IN MEMORIAM MARGARET PRICE

mprice7.1296335069.jpgVoilà encore qui s’éteint  l’une des étoiles du ciel lyrique de ma jeunesse .

mprice4.1296335320.jpgMargaret Price, ma première comtesse, ma première Fiordiligi (avec l’immense Josef Krips! et une mise en scène de Jean-Pierre Ponnelle), ma première Donna Anna (avec Solti!), ma première Desdemona (avec Domingo et Solti et Bacquier). Elle fut ma grande, ma très grande référence mozartienne. Voilà une chanteuse que je n’ai jamais entendue prise en défaut, toujours égale à elle-même, c’est à dire au sommet. Elle était, oui, “égale”, au sens où chacune de ses prestations était un grand moment de chant, un grand moment d’émotion, qui créait toujours un climat poétique, mélancolique, sans “expressionisme”, mais non sans expression. On lui a reproché une certaine placidité, et un manque d’engagement scénique. Ce n’était pas un caractère à la Gwyneth Jones, sa compatriote galloise, c’était une artiste qui donnait à la fois une impression de très grande sécurité, et en même temps qui diffusait une certaine tristesse – ses Donna Anna et ses Comtesses étaient souvent – pour moi du moins- déchirantes. Le rideau qui se lève sur le sublime décor de Frigerio dans les Nozze di Figaro au deuxième acte et cette voix qui murmure en s’affirmant peu à peu un “Porgi amor” crepusculaire, c’est une image qui m’a accompagné toute ma vie.
Car la Comtesse à Paris ce n’était ni Janowitz (qui l’a chantée en 1973 et 1980), ni Söderström ou Eda-Pierre , belles chanteuses cependant. Non, la comtesse à Paris, ce fut elle, vraiment pour l’éternité, entourée de Lucia Popp, Gabriel Bacquier, Teresa  Berganza: nous les eûmes sur scène, avec des chefs divers, si souvent que cela reste ma distribution des Noces. Elle forma dans Donna Anna avec l’Elvira de Kiri Te Kanawa sous la baguette de Solti (et d’autres ensuite car il ne dirigea que quatre fois) une paire incomparable: je me souviens des commentaires incroyables que ces deux chanteuses occasionnèrent dans la presse, des délires d’applaudissements dans la salle.
Oui, Margaret Price fut une très grande. Une voix pure, très chaude, très ronde, à la technique sans failles, aussi bien dans les notes filées et la “morbidezza” que dans le registre le plus aigu, avec une ductilité dans la voix sans forcer, sans jamais faire dans l’excès. Elle fut aussi avec Solti une Desdemone magnifique aux côtés d’un Domingo débutant depuis peu dans le rôle, à qui l’on prédisait le pire des destins s’il persévérait dans les rôles trop dramatiques (on ignorait sans doute tout ce qu’il avait chanté à Hambourg à ses débuts et on connaît la suite).

Qu’il me soit permis rappler une anecdote souriante dont elle fut la victime. Otello à Paris c’était en 1976, une année  de canicule terrible au point que l’orchestre jouait et que le chef (Solti) dirigeait en chemise. On a avait mis de puissants ventilateurs pour que les chanteurs puissent supporter leurs lourds costumes. Lors de la scène finale où Desdemona meurt étranglée, le ventilateur souleva sa robe de manière indécente, et en entrant en scène, Emilia doit crier “Orrore” ce qu’elle fit en rabaissant la robe. Tout le public et les chanteurs se mirent à rire, ce qui évidemment rendit le final un peu décalé…mais Domingo rattrapa en chantant les dernières mesures de manière sublime.
Le répertoire de Margaret Price ne s’est pas limité à Mozart qu’elle chantait à la perfection.

mprice3.1296335278.jpgElle a aussi chanté les grands rôles de lirico spinto de Verdi, Desdemone, Amelia, et Elisabetta. Elle a notamment fait partie du fameux “cast B”comme on dit en Italie lors du Don Carlo dirigé par Abbado à la Scala en 1978. En effet, la reprise TV par la RAI imposait de demander à Karajan de libérer ses artistes de l’exclusivité qu’ils avaient avec lui, et il refusa. Alors, de Carreras-Freni-Ghiaurov-Obratzova on passa à Domingo-Price-Nesterenko-Obratzova, ce qui n’était pas si mal non plus. C’est ainsi que Margaret Price qui n’était pas une chanteuse habituelle d’Abbado enregistra cette reprise peu après le nouvel an 1978 (dans la fameuse mise en scène de Luca Ronconi),le disque (pirate) a conservé les traces des deux distributions, mais on a aussi le vidéo de la seconde. Et elle formait avec Domingo un magnifique couple vocal, d’un dramatisme sans doute moins fragile et moins “vécu” que Freni, mais quelle voix!

A l’étonnement de tous elle fut l’Isolde de Kleiber, pour l’éternité puisque c’est elle qu’il choisit pour graver le chef d’oeuvre de Wagner, composant avec René Kollo (en difficulté) un couple très discuté, cet enregistrement est l’un des grands must de la discographie, sans doute à cause de Kleiber. Mais son Isolde, avec ses moyens et en studio (elle ne risqua jamais Isolde à la scène), est très raffinée, très présente, et au total loin d’être aussi décevante qu’on ne le dit à la sortie du disque en 1981. A réécouter, pour elle, pour Fischer Dieskau, pour Kleiber bien sûr, d’une minutie et d’une vérité époustouflantes.

On le voit, Margaret Price fut une grande, mais toujours discrète (elle s’était retirée en 1999) et mprice2.1296335175.jpgjamais  star.

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Elle était souriante, très  chaleureuse, très ouverte et très sympathique. On l’aimait  et on l’aimera encore pour longtemps.

THÉÂTRE AU BERLINER ENSEMBLE: LA RESISTIBLE ASCENSION d’ARTURO UI de BERTOLT BRECHT(Mise en scène Heiner Müller, avec Martin WUTTKE) le 9 janvier 2011

Der aufhaltsame Aufstieg des Arturo Ui, production Heiner Müller (1995), Berliner Ensemble , Theater am Schiffbauerdamm, Berlin

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Pour la troisième fois, j’ai voulu me replonger dans cette production qui remonte à 1995, que j’avais vue à la création avec Bernhard Minetti et Martin Wuttke, et revue au début des années 2000.
Après plus de quinze ans, la production de Heiner Müller n’a pas perdu son âme, ni son efficacité, sans doute grâce à Martin Wuttke sur qui repose à la fois le spectacle et sa longévité. L’acteur époustouflant, venu quelquefois en France, et qu’on a vu au cinéma dans “Inglourious Basterds” de Tarantino dans le rôle de Hitler, reste pour moi le plus grand acteur du théâtre européen. Mimiques, jeux sur la voix, performance physique (il est incroyable lorsqu’il mime la Svastika), performance de diction d’un texte selon des rythmes et des inflexions toujours différentes, jusqu’à l’incompréhensible débit d’une incroyable rapidité, tout cela avec une extrême rigueur et sans cabotinage, alors que le rôle tel qu’il est conçu s’y prêterait totalement. C’est le travail d’une vie.
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Rien que pour voir cette hallucinante performance, le voyage à Berlin s’impose (prochaine représentation le 13 février).
La pièce, qui situe dans les bas fonds de Chicago (l’Allemagne), montre à la faveur d’une crise du trust des choux fleurs (L’industrie), la prise de pouvoir maffieuse d’un petit gangster,  Arturo Ui, qui n’est rien au départ (il n’est qu’un chien, que Wuttke mime d’une manière désopilante) et que l’aristocratique Clark va chercher en pensant le manoeuvrer. Peu à peu, il prend de l’importance bouscule le vieux parrain (Dogsborough-Hindsborough) en place (une copie d’Hindenburg), prend des leçons auprès d’un vieux comédien (le rôle qui fut jadis de Minetti est confié au vétéran Jürgen Holtz, dont la voix, et surtout la diction sont un enchantement: dieu que la langue allemande est belle quand elle est dite comme cela) et finira par prendre aussi Cicero (L’Autriche) étendant son pouvoir par la démagogie et la menace.

Tous les acteurs sont à citer, ceux qui font partie de la bande à Ui, et qui figurent Goering (Giri, Volker Sprengler), Goebbels (Givola, Victor Deiß), Röhm (Roma, Martin Schneider), Margarita Broich dans Dockdaisy, le couple Dullfeet (Roman Kaminski et Margarita Broich, figurant les Dollfüss) et tous ceux qui composent la petite trentaine de participants de la soirée.

Inscrite dans un décor simple, des pylônes d’acier commençant en salle et un espace quasi vide et gris sur scène (sauf un podium qui est tribune, catafalque, statue au milieu de l’espace, la mise en scène est essentiellement) un travail sur le jeu et repose sur la troupe très homogène des acteurs de la représentation. Vu par Müller comme une sorte de grand opéra burlesque, le spectacle est émaillé d’extraits de Verdi, (Otello, Traviata) Schubert, Mozart, Liszt, mais aussi de Paper Lace , le groupe pop de Notthingham, avec leur chanson sur Al Capone “The night Chicago died”. En regardant Wuttke, une seule référence s’impose, celle de Chaplin. La puissance du texte est d’autant plus forte que le pouvoir s’installe tout en faisant rire: la scène où Ui, qui a une voix nasillarde, qui bégaye, qui est d’affligé d’un corps maigrelet et malingre,  apprend à parler auprès du comédien est un morceau de bravoure absolument irrésistible, et l’effet produit ensuite à la fois ridicule et effrayant: les “trucs” chers à la propagande sont défaits, mais en même temps inquiètent car ils fonctionnent sur les foules, et la seconde partie, beaucoup plus courte, est de moins en moins drôle, finissant sur une marche triomphale ou tous les obstacles et opposants tour à tour s’écroulent et meurent. Pendant que triomphe Ui, en frac, devenu chef incontesté.

C’était la 378ème représentation de ce spectacle qui a fait le tour du monde. Il est proposé quatre ou cinq fois par an dans la saison et c’est toujours plein. Le système allemand de répertoire est aussi un conservatoire de patrimoine théâtral. Les théoriciens du théâtre et de la mise en scène, notamment en France, soulignent les aspects éphémères d’un spectacle, et l’absurdité de jouer un spectacle dont le metteur en scène n’est plus là depuis longtemps, on nous souligne qu’après un peu de temps, le spectacle n’est plus conforme à l’original, qu’il en devient infidèle etc…Je ne pense pas que le théâtre ne doive être que contemporain, hic et nunc. Certains travaux sont des “oeuvres” qui méritent la conservation quand les conditions sont réunies pour être fidèle à l’original.

Je m’inscris donc en faux: certes, sans Martin Wuttke, les choses seraient sans doute différentes, mais ce spectacle, après 15 ans, n’a rien perdu de sa force ni de sa fascination. Oui il fait partie du patrimoine du Berliner Ensemble en premier lieu, mais aussi du théâtre allemand et même européen. Et l’incroyable présence d’un public jeune (une majorité de spectateurs de moins de trente ans) plein d’adolescents, venus non pas avec le prof, comme souvent en France, mais seuls, avec les copains, pour voir du grand, de l’immense théâtre: c’est ce que permet le théâtre de répertoire, bien compris. Et de ce fait l’Allemagne a un vrai réseau de scènes qui permettent au public d’avoir chaque année accès à tout le spectre du répertoire théâtral, classique ou contemporain. En Italie, le Piccolo Teatro s’efforce de conserver les productions de Strehler, pour que soit assise une tradition qui est l’histoire même de ce théâtre. Et en France? où sont les grandes productions de ces 20 ou 30 dernières années? Comment revoir 1789 et 1793 de Mnouchkine dans leur urgence et leur vie? où sont les Molière de Vitez ou son Soulier de Satin? l’Hamlet de Chéreau? l’Illusion Comique de Strehler, ce chef d’oeuvre dont il n’existe aucune reprise vidéo? les Planchon? les grands Lavaudant faits à Grenoble? Productions disparues, enfouies dans le souvenir des spectateurs, mais aucun adolescent ne pourra aller voir ce théâtre là. Et c’est dommage.

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DISQUES-CD-DVD: MES ENREGISTREMENTS PREFERES/VERDI: I VESPRI SICILIANI – Appendice: Riccardo MUTI en 1978

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Il  me restait à découvrir l’enregistrement de Riccardo Muti, acheté récemment sur un site allemand fort complet http://www.jpc.de/ (attention les frais de port sont souvent importants, mais la livraison est rapide et le choix bien plus large que tous les sites français habituels). J’ai reçu l’enregistrement (GALA GL 100.611, 3CD) dont le son est correct, et qui permet en tous cas d’établir les comparaisons qui manquaient à mon regard sur cet opéra.

renata_scotto.1295092445.jpgRenata Scotto

Incontestablement, les atouts de l’enregistrement sont d’abord Muti et Scotto, puis Bruson et Raimondi. Veriano Lucchetti est un très bon ténor, mais il semble être bien à la peine dans la deuxième partie et notamment au quatrième acte (exactement comme Chris Merritt dans les représentations de la Scala).

Moins techniquement spectaculaire que dans son enregistrement avec Gavazzeni (une dizaine d’années auparavant il est vrai), Renata Scotto est chez Muti plus vivante, plus engagée, et impeccable, elle est définitivement la grande Elena de ces années-là. Bruson est aux débuts de la carrière que l’ont sait et il est somptueux, Raimondi est bien meilleur que chez Gavazzeni, la voix s’est assombrie (c’est le moment où il va aborder Boris), mais garde cette brillance qui la caractérisait alor. Au total, un quatuor vocal  plus que solide, petites faiblesses de Lucchetti mises à part, accompagné par un orchestre étourdissant.
Riccardo Muti est alors au sommet de son art, dans cette période de sa vie où dominent son engagement, sa manière d’imposer un style brutal, violemment contrasté, incroyablement énergique, mais capable de modulations de rêve, de douceurs, de retenue aussi. Et avec tout le ballet!
Il a dit plus tard que s’il avait continué à diriger comme cela, il aurait brisé sa carrière. Voire. Muti est un intuitif, un sanguin, mais aussi un inquiet. On l’a accusé alors d’être superficiel et de rechercher l’effet. Rien n’est plus faux, car rien n’est gratuit dans sa manière d’aborder les oeuvres. Il collait à ces oeuvres en leur donnant une incroyable vitalité, un bouillonnement qu’on a des difficultés à trouver dans ses productions plus tardives, notamment verdiennes. J’ai plusieurs fois souligné dans ce blog combien ses productions scaligères à partir de 1991 était soucieuses d’être l’expression d’une pensée mûre. A l’époque, je disais “aïe, quand Muti se met à penser, il fait moins de musique”. Nous aimions le Muti qui laissait libre cours à sa créativité, à ses intuitions à ses sensations.

Son dernier Trovatore à la Scala fut à ce titre absolument mortel de fausse profondeur. Beaucoup de vieux spectateurs de la Scala avaient la même impression: que le Muti de Florence reste incomparable, sensible, intuitif, ou du moins le seul à soutenir la comparaison avec l’autre astre verdien, Claudio Abbado, avec des moyens et des points de vue radicalement opposés.

Alors, il est difficile de choisir, je maintiens que l’approche de Levine dans le disque officiel avec Domingo et Arroyo reste la référence pour moi pour entrer dans l’oeuvre. Incontestablement le ténor à entendre est Nicolaï Gedda au MET avec Caballé. Mais si l’on veut une référence “live”, on choisira cette version de Muti.
Et aujourd’hui, qui pourrait s’y coller ?
Dans les chefs, les jeunes, je vois Andris Nelson ou Gustavo Dudamel, qui ont la dynamique voulue pour ce type de répertoire. Dans les moins jeunes, Pappano bien sûr, le grand verdien actuel à mon avis. Mais on peut encore faire confiance à Muti s’il s’appuie sur un quatuor de choc: on a le ténor voulu, c’est Jonas Kaufmann, qui a la voix “technique”  et la maîtrise (il serait idéal techniquement dans la version française), mais le timbre est peut-être trop sombre; Francesco Meli pourrait être une alternative, moins prestigieuse, mais cette voix rompue au répertoire bel cantiste pourrait se frotter à Henri (moins peut-être à Arrigo). Je ne pense pas que Grigolo ait le style voulu malgré son timbre solaire. Alagna jadis aurait pu..mais….
Dans Elena, Anja Harteros aurait l’intensité, le physique, la dramaticité voulue… et aussi la technique. Dans Monforte, pourquoi pas Mariusz Kwiecien. Reste Procida pour lequel je vois bien un René Pape qui chante Philippe II régulièrement, ou Giacomo Prestia, qui a l’avantage d’être italien. Bref, on pourrait monter des Vespri (ou des Vêpres) acceptables aujourd’hui…
Faites-vous plaisir, faites-moi plaisir, écoutez les Vêpres Siciliennes, ou faites le voyage de Genève cette saison, l’oeuvre en vaut la peine.

POUR QUE VIVE PARIS QUARTIER D’ÉTÉ

Une des initiatives les plus originales et populaires du paysage culturel français est menacée par une décision du Ministère de la Culture d’abaisser de 30% sa subvention. Autant dire signer son arrêt de mort. Sans commentaire.
Paris Quartier d’Été, c’est une idée de Jack Lang, mise en musique, en théâtre, en danse, en kiosque, en cirque par Patrice Martinet, l’actuel directeur du théâtre de l’Athénée, qui en assure la destinée depuis ses origines. L’initiative consiste à s’emparer de lieux divers de Paris, des plus consacrés aux plus inattendus, pour offrir spectacles et performances de très haute qualité internationale à des prix défiant toute concurrence, voire gratuitement. C’est ainsi qu’on vit investir la Défense, Les Arènes de Lutèce, le parc André Citroën, pour des concerts de musique classique qui amenèrent jusqu’à 70000 personnes (à la Défense).C’est ainsi que l’Opéra de Paris, le digne Palais Garnier accueillit une mémorable soirée kabyle avec la magnifique Cherifa, attirant un public qui n’y avait jamais mis les pieds. C’est ainsi que les kiosques des jardins parisiens, avec en premier lieu celui du Jardin du Luxembourg se mirent à revivre, au son des fanfares,  des orchestres de Jazz, des ensembles de “Musique du monde”. C’est ainsi qu’on vit le Palais Royal attirer de nouveau une foule estivale pour des spectacles de danse de toute première importance, source inépuisable de succès et de public. C’est ainsi aussi qu’on vit poindre des artistes inconnus qui firent un malheur, comme Shirley et Dino avec la carrière que l’on sait et qui s’en suivit.

Car ce furent non seulement des talents consacrés, mais aussi des inconnus qui devinrent célèbres, qui firent les beaux soirs du Paris d’été.
Oui Patrice Martinet a réussi à faire une manifestation authentiquement populaire avec une programmation exigeante, diversifiée, allant chercher au bout du monde des artistes éblouissants, il a donné une couleur et une âme à son Festival, en faisant de Paris et de ses recoins (jusqu’à la maison de Pierre Henry,à Picpus) des lieux animés, où quelque chose se passait.
Cette vie d’été qui offrait de la culture un visage divers, multicolore, ébouriffé, et en même temps bon enfant, souriant, simple, et non la couleur statufiée d’une culture de la distinction à la Bourdieu serait donc menacée par les décisions absurdes répondant sans doute aux logiques comptables qui dominent aujourd’hui dans les Palais de la République ?

Non, nous ne voulons pas la fin d’un des rares lieux qui soit ouvert, ouvert au ciel étoilé, ouvert au rêve et ouvert aux autres et à toutes les diversités, car rarement festival n’a autant donné à voir et à connaître de la grande scène du monde et des autres.

Alors, si vous partagez cette conviction, signez l’appel de Paris Quartier d’été sur son site en allant à l’adresse suivante: http://www.quartierdete.com/petition/?petition=4

THÉÂTRE A LA SCHAUBÜHNE DE BERLIN: LE MISANTHROPE/DER MENSCHENFEIND de MOLIERE (Mise en scène: Ivo van HOVE, avec Lars EIDINGER et Judith ROSMAIR) le 8 janvier 2011

c-jan-versweyveld-0496.1294789089.jpgPhoto Jan Versweyveld

Etant  ce dernier week-end à Berlin pour revoir “La résistible ascension d’Arturo Ui”, en passant devant la Schaubühne, j’ai vu que Le Misanthrope (Der Menschenfeind) est programmé. La curiosité est grande de voir ce que le temple du “Regietheater” propose de faire de la pièce de Molière, et je prends l’un des tout derniers billets pour la représentation du samedi soir 8 janvier.
Le Misanthrope est le spectacle d’ouverture de saison de la Schaubühne cette année (Première le 19 septembre 2010); la mise en scène est signée Ivo van Hove dont on a vu à Avignon en 2008 des Shakespeare très remarqués et à Créteil un travail passionnant sur Cassavetes. Ivo van Hove, actuellement directeur du Toneelgroep Amsterdam, depuis 2001, fait partie de cette génération de metteurs en scène flamands qui sont aujourd’hui à la pointe du travail théâtral européen. Dans la ligne de ses Shakespeare d’Avignon, il utilise crûment les classiques d’hier pour montrer crûment les problèmes d’aujourd’hui.

Le Misanthrope, qui fut la première pièce de Molière à être “actualisée” dans des mises en scènes (jouée en costumes modernes dès les années 60) se prête bien à ce type de lecture, elle qui dénonce à la fois les mythes (la vérité à tout crins, la “transparence”  font aussi problème aujourd’hui, on le voit avec le débat autour de l’affaire Wikileaks) mais aussi les hypocrisies sociales, les réseaux, les faux semblants et les codes . Aussi personne ne peut s’étonner de trouver un décor très “high teck”, d’une immaculée blancheur, avec un mur d’écrans, et deux parois de verre séparant sur les côtés l’espace scénique  de caméras vidéos ominiprésentes qui élargissent les points de vue et relativisent les regards, personne ne s’étonnera non plus que tout ce beau monde (pantalon, chemise ouverte, pieds nus, ou jupes très échancrées-sauf Arsinoé…en pantalon noir-) utilise les gadgets du jour: Oronte lit son sonnet sur un I-Pad, Alceste écoute son I-Phone pendant que Philinte lui parle, et les lettres de Célimène à Acaste et Clitandre sont elles aussi transformées en déclarations sur I-Pad. Des caméras vidéo suivent donc la représentation, sur scène offrant les acteurs au regard sous des angles divers , gros plans, orientations latérales, et hors scène (l’arrière scène représente des loges de comédiens), voire sur le trottoir ravagé par la fonte des neiges en ce Berlin hivernal. Les espaces de jeu sont multipliés grâce à ces vidéos où les acteurs jouent évidemment en direct. L’acte I est assez classique, même si l’ambiance est très grise, voire sombre. La scène avec Philinte est terriblement amère,et  même la scène du sonnet d’Oronte est réglée (I-Pad compris) assez traditionnellement, et très bien réglée d’ailleurs (la manière dont Alceste se retient est désopilante). Tout bascule dans la grande scène IV de l’acte II où tout le monde se retrouve à écouter Célimène régler ses comptes avec des personnages de la bonne société.

Avantrepas.1294789457.jpgscene.1294789558.jpgAprès

Nous sommes autour d’une table, chacun a apporté des victuailles, pâtes, pastèque, biscuits, gâteaux à la crème, vin et Célimène est la vedette du jour, elle fait ses portraits, tantôt aux convives tantôt au téléphone, quand Alceste rompt la fête sociale en s’allongeant sur la table, et commençant à s’asperger des victuailles présentes, il se verse de la sauce au chocolat, du “rote Grütze”, fruits rouges en gelée, il se couvre le visage de tartes, et enfin baissant son pantalon il s’enfonce dans un autre orifice des saucisses viennoises (vu en gros plan grâce à la caméra), pendant qu’une baguette de pain se substitue triomphalement à son appendice érectile. A partir de ce moment, ce n’est plus le Misanthrope, mais le Misantrash. Alceste bascule dans l’absolu de l’excès devenant toujours plus sale, toujours plus repoussant, gluant, devenant vraiment celui qu’on a envie de voir disparaître. Alceste poursuit Célimène jusque dans la rue, revient, les pieds nus infectes de saleté, avec trois énormes sacs d’immondices qu’il déverse sur scène, et pour finir, arrose toute la scène, et sa partenaire, avec une lance à incendie (ce soir elle lui a échappé des mains et a arrosé le public, donnant une couleur burlesque à une scène finale qui se voulait tout en retenue et qui de ce fait rate un peu son objectif).
Je sens bien à mesure que je raconte le spectacle, que le lecteur a l’impression d’une mise en scène encore déjantée, décalée, difficilement acceptable, comme en a quelquefois le secret le théâtre allemand.

Pourtant, trois jours après, j’y pense et je n’oublie pas.
Au-delà du gadget, des débordements et de l’excès, c’est bien de cet excès même dont la pièce est porteuse. Alceste par son exigence est proprement insupportable à son entourage, comme tous les personnages maniaques de la galerie moliéresque: c’est un destructeur, destructeur d’ordre social, destructeur de tissu social, destructeur d’amitié. En détruisant, il se détruit lui-même et cette destruction finit par faire rire, comme les tartes à la crème que se lancent les clowns. Tout finit dans une clownerie cynique.
En rendant le personnage extrême, difficile même à regarder tant il est repoussant et pathétique à force d’être repoussoir, Ivo van Hove se situe bien au centre dela problématique, orientant le regard du spectateur vers un ressenti probablement proche de ce que le spectateur du XVIIème siècle devait éprouver à la vue de ce zombie, détruisant ainsi tout le capital de sympathie qu’Alceste en général provoque chez le spectateur d’aujourd’hui.

Le cas de Célimène est un peu différent. La “coquette” du XVIIème devient chez Van Hove une sorte de femme libérée, libre de son corps et cultivant plusieurs relations parallèles, elle est comme chez Molière tout ce qu’Alceste n’accepte pas, et aussi tout ce qu’il supporte de manière désespérée chez elle, par la force de l’amour et du désir, fortement souligné sur scène. Elle tient les hommes non par le discours, mais bien par le corps : le corps de Célimène est agressivement omniprésent, et la belle Judith Rosmair prête au personnage ses formes séduisantes et avantageuses qui passent tour à tour dans les mains et sur les lèvres d’Alceste, d’Oronte, d’Acaste et de Clitandre.
index.1294789525.jpgLars Eidinger est Alceste: sa voix douce et chaude fait contraste avec la violence démonstrative de l’engagement (qui doit lui  valoir une longue douche au sortir du spectacle). Cet acteur, l’un des grands de la Schaubühne (on l’a vu dans Tesmar de Hedda Gabler et dans le docteur Rank de Nora-Maison de Poupée-montés par Thomas Ostermeier). C’est un acteur qui ose, qui s’expose, de manière incroyable, une véritable explosion.2.1294789540.jpg Sa performance en Alceste est étonnante, pour tant et tant de raisons, il est vraiment exceptionnel.
Notons aussi l’Arsinoé de Corinna Kirchhoff, bien connue du public allemand, toute de noir vêtue, très rigide et droite au milieu de tous ces corps qui bougent, à la voix égale et tendue, au milieu de toutes ces voix qui crient, elle est tout sauf ridicule, et de fait, la scène avec Célimène où chacune joue à “l’amie qui vous veut du bien” (Acte III scène IV) n’est pas aussi amusante que d’habitude, mais d’une extrême tension. Les autres comédiens sont remarquables,  la mise en scène en fait souvent des spectateurs interdits des excès d’Alceste, Philinte (Sebastian Schwarz, 26 ans un des acteurs montants de la Schaubühne) quant à lui reste l’honnête homme équilibré, jusqu’au moment où il “éclate” lui aussi, tandis qu’Eliante (Lea Draeger) est un miracle de discrétion au milieu de ce monde agité.

Au total, ai-je aimé? Peut-on aimer un spectacle qui reste par bien des côtés difficile à supporter tant il “casse” les Misanthrope qu’on a l’habitude de voir? Après trois jours, cette représentation  reste en mémoire, et plus on en remonte les fils, plus on en saisit les choix, il se produit une sorte de cristallisation. Van Hove nous montre l’insupportable social, il prend de la distance à la fois avec la société avec ses mythes passagers (les produits Apple à la mode) et celui qui la pourfend, complètement (auto)destructeur, et qui finalement à la toute fin, retrouve Célimène (ils s’embrassent sauvagement au baisser de rideau) après l’avoir honnie: voudrait-on dire qu’il retrouve le monde? et nous dire que tout cela était bien inutile?

c-jan-versweyveld-6997.1294788903.jpgPhoto Jan Versweyveld

DISQUES-CD-DVD: MES ENREGISTREMENTS PREFERES/VERDI: I VESPRI SICILIANI

I vespri siciliani fit les grandes heures verdiennes de l’Opéra de Paris version Liebermann. La première saison (Printemps 1973), l’opéra présenta les fameuses Noces de Figaro de Strehler, Orphée et Eurydice de Gluck avec Nicolaï Gedda en Orphée -aujourd’hui on pousserait des cris d’orfraie-,  Parsifal de Wagner et Il Trovatore, originellement prévu avec le jeune Riccardo Muti et Luchino Visconti. Mais le projet n’aboutit pas et Muti refusa de diriger. Le chef partit mais restèrent les chanteurs: tantôt Gwyneth Jones en Leonora, tantôt Shirley Verrett en Azucena. On eut aussi Cossuta ou Domingo en Manrico, Cappuccilli en Luna, Scotto en Leonora, Cossotto en Azucena. Bref, du rêve en continu. Mais les chefs pour Trovatore se firent attendre et désirer…

La seconde production verdienne (1974) fut l Vespri Siciliani, qui demeura l’une des grandes réussites de l’ère Liebermann. Opéra rarement donné à l’époque, et notamment en France, alors que l’oeuvre a été créée en Français pour Paris à l’occasion de l’exposition de 1855 (Livret de Eugène Scribe). Il est vrai que Verdi n’avait pas vraiment choisi un sujet francophile, puisqu’il s’agissait de rappeler le massacre des occupants français de Sicile par les Siciliens, une occasion de célébrer le sentiment national italien. Un autre opéra de Verdi, Giovanna d’Arco, n’eut jamais en France l’heur de plaire, vu que l’histoire (tirée de Schiller) ne correspond pas exactement, c’est le moins qu’on puisse dire, à l’histoire de Jeanne telle que des millions de petits français l’apprennent dans la Légende Dorée des gloires nationales. D’autres opéras de Verdi en Français  n’ont pas eu non plus de destin fabuleux, Don Carlos, bien sûr, éclipsé par Don Carlo, ce chef d’oeuvre que je préfère dans sa version française, plus longue, plus développée, plus étirée sans doute, mais à la musique sublime, et Le Trouvère, version française élaborée par Verdi avec des éléments spécifiques qu’on ne retrouve pas dans la version italienne. Voilà du grain à moudre pour Nicolas Joel si Verdi revient vraiment à la mode avec des chanteurs adéquats…Mais je m’égare.

Ces Vespri Siciliani étaient présentés dans une production très épurée de John Dexter (1) et dans des décors impressionnants (un escalier monumental) de Josef Svoboda, production partagée avec le MET de New York et dirigée par le suisse Nello Santi, qui eut toujours dans cette oeuvre un énorme succès, alors qu’il fut plus contesté dans les autres opéras qu’il dirigea par ailleurs. Dans mon souvenir, je vis cette production pour la première fois avec Martina Arroyo, Placido Domingo, Roger Soyer, David Ohanesian; on y vit aussi en alternance  Cristina Deutekom, Peter Glossop, Ruggero Raimondi (ah, ce “O tu Palermo”!), Franco Bonisolli. Arroyo était irremplaçable dans Elena, et que dire de Domingo qui chanta peu ce rôle !

Je revis tardivement des Vespri Siciliani, à la Scala, avec Muti, dans une mise en scène ennuyeuse de Pier Luigi Pizzi avec Chris Merritt, Cheryl Studer, Giorgio Zancanaro et Ferruccio Furlanetto, et je me souviens bien de la Première du 7 décembre 1989: le plus gros succès, triomphal et délirant, fut remporté par …Patrick Dupont, soliste du ballet que Muti avait réinséré pour l’occasion. Merritt et Studer se firent huer copieusement. Et la production tomba dans l’oubli.

Cette saison, Amsterdam (en septembre dernier) et Genève (en mai prochain) coproduisent et programment Les Vêpres Siciliennes dans la version française, dans une mise en scène de Christof Loy. C’est une occasion exceptionnelle qu’il ne fait pas rater, quelle que soit la distribution, quelle que soit la mise en scène. Il  existe un enregistrement de la version française chez Arkadia, reprise d’un concert londonien dirigé par Mario Rossi en 1969 avec Jacqueline Brumaire (Hélène) et Jean Bonhomme (Henri). Ce n’est pas inoubliable, mais comme c’est le seul enregistrement existant à ma connaissance…

La version italienne en revanche est bien servie par le disque, notamment “live”. On ne peut dire qu’il y ait une version plus faible que les autres. les deux versions “officielles” sont celle de James Levine avec le New Philharmonia Orchestra et Arroyo, Domingo, Milnes, Raimondi enregistrée suite aux représentations du MET en 1974 et contemporaine des représentations parisiennes, et celle de Riccardo Muti, faite en direct à la Scala en 1989 avec Studer, Merritt, Zancanaro, Furlanetto, plus complète puisqu’elle comprend la musique du ballet. Pour des raisons qui tiennent à l’histoire de ma relation à cette oeuvre, je préfère évidemment la version Levine, avec une bonne partie de la distribution entendue à l’époque à Paris un Domingo (Arrigo) jeune et éclatant,  et une Martina Arroyo (Elena) au timbre solaire et un Raimondi (Procida) un peu en retrait. Même Sherill Milnes est moins froid qu’à l’accoutumée dans Monforte. Levine, qui est très bon chef pour Verdi, emporte l’ensemble avec feu et énergie, tout cela palpite, halète, séduit. C’est un Verdi de chair et de tripes, merveilleusement chanté, comme je l’aime.

J’avais assisté aux représentations de la Scala qui ont donné l’occasion du second enregistrement. C’était le début des problèmes pour les voix verdiennes, c’est aussi le moment où Riccardo Muti a complètement changé sa manière de diriger Verdi. Le sommet de Muti dans Verdi, c’est la Forza del Destino (Freni-Domingo) un sommet inégalé, enregistré trois ans auparavant, et c’est aussi toute sa première manière, énergique, avec des accélérations démentes, des contrastes à la limite du supportable, une dynamique et une vie qui en firent à l’époque une des deux références pour Verdi (l’autre étant évidemment Claudio Abbado), on en a des traces dans son Aida, son Ballo in maschera ou même son Macbeth, éclipsé par celui d’Abbado, mais qui reste un magnifique enregistrement que tout mélomane doit posséder. Mais c’est dans ses “live” faits à Florence qu’il étonna (Ah! son Trovatore, son Otello (avec un époustouflant Bruson et une Scotto de rêve)! A partir des années 90, le Verdi de Muti, tout en restant une merveille d’orchestration, s’aplatit, se banalise, devient presque ennuyeux (au fur et à mesure qu’il dirige à la Scala La Forza del Destino, on entend de plus en plus une routine, et son dernier Trovatore fut vraiment mortel) à force de rechercher des effets sonores preqaue mozartiens, tout cela devient froid, plein d’afféteries et presque indifférent. Ces Vespri Siciliani souffrent d’être trop léchées, trop sages, et pas suffisamment portées par le plateau: voulant se rapprocher de la version française, et du style français qu’elle impose, il demande à Merritt de chanter quelquefois en voix de tête avec de bien vilains sons (IVème acte). Et Studer n’est pas et ne sera jamais un soprano lirico colorature.On est loin de la chair et du sang qu’on trouve chez Levine. C’est que le rôle d’Arrigo est complexe à distribuer: il n’est pas sûr que Domingo, malgré son timbre, malgré son charisme, malgré le souvenir qu’on a de lui dans cette oeuvre, soit vraiment un Arrigo, qui n’est pas vraiment un ténor construit au moule italien. Arrigo (ou Henri), c’est un ténor de couleur plus française (Un Vanzo pouvait faire merveille là dedans, et Gedda fut impérial)

Mes Vespri Siciliani, en version officielle ce sont celles de Levine, sans hésitation !

Sans hésitation, certes pour la version officielle, mais si on commence à considérer les enregistrements “live” on ne peut que bousculer ce classement: j’en possède trois sur les quatre à posséder (il me manque Muti en 1978 à Florence, qui je le sais est une merveille à l’orchestre, avec une Renata Scotto d’exception).
Le premier est connu de tous les amateurs, Maria Callas, Boris Christoff à Florence avec l’immense Erich Kleiber. Le quatrième acte de Callas impose l’admiration silencieuse et Kleiber impose une vision plus mature de Verdi que le son “Grand Opéra” plus adapté à cette oeuvre.

Gavazzeni ouvre la saison 1970-71 de la Scala avec un quatuor de chanteurs de choc : Renata Scotto, Gianni Raimondi, Piero Cappuccilli, Ruggero Raimondi. On peut discuter la direction un peu “Zim boum” de Gavazzeni (l’ouverture!), aux tempi un peu lents, à qui il manque pour mon goût cette palpitation que je trouve chez Levine. Mais cela reste de la très belle ouvrage. Gianni Raimondi n’est pas vraiment une grande personnalité en Arrigo mais il se sort des pièges du rôle. Ruggero Raimondi et Piero Cappuccilli font merveille, mais on s’arrêtera sur Renata Scotto. Voix claire, style un peu maniéré, mais quelle maîtrise technique, quel contrôle du son, et des aigus à faire pâlir: extraordinaire! Dans le même disque, un bonus avec Leyla Gencer (qui alternait avec Scotto) dans quelques extraits aux côtés du pâle Giorgio Casellato Lamberti. Confrontation intéressante entre deux timbres radicalement différents, celui plus sombre de Gencer,  avec une fluidité du chant et une facilité à donner de la couleur qui stupéfie.

Enfin, Levine au MET avec  Montserrat Caballé, Nicolaï Gedda, Sherill Milnes, Justino Diaz, malgré une prise de son, notamment au début qui rend l’écoute très difficile voire pénible (il faut tendre l’oreille pour entendre les voix) dispute la palme avec la version Gavazzeni. C’est à peu près le seul témoignage de Caballé dans Elena, alors qu’elle était à l’époque considérée comme l’une des spécialistes de ce rôle: fluidité, aigus aériens, agilité, mais aussi émotion, mais aussi énergie (plus que d’habitude!) en font une Elena de toute première grandeur. A cette Caballé si lyrique si “naturelle” (plus naturelle que Scotto en tous cas), répond un Arrigo surprenant, Nicolaï Gedda, qu’on entendait à l’époque à Paris, dans Faust, dans Hoffmann, dans Orphée. Gedda, c’est une voix étendue, qui montait jusqu’au si, c’est ensuite une technique redoutable, une élégance inégalée et une diction unique. Et son Arrigo est une merveille, voilà celui qu’il aurait fallu entendre dans la version française ! Il a tout, les aigus, les cadences, le style, le lyrisme, mais aussi  l’allant: certes ce n’est pas une couleur à proprement parler italienne, mais cet opéra est à la fois un Grand Opéra à la française, héritier de Meyerbeer, et aussi un opéra italien (on a bien vu que Domingo même un peu inadapté dominait parfaitement un rôle qu’il estimait pourtant pour lui très difficile). Il faut entendre ses duos avec Caballé, et son “Giorno di pianto” du quatrième acte unique dans les annales (comment il tient la note sur le “disprezzo” final), c’est incontestablement l’Arrigo le meilleur de tous et sans doute le moins attendu.
Si Milnes est comme toujours impeccable, la surprise vient aussi de Justino Diaz, impressionnant Procida aussi bien dans son air d’entrée (Oh! tu Palermo) que dans les ensembles (quatrième acte). Et si c’était là ma version?

On l’a vu, il est très difficile de choisir entre ces version qui toutes ont quelque chose qui attire l’attention, et des atouts qui rendent le choix très difficile. D’autant que l’oeuvre est hybride et ne se laisse pas immédiatement appréhender. Pour découvrir sans nul doute, Levine (BMG ex.RCA), pour jouir des voix, Gavazzeni, et pour le bonheur – malgré un son pénible – Levine Caballé et Gedda.J’ai commandé Muti 1978. La suite à réception!

(1) Dexter fit aussi à Paris La Forza del Destino, mais avec beaucoup moins de bonheur scénique -même si le plateau fut toujours éblouissant: c’étaient les années où l’on distribuait aisément Verdi, mais pas Wagner. Les temps ont bien changé.