BAYREUTH 2013: WIM WENDERS EN ROUTE VERS LE RING

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Wim Wenders et le team de « Pina »
son dernier documentaire, sur Pina Bausch, au Festival de Berlin 2011

Wim Wenders, le réalisateur de l’Ami américain, de Paris Texas, des Ailes du désir, est en discussion avec la direction du festival de Bayreuth pour mettre en scène le Ring du bicentenaire du Festival de Bayreuth en 2013, dirigé par Kirill Petrenko. La direction du Festival médite depuis longtemps de confier à un cinéaste la mise en scène de la Tétralogie. En effet, le Ring précédent, finalement mis en scène par Tankred Dorst, avait été initialement confié à Lars von Trier. On avait aussi parlé de Quentin Tarantino pour le Ring 2013. C’est Wim Wenders qui tient la corde, réalisateur allemand (né à Düsseldorf en 1945), il a connu d’immenses succès dans les années 1980-1990.
Lire de plus amples informations sur le site de Deutsche Welle (en anglais) ou celui du festival de Bayreuth.

C’est incontestablement une bonne idée que d’avoir pensé à Wim Wenders, qui a déjà une expérience de théâtre (au festival de Salzbourg en 1982 avec une pièce de Peter Handke). Son activité de cinéaste à succès s’est un peu ralentie et nul doute que ce défi wagnérien pourrait relancer une carrière en demi-teinte. Il enseigne actuellement à la Hochschule für Bildende Künste de Hambourg (Ecole des Beaux Arts).

OPÉRA-THÉÂTRE de SAINT ÉTIENNE 2010-2011 le 22 FÉVRIER 2011: L’ELISIR D’AMORE de G.DONIZETTI (Dir: Laurent CAMPELLONE, Ms en scène: Richard BRUNEL)

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1988, Scala de Milan. L’Elisir d’amore.
Giuseppe Patanè (très bon chef, injustement critiqué et injustement considéré comme routinier) arrive sur le podium. Il est hué, il se retourne, furieux, passe par dessus la rambarde, demande au hueur de se faire connaître pour faire le coup de poing…
Voilà mon grand souvenir de L’Elisir d’amore. De la mise en scène d’alors (Andrée Ruth Shammah), aucun souvenir qui soit digne d’être raconté, de la distribution (Alida Ferrarini, Vincenzo La Scola, Leo Nucci, Claudio Desderi), rien à dire de bien ni de mal, seul souvenir: mortel ennui.

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2011, Opéra Théâtre de Saint Etienne, l’Elisir d’amore. C’est tout le contraire!
Quel plaisir d’avoir pu être là pour l’un des trois (rares) représentations, quel sourire permanent devant la fraîcheur et la performance de l’ensemble! J’ai peu vu l’Elisir d’amore, œuvre très populaire mais qui m’ennuie  avec son livret un peu faiblard et cette manière traditionnelle de montrer le monde paysan, dans une campagne telle qu’on la voit dans les opérettes, et avec une épaisseur psychologique à peu près nulle.
Et de tous ceux que j’ai vu, même avec des stars, c’est celui-ci que je trouve le plus réussi. J’ai vraiment passé un bon moment, et vu un vrai travail scénique, qui essaie de donner du sens à un livret difficile à sortir de la médiocrité et de l’image d’Epinal. Richard Brunel, qui est en passe de devenir l’un des hommes de théâtre qui comptent en France, propose des pistes séduisantes: un monde paysan d’aujourd’hui, au travail sous les ordres d’une Adina femme de tête et d’autorité, un Nemorino un peu décalé, tendre, au physique maigrelet, déjà dominé par une Adina sûre d’elle et dominatrice. Un Dulcamara dépressif, qui rêve de réussite et qui ne s’éclate que lorsqu’il fait le bonimenteur. Il ouvre l’œuvre, devant le rideau fermé avec un micro,qu’il sort de sa valise à roulette,  comme si il allait entamer une sorte de récit, de rêve face au spectateur; il clôt l’opéra dans les mêmes conditions, seul en scène,à rideau fermé, comme une sorte de clown triste; seul Belcore est conforme à l’image habituelle, un soldat infatué de sa personne, accompagné de sa bande de copains soldats qui en font voir de toutes les couleurs au pauvre Nemorino qui n’en peut mais. Le travail de Brunel fait parfaitement sentir des ressorts psychologiques qui ne sont plus caricaturaux: on y croit à ce jeune un peu naïf, un peu ailleurs, qui se réveille et ne trouve de l’assurance qu’en buvant l’élixir (du Bordeaux)que lui a vendu Dulcamara. On sent bien que le livret (qui vient de Scribe, toujours lui!) est une variation sur le mythe de Tristan, tourné en dérision, mais en même temps la relation amoureuse est bien le centre du propos, mais là  elle n’éclate pas sous l’effet d’un philtre, elle se construit, grâce à un effet placebo et mue par l’assurance toujours plus grande de Nemorino et le désarroi toujours plus net d’Adina: tel est pris qui croyait prendre. On sent tout de même que tout pourrait très vite tourner au drame. L’histoire de Nemorino qui hérite d’un oncle richissime ne vient pas polluer le propos, on est dans les méandres du sentiment, qui naît chez Adina peu à peu, face à l’obstination pathétique de Nemorino, se transformant peu à peu en manœuvre amoureuse. Ainsi Nemorino finit par devenir une sorte de héros malgré lui. Tous ces fils sont bien tirés par Brunel, qui d’une manière très simple nous montre que derrière le convenu, derrière le sourire, il y a la sensibilité et les vraies intermittences du cœur. Voilà pourquoi ce n’est plus ridicule, mais frais, ce n’est plus l’histoire d’un benêt, mais d’un jeune homme, qui sait manoeuvrer pour conquérir la bien aimée, ce n’est plus une histoire de paysannerie d’opérette, mais une histoire d’amour simple, dans un milieu où assez vite les apparences s’écroulent face aux exigences des êtres. Brunel essaie de donner sens au livret, il montre le côté superficiel de Belcore, en le faisant d’emblée être en couple avec Giannetta, et l’abandonner pour le jeu avec Adina(le jeu du bouquet de fleurs, transmis de mains en mains est une idée toute simple, mais tout à fait à propos. Au total un spectacle agréable, juste, intéressant, accrocheur .
Et la musique? Certes on aimerait une approche plus délicate de Laurent Campellone, qui fait sonner l’orchestre quelquefois de manière un peu martiale ou qui crée une ambiance plus rossinienne que donizettienne, mais l’ensemble est en place et le chœur, satisfaisant, joue bien le jeu de la mise en scène.

La distribution réunie par Daniel Bizeray est une distribution jeune et comme d’habitude soignée: on peut faire confiance à Bizeray, qu’on suit depuis Rennes, et qui a fait aussi une très bon travail à Rouen. Voilà un directeur qui a de l’épaisseur culturelle, des idées, de l’autorité, et qui serait à sa place dans des maisons bien plus grandes. Mais tant mieux: les stéphanois ont de la chance. Bizeray sait trouver des voix souvent surprenantes. c’est le cas du Nemorino très prometteur du jeune ténor d’origine turque Tansel Akzeybek, plus à l’aise que dans l’Otello de Rossini à Lyon.

tansel2.1298505746.jpgUn physique grêle de grand adolescent, et une voix surprenante de solidité, de technique, de contrôle. Une délicatesse et une poésie exceptionnelles, un Nemorino digne lui aussi de grandes scènes. Je suis sûr que ce chanteur, qui va entrer en troupe à la Komische Oper de Berlin est à l’orée d’une jolie carrière.
Les deux autres voix masculines, Dulcamara (Giulio Mastrototaro) et Belcore (di-sapia.1298505511.jpgMarco di Sapia), manquent peut-être encore un peu de puissance et d’assise, mais ont l »intelligence du chant et des situations. Ces deux chanteurs savent dire les textes et les faire entendre, ce sont de vrais interprètes, et leur timbre à chacun est très agréable, il y a dans tout cela une véritable élégance (qui tranche avec la direction, qui l’est un peu moins).
Du côté des dames, c’est un peu plus décevant: Giannetta (Julie Mossay) a une vraie personnalité en scène, mais la voix est menue et se fait mal entendre. Ce n’est pas le cas de Claire Debono dont la voix est affirmée, peut-être trop, trop forte quelquefois en tous cas et qui a des problèmes de justesse quand elle monte à l’aigu. Le registre central est bien assis, la voix très (trop?) bien projetée, le volume très (trop?) marqué. Cela crée du déséquilibre avec Nemorino dans les duos, mais cela va bien avec le propos. il reste que cette Adina est sans vrai tendresse, sans vraie fragilité, notamment à la fin. Dommage, même si la prestation d’ensemble est loin d’être scandaleuse, on n’y adhère pas comme on adhère aux voix masculines et notamment au ténor.
Voilà néanmoins la recette d’une bonne soirée: une troupe fraîche et de qualité, un metteur en scène intelligent, même avec un orchestre dans l’ensemble dirigé  sans délicatesse, mais avec précision, mais avec engagement.

Par chance, cette production va parcourir bonne part des salles de France (Lille, Angers, Nantes, Rouen, Limoges) , mais pas forcément dans la même distribution, et sans ce jeune ténor (qui sera distribué dans Obéron à Toulouse en avril). Allez-y, cette fraîcheur d’approche vaut le détour.
Quand on voit la qualité de ce travail, on se prend à penser que si le théâtre français était organisé avec des troupes, comme en Allemagne, on aurait sans doute droit à plus de représentations, souvent de bonne qualité, et on irait souvent à Saint Etienne.

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OPERA NATIONAL DE PARIS 2010-2011 (19 février 2011): FRANCESCA DA RIMINI de Riccardo ZANDONAI (Mise en scène Gianfranco DEL MONACO, avec Roberto ALAGNA)

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On doit remercier Nicolas Joel d’avoir fait entrer au répertoire le chef d’oeuvre de Riccardo Zandonai, d’abord parce que le répertoire italien de la période 1890-1920 n’a jamais vraiment été à l’honneur à Paris: peu de vérisme, peu de Giordano, Mascagni, Leoncavallo qu’on renvoie allègrement dans les cordes . On pourrait dire la même chose du répertoire romantique: à part Lucia di Lammermoor, quelles grandes oeuvres de cette période ont droit de cité dans notre théâtre national?  On a vu dans les dernières années l’Elisir d’amore et Capuletti e Montecchi…maigre consolation en regard de tout ce qu’on n’entend pas. Massimo Bogianckino avait essayé d’y remédier, mais par la suite, aucun des directeurs en place n’a continué vraiment à travailler sur un répertoire qui fut très largement parisien. On pourrait en dire autant de Meyerbeer, de Spontini, de Cherubini.
Alors faire (enfin!) entrer au répertoire Francesca da Rimini de Riccardo Zandonai est une excellente idée, et ouvre des perspectives intéressantes de diversification de la culture lyrique du public parisien. D’autant qu’il suffit d’ouvrir les pages du programme de salle pour comprendre combien Zandonai était lié à la culture française et au monde intellectuel français, combien les échanges intellectuels entre France, Italie et Allemagne étaient riches, et combien les modèles circulaient (Wagner bien sûr, obsession de nombres de musiciens et d’écrivains de l’époque) mais aussi Debussy.
Zandonai était un explorateur de littérature internationale, dans laquelle il a puisé ses sujets (pas vraiment avec bonheur la plupart du temps). C’était un fervent admirateur de Wagner, à l’instar de Pietro Mascagni qui fut l’un de ses maîtres, mais aussi un fervent debussyste. La musique de Debussy est évidemment l’un des grandes références de cette époque. Enfin, c’est Gabriele d’Annunzio qui a vécu à Paris et qui a écrit en français, directement (rappelons le livret du « Martyre de Saint Sebastien »de Debussy), est l’auteur de la Tragédie « Francesca da Rimini », base du livret de Tito Ricordi pour l’opéra de Zandonai. La tragédie fut créée par Eleonora Duse, maîtresse de d’Annunzio, mais surtout actrice mythique qui marqua le monde intellectuel de l’époque d’une manière définitive, et qui reste l’un des grands mythes européens du théâtre, aux côtés de Sarah Bernhardt et de quelques autres.
C’est donc en quelque sorte à une fête européenne de la culture que l’on vient assister: il faut le souligner, à un moment où d’autres idées moins ouvertes traversent les débats du temps. Jamais les idées n’ont cessé de circuler, d’être partagées, d’être aussi discutées ou contestées, que ce soit au début du XXème, et même pendant les grands conflits, ou au Moyen âge. Notre culture  est profondément européenne, et le résultat de circulations des idées, qui sont loin de se fixer ici ou là à l’intérieur de frontières: Dante, Shakespeare, Hugo, Wagner ou d’autres appartiennent à tous, et sûrement pas seulement à une culture « nationale ». Dans cet esprit, les amours de Francesca da Rimini et de Paolo, dont l’histoire est issue de La Divine Comédie de Dante, adaptée en musique près d’une trentaine de fois, en Italie bien sûr, mais aussi ailleurs (on connaît l’oeuvre de Tchaikovski par exemple) sont une de ces histoires qui structurent la culture européenne, comme celle de Tristan et Isolde ou de Roméo et Juliette.

On sait combien Tristan et Isolde obsède les musiciens de la période,  à cause de la nouveauté musicale, qui va laisser de profonde traces chez tous les novateurs du début du XXème, mais aussi à cause du renouveau du mythe que l’oeuvre a provoqué. Puccini cherchera dans Turandot à écrire le duo impossible Calaf/Turandot en référence à Tristan, Pelléas et Mélisande est évidemment une réécriture du mythe et Francesca da Rimini en reproduit le motif triangulaire, de manière encore plus nette puisque le premier acte montre un Paolo venant chercher Francesca pour la conduire à son futur mari, tout commeTristan conduit Isolde à Marke. Toutefois, dans Francesca da Rimini, par de cristallisation amoureuse créée par un philtre, mais au contraire un immédiat coup de foudre cristallisant immédiatement le drame.

Pour toutes ces raisons, c’est une entreprise passionnante que de se replonger dans une époque, des idées, des œuvres qui symbolisent autant les fondements culturels de notre Europe. Mais cette complexité même ne sert pas toujours l’œuvre de Zandonai. Beaucoup de mélomanes qui ne la connaissent pas la classent immédiatement dans une sorte de post-vérisme et préfèrent s’intéresser aux véristes qu’à leurs épigones. D’autant que pour beaucoup, la littérature musicale vériste est regardée à distance, alors imaginons comment ils peuvent regarder les post-véristes…Ils oublient justement toute la sève des idées, des œuvres, l’ouverture des regards, et s’imaginent souvent plutôt des cloisonnements là où il n’y a que curiosité et ouverture.
Lorsque je vis pour la première fois Francesca da Rimini à Turin au début des années 90, j’ai été frappé d’étonnement: relativement ignorant de cette musique et un peu de la période, je pensais entendre effectivement du sous-Mascagni. Quel étonnement lorsque j’ai entendu tant de réminiscences non des véristes, mais de Debussy, de Wagner, mais aussi des échos de Zemlinski, ou de Busoni, ou même de Fauré. C’est à dire de tous ceux qui portaient la nouveauté, qui travaillaient sur la traduction impressionniste de la musique, sur la couleur, avec une instrumentation très complexe, nuancée, alternant des parti pris chambristes (voir les premières mesures de l’œuvre!) et du symphonisme wagnérien. Pour moi,
« Ce fut comme une apparition ».

imag0362b.1298212500.jpgQu’en est-il de tout cela dans la production parisienne?
D’abord, il faut souligner l’excellent accueil que le public réserve à cette production, triomphe des artistes, joie visible au rideau final: Zandonai a produit son effet. Roberto Alagna aussi, revenant à Paris après plusieurs années, il porte la communication de la production (les affiches indiquent Francesca da Rimini avec Roberto Alagna) et il y a fort à parier que sans lui, il n’est pas sûr que les salles seraient aussi pleines.
Mon appréciation est plus nuancée sur l’économie d’ensemble de cette création (puisque c’est une entrée au répertoire).
Le choix de Nicolas Joel s’est porté sur une équipe (Gianfranco del Monaco, Daniel Oren) plus liée au répertoire traditionnel italien qu’aux raffinements du debussysme triomphant. En choisissant Gianfranco del Monaco, à part faire le choix d’un vieux complice, il fait le choix d’une tradition qui passe inévitablement par le père, Mario del Monaco, qui fut le plus éclatant des Paolo, salué par Zandonai lui-même. En choisissant Daniel Oren, à part faire le choix d’un vieux complice, il fait le choix d’une vision musicale là aussi traditionnelle, plus portée aux effets globaux qu’à une analyse, qui serait un « point de vue », une « lecture ». Sans doute beaucoup de chefs ne se lanceraient-ils pas dans l’aventure, mais je rêverais de chefs qui fouillent les partitions et en portent les secrets, en soulignent les innovations, donnent une vraie couleur: on pense à Boulez d’emblée, parce que c’est un grand chef pour Debussy (mais il nous rirait au nez devant une telle proposition!), on pourrait penser aussi à des chefs comme Daniel Harding, ou Daniele Gatti, plutôt à l’aise chacun dans les pièces de cette période, ou bien même à un Ingo Metzmacher qui rêve de diriger Puccini comme on dirige Schönberg, à cause de l’admiration de l’un pour l’autre.
Daniel Oren ne rend justice qu’aux parties les moins originales de la partition, sans jamais exalter les moments les plus intenses (ouverture, duos de l’acte III et de l’acte IV). Il propose un travail contrasté, techniquement très au point parce que c’est quand même un  chef très professionnel, mais il n’y a pas de vraie lecture, pas de relief, tout semble au même niveau, avec un volume quelquefois trop fort: on est toujours à la surface et jamais dans le tissu musical. En terme de clarté, de mise en relief des sons singuliers, de certains pupitres, c’est tout de même beaucoup moins satisfaisant, et  c’est un peu dommage car cela finit par distiller un aimable ennui quelquefois

Car évidemment tout n’est pas égal dans la partition, et si certains moments (essentiellement les duos Paolo/Francesca, ou les grandes scènes de l’acte IV) sont passionnants et magnifiquement servis par une musique fouillée et colorée, d’autres moments restent plus faibles, notamment le premier acte et surtout à mon avis le second, d’autant que la mise en scène ne sert pas la clarté du propos.Tous les éléments dont nous avons parlé plus haut se retrouvent dans les tableaux vivants très « kitsch » qui nous sont proposés: le décor est celui du Vittoriale de Gabriele d’Annunzio, la villa qu’il a aménagée sur les pentes de Gardone Riviera sur le Lac de Garde, jardin excessivement fleuri du 1er acte, frégate de guerre (la nave « Puglia », offerte à D’Annunzio en 1923, enchassée dans le jardin en direction de l’Adriatique, comme une menace vers la côte Dalmate) qui semble une sorte d’apparition du Vaisseau fantôme au deuxième acte, et intérieurs oppressants remplis d’objets dans les actes suivants, intérieurs qui frappent le visiteur du Vittoriale, tout cela se retrouve sur scène, composant des tableaux vivants, qui semblent être en plus des écrins de scènes wagnériennes: arrivée de Paolo construite comme très claire allusion à l’apparition de Lohengrin au 1er acte, composant une scène du deuxième acte voisine à celle du finale du premier acte de Tristan (avec l’échange du philtre), avec en sus, une sortie de Gianciotto de la proue du navire qui renverrait à l’apparition du Hollandais  ou bien Gianciotto qui brise la lance au finale, claire relation à Wotan. Cette mise en scène est essentiellement un travail de lecture du fonds culturel de l’oeuvre, tel que nous l’avons évoqué. Mais au delà, pas de mise en scène, pas de travail sur les acteurs, pas de clarté du propos. La scène de la bataille est illisible au deuxième acte, la scène du premier acte est elle aussi assez cryptique, on distingue mal le rôle du bouffon, celui des femmes et de leur statut – amies? dames de cour? domestiques? On comprend mal pourquoi tout cela se passe et comment s’agence le drame. Les derniers actes, joués d’une traite (Acte I 25 minutes//entracte/Acte II 30 minutes// entracte//Actes III et IV 1h30 joués ensemble), manière de montrer d’abord les éléments de construction de l’histoire, puis le drame en lui-même, et son dénouement ). On donc a droit à une mise en images, à une photorégie comme on aurait un roman-photo, mais sûrement pas un travail dramaturgique qui éclairerait un livret dont la construction dramatique n’est pas si mauvaise, bien au contraire (il fut apprécié par d’Annunzio). On a donc une illustration, frappée du sceau de d’Annunzio, dont le masque mortuaire s’imprime sur le rideau de scène mais sûrement pas une analyse.
La distribution réunie est satisfaisante dans son ensemble, avec une petite faiblesse pour les rôles féminins (Louise Callinan, dans le rôle de Semirama, a des aigus très criés, dès le premier acte, mais les ensembles sont corrects ), la Francesca de Svetla Vassilieva a une forte assise – un petit vibrato- dans le registre central et à l’aigu, mais pas dans les graves souvent détimbrés, et son chant reste peu habité. Les notes sont faites, mais l’émotion n’est pas au rendez-vous. Il reste que la prestation est très honorable. Du côté masculin, notons l’Ostasio de Wojtek Smilek, et le très solide Gianciotto de George Gagnidze, qui fait face à un excellent William Joyner dans le rôle de Malatestino au IVème acte, l’une des scènes les plus intenses de la partition et de la soirée.

Quant à Roberto Alagna, il triomphe, visiblement heureux de recevoir de la salle pareil hommage. J’ai toujours beaucoup aimé cette voix lumineuse, solaire, toujours bien contrôlée, sachant toujours alléger, sussurer, adoucir, et projetant parfaitement des aigus sans failles. Les difficultés de santé ont alimenté des moments difficiles, mais dans l’ensemble les prestations d’Alagna sont toujours assez convaincantes. On l’aime moins quand il essaie d’imposer sa famille un peu partout, mais passons.
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Dans Paolo il Bello, l’artiste tenait visiblement à montrer que les problèmes étaient résolus: la voix a gagné en largeur, et même en puissance et il le montre, il le montre même un peu trop,car ce qu’il gagne en puissance, il le perd en couleur, et en variété, il a un peu tendance à tout chanter en force, et il perd donc en subtilité. Il m’avait surpris et très séduit jadis dans sa vision très étudiée de Don Carlos, où justement tout était en nuances et d’une extrême beauté (son enregistrement avec Pappano est à ce titre anthologique). Ici, on n’y est pas vraiment. Il est vrai qu’il est dirigé d’une manière là aussi un peu uniforme et que le rôle est très tendu. Certes, la prestation est très bonne, mais pas éclatante, comme on aimerait l’entendre.

Au total, une soirée qui fut incontestablement bonne, parce qu’il n’est pas donné d’entendre souvent Francesca da Rimini et que la distribution réunie, sans être exceptionnelle, est très solide, et défend bien l’œuvre. Je pense cependant qu’il a manqué une vraie mise en scène, et une  direction musicale plus fouillée pour rendre pleinement justice à l’œuvre, et pour mieux diriger les chanteurs, un peu laissés à eux-mêmes scéniquement et musicalement. Il reste peu de temps pour y aller, mobilisez votre énergie et allez à Bastille, cela vaut le coup d’entrer en communication avec cette œuvre très intéressante, aux facettes multiples, reflet d’une époque qu’on dit belle et qui fut surtout riche.

OPERNHAUS ZÜRICH 2010-2011 : TANNHÄUSER le 6 février 2011 (Dir:Ingo METZMACHER, Ms.en scène:Harry KUPFER, avec Nina STEMME)

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Il y a des représentations où la qualité musicale envahit tout, et où on arrive même à fermer les yeux sur une mise en scène ratée ou discutable. C’est bien le cas aujourd’hui à Zürich, où j’ai assisté un Tannhäuser musicalement exceptionnel. Alexander Pereira a réuni, il faut le dire, une distribution de choix: Nina Stemme (Elisabeth), Vesselina Kasarova (Venus), Peter Seiffert (Tannhäuser), Michael Volle (Wolfram), Alfred Muff (Landgrave), l’orchestre et le choeur sous la direction d’Ingo Meztmacher. Je m’attendais à un beau moment, mais pas forcément à un très grand moment, d’autant que la première à ce qui m’a été rapporté n’avait pas si bien marché (Seiffert en méforme, Stemme ordinaire, orchestre trop fort). Mais voilà, l’opéra est un art qui n’est jamais uniforme et monolithique, les choses de soir en soir peuvent évoluer. Cette matinée dominicale en est la preuve. Sans doute l’effet du temps ensoleillé sur la ville de Zürich.

En revanche, Harry Kupfer n’a pas vraiment réussi son cinquième Tannhäuser. Certes, c’est un metteur en scène de qualité, il l’a prouvé de nombreuses fois, et les idées qu’il véhicule sont souvent justes. Dans ce travail, il transpose  l’oeuvre de nos jours, au sein d’une société gavée de luxe, une société de réseau, d’aisance, où l’Eglise et l’Armée dominent. Que ce soit au Venusberg ou dans la « teure Halle » du deuxième acte, on retrouve les mêmes messieurs élégants, les mêmes prêtres (Eh! oui,  au Venusberg aussi!), mêmes hauts gradés de l’armée. Au premier acte, la Bacchanale est bien sage, même si elle essaie de suivre le livret, très détaillé qu’Olivier Py avait suivi de manière très provocatrice et assez juste à Genève il y a 6 ans. Dans la deuxième partie de ce premier acte, on ne revient pas de la chasse (on ne chasse plus à courre…) mais du golf, et on se repose sur des chaises longues, servis par une armée de domestiques. On ne joue pas de la harpe, mais de la guitare (électrique?).
Le deuxième acte se déroule sur une scène, sous l’oeil de caméras TV, et devant un parterre de ces mêmes membres gâtés de la société la plus haute, celle qui emploie et fait vivre les artistes. je dois dire qu’il est le moment le moins intéressant, le plus conforme et l’ensemble est réglé sans inspiration.
Plus intéressant à mon avis le troisième acte, le décor (fait de cloisons tournant sur elles-mêmes et remplies de portes, comme au premier acte) représente un hall de gare avec une gigantesque verrière (la gare de Leipzig?) et au milieu un banc où attend Elisabeth. C’est une image intéressante, enrichie par la présence de Wolfram deux âmes solitaires dans cet espace de drame qu’est le lieu de l’attente.
Au final, après les efforts de Vénus (qui apparaît dans les mêmes conditions qu’elle avait disparu au premier acte, derrière les portes de vitre opaque), la société, toujours la même, se réunit autour du cadavre d’Elisabeth, qui passe, puis devant celui de Tannhäuser qui meurt sauvé, et même sanctifié par le pape sous un cercueil de verre comme on voit les saints dans les églises, avec le bâton de pélerin qui a refleuri: l’artiste est réintégré dans le corps social après en avoir été rejeté, mais mort, pour être objet du culte effrené de l’art dans nos sociétés, mais sans qu’il ne soit plus un danger. Kupfer souligne bien la maladresse de Tannhäuser, son comportement discutable à tout le moins avec Elisabeth, ses excès, mais le propos reste tout de même assez banal, plutôt déjà vu. Carsen à l’Opéra Bastille avait entrepris une lecture de ce type, mais plus subtile que celle de Kupfer:  on pense surtout à des visions à la Götz Friedrich, des lecture socio-politiques telles qu’on les voyait dans les années 80. Le décor de Hans Schavernoch (une vieille connaissance lui aussi) est habile, très contemporain, métal et verre, utilisant la vidéo. Mais j’ai plutôt l’impression qu’on a fait du neuf avec du vieux. Il reste que les chanteurs sont assez bien dirigés et que ce spectacle est discutable mais pas détestable. Dans la même maison, j’ai de beaucoup préféré l’approche de Claus Guth dans Tristan und Isolde et attends avec impatience son Parsifal en juin prochain.

chef2.1297205344.jpgSalut de Ingo metzmacher

Du côté musical en revanche une grande réussite d’ensemble, sans être à l’orchestre aussi brillant que la lecture d’Ozawa à Paris en 2007. D’abord, une fois de plus, je trouve qu’Ingo Metzmacher est un chef qui gagnerait à être invité plus souvent sur des scènes autres que celles de l’espace germanophone.  Sa manière de sculpter la musique, d’en faire ressentir les détails, son tempo sans reproche, qui colle parfaitement aux moments de l’action, sa manière de suivre les chanteurs, sans les couvrir (il est vrai que les voix sont telles que c’est une entreprise difficile) sont des points positifs:   il semble qu’il ait trouvé le juste équilibre dans cette salle assez petite – bien que des amis aient eu une tout autre impression l’autre dimanche. Pour moi c’est une belle prestation,un beau moment, avec un choeur très honorable, sans être exceptionnel. Un seul reproche, la sonorisation de certains pupitres à certains moments (les cors au milieu du premier acte par exemple) ou du choeur quand il est derrière la scène (lever de rideau). Vu la taille de la salle, c’est inutile, et si c’est voulu, c’est raté.

salutseiffert2.1297205518.jpgPeter Seiffert (second plan Nina Stemme et Michael Volle)

Difficile de reprocher quoi que ce soit aux chanteurs: Peter Seiffert, qui est souvent irrégulier, était ce dimanche en forme éblouissante, expressif, engagé, avec ce timbre à la fois clair et puissant qui le caractérise: il était juste,  sans failles avec des aigus triomphants,ce fut un magnifique Tannhäuser. Même remarque pour la Vénus de Vessalina Kasarova. Certes, son visage carré et assez dur ne fait pas penser à la Vénus de Botticelli, mais la prestation est tellement convaincante, éclatante, imposante qu’on trouve presque juste une Vénus plus inquiétante que séductrice, une Vénus « dure » qui use sans doute d’arguments cachés pour séduire. Face à elle, Nina Stemme promène sa voix puissante, légèrement affligée d’un petit vibrato. La prestation sans être impressionnante (comme au troisième acte de Walküre à Milan) est de très  haut niveau, sans être pourtant digne de la légende ou égaler simplement celle de Westbroek à Paris: elle n’est pas vraiment émouvante et même un tantinet indifférente, comme ailleurs, pas toujours concernée. On était heureux de revoir Alfred Muff, un vétéran, avec cette voix très humaine, encore très sonore, d’une belle couleur et d’une belle intensité dans le Landgrave. Signalons aussi les autres chanteurs, tous honorables, notamment Christoph Strehl en Walther von der Vogelweide, meilleur au deuxième acte qu’au premier (souvenez-vous, il était le Tamino d’Abbado) et le touchant berger de la jeune Camille Butcher.
Il reste Le chanteur triomphateur absolu de la matinée, digne, lui, de la légende: Michael Volle, qui a chanté pour moi le plus beau des Wolfram entendus sur une scène. Il tire les larmes dans « Oh du, mein holder Abendstern ». Il a tout: puissance, intelligence du chant, diction parfaite, inflexions, subtilités: du beau chant tout pur, et en même temps un magnifique personnage, humain, émouvant, senti, généreux. Il m’avait déjà convaincu dans son époustouflant Beckmesser à Bayreuth, il est vraiment pour moi le plus grand baryton wagnérien actuel. Un miracle qui surpasse même Goerne à Paris à mon avis.

Il y a encore quelques représentations, une matinée le dimanche 13 février: si vous n’êtes pas si loin de Zürich, courez y: rien que pour Michael Volle, cela vaut le voyage. Et si les autres sont aussi en forme que dimanche dernier, ce sera d’autant mieux. Un beau moment wagnérien, comme il y en a pas mal en ce moment.

Dimanche en sortant de l’Opéra, j’étais heureux.

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GRAND THÉÂTRE DE GENÈVE 2010-2011: I PURITANI, de V.BELLINI le 4 février 2011 avec Diana DAMRAU (Dir.mus: Jesus LOPEZ-COBOS)

puritani15web.1296920188.jpgGTG/Vincent Lepresle

Je me suis demandé pourquoi, devant une des productions les mieux distribuées et les plus réussies des derniers mois au Grand Théâtre de Genève, le public n’avait réagi que poliment, avec peu d’applaudissements à scène ouverte, et un rideau final certes chaleureux, mais pas vraiment délirant.
Je vais essayer d’en trouver les raisons, en soulignant d’emblée que cette production vaut le voyage, car il est rare d’entendre un opéra belcantiste réalisé avec ce degré d’attention et de qualité. Encore plus lorsqu’il s’agit des Puritains, le dernier opéra de Bellini. C’est une œuvre que j’ai peu rencontrée dans mon parcours mélomaniaque puisque c’est la deuxième fois que je la vois, depuis la production de l’opéra comique en 1987, dirigée par Bruno Campanella, avec June Anderson – merveilleuse – et Rockwell Blake – époustouflant comme d’habitude.
Voilà une œuvre difficile à réussir: il faut quatre très belles voix, non seulement la soprano, mais surtout le ténor, qui doit traverser les contre ré et un contre fa unique  dans la littérature pour ténor de l’histoire de l’opéra, la basse et le baryton n’ont pas non plus la partie facile. Stylistiquement, cela ressemble évidemment à du jeune Verdi par moments, mais cela ne chante pas comme du Verdi et pour réussir un opéra de bel canto, il ne faut pas se contenter de bien chanter, mais il faut tout donner, et donc être totalement dédié, engagé, livré.

Dans un opéra belcantiste, la mise en scène n’est pas le motif pour lequel les foules se déplacent, et on pourrait se contenter de toiles peintes et d’une quelconque « mise en espace »…je me souviens que Klaus Michael Grüber  avait très opportunément fait le choix de reproposer les toiles peintes originales pour I Vespri Siciliani, jadis à Bologne, et ce fut une vraie réussite. Francisco Negrin qui, dans le texte du programme donne les clefs de sa lecture,  a visiblement été gêné par la pauvreté dramaturgique et l’invraisemblance de l’intrigue, et par la fin heureuse. Tout son effort à été de donner une épaisseur dramatique à l’intrigue, en rendant le personnage de Giorgio Walton duplice et calculateur, sacrifiant sa nièce à la raison d’Etat, et en changeant la fin,  faisant assassiner sauvagement Arturo, et faisant donc de l’extrême fin triomphale un rêve d’Elvira dans sa folie solitaire. Intervention cohérente avec l’ambiance des grands opéras belcantistes, qui finissent presque tous dans le deuil ou le sang, mais qui ne se justifie pas vraiment sauf à être interprété comme un cri de metteur en scène qui veut à tout prix exister. Car tout le reste est bien plat et conventionnel, dans un décor métallique,

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monumental et oppressant de Es Devlin. Nous sommes dans une forteresse close, où la lumière ne passe pas, les murs sont couverts de signes en braille, les espaces sont réduits, mais la mise en scène utilise peu ces données qui restent donc inexploitées. Certes on veut montrer l’aveuglement du fanatisme qui finit par détruire une âme innocente. L’espace s’élargit au troisième acte, lorsque les deux amants se retrouvent, pour devenir un espace abstrait au fond duquel sont projetées des lettres d’Elvira sur son amour. C’est bien lourd pour un concept aussi léger. On a dit plus haut comment la fin était transformée. Bref, la mise en scène n’est pas vraiment gênante, mais elle n’ajoute rien et les choix affichés ne donnent pas ce dramatisme exacerbé qu’on attendrait.

Il en va autrement musicalement. Jesus Lopez Cobos est un très bon chef et connaît bien ce répertoire et l’Orchestre de la Susse Romande. On aimerait le voir plus souvent  et cette représentation le confirme. Rythmes, élégance attention au chant, palpitation de l’orchestre, subtilités de certaines pages, tout est mis en valeur avec attention et rigueur. Un vrai bon travail, appuyé par le travail sur le chœur, toujours très bon, dirigé par Ching-Lien Wu.

Musicalement, la distribution choisie est parfaitement en place, et on sort de la soirée vraiment satisfait de constater que ce répertoire peut être valeureusement défendu.
Bien sûr la curiosité vient de Diana Damrau, entendue pour ma part l’an dernier au MET dans le Barbier de Séville (avec Franco Vassallo d’ailleurs). Pas de problèmes vocaux particuliers (un petit accroc sur une note suraiguë, mais sans véritable importance eu égard à la réussite du reste). Diana Damrau fait toutes les notes, sans problèmes, elle a les aigus, le legato, le contrôle, l’homogénéité des registres, elle n’a pas cependant toujours  la largeur qui lui permettrait de dominer les ensembles: elle est particulièrement dans son élément dans les parties solistes et lyriques, avec une impeccable ligne de chant. Il lui manque cependant la vie, c’est à dire un feu intérieur, ce feu ravageur qui fait les immenses belcantistes, elle n’a pas le drame dans la voix, et son Elvira est un peu « plan-plan »…c’est dommage, ce n’est pas une Elvira pour moi, mais je salue la prestation qui reste tout de même respectable.
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Le ténor russe Alexey Kudrya est une très belle surprise: il a 28 ans, une voix bien contrôlée, bien posée, un beau timbre et une technique qui le prédisposent aux emplois belcantistes, au chant français (quel beau Werther il ferait!) ou au Verdi français (Il serait un magnifique Henri des Vêpres Siciliennes). Magnifique dans le registre central, il se sort avec honnêteté des redoutables aigus (qui firent abandonner Alfredo Kraus, estimant le rôle inhumain) contre ut,  contre ré, contre fa, sans  sons trop vilains, sans accroc (sauf peut-être au premier acte). Au total, sans être c’est vraiment excellent et on l’attend vraiment dans d’autres emplois, car celui-ci est vraiment d’une horrible difficulté.
La basse Lorenzo Regazzo, que je connais depuis ses débuts à Trévise dans les années 1990, a suivi les conseils de Regina Resnik, toujours attentive à la diction et à la respiration: son Giorgio Walton est un modèle de contrôle, de technique complètement maîtrisée et d’émotion, une vraie couleur belcantiste. Très grand moment de  chant.

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C’est légèrement différent pour Franco Vassallo,  magnifique baryton,  qui impose cependant un style plus verdien que bellinien, cherchant souvent les effets, l’extériorité. Il est très engagé, et quant à lui vraiment soucieux de composer un personnage non dénué d’émotion. C’est une vraie voix, puissante, chaleureuse, qu’on espère très vite entendre dans des grands barytons verdiens, ce serait un bel Amonasro, un très beau conte di Luna. On aimerait plus de contrôle sur Riccardo, mais je me sens vraiment très très pointilleux. Ne boudons pas notre plaisir allez, il fut quand même très bon.

Au total, une bonne soirée, où l’on a vraiment pris du plaisir, sans tout à fait, malgré les atouts , être une soirée exceptionnelle. Sans doute la placidité de Damrau y est-elle pour quelque chose.  Mais voir une production de I Puritani de cette qualité est en même temps un signe positif, on a des voix solides pour bien des répertoires aujourd’hui. Songeons donc à de vraies distributions verdiennes. Maintenant, en songeant à qui aujourd’hui pourrait faire chavirer le public, on pourraît rêver d’un couple Harteros-Florès (et dans la version pour mezzo, jamais donnée, Joyce Di Donato) . Anja Harteros a la puissance, le dramatisme, la couleur vocale et la technique pour être une Elvira d’exception.

Pendant que j’écris cette chronique, j’écoute Freni et Pavarotti avec Riccardo Muti, toujours exceptionnel dans ce répertoire: quelle fête! Même si Freni n’est pas une belcantiste, elle est l’une de ces voix qui imposent immédiatement respect et stupéfaction: puissance, dramatisme, misère et tristesse dans la voix, domination des ensembles. Quant à Pavarotti, la clarté, la maîtrise, la jeunesse, la puissance. A pleurer.
Mais sur ce répertoire, si vous êtes en train de le découvrir, je vous renvoie à Pavarotti, Sutherland, Bonynge. Sans être forcément mes préférés, leurs enregistrements du répertoire romantique sont sans doute les plus solides qui existent aujourd’hui, pour se faire l’oreille  et se donner un juste curseur.

Merci à Genève! Si vous êtes à Paris, le temps de TGV a été réduit d’une demie heure, profitez en, allez-y, il y a encore 3 représentations, le 7, le 10, le 13 février. Il serait bête de ne pas profiter de ces très honnêtes Puritains!

MC2 GRENOBLE: UNE FLÛTE ENCHANTÉE (Mise en scène: PETER BROOK)

la-flute-enchantee_diaporama2.1296775616.jpg©Pascal Victor ArtComArt

Quel plaisir après des années de revoir une adaptation d’opéra par Peter Brook. J’ai encore dans la mémoire la Tragédie de Carmen qui collait si bien à l’ambiance des Bouffes du Nord, et la magnifique Hélène Delavault. Le choix musical avait été celui de la réduction pour petit orchestre dirigé par Marius Constant. Le choix cette fois est celui de l’accompagnement au piano par Frank Krawczyk, qui a cosigné avec Peter Brook et Marie-Hélène Estienne l’adaptation. Une adaptation à l’économie sans doute aussi due à la longue tournée qui conduira la troupe en France, mais aussi en Italie, à Londres et à New York.

Si les « Drei Damen » ont disparu, il reste pratiquement tous les airs connus et aimés de la Flûte enchantée, et s’il y a des coupures, elles ne dénaturent pas l’oeuvre:  la fluidité de l’ensemble a laissé intact le propos de Mozart en français dans les dialogues parlés, en allemand pour les airs. Il y a même des ajouts bien trouvés: la Fantaisie en ré mineur K 397 et l’air Die Alte,K 517 chanté de manière vraiment à propos par la petite vieille qui s’avérera être Papagena. Inutile de disserter sur les artifices de l’opéra face à la fraîcheur de ce spectacle. On ne va pas chercher là une « impression d’opéra », mais à l’opéra, j’ai peine à trouver des productions de la Flûte qui m’aient vraiment convaincu. A vrai dire, la seule qui m’ait marqué est celle de Jean-Pierre Ponnelle au Festival de Salzbourg, à la Felsenreitschule. Aucun effet fantasmagorique, presque tout ce qui pourrait être de l’ordre du magique est effacé, au profit d’un scénario réduit à l’os et d’un jeu d’une grande linéarité et d’une très grande lisibilité.

Les enfants ont aussi disparu, mais les chanteurs sont si jeunes et si frais que cette fraîcheur rend l’effet que les trois enfants font sur scène. Drei Damen et Drei Kinder sont plus ou moins remplacés par deux acteurs très efficaces et drôles, William Nadylam et Abdou Ouologuem. Le Sprecher est quant à lui chanté par Sarastro. Il serait difficile d’analyser le chant dans les détails: les chanteurs ont bien du mérite de chanter toujours à découvert: les défauts (respiration, graves détimbrés par exemple) apparaissent multipliés, c’est sans filet en permanence. Mais les transpositions, la justesse (la technique est à peu près maîtrisée, notamment dans les airs de la Reine de la Nuit de Malia Bendi-Merad qui se sort avec les honneurs de ses deux airs), la jeunesse des voix et des êtres, tout cela donne une respiration si poétique à l’ensemble que l’on reste séduit.

la-flute-enchantee_diaporama4.1296775668.jpg©Pascal Victor ArtComArt

La Pamina de Jeanne Zaeppfel ne m’a pas trop convaincu, même si elle donne au personnage une fragilité de très bon aloi, elle ne vit pas beaucoup son rôle et reste assez froide. Le Sarastro assez bien chanté de Luc Bertin-Hugault laisse augurer une suite de carrière probablement intéressante.

strooper.1296776578.jpgTrès bon Tamino, au style très juste, à la voix bien posée, et doté d’une vraie ligne de chant du jeune australien Adrian Stroopper.

matthew.1296775919.pngMais surtout grande présence, voix chaude de baryton, immense humanité, jamais ridicule (merci Brook!) du Papageno de Matthew Morris. On a vraiment envie de l’écouter à l’opéra ou dans un musical, car son style élégant et retenu, sa voix, bien en place, très dominée, son émission claire, sont des atouts: il est applaudi à rideau ouvert, et c’est le seul.C’est aussi le seul à dominer, ou simplement à avoir un jeu d’acteur, les autres restent bien raides et sont quelquefois un peu empotés.


De la mise en scène une première remarque: je n’ai eu aucune surprise; je m’attendais exactement à ce que j’ai vu, ce qui n’est pas forcément un compliment, mais l’économie des moyens, espace dessiné par des bambous tour à tour chambres, la-flute-enchantee_diaporama.1296775587.jpg©Pascal Victor ArtComArt

salle, gibet, armes qui stylisent le propos et soulignent parfaitement l’action, aidés par de jolis éclairages, tout cela crée un charme indéniable, un enchantement et c’est bien le moins pour La Flûte! Il y a de très beaux moments (l’air dela pendaison de Papageno) et le sourire est permanent, qu’il soit un sourire d’humour ou d’émotion. En tous cas le public est captivé, et les jeunes nombreux sont conquis.

Ce n’est sans doute pas le chef d’oeuvre de Brook, puisqu’on y reconnaît un peu trop ses procédés, mais c’est un très bon spectacle. J’avais beaucoup aimé le Don Giovanni D’Aix qui fut pourtant critiqué, j’aimerais vraiment que Brook, malgré sa critique de l’opéra, passe d’Une Flûte enchantée à La Flûte enchantée.

OPERA DE LYON 2010-2011: WERTHER de J.MASSENET (Dir: Leopold HAGER, mise en scène: Rolando VILLAZON ) le 1er février 2011

werther-2.1296669399.jpg© Michel Cavalca, Photos du site de l’opéra de Lyon

L’intérêt suscité par ce Werther est largement dû à la première mise en scène de Rolando Villazón apparemment prévue de longue date, et donc non liée à l’état vocal actuel du ténor. L’impression est contrastée, mais pas négative. Je trouve à cet égard la « descente en flammes » du journal Le Monde injuste, notamment sur la lecture de la fin de l’ouvrage, même si on peut discuter l’approche et si la distribution n’est pas vraiment convaincante. Il reste que l’ensemble se laisse voir et passe assez bien au total. Ce n’est pas cependant un spectacle qui mérite qu’on y coure, mais en passant par là…

La mise en scène d’abord, on pourrait dire en plaisantant qu’elle nous ouvre des horizons sur l’espace mental de Rolando Villazón, et que sa lecture du personnage correspond assez bien au Werther qu’il compose lui même sur scène. Une question préalable: les couleurs de costumes des deux personnages au troisième acte noir/rouge/jaune seraient elles une déclinaison qui renvoie au drapeau allemand..?
Il semble que l’effort de Villazón ait consisté à montrer un monde qui soit une représentation de ce que voit Werther et de ce qu’il est par rapport aux autres.Ce Werther est à la fois enfantin, coloré, une parade de cirque à la Rimbaud où les personnages n’existent pas mais des ombres, des clowns, un monde vaguement fantasmagorique complètement antinaturel: Albert, le Bailli, Sophie et Charlotte ont des costumes à peu près normaux, mais les femmes, lorsqu’elles doivent se montrer adultes sont des mères, et donc en noir: elles sont au début en (une sorte de) combinaison: passage de l’enfance au monde gris des adultes. Seul Werther (noir etjaune) y échapperait un peu (son double, un jeune enfant, est lui tout en jaune, et son deuxième double, un clown en cage est en redingote jaune déjà tachée…tout cela doit bien avoir un sens mais ce me semble tortueux).
L’ouverture montre Charlotte après la mort de Werther cherchant les traces (redingote, objets) de Werther, l’Opéra serait donc une sorte de retour fantasmatique sur l’histoire, ou sur le roman (à la fin, Werther tient en main les lettres – allusion au roman épistolaire) et il meurt seul.

charlotte.1296669448.jpg© Michel Cavalca,

La cage où est isolé le double-clown de Werther, puis le couple Charlotte-Werther, puis Charlotte pour l’air des lettres, puis qui s’écroule sur le petit double de Werther dormant est évidemment symbolique de l’isolement de Werther, tendre oiseau en cage (la cage est en effet une cage à perruche géante…et l’habit de Charlotte pendant l’ouverture et à la scène finale est

charlotte2.1296669421.jpg© Michel Cavalca,

une robe dont la couleur rappelle le plumage des perruches…mais cessons de railler.

La fin m’a semblé plus intéressante: Charlotte et Werther sont isolés,chacun dans son monde, l’un se meurt et attend l’aimée: Ils ne dialoguent pas, lui se parle à lui-même et n’entend pas Charlotte. Elle seule elle aussi, parle à la redingote jaune de Werther. Ils sont à deux mètres mais ne se croisent pas. Une mort dans la solitude, sans savoir que l’autre vient; Et de fait Charlotte arrive trop tard, Werther est mort. Claire allusion à Tristan et Isolde.

C’est à mon avis ce qu’il y a de plus émouvant et qui rattrape bien des approximations.

Jolies images quelquefois, éclairages colorés qui plaisent aux nombreux jeunes dans la salle, les apparitions des enfants (jeu des fleurs), ou des gens du village sont assez poétiques on est dans une sorte de monde parallèle, dans un pays des merveilles qui tournerait mal, ou qui finirait par tourner sans l’élément perturbateur, l’ange noir, qui décidément ne cadrerait pas avec lui.

Il y a incontestablement une vision, une intelligence, mais trop de détails restent cryptiques, et la conduite du jeu d ‘acteurs reste fruste (le ténor Arturo Chacon Cruz est une sorte de double de Rolando Villazón) et les chanteurs restent sur leur réserve. Il reste qu’on ne sort pas horrifié et que le spectacle est assez fluide.

Musicalement Serge Dorny a fait appel au vétéran Leopold Hager, choix du professionnalisme, de la solidité, rien à dire sur la direction d’orchestre, mais on aurait pu faire appel à l’un des jeunes chefs français dont on parle çà et là, pour voir comment le sang neuf s’en sort.
Sur la distribution, on a plaisir à revoir Jean-Paul Fouchécourt en Schmidt clownesque et le jeune Nabil Suliman, un habitué de Lyon à la voix chaude que j’apprécie dans chacune de ses apparitions lyonnaises. On est heureux aussi de revoir Alain Vernhes, qui nous offre son habituel Bailli. Autre habitué de Lyon, le baryton belge Lionel Lhote, qui cette fois est un peu décevant dans Albert, on est bien loin du style requis. Cela reste banal, sans couleur, sans force.
La Charlotte de Karine Deshayes a incontestablement la voix et la puissance, elle n’a pas toujours la juste ligne de chant ni le contrôle, et elle ne distille aucune émotion (c’était à peu près pareil dans Cherubino à la Bastille). C’est bien plat.

werther.1296669438.jpg© Michel Cavalca,

Le Werther de Arturo Chacon-Cruz a la puissance, il sait monter à l’aigu, mais est aux antipodes du style requis, la voix constamment ouverte, peu contrôlée, notamment dans les parties qui réclament des notes filées, un chant murmuré. En bref, pas d’émotion non plus de son côté.
Eh bien, la seule qui ait toutes les qualités que les autres n’ont pas, technique, contrôle, émotion, expression c’est la Sophie de Anne-Catherine Gillet (d’ailleurs elle remporte le plus gros succès à l’applaudimètre): fait on un Werther avec une Sophie d’exception, non évidemment, mais il est temps de donner à cette artiste des rôles qui correspondent à ses qualités: chacune de ses apparitions est un beau moment.

En conclusion, et à me relire, je n’ai pas moi non plus beaucoup de choses très positives à dire, mais  pourtant je ne suis pas sorti mécontent, sans doute par l’effet de cette fin que je trouve bien mise en scène. C’était  une soirée d’opéra assez honorable. Lyonnais ou Rhônalpins,  allez y quand même!