OPÉRA DE PARIS: UN REGARD SUR LA SAISON LYRIQUE 2018-2019

La réflexion sur l’avenir à plus long terme de notre plus grande scène nationale ne doit pas cacher le regard sur le futur immédiat de la programmation. Le programme est paru depuis plusieurs mois, et notre regard est aujourd’hui moins sensible à la surprise et aux feux des réactions immédiates en bien comme en mal.
Au préalable, il me semble important de (re) poser un certain nombre de principes qui doivent gouverner la programmation de notre Opéra national.

L’Opéra de Paris, c’est deux salles qui sont chacune des grandes salles d’opéra : la seule jauge de Garnier est équivalente à la jauge de Covent Garden, la Scala, Vienne, Bolchoi et Munich. Le MET est la seule salle avec ses 3800 places qui dépasse largement cette jauge, avec les problèmes de remplissage que l’on sait actuellement.
Mais Paris a en plus une salle de 2700 places (Bastille) à remplir, c’est à peu près chaque soir en tout 4700 places à offrir, ce qui implique évidemment des dispositions de programmation particulières. On ne peut faire salle(s) pleine(s) chaque soir, et Jonas Kaufmann ne chante pas tous les jours…

Malgré toutes les critiques, c’est tout de même un exploit (quand on regarde les problèmes de remplissage d’autres salles européennes à commencer par la Scala) de remplir deux salles géantes. C’est en effet toujours un étonnement de ma part que Garnier soir considéré comme la « petite » salle, où l’on fait du ballet, quelques Mozart et du baroque, alors que la critique dans les années soixante-dix hurlait quand Liebermann programmait Così fan Tutte à Garnier (même avec Josef Krips en fosse) parce qu’une œuvre aussi intime allait être noyée dans ce grand vaisseau.
On ne peut programmer chaque soir Traviata, Bohème ou Le Lac des cygnes : l’opéra de Paris, comme grande institution publique est censée offrir au public une vision diversifiée du répertoire, modulant entre contemporain, classique, entre grosses machines et pièces intimes, entre mises en scènes « classiques » et « modernes », (j’emploie ces mots à regret parce qu’il n’y a que des mises en scènes bonnes ou mauvaises, mais ils traduisent la pensée de nombreux spectateurs) entre stars et moins stars, entre œuvres connues et moins connues. Autrement dit, tout et son contraire.
Ainsi les Directeurs généraux donnent un flanc facile aux critiques, parce qu’ils doivent naviguer (quels qu’ils soient) entre tous ces écueils.
Or si la Scala pourrait se contenter d’une douzaine de productions lyriques annuelles parce que c’est ce que son public très local peut supporter (elle en affiche quand même 15), Paris doit afficher au bas mot au moins une vingtaine de productions lyriques annuelles (20 exactement en 2018-2019) et les productions du ballet, mais ces dernières sont moins coûteuses puisque le ballet est géré par un système de troupe, alors que le lyrique est géré par le système stagione, dont les coûts de production sont plus élevés, évidemment.

Vingt-quatre productions annuelles, cela veut dire alchimie délicate entre tous les éléments rappelés plus haut, cela veut dire aussi quelquefois des distributions au kilo (plusieurs centaines de rôles à distribuer), cela signifie une alternance entre opéras avec chœur et opéra sans (ou avec peu de) chœur, pour permettre aux artistes des chœurs de travailler sans pression et en profondeur, de même pour l’orchestre qui doit avoir le temps  d’étudier les œuvres nouvelles qui entrent au répertoire ou qui en avaient disparu depuis belle lurette (Les Huguenots par exemple).

Or le système stagione auquel le public est habitué, exige son lot de nouveautés qui vont faire courir les foules, ce qui coûte le plus cher. Dans un système de répertoire, les nouveautés sont au nombre de 5 ou 6 par saison, mais à côté on peut puiser et reprendre avec des distributions variées jusqu’à 40 (à Munich) ou 50 productions (à Vienne) .
La reprise en système stagione doit être limitée (la Scala par exemple qui affiche peu de reprises traditionnellement, 4 pour la saison 2018-2019), motivée (titre pas affiché depuis longtemps, titre rare mais existant dans les réserves, ou titre alimentaire tiroir-caisse comme Bohème). Pour l’Opéra-Bastille, par le nombre même de représentations annuelles, la reprise (au ballet comme à l’opéra) est ce qui fait fonds de commerce et il faut saluer le travail d’Hugues Gall qui a eu pour objectif, tout au long de ses neuf années d’exercice, de constituer ce matelas de sécurité d’œuvres de répertoire qui vont permettre de reprendre des titres populaires, de reprendre des mises en scène de réserve suite à des échecs de nouvelles productions, bref de donner de la souplesse au système pour (normalement) limiter les coûts. Il reste qu’on a tourné le problème dans tous les sens et depuis longtemps à Paris comme ailleurs, énarques ou pas énarques, l’opéra est un art qui coûte cher, qui a toujours coûté cher depuis ses origines, et qui vit sur grand pied pour satisfaire le public. L’idée de réduire les coûts à l’opéra fait rire les poules comme disent les italiens, et déjà rentrer dans le budget imparti sans gabegie est un minimum dont on devrait se contenter. Et Paris coûte d’autant plus cher qu’il y deux salles importantes, à la technicité très différente et aux coûts de manutention et de maintenance importants, matériellement et humainement. Ce sont des données de départ qu’il faut accepter.

Dans ce cadre, la programmation de l’opéra de Paris en 2018-2019 affiche 20 titres (même si son programme annonce des titres de la saison 2019-2020), ce qui est déjà important (le MET en affichera 26 et Covent Garden 19) dont 7 nouvelles productions in loco et une à l’extérieur (MC93) et donc 12 reprises. C’est en outre la saison des 350 ans de l’Opéra (fondé en 1669 comme Académie Royale de Musique) : on se souvient que l’Opéra de Paris a une histoire, quelle surprise !

Tristan und Isolde (Wagner)
Reprise de la production de Peter Sellars, dont on connaît la qualité, production devnue culte, dirigée par Philippe Jordan avec Andreas Schager (Excellent choix) et Martine Serafin (moins intéressante), René Pape (Marke) et Matthias Goerne (Kurwenal). Pas de quoi se plaindre. (9 repr. du 11 sept au 9 oct à Bastille)

Les Huguenots (Meyerbeer) (NP)
L’opéra de Paris se souvient de son répertoire, Les Huguenots ayant fait les beaux jours de la maison pendant un siècle environ. La relative Meyerbeer renaissance (née en Allemagne) profite à Paris, qui depuis les années 80 n’a affiché que Robert le Diable (saison 1985-1985). La mise en scène est confiée à Andreas Kriegenburg (Le Ring de Munich, Die Soldaten à Munich Lady Macbeth de Mzensk à Salzbourg) qui met en scène pour la première fois à Paris, et la direction musicale à Michele Mariotti (sauf le 24 oct. Łukasz Borowicz) qui a triomphé à Berlin dans la même œuvre, très à l’aise dans ce répertoire. La riche distribution est conduite par Diana Damrau et Brian Hymel, et on trouve aussi Ermonela Jaho et Karine Deshayes, ainsi que ce que le chant français produit de mieux, Nisolas Testé, Cyrille Dubois, Florian Sempey et bien d‘autres. Pour son retour à Paris, il était temps, l’œuvre est bien défendue. Optimisme. 10 repr. Du 24 sept au 24 oct à Bastille

Bérénice (Jarrell) (NP)
Création mondiale de Michael Jarrell qui a écrit aussi le livret d’après Racine, au Palais Garnier, avec une distribution soignée comprenant Bo Skovhus, Barbara Hannigan Florian Boesch, Alastair Miles et Julien Behr le jeune ténor français sous la direction de Philippe Jordan, et dans une mise en scène de Claus Guth. Sur le papier, c’est remarquable, comme souvent les Premières mondiales…reste à savoir si des reprises sont programmées…8 repr. du 26 septembre au 17 octobre à Garnier.

La Traviata (Verdi)
Reprise pour la dernière fois de la production Benoît Jacquot (puisqu’est prévue dès sept.2019 une nouvelle production confiée à Simon Stone) sous la direction du jeune Giacomo Sagripanti, bien aimé à Paris (sept.oct) et de Karel Mark Chichon, qu’on voit beaucoup en Allemagne et peu en France (déc.) avec trois ténors qui rempliront sans problème la salle, Roberto Alagna, Jean-François Borras et Charles Castronovo, deux sopranos qui auront le même effet sur la fréquentation Alexandra Kurzak (sept.oct) et Ermonela Jaho (décembre), et trois barytons en grande carrière Georges Gagnidze, jusqu’au 17 octobre (moui pour ma part), Luca Salsi (4 représentations en octobre) et Ludovic Tézier qui remplira les salles en décembre. 17 représentations en sept., oct., et décembre à Bastille. C’est la série tiroir-caisse, – il faut sans doute compenser Bérénice pendant la même période – mais le spectateur n’est pas méprisé, les distributions prévues sont très attirantes.

L’Elisir d’amore (Donizetti)
Autre série de représentations qui devraient attirer le spectateur, l’œuvre de Donizetti reprise dans la mise en scène de Laurent Pelly (2006) pour la sixième saison, une opération économiquement rentable. Distribution dominée par Vittorio Grigolo (Paolo Fanale le 10 novembre ce qui est une très belle alternative) et Lisette Oropesa alternant fin novembre avec Valentina Naforniţă et complétée par Etienne Dupuis et Gabriele Viviani. Le tout dirigé par Giacomo Sagripanti cumulant ainsi Traviata et Elisir, soit une vingtaine de représentations. 10 repr. Du 25 oct. au 25 nov à Bastille.

Simon Boccanegra (Verdi) (NP)
Depuis les représentations de la production de Giorgio Strehler dans les saisons 1978 et 1979, c’est la quatrième production du chef d’œuvre de Verdi. Outre Strehler, au paradis des productions, Nicolas Brieger repris trois fois, et Johan Simons appelé par Mortier, avec des décors de Bert Neumann, qui n’a connu que la série de 10 représentations en 2006. Depuis, pas de nouvelle production.  Une reprise de la production assez radicale et ironique de Johan Simons n’aurait sans doute pas plu au public parisien et Lissner opte pour une nouvelle production confiée à Calixto Bieito. Certains diront « pas mieux »…mais Bieito s’est assagi notamment à Paris…
La distribution est évidemment dominée par Ludovic Tézier qui brillera dans un rôle fait pour lui, Amelia étant chanté par Maria Agresta dont les prestations n’ont pas toujours convaincu alternant pour deux représentations avec Anita Hartig (1 et 4 décembre). Mika Kares sera Fiesco, une des voix émergentes ces dernières années (les curieux pourront l’entendre dans Ferrando de Trovatore en début d’été 2018) et Francesco Demuro sera Gabriele, pendant que Paolo Albiani le traître sera Nicola Alaimo. Un cast qui à part Tézier n’est pas totalement convaincant. Mais au pupitre montera Fabio Luisi, qui est une garantie à la fois idiomatique et technique. A voir de toute manière. 10 repr. du 12 novembre au 13 décembre à Bastille .

La Cenerentola (Rossini)
Pour dix représentations entre le 23 novembre et le 26 décembre, à Garnier, l’Opéra trouve un de ses spectacles de fin d’année, dans la production de Guillaume Gallienne et les décors d’Eric Ruf, qui n’avait pas convaincu dans  sa première édition la saison dernière.
Depuis la création à l’Opéra de Paris en 1977 (mise en scène assez médiocre de Jacques Rosner), l’œuvre de Rossini a été servie par Jérôme Savary dans une production Gall toute fraîche venue de Genève (meilleure que la précédente), puis Nicolas Joel a proposé celle de Ponnelle (venue de Munich) pendant trois saisons qui n’est pas une de ses pires idées.

La production actuelle est le typique spectacle pour grand public, qui convient bien aux fêtes, avec un metteur en scène (?) connu et aimé pour ses qualités de comédien. Elle est confiée à la baguette consommée d’Evelino Pidò, avec une distribution dominée par Lawrence Brownlee et Marianne Crebassa (un vrai bonheur) un Alessandro Corbelli rossinien consommé en Don Magnifico, et deux solides promesses, Adam Plachetka en Alidoro et Florian Sempey en Dandini. Voilà qui est fait pour garantir la réussite d’une soirée de décembre. Il faudra attendre cependant pour une grande production.

Il primo omicidio (Cain) (Scarlatti) (NP)
Nouvelle production d’un répertoire baroque réservé à Garnier (pour 13 représentations entre le 22 janvier et le 23 février) et premier opéra de Scarlatti représenté à l’Opéra de Paris, qui fera courir non par passion trop longtemps réprimée pour le compositeur napolitain, mais pour la mise en scène de Roméo Castellucci toujours passionné par les mythes bibliques et la direction ô combien experte de René Jacobs. Avec une distribution spécialiste de ce répertoire, Kristina Hammarström (Caino) , Olivia Vermeulen (Abel) et Birgitte Christensen Thomas Walker Benno Schachtner Robert Gleadow. À noter dans ses tablettes.

Les Troyens (Berlioz) (NP)
Opéra symbole de l’Opéra-Bastille puisque le titre a inauguré la nouvelle salle en 1990 dans une mise en scène de Pier Luigi Pizzi et les inoubliables Grace Bumbry et Shirley Verrett. Il faudra attendre 2006 pour que Mortier importe de Salzbourg la belle production de Herbert Wernicke. Et c’est tout…
Alors on ne va pas bouder son plaisir : ces Troyens sont bienvenus, dans une production qui va sans doute provoquer des commentaires (amers ?) à cause de la production confiée à Dmitri Tcherniakov. C’est Philippe Jordan qui s’est réservé la direction musicale, qu’on espère plus colorée que le Benvenuto Cellini musicalement pâle de cette saison.
Distribution dominée par l’Énée de Brian Hymel, désormais titulaire référent du rôle depuis plusieurs années et par la Cassandre de Stéphanie d’Oustrac, à qui fera écho la Didon de Elīna Garanča. À leurs côtés une distribution de toute première importance, Stéphane Degout, Michèle Losier, Cyrille Dubois, quelques noms moins connus comme l’excellent baryton-basse américain Christian van Horn et le jeune ténor prometteur Bror Magnus Tødenes. Notons enfin un vétéran, Paata Burchuladze en Priam, basse vedette des années 80 et 90. 8 représentations du 22 janvier au 12 février (Bastille).

Rusalka (Dvořák)
Reprise de la production de Robert Carsen, qui remonte à l’ère Gall (2002), pour la quatrième fois et elle a toujours bénéficié de distributions notables. C’est le cas ici puisqu’on y entendra pour 5 représentations en février et mars à Bastille (tout plaisir doit être mesuré…) autour de la Rusalka de Camilla Nylund, son rôle fétiche, Klaus Florian Vogt, Karita Mattila, Thomas Johannes Meyer, Ekaterina Semenchuk, c’est à dire ce qui peut se trouver de mieux aujourd’hui. Et l’orchestre sera dirigé par Susanna Mälkki, qui confirme à chacune de ses apparitions qu’elle une des cheffes (?) les plus passionnantes du paysage musical. Il y aura peu de représentations, mais retenez cette reprise, elle vaut au moins musicalement le détour.

Otello (Verdi)
Reprise de la production de Andrei Șerban qui remonte à la dernière saison de Hugues Gall pour la quatrième fois. Finalement Otello n’est pas servi si souvent à l’Opéra de Paris, c’est depuis 1976 (Sir Georg Solti, Terry Hands, Placido Domingo et Margaret Price), la troisième production qui vient après celle de Petrika Ionesco qui aura duré deux saisons au tout début de l’ère Bastille (1990-91 et 1991-92).
Ce n’est pas une des meilleurs de Andrei Șerban mais ce n’est pas l’intérêt de cette reprise construite autour de l’Otello de Roberto Alagna qui chantera huit représentations en mars 2019 et qui naturellement (et justement) attirera les foules. Sa Desdemona sera Alexandra Kurzak (on n’est jamais mieux servi que par son épouse) et Iago Georges Gagnidze, un baryton qui ne m’a jamais convaincu. Plus intéressant le Cassio de Frédéric Antoun. L’orchestre sera confié à Bertrand de Billy.
Une reprise motivée par Roberto Alagna, seul véritable intérêt de la distribution pour 11 représentations en mars et avril dont les trois dernières (en avril) seront chantées par Aleksandr Antonenko, le professionnel du rôle, qui ne m’a jamais convaincu.

Die Fledermaus (J.Strauss) (NP)
Pour six représentations en mars 2019, l’Opéra coproduit avec la MC93 de Bobigny une version de chambre pour sept instruments (de Didier Puntos) de l’opérette de Johann Strauss confiée à Célie Pauthe qui dirige le Centre dramatique national de Besançon-Franche Comté, et aux chanteurs de l’Académie en résidence à l’Opéra de Paris, avec les musiciens de l’orchestre-Atelier Ostinato et le chœur Unikanti. L’intérêt serait que cette production tourne en France aussi.

Don Pasquale (Donizetti)
Deuxième opéra bouffe de Donizetti de la saison et reprise de la mise en scène de Damiano Michieletto qui va être créée à Garnier en juin-juillet 2018 pour marquer l’entrée au répertoire de l’Opéra de Paris de cette œuvre. Nouveauté : à Evelino Pidò succèdera Michele Mariotti et la distribution sera sensiblement changée : à Nadine Sierra succédera Pretty Yende, à Lawrence Browlee Javier Camarena, à Florian Sempey Mariusz Kwiecień mais Michele Pertusi restera Don Pasquale. (Garnier, 9 représentations en mars-avril 2019)
À noter qu’on aimerait quand même voir à l’Opéra de Paris d’autres Donizetti, et notamment les « opéras des reines », et les œuvres créées à Paris en français ou non qui aillent au-delà de Lucia di Lammermoor. L’Opéra de Paris s’est timidement aventuré dans le vérisme, qui était un trou dans son répertoire mais bien peu dans le bel canto.

Lady Macbeth de Mzensk (Chostakovitch) (NP)
Pour 7 représentations du 2 au 25 avril 2019, cette nouvelle production du chef d’œuvre de Chostakovitch est la troisième après celle d’André Engel présentée au début de l’Opéra-Bastille (1991-92 et 1993-94) et celle de Martin Kušej, venue d’Amsterdam en 2008-2009 pour la dernière saison de Gérard Mortier.
Après Munich (Kupfer), après Salzbourg (Kriegenburg), l’œuvre de Chostakovitch a l’honneur d’un metteur en scène à la fois à la mode et qui est en train de devenir mythe, Krzysztof Warlikowski, et d’un des très bons chefs familiers de répertoire, Ingo Metzmacher. C’est Aušrinė Stundytė qui sera Katerina Ismailova et l’entoureront l’excellent Dmitry Ulianov (Boris), John Daszak sera Zinovy, choix surprenant pour un spécialiste du rôle de Serguei, qui sera quant à lui chanté par Pavel Černoch, très bon ténor qui est lui aussi une surprise dans ce rôle. C’est d’autant plus stimulant, ils seront très bien entourés. À voir, évidemment.

Carmen (Bizet)
Reprise de la production Bieito, créée pour Paris en 2016-2017 après avoir fait le tour d’Europe (la production a une vingtaine d’années). Une production de bonne facture, qui change de la précédente, d’une rare faiblesse (Yves Beaunesne). Le regard sur le destin de Carmen à l’Opéra de Paris montre qu’on a eu des difficultés à trouver une production solide pour ce pilier du répertoire qui draine toujours un nombreux public,  comme le montrent les 14 représentations prévues entre avril et mai 2019. Le chef appelé est le très talentueux Lorenzo Viotti, un des phares des jeunes générations de chefs. La distribution est très attirante dominée par Anita Rashvelishvili, qui avec Elīna Garanča se partage la vedette dans le rôle dans les grandes scènes du monde, les dernières représentations à partir du 8 mai étant confiées à Ksenia Dudnikova. Deux Don José, Roberto Alagna assurera les quatre premières représentations, le reste étant confié à Jean-François Borras, ce qui n’est pas mal non plus. Escamillo sera comme la saison dernière Roberto Tagliavini et dans Micaela seront affichées Nicole Car et Anett Fritsch. Sans mettre en cause le talent de ces chanteuses, bien connues, on aurait peut-être pu trouver quelques Micaela françaises…
A priori une reprise évidemment alimentaire (comme toujours Carmen) mais qui propose un cast et un chef intéressants ).

 

Die Zauberflöte (Mozart)
Autre reprise alimentaire courant d’avril à juin à Bastille pour 12 représentations, cette reprise de la (bonne) production de Robert Carsen est intéressante dans la mesure où elle est confiée presque exclusivement à des voix francophones, preuve de la vitalité du chant en français : Tamino est Julien Behr, Pamina la jeune Vannina Santoni, Papageno Florian Sempey, Papagena Chloé Briot et Sarastro Nicolas Testé, et la reine de la nuit sera Jodie Devos. Les enfants en revanche seront des solistes des Aurelius Sängerknaben Calw, l’un des chœurs d’enfants les plus remarquables en Allemagne. Henrik Nánási dirigera les forces de l’Opéra, un très bon chef qui a montré naguère à la Komische Oper de Berlin qu’il avait bien en main la partition de Mozart.

Iolanta/Casse-Noisette (Tchaïkovski)
Première reprise du spectacle original mis en scène par Dmitri Tcherniakov accouplant comme à la création en 1892, Iolanta et le ballet Casse-Noisette reviennent dans une direction musicale du très bon Tomáš Hanus. Casse-Noisette est confié au chorégraphe Sidi-Larbi Cherkaoui qu’on ne présente plus, et la distribution de Iolanta est sensiblement différente de celle affichée en 2015-16, dominée par la Iolanta de Valentina Naforniţă entourée notamment de Dmytro Popov, Artur Ruciński, Ain Anger, Johannes Martin Kränzle, Vasily Efimov, autant dire un groupe d’excellents chanteurs.

Vaudra de nouveau le détour, pour 9 représentations en mai 2019 au Palais Garnier.

Tosca (Puccini)
Tosca a connu à Paris une production qui a duré de 1994 à 2012, soit 18 ans ce qui est exceptionnel dans cette maison, celle de Werner Schroeter créée sous l’ère (brève mais intéressante) Blanchard et qui été reprise aussi bien par Hugues Gall, Gérard Mortier que Nicolas Joel. Un exploit à saluer.
Cette production n’était pas très dérangeante, mais très correcte. La production de Pierre Audi qui lui a succédé en 2014 est moins intéressante et d’une rare platitude.
C’est cette production qui est reprise, pour 12 représentations à Bastille en mai et juin 2019, avec une distribution faite pour attirer les foules : Jonas Kaufmann en Mario pour 7 représentations le reste étant assuré par le ténor montant qu’on voit désormais un peu partout, l’argentin Marcelo Puente. Du côté des Tosca on note Anja Harteros pour 4 représentations en mai, puis Martina Serafin pour 6 représentations et Sonia Yoncheva pour deux malheureuses représentations les 1er et 5 juin (aux côtés de Kaufmann), deux Scarpia se succèderont, Željko Lučić d’abord aux côtés d’Harteros et Luca Salsi ensuite à partir du 29 mai. C’est Dan Ettinger qui dirigera l’ensemble de ces représentations purement alimentaires où l’on guettera les éventuelles annulations…

La Forza del destino (Verdi)
Reprise de la très médiocre production de Jean-Claude Auvray, créée sous l’ère Nicolas Joel qui fait suite à la production de John Dexter, pas très excitante non plus, qui était celle de l’entrée au répertoire de l’Opéra de Paris sous l’ère Liebermann puis Lefort,  car ce must de l’opéra verdien n’a pas été affiché entre 1981 et 2011…
Proposer la Forza del destino se justifie donc d’autant que la distribution évidemment intéresse avec Anja Harteros pour 4 représentations du 6 au 18 juin, à qui succèdera l’émergente Elena Stikhina. Željko Lučić sera Don Carlos di Vargas, tandis qu’Alvaro est confié au jeune américain Brian Jagde qu’on lance sur le marché (il faudra donc aller l’écouter), et tous deux pour l’ensemble des représentations. Ils sont entourés de Rafal Siwek (Padre Guardiano) Gabriele Viviani (Melitone) et Varduhi Abrahamyan (Preziosilla).

Bien sûr, c’est une reprise alimentaire, mais quelquefois le repas est bon, d’autant que l’orchestre est confié à Nicola Luisotti.

 Don Giovanni (Mozart) (NP)

Signe de la difficulté de trouver une production idéale du chef d’œuvre de Mozart où tant de metteurs en scène se sont frottés et ont échoué (un seul exemple, Chéreau à Salzbourg), on en est à Paris depuis 1975 à la septième production (dont une en version concertante). Même si la production d’Everding était médiocre en 1975, on évoquera en ancien combattant Margaret Price (Anna), Kiri te Kanawa (Elvira) Roger Soyer (Don Giovanni) José Van Dam (Leporello) Jane Berbié (Zerlina)…et l’orchestre de Sir Georg Solti…

Depuis, aucun souvenir marquant jusqu’à la production de Michael Haneke, qui est pour moi ce qui s’est fait de plus intéressant sur une scène d’opéra dans cette œuvre depuis longtemps.
C’est donc pour moi une erreur de Lissner de vouloir en changer. La production de Haneke gardait sa force et pouvait encore durer.
Si encore il était demandé à Ivo van Hove qui va assurer cette nouvelle production, l’ensemble de la trilogie Da Ponte, cela pourrait avoir un sens, mais puisque Cosi fan tutte a fait l’objet d’une nouvelle production d’Anna Teresa de Keersmaker la saison dernière, cela ne semble pas d’actualité.
Plus généralement, à part les fameuses Nozze de Strehler (et pour ma part – certains lecteurs vont hurler- la production de Marthaler à Garnier qui a duré le temps d’une rose) rien d’intéressant n’est sorti de l’Opéra de Paris en matière de production des opéras de Da Ponte/Mozart.

J’ai donc des doutes sur l’opération Don Giovanni, pour moi inutile, malgré Ivo van Hove, et sans lien avec une ligne de programmation réelle, même si on y ose une distribution jeune et stimulante, élément vraiment digne d’intérêt : Etienne Dupuis (Don Giovanni) Ain Anger (Commendatore) Philippe Sly (Leporello), Jacquelyn Wagner (Anna), Stanislas de Barbeyrac (Ottavio), Nicole Car (Elvira), Elsa Dreisig (Zerlina) et Mikhail Timoschenko  (Masetto).
L’orchestre est dirigé par Philippe Jordan, sauf le 13 juillet (Guillermo García Calvo). Pour 13 représentations à Garnier entre le 8 juin et le 13 juillet.

D’autres productions pour l’automne 2019 sont annoncées, mais considérons qu’elles appartiennent à 2019-2020 (Traviata, Les Indes Galantes, Madrigaux de Monteverdi, Prince Igor).
Au bilan, la saison 2018-2019 affiche : Wagner(1), Meyerbeer(1), Berlioz (1), Jarrell(1), Tchaikovski(1), Dvořák(1), J.Strauss(1), Puccini(1), Rossini(1) Chostakovitch(1), Bizet(1), Scarlatti(1) Donizetti(2), Mozart(2), Verdi (4).

C’est une saison qui présente  toujours un certain intérêt au niveau des distributions; au niveau des chefs cela reste contrasté, et au niveau des mises en scènes, les nouvelles productions affichent les metteurs en scène en vogue (Warlikowski, Tcherniakov, Van Hove, Kriegenburg, Castellucci, Guth, Bieito) sans chercher de nouvelles têtes ou des metteurs en scène remarqués ailleurs qu’on n’a pas vu à Paris (David Bösch, Tobias Kratzer, David Herrmann – Simon Stone débutera à l’Opéra de Paris la saison suivante dans Traviata- ).

Disons que dans l’ensemble, sans être un feu d’artifice, tout cela est très respectable, sans afficher de ligne claire cependant, notamment et malgré Huguenots, Troyens et Carmen, sur le répertoire historique de la maison (encore que Carmen ait été plutôt du répertoire de l’Opéra-Comique…), La Juive (Halévy, mise en scène Pierre Audi) et Louise (Charpentier , mise en scène André Engel) sont au répertoire, et pourraient mériter des reprises avec de nouvelles distributions car ce ne sont pas des spectacles détestables.

2 galas en outre célèbrent banalement les 350 ans de l’Opéra, l’un composé d’extraits de ballets et d’opéras, et l’autre affiche Anna Netrebko et Monsieur, c’est une originalité folle, merci d’avance pour ce moment.
Sans vouloir suggérer des choix aux professionnels de la programmation, une grande production d’un Lully eût pu être une manière de célébrer le lointain prédécesseur de Stéphane Lissner, il y a quelques 350 ans.

Des concerts complètent la programmation musicale, de nombreux concerts de chambre et récitals à l’amphithéâtre et au studio et deux concerts symphoniques dirigés par Philippe Jordan, un concert Bruckner (Symphonie n°8) le 19 octobre et Mahler (Symphonie n°3) le 30 janvier complètent cette programmation.

SAISONS LYRIQUES 2017-2018: OPÉRA NATIONAL DE LYON

Macbeth, par Ivo van Hove ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

DEUX FOIS PLUS DE PIMENT

La prochaine saison de l’Opéra National de Lyon est importante, puisqu’elle inaugure le mandat de Daniele Rustioni comme directeur musical. La présence de Kazushi Ono a largement contribué à ouvrir le répertoire vers le XXème siècle, notamment russe, pour lequel il est une référence : on se souviendra vivement de ses Prokofiev (Le Joueur, L’Ange de Feu), de ses Chostakovitch (Le Nez ou Lady Macbeth de Mzensk), de ses Wagner aussi (Der Fliegende Holländer, Parsifal) mais il aussi dirigé Stravinski, Schönberg, Dallapicola, Poulenc, Britten ou Debussy. De manière plus inattendue il a aussi dirigé Verdi (Luisa Miller, Macbeth) : depuis 2008, il a incontestablement donné une couleur musicale à ce théâtre et travaillé avec l’orchestre avec une rigueur telle qu’on peut aujourd’hui constater qu’il en a fait une phalange de toute première importance. Chef discret, très régulier, précis, il sait rendre une partition lisible, tout en faisant sonner l’orchestre pour en exalter les qualités. Après 9 ans, il remet au jeune Daniele Rustioni un orchestre parfaitement huilé, capable d’aborder tous les répertoires.
Daniele Rustioni justement est un chef de 34 ans, milanais, qui a travaillé auprès de Gianandrea Noseda et puis est devenu l’assistant d’Antonio Pappano à Londres. On connaît l’étendue du répertoire de Pappano, et si l’arrivée de Rustioni à Lyon est marquée par le Festival Verdi qui va signer la saison et donner une couleur italienne au théâtre, il ouvre sa première saison par une version scénique du War Requiem de Britten, et on l’a entendu cette saison diriger aussi Johann Strauss , c’est dire que son répertoire va bien au-delà de ce qui fait généralement la gloire des jeunes chefs italiens souvent appelés pour diriger Verdi, Rossini ou Puccini. Ce qui le caractérise, c’est sa précision, son énergie, et son opiniâtreté, le public de Lyon, dans Simon Boccanegra, La Juive, Eine Nacht in Venedig, ne lui a déjà pas ménagé les triomphes.
Comme souvent, et peut-être encore plus cette année, la saison de Lyon ne ressemble à aucune autre, parce que si elle offre au public 12 titres, il y a parmi eux un Verdi peu connu en France (Attila en version de concert), quatre petits formats (Mozart et Salieri de Rimski-Korsakov, L’histoire du Soldat de Stravnski, Journal d’un disparu de Janáček , La bella addormentata nel bosco de Respighi) dont certains bien adaptés à un public plus jeune, en collaboration avec des scènes extérieures, Théâtre de la Croix Rousse, TNP, Le Radiant, ce qui est une manière d’ouvrir l’offre tout en partageant les coûts, une création mondiale (Germania, d’Alexander Raskatov dont on avait vu le remarquable Cœur de chien en 2014), une très grande rareté d’Alexander von Zemlinski (Le cercle de craie) et quatre titres plus « grand public », Cenerentola, Don Carlos, Macbeth et Don Giovanni.
Une saison pour tous les goûts mais avec une ligne ferme, de recherche, d’innovation, de recours à des metteurs en scène à la fois renommés et exigeants, et une série de découvertes musicales pour un public curieux. C’est bien cette ligne qui a été récompensée par l’Opera Award 2017, Lyon, meilleur opéra au monde en 2017. CQFD.
Alors nous allons explorer cette offre unique, qui commence donc en octobre (du 9 au 21 octobre) pour 7 représentations avec :

  • War requiem de Benjamin Britten, mis en scène de Yoshi Oida. L’œuvre de Britten, écrite pour commémorer le bombardement de Coventry, et la reconstruction de sa cathédrale est créée en 1962. Œuvre imposante tant pour les chœurs sollicités que pour l’orchestre, elle réclame trois solistes qui seront Paul Groves, le ténor bien connu, Ekaterina Sherbatchenko, qu’on a vu à Lyon dans Iolanta (Prod. Sellars) et le baryton Jochen Schmeckenbecher encore peu connu en France, mais qui devient un des chanteurs les plus réclamés des scènes allemandes. Une ouverture de saison surprenante et spectaculaire, emmenée par Daniele Rustioni, comme un sympathique pied de nez à ceux qui s’attendaient à une ouverture toute italienne.
  • Mozart et Salieri, de Rimski-Korsakov, qui alimente la légende de la rivalité des deux compositeurs si brillamment traitée plus tard par Milos Forman dans Amadeus. Une brève tragédie confiée au studio de l’Opéra de Lyon, dirigée par Pierre Bleuse et mise en scène par Jean Lacornerie qui reprend sa production de 2010 ( 6 représentations du 31 octobre au 7 novembre)

Mi-novembre, c’est une tradition désormais, l’Opéra se met au concert pour un opéra italien, tour à tour Rossini ou Bellini, c’est au tour de Verdi, à l’honneur cette saison.

  • Attila, de Giuseppe Verdi, en version de concert, à l’Opéra de Lyon le 12 novembre 2017 et à l’auditorium de Lyon pendant le Festival le 18 mars 2018, mais aussi au Théâtre des Champs Elysées à Paris le 15 novembre 2017.
    L’opéra de Verdi, pas si jeune d’ailleurs (c’est son neuvième titre) tout feu et flammes, vibrant et acrobatique sera dirigé par Daniele Rustioni, qui offrira son deuxième Verdi à l’opéra de Lyon (après Boccanegra en 2014) dans une distribution moins italienne que slave, mais avec des chanteurs particulièrement solides (Tatiana Serjan l’une des grandes références parmi les colorature dramatiques, en Odabella) Ezio sera l’excellent Alexey Markov, Attila Dmitry Ulyanov qu’on a vu dans Iolanta, et le ténor est italien, comme il se doit, car Foresto est confié à Riccardo Massi, une valeur qui monte dans la péninsule. Attila est l’un des grands opéras de Verdi, de sa première période, mais presque contemporain de Macbeth : une œuvre à connaître, car elle est très rare en France.

L’œuvre des fêtes, c’est cette année du 15 décembre au 1er janvier pour 9 représentations un grand Rossini.

  • La Cenerentola de Gioachino Rossini, la production coproduite avec l’Opéra d’Oslo est signée d’un des maîtres de la folie scénique, le norvégien Stefan Herheim (dont les Lyonnais ont déjà vu Rusalka en décembre 2014) et dirigé par le virevoltant et énergique Stefano Montanari, désormais attaché à Lyon pour la plupart des opéras baroques et chef du dernier né, l’orchestre I Bollenti Spiriti, la formation baroque de l’orchestre de l’Opéra de Lyon. La solide distribution réunit notamment la canadienne Michèle Losier en Angelina qu’on voit un peu partout en Europe, Cyrille Dubois le ténor montant de la scène française en Ramiro, l’excellente basse rossinienne Simone Alberghini en Alidoro, Nicolai Borchev en Dandidni et Renato Girolami, grand spécialiste des barytons-basse bouffes, en Magnifico.
    Pour Herheim notamment, un spectacle immanquable.

Du 20 janvier au 1er février, pour 7 représentations, une très grande rareté d’Alexander von Zemlinski dont on connaît mieux Eine florentinische Tragödie (Une tragédie florentine) ou Der Zwerg (le nain), et dont on a vu récemment en Flandres Der König Kandaules.

–    Der Kreidekreis (le cercle de craie) op.21, livret du compositeur d’après Klabund (qui s’est lui-même inspiré d’un drame chinois du XIIIème siècle) créé à Zurich en 1933. L’année de la création, pendant que l’odeur du nazisme rôde, la thématique, très politique, pour la justice et contre la corruption et le fait-même que Brecht utilisera les mêmes sources pour son Cercle de craie caucasien écrit en 1945 et publié en 1949 montrent la singularité de cette histoire qui sera à Lyon mise en scène par Richard Brunel, directeur de la Comédie de Valence à qui l’on doit par exemple les Nozze di Figaro d’Aix en Provence en 2012 et dirigée par l’excellent chef allemand Lothar Koenigs. La très solide distribution comprend le baryton Lauri Vasar qu’on commence à voir dans de grands théâtres en Europe, Martin Winkler, Nicola Beller Carbone , qui avait impressionné dans Die Gräfin von La Roche dans Die Soldaten de Zimmermann (Production Kriegenburg/Petrenko) à Munich et Stefan Rügamer, ténor de caractère en troupe à Berlin. Est-il utile de préciser qu’une telle occasion d’entendre cette œuvre ne se reproduira sans doute pas de sitôt, et que c’est immanquable : tous à Lyon en janvier.
Début février, sans doute parce que le Festival se prépare activement à L’Opéra de Lyon, deux spectacles déconcentrés pratiquement en parallèle dans deux salles différentes, l’un au théâtre de la Croix Rousse, et on peut supposer qu’il s’adresse à des enfants, et l’autre au TNP, plus dirigé vers un public adulte, et plus connu aussi.

  • La Bella addormentata nel bosco (La Belle au bois dormant), d’Ottorino Respighi, Théâtre de la Croix Rousse, du 6 au 14 février, pour 7 représentations, dirigé par Philippe Forget dans une mise en scène de Barbora Horakova, qui a étudié et travaillé en Suisse et qui a été notamment à très bonne école à Bâle où elle a été assistante ; à Lyon elle assista David Bösch pour Simon Boccanegra. Plus connu pour ses Fontaines et ses Pins de Rome, Respighi, un peu ignoré en France, a écrit aussi un certain nombre d’opéras dont cette fable créée pour marionnettes en 1922. Studio et Maîtrise de l’Opéra de Lyon en seront les protagonistes.
  • Le Journal d’un disparu, de Leoš Janáček du 8 au 11 février pour 4 représentations au TNP. C’est Ivo van Hove, présent pour préparer Macbeth, qui met en scène cet opéra miniature dans un décor de son compère Jan Versweyveld et c’est une garantie, puisqu’il est l’un des hommes de théâtre de référence du moment dans toute l’Europe qui s’intéresse au théâtre.
    Distribution minimale avec au piano Lada Valesova, le ténor Ed Lyon, le mezzo Marie Hamard et l’acteur Bruno Koolschijn.

Et vient mars, et avec mars le temps du Festival qui cette saison est dédié à Verdi, évidemment pour marquer le début de Daniele Rustioni comme directeur musical, qui va diriger les trois titres, et ouvrir ainsi une orientation nouvelle de l’Opéra de Lyon.

Trois titres,

  • Attila (voir plus haut) le 18 mars, à l’auditorium de Lyon dans la même distribution qu’en novembre, en version de concert.
  • Macbeth, reprise de la production d’Ivo van Hove de 2012 qui plaçait l’intrigue dans le monde newyorkais de la finance, avec ses trahisons et ses ambitions. À l’époque, le mouvement des indignados était très frais : six ans après qu’en sera-t-il et ce travail très lié à l’actualité la plus récente sera-t-il modifié ? Redonné tel quel ? Les indignados ne sont plus qu’un souvenir ravivé par une France insoumise qui n’en a pas tout à fait les contours : on sera intéressé par la portée de ce travail aujourd’hui. Outre Daniele Rustioni qui succède à Kazushi Ono, c’est une distribution complètement renouvelée qui est proposée avec la Lady Macbeth de Susanna Branchini, vue aussi dans ce rôle au TCE à Paris avec Daniele Gatti en 2015, le Macbeth du baryton Elchin Azyzov, en troupe au Bolchoï où il chante notamment les grands barytons du répertoire italien, tandis que Banco sera un habitué de Lyon, Roberto Scandiuzzi, l’une des grandes basses italiennes des dernières décennies, qui avait beaucoup impressionné dans La Juive en 2016.

Certes, un Macbeth ne se rate pas, et le souvenir du travail de Van Hove en 2012, ainsi qu’une distribution renouvelée et un chef particulièrement concerné par ce répertoire sont des arguments supplémentaires pour accourir à Lyon (7 représentations du 16 mars au 5 avril).

  • Don Carlos, mise en scène Christophe Honoré. Après Dialogues des Carmélites et Pelléas et Mélisande, Christophe Honoré met en scène Don Carlos, dans la version française en cinq actes de 1867, avec des extraits du ballet « La Peregrina » (Chorégraphie Ashley White).
    150 ans (151 pour le cas de Lyon) après la création, c’est au tour de Don Carlos dans sa version originale de revenir sur les scènes, puisque Paris et Lyon affichent pendant la même saison le chef d’œuvre de Verdi. C’est le texte français qui est la référence de l’œuvre, puisqu’il n’existe pas de version italienne, mais une simple traduction italienne du livret, y compris pour la version en quatre actes de 1884. On a traité assez récemment des diverses moutures de Don Carlos, un écheveau d’autant plus difficile à démêler qu’elles sont toutes approuvées par Verdi.
    L’Opéra de Lyon propose donc la version la plus complète possible aujourd’hui, dans une réalisation scénique qui va sans doute insister sur les aspects plus réprimés de l’œuvre, l’amour, les corps. La distribution est solide, dominée par le Philippe II de Michele Pertusi, une référence dans le chant du XIXème, mieux connu peut-être pour ses Rossini, mais particulièrement adapté à un travail sur le phrasé et le style, exigé par l’original français. Don Carlos est Sergueï Romanovsky, qui avait été très remarqué dans le rôle d’Antenore lors de la Zelmira concertante en 2015. Don Carlos est un rôle tendu (comme le personnage), et rares sont les ténors qui s’y confrontent sans dégâts ; Romanovsky, beau phrasé, voix et timbre clairs, aigus faciles, pourrait-être l’un de ceux-là.

Face à lui, l’Inquisiteur de Roberto Scandiuzzi, ce qui nous promet un grand duo de basses italiennes, et un grand duo de stylistes.
Rodrigue, c’est une prise de rôle de Stéphane Degout ; on attend avec impatience sa prestation : ses qualités de mélodiste, sa technique, son timbre suave devraient idéalement convenir à ce que je considère comme l’un des plus beaux personnages de Verdi. Il sera intéressant de comparer la prestation avec l’autre baryton français de référence, Ludovic Tézier qui le chantera à Paris. Mais Stéphane Degout a vraiment la couleur du rôle pour lequel il faut surtout montrer de l’intériorité et de la sensibilité.
Inattendue l’Elisabeth de Sally Matthews, plus familière de rôles mozartiens (Konstanze, Anna, Contessa) ou straussiens (Capriccio, Daphné) que verdiens. Elisabeth est l’un des rôles les plus difficiles de Verdi, qui exige une voix très assise, mais en même temps beaucoup de lyrisme, de retenue, de contrôle. Cette mozartienne devrait en avoir les qualités.
Enfin Eboli sera la jeune Eve-Maud Hubeaux, qui est un choix audacieux, parce qu’Eboli est un rôle de maturité. Mais sa Brangäne dans le Tristan de Heiner Müller cette saison en a étonné plus d’un. Gageons qu’une Eboli jeune va justifier encore plus la rivalité avec Elisabeth, et Eve-Maud Hubeaux a une fraîcheur qui sans doute va donner une couleur différente au personnage.
Daniele Rustioni qui n’a jamais dirigé l’œuvre dans sa version originale est lui-aussi particulièrement attendu, quant à Christophe Honoré, à qui l’on doit deux des plus forts spectacles des dernières années à Lyon, Dialogues des Carmélites et Pélleas et Mélisande, il va affronter une des œuvres de Verdi les plus difficiles à traduire scéniquement, un Grand Opéra de l’intime réprimé et de la solitude.
Comme de juste, cette production est inévitable pour le mélomane. Don Carlos dans sa version originale mérite d’être représenté et deux grandes productions dans l’année est un cadeau qu’on ne peut refuser. (8 représentations du 17 mars au 6 avril)

 

Le Festival passé, l’ordinaire va reprendre son œuvre, un ordinaire tout de même assez original pour retenir le mélomane à Lyon.
Dernière « petite forme » de la saison, externalisée au Radiant-Caluire,

  • L’histoire du soldat de Stravinsky pour cinq représentations du 25 au 29 avril, dans une mise en scène d’Alex Ollé (La Fura dels Baus) qui passe ainsi des hauteurs d’Alceste cette saison à une forme plus réduite, mais l’œuvre est si forte qu’elle va attirer dans ce lieu un public peut-être différent, avec la participation de l’orchestre de l’Opéra de Lyon.

 

Une création, commandée par l’Opéra de Lyon, va succéder aux fastes du festival, de 19 mai au 4 juin pour 7 représentations. C’est à Alexander Raskatov, qui a triomphé dans les murs de Lyon et ailleurs avec Cœur de Chien en 2014 dans la mise en scène fascinante de Simon McBurney :

  • Germania, sur un livet du compositeur d’après Heiner Müller, composition autour des enjeux de pouvoirs qui ont déchiré l’Allemagne, entre Hitler et Staline, un opéra hautement politique sur un XXème siècle dont nous payons encore les pots cassés. La mise en scène en est assurée par John Fulljames (décors de Magda Willi), à qui l’on doit le dyptique Sancta Susanna/Von heute auf morgen à l’Opéra de Lyon en 2012. Dirigé par l’excellent chef argentin Alejo Pérez, l’opéra chanté en allemand et en russe sera créé entre autres par Michael Gniffke, Ville Rusanen le baryton basse Piotr Micinski et le contreténor Andrew Watts.

Enfin, dernière production de la saison, qui se ferme sur un des grands standards de l’opéra, l’opéra des opéras :

  • Don Giovanni, dont la mise en scène est confiée au hongrois (installé en Allemagne) David Marton, connu à Lyon pour Capriccio , Orphée et Eurydice, La damnation de Faust trois productions discutées mais qui ont laissé de durables traces chez le spectateur. David Marton va affronter l’opéra alors qu’il a déjà travaillé auparavant sur le mythe de Don Juan. Nul doute que ce sera âprement discuté, mais je tiens personnellement Marton pour l’une des figures les plus sensibles et les plus originales de la mise en scène aujourd’hui.
    Confié à la baguette énergique de Stefano Montanari, désormais essentiellement attaché au répertoire XVIIIème à Lyon ses qualités de précision, de vivacité, de netteté devraient convenir à un Don Giovanni chanté par une compagnie très solide dominée par Philippe Sly, qu’on voit désormais un peu partout, en Don Giovanni, accompagné du Leporello du remarquable Kyle Ketelsen (qui le chantait à Aix dans la production de Tcherniakov), et de l’Ottavio de Julien Behr (Admète dans l’Alceste de Gluck cette saison. Eleonora Buratto sera Donna Anna, une garantie et Elivra sera confiée à Antoinette Dennefeld, tandis que Zerlina sera Yuka Kanagihara. Cette production sera sûrement un des points d’orgue d’une saison qui par ailleurs n’en manque pas.


Au total, une saison passionnante, inhabituelle, sans concessions, faite pour des spectateurs curieux, qui de nouveau place Lyon parmi les théâtres les plus acérés du paysage lyrique européen. Les récompenses, la qualité des spectacles qui ne se dément pas, la très bonne fréquentation du public, et une politique résolue envers les jeunes en sont les caractères, mais ne fait évidemment pas oublier les quelques nuages qui se sont accumulés ces derniers temps auxquels sans doute des arrières pensées politiques ne sont pas étrangères, mais c’est le destin des grands directeurs d’opéra en France (Liebermann, Bogianckino, Mortier) que d’affronter ce genre de polémique dans les arcanes desquelles nous n’entrerons pas..
On continuera donc d’aller à Lyon, car c’est quand même là la programmation la plus originale de l’hexagone, à tous points de vue.

LES SAISONS 2016-2017 (4): DE NATIONALE OPERA, AMSTERDAM

Parsifal (Prod.Audi, Kapoor) ©DNO
Parsifal (Prod.Audi, Kapoor) ©DNO

L’Opéra d’Amsterdam (De Nationale Opera) est le modèle parfait du théâtre de stagione, c’est à dire un théâtre structuré autour de productions, en nombre relativement limité, avec une tradition récente, et une politique artistique exigeante. Il n’y a pas de grande tradition d’opéra à Amsterdam. En effet, le bâtiment lui-même a une trentaine d’années; même si le projet d’un opéra est plus ancien, il n’y a rien de comparable  avec la tradition symphonique marquée à Amsterdam par le Royal Concertgebouw Orchestra. C’est un théâtre avec un corps de ballet et un chœur (excellent, dirigé par Ching-Lien Wu) mais sans orchestre, choix initial qui répond à des considérations économiques dues au nombre de productions limité, malgré la présence d’un directeur musical, Marc Albrecht, qui peut diriger  l’un des orchestres symphoniques nationaux hollandais qui tour à tour accompagnent dans la fosse : le Netherlands Chamber Orchestra, le Netherlands Philharmonic Orchestra (qui assure bonne part de la production) le Concerto Köln, le Rotterdam Philharmonic Orchestra, The Hague Philharmonic Orchestra, Les Talens Lyriques, le Royal Concertgebouw Orchestra (qui assure au moins une production annuelle) seront les orchestres présents la saison prochaine en fosse. Le rythme des productions est à peu près de une par mois, sachant que la période allant de fin mai à début juillet est celle du Holland Festival, et donc que le rythme s’accélère (créations, performances).
Bien sûr il y a dans la grosse dizaine d’œuvres (13 cette année) présentées quelques reprises, mais souvent des reprises de productions moins récentes qui sont retravaillées, comme par exemple celles du directeur artistique, Pierre Audi, sur qui repose la politique artistique de la maison depuis les origines, qui lui a donné sa couleur et son ouverture, et qui est lui-même metteur en scène.
La couleur de la maison, c’est d’abord une tradition d’ouverture et de modernité : l’appel à des metteurs en scènes et à des productions d’aujourd’hui, est ici ancré dans les gènes, c’est une politique bien installée dans le Benelux, qui remonte aux années Mortier (années 80), et qui font que Bruxelles, Anvers et Amsterdam, sans conduire la même politique, ont une couleur voisine.

Ainsi donc la saison 2016/2017 commencera par Le nozze di Figaro, et s’achèvera avec Salomé, et comme toutes les saisons, elle apparaît très bien équilibrée, offrant du grand répertoire italien, du baroque, du Mozart, du Wagner et du Strauss, et comme pratiquement chaque année, une création et une œuvre récente. Il y en a pour tous les goûts, pour un public très ouvert, très détendu, et surtout très disponible. Une maison agréable et sympathique, située à Waterlooplein, à 10 minutes de la Gare en tram (n°9) et 5 minutes en métro, direct. Et Amsterdam est à portée de Thalys, si bien que la traditionnelle représentation du dimanche à 13h30 garantit l’aller/retour en journée pour les parisiens.

 

Septembre 2016, pour 9 représentations (6 au 27 septembre)
Le nozze di Figaro, de Mozart dir.mus : Ivor Bolton, avec le Netherlands Chamber Orchestra dans une mise en scène de David Bösch, dont l’activité a explosé ces deux dernières années au point qu’on le voit dans tous les grands théâtres. Cela nous garantit une direction musicale solide, et surtout une mise en scène intelligente (David Bösch, en France, a déjà mis en scène à Lyon Simon Boccanegra et Die Gezeichneten). La distribution de très grande qualité affiche Stéphane Degout dans Il Conte, Alex Esposito dans Figaro, Eleonora Buratto dans La Contessa, Christiane Karg en Susanna, et l’excellente Marianne Crebassa en Cherubino.
Mon avis : vaut le Thalys

 

Octobre 2016, pour 8 représentations (10 au 31 octobre)
Manon Lescaut, de Giacomo Puccini, dir.mus : Alexander Joel (avec le Netherlands Philharmonic Orchestra) rompu au répertoire notamment italien en Allemagne, et mise en scène d’Andrea Breth, qui précéda Thomas Ostermeier à la tête de la Schaubühne de Berlin. Mais la production est l’écrin pour la présence en Manon Lescaut de la star hollandaise actuelle du chant, Eva Maria Westbroek, qui sera Manon Lescaut face au Des Grieux de Stefano La Colla et au Lescaut de Thomas Oliemans.

 

Novembre 2016, pour 7 représentations (9 au 27 novembre)
Jephta, de G.F.Händel, dir.mus : Ivor Bolton, avec le Concerto Köln; mise en scène Claus Guth. Les interprétations d’Ivor Bolton dans ce répertoire sont intéressantes, et les lectures de Claus Guth évidemment stimulantes (Paris a découvert son Rigoletto, et l’an prochain verra son Lohengrin mais le must est son Tristan zurichois). L’Orchestre est fameux, la distribution est vraiment remarquable : Richard Croft en Jephta, mais aussi Bejun Mehta, Anna Prohaska, Wiebke Lehmkuhl, Anna Quintans et Florian Boesch.
Mon avis : vaut le Thalys

 

Décembre 2016, pour 8 représentations (du 6 au 29 décembre)
Parsifal de R.Wagner :  étrange programmation à Noël de cette fête plutôt pascale, sous la direction musicale de Marc Albrecht avec le Netherlands Philharmonic Orchestra. La production est une reprise de la mise en scène de Pierre Audi, fameuse pour les décors d’Anish Kapoor (« Le vagin de la reine ») dans une distribution classique et solide : Günther Groissböck en Gurnemanz, Christopher Ventris en Parsifal, Petra Lang en Kundry, Ryan McKinny qu’on voit de plus en plus sur les scènes internationales en Amfortas.
Mon avis : vaut le Thalys (on ne rate pas un Parsifal, même en décembre)

 

Janvier 2017, pour 6 représentations ( du 15 au 26 janvier)
Die Entführung aus dem Serail, de Mozart dir.mus : Jérémy Rhorer, avec le Netherlands Chamber Orchestra. Un peu plus rare que les autres Mozart, on le retrouve actuellement plus souvent sur les scènes, cette fois dans une reprise de la mise en scène de Johan Simons (le directeur de la Ruhrtriennale), dans une distribution correcte dominée par l’Osmin de Peter Rose, avec Paul Appleby (Belmonte), Lenneke Ruiten (Konstanze), David Portillo (Pedrillo) et Siobhan Stagg (Blonde).

 

Février 2017, pour 7 représentations (du 7 au 25 février)
Le Prince Igor, de Borodine : danses polovtsiennes miraculeuses au milieu d’un magnifique champ de coquelicots dont la photo a fait le tour du monde: après New York, la somptueuse mise en scène de Dmitri Tcherniakov arrive à Amsterdam, avec une distribution voisine. Une mise en scène plus classique que ce à quoi nous a habitués Tcherniakov, une incontestable réussite esthétique, avec quelques changements dans l’ordre des scènes et quelques ajouts musicaux néanmoins…
Le chef Stanislav Kochanovsky habitué des scènes russes (Mikhailovsky) dirigera le Rotterdam Philharmonic Orchestra, dans une très belle distribution, malheureusement sans la fabuleuse Anita Rachvelishvili en Konchakovna (qui sera chantée par Agunda Kulaeva), mais avec un magnifique ensemble dominé par l’Igor d’Ildar Abdrazakov, somptueux, Vladimir Ognovenko, Pavel Černoch, Dmitri Ulyanov, Andrei Popov complètent ; et même Oksana Dyka dans son répertoire il est vrai, avait été correcte au MET.
Mon avis : vaut le Thalys (on ne rate pas un Prince Igor, ni un Tcherniakov)

 

Mars 2017 :
Wozzeck, d’Alban Berg pour 7 représentations (du 18 mars au 9 avril). Une nouvelle production qui va faire couler de l’encre. Bruxelles avait présenté Lulu (avec Barbara Hannigan) Amsterdam présente Wozzeck dans la vision de Krzysztof Warlikowski et de Małgorzata Szczęśniak. C’est Marc Albrecht qui dirigera le Netherlands Philharmonic Orchestra. La distribution est dominée par le Wozzeck de Christopher Maltman, merveilleux dans les rôles de personnage crucifié, tandis qu’Eva-Maria Westbroek sera Marie, aux côtés de son époux Franz von Aken qui chantera le Tambourmajor et que le Doktor sera Sir Willard White. Une distribution vraiment intéressante, une mise en scène sans nul doute marquante, un chef très à l’aise dans ce répertoire et donc qui vaudra le Thalys.

 

The new Prince, de Mohamed Fairouz pour 6 représentations du 24 au 31 mars. Création mondiale. La dernière décade de mars est consacrée au cycle Opera Forward, impliquant diverses structures culturelles et éducatives, consacré cette année au pouvoir, quand il est manifeste (The new Prince) ou quand le drame vient de son absence (Wozzeck). Le jeune compositeur Mohamed Fairouz imagine le réveil de Machiavel en 2032. Le spectateur peut bien se figurer le constat puisque le sous titre du théâtre d’Amsterdam est « blood-curdling revue about power » (litt : revue à glacer le sang sur le pouvoir) à partir d’exemples récents et moins récents : Hitler, les Clinton, Ben Laden. C’est le second opéra du jeune Mohamed Fairouz (à peine 30 ans), émirato-américain (!!) qui travaille avec le journaliste et romancier David Ignatius.
La mise en scène est confiée à Lotte de Beer, « disciple » de Peter Konwitschny, dont la très jeune carrière explose déjà (futurs engagements à Munich, au MET, au Theater an der Wien). C’est Steven Sloane qui dirigera l’Orchestre Philharmonique de la Haye et la distribution inclut Nathan Gunn (Machiavel), Karin Strobos (Fortuna), George Abud (Ben Laden), Nora Fischer (Monica Lewinski) tandis que Paulo Szot sera à fois Clinton et Dick Cheney.
L’agenda du théâtre fait que si vous passez deux jours à Amsterdam il y aura la possibilité de voir les deux spectacles. Pourquoi pas ?

Coeur de Chien (Prod.Mc Burney) un des must de la saison © DNO
Coeur de Chien (Prod.Mc Burney) un des must de la saison © DNO

Avril 2017
Cœur de chien (Собачье сердце), d’Alexander Raskatov, d’après Boulgakov, sur un livret de Cesare Mazzonis (6 représentations du 22 avril au 5 mai). Reprise de la création triomphale de 2010 dans la production étourdissante de Simon Mc Burney. La reprise d’une création  est chose suffisamment rare pour qu’on la souligne, et dans ce cas, c’est pleinement justifié vu le succès européen (Lyon, Londres, Milan) de ce spectacle, l’un des plus virtuoses de cette décennie. C’est comme à Lyon Martyn Brabbins qui dirigera le Netherlands Chamber Orchestra et la distribution pratiquement identique à celle de Lyon est sans reproche : Sergueï Leiferkus, Elena Vassileva, Peter Hoare, Nancy Allen Lundy, Andrew Watts,  Robert Wörle, Ville Rusanen…
Si vous n’avez pas vu ce spectacle, vaut le Thalys, évidemment, et plutôt deux fois qu’une.

À noter qu’ une version pour enfants du texte de Boulgakov sera présentée deux semaines plus tard pour 4 représentations (du 13 au 17 mai – 2 représentations le 14 mai), avec une autre musique (de Oene van Geel et Florian Magnus Maier) sous le titre « Cœur de petit chien » (Hondenhartje)

 

L’art de la programmation c’est de savoir alterner des opéras plus rares ou moins favoris du public, et des standards, voire des marronniers de la programmation, et donc :

Mai 2017
Rigoletto, de Giuseppe Verdi (10 représentations du 9 mai au 5 juin). L’opéra de Verdi est l’objet d’une production nouvelle de Damiano Michieletto (qui a eu un énorme succès en 2015 avec Il Viaggio a Reims) et le Netherlands Philharmonic Orchestra sera dirigé par Carlo Rizzi, chef bien connu et rodé dans ce répertoire ; c’est Luca Salsi qui chantera Rigoletto, pour ses débuts à Amsterdam, tandis que Gilda sera la délicieuse et talentueuse Lisette Oropesa, vue à Amsterdam dans Nanetta il y a deux saisons. Il Duca sera Saimir Pirgu, Sparafucile Rafal Siwek et Maddalena l’excellente Annalisa Stroppa.
Si vous passez par Amsterdam…

 

Madrigaux de Claudio Monteverdi , 5 représentations du 11 au 19 mai, reprise de la production de Pierre Audi de 2007, par les Talens Lyriques et Christophe Rousset, interprété par des jeunes interprètes, dans les espaces des ateliers de décors du Dutch Nationale Opera à Amsterdam-Zuidoost

 

Juin 2017
Vespro della Beata Vergine, de Claudio Monteverdi, un spectacle performance-installation dans le cadre du Holland Festival mis en espace par Pierre Audi, dans une installation de l’artiste belge Berlinde De Bruyckere, dans le monumental Gashouder (Gazomètre) de la Westergasfabriek à Amsterdam. C’est Raphaël Pichon et son Ensemble Pygmalion qui assureront la partie musicale (décidément les musiciens français seront à l’honneur en cette période à Amsterdam, après les Talens Lyriques). Pour 3 représentations les 3, 4 et 5 juin. Un « Event » autour d’une œuvre difficile, l’un des très grands chefs d’œuvre de la littérature musicale, dans un lieu fascinant.

 

Salomé, de Richard Strauss pour 8 représentations du 9 juin au 5 juillet. C’est l’événement de la fin d’année, traditionnel avec dans la fosse le Royal Concertgebouw Orchestra sous la direction de son directeur musical tout neuf Daniele Gatti, dans une mise en scène du directeur du Toneelgroep d’Amsterdam, Ivo van Hove dont on connaît les lectures radicales. Une très belle distribution dominée par la Salomé de Malin Byström, avec Lance Ryan dans Herodes et Doris Soffel dans Herodias, tandis que Jochanaan sera Evgueni Nikitin, et Narraboth l’excellent Benjamin Bernheim.
A ne manquer sous aucun prétexte : Vaut un Thalys, et même deux.

Treize (ou quatorze si l’on compte Cœur de petit chien pour les enfants) productions toutes de qualité enviable et qui vaudraient toutes un voyage en Thalys, ou en bus, et même en voiture. Mais il y a vraiment des spectacles spécialement attirants qui font d’Amsterdam aujourd’hui un des pôles inévitables de l’opéra européen. Innovation, tant dans les répertoires que dans les équipes artistiques, distributions enviables. Il y a de quoi passer de magnifiques soirées et en tous cas à chaque fois constater l’intelligence de la programmation qui ne se dément pas d’année en année. [wpsr_facebook]

Entführung aus dem Serail (Prod.Johan Simons) ©DNO
Entführung aus dem Serail (Prod.Johan Simons) ©DNO

 

THÉÂTRE À LA MAC-CRÉTEIL 2013-2014: L’AVARE de MOLIÈRE par le TONEELGROEP AMSTERDAM (Mise en scène Ivo VAN HOVE)

Hans Kesting (Harpagon) © Jan Versweyveld

D’après Molière,  Mise en scène :  Ivo Van Hove, avec :  Hélène Devos, Fred Goessens, Marieke Heebink, Hans Kesting, Vanja Rukavina, Leon Voorberg, Eelco Smits, Anna Raadsveld, Dramaturgie  Peter Van Kraaij, Décors : Jan Versweyveld, Costumes :Wojciech Dziedzic , Son :  Roeland Fernhout, Marc Meulemans

On l’avait vu lors de son Macbeth de Verdi à Lyon (saison 2012-2013), et indirectement lors de son Misanthrope à Berlin et à l’Odéon, l’un des axes porteurs du travail d’Ivo van Hove est la lecture des classiques à l’éclairage des tics, des perversions sociales et des horreurs économiques (et autres) du monde aujourd’hui. C’était les prisons américaines dans Edward II, la bourgeoisie chic et surtout choc dans le Misanthrope et le monde de Wall Street et ses jeux de pouvoir dans Macbeth, idée un peu reprise dans l’Avare (Production de 2011/2012) qui est présenté à la MAC de Créteil pour quelques jours encore, dont il fait du sujet central non pas un individu mangé par une passion-obsession, mais l’argent qui, pour parodier Marceline dans Figaro « fait tout »: un basculement qui d’une certaine manière innocente l’individu et en fait le jouet d’un cancer social. Le Misanthrope était joué par les comédiens de la Schaubühne de Berlin, c’est cette fois avec ses comédiens néerlandais qu’il est revenu à Molière.
 L’espace de jeu conçu par Jan Versweyveld est une sorte de loft sans doute en hauteur entourant une sorte de cour intérieure sur laquelle donnent deux balcons. Au fond, l’espace privé des deux enfants, deux chambres et deux penderies, un gros réfrigérateur encastré, sur la droite un espace bar et au premier plan un salon.

La famille © Jan Versweyveld

Dispersés dans cet espace, un nombre important d’écrans plats, un énorme désordre: trainent au sol canettes, ordures, chaussures, linge, ordinateurs, sac plastiques. On sent que vit là une famille très bourgeoise, mais sans aucune ‘Heimkultur » comme disent les allemands, sans culture du chez soi, une vie bohème, désordonnée, de gens « branchés » et reliés à des sites sans doute boursiers. Tous les hommes pianotent sur un clavier, Cléante, Valère, Harpagon. Cléante passe en outre son temps à changer d’habits, à s’occuper de son look, on le voit au fond changer  systématiquement de pantalon,  de pull ou de chemise au fur et à mesure des scènes. Frosine l’entremetteuse est pendue à son portable, les deux jeunes filles, Elise, puis Mariane, sont étrangement presque interchangeables: un modèle physique à la mode, grande maigreur, élancées, presque des mannequins modernes anorexiques.
La première scène donne le rythme de l’ensemble: long silence, au fond un couple dort: ce sont Valère et Elise. Elle se lève va rapidement prendre quelque chose dans le frigo, et s’habille. Puis lui se lève, s’habille, va dans le frigo aussi, et allume un des écrans pour quelques minutes de jeu vidéo: la scène I peut alors commencer.  Sur ce rythme lent, avec de longs silences, des échanges un peu pesants, l’ambiance est immédiatement lourde. Cette pesanteur sera un élément fort de l’ensemble du spectacle dont l’aspect « farce », si important souvent chez Molière, et notamment dans l’Avare est totalement effacé. Il y a de l’ironie, de la distance, mais rarement un comique démonstratif, sinon quelques rires qui fusent à l’occasion des quiproquos traditionnels. Le texte n’est jamais dit de manière appuyée, toujours fluide et naturel et sans jamais un surjeu théâtral. C’est patent au moment du fameux « Sans dot » qui devient une sorte de raisonnement sans être un exemple de comique de répétition. C’est aussi net dans l’entrée en scène d’Harpagon, qui dans une vision traditionnelle est explosive, mais qui ici est jouée avec  un style de colère froide, qui sera la marque du jeu vraiment remarquable de Hans Kesting, un Harpagon qui n’a rien d’un vieillard, mais qui possède un physique d’acteur américain à la maturité sportive. Cet Harpagon là pourrait (s’il voulait dépenser inutilement) fréquenter les salles de sport pour cadres supérieurs dynamiques. Évidemment, cela change les rapports entre les personnages: il n’y a plus Harpagon et les autres, il y a Harpagon parmi les autres qui vivent tous sous le même toit et avec les mêmes modes. Dans ce monde-là l’argent joue un rôle évidemment déterminant: le personnage de Cléante en est particulièrement symbolique. Pour pouvoir vivre sa vie de jeune bourgeois à la mode, il doit emprunter, d’où la scène désopilante avec Frosine puis avec Harpagon où il découvre que son père, préteur inattendu, pratique des taux usuraires. Et dans la bouche de cet Harpagon là, les arguments qui lui sont opposés deviendraient presque raisonnables. Chacun se débrouille dans ce monde pour assurer son confort social et affectif avec les moyens du bord. Le jeune Valère n’est pas très sympathique jouant en permanence double jeu, assuré qu’il est de s’en sortir de toute manière.
 Enfin, la cassette, la trop fameuse cassette objet de tous les soins et de tous les amours d’Harpagon devient dans ce contexte une clef USB ouvrant à on ne sait trop quel compte, qu’Harpagon dissimule dans ses chaussettes (rires) puis imprudemment sous un coussin du canapé, et qui va être découverte par le valet. Ivo van Hove a suivi l’intrigue, mais a complètement rompu avec  ce qui est modes théâtraux propres au XVIIème et dramaturgie classique: d’une part le texte est évidemment légèrement adapté, les morceaux de bravoure éclatés, dilués, au profit d’un débit d’un rythme plus étal, plus régulier, où il n’y a pas d’un côté les « raisonnables » (enfants, Frosine, Maître Jacques), et de l’autre l’obsédé (Harpagon); ce qui frappe au contraire, c’est l’impression de clan, de « roulotte » à la manière des Parents terribles, et aussi des Enfants terribles de Cocteau. Ce qui relativise Harpagon, devenu plus chef de clan  que malade que l’on isole. Ces enfants là sont des enfants gâtés, perturbés par le père, mais peut-être encore plus gâtés que perturbés: il revendiquent leur liberté affective, soit, mais ils revendiquent aussi leur confort, et dès que les joujous leur sont enlevé c’est la violence qui éclate.

Cléante, Marianne et Harpagon (au fond) © Jan Versweyveld

Ainsi la scène de dépit amoureux, entre Cléante et Marianne n’est plus du dépit amoureux ici, mais  tourne à l’explosif: Marianne est jetée littéralement contre le mur. Ivo van Hove s’est vraiment appuyé sur Cléante, (servi par l’excellent Eelco Smits) pour appuyer sa thèse; il est bien plus important dans cette mise en scène que dans une vision traditionnelle où Harpagon écraserait tout. Dans cette vision dramaturgique où la mécanique moliéresque est mise à mal au profit d’une mécanique plus proche d’un Tennessee Williams, toute la fin, avec son Deus ex machina et son Seigneur Anselme arrivant à point nommé pour arranger les choses ne tient pas, ne peut évidemment tenir: c’est la limite de l’actualisation quand, comme Van Hove, on en joue le jeu jusqu’au bout. Il faut donc, en cohérence avec la lecture et surtout en respectant les données essentielles du texte, faire autre chose.

Harpagon vide les affaires de Cléante © Jan Versweyveld

Premier élément: les « autres » s’en vont, quittent la roulotte. Le ton est donné par Harpagon lui-même qui renie son fils Cléante et vide sa chambre en enveloppant tout dans un drap, cela se poursuit par le départ des autres, qui plient leurs affaires, qui prennent leurs valises, qui redressent matelas et lits.
Deuxième élément: ils ont pris la cassette-USB et au lieu de la rendre, s’en vont avec: l’argent fait tout et a fini par tout pervertir. La vraie vie, ce n’est pas la vie affective toute seule, c’est la vie affective avec le fric.

Et Harpagon reste seul, monologuant de manière moins obsessionnelle que pathétique: il a tout perdu, la famille (le clan), l’argent, l’amour et notamment l’amour de sa fille Elise qu’il essaie de retenir d’une manière tellement animale qu’on  se demande quel type de relation il entretient avec elle (très bonne Hélène Devos) : tous les autres doivent littéralement la lui arracher des mains. Pour gérer ce final tragique, Van Hove prend à la lettre le texte du monologue de la cassette en l’éclatant sur toute la fin, et, en en faisant le moteur, il en fait une chose sérieuse: tous les lecteurs de Molière savent bien  l’ambivalence de ce monologue, pathétique expression du malheur humain vu par Harpagon. Dit dans le contexte d’une mécanique farcesque, il fait rire, dit dans un contexte dramatique, il crée l’angoisse. Une musique répétitive scandant le temps accompagne cette fin sombre et sans issue ou du moins, accompagne la seule issue possible: Harpagon se jette du balcon.
Ivo van Hove a fait de L’Avare une chose sérieuse, une chose qui nous concerne: les rapports humains les plus forts dans ce monde où l’argent fait tout se délitent et se détruisent, dans ce monde où les écrans deviennent les médiateurs du dialogue

Cléante et Harpagon dialoguent © Jan Versweyveld

(extraordinaire scène où Cléante et Harpagon dialoguent dos à dos chacun tourné vers son écran), où chaque moment d’autonomie et de solitude est scandé par une installation devant un écran, une imprimante, un joystick, avec les inévitables éléments d’accompagnement, la canette de Coca et les cacahuètes qu’on grignote: c’est CE monde qui devient une mécanique et non plus Harpagon par l’effet de Molière.
On pourra discuter cette lecture toujours plus radicale et amère de la société d’aujourd’hui, on pourra discuter cette lecture terrible de la comédie moliéresque, mais Van Hove n’a pas tort de souligner que parler d’argent aujourd’hui engage non l’individu, mais le monde régi par sa circulation (l’économie)et la conséquence sa sanctuarisation (l’horreur économique), sa fluidité (la consommation): quant à Harpagon, il n’est plus une cause, mais un produit, le produit d’une société sans autre valeur que l’argent, comme tous les autres personnages.

© Jan Versweyveld

Au pays de l’équilibre et du bon sens, au pays de la raison-qui-triomphe-toujours, une telle lecture ne peut que déranger, ne peut que bousculer: la salle était un peu froide hier. Il a fallu un incident de surtitrage et une intervention très sympathique d’Hans Kesting en français pour la dérider: la farce faisait irruption dans le drame.
Au total, ce travail de Ivo van Hove est peut-être moins convaincant que celui sur le Misanthrope, sans doute plus adaptable par son organisation dramaturgique et aux problématiques plus familières à notre contexte social. Dans L’Avare, Van Hove est contraint de modifier le texte original, pour en faire une comédie dramatique, voire un drame. La proposition qui fait des textes de Molière des drames ou au moins des pièces sérieuses n’est pas neuve, celle de s’appuyer sur L’Avare pour soutenir cette thèse l’est plus en revanche; en cela la tentative est séduisante, et comme les acteurs sont remarquables, que la mise en scène est d’une grande intelligence, et que Molière tient le coup, la soirée est réussie.
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MAC Créteil, 9 novembre 2013

 

OPÉRA DE LYON 2012-2013 : MACBETH de Giuseppe VERDI le 13 octobre 2012 (Dir.mus : Kazushi ONO, Ms en scène Ivo VAN HOVE)

Scène finale / ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

J’ai trouvé l’une des clefs de la représentation, en écoutant la radio hier, rentrant après cette première de Macbeth de Giuseppe Verdi: la barbarie, disait la voix, c’est par exemple aujourd’hui Goldman Sachs. C’est bien ce que nous dit la mise en scène de Ivo van Hove qui considère le monde de la finance comme le vrai pouvoir du jour. Ainsi s’opère la transposition du monde gris, brumeux et sauvage du Moyen âge écossais au monde gris et tout aussi sauvage du Vatican de la finance, Wall Street. La sauvagerie en costume-cravate, la barbarie du pouvoir au sein de La Banque, les constructions mafieuses, les complots, la soif éternelle du pouvoir utilisant les leviers du jour. Voilà la réponse à la question : que nous dit Macbeth aujourd’hui ?

La radio (décidément !) ce matin m’a donné la seconde clef du spectacle, une clef encore plus universelle que tous les lecteurs de littérature connaissent ;  elle était exprimée par Michel Bouquet (invité de Rebecca Manzoni sur France Inter): la grande pièce de théâtre (on pourrait dire la grande littérature) s’en sort toujours quel que soit le contexte historique, elle a toujours quelque chose à dire, on la retourne, et elle donne sa réponse. Ainsi parlait Michel Bouquet au sujet du « Roi se meurt », ainsi pourrait-on parler du Macbeth de Shakespeare, et du Macbeth de Verdi. Plaquez la pièce à la réalité du jour, pressez-la, et elle donne son jus, toujours recommencé et toujours frais.
Ainsi le décor de Jan Versweyveld est-il unique, un espace tragique délimité par de vastes espaces gris sur lesquels se projettent des images  de Tal Yarden (comme à Amsterdam dans Der Schatzgräber), toujours en négatif et noir et blanc, donnant l’impression du rêve, de l’irréel, de la représentation mentale, et derrière des bureaux qui courent tout autour, des écrans qui projettent tantôt des graphiques, des chiffres comme dans les salles de marchés, tantôt les images mentales des personnages non sans humour (chat noir, crapaud, selon les recettes des sorcières ou des extraits de dessins animés –dont « Ma sorcière bien aimée »- mettant en scène les sorcières).

Les sorcières/ ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

Le rideau se lève sur une salle de marché où les sorcières sont des traders ou des conseillères (en communication bien sûr). Image frappante, traversée par une femme de ménage qui va être le témoin muet et permanent du drame, dont le rôle va s’éclairer à la fin surprenante. Dans cette première scène, elle nettoie les déchets laissés par les traders-sorcières, qui pendant leur sabbat, puisent dans les ordures (essentiellement du papier hygiénique) et les jettent au sol. Dans ce monde dont l’enfer est figuré en projection par l’Empire State Building, tous nos tics high teck sont sarcastiquement montrés: le roi Duncan est mort et tous les employés pianotent sur leurs mobiles pour tweeter la nouvelle, la lettre de Macbeth  est lue par la Lady sur son Ipad, déjà utilisé dans « le Misanthrope » de la Schaubühne (cf compte rendu), du même Ivo van Hove, vu aux ateliers Berthier ce printemps (cf autre compte rendu).
La grande différence entre Shakespeare et Verdi, c’est que Verdi isole le couple en éliminant de nombreux personnages, et surtout, le montre bousculé, apeuré, féroce parce qu’effrayé devant le crime initial commis. Ainsi l’espace conçu très vaste (tout le plateau) montre-t-il très souvent le couple seul , traversé par ses doutes, se jetant à corps perdu dans le meurtre , et en même temps quelque part émouvant :

Acte IV / ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

le merveilleux quatrième acte où pendant la scène du somnambulisme lady Macbeth en combinaison noire, pieds nus, tour à tour évite puis cherche Macbeth (qui a abandonné le costume cravate, signe de la caste, de la bande pourrait-on dire) en chemise défaite.
Dans le monologue de Macbeth qui suit,

Monologue de Macbeth(Acte IV) / ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

c’est Macbeth qui tue « tendrement » la Lady, scène magnifique, d’une terrible justesse.
De même la scène du banquet et du brindisi, devenue une réception du personnel de la banque, où le spectre apparaît en projection sur les écrans, en autant d’images mentales de Macbeth démultipliées, et où à la fin, certains membres du personnel, déstabilisés, dont Macduff, rangent leurs affaires (dont les ordinateurs, ou les sacro-saints mugs) dans des = cartons et quittent le navire comme les rats. Images réelles ou images mentales, c’est bien le doute qui se glisse lorsque les crimes commis sont montrés comme en filigrane sur les cloisons géantes, meurtre de Duncan, initial, geste originel, isolé, meurtre de Banco, plus mafieux, exécuté dans un parking par des tueurs à gage (casque de moto etc…).
A ce monde de la barbarie en cravate, se construit et s’oppose le monde de ceux qui disent non, en habits « casual », qui sont en fait ces indignés de Wall Street (le mouvement OWS : Occupy Wall Street) qui ont tant interrogé les chroniqueurs, et qui vont porter la fin optimiste de la pièce. Car ne l’oublions pas, Macbeth se termine par une note d’espoir extraordinaire  et un hymne de victoire et d’espoir « L’aurora che spuntò / Vi darà pace e gloria ! » (l’aurore qui vient de pointer vous donnera paix et gloire).
À la barbarie du monde de la finance répond l’espoir venu de la rue, du « peuple », symbolisé par cette femme de ménage que j’évoquais, qui assiste à tout le drame, et qui court ouvrir les portes au peuple de la rue qui va envahir la salle des marchés, témoin muet, inexistant pour tous les protagonistes (ils évoquent leurs crimes devant elle, tant elle est invisible, tant elle ne compte pour rien) et elle écoute, enregistre, intériorise, pour finalement courir vers ce peuple qui assiège le lieu du pouvoir, vers les siens : elle envahit au milieu de siens, le saint des saints bancaire.

"Figli, o fgli miei" Dmytro Popov/ ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

Ce peuple, il doit émouvoir et c’est la vidéo qui donne l’émotion comme dans un storytelling : la scène du chœur « patria oppressa » et le magnifique monologue de Macduff prennent leur sens dans la vidéo réalisée « en direct », avec des gros plans sur les visages tendus (un peu comme au début de la Flûte enchantée de Bergman, toutes proportions gardées), sur le chanteur, magnifique , dont le chant prend une valeur sensible extraordinaire quand il est démultiplié par la vidéo. Et c’est ce peuple opprimé qui se libère et envahit « la banque » au total pacifiquement.  Ainsi tout se termine-t-il par une image d’espoir, une sorte d’arbre de Birnam joyeux  qui s’élève comme un ballon, pendant que Macbeth, qui n’est pas mort, semble écrasé par ce qui arrive, hagard, couvert d’une couverture, à qui Macduff vient porter à boire : alors ce qu’on vient de voir pendant 2h50 n’était-il qu’un rêve ? Les traders écrasés sont-ils laissés là sans plus aucun instrument de pouvoir ? Comment se reconstruira l’avenir ? Autant de questions sans réponses.  Cette fin optimiste, voire naïve n’est-elle pas qu’un faux semblant ? Voilà les questions qui restent sans réponses à la fin de ce travail étonnant, qui a laissé perplexe bon nombre de spectateurs : quand l’équipe de Ivo van Hove vient saluer, pas d’explosion, applaudissements intenses, mais seulement polis, et quelques buhs.

A cette réalisation étonnante et si juste, si fluide, si bien conduite (mouvements du chœur, direction d’acteurs d’une incroyable précision), correspond une réalisation musicale de haut niveau, homogène, emmenée par l’orchestre si bien préparé de Kazushi Ono. Une interprétation sans vraie touche de lyrisme, avec moins de raffinement que d’autres sans doute mais à la précision chirurgicale (au sens où l’on qualifie de « chirurgicales » les frappes des bombardements) et froide, rendue encore plus sensible par l’acoustique si sèche de l’Opéra de Lyon. Kazushi Ono propose un Verdi peu « italien », qui ne se laisse pas entraîner par les rythmes, les palpitations, les intermittences du cœur, une lecture plus « objective » (si ce mot a un sens en matière de direction musicale) que sensible (dans la même œuvre, à la Scala, il avait été mal accueilli), une lecture, si je peux me permettre, passée au moule de Chostakovitch, où Ono excelle. Cela va évidemment très bien et sonne très juste au regard de la vision du metteur en scène:  on est là en pleine cohérence. Le chœur est magnifiquement emmené par son chef Alan Woodbridge.
La distribution provient de manière étrange presque exclusivement de l’est et des anciens territoires soviétiques, réservoirs presque inépuisables de voix, et de grandes voix : Evez Abdulla (Azerbaïdjan), Iano Tamar (Georgie), Dmytro Popov (Ukraine), Victor Antipenko (Russie), Ruslan Rosyev (Turkmenistan);  seul Riccardo Zanellato qui prête sa belle voix de basse puissante à Banco (mais sans le timbre envoûtant et si émouvant de Christian Van Horn à Genève) marque la présence italienne dans les rôles principaux de la distribution.
Iano Tamar est Lady Macbeth, elle est scéniquement superbe dans sa robe verte, tache de couleur au milieu de ce monde gris, de ce vert qui est aussi celui des chiffres projetés par millions sur les écrans;  actrice remarquable, sensible, aux gestes tour à tour brutaux et tendres, sachant exprimer envie et amour, certitudes et doutes, sa présence est stupéfiante : il est d’autant plus regrettable que la voix, puissante néanmoins, ne suive pas. Lady Macbeth n’a pas besoin d’une « belle » voix charnue, mais d’une voix pleine qui soit expressive, mobile (mezzo-soprano qui soit aussi colorature), agile, qui sache avec aisance monter au suraigu, mais aussi tomber dans les graves, qui sache donner de la couleur. La voix de Iano Tamar est grande, il y a incontestablement des moments magnifiques, sentis, mais dans les moments clés, qui réclament de l’agilité et de la souplesse, il y a problème : sons fixes, suraigus tirés, montée à l’aigu difficile, même si le chant est contrôlé, peu ou pas d’agilité, et le fameux contre ré-bémol final de la scène de somnambulisme bien loin du « fil di voce » demandé par Verdi. La voix ne convient pas vraiment au rôle, et c’est regrettable car le personnage est stupéfiant, d’un bout à l’autre.
A cette Lady Macbeth, grande, sculpturale, correspond un Macbeth plus petit, au physique d’un Ceaucescu jeune, qui marque déjà les rapports au sein du couple. La voix de Evez Abdulla est vraiment bien posée, bien contrôlée, avec un savant travail sur les mezze-voci, sur la « morbidezza », sur la diction d’une grande clarté, également : elle démontre souplesse et douceur, avec un très beau timbre clair, et une belle projection malgré un volume relativement limité. La personnalité scénique est moins affirmée que celle de sa partenaire, au moins dans la première partie mais on doit reconnaître que ses troisième et quatrième actes sont vraiment magnifiques. Une belle voix de baryton qui mérite une belle carrière internationale, on sent un Posa possible derrière ce Macbeth, car il en a l’incommensurable douceur. Un Macbeth qui n’a pas la force sauvage d’un Cappuccilli, mais qui a une puissance d’émotion qui amènerait le public à lui pardonner. Remarquable.
On l’a dit, Riccardo Zanellato a une belle voix de basse, puissante, profonde, émouvante, et une belle personnalité scénique : son air « Come dal ciel precipita » est un des grands moments de la soirée. Mais le plus beau moment de chant, il est donné par le Macduff de Dmytro Popov, jeune ténor inconnu d’une trentaine d’années, qui dans « O figli, o figli miei » montre à la fois une voix large, puissante, très contrôlée, à l’aigu sûr, au timbre magnifique, à la diction parfaite. On entend derrière à l’évidence un Hermann de la Dame de Pique, mais aussi Don José (qu’il va faire à Sydney) ou le Prince de Rusalka. Retenez ce nom : si le marché ne ruine pas cette voix extraordinaire, il pourrait faire une très grande carrière et être un des ténors qu’on s’arrache.
Belle (et brève) prestation du Malcolm de Viktor Antipenko, à la voix forte, bien contrôlée, jeune chanteur qui a à peine terminé sa formation aux USA (Philadelphie, New York) et des deux rôles secondaires,  la Dame (Kathleen Wilkinson, dont la voix dans les ensembles surnage sans difficultés) et le médecin (le jeune Ruslan Rozyev, frais émoulu de l’Opéra Centre Galina Vichnevskaia, fabrique très efficace de chanteurs).
Au total, une fois de plus un spectacle passionnant, musicalement de niveau très homogène et d’une grande intensité,  scéniquement original, qui montre que lorsque la transposition fait sens et se trouve réalisée avec justesse et intelligence, elle contribue à éclairer la lecture des grands chefs d’œuvre de notre patrimoine. Une fois de plus l’Opéra de Lyon contribue au renouvellement du genre, en maintenant une pleine exigence artistique, sans concession, et une fois de plus,  Ivo van Hove se montre un des grands d’aujourd’hui dans une mise en scène d’une acuité exemplaire, encore plus ciblée que dans Der Schatzgräber, d’Amsterdam il y a quelques semaines. Il ne vous reste plus qu’à aller voir ce spectacle qui ouvre avec honneur la saison 2012-2013 de Lyon.

Duo final / ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

ANNEXE:
Extrait du dossier de presse que tout spectateur reçoit avec le programme de salle et que vous pouvez trouver sur le site de l’Opéra de Lyon: http://www.opera-lyon.com

Macbeth, notre contemporain

Macbeth, selon Ivo van Hove, est une réflexion sur le pouvoir. Macbeth veut être roi, et lady Macbeth veut être reine. « J’ai pensé, dit-il, à ce qu’était le pouvoir aujourd’hui. Il est clair qu’il n’est plus entre les mains des politiques. En Europe, le monde de la finance et des affaires domine le politique. Si Verdi avait écrit l’opéra aujourd’hui, je suis sûr qu’il l’aurait situé dans le monde de la finance, un monde dont le seul objectif est d’accroître ses bénéfices. » Sur cette base, les sorcières – qui seront, aussi bien des sorciers – deviennent des conseillers en communication, forts en storytelling, dispensateurs d’« éléments de langage », si influents que Macbeth se soumet à leurs prophéties auto-réalisatrices. « Macbeth pourrait dire non ! Mais il accepte parce qu’il veut ce qu’ils disent. Les conseils ne deviennent vérité que parce que Macbeth veut les reconnaitre comme tels. »

Un film américain récent, Margin Call, de J .C. Chandor, qui décrit la lutte pour le pouvoir de tradersnew-yorkais durant la crise de 2008 a inspiré Ivo van Hove et son scénographe, Jan Versweyveld. Dans ce contexte, le château royal n’est plus une demeure gothique perdue dans les brumes d’Ecosse, mais un gratte-ciel de cinquante étages au cœur d’une cité financière. De si haut, le reste du monde paraît absent. On baigne dans les nuages, dans le tonnerre et les éclairs. Seule, la silhouette d’un aigle vient frôler les vitres et rappeler la place que la pièce et l’opéra accordent aux éléments : « Dans les monologues, comme dans les arias, il y a des comparaisons avec les animaux et la nature. C’est le monde subjectif de Macbeth, une nature à l’état brut, qui apparaitra sous forme de vidéos, comme si on était dans la tête de Macbeth. » Et il y aura aussi des vidéos tournées en direct, notamment pendant le banquet du couronnement, filmé comme un événement mondain. La nature, la dimension fantastique, certes. Mais que reste-t-il des rebelles anglo-écossais de Malcolm et Macduff et de l’avancée de la forêt de Birnam ? Avec une logique imparable, Ivo van Hove les fait revivre à travers le mouvement Occupy Wall Street (OWS) – homologue des « indignés » européens. « C’est le mouvement le plus intéressant de ces dernières années. Ils ne manifestent pas pour demander plus de travail, ils disent : il faut s’arrêter et réfléchir. Avant leur éviction par la police, ils sont restés sous leurs tentes à New York, en débats, en chansons, comme une nouvelle communauté. Ce mouvement est comme la forêt de Birnam pour moi. Je veux le voir investir le gratte-ciel, portant ses tentes comme les branches des arbres. Les OWS militent pour la recherche d’un nouveau futur. Ils sont porteurs d’une espérance. C’est exactement ce qu’il y a dans le Macbeth de Verdi, la naissance d’un espoir. »

/Jean-Louis Perrier

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DE NEDERLANDSE OPERA AMSTERDAM 2012-2013: DER SCHATZGRÄBER de Franz SCHREKER le 23 septembre 2012 (Dir.Mus: Marc ALBRECHT Ms en scène Ivo van HOVE)

La pendaison, acte II ©Monika Rittershaus/DNO

C’est un début de saison « Schreker », avec cette série de représentations de « Der Schatzgräber » à Amsterdam, et celles de « Der ferne Klang » dans quelques semaines à Strasbourg.

Franz Schreker en 1912

Franz Schreker, orignaire d’Autriche,  né en 1878, est l’un de ces compositeurs de la première moitié du XXème siècle, qui a rencontré tôt le succès (dont Der Ferne Klang, en 1912, qui l’a projeté au premier plan de la vie musicale européenne, ou Der Schatzgräber, en 1920,  plus de 350 représentations jusqu’à 1932 dans plus de cinquante théâtres en Europe), comparables à ceux d’un Richard Strauss, qui a occupé des postes enviables dans le monde de la musique (directeur du conservatoire de Vienne, puis de Berlin), fondateur de la très prestigieuse Gesellschaft der Musikfreunde de Vienne et qui, à cause de ses origines juives (même si son père s’est converti au protestantisme), a été boycotté par les nazis, qui ont voulu effacer une œuvre qui commençait à devenir une référence dans le monde de la musique germanique. Schreker meurt en 1934, à  56 ans, et son œuvre avec lui ou quasi. Et tout ce répertoire de musique dite « dégénérée »  ne s’est pas relevé de cet autre holocauste, celui de l’art et de la musique que les nazis ont bannis.
Une fois de plus c’est à Amsterdam qu’il faut aller pour écouter ces œuvres rares, et superbes. La caractéristique d’Amsterdam est d’être un théâtre au répertoire riche et souvent original, dans des productions toujours au minimum très soignées, et une exécution musicale de haute qualité, avec distributions sans stars, mais toujours d’un très bon niveau. On ne perdra jamais son temps à aller voir un spectacle à Amsterdam.  J’y avais vu il y a cinq ans Die Gezeichneten, dirigés par Ingo Metzmacher, alors directeur musical d’Amsterdam, dans une production extraordinaire de Martin Kužej et ce fut la révélation d’une musique puissante, colorée, violente, qui emporte les salles.
C’est de nouveau à Amsterdam qu’il fallait aller en ce début septembre pour Der Schatzgräber, le chercheur (découvreur) de trésors, une œuvre qui eu un très gros succès à la création en 1920, l’un des plus gros succès de l’époque, et tombée dans l’oubli; il en existe un enregistrement chez Capriccio, téléchargeable en ligne, et on doit chercher comme une aiguille dans une botte de foin les productions de Der Schatzgräber proposées par les théâtres européens. C’était la dernière, en ce dimanche ensoleillé et le public malheureusement n’a pas répondu en masse, tous les côtés de la salle étaient vides.
Quelle erreur! quelle erreur! quelle erreur! et QUELLE MUSIQUE!!
Comme il est agréable de découvrir un univers, une œuvre, qui vous prend et vous accroche, dont la musique vous envahit, et qu’on a immédiatement envie de réentendre, d’approfondir, dont on a envie de jouir, et qui tombe sur vous comme une évidence.
C’est à la fois une musique où l’on reconnaît plein d’influences, Schönberg, Mahler, Wagner, mais aussi et c’est encore plus surprenant et plus évident, Puccini, le Puccini du Trittico: on se remet à penser l’idée de l’opéra de Lyon de rapprocher le Trittico de Puccini d’œuvres germaniques de la période (ceux qui prennent Puccini pour un vériste sirupeux en sont pour leur frais…)
C’est une musique riche, chaleureuse, chatoyante, d’une force rare, d’une énergie étonnante, et qui sait à certains moments s’adoucir jusqu’au sublime, la scène d’amour du troisième acte est littéralement bouleversante, la scène du banquet du quatrième acte d’une très grande puissance, sans parler de l’épilogue, qui distille une  émotion intense.
C’est enfin malgré les influences lisibles une musique qui a une forte personnalité, qui n’est pas une pâle copie de l’un ou de l’autre, mais où les références sont digérées, malaxées, colorées, de la couleur de ce compositeur étonnant, et étonnamment oublié: ce sont de grands plateaux, de grandes scènes qu’il lui faut, c’est un compositeur pour grand théâtre.
Et lorsque la musique vous porte, et que le metteur en scène, Ivo van Hove (encore lui, vous savez, celui du Misanthrope de la Schaubühne vu à Paris, et celui qui dans trois semaines, fait Macbeth de Verdi à Lyon) réussit un spectacle épuré , d’une simplicité presque glaçante quelquefois, d’une poésie profonde à d’autres, dans un espace presque unique avec des projections vidéos à la fois illustratives, mais aussi presque musicales tant leur rythme accompagne la musique, alors vous en sortez bouleversé. Quelle musique! oui! Et quel spectacle!
Il convient de dire deux mots de l’histoire et du livret, signé par le compositeur. C’est un conte triste et mélancolique.
La reine a perdu ses bijoux et avec eux sa beauté et sa fertilité. Le bouffon du roi connaît  un ménestrel errant, Elis, dont le luth magique lui indique tous les trésors cachés. Le roi promet au bouffon que l’on lui permettra de choisir une femme comme  récompense, si Elis peut trouver les bijoux.(Prologue)
Els, la fille de l’aubergiste, doit épouser un jeune noble brutal mais riche qu’elle méprise. Elle l’envoie donc chercher les bijoux de la reine en forêt et le fait assassiner par Albi, son serviteur. Le ménestrel Elis se présente à Els avec un collier qu’il a trouvé dans les bois. Els tombe amoureuse du  ménestrel, mais le cadavre du noble  est trouvé dans les bois; le bailli, qui désire Els, arrête Elis pour le meurtre.(Acte I)
Elis doit être pendu. Els cherche le conseil du bouffon, qui promet de l’aider. mais le messager du roi arrête l’exécution au dernier moment, pour qu’ Elis puisse  aller à la recherche des bijoux. Pour éviter d’être soupçonnée , Els ordonne àAlbi de voler à Elis le luth magique du ménestrel.(Acte II)

Manuela Uhl (Els), Raymond Very (Elis) Acte III, ©Monika Rittershaus/DNO

Pendant une nuit d’amour, Els se montre  à Elis recouverte de ces bijoux splendides. Elle les lui remet , à condition qu’il ne lui en demande jamais  la provenance et qu’il garde une totale confiance en elle.(Acte III)
Elis a rendu les bijoux à la reine. Pendant un banquet, le bailli intervient et annonce qu’Albi a avoué le meurtre. Els est dénoncé comme la commanditaire  du meurtre et le bailli exige de son exécution immédiate. Mais le bouffon rappelle au roi  sa promesse : il choisit Els comme épouse et la sauve ainsi de l’exécution.(Acte IV)
Epilogue:
Un an plus tard, Els se meurt. Seul le bouffon est resté avec elle. Il va chercher le ménestrel, qui chante pour Els  la plus belle de ses ballades . Elle meurt dans ses bras.
(Traduit de Wikipedia).
Sur le vaste plateau de l’opéra d’Amsterdam, très large (il avoisine la largeur du Grosses Festspielhaus de Salzbourg, Ivo van Hove et son décorateur Jan Versweyveld ont conçu un dispositif unique, deux murs écrans en angle percés au milieu par deux ouvertures de scène laissant s’insérer des décors qui changent d’acte en acte.

Manuela Uhl (Elis) Acte I ©Monika Rittershaus/DNO

Une salle de café avec d’un côté une banquette, de l’autre un comptoir (Acte I), une salle d’exécution à l’américaine avec d’un côté la potence dans une ambiance un peu clinique, de l’autre des gradins pour les spectateurs (Acte II), une chambre à coucher,  avec à gauche un lit, de l’autre une coiffeuse et une baie vitrée (Acte III), des espaces libres sur l’arrière scène pour l’acte IV (la cour), et la façade d’un chalet pour l’épilogue. l’ambiance renvoie au cinéma américain, petit peuple, petits chefs, forestiers, brefs, des gens rudes, où le roi et son bouffon pourraient personnifier tous de les fonctionnaires de pouvoir. Le livret est suivi scrupuleusement, avec sa violence, ses émotions, sans rien souligner, laissant se dérouler le récit, comme dans un film. Quelques scènes sont réglées admirablement, comme celle de l’exécution au deuxième acte où Van Hove s’intéresse particulièrement aux spectateurs de l’exécution assis sur les gradins, avec un magnifique travail sur les groupes, qu’on retrouve dans l’acte IV (le banquet à la cour) où apparaît une cour et un roi vieillis, avec cannes, béquilles , déambulateurs et fauteuils roulants, venus du fond à travers une brume, comme une apparition de nulle part, et vieillis sans doute par la disparition de bijoux, sortes de pommes d’or de Freia qui prémunissent du vieillissement. Magnifique aussi, et même bouleversant, tout le troisième acte, scène amour entre Els et Elis, très proche du deuxième acte de Tristan, où une magnifique vidéo ( de Tal Yarden) – un peu longue peut-être- d’un couple se découvrant mutuellement renforce l’émotion musicale et scénique sans redondance: un moment unique de retenue, de pure beauté, un moment de suspension qui tranche d’ailleurs avec la trivialité de cette histoire de bijoux volés et qui nous projette dans une ambiance « autre », produite par toutes les vidéos d’ailleurs, forêt profonde, eau agitée d’un torrent, très jeune fille, projection de Els, qui se promène, saute de rocher en rocher le long de l’eau, sorte de vision d’un idéal d’innocence détruit dès le départ de l’histoire par le vol des bijoux et les péripéties du drame de Els. Et puis cette scène finale, dans un chalet bucolique au milieu de la forêt, où Els s’éloigne vers la projection de la jeune fille caressant un cheval, allant vers son paradis, laissant sur la terre et Elis, et le bouffon, et le luth  pendant désormais inutilement à la balustrade. Histoire d’amour forte et impossible, de cette Els d’abord « vendue » à un riche noble, puis au puissant bouffon, et qui ne croise vraiment son seul amour qu’une fois pour aimer et l’autre pour mourir.
Cette vision très épurée et aussi très distanciée, rencontre une musique luxuriante, débordante, et renforce l’émotion. Elle est dirigée avec brio, énergie, précision par le directeur musical de l’opéra, Marc Albrecht (dont le père Gerd Albrecht a enregistré justement l’œuvre chez Capriccio), suivi de manière très serrée par l’Orchestre Philharmonique des Pays Bas, excellent (cuivres!) à tous les pupitres . Rappelons ce cas bizarre de l’Opéra d’Amsterdam, qui a un chœur, un directeur musical, mais pas d’orchestre: dans la fosse alternent les grands orchestres du pays, dont le Concertgebouw, la plupart du temps une fois par an et certains directeurs musicaux disaient être des généraux sans armée (Ingo Metzmacher). Marc Albrecht est à l’aise dans ce répertoire de la première moitié du siècle, rappelons pour mémoire sa Frau ohne Schatten de Milan au printemps dernier et se révèle un grand chef d’opéra. Les interventions du chœur (Chef de chœur Alan Woodbridge, qui dirige aussi le chœur de l’Opéra de Lyon) sont puissantes, et fortes (deuxième et quatrième acte) le chœur de l’opéra d’Amsterdam étant l’un des plus engagés scéniquement en Europe.
Si tout cela est une très grande réussite, il faut reconnaître que du point de vue vocal, on n’a pas atteint le niveau requis pour une œuvre pareille, qui demanderait de très grands chanteurs, de type Vogt pour Elis et Fleming pour Els. Mais attirer des stars sur une oeuvre qu’ils ne rechanteront probablement pas est du domaine de la gageure. Si les rôles secondaires sont bien tenus, le roi de Tijl Faveyts le chancelier de Alisdair Eliott,  l’Albi de Gordon Gietz ou le bailli de Kay Stiefermann, les rôles principaux manquent de puissance, notamment l’Elis de Raymond Very, souvent couvert par l’orchestre ou disparaissant dans les ensembles, alors que son rôle est justement de chanter de manière magique, et la Els de Manuela Uhl, intense, mais sans appui ferme, sans graves, avec une voix jolie, mais pas toujours vraiment projetée. Même si tous les deux sont honorables,  ils n’arrivent pas vraiment à s’imposer vocalement.

Raymond Very (Elis) Manuela Uhl (Els) Graham Clark (Der Narr) @Monika Rittershaus/DNO

Ce n’est pas le cas du bouffon de Graham Clark, seul chanteur internationalement connu, qui dans cette mise en scène est un bouffon bien gris, fonctionnaire de pouvoir très retenu, qui impose sa voix encore puissante et claire et un timbre nasal qui convient bien au rôle  , dont on comprend tout les mots: quelle diction! (Ah! l’école anglo-saxonne…). Belle prestation, gros succès.
Mais malgré quelques  menues réserves, on sort marqué de ce spectacle , et désireux d’en entendre plus, d’en découvrir plus, et surtout avec des images et des moments qui restent vraiment imprimés en soi. Une fois de plus Amsterdam a tapé dans le mille, et montre un certain chemin, sans concession, ouvert, et surtout prodigieusement intelligent.

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Epilogue ©Monika Rittershaus/DNO

 

 

THÉÂTRE À LA SCHAUBÜHNE DE BERLIN le 17 avril 2012: EDOUARD II de Christopher MARLOWE (Ms en scène: Ivo VAN HOVE avec Stefan STERN, Christoph GAWENDA et Kay Bartholomäus SCHULZE)

Stefan Stern & Christoph Gawenda ©Jan Versweyveld

Ils viennent de triompher à Paris, et de passage à Berlin, j’ai voulu aller revoir cette troupe étonnante, très jeune, formée à l’école de Thomas Ostermeier dans une des nouvelles productions de la saison (première le 17 décembre 2011), Edouard II, de Christopher Marlowe,  mise en scène de Ivo van Hove, le metteur en scène du Misanthrope que le public parisien a pu voir fin mars aux ateliers Berthier. C’est l’occasion d’approfondir ma connaissance de l’univers de van Hove et de revoir certains comédiens dans des rôles radicalement différents: David Ruland, l’Oronte du Misanthrope, est Kent, le demi-frère d’Edouard, Stefan Stern, l’excellent Lucio de Mesure pour Mesure, est Edward II, Bernardo Arias Porras, le Claudio et la Mariana de Mesure pour Mesure est ici le prince Edouard, futur Edouard III.
J’ai un grand souvenir de cette pièce mise en scène en 1981 par Bernard Sobel, au théâtre de Gennevilliers, dans un dispositif où l’espace de jeu était central, comme un espace de combat, avec des gradins de chaque côté, et une impression de proximité qui renforçait la violence, Edouard II était l’immense Philippe Clevenot, Gaveston l’alors très jeune Daniel Briquet.

Christopher Marlowe

Christopher Marlowe, mort assassiné en 1593, a eu une de ces vies troubles, à la Caravage, où il affiche ses préférences pour les garçons, où il sert d’espion probablement pour chasser le catholique, il peut se permettre beaucoup de choses, parce qu’il est considéré comme le plus grand des dramaturges de l’époque: il jouit d’une grande célébrité et la célébrité est aussi l’antichambre de l’impunité. Edouard II est sa dernière pièce (1592), et reprend une chronique sur le règne du roi sodomite qui ne correspond pas forcément à la réalité, et la pièce concentre un certain nombre d’épisodes en réalité bien plus étalés dans le temps. On a coutume de penser que c’est la première pièce « homosexuelle » de la littérature, mais la notion d' »homosexualité »naîtra bien plus tard, au XIXème siècle. L’amitié entre hommes, « virile »,  ne choque pas à l’époque, bien au contraire, c’est une grande tradition depuis le « De amicitia » de Cicéron que de célébrer l’amitié, pensons à Montaigne et La Boétie, et le XVIIème siècle continue la tradition. Que cette amitié se transforme en relation physique n’est pas une question qui se pose. Ce qui est banni, depuis l’antiquité, c’est la sodomie. C’est elle que vise la très sévère loi anglaise de 1533 (de Buggery) . Peut-être Marlowe veut-il en écrivant Edouard II revenir sur cette loi, ou reprendre le débat. Il reste que, plus que par l’homosexualité ou la débauche, ce qui perd Edouard II, c’est d’utiliser son pouvoir pour promouvoir des hommes au statut social inférieur (Gaveston, Spencer): cela heurte les barons. C’est l’éternelle lutte du pouvoir royal contre les féodaux (au Moyen Âge) ou la classe nobiliaire (La Fronde en France), dont l’histoire connaît de nombreux exemples. Même si c’est cet aspect politique qui contribue à la chute d’Edouard, il faut y ajouter le rôle de la reine Isabelle (fille de Philippe le Bel), délaissée, qui va prendre amant (Roger Mortimer de Wigmore), et qui va après la mort d’Edouard régner avec son amant sur l’Angleterre, jusqu’à ce que Edouard III son fils ne fasse condamner  Mortimer à mort et n’emprisonne sa mère. C’est cette histoire qui sera la cause indirecte de la guerre de Cent ans, le stratège Edouard III revendiquant la couronne de France, comme héritier en ligne directe de Philippe Le Bel. Ceux qui ont lu « Les Rois Maudits », de Maurice Druon, connaissent l’épisode.
Voilà donc des éléments de contexte, sur lesquels Ivo van Hove va construire un travail qui a volontairement éloigné l’idée de drame historique, mais qui a centré sa mise en scène sur la violence des relations entre les hommes: crime, sexe, sang, passion étaient la vie de Marlowe au quotidien. Van Hove va jeter le crime le sexe, le sang, la passion dans un espace unique, et va créer une alchimie du crime dans un univers clos: l’univers carcéral. La prison comme espace tragique, un espace d’où l’on ne sort pas,  où se construisent des pouvoirs de petits potentats, des complots, où l’on se bat, où l’on tue, où l’on viole, un monde « monosexuel » (il n’y a que des hommes) où les relations affectives se pervertissent et s’exacerbent. Voilà ce que nous montre Ivo van Hove, dans un spectacle puissant qui cependant ne m’a pas parlé autant que le Misanthrope.
Le dispositif scénique de Jan Versweyfeld qui crée un univers de métal glacé, limité au fond par un immense store métallique est structuré entre huit cellules, séparées par des cloisons de béton, grilles vers les spectateurs, grilles au dessus, grilles vers l’arrière scène, qui comprend à droite des douches, à gauche un équipement d’entraînement aux haltères. Au centre un corridor qui mène à la place du surveillant surélevée qui  suit tout en vidéo. Derrière, un écran vidéo, et des caméras sur l’avant scène et les côtés qui reprennent, comme dans le Misanthrope, des scènes, des visages sous un autre angle.

©Jan Versweyveld

Dans cette mise en scène  le corps a évidemment une importance particulière, corps érotisé lorsque les amants s’étreignent, se touchent, s’embrassent fougueusement: les personnages sont tantôt vêtus, tantôt en sous-vêtements, tantôt nus, sous la douche, ou recroquevillés dans ou sous leur paillasse. corps couvert de boue du roi déchu: c’est le corps dans tous ses états.

Agression de Gaveston ©Jan Versweyveld

Les affrontement verbaux ou physiques sont fréquents, violents. Dans ce monde d’hommes, la reine Isabelle est un détenu, jouée par le magistral Kay Bartholomäus Schulze, discrètement féminisé au départ, mais dont chaque geste, chaque attitude est ambiguë, et en fait une sorte de poupée aux mains de Mortimer ( Paul Herwig, excellent notamment dans son monologue suivi aussi à la caméra, qui souligne des expressions fulgurantes), de poupée qui peu à peu se met en manœuvre y compris pour re-séduire

Stefan Stern & Kay Bartholomäus Schulze ©Jan Versweyveld

Edouard (dans l’histoire, Edouard a eu tout de même un enfant d’elle, et Gaveston était marié et père). Quelques scènes sont vraiment magnifiquement cosntruites: Gaveston (Christoph Gawenda, à la fois arrogant de jeunesse et d’immaturité) et Edouard (Stefan Stern, qui porte dans la voix à la fois sa passion dévorante mais aussi sa solitude et son impuissance, une magnifique composition) se parlent se touchent se cherchent d’une cellule à l’autre avec une urgence brûlante, ou bien la bataille, sorte de mutinerie où le jeu des fumigènes et des plumes d’un oreiller qu’on a secoué donnent de la prison une sorte de paysage halluciné. Autre image magnifique, la mort dérisoire d’Edouard, corps meurtri, couvert de boue et encore désirant est vraiment saisissante, une mort d’Edouard, non pas comme dans la légende, empalé sur un pal en métal rougi au feu, mais ici poignardé, déchiré au cours d’une étreinte avec son meurtrier (les relations entre Edouard et son meurtrier sont l’objet d’un dialogue ambigu, fait de douceur, de tendresse même); les meurtres (et il y en a beaucoup) sont tous pratiqués de la même manière par le gardien de la prison (Leicester) sorte d’exécuteur des hautes œuvres qui étouffe les victimes avec un sac de plastique rouge

©Jan Versweyveld

(vision au ralenti de l’étouffement sur l’écran). La fin m’a moins convaincu, dans une sorte de vision grand-guignolesque où Isabelle est poignardée par son fils et où le sang pisse abondamment pendant que sur l’écran vidéo le gardien (le meurtrier) reprend le métro, rentre chez lui où son épouse souriante lui prépare la « pasta » (dans la réalité, il sera lui aussi trucidé pour ne pas laisser de traces) Le tout accompagné soit de musique électronique, soit de musique médiévale, dont la distance avec la scène renforce la violence ambiante.

©Jan Versweyveld

C’est un monde de clans, de soumissions, de chefs, de rivaux, de meurtres, d’ amours violentes et crues (scène de sodomie) que van Hove nous propose, comme s’il lisait dans le texte de Marlowe une sorte de message universel sur l’humanité déshumanisée ou au contraire trop humaine et débordante de faiblesse, en proie à toutes les passions qui passent, celle de la chair comme celle du pouvoir et comme celle de la mort et comme si la vision au total étouffante de cet univers carcéral en faisait une métaphore de notre univers. D’ailleurs il donne à chaque moment un titre générique, « Complot », « Politique », »Amour », « Mort d’Edouard II » comme les chapitres qui s’égrèneraient d’une chronique qui venue du fond des âges.

On ne peut que souligner le jeu de chacun, la liberté corporelle, le sens du travail de troupe: il faut que les acteurs aient l’habitude de travailler ensemble pour gérer ce type de jeu. C’est un théâtre évidemment qui agresse, qui ménage peu le public et les éventuelles âmes sensibles (mais ceux qui vont voir Edouard II savent à quoi s’attendre), mais c’est aussi cette fois un théâtre un peu plus attendu. En jetant en pâture au public un tel univers, on n’a aucune surprise et c’est peut-être cela qui fait défaut au spectacle: la première partie (un peu longuette quelquefois) passée, on est tout de même dans la répétition de motifs qui deviennent à chaque fois plus âpres et plus violents, en un crescendo tendu, mais qui ne changent plus de nature. C’est ma réserve: un très bon spectacle, magnifiquement joué et imposé, mais qui ne m’a pas vraiment appris grand chose, au contraire du Misanthrope ou de Mesure pour Mesure.
On sort content, mais pas bouleversé.
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THÉÂTRE À L’ODÉON (ATELIERS BERTHIER) le 27 FÉVRIER 2012: LE MISANTHROPE/DER MENSCHENFEIND (MOLIÈRE) PAR LA SCHAUBÜHNE DE BERLIN (Ms en scène : IVO VAN HOVE, avec LARS EIDINGER et JUDITH ROSMAIR)

J’ai évidemment voulu revoir ce spectacle vu en janvier 2011 qui m’a marqué et qui m’a fait mieux découvrir le travail de Ivo van Hove. C’était le 27 février la première parisienne et le public, à part une dizaine de départs anticipés, a réagi plutôt positivement à ce Misanthrope un peu particulier. Des jeunes d’une classe criaient d’ailleurs leur enthousiasme, ce qui est plutôt sympathique. Le spectacle qui fait abondamment appel aux mythes « Apple » du jour et qui est construit sur une alternance scène et vidéo sans laquelle il ne fonctionnerait pas, se présente tel que je l’avais découvert il y a un peu plus d’un an et et tel que j’en avais rendu compte sur ce blog. Quelques remarques cependant: Lars Eidinger est toujours cet Alceste repoussant (moins cependant que dans mon souvenir à Berlin et moins que sur les photos de scène), et en même temps bouleversant avec sa voix chaude, douce, et ses crises insupportables, y compris lorsqu’il chante « Honesty » de Billy Joel, où il est vraiment exceptionnel face à Oronte. Philinte (Sebastian Schwarz) a, me semble-t-il, gagné en consistance et en profondeur par rapport à janvier 2011, il a une vraie présence apaisante qui en fait une sorte de négatif visible d’Alceste. J’ai été séduit par Jenny König (Eliante), qui campe une  Eliante toute retenue, mais toute énergique,  remarquable face à un Alceste qui l’instrumentalise: la mise en scène du rapport Eliante-Alceste est très serrée et souligne l’ambiguïté d’Alceste qui joue avec elle, authentiquement sincère, la totale insincérité en dépit qu’il en ait.
La scène entre Célimène et Arsinoé est traitée avec un jeu très précis entre la scène et le regard de la vidéo qui accentue les gros plans sur les deux personnages. Avantages du cinéma et du théâtre pour traiter deux visages d’une rare expressivité, l’un plus marqué, l’autre tendu mais jeune, deux actrices très contrôlées, dans une des scènes les plus connues de la pièce, où il n’y a pas de comique de situation, mais beaucoup plus de tension que d’habitude, dans un jeu qui engage à fond, au delà de la parole qui est pourtant essentielle dans cette scène .
Ce qui m’a frappé encore plus que la première fois, c’est justement cette tension qui court toute la pièce:  les scènes sont jouées souvent lentement, puis montent progressivement en tension jusqu’à l’explosion, explosion d’une violence de la parole, de violence entre les personnes (la scène du sonnet d’Oronte en est le modèle), violence du sexe et des rapports au corps: Alceste et Célimène bien sûr, car Célimène est un corps en permanence offert, qui semble en permanence disponible, mais aussi Alceste et Eliante, de manière encore plus violente peut-être à cause de la résistance d’Eliante qui nous mène proche du viol. Et même Arsinoé et Alceste, qu’elle poursuit, qu’elle effleure, contre qui elle se blottit. Mais aussi corps d’Alceste, sali, détruit, et pourtant encore érotisé.
Au total, une expérience forte, inhabituelle, qui montre un Alceste qui rompt tout vernis social, toute trace de rapport humain dans un choix résolu de l’autodestruction et qui finit pourtant par retrouver Célimène à la fin, dans une sorte d’isolement de la chair, puisque le rideau tombe sur leur étreinte.
Post Scriptum: le jeu sur la lance de pompiers dans la dernière scène. Lors de la représentation de Berlin, elle avait échappé des mains d’Alceste et arrosé le public et j’avais pris cela pour un accident. On retrouve exactement le même jeu, y compris sur les rires entre Alceste et Célimène, au milieu d’une scène finale plutôt grise et tendue (Eliante/Philinte d’un côté, immobiles, et Alceste/Célimène de l’autre, dans une sorte de poursuite.) . Ce n’était donc pas un accident, mais faisait partie du jeu, à moins que l’incident ait donné ensuite l’idée d’un jeu, c’est aussi possible. Mystères du théâtre…

En tous cas, de nouveau me frappent les performances d’acteurs, tous excellents, à commencer par Lars Eidinger et Judith Rosmair, et la précision extrême du travail de mise en scène, notamment le jeu sur la vidéo et le plateau, le jeu dedans/dehors, coulisses/plateau: les acteurs attendent leur scène dans un espace de loges: on est au théâtre, tout cela est un jeu sur l’apparence semble dire Ivo van Hove,  espace de jeu, espace d’attente se mélangent puisque la caméra poursuit chacun et s’en moque . J’ai été aussi fasciné par le travail sur le rythme de la parole, sur la modulation de la voix (les acteurs sont munis de micros qui amplifient légèrement): la première scène est à ce titre exemplaire, avec un Alceste tout intériorisé, qui finit par exploser avec Oronte, pour ne pas cesser ensuite de se « distancier ».
Enfin, la distance comique a largement puisé ce soir dans l’utilisation par moments d’expressions françaises (les propositions très crues d’Oronte à Célimène par exemple) qui détendent l’atmosphère et provoquent des rires, mais les moments du rire restent grinçants, tant la vision sociale qui nous est soumise est aussi proche du nous.
Je ne peux évidemment que conseiller d’aller voir ce Molière, qui montre tout de même le terreau inépuisable qu’il constitue.

THÉÂTRE A LA SCHAUBÜHNE DE BERLIN: LE MISANTHROPE/DER MENSCHENFEIND de MOLIERE (Mise en scène: Ivo van HOVE, avec Lars EIDINGER et Judith ROSMAIR) le 8 janvier 2011

c-jan-versweyveld-0496.1294789089.jpgPhoto Jan Versweyveld

Etant  ce dernier week-end à Berlin pour revoir « La résistible ascension d’Arturo Ui », en passant devant la Schaubühne, j’ai vu que Le Misanthrope (Der Menschenfeind) est programmé. La curiosité est grande de voir ce que le temple du « Regietheater » propose de faire de la pièce de Molière, et je prends l’un des tout derniers billets pour la représentation du samedi soir 8 janvier.
Le Misanthrope est le spectacle d’ouverture de saison de la Schaubühne cette année (Première le 19 septembre 2010); la mise en scène est signée Ivo van Hove dont on a vu à Avignon en 2008 des Shakespeare très remarqués et à Créteil un travail passionnant sur Cassavetes. Ivo van Hove, actuellement directeur du Toneelgroep Amsterdam, depuis 2001, fait partie de cette génération de metteurs en scène flamands qui sont aujourd’hui à la pointe du travail théâtral européen. Dans la ligne de ses Shakespeare d’Avignon, il utilise crûment les classiques d’hier pour montrer crûment les problèmes d’aujourd’hui.

Le Misanthrope, qui fut la première pièce de Molière à être « actualisée » dans des mises en scènes (jouée en costumes modernes dès les années 60) se prête bien à ce type de lecture, elle qui dénonce à la fois les mythes (la vérité à tout crins, la « transparence »  font aussi problème aujourd’hui, on le voit avec le débat autour de l’affaire Wikileaks) mais aussi les hypocrisies sociales, les réseaux, les faux semblants et les codes . Aussi personne ne peut s’étonner de trouver un décor très « high teck », d’une immaculée blancheur, avec un mur d’écrans, et deux parois de verre séparant sur les côtés l’espace scénique  de caméras vidéos ominiprésentes qui élargissent les points de vue et relativisent les regards, personne ne s’étonnera non plus que tout ce beau monde (pantalon, chemise ouverte, pieds nus, ou jupes très échancrées-sauf Arsinoé…en pantalon noir-) utilise les gadgets du jour: Oronte lit son sonnet sur un I-Pad, Alceste écoute son I-Phone pendant que Philinte lui parle, et les lettres de Célimène à Acaste et Clitandre sont elles aussi transformées en déclarations sur I-Pad. Des caméras vidéo suivent donc la représentation, sur scène offrant les acteurs au regard sous des angles divers , gros plans, orientations latérales, et hors scène (l’arrière scène représente des loges de comédiens), voire sur le trottoir ravagé par la fonte des neiges en ce Berlin hivernal. Les espaces de jeu sont multipliés grâce à ces vidéos où les acteurs jouent évidemment en direct. L’acte I est assez classique, même si l’ambiance est très grise, voire sombre. La scène avec Philinte est terriblement amère,et  même la scène du sonnet d’Oronte est réglée (I-Pad compris) assez traditionnellement, et très bien réglée d’ailleurs (la manière dont Alceste se retient est désopilante). Tout bascule dans la grande scène IV de l’acte II où tout le monde se retrouve à écouter Célimène régler ses comptes avec des personnages de la bonne société.

Avantrepas.1294789457.jpgscene.1294789558.jpgAprès

Nous sommes autour d’une table, chacun a apporté des victuailles, pâtes, pastèque, biscuits, gâteaux à la crème, vin et Célimène est la vedette du jour, elle fait ses portraits, tantôt aux convives tantôt au téléphone, quand Alceste rompt la fête sociale en s’allongeant sur la table, et commençant à s’asperger des victuailles présentes, il se verse de la sauce au chocolat, du « rote Grütze », fruits rouges en gelée, il se couvre le visage de tartes, et enfin baissant son pantalon il s’enfonce dans un autre orifice des saucisses viennoises (vu en gros plan grâce à la caméra), pendant qu’une baguette de pain se substitue triomphalement à son appendice érectile. A partir de ce moment, ce n’est plus le Misanthrope, mais le Misantrash. Alceste bascule dans l’absolu de l’excès devenant toujours plus sale, toujours plus repoussant, gluant, devenant vraiment celui qu’on a envie de voir disparaître. Alceste poursuit Célimène jusque dans la rue, revient, les pieds nus infectes de saleté, avec trois énormes sacs d’immondices qu’il déverse sur scène, et pour finir, arrose toute la scène, et sa partenaire, avec une lance à incendie (ce soir elle lui a échappé des mains et a arrosé le public, donnant une couleur burlesque à une scène finale qui se voulait tout en retenue et qui de ce fait rate un peu son objectif).
Je sens bien à mesure que je raconte le spectacle, que le lecteur a l’impression d’une mise en scène encore déjantée, décalée, difficilement acceptable, comme en a quelquefois le secret le théâtre allemand.

Pourtant, trois jours après, j’y pense et je n’oublie pas.
Au-delà du gadget, des débordements et de l’excès, c’est bien de cet excès même dont la pièce est porteuse. Alceste par son exigence est proprement insupportable à son entourage, comme tous les personnages maniaques de la galerie moliéresque: c’est un destructeur, destructeur d’ordre social, destructeur de tissu social, destructeur d’amitié. En détruisant, il se détruit lui-même et cette destruction finit par faire rire, comme les tartes à la crème que se lancent les clowns. Tout finit dans une clownerie cynique.
En rendant le personnage extrême, difficile même à regarder tant il est repoussant et pathétique à force d’être repoussoir, Ivo van Hove se situe bien au centre dela problématique, orientant le regard du spectateur vers un ressenti probablement proche de ce que le spectateur du XVIIème siècle devait éprouver à la vue de ce zombie, détruisant ainsi tout le capital de sympathie qu’Alceste en général provoque chez le spectateur d’aujourd’hui.

Le cas de Célimène est un peu différent. La « coquette » du XVIIème devient chez Van Hove une sorte de femme libérée, libre de son corps et cultivant plusieurs relations parallèles, elle est comme chez Molière tout ce qu’Alceste n’accepte pas, et aussi tout ce qu’il supporte de manière désespérée chez elle, par la force de l’amour et du désir, fortement souligné sur scène. Elle tient les hommes non par le discours, mais bien par le corps : le corps de Célimène est agressivement omniprésent, et la belle Judith Rosmair prête au personnage ses formes séduisantes et avantageuses qui passent tour à tour dans les mains et sur les lèvres d’Alceste, d’Oronte, d’Acaste et de Clitandre.
index.1294789525.jpgLars Eidinger est Alceste: sa voix douce et chaude fait contraste avec la violence démonstrative de l’engagement (qui doit lui  valoir une longue douche au sortir du spectacle). Cet acteur, l’un des grands de la Schaubühne (on l’a vu dans Tesmar de Hedda Gabler et dans le docteur Rank de Nora-Maison de Poupée-montés par Thomas Ostermeier). C’est un acteur qui ose, qui s’expose, de manière incroyable, une véritable explosion.2.1294789540.jpg Sa performance en Alceste est étonnante, pour tant et tant de raisons, il est vraiment exceptionnel.
Notons aussi l’Arsinoé de Corinna Kirchhoff, bien connue du public allemand, toute de noir vêtue, très rigide et droite au milieu de tous ces corps qui bougent, à la voix égale et tendue, au milieu de toutes ces voix qui crient, elle est tout sauf ridicule, et de fait, la scène avec Célimène où chacune joue à « l’amie qui vous veut du bien » (Acte III scène IV) n’est pas aussi amusante que d’habitude, mais d’une extrême tension. Les autres comédiens sont remarquables,  la mise en scène en fait souvent des spectateurs interdits des excès d’Alceste, Philinte (Sebastian Schwarz, 26 ans un des acteurs montants de la Schaubühne) quant à lui reste l’honnête homme équilibré, jusqu’au moment où il « éclate » lui aussi, tandis qu’Eliante (Lea Draeger) est un miracle de discrétion au milieu de ce monde agité.

Au total, ai-je aimé? Peut-on aimer un spectacle qui reste par bien des côtés difficile à supporter tant il « casse » les Misanthrope qu’on a l’habitude de voir? Après trois jours, cette représentation  reste en mémoire, et plus on en remonte les fils, plus on en saisit les choix, il se produit une sorte de cristallisation. Van Hove nous montre l’insupportable social, il prend de la distance à la fois avec la société avec ses mythes passagers (les produits Apple à la mode) et celui qui la pourfend, complètement (auto)destructeur, et qui finalement à la toute fin, retrouve Célimène (ils s’embrassent sauvagement au baisser de rideau) après l’avoir honnie: voudrait-on dire qu’il retrouve le monde? et nous dire que tout cela était bien inutile?

c-jan-versweyveld-6997.1294788903.jpgPhoto Jan Versweyveld