TEATRO ALLA SCALA 2010-2011: DIE WALKÜRE (2ème vision) Dir:Daniel BARENBOIM avec Waltraud MEIER et Nina STEMME le 28 décembre 2010

De passage à Milan, j’ai eu de nouveau l’occasion de voir cette Walkyrie déjà évoquée dans deux précédents comptes rendus. J’avais lu le même jour le commentaire à mon texte relatant le 21 décembre et j’avais l’intention d’y répondre. Cette seconde vision du spectacle m’en donne l’occasion. Je continue de trouver au travail scénique de Cassiers une relative tenue, même si l’intérêt “didactique” de ce travail apparaît limité et globalement décevant par rapport à d’autres mises en scènes. On n’apprend rien de cette Walkyrie là, mais elle se laisse voir, avec un travail technique précis, même si les projections vidéo sont peu lisibles (le globe du 2ème acte) ou un peu répétitives, effectivement. A cette seconde vision, on remarque un peu plus certains détails, notamment l’évolution du costume de Wotan, assez bourgeois d’abord, puis retournant à la peau de bête au troisième acte, ressemblant ainsi de plus en plus à Siegmund. Le maquillage noir obscurcissant la moitié de son visage se voit de la “Platea” (les fauteuils d’orchestre) mais pas de la deuxième galerie (le fameux “Loggione”), où je me trouvais ce 28 décembre. Rien de gênant donc, mais rappelons que ce noir se retrouve par quelques traits sur les visages de Siegmund et Sieglinde… Pour mémoire, Kupfer à Bayreuth avait mis des cheveux d’un roux agressif à Wotan et à tous ses descendants, ce qui était autrement frappant.
Le jeu des ombres reste l’élément le plus intéressant du 1er acte, les variations de l’espace et des lumières, qui encadrent les scènes, demeurent ce qui est le plus intéressant du second acte, où malgré quelques rudiments de travail sur les personnages, cela reste singulièrement frustre du côté de la mise en espace et du travail d’acteurs, malgré une clarté des mouvements et du propos; le troisième acte est plus effervescent, mais souvent creux,  avec ces Walkyries en crinoline (on devine en fait qu’elles montent en amazone, très chic tout çà…) qui grimpent et descendent sans cesse de leurs podiums, ces fils rouges dont on comprend (parce qu’on a vu le 2ème acte: Siegmund et Hunding, à peine passés de vie à trépas, ont en effet droit à leur fil rouge) qu’ils figurent les héros morts, et un décor qui s’efface au moment du duo Wotan-Brünnhilde qui se passe sur un plateau pratiquement vide (fils rouges exceptés).

Les costumes des femmes par leur élégance de salon (Fricka), montrent que dans la Walkyrie, ce sont elles qui conduisent l’action face aux hommes un peu “bruts de décoffrage” – Siegmund, Wotan-, mais Hunding n’est pas la brute épaisse habituelle et cela jette un regard nouveau sur  les autres personnages. Notons aussi l’évolution de Sieglinde, de dame mariée et pudique à jeune fille arborant un joli décolleté, des épaules nues et les cheveux au vent là où ils étaient noués en chignon au départ. De petits détails “signifiants”, certes,  mais dans l’ensemble pas vraiment de direction d’acteurs, pas de moments scéniques forts. L’inspiration qui marquait l’épisode précédent effectivement fait globalement défaut. Est-ce que c’est voulu ? Est-ce que Cassiers est déjà fatigué ? Ou est-ce que l’histoire l’ennuie ? Attendons.
Musicalement, même séduction que la semaine dernière, des tempis dilatés, qui rendent certains moments très étranges, la fameuse chevauchée notamment, avec de longs silences, avec une place inhabituelle accordée au texte des Walkyries et à leur dialogue, et un son quelquefois presque chambriste. L’ ensemble est à mon avis remarquable d’intérêt, et toujours aussi surprenant (certains de mes amis présents pensaient que le tempo était encore plus étiré à cette représentation) et clair, avec un vrai parti pris. On pourrait défendre des tempis plus alertes dans toute la seconde partie du premier acte (la montée du désir se fait un peu prier), mais dans l’ensemble, je reste toujours séduit par l’approche.
Globalement, du point de vue du chant  nous étions un cran en dessous: d’abord une annonce avait averti que John Tomlinson (pas vraiment convaincant le 21) avait une très lourde extinction de voix. Sans doute impossible à remplacer (il n’y a pas de basse pour Hunding à Milan un 28 décembre), il s’est péniblement exécuté, commençant le premier acte en déclamant, et sussurant sa brève mais normalement sonore intervention du deuxième acte (Wehwalt! Wehwalt!), situation éminemment déstabilisante pour les partenaires et vraiment pénible pour l’artiste, à la limite du supportable pour le public.
Le texte du second acte se chantant du fond de scène ou de la coulisse, on eût pu imaginer par exemple que Vitalij Kowaljow (Wotan) donne au moins cette réplique à la place du malheureux Tomlinson que l’on a laissé se naufrager en scène. Voilà une circonstance inexcusable dans un théâtre tel que la Scala.
Par ailleurs, Waltraud Meier, moins en forme, a produit des aigus très métalliques et tendus à la limite du cri, mais reste un personnage bouleversant, notamment dans sa magnifique intervention au troisième acte. Vue et entendue d’en haut Ekaterina Gubanova en Fricka m’a plus intéressé que la semaine précédente, et la voix de Wotan reste solide, mais sans véritable éclat. Nina Stemme elle-même n’était pas au même niveau de conviction, sauf au troisième acte.

Seul Simon O’Neill a été impeccable d’un bout à l’autre. Certes, il n’est physiquement ni Peter Hoffmann, ni Jonas Kaufmann, mais combien de Siegmund leur sont semblables: ni Stig Andersen, ni Torsten Kerl ne sont des Siegmund crédibles, alors celui-là, un peu ridicule dans sa peau de bête et ses gestes stéréotypés, passe par la vaillance de la voix même si elle est un peu nasale, et par l’engagement .

A la fin du deuxième acte, la messe semblait dite: les réjouissances de Noël avaient eu raison de toute la compagnie, qui n’arrivait pas à se hisser au niveau des représentations précédentes, mais voilà, miracle de l’opéra, le troisième acte fut d’un bout à l’autre une magnifique réussite: engagement, poésie, intelligence du texte, tous les protagonistes, à commencer par Nina Stemme, vraiment exceptionnelle d’intelligence pour un rôle qui ne lui est pas “congénital” à mon avis mais aussi  Vitalij Kowaljow avec sa voix sourde, incarnait un Wotan crédible, humain, et Barenboim, qui a galvanisé l’orchestre et vraiment bouleversé la salle.

Au total même avec un niveau général globalement inférieur au 21, ce fut une belle soirée: plus grâce à Wagner qu’à Cassiers certes, mais le public scaligère semble apprécier à la fois la sagesse de la mise en scène et le cadre agréable du décor. Il est vrai que le public de l’opéra en Italie n’est pas très ouvert aux expériences scéniques surtout dans les œuvres qu’il connaît. Au delà de cette déception, j’attends vraiment la fin du cycle, car je ne peux penser que Cassiers dont j’ai vu d’autres spectacles autrement élaborés continue sur la lancée de cette Walkyrie hésitante. En revanche, on pourra certes discuter à l’infini les options du chef, mais ce parti pris musical et la réponse de  l’orchestre continuent de me paraître vraiment dignes d’intérêt.

Je concluerai en rapportant comment  un des spectateurs du “Loggione” s’interrogeait auprès de sa voisine en parodiant Siegmund dans l’acte II , “Ma, in cielo, ci sarà questa musica?” /”Mais, au ciel, y aura-t-il cette musique?”.

TEATRO ALLA SCALA 2010-2011: DIE WALKÜRE, Dir:Daniel BARENBOIM avec Waltraud MEIER et Nina STEMME le 21 décembre 2010

Au risque de se répéter, il n’est pas sûr que les mises en scènes du Ring de type “Regietheater” aient encore un avenir dans les productions de référence. Le travail très critiqué de Gunter Krämer à Paris en est la preuve. Il faudra attendre la fin du Ring de Claus Guth à Hambourg (ce printemps) pour juger de la vigueur de ce type d’approche.

Robert Lepage à New York remet le Ring dans le champ des histoires qu’on raconte, dans le champ du récit, tout en utilisant une technologie d’aujourd’hui, il revient à un concept d’hier, même avec des références à la première production du Ring à Bayreuth en 1876. Guy Cassiers à Milan a étonné: après un Rheingold qui a partagé le public, mais qui dans l’ensemble a plu, malgré une grande complexité de lecture sur plusieurs niveaux, chant, danse, vidéo. Le Rheingold de Cassiers mettait sur la table (ou sur le plateau) les grands éléments du texte, le pouvoir et l’amour mais posait aussi très clairement l’échec des Dieux dès le départ. Approche presque métaphysique.

Plus de ballets dans la Walkyrie, plus d’approche abstraite, plus de vidéos insérées dans le tissu des rapports des personnages, mais un travail très illustratif et très sage. Cassiers institue entre le Prologue et la première journée un rapport qui ressemble un peu à celui institué entre l’approche de Peter Stein et celle de Klaus Michaël Grüber à Paris en 1976. Avec cette Walkyrie, on tombe dans l’histoire, dans le récit, dans l’image, dans le conte, avec une approche volontairement illustrative et au total, assez traditionnelle. L’histoire se déroule, parfaitement claire et linéaire, avec une volonté de faire du décor un cadre imagé, souvent séduisant, utilisant des projections vidéo de manière techniquement impeccable, alternant le vert, très présent au second acte, le gris (annonce de la mort), le rouge (tableau final), des flammes pour évoquer le pouvoir de Wotan, une forêt très stylisée et des fonds en relief qui rappellent Rheingold.

acte1.1293060724.jpgLe décor du premier acte, centré autour d’une maison qui semble un peu une cage par son géométrisme , ou qui rappelle une maison à la japonaise, sur laquelle des vidéos (une cheminée par exemple) se projettent ou les personnages évoluent en un jeu d’ombres assez fascinant (différences de tailles, d’éloignement etc…). Le deuxième acte, très essentiel, pour le long récit de Wotan, n’a pas grand intérêt scénique (sinon de beaux et longs échanges de regards jusqu’à l’arrivée des jumeaux), dans un décor de toit de temple (derrière un fronton composé de chevaux enchevêtrés – après tout, la chevauchée des Walkyries n’est-elle pas la référence musicale la plus connue du public, thème repris en vidéo de fond de scène au troisième acte. Le reste se déroule dans une forêt très stylisée, verte d’abord (les amants) grise ensuite (l’annonce de la mort) comme on l’a dit.  La mort de Siegmund est comme toujours très soignée scéniquement: c’est Wotan qui pousse Siegmund sur l’épée de Hunding, c’est Sieglinde qui se penche sur lui et le serre avant de fuir avec Brünnhilde.

walk.1293060786.jpgC’est d’un certain point de vue le troisième acte le plus “kitsch” , avec ces fils rouges sensés représenter les âmes des héros montant au Walhalla, ces estrades enchevêtrées laissant passer les longues crinolines des Walkyries (même si Brünnhilde est en pantalon…), ce feu réduit autour de Brünnhilde à des lampes rouges régénérantes comme des lampes de couveuses, qui vont couver la femme qui va naître le jour suivant, d’où semblent sortir des gouttes d’eau. le corps de Brünnhilde lui-même, montré sur un podium comme un monument, tout cela est juste un peu exagéré, décalé, créant une distance ironique avec l’histoire.

Il est intéressant aussi de lire les costumes, Siegmund et Wotan plus sauvages, Hunding plus bourgeois, et les femmes très aristocratiques, à commencer par Fricka et les Walkyries, mais aussi Sieglinde, superbe dans sa robe satinée grise et Brünnhilde, moins féminine que ses soeurs. Au total, un regard qui épouse le récit, un travail sur le jeu assez fruste malgré de très bonnes idées (jeu de regards, tendresse bouleversante entre Wotan et sa fille, montrant bien qu’il n’élimine pas l’amour, comme Alberich, et qu’il en sera donc vaincu) et malgré une impressionnante maîtrise technique. Je parierais que Siegfried sera de la même eau, mais Götterdämmerung devrait nous donner la clef de nos interrogations sur la manière de classer ce travail néanmoins intéressant sans être convaincant. On ne peut juger d’un Ring qu’en fin de parcours.

ekaterina-gubanova.1293060743.jpg Ekaterina Gubanova

Mais tout le spectacle tient surtout par un travail musical proprement inouï. Non pas que tous les chanteurs soient d’un niveau remarquable: Elena Gubanova en Fricka est très honnête, mais sûrement pas mémorable. Wotan(Vitalij Kowaljow) est décevant, malgré des moments intéressants dans le troisième acte, la voix, un peu sourde, manque de projection, de présence. On regrette le grand René Pape. Quant à Hunding (John Tomlinson), la voix est vieillie, légèrement instable: on est loin des Hunding à la Ridderbusch ou à la Salminen.

Les choix de distribution sont tout de même assez cohérents avec les choix de tempos très lents, très retenus de Daniel Barenboim car la diction de chaque chanteur est très notable. Les huit Walkyries sont puissantes, bien en place, mais peut-être un peu désarçonnées par le rythme imposé par le chef dans la chevauchée, claire voir cristalline, mais d’une lenteur surprenante et des choix sonores très analytiques, qui rendent le son de la fosse presque grêle et scandé de silences.

Belle surprise avec le Siegmund de Simon O’Neill, voix claire, bien projetée, puissante, un vrai physique de ténor wagnérien, robuste, tout en muscle, une copie de Wotan et en même temps on entend déjà un futur Siegfried dans ces basques là.

Evidemment l’ivresse vient des deux dames, Waltraud Meier, qui est Sieglinde  avec son intensité, sa fraîcheur son engagement, la puissance d’acier de ses aigus. Son deuxième acte est bouleversant, elle fait venir les larmes, c’est un monstre sacré dans tout son relief, contraignant le public à poser sur elle et elle seule le regard. Il faut l’avoir vue dans ce rôle, ou malgré des moyens moins importants que par le passé (on l’entend au premier acte), elle reste irremplaçable, laissant loin derrière les concurrentes par son insolente et éternelle jeunesse.

Nina Stemme, bien que suédoise, n’est pas Nilsson comme on l’a quelquefois écrit. Qui a entendu Nilsson une fois a dans l’oreille pour jamais cette puissance, cet ouragan énergétique et sonore qui envahissait la salle, ce son  coupant qui malgré tout mettait le public en transes par par l’intense chaleur de cette voix de glace.
Stemme a une voix beaucoup plus chaude, plus ronde, qui convient bien à Sieglinde qu’elle a chantée ailleurs. Son moment d’exception, c’est le duo final avec Wotan, proprement époustouflant de poésie, de puissance, d’engagement.

Deux prestations d’exception, éblouissantes, bouleversantes,  encadrées par un orchestre proprement ahurissant.

Je n’en reviens pas de ma surprise: d’abord, une perfection technique totale, absolue, qui laisse pantois. Ensuite un parti pris de Barenboim, sans doute très concerté avec Guy Cassiers, de lenteur, de dilatation du son qui crée non de l’ennui, mais une extrème intensité, une bouleversante tension qui provoque les larmes. On entend tous les pupitres de manière cristalline, on entend aussi des phrases musicales qu’on n’avait jamais notées. On croyait avoir entendu des Walkyries à la pelle, dont celles que Barenboim a dirigées çà et là, et surtout à Bayreuth et il réussit à nous prendre totalement à revers. Lecture une fois de plus en pleine cohérence avec ce qu’on voit et ce qu’on sent du plateau et qui va rester dans les annales. Barenboim est si heureux qu’il fait lever l’orchestre à chaque fin d’acte.

Oui pour Barenboim – encore un qui nous surprendra toujours- cette Walkyrie vaut le voyage et gagne son statut de spectacle totalement exceptionnel. Une fois de plus Lissner a gagné, une fois de plus la Scala offre un Wagner de référence, après Toscanni et De Sabata, après Furtwängler, après Karajan,après Sawallisch, après Kleiber, Barenboim entre dans la légende des wagnériens scaligères qui ont su porter l’orchestre de la Scala à la totale incandescence dédiée.

IN MEMORIAM : SHIRLEY VERRETT et PETER HOFMANN

SHIRLEY VERRETT

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Ces dernières semaines ont été marquées hélas par de nombreuses disparitions, Joan Sutherland, que je ne vis qu’une fois lors d’un concert à Garnier, Shirley Verrett qui  frappa de stupeur le jeune mélomane que j’étais, dans Azucena, où elle était une hallucinante bête de scène douée d’une voix incroyable, au-delà du réel tant elle était présente, chaude, puissante, sauvage! Mais  Liebermann hélas ne l’appela plus, lui préférant la Cossotto. Il faudra attendre les années 80 pour la revoir si souvent, impériale dans Gluck (une inoubliable Alceste, mais aussi une Iphigénie de rêve), bouleversante dans le Moïse de Rossini où elle chante une éblouissante Sinaïde. Elle fut aussi une grande Lady Macbeth à Paris,

verrett4.1292194164.jpgmais elle fut surtout à jamais inoubliable dans celle de Milan, avec Strehler et Abbado avec cette cape à traîne qui se croisait avec la cape de Macbeth-Cappuccilli au premier acte ou qui traçait son parcours dans la scène de la folie, images gravées pour la vie dans notre mémoire de spectateur. Mezzosoprano aux moyens de soprano, elle osa aussi Desdemona ou même Norma après avoir été une grandissime Adalgisa. Mais elle fut toujours moins convaincante dans certains rôles de soprano (Norma) que dans les rôles de mezzo où elle fut  irremplaçable.

verrett3.1292194156.jpgElle frappait le spectateur, qui ne la quittait pas des yeux, par son port altier et sa stupéfiante beauté. Son Alceste était à ce titre anthologique, tout comme sa Lady Macbeth. Elle revint à Paris pour inaugurer Bastille dans les Troyens de Pizzi où elle fut Didon, à jamais, face à une Bumbry tout aussi mythique.
Ainsi s’éteint un mezzosoprano qui porta le chant verdien à son sommet. Jamais remplacée depuis qu’elle quitta la scène.

PETER HOFMANN 

peterhofmann.1292194769.jpgPeter Hoffmann aussi nous a quittés, à 66 ans seulement, emporté par une maladie de Parkinson qui l’attaqua très tôt. Il restera pour moi à jamais le Siegmund de rêve de la mise en scène de Chéreau: jeune, frais, un enfant perdu au milieu de méchants, image qui frappa tous les spectateurs de ce sommet qu’était le premier acte de la Walkyrie.

ringboulez.1292194631.jpgAvec Gwyneth Jones (Walkyrie, Chéreau, Acte II)

Il fut aussi Siegmund à Paris avec Solti dans la mise en scène de Grüber. A Paris on le vit aussi dans le 3ème acte de Parsifal avec Karajan, tout comme à Bayreuth avec Levine et Rysanek puis la jeune Waltraud Meier dans la mise en scène de Götz Friedrich. Il était la star des ténors wagnériens des années 80, notamment à Bayreuth où il fit aussi

peterhofmann3.1292194580.jpgLohengrin et où il aborda Tristan avec Barenboim dans la belle mise en scène de Ponnelle.

A la fin de la décennie, je l’entendis à Bayreuth dans un Tristan pour la dernière fois, avec une phénoménale Catarina Ligendza, artiste injustement oubliée aujourd’hui, qui fut l’une des grandes Isolde de la fin du XXème siècle. Déjà atteint par la maladie, il marqua plus qu’il ne chanta le dernier acte, ce fut la dernière fois je l’entendis .
Sa stature, son physique de Dieu pangermanique, ses cheveux très blonds, son aspect héroïque, tout le prédestinait à chanter les grands ténors wagnériens. Seule la voix est toujours restée en deçà, dans Siegmund comme dans Tristan. C’était un bon Parsifal, un bon Lohengrin, mais il ne fut jamais un chanteur de légende, bien qu’il eût dans les années 80 une notoriété internationale absolument exceptionnelle. Il fut le ténor wagnérien de Karajan avec qui il fit Pasifal, Lohengrin, mais aussi Erik du Vaisseau Fantôme, il fut le ténor vedette de Bayreuth à un moment où le chant wagnérien peinait à trouver ses stars. Il accompagna lui aussi mon parcours et je le vis souvent sur les scènes, mais assez rarement à Paris.

Il était au départ chanteur de rock, il finit chanteur de musical (Le fantôme de l’Opéra) avant d’être terrassé définitivement par la maladie et de finir dans le besoin. Triste destin d’un chanteur qui fut à un moment de l’histoire de l’Opéra incontournable dans toute distribution wagnérienne.

DISQUES-CD-DVD: MES ENREGISTREMENTS PREFERES/CHERUBINI: LODOÏSKA

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Je voudrais vous parler de Lodoïska. L’occasion fait le larron puisque l’oeuvre a été donnée cet automne au théâtre des Champs Elysées en version de concert. Mais si j’ai envie de vous en parler, c’est parce qu’elle est associée pour moi à un très beau spectacle de la Scala de Milan en 1991, dirigé par Riccardo Muti, dans une mise en scène de Luca Ronconi. C’est le souvenir de 6 ou 7 représentations, que j’ai toutes vues,avec un enthousiasme qui n’a pas faibli, même avec la distance des années, lorsque j’entends l’enregistrement réalisé par Sony. On va bien sûr objecter la faiblesse du livret, les voix pas toujours convaincantes de cet enregistrement, mais quant à moi je réponds  fulgurance de l’approche de Muti, hardiesses de certains moments de la partition, acrobatie des cordes, notamment au deuxième acte, et  travail éblouissant de Luca Ronconi. Voilà un spectacle qui méritait la vidéo, mais là le marché a parlé-qui achèterait une Lodoïska?- et donc pas de vidéo, hélas…

Evoquer Lodoïska, c’est évoquer l’un des plus grands, sinon le plus grand succès lyrique de la révolution française (1791): deux cents représentations, une gloire fulgurante, des “remake” (il y a une Lodoïska de Kreutzer, celui de la sonate, qui date de la même année, une adaptation anglaise de Storace en 1794,  il y en a une autre de Mayr, créée à la Fenice de venise en 1796 et reprise en une version révisée à la Scala en 1799), des pillages. Lodoïska, c’est une des sources d’inspiration sinon la principale  de Beethoven pour Fidelio (1814), de Rossini pour “Torvaldo e Dorliska” (1815), c’est la partition sur laquelle la tête de Brahms repose selon ses volontés dans son cercueil. Lodoïska c’est enfin un magnifique opéra populaire, avec des dialogues parlés, un opéra comique qui tient à la fois de la tragédie Lyrique frnaçise mais aussi de la tradition italienne, sans un temps mort, mené à un rythme haletant, comme son ouverture nous y prépare. Enfin ses dernières mesures sont parmi les plus étonnantes de toute la littérature musicale: une musique qui s’éteint en volutes, qui disparaît dans le silence, au lieu de se terminer en triomphe comme Fidelio.Tous les musiciens du début du XIXème siècle ont dans la tête cette partition. Et nous, nous l’avons oubliée.

Le livret tire son origine d’une oeuvre de  Jean-Baptiste Louvet de Couvray “Les amours du Chevalier de Faublas”,  énorme roman en plusieurs parties publié entre 1787 et 1790, qui remporte un immense succès public et qui sera l’objet de nombreuses adaptations au XIXème siècle, y compris à l’opéra aussi bien en Allemagne (1872) qu’en France (Camille Erlanger, en 1897 crée un Faublas).

L’histoire reprise par Cherubini (le livret est de Claude-François Fillette-Loraux) est l’une de ces multiples “pièces à sauvetage”  où une héroïne prisonnière (Lodoïska) d’un méchant (Dourlinski) dans un noir château est libérée par l’amoureux courageux (Floreski). Comme on le voit, c’est Fidelio, mais à l’inverse car dans l’oeuvre de Beethoven c’est le héros qui est libéré par sa femme, mais c’est à peu près le même schéma. L’originalité de l’histoire, qui se passe en Pologne, est l’intervention d’une troupe de tartares qui passe par là, dirigée par un esprit noble et courageux (Tzitzikan) qui est le “Deus ex machina” de l’histoire et sauve la situation. Un Tartare gentil, comme il le dit lui-même “je suis Tartare, mais un coeur généreux peut naître dans tous les climats”.
Autre personnage puisé dans le répertoire d’opéra, très inspiré du Leporello de Don Giovanni, le valet de Floreski, Varbel, dont le premier air (“Voyez la belle besogne…”) est bien proche du “Notte giorno faticar..”, air d’ouverture de Leporello dans Don Giovanni.

Au premier acte, Floreski et Varbel à la recherche de Lodoïska s’approchent du château menaçant du Comte Dourlinski, croisent une troupe de Tartares, se battent, mais finalement se reconnaissent tous comme de nobles coeurs (Rousseau n’est pas bien loin). Tzitzikan veut se venger de Dourlinski qui saccagea ses territoires, et Floreski se souvient que le même Dourlinski fut lié au père de Lodoïska. Tombe alors une pierre du château à laquelle est attaché un mot de Lodoïska, prisonnière de l’horrible comte Dourlinski. Floreski et Varbel décident d’entrer dans le château en se faisant passer pour les frères de Lodoïska, pour la ramener à la maison.

91441lmd.1292111627.jpgLodoïska a vu Floreski et s’inquiète pour lui auprès de sa nourrice Lysinka. Dourlinski entre et lui annonce son intention de l’épouser, ce qu’elle refuse avec dédain. Devant ce refus, il la met au secret et la sépare de sa nourrice. Floreski et Varbel entrent dans le château en se faisant passer pour les frères de la jeune fille et demandent à Dourlinski de ramener avec eux Lodoïska. Devant son refus, ils insistent pour qu’il leur offre l’hospitalité pour la nuit. Dourlinski, soupçonneux, veut savoir ce qu’ils veulent en réalité, et fait empoisonner leur vin. Varbel s’en aperçoit et échange les verres avec les émissaires de Dourlinski. Au moment de sortir, ils sont découverts par Dourlinski et ses gardes et faits prisonniers.

Dourlinski annonce à Lodoïska que son amant est son prisonnier. Réunis, les deux amants déclarent préférer mourir que de céder au tyran. Mais ce dernier exerce sur Lodoïska un odieux chantage, en prétendant que son père est mort . Elle s’offre donc en sacrifice pour que vive son amant. A ce moment on entend des coups de canon. Tzitzikan arrive, le château est incendié. Lodoïska est sauvée avant que la tour ne s’écroule, Tzitzikan arrache un couteau des mains de Dourlinski qui s’apprête à tuer Floreski.
Tout est bien qui finit bien: sous l’oeil attendri de Tzitzikan, les amants sont de nouveau rassemblés et savourent le bonheur retrouvé.

Evidemment, on ne s’attardera pas sur un livret particulièrement faible, plein de bons sentiments,avec des rebondissements attendus, des sauvetages à propos, sans grand intérêt.
Musicalement, deux ténors (Tzitzikan, plus dramatique, Floreski, plus lyrique) un soprano colorature, un baryton (Varbel) et u n baryton basse (Dourlinski) et des dialogues importants pour l’histoire (j’ai lu qu’ils avaient été à peu près coupés aux Champs Elysées cet automne, ce qui est une erreur). Une musique très symphonique, épique (avec l’exception de l’air de Lodoïska au deuxième acte), musique libérée de Gluck quelquefois bien proche de Beethoven, avec des allusions claires à Mozart (finale de l’ouverture), très novatrice pour l’époque. On entend le futur Beethoven, c’est très clair, au point que quelquefois on pourrait confondre (dans des auditions à l’aveugle). Ce n’est pas trop difficile à chanter, mais demande justement des voix de très grand niveau.

91416lmd.1292111588.jpgLe deuxième acte est étourdissant de virtuosité pour les cordes, et le troisième acte est stupéfiant pour l’approche symphonique de la scène finale, l’incendie puis la destruction du château, qui est un des grands moments de la musique d’opéra: s’en inspireront Beethoven, Weber (qui lui consacrera une étude) et Schubert.  Quant aux dernières mesures, loin de se terminer en triomphe, elles se terminent de manière surprenante et inattendue, en une mouvement lent et fin d’une très grande nouveauté.Toute la musique s’efface et se délite jusqu’au silence. Tout mélomane devrait se précipiter pour l’écouter.

La production de la Scala fut sans doute un des plus grands moments de l’ère Muti. Le Maestro napolitain est éblouissant à la tête d’un orchestre de la Scala en très grande forme. On sent sa volonté de réimposer cette musique injustement tombée dans l’oubli : dynamisme, éclat, énergie rappellent le Muti fulgurant des années 70. Une absolue merveille.
Si aujourd’hui on n’aurait aucune peine à distribuer Lodoïska (Dessay, Manfrino, Massis pourraient chez les françaises prendre ce rôle) ni même Floreski ou Tzitzikan, à l’époque en 1991, ce fut plus difficile, d’autant que chacun se débrouille avec un français souvent hésitant (Shimell). Thomas Moser est un Tzitzikan honorable, Bernard Lombardo, seul français de la distribution, est très pâle en Floreski, un rôle qui exige un soufle épique, Devia est impériale mais on ne comprend pas un traitre mot quand elle chante. Cela reste quand même très honnête.

91576lmd.1292111617.jpgQuant à la mise en scène de Ronconi, elle fut un enchantement avec un décor de Margherita Palli s’inspirant des gravures de Piranèse, et des travaux du XVIIIème sur la perspective, changeant à chaque fois les points de vue avec des effets de théâtre absolument stupéfiants. On voit tantôt d’en bas, tantôt de dessus, tantôt à niveau et tout change de manière totalement étourdissante nous laissant émerveillés. Le disque en couverture montre la photo du décor final, un pont vu du dessus (un oeil non averti verrait une barrière), on voyait au théâtre les deux héros le traverser (en fait des figurants suspendus à un filin) et échapper à sa rupture au dernier moment, ce fut un moment inoubliable qui appelait les applaudissements à scène ouverte.

locandina.1292111556.jpgAinsi, je feuillette le programme de la Scala de l’époque, j’y compulse avec émotion les “locandine”(distributions) des sept représentations de cette oeuvre jamais reprise depuis. Je ne peux qu’inviter tout mélomane à redécouvrir une oeuvre étonnante, qui finit par vous accompagner et devenir un des piliers de votre univers musical. Il reste à espérer que Nicolas Joel qui a quelquefois de bonnes idées, appelle Muti à recréer pour Paris cette Lodoïska de légende, et si la production de Ronconi était encore dans les entrepôts de la Scala, qu’il serait beau de la remonter.

TEATRO ALLA SCALA 2010-2011 à la TV: LA WALKYRIE retransmise sur MEZZO (7 décembre 2010)

Il y a une quinzaine d’années, La Walkyrie ouvrait la saison de la Scala dans une mise en scène d’André Engel, avce Riccardo Muti au pupitre et Placido Domingo en Siegmund et Waltraud Meier en Sieglinde. Quinze ans après, Waltraud Meier est encore la lumière de la distribution, avec une voix sans doute moins éclatante, mais d’une intensité qui écrase le reste de la compagnie.

Ce qui m’a frappé c’est d’abord une mise en scène qui tranche avec le travail sur l’Or du Rhin, beaucoup plus novateur et complexe que cette Walkyrie où Cassiers après avoir posé les enjeux individuels, les enjeux de pouvoir et de passion dans l’Or du Rhin, choisit simplement de raconter l’histoire, de manière assez traditionnelle au total, au point qu’il semblerait presque que prologue et première journée n’ont pas été mis en scène par la même main. Comme Peter Stein et Klaus Michael Grüber à Paris, ce sont deux univers qui nous sont présentés, la Walkyrie se réinsérant dans une vision presque habituelle: Wotan cheveux longs et visage à moitié noirci, traces de ce noir sur les visages de Sieglinde et Siegmund, Siegmund en une sorte de trappeur, Brünnhilde et Fricka en grandes bourgeoises. Vocalement, Simon O’Neill est très honnête dans Siegmund, sans être transcendant, Ekaterina Gubanova  est une Fricka solide, Nina Stemme est une très grande Brünnhilde, engagée, à la voix éclatante. Est-elle émouvante? Je verrai en salle, mais j’ai quelques doutes John Tomlinson est assez fatigué en Hunding, et pourquoi en avoir fait un homme très mur ? Assez convaincant le Wotan de Vitalij Kowaljow, mais j’aurais préféré entendre René Pape, magnifique dans l’Or du Rhin en mai dernier.

La direction de Barenboim m’est apparue moins énergique que par le passé, voire un tantinet “molle” mais toujours aussi lyrique même si je lui préfère Jordan à Paris par exemple.

Le spectacle est de grande tenue, utilise abondamment des effets video, très moderne d’apparence, avec de très belles images: le début avec le jeu d’ombre des deux héros et la vision de l’intérieur de la maison avec la cheminée qui brûle constitue un lever de rideau très poétique, le monde “vert” du second acte et le magnifique tableau de la chevauchée qui ouvre le troisième acte. il ne m’a pas convaincu en revanche dans la manière de diriger les acteurs (c’était aussi un problème dans l’or du Rhin), les attitudes restent assez conventionnelles, le second acte sans solution pour gérer ces longues scènes et ces longs récits. Bref, il me semble que si Cassiers a fait le choix de l’histoire et du récit sans prendre trop de distance par rapport rapport à l’intrigue, il n’a pas trouvé la voie d’une révélation qui nous apprendrait quelque chose de neuf sur l’oeuvre mais a choisi de travailler le visuel d’une manière particulièrement fine. En ce sens c’est décevant d’un côté, remarquable de l’autre. Mais honnêtement, il me faut attendre pour me faire une opinion définitive. Il reste qu’il ne me semble pas que cette mise en scène fasse partie des futures légendes de la scène.

PALAIS DES ARTS DE BUDAPEST 2010-2011: GERGELY BOGANYI INTERPRÈTE L’INTÉGRALE DE L’OEUVRE POUR PIANO DE F.CHOPIN EN UN WEEK END ET DIX CONCERTS

200px-boganyi_gergely_april_2009.1291331225.jpgUne folie? Pourquoi pas? Pour célébrer Chopin à l’occasion de son bicentenaire, le palais des Arts de Budapest, la salle de concert moderne dont la capitale hongroise s’est dotée  il y a quelques années dans un quartier en complète restructuration au Sud de la ville le long du Danube proposait en un week end un véritable marathon pianistique, l’intégrale de l’oeuvre pour pinao soliste de Chopin confiée à un pianiste de 36 ans, célèbre en Hongrie, Gergely Boganyi. Ainsi se sont succédés 10 concerts d”une heure trente ou deux heures (mais alors avec entracte) séparés les uns des autres par trente minutes de repos (sauf le samedi où public et pianiste ont pu souffler trois heures l’après midi, et deux heures le dimanche). le public qui avait choisi d’écouter les dix concerts était donc à pied d’oeuvre de 10h à 22h environ.

Chopin valait-il cette messe? Evidemment oui, puisqu’à mon retour chez moi je me suis mis à sortir de ma discothèque tous les disques de Chopin (Rubinstein, Horowitz, Ashkenazy, Nat et d’autres), c’est donc que loin de me rendre pour longtemps hermétique à cette musique, cette expérience a au contraire réveillé ma curiosité, pour réentendre telle ou telle oeuvre, pour retrouver d’autres styles dans l’oreille.

boganyirec.1291335427.jpgGergely Boganyi mérite d’être mieux connu en France, né en 1974,  il a étudié à l’académie Lizst de Budapest, mais aussi auprès de maîtres tels que György Sebök aux Etats Unis et a vaincu de nombreux Prix dont le prix Kossuth, la distinction artistique la plus prestigieuse de Hongrie. C’est un artiste très apprécié et très populaire en Hongrie. Il se présente au public un peu en dandy romantique, cheveux longs, changeant de tenue à chaque concert (pull gris au départ, puis veste et écharpe blanches, puis grises, puis noires, pour finir dans un costume très “music hall” gris brillant!).Dans une exposition dédiée à Chopin dans le foyer du théâtre, il ya même un portrait de lui…

(voir ci-dessous)

portrait.1291335458.jpgIl faut d’abord saluer la performance technique et “sportive”, il semblait même que peu à peu la concentration s’est faite plus forte, la tension plus palpable, l’émotion réelle dès l’exécution dans le deuxième concert  alors que le premier concert m’avait semblé un peu froid, avec une “technique impeccable”, mais sans aucun “supplément d’âme”. Dès le deuxième concert en effet, l’exécution tout à fait extraordinaire des 12 études op.10 provoquait un très grand enthousiasme et montrait à la fois une maîtrise pianistique impressionnante, et une approche particulièrement sensible sans tomber cependant dans la sensiblerie. Car le Chopin que nous avons entendu n’a rien de mièvre comme on peut le craindre quelquefois, mais est marqué par une énergie et une intensité rares. A entendre toutes ces pièces les unes après les autres (dont près de 60 mazurkas…) on est frappé à la fois par la variété et les parentés, en amont notamment avec Beethoven, mais aussi en aval avec Rachmaninov, mais aussi , plus étonnant, avec certaines pièces de l’école de Vienne.

xv2f6317b.1291335469.jpgIl y eut des moments prodigieux, l’op.22 (l’andante spianato/Grande Polonaise brillante) , les trois sonates et notamment la n°3 en si mineur, l’exécution étourdissante des 24 préludes op.28, et certaines valses (op.18, op.34 n°1) qui ont vraiment marqué” le public par une rare intensité. On pourrait reprocher quelquefois  à Gergely Boganyi une trop grande vélocité qui empêche presque d’entendre chaque note, même s’il faut saluer l’agilité technique qui rendent son interprétation des études tant l’op.10 que l’op.25 un des sommets de ces deux jours.

imag0072b.1291335439.jpgAu total, même s’il est clair que l’expérience est  un défi très publicitaire pour le pianiste et l’organisateur du concert (les dix concerts étaient à peu près pleins,  la salle était remplie, et même remplie de jeunes, beaucoup se retrouvant d’un concert à l’autre, puisque chaque concert était vendu séparément), ce fut aussi pour le public l’occasion de rentrer en soi, tant le piano, même exécuté dans ces conditions, aide à la méditation.

On ne  peut certes rester concentré sur une si longue durée, mais en même temps je me suis surpris de ma fraîcheur à la sortie. On finit donc par s’adapter à ce rythme et même désirer que cela continue…Et Boganyi s’est même offert le luxe de concéder plusieurs fois des bis, un comble pour ce type d’exécution marathon, tellement sa joie de jouer était évidente et sa générosité grande!

Quant à moi cela m’a permis de reconstituer un pan oublié de mon histoire musicale, puisque j’ai abordé Chopin non par le piano, mais par la version orchestrale du ballet “Les Sylphides”, dans un vieil enregistrement dirigé par Jésus Etcheverry et l’orchestre des Concerts Lamoureux où j’ai entendu à 8 ou 9 ans quelques nocturnes quelques valses et quelques mazurkas, ne découvrant que bien plus tard leur version originale au piano. Echos sans doute très forts et très marquants parce que les détails mélodiques, très présents en moi, ont fini par m’envahir en réécoutant ces pièces enfouies et me plonger de manière mélancolique dans “le vert paradis des amours enfantines”.

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OPERA NATIONAL DE PARIS 2010-2011: MATHIS DER MALER de Paul HINDEMITH le 22 novembre 2010 (Mise en scène Olivier PY, avec Matthias GOERNE)

mathis04.1291243422.jpgOui à ce magnifique spectacle, sans aucune restriction. Si les choix de Nicolas Joel sont quelquefois discutables, il a ici tapé dans le mille. Ainsi l’Opéra de Paris a-t-il fait entrer ces dernières années Cardillac (sous Gérard Mortier) et Mathis der Maler, dans deux productions qui feront date. Olivier Py signe là un travail d’une qualité et d’une intelligence incontestable, avce des moments d’une sublime beauté (le dernier tableau, totalement bouleversant).
On connaît l’histoire de cette oeuvre, dont le thème (l’artiste face aux pouvoirs) a été inspiré par la politique “culturelle” du pouvoir nazi dans les années 30, qui a abouti à l’interdiction d’Hindemith, pour “bolchevisme” et “musique dégénérée” et à son exil, puis à la création de Mathis der Maler à Zurich, malgré le soutien de Furtwängler qui avait créé à Berlin, avec grand succès, la suite symphonique tirée de l’opéra, et qui avait fini par quitter momentanément le Philharmonique de Berlin. Hindemith était un pur “aryen”, mais il était accusé de s’être laissé influencé ou pervertir par les musiciens juifs et donc avait été mis dans la même opprobe. Mathis le peintre raconte l’histoire de Mathias Grünewald, peintre  d’Albert de Brandebourg, cardinal électeur de Mayence, au moment de la Réforme luthérienne et des troubles qui l’accompagnèrent, dont la révolte des Rustauds (Deutscher Bauernkrieg, appelée aussi Erhebung des gemeinen Mannes, soulèvement de l’homme ordinaire). Albert de Brandebourg fut toujours assez libéral avec les protestants, unetolérance qu’il négocia en espèces sonnantes et trébuchantes tant il était endetté. Contrairement à son homonyme, Albrecht de Brandebourg, il ne se convertit pas, mais l’opéra le fait se convertir. L’opéra mélange les deux destins, celui du peintre frappé par le contexte politique et social et par le sort fait aux paysans, et celui du cardinal, criblé de dettes, se convertissant au protestantisme pour pouvoir au départ, faire ensuite un mariage richement doté, mais choisissant finalement le célibat. Mathis le peintre est d’abord une fresque historique, avec des personnages ayant réellement existé (Wolfgang Capito per exemple) et une méditation, une parabole sur l’artiste face au monde en autant de tableaux fixant une sorte de chemin.

Olivier Py, en choisissant de montrer le contexte politique non de la réforme mais du nazisme, courait le risque d’une sorte de banalité d’un transfert qu’on a vu mis à toutes les sauces tant au théâtre qu’à l’opéra. Il courait le risque de faire passer son choix comme celui de la facilité. Mais en réalité ce choix n’est pas vraiment souligné. On est beaucoup plus intéressé par les images de la religion, catholique, avec son décor-décorum doré et clinquant, protestante, quand le même décor se retourne et devient gris et noir, par la violence des images de guerre

mathis07.1291243462.jpgLe décor du meurtre de Helfenstein

( le meurtre du Comte de Helfenstein et le viol de son épouse sont une des scènes les plus réussies, dans un décor somptueux). Pierre André Weitz organise les espaces à sa manière habituelle, avec des chariots mobiles portant les décors et définissant des espaces mutants, transformables, tout en mouvement. On associe beaucoup le travail d’Olivier Py (qui était présent ce soir là, comme souvent les grands metteurs en scène qui veillent au destin de leur travail: Chéreau est toujours là chaque soir ) à une sorte de débordement d’images et d’excès. On n’a pas du tout cette impression dans ce spectacle, même si les décors et les images sont abondantes et multiples, elles correspondent à la situation, une fresque, un parcours singulier, deux destins parallèles, jusqu’au dénuement/dénouement où Mathis se retrouve seul face à sa vie en une image qui serait presque celle d’un clown triste. Bouleversant. Si le parcours artistique de Mathias Grünewald, placé immédiatement dès la première scène, sous le signe du retable d’Issenheim, rêve interrompu par l’irruption de la guerre et du paysan poursuivi hans Schwalb comme si le monde et ses tourments asséchait la création. L’opposition entre Albert de Brandebourg et Mathis est aussi construite avec une très grande clarté: du peintre asservi au prince on passe peu à peu au peintre libéréqui asume ses choix, même face à un Prince converti et devenu plus modeste. Vocalement aussi, la voix nasable, désagréable, froide de Scott Macallister, un spécialiste du rôle d’Albrecht, produit imméditament une mise à distance, quand celle de Mathis-Mathias Goerne,certes quelquefois un peu noyée dans l’orchestre, mais si

mathis05.1291243449.jpgMathias Goerne

chaude, si humaine, si invitante, qui prononce et dit le texte avec une telle exactitude et une telle précision, provoque une adhésion immédiate. je ne dsais pourquoi irrésistiblement et la construction de l’opéra en tableaux qui avancent dans une histoire, et le personnage de Goerne, m’ont fait penser au Saint François d’Assise de Messiaen, autre parabole d’homme seul qui renonce au monde. Un directeur d’opéra serait bien inspiré de penser à Py pour cette oeuvre.
Musicalement, la distribution n’est pas vraiment exceptionnelle, Melanie Diener n’a pas vraiment les moyens d’une Ursula, ses aigus sont proches du cri, la voix manque de corps et de chair, on aimerait une voix plus ronde, plus chaude, plus puissante, plus habitée. Celle plus modeste et plus habitée de Martina Welschenbach pour Regina est sans doute plus en situation, mais la couleur n’est pas exceptionnelle, quant à Nadine Weissmann, elle crie dans la comtesse de Helfenstein, mais en réalité c’est un rôle qiui exige cri et tension. Le Capito de Wolfgang Ablinger-Sperrhacke est convaincant tant par l’interprétation que par la couleur, tout comme Gregory Reinhart dans  Riedinger ou Michael Weinius dans Schwalb. Il reste que l’ensemble des solistes ne dépasse pas une honnête moyenne. Avec les réserrves sur son volume, Mathias Goerne a pris l’exacte mesure du rôle, dont on comprend qu’il fut gravé par Dietrich Fischer-Dieskau: il exige une telle maîtrise du texte, des couleurs qui changent au fur et à mesure que le Mathis artiste engagé dans le monde découvre que son engagement est à la fois stérile dans ses effets, il ne change rien au monde et dans son art: il ne produit plus. Chacun doit rester dans son ordre, telle pourrait être le message de cette histoire, mais en même temps fidèle à ses principes artistiques et humains. Ce que fut Hindemith, et même d’une certaine manière encore discutée aujourd’hui, Furtwängler.

Je ne suis vraiment pas un grand amateur de Christoph Eschenbach, mais on doit reconnaître le magnifique travail effectué avec l’orchestre de l’opéra pour défendre cette musique qui apparaît plus sage, en recul par rapport à d’autres opéras des années 20 et notamment Cardillac ou Neues vom Tage. Avec des longueurs aussi. Mais il y a des moments d’une telle intensité, d’un tel engagement, d’une telle richesse dans l’orchestration qu’on les oublie. Et puis il ya les deux derniers tableaux, d’une beauté et d’une émotion qui étreignent.

Pris comme un ensemble, la représentation est d’une très grande qualité, c’est une sorte de Grand Opéra du vingtième siècle, une oeuvre “à thème” , “à idées” au moment où les idées étaient battues en brèche,  une oeuvre qui méritait d’être créée à l’Opéra et qui obtient un succès mérité dans le public qui se presse à Bastille.

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