l’option la plus festivalière, ou bien créer la surprise et la discussion par des mises en scène échevelées et novatrices, option la plus médiatique.  Rien ne serait plus dommageable que de proposer des productions interchangeables avec celles d’une maison d’opéra. Ce qui est irréductible à un festival, c’est son caractère unique et exclusif. La politique de coproductions est un sérieux accroc dans le concept d’exclusivité, mais les contraintes économiques sont telles qu’on peut difficilement y échapper, sauf à s’appelerBayreuth ou Salzbourg. Du point de vue musical, c’est autre chose, et Aix pourrait viser haut mais ces Nozze ne sont pas vraiment une réussite musicale exemplaire.
Il est difficile de rendre compte d’un spectacle qui n’est pas désagréable, qui a bien des qualités scéniques, quelques éléments musicaux remarquables, mais qui dans l’ensemble est plus un produit à la mode qu’une pierre miliaire de l’interprétation scénique et musicale de Mozart.
La production de Richard Brunel pointe à la fois les fonctions des personnages, juges, hommes de droit et donc installe l’intrigue dans un cabinet d’avocats d’aujourd’hui dirigé par le Comte, qui est entouré de ses collaborateurs dont Figaro et Marcellina, et les relations privée des personnages entre eux, et notamment le couple comte/comtesse en crise. Le cabinet d’avocats est à la fois privé et public (les espaces de bureau, le jardin, les espaces privés de la comtesse). La référence est à la fois Beaumarchais et Mozart, et les relations du livret et de la pièce, mais sans clairement prendre un vrai parti pris: c’est l’un et l’autre qui  servent de base, à ce travail éminemment théâtral, très dense, très précis, très soucieux du suivi de chaque personnage et du jeu. Beaucoup d’accessoires, beaucoup de jeu théâtral: chaque personnage est bien dessiné, aucun n’est vraiment ridicule, les chanteurs jouent avec engagement et il y a de très jolies idées, la manière dont Marcelline rêve de mariage en endossant le voile de Susanna et dont ce voile nuptial devient une sorte de fil rouge dans toute la pièce, le traitement très juste de Chérubin, qui rappelle un peu celui de Marthaler, grâce à l’engagement scénique de Kate Lindsey, la manière dont est mis en scène le monologue de la Comtesse au troisième acte (“Dove sono..”) sur fond de procès, d’attente, de mélancolie, mais aussi d’énergie. Autre très bon point, le traitement de l’espace, modulable, changeant donnant à la fois l’impression d’espaces multiples, de points de vue divers, dedans, dehors, de côté, derrière les portes, d’intime et de public, d’ombre et de lumière.. Chantal Thomas a créé un dispositif d’autant plus impressionnant que chacun connaît les contraintes de l’espace du théâtre de l’archevêché et que les changements à vue se passent dans un silence et une fluidité remarquables.
Le problème vient de ce que ces excellentes idées et cet excellent travail théâtral, aux accessoires (trop?) nombreux (et on sait que la pièce de Beaumarchais tourne autour des accessoires, et même si le fameux fauteuil du premier acte est ici un lit clip-clap), aux repères multiples et à la limite trop touffus, se trouvent être au service d’une relative pauvreté conceptuelle. La lecture du programme de salle “éclaire” sans vraiment convaincre, et ne montre pas que la transposition effectuée entre le monde d’Aguas Frescas et le cabinet d’avocats dominé par la libido exacerbée du Maître des lieux, est pertinente. Tout au long de la représentation, je me suis dit que si l’on avait gardé la référence à l’époque de la pièce, avec des costumes XVIIIème, avec la même mobilité du dispositif scénique, cela n’aurait pas changé grand-chose, et aurait peut-être eu un résultat plus convaincant: Brunel refuse la problématique  de classes sociales dans les relations des maîtres et valets qu’il classe dans les clichés sur l’œuvre, et l’aspect pré révolutionnaire, mais l’importance donnée au superbe chien de chasse accompagnant le comte au deuxième acte met tout de même en évidence un signe d’appartenance  à la classe de pouvoir. Strehler avait donné un petit signe tout à fait extraordinaire d’un autre ordre, l’arrivée du comte avec pied de biche et marteau, tenus du bout des doigts comme des objets inhabituels, c’était à la fois plein d’humour, et plein de références…mais c’était Strehler (et Bacquier!). Brunel, en choisissant de placer l’affaire de nos jours, essaie d’atténuer cet aspect de l’œuvre. Au total, on ne voit pas vraiment ce qui est souligné par le point de vue de la mise en scène, qui devient un très joli exercice de haute voltige théâtrale, très réussi, au service d’une conception mal défendue et mal définie: le résultat, c’est un produit superficiel, à la mode qu’on définit (les spectateurs autour de moi) comme mise en scène “moderne”, mais j’ai du mal à voir de la modernité là-dedans, ni même du concept: on sort de là en n’ayant rien appris de plus sur l’œuvre. Cette production mise en perspective avec les productions des dernières années ailleurs laisse sur sa faim (Claus Guth à Salzbourg, Marthaler à Salzbourg aussi, puis à Paris  malgré les imbécillités lues sur cette production par les détracteurs, et évidemment  plus loin dans le temps, Strehler et sa lecture toujours actuelle, qui mélange idéologie, individu, poésie, comme une source inépuisable de trouvailles.
Ainsi une nette déception devant un travail témoignant d’éminentes qualités  utilisées  au service d’une conception assez légère pour mon goût. Il faut remonter à Tcherniakov et à son Don Giovanni pour trouver dans Mozart à Aix une entreprise scénique qui ait du poids et du sens.
La question musicale est pour moi autrement plus délicate, car c’est elle qui marque tout de même le caractère d’un Festival de musique comme Aix, plus que la question scénique. Je ne discute pas le choix de Jérémie Rhorer, jeune chef à succès dans la France mélomane d’aujourd’hui, qui dirige des Nozze pleine d’animation, de vie, des Nozze qui courent et qui sautent, mais qui dirige un orchestre qu’on n’arrive pas à entendre vraiment (au moins du parterre…). Est-ce dû au plein air? Je ne peux répondre car c’est la première fois que je remarque à ce point que les différents niveaux d’instruments s’entendent mal, qu’on ne perçoit pas la partition en épaisseur, que les pupitres sont difficilement audibles individuellement. En plus, la sonorité très mate des instruments ne sert pas le relief. Le son “baroque” sert-il cette partition archi-connue? On peut évidemment dire que l’expérience de ce son-là pour cette œuvre-là est à vivre, est à connaître. Mais on peut préférer, comme c’est mon cas, l’épaisseur orchestrale de l’interprétation traditionnelle. Sans doute le fait d’avoir entendu là-dedans à la scène Solti, Karajan, Abbado, Muti, Sawallisch peut-il pervertir l’écoute, sans doute aussi le fait d’avoir entendu pendant mon trajet vers Aix en voiture les Nozze d’Erich kleiber, avec Siepi, Della Casa, Gueden, Danco m’a-t-il empêché d’écouter pleinement Szot, Ketelsen, Byström et Petibon. Eh oui, j’avais en tête la diction impeccable, le rythme, la poésie mais aussi l’énergie de la distribution au disque et le son de l’orchestre, même mono, où l’on entendait chaque instrument. Avoir écouté peu avant Kleiber père  motive-t-elle la lourde déception de la distribution, notamment en ce qui concerne le Conte et la Contessa?
Paulo Szot n’a pas un vilain timbre, mais il est vocalement à peu près inexistant, aigus difficiles, agilités moyennement assurées, volume limité. Son monologue « Hai gia vinto la causa » est d’une grande platitude, modeste pour tout dire, même si en tant qu’acteur il a une bonne présence scénique, mais si à l’acteur correspond un chanteur qui n’est pas la hauteur du défi, on se retrouve quand même à des Nozze sans Conte.

Malin Byström, Patricia Petibon et Kate Lindsey©Pascal Gely/ CDDS Enguerrand

La Contessa de Malin Byström n’a pas tout à fait le même problème. Sa grossesse sert la mise en scène et le projet de Brunel. Sa présence musicale est assurée par une voix relativement bien posée, d’une jolie qualité, d’un volume marqué, mais l’italien est peu compréhensible, et surtout, cette artiste s’avère incapable de colorer sa voix, de varier le ton, d’interpréter en somme le texte. La platitude naît non des défauts de voix, mais d’un défaut notable dans l’interprétation. Dans « Dove sono » par exemple, tout est linéaire, on est incapable de lire l’amertume, la nostalgie, la déception car tout est dit de manière monotone, les reprises se font sur le même mode comme copie d’une phrase musicale sur l’autre, on oubliera cette Contessa.
L’autre couple Figaro/Susanna est bien plus présent scéniquement et vocalement que celui des patrons : Le Figaro de Kyle Ketelsen est vif, alerte avec une voix sonore (qui tranche vraiment avec celle du Conte) pleine de relief, et qui essaie quant à lui de moduler. Jolie interprétation, beau personnage, doué d’une belle diction (on comprend au moins les récitatifs !).

Patricia Petibon© Jean-Louis Fernandez

Patricia Petibon, star de la soirée paraît-il, compose une Susanna plus délurée que d’habitude, on n’est plus dans un gentil marivaudage, mais bien dans les romans libertins de l’époque. Le personnage est piquant, voire un peu vulgaire, mais sait aussi donner une image plus poétique au IVème acte. Musicalement, la voix a du volume et de la présence et l’air « Deh vieni non tardar » est un des beaux moments de la soirée (un des rares airs applaudis par le public).
Le Cherubino de Kate Lindsey est d’abord un vrai personnage, un ado qui ferait oublier le travestissement, et un personnage qui sait chanter et qui séduit le public dans « Non so piu’ » et surtout dans « Voi che sapete » chantés avec une grande justesse de ton, c’est sans doute là l’un des sommets de la distribution.
Les autres personnages voient leurs airs coupés : ainsi du Basile de John Graham-Hall, qui fut à la Scala un grand Peter Grimes, et qui n’arrive pas à vraiment s’imposer dans cette distribution, son air « in quegli anni » est coupé et Marcellina ne chante pas non plus « Il capro e la capretta ». C’est dommage car Anna-Maria Panzarella compose un personnage efficace et plein de relief. Mieux vaut oublier le Bartolo de Mario Luperi, voix vieillie qui ne se sort pas du tout, mais pas du tout de l’air du 1er acte « La vendetta » qui est normalement un morceau de bravoure et qui passe difficilement, avec des fautes de tempo, des paroles sautées, pas d’aigus et un suivi douteux de l’orchestre. En revanche assez jolie Barbarina de Mari Eriksmoen et Antonio sonore de René Schirrer. Ainsi donc au total nous n’y sommes pas musicalement, car la distribution est trop inégale et ne répond pas aux exigences d’un festival.
Comme on le voit,  la déception est marquée. On oubliera assez vite ces Nozze qui ne correspondent pas vraiment à ce qu’on attendrait du « Salzbourg français ».

© Jean-Louis Fernandez

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  1. Je ne suis pas d’accord avec vos commentaires au sujet de M. Szot.
    Pour moi, le fantastique Paulo Szot a été le star.
    Belle et ample voix avec une compréhension du personnage touchant singulier.
    Vous doit être sourd…..

  2. D’accord avec votre analyse. La mise en scène de Richard Brunel est intéressante mais reste un peu “théorique”. Dans l’acte I, notamment, l’espace de la chambre de Figaro et Suzanne ne fonctionne pas du tout, je trouve : ce clic-clac et ce lavabo ne prennent guère sens, aux côtés de l’open-space du cabinet d’avocat. La scénographie est plus efficace ensuite mais le parti pris de moderniser est en effet un peu oublié. On a par exemple l’impression dans l’acte II que la chambre de la comtesse (meubles, costumes) nous renvoie à l’époque de Beaumarchais et de Mozart, plutôt qu’à la nôtre. La mise en scène n’aurait probablement rien perdu à rester dans cette époque.
    Côté chant, je partage votre déception pour le Comte et la Comtesse qui ne dégagent pas grand-chose et pour Bartholo bien approximatif. Hier, lundi 23, c’est Chérubin qui a remporté le plus d’applaudissements et c’est bien mérité. Figaro et Suzanne sont très bien. La jeune Mari Eriksmoen étant souffrante, elle a été remplacée au pied levé par Lucy Hall qui s’en est très bien sortie et qui a été très applaudie.
    C’est donc une soirée agréable mais peu émouvante. J’ai eu l’impression d’un spectacle qui manquait de chair et de sensualité et qui s’adressait plus à l’esprit. C’était néanmoins une belle expérience pour moi que de découvrir ce lieu pour la première fois. J’ai même eu le plaisir d’apercevoir Patrice Chéreau parmi les spectateurs !

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