À la grande surprise de tous, Dominique Meyer, dont le contrat arrivait à échéance en 2020, n’a pas été renouvelé par le ministre de la culture autrichien Thomas Drozda qui lui a préféré Bogdan Roscic, en lui donnant la mission de créer un Staatsoper 4.0 et d’ouvrir au contemporain.
Le fait qu’en 2020 Dominique Meyer arrivera à 65 ans n’est pas pertinent dans un monde où la retraite n’existe pas (voir Alexander Pereira à la Scala ou d’autres), mais néanmoins, si le ministre reste libre de ses choix, après 10 ans d’un mandat Meyer très positif pour la fréquentation de la maison et sans crises, on pouvait penser que le premier étranger non germanique à diriger l’Opéra le plus important du monde par la production et la popularité méritait largement une prolongation de contrat. On ne change pas une équipe qui gagne.
On peut évidemment discuter les choix stratégiques d’une programmation plutôt sage, et visant à garantir une qualité moyenne constante de haut niveau, c’est à dire consolider le fameux système de répertoire (environ 50 productions différentes sur 300 représentations annuelles). On doit aussi à Dominique Meyer une politique très active en matière de ballet, confié à Manuel Legris et son mandat a marqué une relation très cordiale avec l’orchestre, qui est le creuset du Philharmonique de Vienne.
Dominique Meyer est populaire et a su cultiver à la fois un sens peu commun de la relation avec le public, très ouvert, très familier, voire familial et une proximité inhabituelle, mais il a su aussi montrer qu’au-delà du manager, il était d’abord un amateur d’opéra, un mélomane passionné qui avait en la matière le même passé de ceux qui faisaient la queue sous les arcades de la Staatsoper, lui qui a passé de longues nuits devant Garnier pendant les années 70.
En somme, Meyer a fait des choix qui ont évité la polémique, très active à Vienne : les directeurs et GMD victimes de cabales sont fréquents : l’opéra à Vienne est en Autriche une institution énorme, et le choix de son directeur est une affaire nationale.
Face à cette solidité et ce classicisme, qui vont bien avec une maison relativement conservatrice et un public qui tient comme à la prunelle de ses yeux au système de répertoire, le ministre de la culture a choisi le management industriel, le directeur de Sony Classical, sans doute fasciné par l’exemple du MET, dont le manager, Peter Gelb, vient aussi du monde de Sony.
Ainsi, et tel que je vois le sens de cette nomination, le ministre Thomas Drozda répond à une question qui ne se pose pas à Vienne : le paysage musical de la capitale autrichienne est stabilisé largement avec les temples de la tradition que sont la Staatsoper et le Musikverein, et les autres théâtres et salles de concert, en premier lieu le Theater an der Wien qui est l’autre opéra dont la niche est la recherche de la modernité et la mode, notamment en matière de mise en scène, mais aussi par exemple Wien Modern, fondé par Claudio Abbado lorsqu’il était GMD de l’opéra. Il y en a à Vienne pour tous les goûts.
Faire de la Staatsoper une Staatsoper 4.0 est un slogan, qui procède du marketing du moment. Une maison qui affiche quasiment complet 300 jours par an n’a pas vraiment besoin de slogans. C’est une attitude à la Knock que de vouloir soigner un malade en excellente santé et cela s’appelle du charlatanisme. Et donc aucune motivation artistique à nommer un manager de l’industrie du classique, qui n’a jamais dirigé de théâtre sinon peut-être une manœuvre politique qui consiste à placer là de nouveau un autrichien (né à Belgrade au temps de la Yougoslavie), pour se parer eu égard à l’avenir politique éventuel du pays, et sans doute un homme de réseau.
Le bilan mitigé de Peter Gelb au MET, qui a essayé de faire respirer une maison au public particulièrement fossilisé et qui fond comme neige, est un avertissement. Et la situation du MET n’a rien à voir avec Vienne, dont la musique classique fait partie des gènes, au contraire de New York la polymorphe. C’est, me semble-t-il, une lecture superficielle de la situation et une nomination fashion sans véritable visée stratégique car les annonces faites sur les caractères du projet m’apparaissent plus procéder du marketing que d’une authentique réflexion de politique artistique.
Il reste qu’il y a dans certains théâtres européens un vrai problème d’image et de public, Paris a un problème de public, la Scala a un problème de public et ce sont des questions qui tiennent tout autant à des politiques de prix excessifs (au rapport qualité/prix discutable) qu’à des politiques artistiques peut-être mal ciblées. Tout cela ne vise pas Vienne, qui a des prix élevés mais un public assez captif et un nombre important de places populaires debout, une vraie tradition à Vienne qu’on avait essayé d’introduire à Paris sous Gérard Mortier, mais que l’équipe imbécile qui lui avait succédé avait préféré supprimer.
J’estime donc cette nomination injustifiée, et je suis très triste pour l’ami Dominique. Je le dis d’autant plus librement que je ne suis pas un spectateur assidu de Vienne et que je ne partage pas toujours les options esthétiques affichées à la Staatsoper. Mais je suis en colère: de telles nominations peu justifiées et dictées par d’autres motivations qu’artistiques ne me disent rien qui vaille pour l’avenir de l’opéra, mon art de prédilection et plus généralement l’avenir de la culture.[wpsr_facebook]
Le hasard a voulu qu’entre un Requiem de Verdi scénique et un Entführung aus dem Serail sans sérail ni dialogues de David Hermann qui excitait ma curiosité (voir le site Wanderer), Zürich affichait une première reprise de la très récente production (2016) d’Andreas Homoki de I Puritani de Bellini. Comme il arrive quelquefois dans les représentations de répertoire, on annonce une Elvira (en l’occurrence Nadine Sierra) et c’est une autre qui chante, une chanteuse totalement inconnue, venue de république tchèque mais issue de l’Opéra Studio du Comunale de Bologne, Zuzana Markóvá, la trouvaille de la soirée. Pour le reste, une représentation de haute tenue, avec Javier Camarena dans Lord Arturo Talbo, George Petean dans Sir Riccardo Forth et Michel Pertusi dans Sir Giorgio. C’est à dire du très beau monde.
La production de Andreas Homoki était dirigée la saison dernière par Fabio Luisi et interprétée par la jeune sud-africaine Pretty Yende, nouvelle coqueluche des scènes (elle a récemment triomphé dans Lucia à Paris), Lawrence Brownlee, et déjà Michele Pertusi et George Petean. La mise en scène à décor unique, comme souvent chez Homoki, ici un énorme cylindre installé sur un plateau tournant, laisse apparaître des images successives, soit réelles, soit fantasmées pendant que l’intrigue se déroule sur le proscenium, autour du cylindre fait de lattes noires à l’extérieur et éclairées violemment à l’intérieur: un décor très essentiel, de bois avec quelques chaises et des cierges quelquefois, qui correspond à l’idéal de simplicité et de religiosité qu’on suppose être celui des puritains.
La scène s’ouvre sur un couple, qu’on comprendra plus tard être le couple royal, pourchassé, puis pris, l’homme (Charles 1er) est supplicié et décapité, la femme prisonnière et violée, images de guerre civile ordinaire, qui se répèteront durant l’opéra, avec ses monceaux de cadavres et ses femmes pendues.
À ce contexte politique violent et sanguinaire s’ajoute le conflit privé qui fait l’intrigue réelle : aussitôt après la scène d’ouverture, place aux joies d’un mariage, mais à la vue de son futur, la jeune fille (Elvira) fuit et se réfugie dans les bras de son oncle qui lui explique que finalement son père a cédé à ses prières et qu’elle pourra épouser celui qu’elle aime, Lord Arturo Talbo (Javier Camarena), du clan ennemi défenseur des Stuart. On comprend alors que la scène de mariage était un cauchemar que la jeune fille refusait de vivre.
Les conflits politique et privé, traités par la mise en scène sur le même plan, opposent Lord Arturo Talbo (ténor) partisan des Stuart et Sir Riccardo Forth (baryton, George Petean), chef des puritains qui soutiennent Cromwell. C’est que baryton (méchant) et ténor (gentil) aiment Elvira, et le méchant baryton va vivre sa jalousie en jouant des conflits politiques, cherchant à perdre le ténor-gentil en profitant de la position de faiblesse des défenseurs des Stuart.
Quand Arturo reconnaît en la prisonnière violée de la première scène la Reine Henriette de France, son sang (noble) ne fait qu’un tour et il entreprend de la sauver, au péril de sa vie, et surtout de son mariage : il fuit avec la reine avant même la cérémonie, mais sur le chemin ils croisent le méchant Riccardo, qui, croyant en une fuite amoureuse, les laisse partir, ravi de l’aubaine.
Voilà l’intrigue : Arturo est poursuivi, pour trahison d’état et pour trahison privée : la jeune promise sous le coup devient folle, et Riccardo va chercher à en tirer avantage pour se débarrasser du rival. Il reste que l’oncle, Sir Giorgio (Michele Pertusi) essaie de calmer les esprits, de ramener Riccardo a des sentiments plus humains et de protéger sa nièce sans succès.
Arturo revient, et tout semble se résoudre, mais Riccardo malgré l’ordre de clémence venu de Londres envers les défenseurs des Stuart fait décapiter Arturo: la scène initiale qu’on avait vu pendant le prologue se répète, mais les motivations ne sont plus celles, politiques d’une guerre civile, mais des motivations d’ordre privé : un simple drame de la jalousie.
Public et privé, tout se mélange comme souvent à l’opéra, mais dans une sorte de linéarité marquée par une mise en scène répétitive : le cylindre conçu par Henrik Ahr ne cesse de tourner, laissant voir des scènes réelles ou fantasmées, des montées d’images au sens psychanalytique, pendant que l’intrigue au-devant de la scène se déroule d’une manière très traditionnelle et conforme, tandis que les costumes de Barbara Drosihn, noir uniforme pour les hommes, beige et jaunâtre pour les femmes, donnent une image d’uniformité assez cohérente avec le monde du puritanisme et l’ascétisme du décor.
La mise en scène est plutôt faite de ces images, et moins de prises de position dramaturgique, sauf la fin tragique où au happy end traditionnel, Homoki substitue la tragédie, où le méchant a vaincu. Le goût de la vengeance est plus doux encore que l’amour.
Rien de bien dérangeant dans cette mise en scène qui laisse le drame se dérouler et les chanteurs prendre la main, comme attendu dans la plupart des mises en scène de bel canto romantique.
Comme certaines œuvres du jeune Verdi ou la plupart des opéras romantiques, les choix de mise en scène sont délicats : l’approche Regietheater se heurte à des livrets la plupart du temps assez passepartout et conformes et les mises en scènes sont souvent réduites à un habillage plus ou moins habile : dans ce répertoire, le public ne vient pas pour la mise en scène, même pas pour le chef mais pour les chanteurs.
À écouter cette œuvre, la dernière de Bellini, pour le Théâtre Italien de Paris en 1835 quelques mois avant sa mort, on reste stupéfait de la manière dont l’histoire est racontée, dont la musique sonne avec une couleur souvent pré-verdienne. A dire vrai, on constate combien Verdi a puisé dans ces ensembles, dans ces cabalettes rythmées, dans ces marches (Suoni la tromba, par exemple) et qu’au moins dans les premières années, il n’invente rien que Bellini n’ait déjà inventé. On est en effet toujours frappé par la variété, la vivacité de cette musique, par son énergie aussi, et par l’impossible qui est demandé au quatuor vocal principal (soprano, ténor, baryton et basse).
Le rôle d’Arturo est sans doute le plus tendu du répertoire romantique avec ses aigus stratosphériques et Javier Camarena stupéfie par son aisance, par la qualité du phrasé, par l’intensité du chant et par la chaleur du timbre (un A te o cara étourdissant, tout comme credeasi misera). La voix n’a aucune faille, et le timbre n’est jamais nasal comme c’est quelquefois le cas, avec une simplicité dans l’émission qui laisse confondu et une très grande modestie dans les attitudes : il n’a certes pas des qualités d’acteur exceptionnelles, mais pas moins que la majorité des chanteurs. Le chant est à un tel niveau de perfection qu’on peut largement compenser et même dépasser. De toute manière, la mise en scène laisse chacun gérer sans vraiment travailler les caractères des personnages, qui demeurent sculptés dans la tradition de l’opéra italien ordinaire. Javier Camarena a en tous cas une sûreté et une pureté de timbre qui laisse rêveur, c’est sans doute aujourd’hui l’un des meilleurs, sinon le meilleur belcantiste qu’on puisse trouver.
Sous ce rapport, George Petean n’est pas non plus une référence en matière de jeu : c’est un jeu habituel de méchant d’opéra, et indifféremment du rôle, les gestes et attitudes sont les mêmes : mais là aussi, le contrôle sur la voix et le volume sont tels qu’on peut fermer les yeux. Petean néanmoins a sans doute une couleur plus verdienne que belcantiste ; tout en soignant le contrôle et la diction, son chant n’a pas tout à fait l’élégance requise : c’est un peu plus lâché que retenu. Néanmoins, ce baryton devient l’un des incontournables de la scène lyrique, sans bruit mais avec constance et régularité : il avait déjà impressionné dans Renato du Ballo in maschera à Munich. Mais il faut ici un peu moins de feu verdien.
C’est Michele Pertusi qui est Sir Giorgio. Le personnage le plus positif de l’œuvre, humain, ouvert, modéré. Pertusi s’est spécialisé dans les basses rossiniennes et belcantistes, parce qu’il a une technique de fer, un beau contrôle, et que cette technique lui permet de durer dans des rôles souvent exposés. Je le suis depuis la fin des années 80, et il a immédiatement été l’un des chanteurs rossiniens de référence, notamment dans les opéras seria. La voix n’a peut-être plus tout à fait l’éclat d’antan ni le timbre sa singularité, mais il reste un des chanteurs les plus intenses dans ce répertoire et des plus justes. Les ensembles avec Riccardo et notamment le duo Suoni la tromba font un effet encore marqué sur l’auditeur. Pertusi y est exceptionnel. C’est en tous cas une garantie pour le style et le respect de l’œuvre.
C’était la jeune Nadine Sierra qui devait succéder à Pretty Yende dans Elvira, le mystère des remplacements a encore frappé, et c’est une autre jeune chanteuse, Zuzana Markóvá, née à Prague, issue de l’Opéra Studio de Bologne, et donc préparée au répertoire italien qui assume le rôle difficile d’Elvira, sur qui repose grande part de l’opéra. La voix n’est pas très grande, mais cette jeune femme a une véritable présence scénique, c’est une très belle actrice et elle donne au rôle une formidable présence dramatique, elle sait passer de la jeune fille heureuse et légère qui va épouser son aimé à la femme dont l’âme est ravagée en un instant, et avec la même crédibilité et le même pouvoir sur le spectateur. La voix est petite, mais la salle de Zurich aux dimensions moyennes est idéale pour ce répertoire qui nécessite un rapport scène-salle particulier, avec ce qu’il faut de distance et ce qu’il faut de proximité. Les salles pour le bel canto romantique, à part quelques notables exceptions, n’étaient pas si grandes, et les voix à Zurich sonnent parfaitement…Ce n’est pas un hasard si Cecilia Bartoli en a fait sa salle d’opéra quasi exclusive.
Une voix plus petite peut donc parfaitement convenir, et celle de Zuzana Markóvá passe sans mal, grâce à une très belle technique, un vrai contrôle sur la voix, une grande homogénéité dans les passages, et un aigu qui est d’abord contenu mais qui se propage et s’affirme pour se déployer de belle manière. Pas de problème particulier d’agilités (elle chantera bientôt Traviata à Palerme). La scène de la folie est parfaitement dominée, avec un pouvoir d’émotion réel et une vraie prise sur le public. La scène du dernier acte avec Arturo, qui ménage des moments très élégiaques mais aussi une vraie tension, est magnifiquement réussie. Le résultat : un triomphe auprès du public présent, très mérité. Voilà une chanteuse qui utilise ses ressources d’actrice pour affirmer de réelles ressources de chanteuse, pour une artiste aussi jeune, c’est vraiment très prometteur : la voix s’accorde parfaitement à celle de Camarena, et on passe donc avec eux deux une soirée exceptionnelle.
Le reste de la distribution soutient bien le niveau d’ensemble, même si les rôles sont vraiment épisodiques, Diana Haller, jeune chanteuse encore, en Enrichetta di Francia a un beau mezzo, la voix d’une vraie rondeur sans aspérités porte, et elle se distingue dans les ensembles. Les autres, Stanislas Vorobyov (Lord Gualtiero Valton) et Otar Jorjikia (membre de l’Opéra Studio, qui chante Sir Bruno Robertson) sont aussi de bon niveau et donnent à l’ensemble de la distribution une réelle homogénéité.
Le chœur dirigé par Ernst Raffelsberger est particulièrement juste, malgré des exigences scéniques qui le font se déplacer souvent, autour du décor ou dedans : il se prête aux besoins de la mise en scène, et sonne magnifiquement, après avoir la veille chanté le Requiem de Verdi : très belle performance dans un opéra qui exige des masses chorales impeccables.
C’est Enrique Mazzola qui prend la succession de Fabio Luisi dans la fosse, et l’on connaît à la fois l’affinité, mais aussi la technique impeccable de ce chef dans ce répertoire : pas une faute de rythme, une pulsion permanente, un souci de ne jamais couvrir les chanteurs même là où on lui pardonnerait (Suoni la tromba), et un orchestre très clair et très lisible. J’aurais peut-être apprécié moins d’aspérités quelquefois, qui rendent cette approche un peu froide : la mélodie bellinienne réussit néanmoins à se déployer dans les passages plus lyriques.
Un peu à distance au premier acte, je me suis laissé séduire par cette nervosité et cette tension, qui n’oublie jamais l’opéra, le livret et les capacités réelles des chanteurs. Le chef obtient un grand succès, dans l’ensemble mérité.
Entre deux représentations assez exceptionnelles par leur nouveauté s’est glissée une soirée dite de répertoire. Si le répertoire était aussi bien traité partout, le niveau des salles serait totalement hors normes. I Puritani est l’une des œuvres de la période les plus difficiles à produire, car c’est un opéra très difficile pour les voix. L’Opernhaus Zürich a relevé le gant, et confirme d’être l’une des toutes premières scènes d’Europe.[wpsr_facebook]
Sans vouloir revenir dans les détails sur une production largement commentée à Paris et à Rome, décrite dans ce blog et ailleurs (Wanderersite), la dernière représentation a vu Andreas Schager remplacé pour le rôle de Tristan par Robert Dean Smith. Cela justifie quelques lignes pour les lecteurs intéressés par les grands ténors wagnériens.
Le retrait d’Andreas Schager est consécutif à une fatigue vocale accentuée ce dernier vendredi, où il avait repris le rôle après une première alerte qui avait déjà occasionné son remplacement par Dean Smith le mardi précédent.
Notons pour l’anecdote la manière très discrète dont l’Opéra de Rome annonce un tel changement de distribution. Sur les affiches, pas de correction (comme on le fait à la Scala par exemple), dans le programme, pas d’insert : ainsi le public romain, qui n’est pas forcément wagnérien, ne saura rien de Robert Dean Smith, dont l’arrivée est annoncée furtivement une minute avant le lever de rideau au micro. Un coup d’œil sur le site ne nous informe pas plus. De la part d’un théâtre de cette importance, c’est un peu léger et l’information devrait être un peu mieux diffusée, d’autant plus que c’est tout à l’honneur du théâtre d’avoir pu gagner un remplacement de cette qualité, Dean Smith étant un des grands ténors wagnériens actuels.
Quelques mots d’abord sur Andreas Schager: on ne peut nier qu’il s’agit sans doute de la voix de ténor la plus puissante aujourd’hui ; il est impressionnant, il donne tout, tellement généreux dans ce qu’il offre au public. Malheureusement, il donne trop, sans jamais se laisser de réserves, sans retenir sa voix, sans réussir à la contrôler pendant la représentation. Dans un rôle comme Tristan qui doit donner l’essentiel au troisième acte, on risque l’accident si on s’est déjà largement épuisé au premier et au deuxième actes. J’ai remarqué lors de la première (voir Wanderer) qu’il avait chanté un premier acte incroyable et impressionnant, mais que ça coinçait très légèrement au troisième, et pour cause. Schager paie cash, c’est à la fois très courageux, mais en même temps très dangereux.
Robert Dean Smith n’a ni le volume ni la vaillance d’Andreas Schager. Il fait avec ses moyens, et avec sa sensibilité. Il n’est d’ailleurs pas dit que Tristan doive être une voix à la Siegfried. En ignorant les éléments de la mise en scène de Pierre Audi, et notamment le refus de faire que les amants se touchent, toujours aux antipodes l’un de l’autre, il a mis quelque chose de sensible et de charnel dans un travail qui se voulait abstrait. Et c’est immédiatement bouleversant parce que scéniquement, il ne peut s’empêcher d’aller vers Isolde, de sorte que dans ce paysage gris et désolé, il naît une chaleur qui crée immédiatement de l’émotion, et qui rejaillit évidemment sur le jeu d’Isolde. Sa présence a humanisé cette mise en scène minérale et distanciée, dont j’ai parlé à plusieurs reprises, et qui ne m’a pas particulièrement convaincu. Et du même coup cette présence sensible donne une dimension supplémentaire à la représentation.
La voix de Dean Smith est claire et suave, elle n’a rien de tonitruant, elle ne s’impose pas mais elle est là, bien présente, partout quand il faut; le timbre est clair, l’articulation parfaite, la diction exemplaire. À Bayreuth son Tristan passait bien, mais tout passe à Bayreuth ; à Rome, l’acoustique est plus difficile, mais Daniele Gatti toujours très attentif aux équilibres et au plateau fait que la voix passe aussi, avec ses moyens propres et sans jamais forcer. Ses moyens propres, c’est d ‘abord une grande musicalité, une science des accents et de l’expression, très variée, c’est ensuite un soin très attentif à la couleur de chaque moment, c’est enfin l’écoute de l’autre, et la recherche permanente d’un ton qui corresponde à ce que l’autre chante. Les deux voix ainsi fonctionnent merveilleusement bien ensemble et l’Isolde de Rachel Nicholls est très à l’aise avec ce Tristan-là.
Rachel Nicholls est plus détendue au premier acte, la voix est moins acide, moins métallique aussi dans les aigus ; son deuxième acte et son troisième sont très convaincants, avec un troisième acte vraiment confondant d’émotion. La manière dont elle chante la Liebestod, avec une respiration exceptionnelle, aidée en cela par le tempo large et attentif de Gatti est confondante.
Bien sûr, tout le plateau arrive en fin de parcours et tout est digéré : l’orchestre est en place, le chef assuré, et Robert Dean Smith lui-même n’est plus tout à fait nouveau venu puisqu’il a chanté le mardi précédent. Les conditions sont réunies pour une représentation exceptionnelle.
Brett Polegato qui m’était apparu à la première un peu en deçà de ses prestations parisiennes était ce dimanche parfaitement en phase, diction superbe, expressivité et présence, belle tension. Michelle Breedt était elle aussi plus à l’aise. Quant à Andrew Rees, il est l’un des meilleurs Melot entendus récemment, et un Melot de qualité c’est une denrée rare.
Andreas Hörl était Marke, à la place de John Releya (cette substitution était prévue et affichée) : son chant est inhabituel, plus varié, plus vivant mais aussi moins maîtrisé que ce à quoi on est habitué. La voix est plus claire, et la manière de chanter fait qu’on a l’impression de le voir moins en phase avec la fosse et le chef, un peu plus difficile à suivre. Pour le spectateur, ce chant varié, souple surprend, certes, mais ne déplaît pas, mais pour les relations entre scène et fosse, c’est peut-être autre chose.
Ce qui a notablement frappé et qu’on retient aussi de ces représentations romaines, c’est l’excellent niveau des rôles de compléments : le junger Seemann de Rainer Trost, bien sûr mais aussi le berger (ein Hirt) de Gregory Bonfatti, qu’on note pour la clarté de la voix et la manière de la faire sonner. C’est suffisamment marquant pour qu’on le signale.
Ainsi arrive-t-on au terme d’une aventure qui a duré six bons mois depuis mai dernier, qui a montré quel chef était Daniele Gatti pour ce Wagner-là, et les audaces qu’il avait su imposer à l’Orchestre National de France au Théâtre des Champs Elysées. À Rome avec un orchestre d’opéra qu’il connaissait moins et moins habitué à ce répertoire, il a d’abord été plus prudent. Il a moins osé à la Première, un peu plus lisse, moins dramatique et moins tendue qu’à Paris, mais ce qu’on a perdu en tension dramatique, on l’a récupéré en lyrisme. On a pu dire aussi que la représentation était plus « italienne ». Après plusieurs représentations et des triomphes répétés (le public a accueilli le chef milanais à chaque fois avec enthousiasme), tout cela s’est détendu, et l’orchestre, toujours impeccablement tenu, toujours attentif, toujours tendu vers le chef, a répondu à d’autres impulsions : cette dernière représentation était plus dramatique, plus en phase avec ce qu’on avait entendu à Paris ; Gatti y a osé plus, notamment au troisième acte, époustouflant de bout en bout. Mais il a profité aussi de la présence de Robert Dean Smith, avec lequel il a trouvé immédiatement une respiration commune, notamment au deuxième acte, d’un lyrisme bouleversant d’une profondeur, d’une sérénité, d’une sensibilité encore plus marquées et qui n’a pas ressemblé à celui de la Première .
Daniele Gatti s’est entendu avec l’orchestre qui lui a répondu avec une attention de tous les instants, mais il sait aussi s’adapter à son plateau. Ce qui caractérise cette manière de diriger, c’est d’être à l’écoute des variations et des inflexions du plateau, de ne jamais diriger pour soi-même, mais en fonction de l’état des troupes et du contexte. C’est ainsi que cette direction n’est jamais tout d’une pièce ou définitive, mais toujours en devenir, toujours à l’affût, en quête d’autre chose, qui va aller plus loin au service de l’œuvre. Daniele Gatti n’est jamais en repos et c’est ce qui rend cette expérience de Tristan passionnant pour le spectateur fidèle que je fus : je n’ai jamais entendu le même Tristan, mais j’ai été à chaque fois en découverte, voire en surprise, voire pris à revers.
Un seul exemple : la large respiration finale que Gatti impose, où l’accord se gonfle et se dilate avant de s’estomper, pour figurer une sorte d’état d’abstraction métaphysique était ce 11 décembre, plus large encore, plus marqué encore, plus long encore, et cette manière inattendue de diriger un moment particulier auxquels ceux qui avaient déjà entendu ce Tristan s’attendaient, nous a laissés bouleversés, en suspension.
On attend avec impatience un Tristan und Isolde avec le Concertgebouw. Vite s’il vous plaît.[wpsr_facebook]
On n’ira pas par quatre chemins : la discussion autour de cette production ne porte ni sur une distribution remarquable, ni sur une direction musicale de Kirill Petrenko hors normes, mais sur la mise en scène de Harry Kupfer. Octogénaire, le metteur en scène allemand continue de produire, à Francfort (Ivan Soussanine), à Berlin (Fidelio), à Salzbourg (Der Rosenkavalier) et maintenant à Munich, alors qu’on va revoir l’hiver prochain à Milan Die Meistersinger von Nürnberg dans sa production de Zurich.
L’opéra de Chostakovitch, qui a mis tant de temps à vraiment s’imposer sur les scènes, est l’objet depuis plusieurs années de productions qui ont impressionné et fait couler bien de l’encre, par exemple celle de Martin Kusej à Amsterdam et Paris, celle de Dimitri Tcherniakov à Düsseldorf, Londres et Lyon (la saison dernière), marquées par le Regietheater.
La production d’Harry Kupfer se situe ailleurs et pose autrement la question de cette femme, par une vision aporétique et indulgent de ce destin, qui doit beaucoup à la tragédie grecque : Kupfer fit jadis une Elektra frappante avec Abbado à Vienne, et cette Lady Macbeth est une tragédie de la solitude et de l’isolement, dans un espace clos, même lorsqu’il respire un peu du ciel des marines du peintre Gerhard Richter : le héros tragique est coincé entre des murs. Quel que soit le contexte, Katerina se heurte au mur invisible du destin, inscrit dans cette solitude initiale du lever de rideau, dans un arsenal, fabrique de bateaux abandonnée, au milieu de la rouille, du cambouis et de la saleté. L’élément marin, visible dans la dernière scène, mais déduit dès les premières, est cet espace infini mais interdit, cette nature au lointain qui finira par être l’échappatoire définitive, qui apparaît progressivement. D’abord limité à ce vaste hangar de verre et de métal, une sorte de gigantesque pavillon de Baltard sans horizon où chacun vit comme il peut sa vie, à la fois clos et pourri, puis au deuxième acte légèrement ouvert (c’est le moment du mariage) où l’on se prend à croire en une possible fuite, enfin complètement ouvert dans la vision paradoxale d’un espace marin immense et libre, mais fait de prisonniers enchainés au premier plan : le possible de cet espace, la seule liberté, c’est la mort qu’on donne ou qu’on se donne.
Harry Kupfer raconte son histoire à travers l’évolution du décor de Hans Schavernoch avec le même langage qui racontait Vienne dans Rosenkavalier, ou la fin de la musique dans Fidelio. C’est à dire la présence écrasante d’un univers qu’on croit réaliste, mais totalement abstrait qui inscrit l’action dans le symbolique et la distanciation. Le décor, image de la vie de Katerina qui l’écœure et la détruit, écrase et créé une correspondance (au sens baudelairien du mot) avec le plateau, et même la fosse.
Sans percevoir l’articulation structurelle entre décor, jeu et musique, on ne peut comprendre la vraie nature de ce travail qui est un chef d’œuvre de l’artisanat du metteur en scène, ou rien n’est laissé au hasard, mouvement, objets, gestes.
Certains y ont vu de manière erronée un travail du passé, à l’esthétique et la gestuelle un peu dépassée : c’est au contraire une déclaration affirmée, une volonté affichée du vieux maître de refuser les facilités du théâtre d’aujourd’hui, ou sa doxa, l’explicite de la violence ou du sexe, ou l’explicitation du contexte pour affirmer un théâtre qui au milieu de ce bric à brac métallique et pourri, reste une épure, avec un minimum de gestes signifiants, dans un espace plus symbolique que réaliste : à ce titre et pour des motifs très différents, la Katerina de Tcherniakov et celle de Kupfer si différentes vivent dans un espace clos, dans une niche séparée du monde et en même temps sous les yeux de tous. C’était l’espace rouge passion chez Tcherniakov, au centre de l’entreprise très clean de Zinovy et Boris. C’est chez Kupfer un espace de bois que der Schäbige (le balourd miteux) en appuyant sur un bouton soulève et abaisse autant que de besoin, un espace minimaliste où le lit est un cageot et où Katerina vit dans une pourriture métaphorique de sa situation. Ce théâtre n’a rien de dépassé, c’est tout au contraire un théâtre sur lequel le temps n’a aucune prise, un théâtre de la concentration et de l’abstraction, presque une œuvre pour toujours, la Κτῆμα ἐς ἀεί chère à Thucydide : Kupfer inscrit cette histoire dans une parabole, celle du destin éternel des perdants, dans l’histoire continue des victimes. La Katerina de Kupfer est une victime qui inspire la compassion.
Dès le lever le rideau. Katerina, seule au milieu des ruines de cet arsenal abandonné, est l’image de l’enfermement définitif et de l’impossibilité. Tout est déjà dit. Et nul besoin de l’espace vide pour marquer l’abstraction, il suffit de ce lieu qui n’en est pas un, de cet arsenal sans bateaux, de cette cabane qui n’est pas une maison, de cette passerelle au-dessus de la scène de mariage qui ne mène qu’au vide, de ce réel irréel qui n’est qu’une forêt de symboles.
C’est à un théâtre distancié que nous avons affaire, où tous les mécanismes sont visibles, à commencer par cette manière dont le décor de la cabane de Katerina se soulève sous l’action de celui-même qui plus tard découvrira le cadavre de Zinovy, une sorte d’ instrument du destin. Dans cette tragédie de la solitude, chacun est à sa place dans la mécanique tragique.
Autre magnifique vision, celle de cette noce qui fait tant penser à la Noce chez les petits bourgeois de Brecht, avec cet arrêt sur image qui laisse en dessous se développer la désopilante scène des policiers, assis sur des chaises de bureau à roulettes, dans une sorte de valse creuse née de l’oisiveté des petits employés, inoccupés, vision administrative d’apparatchiks plus que de policiers qui renvoie l’espace d’un instant au monde stalinien de Chostakovitch qui pourrait être aussi celui de la DDR de Kupfer. Vision à la fois sarcastique et inquiétante, qui elle aussi est une fabrique de mécanique tragique dont le lubrifiant est encore le balourd miteux, der Schäbige. Seul moment où le contexte politique s’introduit furtivement mais qui indique aussi clairement aussi que le grain de sable déclencheur du drame, s’appelle ici l’ennui. L’ennui des policiers comme l’ennui de Katerina, cause unique de la tragédie.
Les gestes, les mouvements, les actions même sont réduites et rapides, sans insister sur la violence, sans scorie, dans une sorte de rigueur qui ne laisse passer que le strict nécessaire, laissant à la musique le soin de l’éclairage et des explications : il suffit de lire le texte d’Harry Kupfer dans le programme de salle pour comprendre son extrême attention à la musique, à ses contrastes, à sa diversité, et à sa manière de représenter le monde multiple et contradictoire qui entoure Katerina.
Le dernier acte est mis en scène à l’opposé du travail de Tcherniakov, qui dissimulait à la vue tout le contexte pour se concentrer sur l’étroit espace d’une cellule où tous les personnages finissaient par se détruire, dont le chœur (invisible) commentait l’action.
La vision de Kupfer est ici plus explicite, avec le cortège des prisonniers dont le chœur fait tant penser à celui de vieux croyants de Khovantchina, eux aussi promis à la mort, avec le côté de Katerina (cour) et celui de Sonjetka (jardin) si cruelle et si juste de Anna Lapkovskaja, dans une géométrie où elles finiront par se rejoindre au centre, sur ce ponton qui est presque un échafaud où toutes deux disparaîtront, pendant que Serguei va se fondre dans la foule, comme envolé dans son inexistence, laissant les femmes à leurs drames et à leur fin. On reste dans une sorte d’abstraction désespérée, de tableau de genre qui porte en lui-même sa fin, avec cette étendue marine au calme prémonitoire, ciel entaché de nuages (une marine de Gerhard Richter), comme si Katerina engloutie par les eaux rendait au jour qu’elle souillait toute sa pureté. Qu’est-ce que cette mort, sinon un épisode parmi d’autres du long voyage vers l’enfer sibérien. Un non-événement dont sont victimes celles qui ont voulu simplement essayer d’exister sans qu’on le leur permette et qui disparaissent dans l’eau sans laisser de traces. Kupfer nous raconte une histoire inutile qui n’a même pas accès à un mythe quelconque, l’histoire d’une non-existence. La longue histoire d’une chute annoncée, dès le début, une parabole ouverte dans l’espace clos d’un arsenal et close dans l’espace ouvert d’un rivage infini qui se referme.
Ce qui frappe dans ce travail, c’est sa linéarité, son refus de l’effet, son implacable mécanique qui conduit à l’instant fatal, où Katerina a voulu reconquérir son destin, a voulu le disputer à une fatalité inscrite dans le décor et dans chaque moment de l’action, en allant jusqu’au bout de sa logique, de son amour et de sa vie.
Voilà une production où une fois de plus la relation entre le chef et le metteur en scène est aveuglante, chacun se chargeant d’une partie de la tâche : rien de plus erroné que de croire que nous sommes face à un travail qui tiendrait seulement par le chef. Petrenko regarde toujours ce qui se passe sur scène pour proposer une ligne de direction musicale et son travail est ici un long lamento dramatique de l’impossible issue. Il fait ressortir de la musique non seulement les moindres détails, l’auditeur familier de son style en a l’habitude, mais d’abord tout le lyrisme et toute la tendresse : il montre dans cette musique tout ce que la tendresse mahlérienne a pu enseigner à Chostakovitch. Cette direction est en effet une sorte d’hommage à cette musique très référencée, qui puise dans les sources diverses, à commencer par Moussorgski, mais aussi l’univers viennois le plus léger, et bien sûr Mahler, à la fois immensément tendre et terriblement sarcastique voire grotesque, le Mahler d’une Neuvième qui serait projetée sur scène, mais aussi quelquefois un univers à la Wozzeck, un univers de la lente désespérance d’une marche au supplice.
Cette retenue, cette volonté d’inscrire en sourdine tout ce qui est soif de tendresse, à l’opposé de l’expressionisme cru, voire exacerbé qu’on retient la plupart du temps de l’œuvre en fait presque une vision romantique, au sens propre du terme, comme l’ont défini les théoriciens du romantisme au XIXème , par ses contrastes violents et son infini raffinement. C’est un immense travail sur la complexité, sur le refus d’un sens univoque, sur le multiple visage de la vie et sur les replis de l’âme humaine.
Deux exemples :
la disposition théâtrale des cuivres – tuba wagnérien et autres – dans les loges d’avant-scène, à la fois instruments et spectateurs, à la fois musiciens et personnages, qui répondent en écho au bal muet d’un orchestre de mimes, surgissant en arrière scène comme signe de chaque manifestation sexuelle ou de chaque moment de violence, signe de paroxysme musical pour paroxysme de sentiment, de désir, de volonté destructrice.
Les funérailles de Boris, magnifiquement réglées en marche funèbre clairement inspirée de la marche funèbre de Siegfried, scéniquement et musicalement, dans un rapport évidemment inversé, Boris n’ayant rien du héros wagnérien, et donc la vision d’une marche funèbre d’un anti-héros qui aimait trop les champignons, sarcastique mais non dépourvue aussi d’une certaine grandeur.
Ainsi la musique devient-elle-même mise en scène : extraordinaire Bayerische Staatsorchester qui rutile et murmure, qui s’alanguit et s’énerve, qui se dresse et s’étouffe car Kirill Petrenko et Harry Kupfer parlent ici exactement le même langage : Kupfer travaille une chorégraphie des gestes et mouvements là où Petrenko accompagne par une chorégraphie des sons. On est dans un rapport à la scène voisin de celui des Soldaten de Kriegenburg, autre histoire de déchéance, où il y a une union très étroite sans jamais aucune redondance, un unisson visuel et sonore qui exclut toute complémentarité, comme si à ce qu’on voyait correspondait l’évidence de ce qu’on entendait, comme si ce qu’on entendait trouvait immédiatement sa vision scénique (et non sa traduction). On n’est pas loin non plus de la manière dont Lulu vu l’an dernier sur cette scène était mis en musique et en même temps aussi mis en théâtre. L’évidence scénique en écho ou en osmose avec une évidence musicale.
À chaque fois, Kirill Petrenko nous stupéfie, son génie du détail, son art d’être partout en même temps, par la multiplicité et la précision des gestes, par la profondeur des niveaux de lecture, construction en abyme où l’on découvre à chaque fois une autre phrase, un autre moment, d’autres phrases que jamais aucun enregistrement, aucun chef ne nous avaient révélées, une sorte de tunnel infini de sons et de phrases, une succession de moments découverts qui accentuent encore le foisonnement et la complexité de l’œuvre. Là où Kupfer étudie chaque geste avec une précision chirurgicale, Petrenko répond par un travail qui semble infini sur chaque note : l’un est métaphore de l’autre. Un travail étourdissant.
Munis de ces viatiques à vrai dire monumentaux, les chanteurs constituent une compagnie d’une rare cohérence, d’un vrai caractère, impossible à comparer ou presque à d’autres optionsCe qui caractérise la troupe, les membres du studio et les plateaux des grandes représentations de la Bayerische Staatsoper, c’est d’abord une homogénéité due non pas au niveau individuel des chanteurs, mais à un engagement partagé, chacun avec ses moyens et chacun à sa place : ce qu’on appelle souvent un esprit de troupe qui court tout le plateau et la fosse.
Le chœur, magnifiquement préparé dirigé par Sören Eckhoff, d’une présence très forte est particulièrement touchant au dernier acte qui le met sans doute le plus en relief. Et les solistes sont tous très engagés. Bien sûr la contribution de la troupe est particulièrement notable et il faut citer tous les petits rôles : c’est souvent eux qui donnent à la représentation son niveau d’excellence : Christian Rieger, Sean Michael Plumb, Milan Siljanov, Kristof Klorek, Dean Power, Peter Lobert, Igor Tsarkov, Selene Zanetti sont tous à leur place et contribuent à l’impression d’ensemble ; il n’y a aucun point faible, dans un opéra où tant de personnages évoluent et interviennent. Nous avons signalé plus haut la Sonjetka de Anna Lapkovskaia, rôle réduit, mais interprétation incisive, très expressive, avec une voix très bien posée et projetée et des graves vraiment somptueux. Alexander Tsymbalyuk, à la fois truculent policier en chef, avec sa belle voix de basse jeune et colorée, mais aussi Alter Zwangsarbeiter à qui échoient la dernière réplique de l’opéra, intériorisée, et qui clôt l’œuvre isolé sur le plateau. Tsymbalyuk qui chante aussi à Munich bien d’autres rôles dont Boris Godunov, montre ici une belle personnalité scénique et vocale. Même composition marquante pour le Pope de Goran Jurić, plein de relief, qui obtient un vrai succès personnel. C’est le type même de rôle non essentiel, mais dont la faiblesse gâcherait la fête, alors que la figure un peu grotesque du pope alcoolique (un topos dans le monde orthodoxe) participe de cette ambiance très diverse et très pittoresque du plateau, si nécessaire à l’histoire, qui se déroule sous les yeux du groupe. Très réussie l’Axinja d’Heike Grötzinger, première victime d’un Serguei entrant en scène en s‘attaquant à la plus faible et qui va passer de l’employée à la maîtresse. Enfin, der Schäbige le balourd miteux de Kevin Conners est comme le pope, une figure presque abstraite dans cette mise en scène, présent depuis le début et actionnant le mécanisme qui fait monter et descendre l’espace de Katerina : autre figure d’ivrogne, il est l’instrument du destin qui va décider des événements : découvrant le cadavre de Zinovy en cherchant quelque bouteille à la cave, puis allant dénoncer la chose à la police : il est l’élément déclencheur, ce petit clin d’œil du destin, le fameux grain de sable qui casse la mécanique huilée qui devait inscrire un tout autre avenir au couple Katarina/Serguei. Kevin Conners est vraiment ce ténor de caractère lui aussi très présent et très juste. Toute la troupe ou presque est donc mobilisée au service de cette œuvre pour entourer les quatre protagonistes du drame.
Serguei Skorokhodov, membre de la troupe du Marinski, est Zinovy : rôle ingrat, court et qui doit pourtant être suffisamment présent pour aider à comprendre l’héroïne : c’est le patron sur qui pèse le destin des travailleurs, c’est le mari probablement impuissant, c’est un moteur d’ennui : son départ va déclencher le drame. On dit qu’un prompt départ vous éloigne de nous, Seigneur. Loin de moi l’idée de rapprocher les rôles de Katerina et de Phèdre, mais plutôt d’évoquer une dramaturgie qui rapproche les deux œuvres, un exemple de mécanique tragique : le départ initial est un ressort tragique parce qu’il libère les paroles et les actes des personnages et de ce point de vue le schéma absence – libération des personnages restant – retour du maître est un schéma dramaturgique typique de tragédie. Ce départ est mis en scène de manière impitoyable et par Chostakovitch et par Kupfer : il s’agit à la fois d’affirmer la soumission de la femme au mari, le soupçon inhérent à la femme restée seule, le risque de bafouer les valeurs sanctionnées par la religion (présente par le pope, qui même alcoolique, n’en est pas moins pope) le tout orchestré par le père, Boris, dont la seule fonction est semble-t-il de surveiller une bru qu’il déteste (sauf, c’est dommage pour lui, quand elle lui cuisine des champignons), avec le décalage que constitue la soumission à Zinovy, un être inodore et sans saveur, que personnifie assez bien y compris dans la voix, Sergey Skorokhodov.
On ne peut éviter de penser non plus aux Atrides et à Agamemnon, à peine revenu de la guerre, à peine assassiné : Zinovy, Serguei et Katerina recomposent en version russe le trio infernal des Atrides : Agamemnon, Electre, Egisthe. Difficile d’échapper à cet autre schéma en version médiocrité : Zinovy n’est pas un héros, Katerina une victime, et Sergueï une bête à sexe arriviste.
Ainsi, le schéma dramaturgique de l’opéra aide à comprendre l’idée première qui m’a frappé d’une Lady Macbeth vue par Harry Kupfer en version tragédie grecque, qui fouille dans les conséquences de l’isolement et de l’ennui ; et qui pose, comme dans Phèdre, la question de l’innocence et de la culpabilité.
Second élément perturbateur de l’histoire et premier dans l’ordre des meurtres, le père, Boris, magistralement interprété par le vétéran Anatoli Kotscherga. Claudiquant et marchant en rythme avec le texte et la musique, avec une voix un peu opaque qui a perdu sans doute quelque chose de sa profondeur ou de sa projection mais tellement expressive : il mastique le texte d’une manière très théâtrale, avec des accents qui donnent à son débit à la fois quelque chose de terriblement froid et en même temps une imperceptible sensation d’impuissance : hors-jeu, réduit à surveiller la nuit la maison et sans doute sa bru, il n’a plus la main, sinon chercher la faille qui lui permettra de montrer à son fils ce que « vaut » sa femme. C’est une composition d’une très grande tenue, d’une très grande intelligence, qui sait jouer de ses problèmes vocaux : comme tous les très grands, Kotscherga sait adapter couleur et interprétation à son état vocal et sait faire plier les exigences du rôle à sa voix : il joue avec ses faiblesses et elles sont d’une force incroyable. Il n’apparaît qu’au premier et second acte mais il a une telle présence qu’on se souviendra longtemps de sa manière de descendre l’escalier étroit qui conduit au plateau, ou d’errer de manière fantomatique autour de la « cabane » de Katerina.
La mise en scène du rôle de Sergueï n’en fait pas la bête sûre d’elle et dominatrice qu’on a pu voir dans d’autres mises en scène (Tcherniakov par exemple) : le personnage a même quelque chose d’ordinaire, quelque peu négligé, mais sans la vulgarité qu’on lui prête quelquefois. Il est presque plus à l’aise dans la seconde partie, dans le rôle du marié déjà patron et propriétaire, manière pour Kupfer d’en faire un arriviste qui sait mimer les habitudes des patrons qu’il a dû tant observer. La voix au timbre clair, bien projetée, s’affirme sans effort mais sans s’imposer. Comme s’il n’était pas exactement ce que Katerina projette en lui. Comme si elle l’habillait d’une nature qu’il n’avait pas vraiment. La composition est intéressante car il ne surjoue jamais et ne paraît pas si antipathique, ce qui donne d’ailleurs à son quatrième acte une cruauté sans nom, dans sa manière de traiter et de rouler Katerina.
Anja Kampe enfin, dans une incroyable création. Pour sa première approche du rôle redoutable, elle ne respire pas la sensualité et elle ne joue pas de son corps comme une Ausrine Stundyte. Elle ne joue pas non plus de sa puissance vocale à la manière d’une Eva Maria Westbroek. Elle est au contraire entièrement concentrée dans sa manière de dire le texte et dans l’expression, avec un soin donné à la couleur, des audaces incroyables dans sa manière d’attaquer certaines notes, avec distance quelquefois et à d’autres une bestialité rare. C’est une vraie performance qui fait voir une incroyable puissance d’interprétation, entre Kundry, Lulu et Electre, monstrueuse et pitoyable. La puissance de certaines notes est inouïe, mais presque décuplée par la manière de dire, par les accents, par le lyrisme : la puissance n’est jamais gratuite, elle est toujours au service exclusif de l’expressivité, changeant de registre par un jeu de modulations et des passages négociés de manière stupéfiante : c’est une prodigieuse incarnation, parce qu’elle utilise toute sa voix – qui est sans doute moins volumineuse que celle d’autres interprètes du rôle, au service du personnage et de son évolution psychologique. Avec sa mémorable Sieglinde de Bayreuth, sa Katerina est sans doute le rôle où elle montre la variété de tons et de styles la plus manifeste. Dans le contexte, avec un Petrenko en fosse toujours attentif à ne jamais couvrir, et à accompagner le chanteur comme un pianiste en récital, toujours pointilleux sur le texte à dire et une mise en scène elle aussi tirée au cordeau, millimétrée dans le geste et réglant chaque mouvement de manière artisanale: Kampe est simplement écrasante.
La série de représentations a été un triomphe total de public, on en sort violemment bousculé. Il y a une session de rattrapage brève (une représentation) en juillet 2017. Vous feriez bien de ne pas la rater.[wpsr_facebook]
PS: Vous pouvez aussi lire la critique de David Verdier dans Wanderer
Der Vampyr,
Opéra romantique en deux actes de Heinrich August Marschner, livret de Wilhelm August Wohlbrück
Créé au Theater der Stadt, Leipzig, le 29 mars 1828
Mise en scène : Antú Romero Nunes (reprise par Tamara Heimbrock)
Dramaturge : Ulrich Lenz
Décors : Matthias Koch
Costumes : Annabelle Witt
Lumières : Simon Trottet
Musique additionnelle : Johannes Hoffman
Avec :
Tómas Tómasson (Lord Ruthven), Chad Shelton (Sir Edgard Aubry), Laura Claycomb (Malwina), Maria Fiselier (Emmy), Jens Larsen (Sir Humphrey Davenaut), Ivan Turšic (George Dibdin).
Choeur du Grand Théâtre de Génève. Chef de chœur : Alan Woodbridge
Orchestre de la Suisse Romande. Direction musicale : Ira Levin
Une initiative vraiment intelligente et stimulante : proposer l’un des succès de l’époque romantique d’un auteur, Heinrich Marschner dont certains grands (Wagner) se sont inspirés. Les représentations ou les enregistrements de Marschner se comptent sur les doigts d’une main et pourtant, c’est une musique qui a traversé l’époque : la musique haletante de Die Feen n’est pas sans rappeler le rythme continu et jamais essoufflé de Der Vampyr qui vient de triompher à l’Opéra des Nations, siège provisoire du Grand Théâtre de Genève. Les dimensions de la scène imposent de chercher des productions qui puissent d’adapter et empêchent les très grosses machines que permettait le Grand Théâtre.
Allié pour l’occasion à la Komische Oper de Berlin, le Grand Théâtre de Genève propose Der Vampyr dans la production de Antú Romero Nunes, le jeune metteur en scène allemand qui a travaillé souvent sur les livrets d’opéra. Il s’est fait connaître notamment par un travail sur Don Giovanni et a produit à Hambourg un spectacle singulier sur le Ring de Wagner, en s’appuyant exclusivement sur le livret qu’il a un peu trituré, à dire vrai. Pour ce Vampyr, il a complètement mis à plat un livret d’environ 3h, en le réduisant à 1h15 de musique.
On doit s’interroger sur l’opportunité de cette chirurgie. Car ce qu’on se permet sur Marschner, aujourd’hui largement inconnu, se le permettrait-on sur Wagner ou sur Verdi ? Dans la curiosité générale pour l’œuvre, on a souvent peu fait cas de l’avertissement clair du Grand Théâtre, il ne s’agit pas de l’opéra de Marschner mais d’un spectacle de théâtre musical sur Marschner : c’est Der Vampyr, d’après Marschner. Si le Grand Théâtre de Genève a pris ses précautions, et respecte le contrat avec le spectateur, la validité de l’opération pose question.
Certes, Antú Romero Nunes est familier de la chirurgie sur les livrets et c’est un metteur en scène souvent adepte du « texte/prétexte », même si son Guillaume Tell à Munich en 2015 reste très sage et très respectueux. Mais de la même manière, un opéra inconnu reproposé sur les scènes mériterait à mon avis une présentation intégrale, peut-être plus difficile parce qu’il faut trouver les chanteurs qui puissent apprendre un opéra peu affiché sur les scènes et donc avec un rapport investissement /retour sur investissement problématique. Il est évidemment plus facile de convaincre des artistes de n’apprendre qu’un ou deux airs d’une version charcutée.
C’est un débat préalable. L’élargissement actuel des répertoires, qui est le corollaire de programmations trop conformes et d’un public moins stimulé par la nième Bohème ou la nième Traviata, qui çà et là commence à déserter les salles, exige une politique en la matière : ici on coupe les ballets (dans tous les opéras français à commencer par Faust), là des pans entiers du livret (rappelons-nous Rienzi réduit à un peu plus de deux heures à la Deutsche Oper de Berlin dans une production pourtant passionnante). C’est un problème de programmation et de politique culturelle. Ou bien l’on fait une opération culturelle de redécouverte d’une œuvre et on la présente dans sa structure d’origine, ou l’on explore d’autres voies.
La Komische Oper de Berlin et le Grand Théâtre de Genève ont choisi une voie moyenne, s’appuyant à la fois sur la redécouverte de l’œuvre et la singularité du spectacle de Antú Romero Nunes. Nunes s’intéressant à la question du vampire et à la représentation de l’horreur (au sens des films dits d’« horreur ») et non à la question plus subtile du romantisme, de l’inquiétude, de la nature et des êtres limites et de la fragilité des jeunes filles rêveuses (Malwina est bien proche de Senta, fascinée par un être hybride et prête à se jeter dans les flots).
L’intérêt plus spécifique de Genève est aussi dû à ce que l’œuvre, au moins le texte de John Polidori, « The Vampyre », dont elle s’inspire, soit née dans les soirées de mauvais temps à la villa Diodati, à Cologny, au bord du Léman, où séjournaient Byron et les Shelley : la vision moderne du vampire et l’histoire de Frankenstein sont donc nés près de Genève comme le rappelle opportunément le programme de salle. Dracula vaut bien une messe noire…
Ainsi donc ce spectacle naît de plusieurs signes croisés, la volonté de présenter une œuvre singulière et peu connue, la volonté aussi de s’inscrire dans une identité locale, et celle probable de proposer un « arrangement » suffisamment étoffé pour que le public ait une idée claire de l’original de Marschner, et suffisamment référencé dans notre « modernité » pour que le spectacle ait un rythme et une allure non pas « archéologiques », mais celle d’un spectacle musical divertissant qui ait prise sur tous les publics. Pari réussi : le spectacle a fait un triomphe.
Antú Romero Nunes a donc travaillé sur la représentation de l’horreur au théâtre, sur les effets sur le public, sur les références artistiques et notamment cinématographiques. D’une certaine manière et pour faire court : il fait un « film d’horreur théâtral » : les premières minutes après l’ouverture, sous lumière stromboscopique, font voir un vampire qui vient dans la salle enlever une frêle jeune fille hurlante au premier rang, pour la dépecer (cœur et intestins y passent) après avoir bu son sang. C’est vif, rapide, bien fait et dégoulinant. Suivent un chœur fait de zombies, référence à la Nuit des morts vivants, et des dépeçages en série : les membres volent, les entrailles explosent, et les personnages traversent ce bal singulier avec la tension voulue par l’ambiance.
À l’arrangement scénique correspond l’arrangement musical puisqu’à la musique de Marschner on a ajouté une musique contemporaine de Johannes Hofmann qui reproduit certaines musiques de films d’horreur : charcuter et truffer sont les deux mamelles de cette production. Il faut d’ailleurs reconnaître que l’articulation entre la musique originale et les inserts contemporains est très bien faite.
Au-delà des observations sur la justification de l’opération, d’une part, au-delà de la fidélité à l’œuvre, d’autre part, le spectacle fonctionne, les spectateurs rient, il est bien fait, rythmé, excessif en diable (si je peux me permettre l’expression) et les chanteurs sont parfaitement insérés dans la mise en scène. Mais il fonctionne comme un objet presque indépendant, une expérience sur l’horreur représentée, et sur les effets sur le public : si le film d’horreur avec sa relation au réalisme peut faire peur, le théâtre fait basculer l’ensemble dans la caricature, même surprenante, le sang pisse, les entrailles volent, et personne n’y croit (heureusement) mais s’amuse bien. Dans ce style les 80 minutes finissent par être répétitives.
Dans la logique de l’histoire qui est histoire de séduction, Lord Ruthven tel qu’il est hypnotise peut-être mais ne séduit pas, c’est la relation au monstre qui est en jeu (il a des mains d’animal crochues par exemple) : la relation au séducteur Don juanesque est une des références possibles (même tonalité musicale d’ailleurs). Le Dracula de Christopher Lee avait quelque chose d’aristocratique et de séduisant, le vampire de Tómas Tómasson habillé par Annabelle Witt est un personnage de dessin animé ou de bande dessinée.
Le décor (Matthias Koch) fait de toiles peintes (les appartements de Sir Davenaut par exemple ou de projections, correspond au style des opéras du début du XIXème, et la chauve-souris initiale qui enserre un sablier qui à la place du sable fait couler le sang (un sanglier ? pardonnez, mais j’ai osé…) fait de loin penser à la représentation de la reine de la nuit (en araignée) dans la mise en scène de Kosky de Zauberflöte.
La production est faite de décors légers qui conviennent bien à l’Opéra des nations, et qui en ont sans doute facilité le transport de Berlin. Seule originalité (si l’on peut dire) du dispositif scénique, un promenoir derrière la fosse d’orchestre qui permet un voisinage plus fort des spectateurs et du plateau, et un jeu amusant avec le chef d’orchestre chassé de son podium. Une production efficace, et probablement assez économique, avec de beaux effets multiples des éclairages (de Simon Trottet).
En ce qui concerne le plateau, il affiche comme à Berlin Tómas Tómasson qui passe ainsi du débonnaire Hans Sachs (à la Komische Oper) au terrible Lord Ruthven. Toujours doué d’une diction remarquable, il affiche une voix à la sécheresse marquée qui a quelque difficulté avec la tension requise par le rôle, toujours violent. Les aigus passent mais quelquefois à la limite, et le timbre est relativement ingrat, ce qui peut fonctionner pour ce rôle. Il reste que le personnage est vraiment incarné, que le jeu est très juste, avec quelquefois cette légère touche aristocratique et une alternance de violence sauvage et de retenue (quand il est avec Davenaut et qu’il cherche à « épouser » Malwina.
L’histoire réduite se concentre sur deux des trois jeunes filles à séduire en 24h pour avoir l’autorisation de rester sur terre à hanter les vivants, la première est expédiée ad patres en quelques minutes, c’est celle qui est enlevée au public, la deuxième, Emmy, est aussi enlevée à l’amour des siens – et du jeune George Dibdin (Ivan Turšic) – après quelques péripéties, mais c’est Malwina qui sera la troisième, et qui sera sauvée. Ainsi donc la recomposition du metteur en scène implique-t-elle une gradation qui finalement correspond aussi à l’original.
Face à un lord Ruthven qui est un peu un ogre, le jeune George Dibdin (Georg est d’ailleurs le prénom choisi par Wagner pour Erik dans sa première version du Fliegende Holländer) confié à Ivan Turšic de la troupe de la Komische Oper (vu dans David des Meistersinger), avec sa voix claire et un joli timbre, il défend le rôle (très secondaire) non sans présence.
Face à Lord Ruthwen, le véritable ancêtre de l’Erik du Fliegende Holländer wagnérien, est Sir Edgar Aubry, déchiré entre sa loyauté envers Lord Ruthven, qu’il a suivi et dont il a découvert la véritable nature, et son amour pour Malwina. Confié au ténor américain Chad Shelton, le rôle a notamment un air assez tendu et difficile (les ténors de l’époque avaient toujours fort à faire) : la voix est claire, la diction impeccable et la préparation parfaite comme souvent avec les artistes d’outre atlantique, c’est un vrai ténor lyrique, mais avec du souffle et une belle projection, l’un des gros succès de la soirée.
Enfin Jens Larsen, voix efficace de basse profonde, qui lui aussi appartient à la troupe de la Komische Oper de Berlin, est Sir Humphrey Davenaut, le père qui sacrifie sa fille en croyant la caser, une basse qui renvoie en version Dracula à un Don Magnifico rossinien (La Cenerentola remonte à 1817) qui serait alors un Don Horrifico. La situation en tous cas est la même.
Du côté féminin, Laura Claycomb est Malwina : elle éprouve quelque difficulté à entrer dans le personnage, et si les notes sont faites, l’interprétation reste en retrait, sans véritable engagement et la prestation ne réussit pas à être vraiment convaincante parce qu’inexpressive dans un rôle qui se prête pourtant à travailler la diversité des sentiments. Cela reste un peu monocolore.
En revanche la jeune Maria Fiselier, très récente recrue de la troupe de la Komische Oper, est une Emmy Perth convaincante, émouvante, avec une voix très bien placée et vibrante. L’expression du sentiment, la poésie, la fraicheur : tout y est et c’est elle qui emporte visiblement le cœur du public : une vraie découverte.
Le chœur du grand théâtre, bien préparé par Alan Woodbridge, et bien inséré dans la mise en scène, est lui aussi particulièrement convaincant, dans le rôle de groupe de morts vivants voulu par la mise en scène.
Ce devait être le russe Dmitri Jurowski dans la fosse et ce fut l’américain Ira Levin qui a fait une carrière entre l’Amérique du Sud (notamment au Colon de Buenos Aires) et divers théâtres allemands. Il a su parfaitement rendre la tension de cette musique et son halètement, son rythme continu et effréné, sa pulsation dramatique. L’orchestre lui répond de manière impeccable et l’on aurait aimé en entendre plus de l’œuvre avec ces couleurs-là et ce sens-là de la dynamique. Cette musique telle qu’elle a été concentrée n’a pas un moment d’apaisement, et ne laisse pas « tranquille ». Ce continuum de tension qui ressemble à une sorte de course à l’abîme fait évidemment penser à Weber, une source d’inspiration notable (on pense à Freischütz), mais aussi à certains moments des opéras de Schubert : il y a une sorte de couleur commune à ces opéras que Wagner va savoir utiliser notamment dans Die Feen, dont le halètement permanent et le rythme rappellent la musique de Marschner.
Voilà donc une redécouverte, en forme d’apéritif sanguinolent. On aimerait désormais qu’un théâtre ose la totalité de l’œuvre et reporte à la lumière ce succès notable du XIXème romantique. En tous cas, cet « assaggio » de Marschner a remporté les suffrages du public, qui a fait à cette production un très bel accueil. L’appel du sang ?[wpsr_facebook]
Direction musicale: Patrick Lange, Mise en scène et Dramaturgie: Jossi Wieler, Sergio Morabito, Décor: Bert Neumann, Costumes: Nina von Mechow, Lumière: Lothar Baumgarte, Chœur: Johannes Knecht
Don Fernando: Ronan Collett, Don Pizarro: Michael Ebbecke, Florestan: Eric Cutler, Leonore: Rebecca von Lipinski, Rocco: Roland Bracht, Marzelline: Josefin Feiler, Jaquino: Daniel Kluge, Erster Gefangener: Young Chan Kim, Zweiter Gefangener: Sebastian Peter, avec: Staatsopernchor Stuttgart, Staatsorchester Stuttgart
Venu pour le Faust exceptionnel de Frank Castorf (voir le site Wanderer), j’ai profité de ma présence à Stuttgart pour assister la veille au Fidelio dit « de répertoire », qui était la production de début de saison dernière. L’intérêt était double, d’une part il était intéressant de mettre en perspective l’approche de Kupfer à Berlin vue quelques jours auparavant et celle du binôme Wieler-Morabito à Stuttgart, d’autre part, j’aime assister à des représentations de répertoire, parce qu’elles en disent souvent plus sur l’état d’une maison d’opéra qu’une nouvelle production.
La production de ce Fidelio va se concentrer sur la question du texte et des dialogues, complets, et sur la question de la trace là où Claus Guth à Salzbourg les a tous effacés, signe qu’il y a là un véritable enjeu.
Toute l’action se déroule devant une espèce de bunker dont on ne réussit pas à déterminer la fonction et qui se dévoilera à la fin. L’ambiance dessinée par Bert Neumann, le mythique décorateur berlinois de Frank Castorf qu’il a accompagné à la Volksbühne depuis 1989, pour son dernier décor (il est décédé l’été 2015 à 54 ans), est à la fois aseptisée et redoutable, un hall d’entreprise de logistique éclairé à cru (par Lothar Baumgartne, fidèle de Neumann et Castorf), où le travail des personnages consiste à réceptionner des paquets d’un tapis roulant, les ouvrir, les contrôler puis les renvoyer sur un autre tapis roulant. Des personnages dont on finit par comprendre qu’ils sont tous prisonniers, tous habillés de la même manière en quatre déclinaisons, évoluent sous une vingtaine de microphones qui captent tous leurs dialogues: c’est un monde de prison, comme si l’univers était lui-même une immense salle de contrôle où chacun épie l’autre ; les prisonniers vêtus (costumes de Nina von Mechow) comme les personnages principaux se déplacent comme de petits soldats au pas, et à l’aveugle : le monde-même est une prison, sous le regard, figuré par un écran où paraissent les mots même des airs, non comme surtitrage (leur format est bien plus large), mais comme s’il fallait absolument garder le mot comme trace fatale et qu’aucun, ni des dialogues, ni des airs ne devait échapper .
Ce décor, un hangar logistique du « Stasiland » (un monde connu et subi par Bert Neumann originaire de la DDR) que Jossi Wieler et Sergio Morabito, loin de l’humanisme beethovénien, nous présentent, est une sorte de monde d’après, ou, mieux, un monde d’aujourd’hui, ce monde du totalitarisme soft, de ce « monstre doux », le mostro mite décrit par Raffaele Simone dans un livre célèbre paru il y a quelques années.
Comme Kupfer à Berlin, Wieler et Morabito n’y croient plus.
Inquiétant regard où le monde est lu comme une immense prison, ou comme un univers à la Orwell où Big Brother règne, ou bien, pire encore, un univers de téléréalité où la vie au quotidien est objet de regard, parce que tout doit être vu, et de spectacle, parce qu’on doit en jouir. Ainsi au milieu de cet univers faussement industriel, qui gère l’industrie de l’espionnage des uns vers les autres, de tous vers tous, une balancelle orange, qui marque l’univers petit bourgeois qui s’est construit dans cette horreur-là : on a l’humanité qu’on peut.
Il y a en effet évidemment une sorte de contraste entre l’horreur du propos, le regard, l’impossibilité d’être soi, la saleté mentale que tout cela suppose et le décor très clean, la modernité proprette presque télévisuelle (d’où ma référence à la téléréalité). En effet, le Pizzaro est une sorte non pas de « Stasimann » mais semble presque sorti d’un film de Fellini (on est dans la férocité d’un Ginger e Fred), un producteur prêt à tout.
Mais que fait donc le prisonnier Florentin isolé dans un tel monde ?
La solution vient, comme un deus ex machina à la fin. Le ministre, Don Fernando, libère l’ensemble des prisonniers avec Florestan au premier plan en faisant ouvrir par Leonore le fameux bunker, qui s’ouvre comme une porte de garage et laisse apparaître un monde de papiers et d’archives qui sont en train d’être broyées, qu’aussi bien Leonore que Marzelline et Jaquino vont regarder, consulter, comme si leurs actions avaient été là consignées, épiées, classées peut-être par Florestan lui-même au passé alors trouble, ou bien c’est le produits des dénonciations dont a été victime Florestan. On pense à Tartuffe, au discours de l’exempt (« Nous vivons sous un Prince ennemi de la fraude) et à la dénonciation de l’Orgon du moment (Florestan) par le Tartuffe du moment (Pizzaro ?), et à la volonté du Prince d’effacer les mots. C’est tout le discours sur le rapport au passé, sur les totalitarismes, sur la situation des sympathisants de la révolution au début du XIXème dans l’Empire d’Autriche à la veille du congrès de Vienne qui se révèle: en 1804, quand Beethoven écrit sa première version de Fidelio, le monde des libéraux européens voyait en Napoléon le garant de l’humanisme et de la liberté, et l’opéra libérateur avait un sens d’espérance. En 1814, quand tout est à peu près consommé, que Napoléon n’a défendu ni la liberté ni l’humanisme, mais a installé un autre totalitarisme, et que les vieilles monarchies sont en train de reconquérir le terrain perdu, le monde est autre et Fidelio (1814) ne peut qu’être un chant désespéré. C’est cette histoire complexe, ce renversement de sens, ce monde d’hier et d ‘aujourd’hui où les conquêtes qu’on croyait définitives s’avèrent fragiles que racontent Wieler et Morabito.
Les relations entre les personnages restent cependant ce qu’elles sont dans l’œuvre de Beethoven, même si la mise en scène et la dramaturgie leur donnent l’ambiguïté dont il a été question plus haut, et en font un monde où la frontière entre bons et méchants n’est plus si nette : chez Beethoven, c’est le cas de Rocco. Wieler et Morabito nous suggèrent que Florestan et Pizzaro sont eux-mêmes ambigus, que le monde-même est ambigu et que la liberté n’est pas un donné, ni même un promis. Le chant final plein d’espérance est teinté d’amertume, il n’est qu’à regarder le visage de Leonore, défait par la découverte du « bunker », la trace construite des ambiguïtés, des secrets gardés et accumulés, des passés troubles. On comprend alors pourquoi au lever de rideau Marzelline lave avec scrupule et attention le sol : on pense aux servantes de l’Elektra de Chéreau occupées à laver toutes les traces indélébiles du sang du meurtre d’Agamemnon, on pense à Lady Macbeth et à son obsession des taches de sang, on pense à ce passé qu’on essaie d’effacer et qui ne disparaît jamais, qui se révèle toujours à un moment ou un autre, ce peut-être pour l’Allemagne le passé nazi, ou le passé Stasi, en France le passé Vichy. Il y a toujours quelque chose à cacher, et qui finit toujours par se révéler.
Voilà un travail complexe, qui exige du spectateur une attention, une réflexion et une analyse approfondies, et qui ne laisse pas indemne. Mais à une semaine de distance, le Fidelio de Kupfer et celui de Wieler-Morabito, par des moyens très différents, disent quelque chose de voisin sur la désespérance du monde, comme si nous entrions dans un tunnel.
Musicalement, la représentation est d’une très grande tenue : les forces de l’Opéra de Stuttgart que ce soit le chœur (dirigé par Johannes Knecht) avec ses deux solistes valeureux Young Chan Kim et Sebastian Peter ou l’orchestre, montrent que nous sommes dans une grande maison: pas de scories, mais de l’énergie, de la précision, une vraie implication qui seront confirmées par le Faust du lendemain. Spectacle créé par le directeur musical Sylvain Cambreling, cette reprise de Fidelio est dirigée par Patrick Lange, un chef encore jeune qui fut pendant une brève période directeur musical de la Komische Oper de Berlin, très attentif, très précis, un de ces chefs qui donnent confiance aux orchestres par leur sérieux et leur souci d’une approche sans bavures. Sa direction est énergique, plutôt classique au sens où elle ne marque pas une volonté excessive de personnalisation ou d’interprétation, mais un respect de l’écriture et un vrai souci de l’équilibre avec le plateau, sans jamais couvrir et soutenant en permanence les chanteurs. Patrick Lange, que j’estime, est en ce sens un grand chef de répertoire (et ce n’est pas pour moi péjoratif), une garantie pour un théâtre (comme a pu l’être un Fabio Luisi dans la première partie de sa carrière), il lui manque peut-être ce grain de fantaisie et de liberté qui le propulserait à un niveau supérieur.
Du côté du plateau, essentiellement composé d’artistes de l’ensemble de Stuttgart, une remarquable homogénéité, c’est quasiment la distribution de la première qui a donc travaillé longuement avec les metteurs en scène : frais et très incarnés le Jaquino de Daniel Kluge et la Marzelline de Josefin Feiler, joli contrôle de voix mozartiennes, jamais excessives, et très présentes néanmoins.
Le Pizzaro de Michael Ebbecke est d’abord un personnage, d’une certaine vulgarité télévisuelle, échevelé, vêtu comme un faux jeune, sans scrupule, chanté avec netteté et force, voix bien projetée (ou jetée ?) qui est bien plus ambigu que dans d’autres lectures. Wieler et Morabito n’en font pas un personnage noir, ils lui laissent en quelque sorte sa chance.
Le Rocco de Roland Bracht, même avec une voix un peu fatiguée, est profondément juste, humain, ambigu lui aussi mais il chante d’une manière si chaleureuse, avec ses faiblesses et son air débonnaire, qu’on pardonne tout au personnage, et tout au chanteur. Une véritable incarnation.
Le ministre de Ronan Collett est un peu pâle vocalement, mais c’est aussi la conséquence d’une mise en scène qui l’efface, devant le chœur et les personnages qui se dépêtrent dans le bunker. Une absence de relief du vrai pouvoir qui accentue l’ambiguïté de cette fin sans gloire laissant seule Leonore avec une pâle lumière lunaire qui n’a rien du soleil éclatant qui habituellement se lève sur les âmes .
Les deux héros, Rebecca von Lipinski (Leonore) et Eric Cutler (qui succède à Michael König, le Florestan de la première) ont tous deux une voix qui n’a pas tout à fait le format habituel des deux rôles. Rebecca von Lipinski était aussi Leonore dans le Fidelio récent donné à la Philharmonie (voir Wanderer). La voix est aux limites, le format est plus celui d’un lyrique qu’un lirico très spinto exigé par le rôle, et la fin est quelquefois un peu difficile. Elle incarne pourtant magnifiquement le personnage, et compense par sa présence et une jolie technique les fragilités réelles de la voix : l’incarnation est meilleure que la prestation, mais dans Fidelio, l’incarnation est essentielle et elle est totalement engagée dans la mise en scène et sa complexité. Elle rend cette Leonore émouvante notamment à la fin où, malgré la libération de son Florestan, elle semble frappée, et finit isolée dans le noir.
Eric Cutler est un ténor de belle facture, belle technique, style, attention au texte, contrôle. Lui aussi n’a pas tout à fait le format de Florestan, il semble épuiser ses réserves, mais son Florestan reste crédible, notamment dans l’air redoutable d’entrée du deuxième acte. Il fait partie de ces chanteurs dont la technique et le style permettent d’aborder des rôles légèrement surdimensionnés sans jamais tomber dans les pièges. La voix est évidemment tendue, mais l’incarnation est là aussi, impressionnante notamment quand face à Rocco à qui il demande à boire, et la clarté de la voix, la justesse de l’expression sont ici des atouts. Il est à l’extrême du spectre du rôle. Florestan comme d’autres rôles du répertoire de la période, qu’on va retrouver dans Weber ou même dans le Grand Opéra, demande de la force, de la puissance et aussi du style, de l’élégance, une capacité à maîtriser et dominer la voix : Cutler a les qualités de raffinement qui permettent de compenser une puissance qu’il n’a pas tout à fait, et c’est pourquoi il est un Florestan crédible.
Au total, un Fidelio d’un grand intérêt, par son pessimisme même, par son ambiguïté : j’ai souligné souvent combien l’œuvre était difficile à monter, avec sa dramaturgie bancale et cette notable différence entre première et deuxième partie. En posant le dialogue comme musique, ainsi qu’ils l’affirment dans le programme de salle, les metteurs en scènes ont réhabilité théâtralement une pièce à la dramaturgie souvent sacrifiée. Je ne suis pas toujours convaincu par le travail de Wieler et Morabito, car je le trouve souvent d’un dépouillement paradoxalement complexe et exigeant. L’impression au sortir de ce Fidelio était mi-figue, mi-raisin, musicalement oui et scéniquement moui. Quatre semaines de maturation, la réflexion et l’analyse qui en résultent ont fait leur œuvre, ce sera oui, et pour les deux. [wpsr_facebook]
Un certain nombre de lecteurs se sont étonnés du ralentissement du rythme des parutions depuis octobre dernier. Je les remercie de leur sollicitude et de leurs questions quelquefois inquiètes.
Il y a des moments où la quantité de travail et les voyages qui sont la caractéristique d’un Wanderer aboutissent à une situation de blocage qui conduit à étaler dans le temps les articles à écrire et les retards s’accumulent inévitablement.
Par ailleurs, depuis début novembre, je me suis lancé avec mes amis David Verdier, Ronald Asmar et Romain Jordan et aussi quelques autres dans l’aventure d’un site qui en est à ses balbutiements, mais qui prend beaucoup de temps et d’attention. Ce site, Wanderer, est évidemment lié à ce blog, mais ils auront une vie séparée dans le même appartement. Autrement dit, j’écrirai quelquefois dans le site, quelquefois dans le blog, selon les circonstances. Ainsi ai-je signé certains articles dans Wanderer: Faust dans la mise en scène de Franck Castorf à Stuttgart, La Scuola de’Gelosi d’Antonio Salieri à Legnago, Elektra dans la mise en scène de Chéreau et d’autres.
Dans les prochains jours, d’autres articles vont paraître dans le blog, au format différent en longueur, au grand dam de mes lecteurs qui me reprochent gentiment ma prolixité.
L’aventure de Wanderer est exaltante parce que peu à peu nous étendons notre regard sur d’autres domaines, et aussi dans différentes langues. Mais j’ai tenu à rester fidèle aussi au blog, parce que j’y entretiens une relation différente au lecteur.
Aussi, ce blog continue, mais je vous invite à lire Wandereret à me dire, à nous dire votre impression sur ce nouvel outil au service du spectacle que nous mettons à disposition des passionnés.
A très bientôt online, sur Wanderer ou sur ce blog, qui restera cette “autobiographie par le spectacle” qui m’a tant enrichi.[wpsr_facebook]
Le Wanderer
Prochaine parution sur le blog: Fidelio, Oper Stuttgart (dir.mus: Patrick Lange; MeS: Jossi Wieder-Sergio Morabito)
Prochaine parution sur Wanderer: Tristan und Isolde, Opera de Rome, (dir.mus: Daniele Gatti; MeS: Pierre Audi)