MARISS JANSONS dirige la Symphonie n°2 de Mahler (Résurrection) au Barbican Centre de Londres (13 décembre 2009)

 

J’ai longtemps considéré la Symphonie n°2 (Résurrection) dirigée par Bernstein (la première version avec NewYork surtout) comme l’absolue référence. Puis vint en 2003, l’incroyable interprétation d’Abbado à Lucerne (il y en a un CD et un DVD), notamment lors de la répétition générale, qui nous avait tous assommés. Je me souviens de mon voisin (il y avait deux cents personnes en salle) qui ne cessait de murmurer “toll, toll” (en allemand, extra, formidable, génial!) les larmes aux yeux. Un miracle de ce type n’est plus jamais revenu, et j’ai attendu six ans pour réécouter en concert une Symphonie “Résurrection” (Dudamel, à Lucerne). Cette saison, Abbado y revient cette saison lors de son concert de retour à la Scala de Milan: l’attente est immense comme on le sait. Alors, j’ai voulu entendre ce que Mariss Jansons en faisait, lui qui est avec Boulez le chef que j’admire le plus après Abbado aujourd’hui. C’est ce qui a justifié une petite virée londonienne, toujours agréable par ailleurs, puisque je ne pouvais être à Pleyel le 17 décembre; c’était d’ailleurs moins cher à Londres, bien moins cher même, avec un prix maximum de 55£ (110€ à Paris: on ne commentera pas…).

Ce que l’on peut dire d’emblée c’est que ce concert à lui seul valait le voyage. D’abord parce qu’on reste frappé par la perfection technique de l’orchestre, à qui il est beaucoup demandé: la présence en coulisse d’un grand nombre de pupitres, notamment des vents, construit un système d’écho coulisses/salle qui amène le public à se concentrer d’une manière inhabituelle sur ces parties de l’œuvre qui du fait même  des musiciens jouant en coulisse, renforce l’attention et fait découvrir des éléments qu’on n’avait pas forcément remarqués (notamment des phrases à la limite de l’atonalité) et rend tellement forte la célèbre phrase de Wagner dans ParsifalZum Raumwird hier dieZeit“. C’est justement l’espace sonore qui se démultiplie dans une constante perfection et impose au déroulé de la symphonie une nouvelle couleur. Jansons construit avec une rigueur implacable l’architecture du texte: il isole par une pause très longue le premier mouvement (que Mahler avait d’abord appelé “Totenfeier“-cérémonie funèbre-) du reste de l’œuvre comme si ce premier mouvement, à lui seul autonome, construisait un socle, et que le reste était le parcours vers la lumière et la Résurrection. Dès le début, l’atmosphère est tendue: Jansons retient le son jusqu’à la limite du possible et de l’audible. Ainsi les fortissimi n’apparaissent qu’en contraste avec les sons à peine effleurés, pas de fioritures, des sons nets, souvent cassants, puis un développement mélodique d’une lenteur inattendue (1h35),  qui met le spectateur en tension permanente lui aussi et qui crée les conditions d’une intense émotion. On ne cesserait de trouver des perfections nouvelles, le dialogue du premier violon et de la flûte, tous les bois et les cordes  époustouflants, les harpes toujours mises en valeur, tout cela rend chaque phrase musicale  isolée et chargée de sens et en même temps en permanente écho avec le reste dans une solution de continuité d’une rare homogénéité. Le second mouvement est absolument magique, même si les fameux pizzicati étaient encore plus éthérés et suspendus chez Abbado; il est vrai aussi qu’Abbado a une conception plus aérienne de la symphonie, alors que la vision de Jansons est, au départ au moins, pleinement chthonienne, pour s’élever peu à peu vers l’Ether. Ainsi pourrait-on s’étonner du contrôle qu’il exerce sur chaque pupitre, de cette machine à la fois parfaitement huilée, qui pourrait être un peu mécaniste, qui dès le départ a un sens, une âme, un souffle, parce qu’on sent une intime liaison entre chaque musicien et son chef et l’on ne fait pas simplement des notes, mais on fait ensemble de la musique. Cette vision est animée de bout en bout et conduit le spectateur qui est de plus en plus tendu avec une force inattendue et surprenante vers un final à couper le souffle: les trente dernières minutes créent une tension insupportable à cause de la rétention permanente du son, dans une vision majestueuse et grandiose que renforcent les interventions des deux solistes, BernardaFink et RicardaMerbeth: BernardaFink est magnifique, la voix a une grande étendue, une grande pureté, et son intervention dès “Urlicht” accentue la couleur de l’attente grave de la dernière partie de l’œuvre. RicardaMerbeth reste un peu moins expressive, mais son intervention finale reste spectaculaire. Le LondonSymphony Chorus quant à lui est un bon chœur qui intervient de manière correcte, sans plus, et qui marque une distance avec l’incroyable orchestre que nous entendons, dans une salle  à l’acoustique malheureusement  trop sèche, comme je le remarquais hier, qui aujourd’hui gêne encore plus et empêche l’expansion de cette musique céleste.

Au total, une attente récompensée au delà de nos espérances. Certes on sait combien le répertoire mahlérien est dans les gènes du Concertgebouw depuis  Mengelberg (et poursuivi par tous les chefs qui le dirigèrent), mais nous avons eu là, au-delà de la démonstration technique qui confirme à mon avis la toute première place de cet orchestre dans le panthéon mondial, un moment musical d’exception, un des plus grands concerts qui nous ait été donné d’entendre, sur des présupposés opposés à ceux d’Abbado, mais avec un résultat bien proche en terme d’émotion. Sans doute pour moi l’exécution d’Abbado en 2003 à Lucerne reste la référence miraculeuse et sans doute un peu magique, mais ce 13 décembre au Barbican Centre, grâce à Mariss Jansons et à l’orchestre du Concertgebouw, le public (debout, en délire)  a vécu un de ces moments pour lesquels il vaut la peine de vivre.

2 réflexions sur « MARISS JANSONS dirige la Symphonie n°2 de Mahler (Résurrection) au Barbican Centre de Londres (13 décembre 2009) »

  1. Ce concert était fantastique en effet, et l’orchestre époustouflant … mais savez-vous quel était le deuxième bis donné ? Nous avons reconnu facilement le premier, la danse hongroise n° 1 de Brahms … mais le second ?

    Merci d’avance

  2. Il est terrible, le public ! Encore, encore !!
    Après cette Résurrection fantastique, quel besoin d’ajouter autre chose, qui détruit l’envoutement; Je n’ai pas voulu entendre !

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