OPÉRA DE LYON 2009-2010: FESTIVAL POUCHKINE -MAZEPPA de P.I.TCHAIKOVSKI 6 mai 2010 (Dir.mus:Kirill PETRENKO avec Anatoli KOTSCHERGA, Nikolaï PUTILIN, Olga GURYAKOVA, Mariana TARASOVA)

060520101968.1273313575.jpgDes dizaines et des dizaines de jeunes, partout dans le théâtre, des fauteuils d’orchestre au poulailler, ils circulent, s’interpellent avant le spectacle, se prennent en photo, et puis font silence dès les premières notes: grâce à la très belle initiative de la Région Rhône-Alpes “Lycéens et apprentis à l’Opéra”, des dizaines de lycées chaque année fréquentent les opéras régionaux ou les grandes salles dédiées à la danse, financés, transportés,  mais aussi préparés aux spectacles. Cette initiative fait de l’Opéra de Lyon la salle la plus ouverte aux jeunes que je connaisse. Cette soirée n’a pas manqué à la règle: c’est le plus gros effort en France en direction de l’Opéra pour que les jeunes puissent pénétrer ce monde qu’ils fréquentent peu.
Et ils ont de la chance en ce moment, ces jeunes de Rhône-Alpes: car l’Opéra de Lyon propose une programmation de haut niveau, qui renoue avec la qualité grâce à la politique de Serge Dorny. En ce mois de mai, les trois opéras de Tchaïkovski, Mazeppa, Eugène Onéguine, La Dame de Pique, sont repris en un “Festival Pouchkine”, fléché dans toute la ville de Lyon, avec la couleur cohérente de trois mises en scènes de Peter Stein, et la garantie de qualité musicale scellée par la présence de Kirill Petrenko au pupitre, et de distributions très homogènes et c’est le cas ce soir, d’un niveau exceptionnel.

060520101967.1273313456.jpgOn connaît peu Kirill Petrenko en France. Ce chef de 37 ans a été directeur musical à Meiningen, théâtre historique de la Thuringe, puis au Komische Oper de Berlin, et en 2013, il dirigera, eh oui, le Ring du bicentenaire de Wagner au Festival de Bayreuth. A chaque fois que je l’ai entendu diriger, ce fut un moment de grâce, dernier en date, l’an dernier, Jenufa à l’Opéra de Munich. Et cette fois-ci de nouveau, on constate la technique, la mise en place parfaite, la dynamique au service de l’action, l’excellente préparation de l’orchestre et une manière toute particulière et séduisante de faire sonner Tchaïkovski, dans une salle malheureusement ingrate pour l’acoustique orchestrale, très sèche, sans aucune réverbération, sans respiration, ce qui pour une oeuvre aussi épique, constitue sans aucun doute une gêne . Je pense que c’est une erreur que d’avoir construit une salle (de Jean Nouvel, rappelons-le) trop petite. C’était sans compter sur l’augmentation régulière des publics.
Petrenko, un nom à retenir, courez l’écouter.

Peter Stein a construit ses trois mises en scène sur des partis pris de fidélité à l’histoire, sans vrai recul, dans des décors de son complice habituel Ferdinand Wögerbauer . Des trois La Dame de Pique m’est apparue de loin la plus décevante , Eugène Onéguine est mieux construit par sa vision d’une société étriquée, vaguement tchékhovienne, mais pour mon goût, c’est Mazeppa la meilleure des trois productions:  un  parti pris qui laisse sa place à l’épopée, mais qui tient compte d’un rapport scène-salle de proximité, et ménage donc aussi des moments d’intimité, avec de très belles images (la bataille de Poltava au troisième acte notamment), et une couleur d’ensemble qui ne manque pas de poésie ( la scène finale est très réussie), avec un traitement pittoresque des costumes et des tapis au premier acte – monde idéal et rêvé d’une Russie d’opérette- qui est lourd d’ironie lorsque l’on considère la suite de l’histoire. Certes, rien de révolutionnaire, il y a longtemps que Peter Stein ne provoque plus de prurit chez le public, mais un spectacle prenant, un parti pris de simplicité et de relatif dépouillement, et une ligne dramatique bien dessinée. J’avais vu ses trois  productions ces dernières années, mais c’est Mazeppa que j’ai voulu revoir, avec une distribution partiellement renouvelée (Nikolaï Putilin en Mazeppa, succédant à Wojtek Drabowicz, disparu en 2007, et Olga Guryakova en Marie succédant à Anna Samuil).

L’ensemble de la distribution réunie n’appelle aucun commentaire négatif. Certes, la voix de Anatoli Kotscherga a vieilli et se montre moins sonore que par le passé (il fut le Boris et le Khovantski d’Abbado), mais elle convient bien au rôle et reste intense, avec une diction absolument impeccable, et l’interprétation est vraiment souveraine. Un très grand Kotchubeï . De même le Mazeppa de Putilin, à la belle voix de baryton, lui aussi doué d’une diction exemplaire, et d’une clarté dans l’émission et d’un timbre séduisant. Il arrive à rendre palpable l’ambiguité du personnage, à la fois un méchant éperdu de pouvoir, mais en même temps un amoureux déchiré entre son ambition et son amour. L’Andreï du ténor ukrainien Misha Didyk réussit lui aussi à rendre  le personnage intense, malgré quelques hésitations au début: il semble avoir plus de difficultés dans le lyrisme, la voix manque de ce velours nécessaire; tout le duo inital avec Marie en effet n’est pas vraiment convaincant. Mais la voix est solide, bien posée, puissante; ce rôle, notamment dans ses parties plus dramatiques lui convient manifestement mieux que celui de Des Grieux, dans ce même théâtre en janvier/février dernier, où il n’était pas vraiment à sa place.

Les deux femmes sont tout à fait convaincantes, la Lioubov de Mariana Tarasova est intense, juste, la voix est puissante, sans aucun problème technique, le timbre est séduisant et le duo avec Marie du second acte est un des sommets de la soirée.La Marie d’Olga Guryakova, est elle aussi vraiment excellente, même si l’on pourrait quelquefois espérer une voix plus modulée dans les parties plus lyriques (on aimerait entendre quelquefois des “piani”): voilà une chanteuse qui est appelée par les plus grands théâtres pour des rôles italiens, elle en a la puissance et l’abattage, il n’est pas sûr qu’elle en ait toujours la subtilité. Mais c’est une vraie voix dramatique, elle aussi intense: l’air final est vraiment bouleversant.

060520101969.1273313632.jpgAu total, voilà un spectacle bien construit, musicalement impeccable ou à peu près, séduisant pour le public qui fait un triomphe à toute la compagnie, et en particulier à Anatoli Kotscherga et au chef. L’initiative de ce Festival est donc une réussite et l’Opéra de Lyon montre une fois de plus l’excellence de ses choix, fondée sur une politique artistique assise sur des artistes de qualité, sur des fidélités, et sur une grande cohérence des choix de répertoire.

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