METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2011-2012 sur grand écran le 10 décembre 2011: FAUST de Ch.GOUNOD (Dir: Yannick Nezet-Séguin, Ms en scène: Des McANUFF avec Jonas KAUFMANN)

Après le Faust pour le moins discuté de l’Opéra de Paris, le MET propose cette saison un Faust dirigé en distribution A par Yannick Nézet-Séguin (en distribution B ce sera Alain Altinoglu) avec Jonas Kaufmann (en B Roberto Alagna, en C Joseph Calleja ), René Pape, Marina Poplavskaia. La production est celle de l’américano-canadien Des McAnuff, en coproduction avec l’ENO (English National Opera) de Londres où elle a été présentée en ouverture de saison 2010 avec Toby Spence, ce qui ne devait pas être mal non plus. Des Mc Anuff, actuellement directeur du Stratford Shakespearean Festival of Canada,    qui a reçu de nombreux prix dans sa carrière, est considéré comme un très bon metteur en scène de Musical, ce qui n’est pas dégradant dans le monde anglo-saxon.
Sa production du Faust est loin d’être indigne sans être convaincante: prenant le mythe de Faust dans son aspect métaphysique, il fait de Faust un savant qui renonce à la science après Hiroshima et Nagasaki, tout comme le fit Jacob Bronowski en 1945. Le rideau se lève sur une vision d’Hiroshima et un laboratoire qui pourrait être celui d’un scientifique des années 1940, mais très vite, le Faust de Gounod et ses désirs bien terrestres reviennent en force, et ce n’est qu’à la fin, après l’apothéose de Marguerite, qu’on revoit le laboratoire, le Faust vieilli du début terminer le verre de poison et s’écrouler, mort. Ou bien Satan l’a laissé remonter des enfers, ou bien tout cela n’était qu’un fantasme de vieillard ravagé par le doute et les regrets. Est-ce utile? Pas vraiment, on n’en apprend pas plus. Intéressant seulement l’idée qu’on est en 1945, et qu’on revient en 1914, à la vieille de la première guerre mondiale quand Faust redevient jeune: McAnuff situe très précisément l’intrigue, qu’il inscrit dans l’histoire et donne ainsi une logique à son approche.
Entre les deux, Des McAnuff, dans un décor unique et monumental de Robert Brill, propose une vision souvent dramatique, très réaliste du mélodrame de Gounod, avec quelques idées intéressantes et (qu’on espère) ironiques, comme l’entrée de Marguerite au paradis, dont la voie lui est montrée par un majordome qui la salue, ou comme les tremblements qui saisissent Mephisto à la vue d’une croix, ou comme le jeu avec le coffret à bijoux que Dame Marthe essaie de subtiliser, ou même le jeu très poétique des fleurs dans la scène du jardin: le bouquet de Siebel sert pour les échanges des amoureux. Quelques scènes ont une véritable efficacité, la mort de Valentin par exemple, très bien réglée ou même la scène de l’église, où il apparaît clairement que le discours du diable et celui des paroissiens qui sont à la messe sont bien voisins (comme chez Martinoty).
Et puis on reconnaît  des éléments de l’intertexte ordinaire faustien depuis Lavelli, comme l’idée de Faust comme double de Mephisto, ou comme le retour des soldats éclopés et frappés par les horreurs de la guerre (le flash d’une photo provoque une crise hystérique d’un soldat) . Le  paradis est un monde aseptisé en blouse blanche, l’enfer (La nuit de Walpurgis) est le monde des brûlés d’Hiroshima, un monde de monstres construit par les blouses blanches… Au total, un spectacle pas tout à fait convaincant (c’était la Première, il y a eu des huées pour le metteur en scène…), mais qui se tient. On reste perplexe sur le message délivré, car le Faust de Gounod est bien loin de Marlowe….

 

Ce qui fait la force de la soirée, c’est évidemment l’aspect musical, qui laisse hélas loin, très loin derrière ce que nous avons pu entendre à Paris. Nous avons assisté à une performance vocale vraiment exceptionnel grâce à un trio de choc, certes, mais aussi des rôles secondaires parfaitement tenus: malheureusement, ni Dame Marthe (Wendy White)  ni Wagner (Jonathan Beyer), pourtant valeureux ne sont cités dans le cast du site du MET. Le Valentin de Russell Braun, est intense, possède une diction exemplaire comme toute la distribution et une belle puissance: encore un baryton à retenir, et le Siebel de la canadienne Michèle Losier a une présence plus forte que d’habitude, surtout vocalement bien planté, une très belle performance.
J’ai dit être peu sensible au chant de Marina Poplavskaia, vue à Londres dans l’Elisabetta de Don Carlo, et à Salzbourg dans Desdemona de l’Otello de Verdi. Une chanteuse au point mais un peu indifférente, voilà ce que je ressentais. Ce n’est pas du tout le cas de sa Marguerite, très engagée, très incarnée, aux gestes précis et élégants-cette dame a sûrement fait de la danse-, au visage très expressif, et à la voix à la fois lyrique et dramatique de vrai lirico-spinto, enfin une Marguerite qui émeut et qui porte en elle un destin. Magnifique.
Magnifique aussi le Mephisto de René Pape, au chant très contrôlé, très attentif à chaque parole, à la modulation de chaque note, cherchant à contrôler le souffle, alléger le son, chanter piano, un chant sculpté et une voix de bronze, incroyablement puissante, présente. C’est immense, pas d’autre mot, et quelle diction!
Enfin Jonas Kaufmann, dont on ne sait que vanter, comme René Pape, un chant techniquement parfait, contrôlé, modulé, avec un souci du détail dans la manière de dire le texte qui stupéfie. Le contre Ut de son air “Salut demeure chaste et pure” ne sera sans doute pas aussi plein et éclatant que celui de Gedda jadis, mais il est là, avec un diminuendo s’il vous plaît. Et la puissance, et l’intelligence, et le français parfait. Bref c’est le Faust d’aujourd’hui, comme c’est le Werther, et comme ce sera sans doute très vite le Samson.
Devant cette distribution parfaite, chapeau bas car réunir sur un plateau un cast sur lequel rien n’est à redire, sauf l’immense satisfaction et l’envie d’applaudir à tout rompre devant l’écran est suffisamment rare pour être signalé.
Le chœur avait mal commencé, la scène de la kermesse était incompréhensible, et on remarquait des erreurs de rythme et des décalages, puis cela s’est arrangé et les ensembles des derniers actes furent très réussis.
Quant à l’orchestre, Yannick Nézet-Séguin a su accompagner les mouvements scéniques avec beaucoup de précision, et a surtout montré dans les scènes très lyriques (le jardin) un souci de la couleur, du détail, une précision et une clarté de lecture tout à fait exceptionnelles. Une vraie direction, à la fois énergique, variée, claire, qui donne une véritable unité à l’ensemble.
En bref, on filerait bien à New York pour entendre ce Faust en salle ( encore 3 représentations dans ce cast – jusqu’au 20 décembre) .
Il y a avait bien 400 personnes dans la salle de cinéma, la plus grande de ce Multiplex: dans les villes sans opéra, c’est une aubaine, mais n’est-ce pas aussi un danger pour les théâtres d’opéra sans gros moyens que cette concurrence-là, nos édiles n’auront pas trop de scrupule je pense, à préférer les cinémas aux théâtres coûteux à entretenir et coûteux en personnel à rémunérer. Il reste que ce fut un vrai beau moment et que le MET a réussi à fidéliser partout un public, les autres théâtres suivent à grand peine.

5 réflexions sur « METROPOLITAN OPERA NEW YORK 2011-2012 sur grand écran le 10 décembre 2011: FAUST de Ch.GOUNOD (Dir: Yannick Nezet-Séguin, Ms en scène: Des McANUFF avec Jonas KAUFMANN) »

  1. Bien d’accord sur le danger des retransmissions dans les cinémas ! quel dommage de se priver du spectacle vivant quand on habite une grande ville avec un théâtre !

  2. Bonne soirée, qualité du chant très élevée par le trio Kaufmann, Pape, Plovaskaia, ainsi que Losier, et Valentin dont j’ai oublié le Nom (excuses). Par contre un Houououououou pour la mise en scène, ridicule,
    Je découvre votre blog, merci de me tenir au courant G.C.

  3. Une soirée exceptionnelle, le trio de tête m’a presque fait oublier l’enregistrement historique de 64 “Gedda-Los Angelès-Christoff”
    La diction était parfaite pour un trio dont la langue française n’est pas la langue maternelle, l’Ut de la cavatine lancé à pleine voix par Kaufmann est mieux réussi que celui qu’il enregistra sur son premier CD en 2008. Poplavskaia est sans conteste une voix d’avenir, une grace incroyable. Valentin et Siebel furent également admirable. Un très grand moment.
    Cordialement – Christian.

  4. Personnellement, je trouve l’idée interéssante, (mais évidemment tout dépend du programmme) je viens de prendre ma place pour voir le Gala From Berlin en live au CGR d’Angoulème, et comme je n’ai pas les moyens de partir en ce moment c’est une bonne alternative!!
    Le seul hic c’est que c’est diffusé le 31 décembre, mais je voulais pas passer à côté, et finalement la séance débute assez tôt!!
    Je viendrai vous dire ce que j’en ai pensé.

    Emile

Répondre à KOLDER Annuler la réponse

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *