Conegliano, en Vénétie, est une petite ville qui doit sa gloire au peintre Cima da Conegliano, l’un des grands peintres de l’école vénitienne de la Renaissance italienne. Avec son centre historique, ses arcades et son château, Conegliano est une petite ville où il fait bon vivre, dans cette région étonnante, la plus riche d’Europe, où la crise a frappé plus tardivement. Dans l’ancien couvent de San Francesco, du XVIIème siècle, rénové pour en faire un centre d’études et de colloques, s’est déroulé le XXIVème « Concorso internazionale di musica vocale da camera Città di Conegliano » (autrement dit un concours de Lieder et de mélodies) . Il y a peu de concours de Lieder en Italie, et ce domaine particulier du chant devient une sorte de niche très limitée, et peu de jeunes chanteurs l’affrontent. Chanter du Lied est difficile: cela requiert des qualités techniques notables, une excellente diction, un grand contrôle de la voix, une attention au texte marquée. Mais cela demande surtout une capacité, avec les moyens limités, à créer un univers, une atmosphère, sans l’aide d’un orchestre ou d’une mise en scène,seul en scène avec un pianiste, le chanteur doit seul, captiver un public. C’est déjà difficile pour des très grands (certains ne s’y sont donnés qu’à reculons), c’est un défi pour des jeunes débutants.
Et pourtant, une vingtaine de candidats se sont présentés de toutes nationalités, des italiens, des croates, des russes, des coréens, des japonais, des allemands, des suisses. Le concours se déroule en trois moments, des éliminatoires,une demi-finale et une finale. Les épreuves sont publiques. Le jury est composé de directeurs de théâtres ou de musiciens, et de journalistes.
Les éliminatoires servent à sélectionner en priorité les chanteurs qui sont entrés dans la logique du Lied, à charge pour la demi-finale d’éliminer ceux qui n’ont aucune chance de prétendre à un prix. On peut aussi repérer des jeunes qui ont de grandes qualités, mais des défauts techniques notables, ou dont la voix n’est pas encore stabilisée: un mezzosoprano qui chante en soprano, un baryton qui est en réalité sans doute un ténor… La profession de professeur de chant n’est pas réglementée partout et un certain nombre d’enseignants sont des dangers reconnus pour la voix: j’ai connu un jeune ténor, qui sur les conseils de professeurs de chant peu scrupuleux, chantait en tant que basse! Certains de ces massacreurs ont pignon sur rue, hélas. La situation actuellement très critique du chant en Italie est en partie redevable à cette totale anarchie dans l’enseignement vocal.
Des bourses sont prévues pour des jeunes remarqués par le jury qui semblent mériter d’être encouragés par les qualités qu’ils démontrent, même s’ils n’atteignent pas la finale.
En finale, ont été sélectionnés quatre jeunes, dont la qualité est apparue très supérieure aux autres candidats: une jeune japonaise,Tomoko Taguchi, un ténor italien, Alessio Tosi, un baryton croate Marijo Krnic et une basse coréenne, Dooyoung Lee. Chaque artiste a eu un prix: le prix du meilleur duo est allé à l’excellent pianiste Alberto Moro et à la soprano japonaise Tomoko Taguchi, belle voix très ronde, aux aigus triomphants, mais quelquefois un peu extérieure à l’univers du Lied. le troisième prix est allé au coréen Dooyoung Lee qui avait impressionné lors de la demi-finale, mais n’a pas convaincu totalement lors de la finale: la voix est en tout cas bien posée, à la diction excellente, mais l’interprétation reste un peu froide et plate.
Alessio Tosi, ténor plus spécialisé dans l’univers baroque, a fait une excellente impression, très bonne technique, chant très maîtrisé, très joli timbre. Sans doute est-ce le début d’une carrière qu’il faudra suivre (2ème prix).
Le premier prix est allé au jeune baryton croate Marijo Krnic de l’avis du jury sans doute le seul à avoir un vrai style de mélodiste, à savoir dessiner un univers, et à bien moduler son chant. Il a été récompensé l’an dernier par le deuxième prix au concours Seghizzi de Gorizia , l’autre concours de mélodies en Italie. Cette année à Conegliano il obtient le premier prix et l’assurance de concerts à Trevise, Asolo, mais aussi à l’Opéra Théâtre de Saint Etienne puisque Daniel Bizeray, le nouveau directeur était membre du jury. Amis de la région stéphanoise, allez l’écouter pendant la prochaine saison.
Voilà une petite parenthèse au milieu des opéras, mais il est si rare que des jeunes s’engagent dans la mélodie que cela méritait d’être signalé.