LA SAISON 2022-2023 DU THEATER AN DER WIEN

L’autre opéra à Vienne.
Le Theater an der Wien est la salle historique de Vienne, construite au tout début du XIXe à l’instigation d’Emanuel Schikaneder, le librettiste de Die Zauberflöte (La flûte enchantée) où ont été notamment créés Fidelio et deux des plus grandes opérettes viennoises, Die Fledermaus (la Chauve Souris) de Johann Strauss II en 1874 et Die lustige Witwe (La veuve joyeuse) de  Franz Lehár en 1905.  Bien antérieure à la Haus am Ring, l’actuelle Wiener Staatsoper qui l’a d’ailleurs utilisée comme salle de remplacement après la deuxième guerre mondiale, et plus récemment lorsque des productions naissaient dans le cadre du Festival de Vienne (Wiener Festwochen), comme les premières de Don Giovanni (1990, Claudio Abbado/Luc Bondy ou 1999 Riccardo Muti/Roberto De Simone),  Le nozze di Figaro (1991 Claudio Abbado/Jonathan Miller ou 2001 Riccardo Muti/Giorgio Strehler), et bien sûr Fierrabras (1988 Claudio Abbado/Ruth Berghaus), reprise ensuite à la Staatsoper, mais plus jamais reproposée depuis 1990…
Depuis 2006, le Theater an der Wien est un théâtre musical autonome, qui propose une saison d’opéra alternative à celle de la Staatsoper, établie sur des critères différents, sinon opposés.

  • Système stagione : 10 à 12 productions annuelles
  • Attention forte à la mise en scène
  • Pas d’orchestre fixe, mais participation régulière du Wiener Symphoniker et de l’ORF Symphonieorchester.
  • Participation régulière du célèbre Arnold Schönberg Chor (Dir.Erwin Örtner)
  • Appui sur des institutions et des artistes autrichiens quand c’est possible
  • Programmation alternant œuvres rares ou œuvres du répertoire dans des réalisations scéniques innovantes ou expérimentales
  • Appel à des artistes plutôt jeunes, non encore consacrés pour la plupart.

Je n’ai jamais évoqué ces saisons du Theater an der Wien, pourtant intéressantes, mais comme pour qui voyage à Vienne, il y a souvent la possibilité de combiner concerts et opéras en alternance, il pouvait être stimulant de décrire les productions de cette saison marquée par deux événements,

  • D’une part une restauration du Theater an der Wien qui deviendra Nationaltheater an der Wien à cause de sa longue histoire est entamée cette année qui devrait durer plusieurs années, et l’activité est transférée au Hall E du Museumquarter, près du Leopold Museum et pas loin du Kunsthistorisches Museum, et par ailleurs à la Kammeroper (Opéra de Chambre) pour les œuvres plus intimistes.
  • Kammeroper Wien
  • D’autre part la saison 2022-2023 est la première du règne du nouvel intendant Stefan Herheim, le metteur en scène norvégien bien connu, qui est aussi une garantie de modernité scénique. Il assumera quelques productions dans la saison.

On comprendra en lisant cette saison très intéressante que le Theater an Der Wien ne pourrait la proposer dans une ville qui n’aurait pas d’autre théâtre, car elle se profile comme un endroit autre, qui permet de parcourir d’autres chemins, laissant au public le loisir d’aller aussi à la Staatsoper qui est référentielle, et aussi plus « classique », même avec le nouveau cours imprimé depuis 2020. Et c’est une solution intelligente car personne ne se marche sur les pieds.
À Paris, face à l’opéra de Paris, il y a d’abord le TCE, qui n’a aucun choix artistique original, sinon de proposer plus ou moins les grands classiques, quelquefois même doublant les titres de l’Opéra de Paris, comme la saison prochaine une Bohème de Puccini programmée successivement à Bastille et aux Champs Elysées, rare stupidité. Pétrole…et pas d’idées.

Il y a ensuite l’Opéra-Comique, qui a un répertoire bien ciblé (opéra baroque et opéra et opéra-comique français) qui pourrait ressembler vaguement au Theater and der Wien, et le Châtelet, à l’identité illisible.
Comme on le voit il y aurait de quoi mettre en face de l’Opéra une institution qui irait ailleurs, sur d’autres chemins et vers d’autres œuvres.

Voici  les 12 productions prévues, 8 au Hall E du Museumquarter, 4 à la Kommeroper

Octobre 2022
Francesca Caccini
La liberazione

8 repr du 6 au 21 oct – Dir : Clemens Frick/MeS : Ilaria Lanzino
Avec Sara Gouzy, Luciana Mancini etc…
La Folia Barockorchester
À la Kammeroper

La Kammeroper est un théâtre à la jauge réduite, parfaitement adapté pour des œuvres baroques ou des œuvres de chambre. Et la saison ouvre avec un titre très original de la compositrice Francesca Caccini, fille de Giulio caccini, Chanteur et compositeur et sans doute première femme à avoir composé des opéras. Les temps sont plus que mûrs pour exhumer ses œuvres dont La liberazione, titre complet La liberazione di Ruggiero dall’isola d’Alcina, tiré de l’Arioste. C’est une belle initiative, l’opéra est dirigé par Clemens Frick, qui travaille régulièrement aux côtés de René Jacobs et qui compte par les spécialistes d’éditions « historiquement informées ». La mise en scène est assurée par une jeune italienne formée en Allemagne où elle a travaillé comme assistante auprès de nombreux metteurs en scène dont Christof Loy ou David Bösch. C’est incontestablement une curiosité qui devrait valoir le coup, d’autant qu’en octobre, il y a aussi du choix du côté de la Staatsoper.

Leoš Janáček
La petite renarde rusée (Příhody lišky Bystroušky)

6 repr du 15 au 27 oct – Dir : Giedrė Šlekytė/MeS : Stefan Herheim
Avec Milan Siljanov, Melissa Petit, Levente Pàll etc…
Wiener Symphoniker
La saison prochaine et pratiquement en même temps, la Staatsoper programme Jenůfa, voilà l’occasion d’une petite cure de Janáček. Grande production inaugurale de la saison dans les locaux provisoires du Hall E du MuseumQuarter, c’est Stefan Herheim en personne qui met en scène, et nul doute que son imagination débordante et son sens de l’imagerie théâtrale devrait faire de cette production un des musts de la saison. En fosse, la jeune Giedrė Šlekytė, originaire de Lituanie, qu’on a vue (et qu’on reverra) à Munich, l’une des cheffes qui attire les regards des managers et des orchestres. Signalons dans la distribution Melissa Petit, soprano française à la voix fraîche dans le rôle de la renarde…

 

Novembre 2022
Gioachino Rossini
La Gazza ladra
6 repr du 16 au 27 nov – Dir : Antonino Fogliani/MeS : Tobias Kratzer
Avec Fabio Capitanucci, Maxim Mironov, Nino Machaidze, Paolo Bordogna, Nahuel di Pierro etc…
ORF Radio-Symphonieorchester Wien
Arnold Schoenberg Chor (Dir: Erwin Ortner)
Autre must, un opéra de Rossini La Gazza Ladra (La pie voleuse) justement jamais représenté à la Staatsoper et qui sera présenté «  en grande pompe » au Theater an der Wien dans une mise en scène de Tobias Kratzer, rien que ce nom excite la curiosité dirigé par Antonino Fogliani, qui devient inévitable dans le répertoire italien à Genève, Munich, Vienne avec des spécialistes de ce répertoire comme Paolo Bordogna, Maxim Mironov et la délicieuse Nino Machaidze. Une distribution qu’aun grand opéra du monde ne démentirait.
Immanquable

Décembre 2022
Vicente Martin y Soler
L’Arbore di Diana
10 repr. du 3 au 31 déc – Dir: Rubén Dubrovski/MeS: Rafael R. Villalobos
Avec Veronica Cangemi, Maiaan Licht, Jerilyn Chou etc…
Bach Consort Wien
Kammeroper
Parallèlement à la Kammeroper, une autre rareté, l’opéra le plus connu de Vicente Martin y Soler, L’Arbore di Diana.
Le Bach Consort est l’un des meilleurs ensembles baroques d’Autriche, fondé il y a un peu plus de vingt ans et il collabore régulièrement avec le Theater an der Wien. La distribution comprend notamment Veronica Cangemi et la mise en scène a été confiée à Rafael R.Villalobos, l’un des plus prometteurs des jeunes metteurs en scène espagnols. L’œuvre elle-même, citée par Mozart dans son Don Giovanni, a été redécouverte à la fin du XXe siècle. Sur un livret de Lorenzo da Ponte, elle a été créée à Vienne en 1787, justement l’année du Don Giovanni, à l’occasion de la visite d’une nièce de Joseph II: c’est une comédie légère, de circonstance, sur une musique vraiment intéressante. Si vous êtes à Vienne, il faut y aller.

Gian Carlo Menotti
Amahl and the Night visitors
11 repr du 15 au 27 déc – Dir : Magnus Loddgard/MeS : Stefan Herheim
Avec un soliste du Wiener Sängerknaben (Amahl), Nikolay Borchev, Wilhelm Schwinghammer etc…
Wiener Symphoniker
Arnold Schoenberg Chor (Dir: Erwin Ortner)
Un opéra pour les familles (et donc pour les enfants) dont Stefan Herheim assure la mise en scène et c’est Magnus Loddgard chef d’orchestre norvégien installé à Berlin, qui en assure la direction musicale. Amahl and the Nicht visitors créé en 1951, est le premier opéra créé pour la télévision, inspiré par L’adoration des mages de Jérôme Bosch. Un Opéra/opérette idéal pour les fêtes, chanté par un jeune chanteur du Wiener Sängerknaben et quelques bons chanteurs comme Nikolay Borchev et Wilhelm Schwinghammer. La mère étant chantée par Dshamilja Kaiser, un rôle qui fut de Teresa Stratas.

Janvier 2023
Jacques Offenbach
La Périchole
8 repr. du 16 au 31 janvier – Dir : Jordan de Souza/MeS : Nilolaus Habjan
ORF Radio-Symphonieorchester Wien
Arnold Schoenberg Chor (direction : Erwin Ortner)
On commence l’année par une œuvre légère, de nouveau, et quelle œuvre puisqu’il s’agit de La Périchole d’Offenbach dirigée par Jordan de Souza, excellent chef qu’on a entendu souvent à la Komische Oper de Berlin et mise en scène par Nikolaus Habjan, jeune metteur en scène autrichien dont on a vu à Bayreuth la performance autour de Rheingold autour de l’étang du parc « Rheingold – immer noch Loge » fait avec des marionnettes, puisqu’il en est un spécialiste. Il a été metteur en scène en résidence au Theater an der Wien précédemment. C’est Anna Lucia Richter qui sera Périchole. Ce devrait être assez singulier

Février-mars 2023
Peter Eötvös
Der goldene Drache (Le dragon d’or)
8 repr. du 14 fév. au 3 mars – Dir : Walter Kobéra MeS : Jan Eßinger
Klangforum Wien PPCM Academy (Performance Practice in Contemporary Music (PPCM)
Kammeroper
Certains ont pu voir cette œuvre de Théâtre musical à Genève où elle était présentée à la Comédie de Genève en parallèle avec Sleepless, les drames qui se vivent derrière les cuisines d’un restaurant asiatique « Le dragon d’Or. A Genève, c’était l’excellent Julien Chavaz qui mettait en scène, ici la mise en scène est confiée à Jan Eßinger jeune metteur en scène allemand qui a travaillé comme assistant dans de nombreuses maisons allemandes et qui a aussi commencé à mettre en scène à Detmold et Heidelberg. C’est Walter Kobéra, un des chefs de musique contemporaine reconnus à Vienne, qui assure la direction musicale.  Une œuvre intéressante, un compositeur qui fait partie des maîtres ‘aujourd’hui dans le cadre intimiste de la Kammeroper avec l’excellent Klangforum Wien engagé dans un projet universitaire, le PPCM (voir ci-dessus)

 

Février-mars 2023
Georg Friedrich H
aendel
Belshazzar
6 repr. du 20 fev. au 2 mars – Dir : Christina Pluhar/MeS :Marie-Eve Signeyrole
Avec Robert Murray, jeanine De Bique, Vivica Genaux, Michael Nagl
L’Arpeggiata
Arnold Schoenberg Chor (direction : Erwin Ortner)
Direction musicale excitante, Christina Pluhar (qui est autrichienne et qui vit à Paris) et son ensemble L’Arpeggiata comptent parmi les ensembles baroques les plus demandés, et Marie-Eve Signeyrole est l’une des metteuses en scène à laquelle la scène germanique s’intéresse de plus en plus (elle vient de signer L’infedeltà delusa de Haydn à la Staatsoper de Munich. Distribution splendide pour ce répertoire. Que demander de plus ; c’est un incontournable pour les amoureux du baroque.

Mars-avril 2023
Carl Maria von Weber
Der Freischütz
6 repr. du 22 mars au 3 avril – Dir : Patrick Lange/MeS : David Marton
Avec Jacquelyn Wagner, Sofia Fomina, Alex Esposito ; Tuomas Katalaja
Wiener Symphoniker
Arnold Schoenberg Chor (direction : Erwin Ortner)
Un opéra relativement rare et difficile à réaliser, malgré sa célébrité. Très solide distribution, très solide direction musicale de l’excellent Patrick Lange, et mise en scène qui devrait être passionnante de David Marton, que les lyonnais connaissent bien (Capriccio, Orphée et Eurydice, Doin Giovanni, La Damnation de Faust) et qui est l’une des personnalités scéniques les plus intéressantes aujourd’hui.
Peut valoir le voyage.

Avril-mai 2023
Mieczysław Weinberg
Идиот (L’Idiot)
5 repr. du 28 avril au 7 mai – Dir : Michael Boder – MeS: Vasily Barkhatov
Avec Dmitry Golovnin, Natalya Pavlova, Kostas Smoriginas etc…
ORF Symphonieorchester
Arnold Schoenberg Chor (direction : Erwin Ortner)
Weinberg revient sur les scènes, et son opéra L’Idiot, d’après Dostoïevsky, composé entre 1985 et 1989 créé à Mannheim en 2013. Direction du très solide Michael Boder et mise en scène de Vasily Barkhatov, un des metteurs en scènes russes travaillant assez souvent en Allemagne ; et ce sera Dmitry Golovnin, l’un des meilleurs ténors russes, spécialiste des rôles de caractères et psychologiquement fragiles qui assumera le rôle-titre.
À ne pas manquer

Mai-juin 2023
Alban Berg
Lulu
6 repr. du 27 mai au 6 juin – Dir: Maxime Pascal/MeS: Marlene Monteiro Freitas
Avec Vera-Lotte Böcker, Bo Skovhus, Kurt Rydl, Edgaras Montvidas, Anne Sofie von Otter
ORF Radio-Symphonieorchester Wien
Wiener Festwochen
Un projet passionnant conduit par l’artiste totale cap-verdienne Marlene Monterio Freitas, et par Maxime Pascal, passionné par la modernité, qui se lancent tous deux dans une Lulu de Berg et seulement de Berg (les deux premiers actes) et pour le troisième, une proposition appuyée sur la Lulu Suite et sur l’inventivité de la danseuse et chorégraphe bien connue.
Distribution composée notamment de Vera-Lotte Böcker, désormais appelée sur toutes les grandes scènes, Bo Skovhus et Anne Sofie von Otter, autant dire exceptionnelle
À ne pas manquer.

 

Juin 2023
Erich Wolfgang Korngold
Die stumme Serenade
10 repr. du 5 au 25 juin – Dir : Ingo Martin Stadtmüller/ MeS : Dirk Schmeding
Wiener Kammerorchester
Kammeroper
Une comédie en musique peu connue écrite pour petit ensemble de Korngold, créée en 1951 à son retour d’exil, faite de musique de film, de jazz mais aussi de réminiscences de ses opéras d’avant exil, intrigue invraisemblable. Pour ce petit chef d’œuvre, une équipe jeune, une fois de plus, le chef Ingo Martin Stadtmüller, GMD au Schleswig-Holsteinischen Landestheater tout au nord de l’Allemagne, et une mise en scène de Dirk Schmeding, qui après avoir un peu trouné comme assistant dans de grandes maisons allemandes, commence à faire des mises en scène, notamment à Braunschweig et Graz. Œuvre totalement inconnue, à découvrir bien évidemment pendant un jour libre d’un des Ring de la Staatsoper.

A côté des productions, très régulièrement, des opéras du répertoire baroque en version concertante pendant toute la saison, très bien distribués (Cencic, Deshayes etc…) et avec des chefs de tout premier ordre (Jacobs, Pluhar, Rousset, Dantone etc…) en voici la liste :

  • 16/10/2022 : Agostino Steffani La Lotta d’Ercole con Acheloo
  • 19/11/2022 : Antonio Vivaldi Il Tamerlano
  • 22/11/2022 : Antonio Caldara Il Venceslao
  • 19/12/2022 : Bach/Scarlatt : Magnificat
  • 24/01/2023 : Haydn Orfeo ed Euridice (L’anima del Filosofo)
  • 25/02/2023 : Händel goes Wild, Oeuvres de Haendel
  • 01/03/2023 : Lully, Thésée
  • 25/03/2023 : Haendel, Alexander’s Feast
  • 04/05/2023 : Porpora, Il Polifem
  • 13/06/2023 : Telemannia Telemann & friends

Programmes et distributions consultables sur le site du Theater an der Wien, très clair https://www.theater-wien.at/de/spielplan

 

Conclusion :
Entre les opéras à la Kammeroper, avec des équipes jeunes, stimulantes et des œuvres à découvrir, et la liste des opéras au programme, alternant découvertes et œuvres célèbres, mais plus rarement représentées ou opérations expérimentales, avec des chefs solides et des metteurs en scène le plus souvent passionnants, ainsi que les opéras baroques en version de concert, on tient sans doute là la saison la plus intelligente et la plus séduisante de ce que nous avons pu voir jusque-là, alternant raretés et œuvres consacrées, mais toujours vues sous un angle original
Une telle saison ne peut se concevoir que dans une grande ville, en  complément d’un grand théâtre de répertoire ou d’un grand opéra de type Ciovent Garden ou Opéra de Paris: elle ne saurait être la saison d’un théâtre de Stagione comme le Teatro Real, le Grand Théâtre de Genève, La Monnaie ou Lyon car leur cahioer des charges ets forcément plus “généraliste”, pour un public le plus large possible. Cette suppose un public curieux, peut-être plus averti, ouvert à la modernité, ouvert aussi à de nouvelles équipes, et aux jeunes et non un public de consommation occasionnelle.
C’est une saison qui donne envie, tout simplement.
Tentez le Theater an der Wien, il en vaut la peine.

 

 

 

LA SAISON 2021-2022 de la BAYERISCHE STAATSOPER: SERGE DORNY INAUGURE SON MANDAT D’INTENDANT

Ce n’est pas un secret, Wanderer aime la Bayerische Staatsoper, assidument fréquentée depuis 1978. Les lecteurs du site wanderersite.com et de ce blog connaissent le nombre de spectacles dont nous avons rendu compte. C’est à notre avis l’une des maisons de référence en Europe. Elle connaît cette année un changement de pilote : il est difficile de ne pas considérer les projets qui vont y naître, d’autant qu’elle sort d’une période brillante, dominée par la présence, plus rare ces dernières années, de Kirill Petrenko, qui drainait les foules sur son seul nom et même si du point de vue des productions il y a eu quand même un peu de médiocrité pour beaucoup d’exceptionnel…

 

C’est évidemment l’une des saisons les plus attendues, dont bien peu de titres ont fuité, parce que c’est la première saison de Serge Dorny, nouvel Intendant de la Bayerische Staatsoper et de Vladimir Jurowski, néo GMD de Munich qui prendra ses fonctions en septembre 2021. Contrairement à ce que certains journalistes ont écrit lors de son Rosenkavalier récent, il n’est pas encore en poste.
Voilà une saison que Serge Dorny place sous un motto humaniste et prometteur: « Chaque homme est un roi, chaque femme une reine » issu d’une phrase de l’auteur hongrois Dezsö Kosztolányi:
“Chaque homme est un chef-d’œuvre. Dans ses yeux, la souffrance et le désir d’être aimé. Dans son cœur, des expériences et des souvenirs, tout comme dans le vôtre. Et sur sa tête, le sommet de son crâne, comme une couronne royale.Chaque homme est un roi.”.
Il entend promouvoir dans sa programmation et dans les initiatives diverses, nouvelles ou pas, la diversité, dans tous les sens du terme, sociale, culturelle, musicale, l’accessibilité du théâtre pour tous, et à l’inverse que le théâtre aille à tous, en se déplaçant à l’extérieur de la ville ou dans divers lieux de la cité. Pour ce faire, il créée aussi deux festivals,

  • « Septemberfest » (septembre en fête) où entre concerts extérieurs, y compris loin de Munich (Ansbach), fêtes dans les espaces de la Résidence, de grands opéras du répertoire (Gianni Schicchi etc…) avec des interprètes d’exception, il veut créer de l’envie.
  • « Ja-Mai Der neue Festival» (le nouveau festival) il veut justement créer un Festival “du nouveau”, mêlant musiques d’hier et d’aujourd’hui en montrant permanences et différences, dans divers lieux culturels de la ville.
  • Enfin, les Münchner Opernfestspiele plus que séculaires, auront un thème directeur annuel, cette année « Strauss, l’opéra et le temps qui passe », autour d’opéras de Strauss au répertoire de Die Frau ohne Schatten à Der Rosenkavalier avec une nouvelle production (Capriccio).

Ce qui frappe, c’est la ligne d’une programmation qui cette année annonce une couleur nouvelle donnée au répertoire, qui va s’élargir un peu plus au XXe siècle et à des œuvres non encore présentées à Munich comme Le Nez de Chostakovitch ou Les Diables de Loudun. À cet effet, il fait appel à tout ce que le monde du théâtre compte comme metteurs en scène d’exception.
Au total, une programmation exigeante, à la fois complexe et accessible. C’est un pari séduisant, qui veut imposer la culture comme une obligation pour la construction de l’humain, mais une culture sans concession, qui doit servir l’intelligence et non l’autosatisfaction, au risque du conflit, du rugueux : je n’invente rien, tout est dit dans les divers documents qu’on pourra aussi trouver sur le site staatsoper.de.
En fait les principes qui ont porté Lyon au sommet des opéras en Europe sont repris, dans une maison aux moyens considérables, riche d’une tradition séculaire, et qui se porte déjà très bien après la brillante période Bachler/Petrenko. Au lieu de se reposer sur du plan-plan de luxe, les choses vont être un peu bousculées et c’est particulièrement stimulant.

Les nouvelles productions :

Octobre-novembre 2021
Chostakovitch, Le Nez (
MeS: Kirill Serebrennikov/Dir : Vladimir Jurowski)
Avec Doris Soffel, Laura Aikin, Boris Pinkhasovich, Sergei Leiferkus, Andrey Popov, Tansel Akseybek  Gennadi Bezzubenkov etc…
C’est surprenant mais l’œuvre n’est pas au répertoire du théâtre, alors qu’elle est l’une des pièces les plus emblématiques de Chostakovitch, couronnant en quelque sorte sa première période « futuriste » (Création en 1930)… trop futuriste sans doute puisque l’URSS devra attendre 1974 pour qu’elle soit de nouveau proposée. Appuyée sur le regard sarcastique de Gogol sur l’ambiance péterbourgeoise, elle peut être adaptée à de nombreux contextes et styles. Kirill Serebrennikov en signera une mise en scène sans nul doute très contemporaine et engagée. La liste des interprètes parle d’elle-même, on y trouve les meilleurs chanteurs, dont la grande Doris Soffel, Sergei Leiferkus, ou Boris Pinkhasovitch. C’est aussi une œuvre emblématique pour Vladimir Jurowski, une sorte de signature initiale qui donne un vrai ton à la programmation.
(7 repr. Du 24/10 au 5/11 et les 17 et 20/07)

Décembre 2021-janvier 2022
Lehár, Giuditta (MeS: Christoph Marthaler/Dir : Gábor Káli)
Avec Vida Miknevičiūtė, Jochen Schmeckenbecher, Daniel Behle, Kerstin Avemo, Sebastian Kohlhepp
(6 repr. du 18/12 au 6/01)
Une œuvre de Lehár créée à l’Opéra de Vienne en 1934, et qui pourtant n’a pas marqué les mémoires, alors qu’elle fut retransmise à l’époque par 120 radios dans le monde. C’est une œuvre hybride, qui illustre à l’instar des Contes d’Hoffmann d’Offenbach, le désir de son auteur de se confronter à un style plus sérieux, entre opérette et opéra, compte tenu qu’il existe aussi des opérettes sérieuses. C’est exactement le profil qui convient à Christoph Marthaler, qui adore ces œuvres entre chien et loup, qui permettent aussi bien à la fantaisie que la mélancolie de s’installer. Distribution de très haut niveau évidemment, et direction musicale confiée à un jeune chef hongrois peu connu, Gábor Káli lauréat du concours de jeunes chefs d’orchestres de Salzbourg en 2018, et l’un des plus sûrs espoirs de la baguette parce qu’il a triomphé souvent depuis, aussi bien au concert qu’à l’opéra.

Janvier-février-mars 2022
Leoš Janáček, La petite renarde rusée (
MeS: Barrie Kosky/Dir : Mirga Grażinyté-Tyla)
Avec Wolfgang Koch, Yajie Zhang, Elena Tsallagova, Angela Brower etc…
L’œuvre mi-figue, mi-raisin de Janáček, conte animalier et donc histoire d’une profonde humanité, d’une infinie poésie, non dépourvue de tristesse et de nostalgie, est confiée à Barrie Kosky, mage du théâtre et magnifique raconteur d’histoires. La distribution est dominée par Elena Tsallagova (la renarde) et Wolfgang Koch (le garde-chasse). En fosse, pour la première fois à Munich, Mirga Grażinyté-Tyla, Directrice musicale  du Birmingham Symphony Orchestra, l’une des baguettes les plus riches d’avenir aujourd’hui. Il faudra sans doute faire le voyage.
(9 repr. Du 30/01 au 15/02, 11 et 16/07(Oper für alle).


Février-mars-juillet 2022
Benjamin Britten, Peter Grimes (
MeS: Stefan Herheim, Dir: Edward Gardner)
Avec Stuart Skelton, Rachel Willis-Sørensen, Iain Paterson, Claudia Mahnke etc…
Autre grand moment de la saison, la première mise en scène à Munich de Stefan Herheim qui se confronte au chef d’œuvre de Britten absent du Nationaltheater depuis une vingtaine d’années. En fosse, Edward Gardner, un spécialiste de ce répertoire, successeur de Vladimir Jurowski au London Philharmonic Orchestra. Stuart Skelton est Peter Grimes, retissant l’histoire des ténors wagnériens se confrontant au chef d’œuvre de Britten (souvenons-nous de Jon Vickers, qui fut longtemps le Peter Grimes de référence, après Peter Pears), à ses côtés une distribution particulièrement adaptée à cette œuvre, Rachel Willis-Sørensen, Iain Peterson, Claudia Mahnke par exemple. Un retour qui se veut marquant.
(7 repr. Du 28/02 au 13/03, 9 et 12/07)

Le Cuvillés-Theater

Mars 2022
Haydn, L’infedeltà delusa
(MeS: Marie-Eve Signeyrole/Dir : Giedré Šlekytė)
Avec les membres de l’Opéra-Studio de la Bayerische Staatsoper
(6 repr.du 19 au 29/03)
Pour l’Opéra Studio, dans l’écrin somptueux du Théâtre Cuvilliés, un opéra de Haydn, bien plus rare sur les scènes d’opéra que sur les podiums d’orchestres. L’infedeltà delusa (livret de Marco Coltellini) qui remonte à 1773, raconte une histoire marivaudienne de couples, de déguisements ancêtre de Cosi fan tutte en quelque sorte. Œuvre idéale pour de jeunes chanteurs, parce qu’elle oblige à la fois au jeu théâtral de la comédie et du même coup à une véritable attention au texte, sans de monstrueuses difficultés de chant. Dans la fosse, Giedré Šlekytė, une autre cheffe d’orchestre lithuanienne d’avenir et pour la mise en scène Serge Dorny a invité Marie-Eve Signeyrole, dont on a pu voir récemment à Strasbourg Samson et Dalila, et qui travaille régulièrement en Allemagne.
La production du Studio est un rendez-vous annuel traditionnel, et la rencontre avec Haydn est une excellente idée.
Bayerisches Staatsorchester
Cuvilliés-Theater

Mai-Juillet 2022
Berlioz, Les Troyens (
MeS: Christophe Honoré/Dir : Daniele Rustioni)
avec Marie-Nicole Lemieux, Eve Maud-Hubeaux, Anita Rashvelishvili/Ekaterina Sementchuk, Stéphane Degout, Gregory Kunde/Brandon Jovanovitch
Une équipe liée à Serge Dorny pour ces Troyens qui reviennent à Munich après deux décennies d’absence (précédente production avec Zubin Mehta au pupitre), d’une part il offre à Christophe Honoré cette œuvre monumentale, mais aussi intimiste, qui devrait lui convenir, notamment en confrontant sa grande sensibilité aux destins des deux grands personnages féminins. Ce sera l’occasion pour le public munichois de découvrir l’approche si particulière de Christophe Honoré, qui pour la première fois passe les frontières. L’autre compère, c’est Daniele Rustioni, premier chef invité à Munich désormais, qui adore la musique de Berlioz. Enfin une distribution particulièrement soignée (plus séduisante en mai qu’en juillet à mon avis) sur le plateau, Marie-Nicole Lemieux en Cassandre, Anita Rashvelishvili en Didon (Ekaterina Sementchuk en juillet) et surtout Gregory Kunde en Énée (Brandon Jovanovich en juillet), entourés notamment de Stéphane Degout (Chorèbe) et de Eve-Maud hubeaux en Ascagne et notons le ténor Martin Mitterrutzner en Iopas, c’est paraît-il un des ténors de l’avenir.
On ira, bien entendu.
(7 repr. du 9 au 29 mai, et les 6 et 10 juillet)

 

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Festival Ja-Mai der neue Festival (en divers lieux culturels de la cité)

C’est sans doute la plus grande nouveauté de l’année, un festival de Printemps qui associe des formes très contemporaines et d’autres anciennes, qui confronte les genres, le langage, parlé, chanté, psalmodié, qui confronte et qui tresse. Mais un festival qui sort aussi de la grande maison pour aller au contact d’autres lieux, d’autres institutions, qui ainsi accueillent aussi ces formes nouvelles, mais aussi d’autres ensembles musicaux. Cette année c’est une trilogie de Georg Friedrich Haas (et de son librettiste Händl Klaus) créées dans le cadre intime du merveilleux théâtre de Schwetzingen en 2016 qui est ici reprise, chacun des œuvres, Thomas, Bluthaus et Koma tressée à des madrigaux de Monteverdi et faisant chacun l’objet d’une production avec une équipe différente.

Georg Friedrich Haas/Claudio Monteverdi :
Thomas/ Il lamento di Arianna (MeS : Anne Sophie Mahler, Dir : Alexandre Bloch)
Avec Holger Falk, Konstantin Krimmel, Caspar Singh etc…
Münchener Kammerorchester
L’équipe la plus nouvelle, le jeune chef français (excellent) Alexandre Bloch, directeur musical de l’Orchestre National de Lille qui conduira le Münchener Kammerorchester et la metteuse en scène berlinoise Anne-Sophie Mahler, qui a été aux écoles de Marthaler et de Schlingensief, qui la rend immédiatement sympathique et qui conduit une carrière de théâtre et d’opéra un peu partout en Allemagne.
(4 repr. du 20 au 29 mai)
à la Reithalle

Bluthaus/Il lamento della ninfa/Il ballo delle ingrate (MeS : Claus Guth, Dir : Titus Engel)
Avec Vera-Lotte Böcker, Nicola Beller-Carbone, Bo Skovhus
Bayerisches Staatsorchester
Production Bayerische Staatsoper, Residenztheater München
Coproduction Opéra National de Lyon, Bergen Nasjonale Opera
Une production qu’on verra à Lyon dans les prochaines années, et une équipe plus connue, composée du chef suisse remarquable Titus Engel (qui a dirigé à Lyon le dernier Château de Barbe-Bleue, et Claus Guth, absent de l’Opéra de Munich depuis au moins une décennie, avec une distribution très solide où l’on note la présence de Bo Skovhus.
(5 repr. du 21 au 29/05)
Au Cuvilliés-Theater

Koma/Il combattimento di Tancredi e Clorinda (MeS: Romeo Castellucci, Dir : Teodor Currentzis)
Avec Kayleigh Decker, Deanna Breiwick, Daniel Gloger, Nikolaï Borchev
MusicAeterna
Production Bayerische Staatsoper, Münchner Volkstheater, Münchner Kammerspiele,
Coproduction Theater Basel, Théâtre National Croate de Zagreb, Opéra de Rouen, Novaya Opera Moscou Münchner Volkstheater
(4 repr. du 22 au 29 mai)
Au Münchner Volkstheater.
Gradation dans la sensation, l’équipe Castellucci/Currentzis fera courir le banc l’arrière banc et tous les animaux du pays lyrique munichois et non munichois.
Comme on peut le constater, une entreprise complètement neuve, ouverte, et riche de potentialités, qui devrait si elle fonctionne, devenir un rendez-vous incontournable.

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Juin 2022
Krzysztof Penderecki, Die Teufel von Loudun (Les diables de Loudun) (
MeS: Simon Stone/Dir : Vladimir Jurowski)
Avec Ausrine Stundyté, John Lundgren, Wolfgang Ablinger-Sperrhacke, Ursula Hesse von der Steinen, Lindsey Ammann etc…
Bayerische Staatsorchester
En ouverture du festival d’été, l’œuvre de Penderecki jamais jouée à Munich qui raconte l’histoire des possédées de Loudun et du malheureux prêtre Urbain Grandier (racontée dans le fameux film en 1971 de Ken Russell, Les Diables qui a sans doute puisé l’idée dans cette œuvre). Elle sera jouée dans la version originale de 1969 (Hambourg) qui selon Vladimir Jurowski est plus « rude » musicalement que la version révisée de 2012-2013. Distribution exceptionnelle et mise en scène de Simon Stone, quoi va sans doute créer un univers particulier dont il a le secret, tel que celui créé pour le Lear de Reiman à Salzbourg
(4 repr. du 27 juin au 7 juillet)

Prinzregententheater

Juillet 2022
Richard Strauss, Capriccio
(MeS: David Marton, Dir : Lothar Koenigs)
Avec Diana Damrau, Michael Nagy, Pavol Breslik, Vito Priante, Tanja Ariane Baumgartner etc…
Distribution éblouissante pour cette première à Munich de la production vue à Lyon et Bruxelles d’un David Marton familier des Kammerspiele de Munich mais qui n’a jamais travaillé à la Staatsoper. Marton s’intéresse au travail sur les livrets, à la relation entre texte et musique (il est lui-même musicien) et à la déconstruction des œuvres. C’est dans ce sens l’œuvre idéale pour lui, lieu d’un débat théorique sur le genre opéra, alors que l’Europe entière se) déchire sous les bombes (création en 1942), c’est cet aller-retour entre Art et barbarie qui fascine et qui confirme que l’art doit triompher, toujours et partout.
(5 repr. du 17 au 27/07)
Au Prinzregententheater

On peut le constater, ces nouvelles productions sont nettement orientées vers le XXe siècle, en proposant une large palette de styles aussi bien  traditionnels (Peter Grimes) que résolument contemporains (Trilogie de Georg Friedrich Haas) mais aussi de format (avec de gros formats comme Les Troyens et Les Diables de Loudun), mais aussi large palette de traditions, russe, française, britannique, germanique en restant soucieux de la tradition de la maison avec le focus sur Richard Strauss incluant la nouvelle production de Capriccio. L’offre est exigeante mais loin d’être inaccessible parce qu’elle suit une ligne précise et surtout parce qu’à tous niveaux la qualité est exceptionnelle, et pas seulement sur les nouvelles productions, mais aussi pour le répertoire.

Répertoire :

 

On ne va pas s’intéresser à chaque titre, le lecteur reconnaîtra les siens, mais signaler çà et là les nouveautés. Car il y en a, notamment pour les chefs qui assurent les représentations ; on va voir dans la fosse de très nombreuses nouvelles têtes pour Munich, des chanteurs confirmés, mais aussi des voix nouvelles.
Rappelons ce que signifie répertoire en termes d’organisation.
Un théâtre de répertoire entretient une troupe de chanteurs différente selon la taille de la maison, à Munich autour de 25 chanteurs, qui assurent tous les rôles secondaires, mais qui peuvent aussi soit assurer les premiers rôles ou pourvoir le cas échéant doubler. Le choix des chanteurs est donc essentiel, d’où l’importance du studio, où les jeunes trouvent ensuite un premier engagement dans la troupe du théâtre s’ils sont valeureux.
Les répétitions des Premières sont très longues, et très précises, avec un cahier des charges essentiel pour les reprises (cahier de régie). On imagine cette importance quand le spectacle remonte à plusieurs dizaines années (par ex. La Cenerentola de Ponnelle). Quelquefois les productions sont l’objet d’un « ravalement » qu’on appelle « Wiederaufnahme », dans ce cas il y a plus de répétitions que pour une reprise normale. Car il y a en cas de reprise de répertoire très peu de répétitions (quelquefois même pas un service d’orchestre), il faut donc des chefs sûrs qui connaissent parfaitement la partition et certains n’arrivent évidemment pas à imposer à l’orchestre de rompre avec des habitudes, notamment dans un répertoire qu’ils connaissent (trop) bien.
Les reprises de répertoire en général affichent les titres créées l’année précédente dans les distributions et avec le chef de la première, et sinon les reprises d’autres titres sont affichés régulièrement pour les grands standards, éventuellement avec des casts différents. C’est le cas la saison prochaine pour Die Tote Stadt (créé avec Petrenko/Kaufmann et Petersen et affichée cette année avec Lothar Koenigs/Klaus Florian Vogt, Elena Guseva) ou Die Frau ohne Schatten (Petrenko/Koch, Pankratova, Schuster, Dean-Smith et Merbeth dans la dernière reprise de 2017 et cette année Gergiev/Volle-Stemme, Jovanovich-Nylund, Fujimura)…
Par ailleurs Serge Dorny, qui on va le voir appelle de nombreux chefs différents notamment pour le répertoire italien s’est attaché la présence régulière de Daniele Rustioni, nommé premier chef invité, qui dirigera cinq productions dont Tabarro, Gianni Schicchi, Otello, Un Ballo in maschera en répertoire et une Première (Les Troyens). Du côté du répertoire allemand, il s’est attaché Lothar Koenigs, chef de bon niveau, qui dirigeait déjà à Munich, et qui assurera cette année une Première (Capriccio), mais aussi quelques reprises (Die Tote Stadt, Tristan und Isolde).

 

Septembre 2021 (Septemberfest)
Puccini, Gianni Schicchi (MeS : Lotte de Beer/Dir : Daniele Rustioni)
Avec Ambrogio Maestri, Emily Pogorelc, Galeano Salas, Lindsey Ammann etc…
(2 repr. 18 et 19/09 tarif spécial de 25€/8€)

Puccini, Il Tabarro (MeS : Lotte de Beer/Dir : Daniele Rustioni)
Avec Wolfgang Koch, Yonghoon Lee, Eva-Maria Westbroek
(2 repr. 18 et 19/09 tarif spécial de 25€/8€)
À noter : les représentations de Gianni Schicchi et Tabarro sont séparées et constituent chacune une représentation.
Daniele Rustioni ouvre une programmation de répertoire par ces spectacles au tarif très « politique », mais sans faire d’économies sur les distributions.

 

Septembre-Octobre 2021
Der Fliegende Holländer
(MeS : Peter Kontwitschny /Dir :Bertrand de Billy)
Avec Christof Fischesser, Anja Kampe, Benjamin Bruns, John Lundgren etc…
La production déjà ancienne de Franz Kontwitschny avec une dsitribution tout à fait exceptionnelle et en fosse, Bertrand de Billy qui est un chef plutôt solide.
(4 repr. du 24/09 au 6/10)

Verdi, La Forza del destino (MeS : Martin Kušej /Dir : Andrea Battistoni)
Avec Anja Harteros, Mika Kares, George Petean, Jonas Kaufmann, Ekaterina Sementchuk, Ambrogio Maestri
(3 repr. Du 26/09 au 2/10)
Chef intéressant (plus intéressant qu’Asher Fisch qui a assuré les représentations jusqu’ici), distribution sans reproche,

Octobre-novembre 2021/Février-mars 2022
Puccini, Tosca
(MeS : Luc Bondy/Dir : Daniel Oren (Oct.)/Carlo Rizzi (Fév.)
Avec Anja Harteros, Najmiddin Mavlyanov(Oct.) /Piotr Beczala(Fév.), Luca Salsi (Oct.)/Ambrogio Maestri (Fév.)
(4 repr. du 19/10 au 1/11)
(4 repr. du 20/02 au 4/03)
Sans doute une des dernières présentations de la production Bondy qui a fait son temps (il s’en prépare sans doute une autre pour les saisons prochaines), il faudra écouter Najmiddin Mavlyanov, un Mario déjà fort demandé, et bien sûr, pour Anja Harteros, immense Tosca devant l’Eternel.

Octobre 2021
Puccini, Turandot
(MeS : Carlus Padrissa (La Fura dels Baus)/Dir : Gábor Káli)
Avec Anna Pirozzi, Brian Jagde, Elena Guseva, Alexander Vinogradov
(3 repr. du 7/10 au 13/10)
Du très classique, mais Pirozzi est vraiment très bonne, et on écoutera le jeune Gábor Káli en fosse, avant la première de Giuditta.

Verdi, Falstaff (MeS Mateja Koležnik / Dir : Antonino Fogliani)
Avec Bryn Terfel, Vito Priante, Galeano Salas, Eleonora Buratto, Lindsey Ammann etc…
La distribution se passe de commentaires, et au pupitre opère l’excellent Antonino Fogliani.
(3 repr. du 15 au 21/10)

Octobre-Novembre
Verdi, Il Trovatore
(MeS : Olivier Py/Dir : Francesco Ivan Ciampa)
Avec George Petean, Sondra Radvanovsky, Okka von der Damerau, Francesco Meli
Là encore, même si la production Py est médiocre, la distribution se passe de commentaires et en fosse, Francesco Ivan Ciampa, un chef que très peu de français (ou d’allemands) connaissent, de la même génération que Daniele Rustioni et qui est absolument remarquable, bien plus intéressant que ceux qu’on nous impose généralement pour ces titres à Paris ou ailleurs.
(3 repr. du 31/10 au 6/11)

Novembre 2021
Bizet, Carmen
(MeS : Lina Wertmüller/Dir : Alexandre Bloch)
Avec Dmytro Popov, Lucas Meachem, Varduhi Abrahamyan, Rosa Feola
Du solide avec une Carmen de Varduhi Abrahamyan et une Micaela de Rosa Feola, pas si mal… avec en fosse, Alexandre Bloch, excellent chef français qu’on va revoir à Munich.
(5 repr. du 10 au 24/11)

Braunfels, Die Vögel (MeS: Frank Castorf/Dir : Ingo Metzmacher)
Avec Wolfgang Koch, Günter Papendell, Charles Workman, Michael Nagy, Caroline Wettergreen
Représentations suspendues pour cause de Covid en octobre-novembre 2020 et donc reprise cette saison avec la même distribution (magnifique) de la production luxuriante de Frank Castorf avec le décor fabuleux d’Aleksandar Denić… Sous la direction experte d’Ingo Metzmacher
(3 repr. Du 12 au 18/11)

Novembre-Décembre 2021
Weber, Der Freischütz
(MeS : Dmitry Tcherniakov/Dir : Lothar Koenigs)
Avec Sean Michael Plumb, Golda Schultz, Anna Prohaska, Pavel Černoch, Tomasz Konieczny, Georg Zeppenfeld
Distribution sans reproche de cette production vue en streaming et qui mérite une visite en salle, avec au pupitre Lothar Koenigs (je n’avais pas aimé Manacorda) et une MeS de Tcherniakov qui à la TV ne m’avait pas convaincu. Il faudra aller voir…
(4 repr. du 26/11 au 5/12)

Décembre 2021
Korngold, Die tote Stadt
(MeS : Simon Stone/Dir : Lothar Koenigs)
Avec Klaus-Florian Vogt, Elena Guseva, Christoph Pohl, Jennifer Johnston etc..
Distribution correcte (Vogt ! Guseva !) mais nous avons de tels souvenirs du trio Kaufmann/Petersen/Petrenko que ce sera difficile…
(4 repr. Du 1er au 10/12)


Donizetti, L’Elisir d’amore
(MeS : David Bösch/Dir : Evelino Pidò)
Avec Emily Pogorelc, Bogdan Volkov, Erwin Schrott, André Schuen
Du répertoire, avec la jeune Emily Pogorelc qui a intégré la troupe et un trio masculin qui promet fort. Au pupitre le solide Pidò que Serge Dorny a invité pour les Donizetti de répertoire. Et toujours la merveilleuse production de David Bösch.
(3 repr. Du 11 au 17/12)

Mozart, Die Zauberflöte (MeS : August Everding/Dir : Ivor Bolton)
Avec Günther Groissböck, Pavol Breslik, Sabine Devieilhe, Olga Kulchynska etc…
Wow, joli cadeau de Noël, distribution excellente, chef très solide et familier du lieu, et mise en scène historique d’August Everding. À coupler avec Giuditta…
(5 repr. Du 21 au 30/12)

Janvier 2022
Strauss (R.): Ariadne auf Naxos
(MeS : Robert Carsen/Dir : Ulf Schirmer)
Avec Markus Eiche, Daniela Sindram, Brandon Jovanovich, Erin Morley, Tamara Wilson et Udo Wartveitl etc…
Très belle distribution et un chef solide, GMD à Leipzig, qu’on n’avait plus vu à Munich depuis longtemps. Production typiquement carsenienne. Et en prime un acteur munichois connu (Udo Wartveitl ) en majordome.
(3 repr. Du 18 au 26/01)


Janvier-février/Juillet 2022
Strauss (R.): Die schweigsame Frau
(MeS : Barrie Kosky/Dir : Stefan Soltesz)
Avec Franz Hawlata, Christa Mayer (Janv.) Okka von der Damerau (Juil.), Daniel Behle, Brenda Rae etc…
Magnifique production de Barrie Kosky qu’on ne se lasse pas de voir, magnifique Hawlata, toujours extraordinaire acteur et cette fois au pupitre le remarquable Stefan Soltesz, sous-estimé qui doit être pétillant dans cette partition.
(4 repr. Du 29/01 au 4/02 et le 22/07)

Janvier/Juin-Juillet 2022
Puccini, La Bohème
(MeS : Otto Schenk/Dir : Francesco Lanzillotta)
Avec Angel Blue (Janvier) /Ailyn Pérez (Juillet), Emily Pogorelc(Jv)/Aida Garifullina(Jt), Evan LeRoy Johnson(Jv)/Piotr Beczala(Jt) etc…
Du bon répertoire, pour Wanderer de passage, et surtout un autre excellent chef, qu’il faut absolument connaître, Francesco Lanzillotta, qui lui mérite la Scala.
(6 repr. Du 5 au 9/01 et du 25 au 30/07)

Verdi, La Traviata (MeS : Günter Krämer/Dir : Giedré Šlekytė)
Avec Alexandra Kurzak (Janvier)/Lisette Oropesa (Juin-Juillet), Dmytro Popov(Janvier)/Stephen Costello (Juin-Juillet) Simon Keenlyside (Janvier)/Leo Nucci (28/06), Placido Domingo (1/07)
Là aussi du répertoire et un peu de paillettes, avec au pupitre la jeune (et excellente) Giedré Šlekytė et des chanteurs dont on peut dire qu’ils sont hors classe, au moins pour les sopranos et les barytons.
(7 repr du 8/01 au 21/01, et les 28/06 et 1/07)

Février 2022
Rossini, Il Turco in Italia
(MeS : Christof Loy/Dir: Gianluca Capuano)
Avec Alex Esposito, Lisette Oropesa, Nikolay Borchev etc…
Christof Loy, du solide un peu pareil tout le temps, mais distribution exceptionnelle et très bon chef pour Rossini… Si vous passez par là, il faut y entrer.
(4 repr. Du 09 au 18/02)

Mars 2022
Mozart, Le nozze di Figaro
(MeS: Christof Loy/Dir: Thomas Hengelbrock)
Avec Gerald Finley, Golda Schultz, Katharina Konradi, Alex Esposito, Anne Sofie von Otter etc…
Une production correcte, du moderne passepartout, du Christof Loy de bon niveau, et une distribution fabuleuse. Hengelbrock au pupitre, ce ne devrait pas être mauvais…
(4 repr. Du 9 au 20/03)

Donizetti, Lucia di Lammermoor (MeS: Barbara Wysocka/Dir: Evelino Pidò)
avec Nadine Sierra, Andrzej Filończyk, Xabier Anduaga, Riccardo Zanellato
Excellente distribution avec le couple Anduaga/Sierra, mais aussi le baryton Filończyk excellent et Zanellato, la basse fidèle à Serge Dorny. Au pupitre qui fut de Petrenko (soupir à fendre l’âme), le très sûr Pidò. Mise en scène « moderne » qui passe assez bien.
(4 repr. Du 12 au 24/03)

Rossini, La Cenerentola (MeS : Jean-Pierre Ponnelle/Dir : Michele Spotti
avec Marianne Crebassa, Edgardo Rocha, Mattia Olivieri, Renato Girolami, Erwin Schrott
Grande distribution pour une production historique, voire légendaire avec un jeune chef nouveau à Munich mais pas à Lyon, et réel espoir de la direction rossinienne mais pas que : Michele Spotti… Vaut le voyage…
(4 repr. Du 18 au 25/03)

Avril 2022
Mozart, Die Entführung aus dem Serail
(MeS : Martin Duncan/Dir : Stefano Montanari)
Avec Sofia Fomina, Elisabeth Sutphan, Daniel Behle, Jonas Hacker, Ante Jerkunica
Production passable, distribution correcte sans plus mais au pupitre, Stefano Montanari, et là c’est encore un autre nom que les lyonnais connaissent et apprécient, et qui est en train d’exploser partout… Un très grand chef.
(3 repr. du 8 au 13/04)

Wagner, Parsifal (MeS : Pierre Audi/Dir : Mikko Franck)
Avec Christian Gerhaher, Christof Fischesser, Simon O’Neill, Jochen Schmeckenbecher, Anja Harteros
Le Parsifal en noir et blanc d’Audi/Baselitz confié à la baguette de Mikko Franck, c’est particulièrement intéressant, avec une distribution de très haut niveau et une nouvelle Kundry toute jeune : Anja Harteros qui se jette dans le rôle et qui va faire qu’on se précipitera pour entendre. Là encore un voyage devrait s’imposer…
(3 repr. du 14au 23/04 )


Avril-Mai/Juillet 2021
Verdi, Macbeth
(MeS : Martin Kušej/ Dir : Andrea Battistoni (avril)/Fabio Luisi (Juillet)
avec Ludovic Tézier (Avril/Mai)/Artur Rucinski(Juil), Tareq Nazmi (Avril/Mai)/Vitali Kowaljow (Juillet), Ekaterina Sementchuk (Avril/Mai)/Anna Netrebko (Juillet), Freddie de Tommaso (Avril/Mai)/Evan LeRoy Johnson (Juillet)
Une distribution en dentelles où l’on préfèrera le couple Tézier/Sementchuk à Rucinski/Netrebko, d’autant qu’en avril mai, il y a Freddie de Tommaso, le nouveau ténor qu’il faut avoir vu et entendu… Au pupitre, Andrea Battistoni ce qui est bien, ou Fabio Luisi, ce qui est très bien. Choisissez selon vos goûts…
6 repr. du 24/04 au 04/05 et les 14 et 18 juillet)

Mai 2022
Händel, Agrippina
(MeS: Barrie Kosky/Dir: Stefano Montanari)
Avec Joyce DiDonato, Gianluca Buratto, John Holiday, Elsa Benoit, Mattia Olivieri etc…
Münchener Kammerorchester
Ce n’est même pas la peine d’hésiter prenez déjà votre billet d’avion, avec Stefano Montanari dans la fosse, dans le merveilleux Prinzregententheater, et la bonne production de Barrie Kosky, très concentrée dans sa cage de métal.
(3 repr. Du 7 au 13/05 au Prinzregententheater)

Mai-Juillet 2022
Strauss (R),  Der Rosenkavalier
(MeS : Barrie Kosky/Dir : Vladimir Jurowski)
Avec Marlis Petersen, Samantha Hankey, Katharina Konradi, Christof Fischesser, Johannes-Martin Kränzle, Daniela Köhler, Ursula Hesse von der Steinen etc…
Deux Kosky pendant les mêmes semaines, cela ne se manqué pas: votre billet d’avion permettra de voir aussi ce merveilleux Rosenkavalier vu à la TV et si original, si “ailleurs”, si intelligent, si magnifiquement interprété et chanté qu’on attend de le voir en scène avec impatience, d’autant que ce sera la version normale et non celle covidienne révisée par Ekkerhard Kloke qui sera proposée, sous la direction du maître de maison Vladimir Jurowski.
(5 repr. Du 8 au 15/05 et les 21 et 24/07)

Rossini, Il barbiere di Siviglia (MeS : Ferruccio Soleri/Dir : Antonino Fogliani)
Avec Alasdair Kent, Ambrogio Maestri, Vasilisa Berzhanskaja, Andrei Zhilikohovsky, Adam Palka
Solide distribution où l’on pourra entendre la merveilleuse Rosine de Vasilisa Berzhanskaja et Adam Palka (Le Mephisto de Castorf à Vienne) en Basilio. On regrette que Andrzej Filończyk distribué dans Lucia di Lammermoor ne soit pas Figaro; il y est exceptionnel… Au pupitre, Antonino Fogliani, garantie d’excellence.
(3 repr. Du 10 au 16/05)

Verdi, Otello (MeS : Amelie Niermeyer/Dir : Daniele Rustioni (mai-juin) Antonino Fogliani (juillet)
Avec Anja Harteros, Arsen Soghomonyan/Gregory Kunde, Luca Salsi/Gerald Finley, Oleksiy Palchykov
La distribution parle d’elle-même, la mise en scène excellente, et les deux chefs prévus sont remarquables.  On choisira peut-être juillet pour Kunde et Finley…
(5 repr. Du 27/05 au 2/06 et les 2 et 5/07)

Mai-Juin 2022
Puccini, Madama Butterfly
(MeS: Wolf Busse/Dir: Antonello Manacorda)
Avec Ermonela Jaho, Charles Castronovo, Davide Luciano etc…
Une mise en scène qui est un peu épuisée, une distribution de très grand niveau (Davide Luciano peut-être sous-utilisé en Sharpless) et au pupitre Antonello Manacorda qui a troqué Weber contre Puccini.
(3 repr. du 31/05 au 5/06)

Juin 2022
Wagner, Tristan und Isolde
(MeS : Krzysztof Warlikowski/Dir : Lothar Koenigs)
Avec Wolfgang Koch, Stuart Skelton, Nina Stemme, Mika Kares, Okka von der Damerau
La distribution est magnifique, même sans Kaufmann. Mais sans Petrenko, c’est un peu dur, même si Koenigs est solide… Du répertoire de grand luxe, mais c’est du répertoire…
(4 repr. du 6 au 20/06)

Verdi Un Ballo in maschera (MeS : Johannes Erath/Dir : Daniele Rustioni)
Avec Piotr Beczala, Carlos Alvarez, Sondra Radvanovsky, Judit Kutasi, Deanna Breiwick
Là en revanche pas d’hésitation, il faut y voler : distribution exceptionnelle, grand chef, et production de Johannes Erath pas inintéressante…
(4 repr. du 12 au 22 juin)

Juillet 2022
Strauss (R.) : Die Frau ohne Schatten
(MeS : Warlikowski/Dir : Valery Gergiev)
Avec Brandon Jovanovich, Camilla Nylund, Mihoko Fujimura, Michael Volle, Nina Stemme
Là encore, sans Petrenko cela fait (un peu) souffrir. Mais ne jouons pas les enfants gâtés. Gergiev en fosse même entre deux avions, est un très grand musicien, la production est désormais légendaire et la distribution fabuleuse…
(2 repr. Les 28 et 31/07)

 

Comme on peut le constater, il y a même pour le répertoire, une exigence de qualité au plus haut niveau. Et la palette de nouveaux chefs (et cheffes) excellents inconnus à Munich et souvent ailleurs que Dorny a invités va redonner un véritable intérêt à certaines reprises. Du répertoire que certains théâtres du même niveau envieraient pour leurs nouvelles productions. Pourvu que ça dure…

 

Concerts symphoniques : « Akademiekonzerte »

 

Le Bayerisches Staatsorchester, orchestre d’Etat de Bavière est l’orchestre historique de Munich, dont les racines remontent au XVIe siècle et à Roland de Lassus qui en fut le Kapellmeister à partir de 1563. C’est en 1811 que l’Académie de musique est formée, d’où le nom d’ «Akademiekonzerte ».
La longue liste des directeurs musicaux de l’orchestre incluent les plus prestigieux des grands chefs historiques qui ont pour nom Hans von Bülow, Hermann Levi, Richard Strauss, Felix Mottl, Bruno Walter, Hans Knappertsbusch, Clemens Krauss, Georg Solti, Ferenc Fricsay, Joseph Keilberth, Wolfgang Sawallisch, Zubin Mehta, Kent Nagano, Kirill Petrenko et en septembre prochain Vladimir Jurowski.
Vladimir Jurowski va diriger 3 des 6 Akademiekonzerte et il a décidé d’orienter  ses trois concerts autour des compositeurs joués dans les créations de la saison :

  • Un concert autour des œuvres du jeune Chostakovitch
  • Un concert autour de Britten au temps Peter Grimes
  • Le dernier concert autour de l’œuvre symphonique de Penderecki

Les autres concerts seront dirigés par Fabio Luisi (Bruckner/Bruch), Cristian Macelaru et Mikhail Jurowski (père de Vladimir) dont les programmes seront consacrés à la musique russe, et notamment la thématique de la patrie et de l’exil.

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Des éléments encore à définir
Il y a cependant des points qui surprennent : cette année le GMD Vladimir Jurowski dirige seulement trois opéras, il devrait au moins en diriger le double. Mais il termine plusieurs mandats notamment en Russie, et l’année prochaine tout devrait revenir à la normalité.
D’autres points sur l’offre de la maison ne sont pas encore arrêtés : la politique en matière de vidéos et de streamings que Bachler avait développée n’a pas été évoquée, on ne sait pas non plus ce que va devenir la collection d’enregistrements que Bachler vient de commencer avec une Mahler VII phénoménale de Kirill Petrenko. Nous en sommes aux balbutiements et Serge Dorny aura sans doute à décider de poursuivre le projet, de le reprofiler ou d’interrompre : tout cela n’est pas encore clair. On sait que Serge Dorny préfère l’opéra en salle à l’opéra en boite, comme tout le monde. Il n’avait pas les moyens de développer une politique vidéo à Lyon, ainsi de magnifiques spectacles ne le resteront que dans nos souvenirs, mais Munich est riche, et les confinements ont donné l’habitude au public de retrouver en ligne des spectacles qu’ils ont vus ou non en salle. Il faudra sans doute qu’un bilan soit tiré de la période et de la politique menée jusque-là. Attendons.

 

Ce qu’on peut affirmer c’est qu’il ne s’agit pas d’une saison de rattrapage covid, le système de répertoire est pour cela une garantie. C’est une saison pensée, avec une ligne soutenue, affirmée par les nouvelles productions, mais qui ne sacrifie pas le répertoire, notamment avec un vrai soin dans le choix des chefs et les distributions, jamais médiocres.
Le niveau affirme au contraire d’emblée une ambition et une respiration fortes, en cohérence avec l’histoire de cette maison, et en empruntant résolument un chemin qu’on sent aussi neuf et ouvert. Le public traditionnel y trouvera son compte, mais c’est un programme qui saura exciter aussi la curiosité. Voilà une saison qui conjugue la fête (trois festivals), la rencontre, l’exigence mais aussi le réalisme et le pragmatisme.
C’est une première saison, c’est une nouvelle ère, et il va aussi falloir prendre ses marques. Il reste aussi évidemment à souhaiter qu’on reste à ce niveau d’excellence pour les suivantes. Serge Dorny a raté peu de choses à Lyon, on ne peut que lui souhaiter la même réussite aux bords de l’Isar qu’aux bords du Rhône et de la Saône… La Bavière a bien de la chance.

 

 

OPÉRA NATIONAL DE LYON: LA SAISON 2019-2020

L’Opéra de Lyon (Arch. jean Nouvel)

Plus on avance dans la lecture des saisons de l’Opéra de Lyon, et plus on mesure l’évolution d’une programmation qui aujourd’hui affirme sa singularité, dans les choix des metteurs en scène et des œuvres, dans les choix culturels, tout en affirmant la présence répétée de compagnons de route; en ce sens, Serge Dorny est bien l’héritier de Gérard Mortier, avec qui il a travaillé au tout début de sa carrière. Plus  on considère d’ailleurs les programmes des opéras en Europe, et plus on ressent l’absence de Mortier, de sa vivacité intellectuelle, de son sens dialectique redoutable, de sa soif de culture sous toutes ses formes, de sa manière de considérer le monde, et de voir comment le traduire sur une scène d’opéra.

Dorny quittant Lyon à la fin de la saison 2020-2021, le processus de recrutement de son successeur est lancé, moins médiatisé que celui du successeur de Lissner à Paris, mais peut-être plus difficile. Le travail à Paris est plus ou moins calibré: du répertoire, des nouvelles productions, le ballet et sa crise endémique depuis le départ de Brigitte Lefèvre et deux théâtres à gérer avec les soucis inhérents, sans compter le regard d’une presse toujours à l’affût de la faute de l’abbé Lissner, comme elle le fut de celle de l’abbé Mortier. Il faut un profil artistique certes, mais bien plus en ce moment un gestionnaire capable d’être aussi visionnaire, denrée rare. Mais même avec un médiocre, l’histoire a prouvé que la machine continuait de tourner, car ce type d’institution a une force d’inertie qui la fait survivre même à une direction problématique.

C’est peut-être plus difficile à Lyon parce que la structure est plus fragile et dépend étroitement (au niveau du lyrique) de la programmation appuyée sur huit grosses productions presque toutes nouvelles. Certes, le théâtre est aujourd’hui un théâtre européen prestigieux, ce qu’il n’était plus en 2003 à l’arrivée de Dorny : il traversait une crise de succession depuis la fin de l’ère Erlo-Brossmann, qui, ne l’oublions pas, fut elle aussi brillante et solide et qui a construit l’identité de cette maison. N’oublions surtout pas les directeurs musicaux de leur période, qui ont eu nom John Eliot Gardiner et Kent Nagano et des productions enviables.
Après l’ère Dorny, ne souhaitons pas de crise de succession similaire. Mais il est vrai qu’autant reconstruire un théâtre dure plusieurs années, autant le mettre à terre ne peut durer que quelques mois.
Ce sera difficile pour le successeur qui devra ou bien proposer des saisons radicalement différentes, ou bien suivre le chemin ouvert par Dorny avec des inflexions, d’autres choix et d’autres esthétiques, mais toujours profondément enracinées dans la modernité, dans le style de La Monnaie de Bruxelles qui a toujours gardé quelque chose de la couleur donnée initialement par Mortier.
L’Opéra de Lyon est en France un fer de lance, qui accumule les réussites, il ne faudrait pas que cela s’émousse. Et pour l’instant, je ne vois pas vraiment qui en France pourrait continuer le travail initié à Lyon par Dorny.
La machine lyonnaise est une machine construite pour un rythme de stagione, un titre par mois à peu près, qui a atteint un rythme de croisière . Elle a trouvé aussi un équilibre musical, avec des chefs aussi différents que Kazushi Ono et aujourd’hui Daniele Rustioni, qui ont consolidé la qualité de l’orchestre, et Stefano Montanari, qui a emporté l’adhésion dans le répertoire XVIIIe sans parler du chœur, souvent splendide, investi, et très engagé aussi dans le travail scénique ce qui n’est pas toujours le cas ailleurs.
Enfin, du point de vue scénique, cette maison a une singularité qui marque la différence avec les autres scènes françaises et bien des scènes européennes : Lyon a fait découvrir à la France des metteurs en scène en vue ailleurs, mais ignorés chez nous, comme David Bösch, ou Axel Ranisch la saison prochaine, des artistes à l’univers très singulier comme David Marton, des cinéastes qui se sont lancés dans l’opéra comme Christophe Honoré, et la saison prochaine Olivier Assayas. Bref, Dorny a affirmé l’opéra comme un art de notre temps (dans la lignée de Mortier) mais il a aussi offert à Lyon une visibilité internationale que cette salle n’avait jamais eue, montrant un taux de remplissage enviable avec un répertoire à mille lieux de la complaisance, sans oublier aussi une ouverture aux jeunes, soutenu en cela par la Région Auvergne Rhône-Alpes et les Ministères de l’Éducation nationale (rectorats de Lyon et de Grenoble) et de la Culture (DRAC Rhône-Alpes) .
Un séminaire fort riche sur Lessons in Love and Violence de George Benjamin (présenté à l’Opéra partir du 14 mai dans la mise en scène de Katie Mitchell) destiné à des formateurs de l’Éducation Nationale et des responsables de structures culturelles vient de s’y dérouler avec un énorme succès, par ailleurs quelques collèges isolés ont des classes à horaire aménagées expérimentales « Opéra » pour ne citer que deux opérations parmi d’autres : l’action de l’Opéra de Lyon ne se limite pas à la ville de Lyon et commence à vraiment rayonner.  Tous les spectateurs de Lyon savent que pour n’importe quel spectacle, il y a dans la salle des jeunes, qui d’ailleurs dès les beaux jours, envahissent le péristyle comme terrain d’entraînement de Hip Hop.

La saison 2019-2020 ne déroge pas à la tradition, avec un dosage subtil de titres traditionnels (Rigoletto, Le Nozze di Figaro, Tosca, Guillaume Tell), d’opéra en concert (Ernani) de titres rares (Irrelohe de Schreker), une création (Shirine de Thierry Escaich ) et deux reprises :  un titre plus bref (L’Enfant et les sortilèges), et un succès pour les fêtes (Le Roi Carotte, d’Offenbach).
Hors de la salle de l’opéra de Lyon, l’opéra se déplace au Théâtre de la Croix Rousse, ou au théâtre de la Renaissance à Oullins pour des formes diverses, destinées à un public plus jeune, ou plus large, plus divers en tous cas

  • The pajama game, comédie musicale de Broadway de 1954 (à Oullins et à la Croix Rousse)
  • I was looking at the Ceiling and Then I saw the Sky (de John Adams) (Croix Rousse)
  • Gretel et Hänsel (Engelbert Humperdinck & Sergio Menozzi)(Oullins)

Enfin, hors salle, comme troisième œuvre (avec Rigoletto et Irrelohe) du Festival 2020 dont le thème sera « La Nuit sera rouge et noire », au théâtre du point du jour, La Lune de Carl Orff.
On le voit, l’offre est variée, alternant grands standards, création, titres inconnus, et formes diverses pour toucher tous les publics.

Octobre

Guillaume Tell (7 repr. Du 5 au 17 octobre)
Le chef d’œuvre de Rossini, la référence du « Grand Opéra » romantique dans sa version originale en français (créé à l’Opéra de Paris en 1829). Daniele Rustioni au pupitre, évidemment, et dans une mise en scène d’un des jeunes metteurs en scène les plus intelligents et imaginatifs d’Allemagne, Tobias Kratzer (qui mettra en scène cette année Tannhäuser au festival de Bayreuth). Avec évidemment John Osborn inévitable dans le rôle d’Arnold, Nicola Alaimo, le grand baryton italien dans Tell, un rôle un peu hors de l’habitude pour lui, Jane Archibald dans Mathilde et Enlelejda Shkosa dans Hedwige.
Grande œuvre, grande distribution, grand metteur en scène, à ne manquer sous aucun prétexte.

Novembre

Ernani (6 novembre)
En version de concert (qu’on verra aussi au TCE à Paris le 8 novembre), un opéra du jeune Verdi dans le sillon tracé par Attila en 2017 et Nabucco en 2018), peu connu en France inspiré de Victor Hugo, avec l’Ernani du moment sur toutes les scènes du monde : Francesco Meli ; Il sera entouré du Carlo de Amartuvshin Enkhbat, qui a triomphé dans Nabucco en 2018, du Silva de Roberto Tagliavini et de l’Elvira de Carmen Giannatasio (seul élément de la distribution qui suscite dans ce rôle terrible un petit doute de ma part). Orchestre et chœur dirigés par Daniele Rustioni.

L’Enfant et les sortilèges (7 représentations du 14 au 19 novembre)
Reprise de la production très visuelle de Grégoire Pont et James Bonas qui avait eu tant de succès en 2016. Une manière d’ouvrir le théâtre aussi à un autre public qui entre à l’opéra pour un spectacle d’une heure.  La production a déjà triomphé et revient précédée d’une flatteuse réputation, avec une qualité musicale garantie, puisque l’orchestre sera dirigé par Titus Engel, un jeune chef suisse vivant à Berlin qui aura ouvert un mois auparavant la très attendue nouvelle saison du Grand Théâtre de Genève. Le chœur sera dirigé par Karine Locatelli cheffe valeureuse de la Maîtrise, et les solistes seront ceux du Studio de l’Opéra de Lyon.

Décembre :

The Pajama Game (11 représentations : du 12 au 14 décembre au Théâtre de la Renaissance à Oullins, du 18 au 29 décembre au Théâtre de la Croix Rousse).
Une comédie musicale de Broadway à Lyon, pour les fêtes, en parallèle avec Le Roi Carotte à l’Opéra. La première en 1954 à Broadway fut triomphale : Le livret,  signé Georges Abbott et Richard Bissell, la mise en scène Jérôme Robbins, la chorégraphie Bob Fosse. Rien de moins !
Évidemment, la Croix-Rousse n’est pas Broadway,  et l’œuvre présentée le sera avec une orchestration allégée dirigée par Gérard Lecointe et une mise en scène qui convienne à l’espace de la Croix Rousse, signée Jean Lacornerie et Raphaeël Cottin. Et plein de jeunes sur scène.

Le Roi Carotte (9 représentations du 13 décembre au 1er janvier)
Reprise de la production de Laurent Pelly dont le nom est à Lyon indissolublement lié à Offenbach, manière aussi de fêter doublement l’anniversaire de ses deux-cents ans après le Barbe-Bleue qui  fermera la saison 2018-2019.
C’est le jeune Adrien Perruchon qui dirigera, un talentueux jeune chef qui commence à émerger, on y retrouvera Yann Beuron, Christophe Mortagne, Chloé Briot, Julie Boulianne. À voir évidemment : on ne rate pas un Offenbach pareil, dont le destin fut si difficile.

Janvier

Tosca (9 représentations du 20 janvier au 5 février)
Présentation à Lyon de la production coproduite avec Aix en Provence 2019, signée Christophe Honoré, qui revient à l’Opéra après son superbe Don Carlos de 2018. Dirigée par Daniele Rustioni, elle sera interprétée par les mêmes chanteurs qu’à Aix, sauf le ténor (ce n’est peut-être pas un mal), soit Angel Blue (Tosca) et Massimo Giordano, une belle voix italienne brillante qui était Ismaele dans le Nabucco de Novembre 2018,  dans Mario, ainsi qu’Alexey Markov l’un des meilleurs barytons actuels, pour Scarpia. À noter la présence une des Tosca mythiques des années 90, Catherine Malfitano, une des très grandes de la fin du siècle dernier dans le rôle de la Prima donna, double de Tosca.
Un must comme on dit, parce que Tosca manque à Lyon depuis 1979, parce que la production est excitante, avec Rustioni et Honoré aux manettes, et aussi pour Malfitano, une de ces immenses qui dès qu’elle était en scène, aimantait tous les regards.

Février

I was looking at the Ceiling and Then I saw the Sky de John Adams ( 9 représentations du 13 au 25 février) au Théâtre de la Croix Rousse.
La préparation du Festival (deux grosses productions à répéter dans l’Opéra) nécessite en février que la programmation s’externalise. C’est une excellente initiative que de proposer une forme plus légère, très peu connue en France hors des spécialistes, créée à l’Université de Berkeley en 1995, d’un des grands compositeurs de la fin du XXème siècle, John Adams (l’auteur de Nixon in China, de la Mort de Klinghoffer, de Docteur Atomic, très lié à Peter Sellars). La mise en scène en sera confiée à Macha Makeieff, une garantie, l’ensemble instrumental à Philippe Forget, et le chant aux chanteurs du Studio de l’Opéra de Lyon. Inutile de souligner qu’il faudra aller voir ce spectacle qui permettra de découvrir un John Adams peut-être moins connu.

Mars

Festival 2020 : La Nuit sera rouge et noire
(du 13 mars au 2 avril)
Un titre pastichant le mot laissé par Gérard de Nerval le soir de son suicide “La nuit sera noire et blanche”:  sang et mort, inquiétude, drame, amours névrotiques, assassinats. Trois œuvres dont deux inconnues en France (Irrelohe, et La lune) et la troisième un grand standard de l’opéra, Rigoletto. On est donc dans le contraste savamment calculé.

Rigoletto (9 représentations du 13 mars au 2 avril)
Cette nouvelle production en coproduction avec Munich (qui a au répertoire un Rigoletto qu’il est temps de changer) est confiée pour la mise en scène à Axel Ranisch à qui l’on doit récemment une très belle production de Orlando Paladino au Festival de Munich de 2018. Cinéaste, metteur en scène de théâtre, acteur, Axel Ranisch, né en 1983, est l’un des artistes émergents sur la scène de l’opéra, et bien qu’encore jeune, il a derrière lui une longue liste de productions et films.
Rigoletto, ce sera Roberto Frontali, qui a triomphé à Rome en décembre dernier dans le rôle, Gilda sera Nina Minasyan et un Duc de Mantoue à découvrir, Mykhailo Malafii un jeune ukrainien à la voix étonnante.
La direction sera aussi confiée à un jeune chef italien qui concentre l’attention actuellement, Michele Spotti, que les lyonnais auront découvert dans Barbe-Bleue d’Offenbach en juin 2019. Beau retour d’un titre qui manque à Lyon depuis 1976.

Irrelohe (6 représentations du 14 au 28 mars)
Voilà la grande inconnue du Festival, un opéra de Schreker, c’est déjà rare, même si on le connaît mieux désormais et notamment Die Gezeichneten (Les Stigmatisés) déjà vu à Lyon en 2015. Irrelohe, créé à Cologne en 1924 par Otto Klemperer est une partition complexe qui n’a pu se maintenir au répertoire, même s’il en existe deux enregistrements et puis Schreker, devenu un « dégénéré » sous le nazisme a été victime de l’histoire et ses œuvres ont peu survécu à la guerre. Irrelohe néanmoins a été récemment repris à Bonn (2010) et Kaiserslautern (2015). La production lyonnaise est une création française. L’œuvre dont le titre signifie « Les flammes folles » est une histoire qui ressemble au Trouvère de Verdi et qui finit aussi dans les flammes.
C’est David Bösch, désormais l’une des références de la mise en scène d’aujourd’hui en Allemagne, (on lui doit Simon Boccanegra à Lyon et aussi Les stigmatisés ), qui assurera aussi celle d’Irrelohe, créant ainsi un fil d’une œuvre de Schreker à l’autre, et la direction sera assurée par Bernhard Kontarsky, connu à Lyon depuis longtemps, un des très grands spécialiste des œuvres du XXe siècle. Dans la distribution, les lyonnais retrouveront Stephan Rügamer, déjà vu à Lyon dans Le Cercle de craie (Zemlinsky) et Piotr Micinsky, qui a triomphé dans Masetto du dernier Don Giovanni et surtout dans l’Enchanteresse où il jouait le rôle de Mamyrov, le méchant.
Serge Dorny renouvelle autour de Schreker l’opération qui a conduit L’Enchanteresse au succès. Mais David Bösch est un metteur en scène un peu plus sage que Zholdak…

La Lune (7 représentations du 15 au 22 mars) au Théâtre du Point du Jour (Lyon 5ème)
L’œuvre, signée Carl Orff (le compositeur des Carmina Burana) a été créée en 1939, à la veille de la guerre, par Clemens Krauss à Munich. Elle s’inspire d’un conte de Grimm, et raconte d’une certaine manière, la naissance de la Lune, qui éclaire la nuit. Elle a l’avantage d’être exécutable aussi par une petite formation (deux pianos, orgue et percussion) et a été confiée au duo-Grégoire Pont et James Bonas qui ont proposé L’Enfant et les sortilèges en 2018, repris dans la saison 2019 à cause du grand succès. Ce sera sans doute encore un enchantement visuel.

Avril

Gretel et Hansel (6 représentations au Théâtre de la Renaissance à Oullins)
L’œuvre de Engelbert Humperdinck, adaptée par Sergio Menazzi est présentée hors les murs (après le mois de Festival, l’opéra se repose un peu et abrite les répétitions de la création mondiale du mois de mai) .C’est une production où la Maîtrise de l’Opéra de Lyon joue un rôle déterminant et l’orchestre sera donc dirigé par sa responsable artistique Karine Locatelli, avec des solistes du Studio de l’OpéraLa production est confiée à Samuel Achache, Molière 2013 du spectacle musical, membre du collectif artistique de la Comédie de Valence, un metteur en scène qui aime particulièrement le théâtre musical.

Mai

Shirine (6 représentations du 2 au 12 mai)
Opéra de Thierry Escaich, sur un livret de Atiq Rahimi. C’est la deuxième création mondiale à Lyon de Thierry Escaich après Claude (livret de Robert Badinter) en 2013. C’est le poète perse Nizami Ganjavi qui a inspiré le librettiste Atiq Rahimi (Prix Goncourt 2008). Shirine raconte une histoire d’amour impossible entre le Roi de Perse Khosrow et Shirine, une princesse chrétienne d’Arménie. On perçoit immédiatement les échos que pareille histoire peut avoir aujourd’hui.
La direction en est confiée à Martyn Brabbins, grand spécialiste du XXe siècle qu’on a déjà vu dans la fosse de l’Opéra de Lyon (L’Enfant et les sortilèges de Ravel, Der Zwerg de Zemlinsky, Cœur de chien de Raskatov), et la mise en scène sera assurée par Richard Brunel (qui a fait aussi à Lyon en 2012 L’Empereur d’Atlantis ou le Refus de la Mort de Victor Ullmann et en 2018 Le Cercle de Craie de Zemlinsky) . Dans la distribution, des chanteurs francophones très valeureux, Julien Behr, Hélène Guilmette, Jean-Sébastien Bou (qui chantait Claude dans l’opéra précédent d’Escaich) et Laurent Alvaro.

Juin

Le nozze di Figaro (8 représentations du 6 au 20 juin 2019),
L’œuvre de Mozart clôt la saison 2018-19, comme Don Giovanni avait clôt 2017-18, et les deux sont confiées à Stefano Montanari, l’un des chefs les plus réclamés aujourd’hui notamment en Italie dans le répertoire mozartien et rossinien, à qui Dorny a donné une de ses premières chances il y a quelques années. Venu du baroque, Montanari se caractérise par une énergie peu commune, un travail sur la pulsation à l’opéra qui aboutit à des résultats souvent triomphaux, tant l’œuvre retrouve une incroyable vie. Il fait partie comme d’autres des compagnons de route que Dorny a su fidéliser.
Pour ce Mozart, Serge Dorny fait de nouveau appel à un cinéaste pour sa première mise en scène d’opéra, Olivier Assayas qui est aussi scénariste, et dont l’univers pourrait très bien convenir à cette folle journée. Dans la distribution, on trouve les noms de Nikolay Borchev (le Comte), le très bon Dandini de la Cenerentola lyonnaise signée Herheim, Mandy Fredrich (la comtesse), un des sopranos importants en Allemagne aujourd’hui pour les rôles de lyrique (Marguerite de Faust, Agathe de Freischütz), Figaro sera Alexander Miminoshvili, dont Wanderersite écrivait à propos de son Erimante dans l’Erismena d’Aix en Provence en 2017 « belle basse barytonnante aux graves profonds, au chant souple et au timbre chaleureux doué d’une jolie expressivité en colorant bien les paroles » .

 À ce riche programme s’ajoutent des concerts dirigés par Daniele Rustioni ou Stefano Montanari, des récitals (Ian Bostridge, Maria Joao Pires), des concerts de musique de chambre dans le cadre lumineux du Grand studio de ballet dont les programmes font écho à celui de la saison.

Enfin l’Opéra de Lyon partira en tournée, à Aix en juillet 2019 pour Tosca, à la Ruhrtirennale de Bochum en août 2019 où sera proposé Didon et Enée Remembered (David Marton, Festival 2019) et en octobre 2019 à l’opéra de Mascate (Oman) pour l’Enfant et les Sortilèges dans la production reprise en novembre 2019 à Lyon de Grégoire Pont et James Bonas.

Vous en conviendrez, tout cela vaut bien quelques allers et retours en TGV, pour découvrir des nouvelles œuvres, des metteurs en scène inconnus et aussi, ne l’oublions pas des chanteurs souvent jeunes mais très valeureux, découverts par le conseiller vocal de l’Opéra de Lyon, Robert Körner.
Il y a plein de raisons de se retrouver à Lyon et pas seulement au Festival. Je suis déjà impatient pour ma part de découvrir le Guillaume Tell signé Rustioni-Kratzer.
Mais je n’ai qu’un seul regret, c’est que certaines productions qui ont marqué le public n’aient pas fait l’objet de captations, faute de financements. Je pense par exemple à l’Elektra de Berghaus et à la Damnation de Faust de David Marton, mais on pourrait en citer d’autres, comme l’Enchanteresse

SAISONS LYRIQUES 2017-2018: OPÉRA NATIONAL DE LYON

Macbeth, par Ivo van Hove ©Jean-Pierre Maurin Opéra National de Lyon

DEUX FOIS PLUS DE PIMENT

La prochaine saison de l’Opéra National de Lyon est importante, puisqu’elle inaugure le mandat de Daniele Rustioni comme directeur musical. La présence de Kazushi Ono a largement contribué à ouvrir le répertoire vers le XXème siècle, notamment russe, pour lequel il est une référence : on se souviendra vivement de ses Prokofiev (Le Joueur, L’Ange de Feu), de ses Chostakovitch (Le Nez ou Lady Macbeth de Mzensk), de ses Wagner aussi (Der Fliegende Holländer, Parsifal) mais il aussi dirigé Stravinski, Schönberg, Dallapicola, Poulenc, Britten ou Debussy. De manière plus inattendue il a aussi dirigé Verdi (Luisa Miller, Macbeth) : depuis 2008, il a incontestablement donné une couleur musicale à ce théâtre et travaillé avec l’orchestre avec une rigueur telle qu’on peut aujourd’hui constater qu’il en a fait une phalange de toute première importance. Chef discret, très régulier, précis, il sait rendre une partition lisible, tout en faisant sonner l’orchestre pour en exalter les qualités. Après 9 ans, il remet au jeune Daniele Rustioni un orchestre parfaitement huilé, capable d’aborder tous les répertoires.
Daniele Rustioni justement est un chef de 34 ans, milanais, qui a travaillé auprès de Gianandrea Noseda et puis est devenu l’assistant d’Antonio Pappano à Londres. On connaît l’étendue du répertoire de Pappano, et si l’arrivée de Rustioni à Lyon est marquée par le Festival Verdi qui va signer la saison et donner une couleur italienne au théâtre, il ouvre sa première saison par une version scénique du War Requiem de Britten, et on l’a entendu cette saison diriger aussi Johann Strauss , c’est dire que son répertoire va bien au-delà de ce qui fait généralement la gloire des jeunes chefs italiens souvent appelés pour diriger Verdi, Rossini ou Puccini. Ce qui le caractérise, c’est sa précision, son énergie, et son opiniâtreté, le public de Lyon, dans Simon Boccanegra, La Juive, Eine Nacht in Venedig, ne lui a déjà pas ménagé les triomphes.
Comme souvent, et peut-être encore plus cette année, la saison de Lyon ne ressemble à aucune autre, parce que si elle offre au public 12 titres, il y a parmi eux un Verdi peu connu en France (Attila en version de concert), quatre petits formats (Mozart et Salieri de Rimski-Korsakov, L’histoire du Soldat de Stravnski, Journal d’un disparu de Janáček , La bella addormentata nel bosco de Respighi) dont certains bien adaptés à un public plus jeune, en collaboration avec des scènes extérieures, Théâtre de la Croix Rousse, TNP, Le Radiant, ce qui est une manière d’ouvrir l’offre tout en partageant les coûts, une création mondiale (Germania, d’Alexander Raskatov dont on avait vu le remarquable Cœur de chien en 2014), une très grande rareté d’Alexander von Zemlinski (Le cercle de craie) et quatre titres plus « grand public », Cenerentola, Don Carlos, Macbeth et Don Giovanni.
Une saison pour tous les goûts mais avec une ligne ferme, de recherche, d’innovation, de recours à des metteurs en scène à la fois renommés et exigeants, et une série de découvertes musicales pour un public curieux. C’est bien cette ligne qui a été récompensée par l’Opera Award 2017, Lyon, meilleur opéra au monde en 2017. CQFD.
Alors nous allons explorer cette offre unique, qui commence donc en octobre (du 9 au 21 octobre) pour 7 représentations avec :

  • War requiem de Benjamin Britten, mis en scène de Yoshi Oida. L’œuvre de Britten, écrite pour commémorer le bombardement de Coventry, et la reconstruction de sa cathédrale est créée en 1962. Œuvre imposante tant pour les chœurs sollicités que pour l’orchestre, elle réclame trois solistes qui seront Paul Groves, le ténor bien connu, Ekaterina Sherbatchenko, qu’on a vu à Lyon dans Iolanta (Prod. Sellars) et le baryton Jochen Schmeckenbecher encore peu connu en France, mais qui devient un des chanteurs les plus réclamés des scènes allemandes. Une ouverture de saison surprenante et spectaculaire, emmenée par Daniele Rustioni, comme un sympathique pied de nez à ceux qui s’attendaient à une ouverture toute italienne.
  • Mozart et Salieri, de Rimski-Korsakov, qui alimente la légende de la rivalité des deux compositeurs si brillamment traitée plus tard par Milos Forman dans Amadeus. Une brève tragédie confiée au studio de l’Opéra de Lyon, dirigée par Pierre Bleuse et mise en scène par Jean Lacornerie qui reprend sa production de 2010 ( 6 représentations du 31 octobre au 7 novembre)

Mi-novembre, c’est une tradition désormais, l’Opéra se met au concert pour un opéra italien, tour à tour Rossini ou Bellini, c’est au tour de Verdi, à l’honneur cette saison.

  • Attila, de Giuseppe Verdi, en version de concert, à l’Opéra de Lyon le 12 novembre 2017 et à l’auditorium de Lyon pendant le Festival le 18 mars 2018, mais aussi au Théâtre des Champs Elysées à Paris le 15 novembre 2017.
    L’opéra de Verdi, pas si jeune d’ailleurs (c’est son neuvième titre) tout feu et flammes, vibrant et acrobatique sera dirigé par Daniele Rustioni, qui offrira son deuxième Verdi à l’opéra de Lyon (après Boccanegra en 2014) dans une distribution moins italienne que slave, mais avec des chanteurs particulièrement solides (Tatiana Serjan l’une des grandes références parmi les colorature dramatiques, en Odabella) Ezio sera l’excellent Alexey Markov, Attila Dmitry Ulyanov qu’on a vu dans Iolanta, et le ténor est italien, comme il se doit, car Foresto est confié à Riccardo Massi, une valeur qui monte dans la péninsule. Attila est l’un des grands opéras de Verdi, de sa première période, mais presque contemporain de Macbeth : une œuvre à connaître, car elle est très rare en France.

L’œuvre des fêtes, c’est cette année du 15 décembre au 1er janvier pour 9 représentations un grand Rossini.

  • La Cenerentola de Gioachino Rossini, la production coproduite avec l’Opéra d’Oslo est signée d’un des maîtres de la folie scénique, le norvégien Stefan Herheim (dont les Lyonnais ont déjà vu Rusalka en décembre 2014) et dirigé par le virevoltant et énergique Stefano Montanari, désormais attaché à Lyon pour la plupart des opéras baroques et chef du dernier né, l’orchestre I Bollenti Spiriti, la formation baroque de l’orchestre de l’Opéra de Lyon. La solide distribution réunit notamment la canadienne Michèle Losier en Angelina qu’on voit un peu partout en Europe, Cyrille Dubois le ténor montant de la scène française en Ramiro, l’excellente basse rossinienne Simone Alberghini en Alidoro, Nicolai Borchev en Dandidni et Renato Girolami, grand spécialiste des barytons-basse bouffes, en Magnifico.
    Pour Herheim notamment, un spectacle immanquable.

Du 20 janvier au 1er février, pour 7 représentations, une très grande rareté d’Alexander von Zemlinski dont on connaît mieux Eine florentinische Tragödie (Une tragédie florentine) ou Der Zwerg (le nain), et dont on a vu récemment en Flandres Der König Kandaules.

–    Der Kreidekreis (le cercle de craie) op.21, livret du compositeur d’après Klabund (qui s’est lui-même inspiré d’un drame chinois du XIIIème siècle) créé à Zurich en 1933. L’année de la création, pendant que l’odeur du nazisme rôde, la thématique, très politique, pour la justice et contre la corruption et le fait-même que Brecht utilisera les mêmes sources pour son Cercle de craie caucasien écrit en 1945 et publié en 1949 montrent la singularité de cette histoire qui sera à Lyon mise en scène par Richard Brunel, directeur de la Comédie de Valence à qui l’on doit par exemple les Nozze di Figaro d’Aix en Provence en 2012 et dirigée par l’excellent chef allemand Lothar Koenigs. La très solide distribution comprend le baryton Lauri Vasar qu’on commence à voir dans de grands théâtres en Europe, Martin Winkler, Nicola Beller Carbone , qui avait impressionné dans Die Gräfin von La Roche dans Die Soldaten de Zimmermann (Production Kriegenburg/Petrenko) à Munich et Stefan Rügamer, ténor de caractère en troupe à Berlin. Est-il utile de préciser qu’une telle occasion d’entendre cette œuvre ne se reproduira sans doute pas de sitôt, et que c’est immanquable : tous à Lyon en janvier.
Début février, sans doute parce que le Festival se prépare activement à L’Opéra de Lyon, deux spectacles déconcentrés pratiquement en parallèle dans deux salles différentes, l’un au théâtre de la Croix Rousse, et on peut supposer qu’il s’adresse à des enfants, et l’autre au TNP, plus dirigé vers un public adulte, et plus connu aussi.

  • La Bella addormentata nel bosco (La Belle au bois dormant), d’Ottorino Respighi, Théâtre de la Croix Rousse, du 6 au 14 février, pour 7 représentations, dirigé par Philippe Forget dans une mise en scène de Barbora Horakova, qui a étudié et travaillé en Suisse et qui a été notamment à très bonne école à Bâle où elle a été assistante ; à Lyon elle assista David Bösch pour Simon Boccanegra. Plus connu pour ses Fontaines et ses Pins de Rome, Respighi, un peu ignoré en France, a écrit aussi un certain nombre d’opéras dont cette fable créée pour marionnettes en 1922. Studio et Maîtrise de l’Opéra de Lyon en seront les protagonistes.
  • Le Journal d’un disparu, de Leoš Janáček du 8 au 11 février pour 4 représentations au TNP. C’est Ivo van Hove, présent pour préparer Macbeth, qui met en scène cet opéra miniature dans un décor de son compère Jan Versweyveld et c’est une garantie, puisqu’il est l’un des hommes de théâtre de référence du moment dans toute l’Europe qui s’intéresse au théâtre.
    Distribution minimale avec au piano Lada Valesova, le ténor Ed Lyon, le mezzo Marie Hamard et l’acteur Bruno Koolschijn.

Et vient mars, et avec mars le temps du Festival qui cette saison est dédié à Verdi, évidemment pour marquer le début de Daniele Rustioni comme directeur musical, qui va diriger les trois titres, et ouvrir ainsi une orientation nouvelle de l’Opéra de Lyon.

Trois titres,

  • Attila (voir plus haut) le 18 mars, à l’auditorium de Lyon dans la même distribution qu’en novembre, en version de concert.
  • Macbeth, reprise de la production d’Ivo van Hove de 2012 qui plaçait l’intrigue dans le monde newyorkais de la finance, avec ses trahisons et ses ambitions. À l’époque, le mouvement des indignados était très frais : six ans après qu’en sera-t-il et ce travail très lié à l’actualité la plus récente sera-t-il modifié ? Redonné tel quel ? Les indignados ne sont plus qu’un souvenir ravivé par une France insoumise qui n’en a pas tout à fait les contours : on sera intéressé par la portée de ce travail aujourd’hui. Outre Daniele Rustioni qui succède à Kazushi Ono, c’est une distribution complètement renouvelée qui est proposée avec la Lady Macbeth de Susanna Branchini, vue aussi dans ce rôle au TCE à Paris avec Daniele Gatti en 2015, le Macbeth du baryton Elchin Azyzov, en troupe au Bolchoï où il chante notamment les grands barytons du répertoire italien, tandis que Banco sera un habitué de Lyon, Roberto Scandiuzzi, l’une des grandes basses italiennes des dernières décennies, qui avait beaucoup impressionné dans La Juive en 2016.

Certes, un Macbeth ne se rate pas, et le souvenir du travail de Van Hove en 2012, ainsi qu’une distribution renouvelée et un chef particulièrement concerné par ce répertoire sont des arguments supplémentaires pour accourir à Lyon (7 représentations du 16 mars au 5 avril).

  • Don Carlos, mise en scène Christophe Honoré. Après Dialogues des Carmélites et Pelléas et Mélisande, Christophe Honoré met en scène Don Carlos, dans la version française en cinq actes de 1867, avec des extraits du ballet « La Peregrina » (Chorégraphie Ashley White).
    150 ans (151 pour le cas de Lyon) après la création, c’est au tour de Don Carlos dans sa version originale de revenir sur les scènes, puisque Paris et Lyon affichent pendant la même saison le chef d’œuvre de Verdi. C’est le texte français qui est la référence de l’œuvre, puisqu’il n’existe pas de version italienne, mais une simple traduction italienne du livret, y compris pour la version en quatre actes de 1884. On a traité assez récemment des diverses moutures de Don Carlos, un écheveau d’autant plus difficile à démêler qu’elles sont toutes approuvées par Verdi.
    L’Opéra de Lyon propose donc la version la plus complète possible aujourd’hui, dans une réalisation scénique qui va sans doute insister sur les aspects plus réprimés de l’œuvre, l’amour, les corps. La distribution est solide, dominée par le Philippe II de Michele Pertusi, une référence dans le chant du XIXème, mieux connu peut-être pour ses Rossini, mais particulièrement adapté à un travail sur le phrasé et le style, exigé par l’original français. Don Carlos est Sergueï Romanovsky, qui avait été très remarqué dans le rôle d’Antenore lors de la Zelmira concertante en 2015. Don Carlos est un rôle tendu (comme le personnage), et rares sont les ténors qui s’y confrontent sans dégâts ; Romanovsky, beau phrasé, voix et timbre clairs, aigus faciles, pourrait-être l’un de ceux-là.

Face à lui, l’Inquisiteur de Roberto Scandiuzzi, ce qui nous promet un grand duo de basses italiennes, et un grand duo de stylistes.
Rodrigue, c’est une prise de rôle de Stéphane Degout ; on attend avec impatience sa prestation : ses qualités de mélodiste, sa technique, son timbre suave devraient idéalement convenir à ce que je considère comme l’un des plus beaux personnages de Verdi. Il sera intéressant de comparer la prestation avec l’autre baryton français de référence, Ludovic Tézier qui le chantera à Paris. Mais Stéphane Degout a vraiment la couleur du rôle pour lequel il faut surtout montrer de l’intériorité et de la sensibilité.
Inattendue l’Elisabeth de Sally Matthews, plus familière de rôles mozartiens (Konstanze, Anna, Contessa) ou straussiens (Capriccio, Daphné) que verdiens. Elisabeth est l’un des rôles les plus difficiles de Verdi, qui exige une voix très assise, mais en même temps beaucoup de lyrisme, de retenue, de contrôle. Cette mozartienne devrait en avoir les qualités.
Enfin Eboli sera la jeune Eve-Maud Hubeaux, qui est un choix audacieux, parce qu’Eboli est un rôle de maturité. Mais sa Brangäne dans le Tristan de Heiner Müller cette saison en a étonné plus d’un. Gageons qu’une Eboli jeune va justifier encore plus la rivalité avec Elisabeth, et Eve-Maud Hubeaux a une fraîcheur qui sans doute va donner une couleur différente au personnage.
Daniele Rustioni qui n’a jamais dirigé l’œuvre dans sa version originale est lui-aussi particulièrement attendu, quant à Christophe Honoré, à qui l’on doit deux des plus forts spectacles des dernières années à Lyon, Dialogues des Carmélites et Pélleas et Mélisande, il va affronter une des œuvres de Verdi les plus difficiles à traduire scéniquement, un Grand Opéra de l’intime réprimé et de la solitude.
Comme de juste, cette production est inévitable pour le mélomane. Don Carlos dans sa version originale mérite d’être représenté et deux grandes productions dans l’année est un cadeau qu’on ne peut refuser. (8 représentations du 17 mars au 6 avril)

 

Le Festival passé, l’ordinaire va reprendre son œuvre, un ordinaire tout de même assez original pour retenir le mélomane à Lyon.
Dernière « petite forme » de la saison, externalisée au Radiant-Caluire,

  • L’histoire du soldat de Stravinsky pour cinq représentations du 25 au 29 avril, dans une mise en scène d’Alex Ollé (La Fura dels Baus) qui passe ainsi des hauteurs d’Alceste cette saison à une forme plus réduite, mais l’œuvre est si forte qu’elle va attirer dans ce lieu un public peut-être différent, avec la participation de l’orchestre de l’Opéra de Lyon.

 

Une création, commandée par l’Opéra de Lyon, va succéder aux fastes du festival, de 19 mai au 4 juin pour 7 représentations. C’est à Alexander Raskatov, qui a triomphé dans les murs de Lyon et ailleurs avec Cœur de Chien en 2014 dans la mise en scène fascinante de Simon McBurney :

  • Germania, sur un livet du compositeur d’après Heiner Müller, composition autour des enjeux de pouvoirs qui ont déchiré l’Allemagne, entre Hitler et Staline, un opéra hautement politique sur un XXème siècle dont nous payons encore les pots cassés. La mise en scène en est assurée par John Fulljames (décors de Magda Willi), à qui l’on doit le dyptique Sancta Susanna/Von heute auf morgen à l’Opéra de Lyon en 2012. Dirigé par l’excellent chef argentin Alejo Pérez, l’opéra chanté en allemand et en russe sera créé entre autres par Michael Gniffke, Ville Rusanen le baryton basse Piotr Micinski et le contreténor Andrew Watts.

Enfin, dernière production de la saison, qui se ferme sur un des grands standards de l’opéra, l’opéra des opéras :

  • Don Giovanni, dont la mise en scène est confiée au hongrois (installé en Allemagne) David Marton, connu à Lyon pour Capriccio , Orphée et Eurydice, La damnation de Faust trois productions discutées mais qui ont laissé de durables traces chez le spectateur. David Marton va affronter l’opéra alors qu’il a déjà travaillé auparavant sur le mythe de Don Juan. Nul doute que ce sera âprement discuté, mais je tiens personnellement Marton pour l’une des figures les plus sensibles et les plus originales de la mise en scène aujourd’hui.
    Confié à la baguette énergique de Stefano Montanari, désormais essentiellement attaché au répertoire XVIIIème à Lyon ses qualités de précision, de vivacité, de netteté devraient convenir à un Don Giovanni chanté par une compagnie très solide dominée par Philippe Sly, qu’on voit désormais un peu partout, en Don Giovanni, accompagné du Leporello du remarquable Kyle Ketelsen (qui le chantait à Aix dans la production de Tcherniakov), et de l’Ottavio de Julien Behr (Admète dans l’Alceste de Gluck cette saison. Eleonora Buratto sera Donna Anna, une garantie et Elivra sera confiée à Antoinette Dennefeld, tandis que Zerlina sera Yuka Kanagihara. Cette production sera sûrement un des points d’orgue d’une saison qui par ailleurs n’en manque pas.


Au total, une saison passionnante, inhabituelle, sans concessions, faite pour des spectateurs curieux, qui de nouveau place Lyon parmi les théâtres les plus acérés du paysage lyrique européen. Les récompenses, la qualité des spectacles qui ne se dément pas, la très bonne fréquentation du public, et une politique résolue envers les jeunes en sont les caractères, mais ne fait évidemment pas oublier les quelques nuages qui se sont accumulés ces derniers temps auxquels sans doute des arrières pensées politiques ne sont pas étrangères, mais c’est le destin des grands directeurs d’opéra en France (Liebermann, Bogianckino, Mortier) que d’affronter ce genre de polémique dans les arcanes desquelles nous n’entrerons pas..
On continuera donc d’aller à Lyon, car c’est quand même là la programmation la plus originale de l’hexagone, à tous points de vue.

OPÉRA DE LYON 2015-2016: LA DAMNATION DE FAUST, d’Hector BERLIOZ le 13 OCTOBRE 2015 (Dir.mus: Kazushi ONO; Ms en scène David MARTON)

Partie II  ©Stofleth
Partie II ©Stofleth

Incontestablement, il y a une patte « Opéra de Lyon ». Sont passés par Lyon depuis plus de 20 ans des chefs aujourd’hui révérés (Eliot-Gardiner, Nagano, Petrenko) et quels que soient les directeurs, un soin tout particulier a toujours été accordé aux productions.
Serge Dorny a accentué la tendance en appelant des metteurs en scène très marqués par le Regietheater, soit consacrés (comme Peter Stein naguère, ou Tcherniakov cette année), soit en devenir : c’est notamment le cas de David Bösch ou de David Marton, metteur en scène de cette Damnation de Faust, type même d’artiste qui questionne les œuvres et notamment  pose de manière acérée la question de la dramaturgie à l’opéra.
C’est bien le questionnement dramaturgique qui était au centre de Capriccio (c’est d’ailleurs le sujet de l’œuvre), d’Orphée et Eurydice l’an dernier, interrogation sur la légende, sur le personnage d’Orphée, sur son discours même, replaçant le mythe dans une perspective plus humaine, et posant la question de l’écriture poétique.
Avec La Damnation de Faust, Marton se confronte à la fois à l’une des œuvres phares du répertoire français, appuyée sur l’œuvre phare du répertoire allemand, l’original théâtral de Goethe, un monstre de 12111 vers,  voyage planétaire du Docteur Faust et de son double( ?), mentor( ?) Méphisto. Il suffit de lire quelques uns des lieux du Faust I : plaine de Hongrie, Nord de l’Allemagne, cave d’Auerbach de Leipzig, bords de l’Elbe… L’oeuvre de Goethe n’est presque jamais donnée en version intégrale, l’œuvre de Berlioz n’était pas destinée à la scène, et désormais on la propose aussi bien en version scénique que concertante.Cette production fait le point sur le mythe de Faust et sur la dramaturgie de l’oeuvre.

Et le défi est difficile à relever, tant la structure formelle est erratique, avec les longs intermèdes musicaux, avec la prédominance du chœur, avec la relative pauvreté des « scènes » au sens théâtral du terme (les personnages se parlent peu et parlent plus à eux mêmes qu’à l’autre). Il faut prendre en compte la réduction du théâtre traditionnel à portion congrue, comme des flashes dans une longue, très longue histoire, des raccourcis d’humanité, des scènes au sens presque pictural du terme, qui se succèdent avec une logique ténue, avec de nombreuses ellipses ; tout cela a provoqué dans l’histoire récente des mises en scène fondées sur l’image ou le rêve (Lepage à Paris, Py – avec Kaufmann jeune – à Genève).
C’est d’autant plus facile aujourd’hui de travailler l’image esthétique/esthétisante dans la Damnation de Faust que le répertoire français a un autre Faust, celui de Gounod, plus théâtral, plus historié et plus spectaculaire, hérité du Grand Opéra. Berlioz fait ici en revanche, 13 ans avant Gounod, une sorte contre-opéra en explorant d’autres formes Ce qui permet évidemment à David Marton, qui a toujours le mérite de poser des questions claires sur les tensions et les logiques qui traversent les œuvres, de poser le problème de la nature de cette légende dramatique, et de l’inscrire d’abord dans une problématique très claire et affirmée, d’une sorte d’avatar du texte goethéen, posant à son tour la question du théâtre et de sa représentation.

Foule  (Partie I) ©Stofleth
Foule (Partie I) ©Stofleth

Berlioz appelle son œuvre légende dramatique : il s’agit donc pour le metteur en scène de partir de cette qualification et de proposer un récit à lire scéniquement, comme on lit sur les fresques des églises des épisodes de légende (La Légende Dorée par exemple). Berlioz propose de choisir du premier Faust de Goethe une succession de tableaux, très elliptiques, comme des sortes de flashes, racontant l’histoire de Faust et Marguerite et donnant beaucoup d’importance au chœur, et moins aux dialogues et aux personnages. Evidemment, le personnage le plus fouillé est Méphistophélès, selon la règle bien connue qu’on fait de la bonne littérature avec de mauvais sentiments, et donc que le Diable, un méchant très spirituel, remplit à lui seul la scène. Le premier Faust, plus linéaire que le second, plutôt métaphysique, raconte l’histoire connue de tous d’un Faust vendant son âme au diable pour tromper la vieillesse, l’ennui et la désillusion et séduisant l’innocente Marguerite pour l’abandonner aussitôt après l’avoir engrossée.
La question du premier Faust est celle d’un regard sur le monde, un monde de petits bourgeois, un monde en guerre, un monde en lui-même rabougri, que Faust fuit coûte que coûte : l’enfer vaut mieux que ce monde là.

La question de la morale bourgeoise est au centre du Faust de Gounod, très bien labourée par l’historique mise en scène de Jorge Lavelli à l’Opéra de Paris, mais elle est aussi l’un des points centraux du Faust de Goethe, c’est ce que pointe David Marton en soulignant par des citations parlées du texte de Goethe que certains journalistes dans des journaux pourtant sérieux ont qualifié d’anonymes. Mais où avaient-ils donc la tête ? Une recherche d’à peine cinq minutes sur Internet suffisait à en identifier l’origine.
Bien sûr la première citation, agressivement placée avant le début de la musique,  et dite par le chœur en forme de chœur parlé, évoque la guerre en Turquie. Au vu des événements actuels, cette citation a une actualité plus que brûlante, notamment quand elle souligne le principe du confort petit bourgeois dans son égoïsme structurel  résumable en la formule : « peu importe s’il y a la guerre là-bas pourvu qu’on soit tranquille »

Voici l’extrait, stupéfiant au regard de l’actualité, en Hongrie, en Turquie, en Allemagne ou ailleurs :

UN AUTRE BOURGEOIS.

Je ne sais rien de mieux, les dimanches et fêtes, que de parler de guerres et de combats, pendant que, bien loin, dans la Turquie, les peuples s’assomment entre eux. On est à la fenêtre, on prend son petit verre, et l’on voit la rivière se barioler de bâtiments de toutes couleurs ; le soir, on rentre gaiement chez soi, en bénissant la paix et le temps de paix dont nous jouissons.

TROISIÈME BOURGEOIS.

Je suis comme vous, mon cher voisin : qu’on se fende la tête ailleurs, et que tout aille au diable, pourvu que, chez moi, rien ne soit dérangé.

Que le texte de Goethe soit une lecture cruelle du monde des hommes, au point de faire de Méphisto un méchant pas si antipathique, on le savait, et David Marton s’en empare pour illustrer en fonction de nos références par une vision très ritualisée cette donnée initiale qu’il développe à tous les âges de la vie humaine, et notamment dès l’enfance. C’est même par l’enfance que passe d’abord cette cruauté (les enfants traitant de putain Marguerite détruite est un des moments les plus forts de la soirée, alorsqu’ils ne font que reprendre le texte que Valentin prononce à l’endroit de sa sœur chez Goethe). Et tous les motifs développés par les enfants sont repris ensuite chez les adultes : la petite fille dessinant un grand cercle devient ensuite Marguerite dessinant, Faust s’assoit à un bureau qu’un enfant a précédemment occupé, et la scène de Brander chantant une chanson à boire, devenant un discours de comices avait déjà été mimée par les enfants pendant la Marche hongroise, devenue satire du totalitarisme et des rituels politiciens.

Marche hongroise  ©Stofleth
Marche hongroise ©Stofleth

David Marton est hongrois, il vit en Allemagne. Il est particulièrement sensible à ce qui se passe en Hongrie, un pays qui d’ailleurs, ne l’oublions pas, fut occupé par les ottomans – le cercle se resserre autour de notre première citation…
Dans ce travail théâtral d’une grande finesse, David Marton crée des relations, tisse des fils, et passe du concret à l’abstrait, ou plutôt fait du concret une abstraction, ce qui est aussi le propos goethéen.
Ce passage du concret à l’abstrait est particulièrement frappant lorsqu’on observe le mouvement du décor. Dans la première partie, trois éléments prégnants :

  • la bretelle (auto) routière abandonnée, une route qui ne mène nulle part sinon à la chute, une idée loin d’être neuve, qui hantait déjà il y a longtemps Chéreau dans Combat de nègres et de chiens de Koltès (1983) et qu’on a même retrouvée récemment (juin-juillet 2014) dans la mise en scène londonienne (Jonathan Kent) de Manon Lescaut de Puccini.
  • le cheval et la 203 « pick up ». Un cheval concret, bien vivant, quelque peu effrayé par les mouvements des enfants (ce qui, entre parenthèses, est du pain béni pour la mise en scène) qui devrait servir pour la course à l’abîme, sauf que dans la vision de Marton, c’est le pick up qui sert de cheval (la scène est d’ailleurs l’une des plus réussies de la mise en scène). Le cheval devient donc lui aussi motif, presque surréaliste, en écho à la 203 Pick up.
  • Le rideau de scène rouge. Ceux qui connaissent l’opéra de Lyon savent que ce rideau rouge n’est pas habituel. Il est donc ici un signe, confirmé d’ailleurs par sa répétition en réduction sur scène (rideau rouge des enfants qui s’en servent pour le petite représentation durant la marche hongroise, rideau rouge derrière le bureau de Faust ou dans la chambre de Marguerite). Rideau rouge signifiant théâtre, la question du théâtre est l’un des motifs utilisés par Marton pour illustrer le statut (théâtral ?) de l’œuvre originale, réputée injouable dans son intégralité, et de celle de Berlioz, objet scénique difficile à classer, mais aussi installer le théâtre comme représentation du monde et le monde comme théâtre c’est l’entreprise même de Goethe.

La deuxième partie est uniformément blanche, le décor est comme recouvert d’une housse, qui fait penser aux paysages enneigés des albums de contes de fées, et qui renvoie par la couleur à l’innocence, ou, plus justement, à l’idée de candeur, meubles blancs, montagnes recouvertes, comme si le monde et ce qui en fait le réel et la crudité s’en était allé, au profit de formes un peu effacées. C’est la partie de Marguerite, comme libérée du monde concret et représentante d’une innocence abstraite et irréelle.

David Marton joue parfaitement sur réalité/représentation ou concret/abstraction, dans une œuvre en permanence à la frontière des genres, à la frontière des mondes.
Ainsi des scènes « filmées » dans la 203.
Filmées, elles acquièrent immédiatement un autre statut, elles se dématérialisent, même si le spectateur voit en direct par la volonté du metteur en scène, et les protagonistes, et quelquefois le caméraman. On passe de la troisième à la deuxième dimension, on passe d’un point de vue direct à un point de vue indirect, d’un regard à l’autre, avec une technique à la Frank Castorf que David Marton connaît bien pour avoir travaillé avec lui: de Castorf l’usage de la vidéo, de Castorf aussi l’usage de textes parlés insérés dans l’œuvre.
Ici, ils sont tous extraits du premier Faust de Goethe, et donc ne peuvent pas « distraire » d’une œuvre musicale qui en procède elle-même, mais tout au moins l’éclairer où en éclairer des données, comme on l’a vu plus haut. Même le fameux dialogue en anglais dans la 203 qui en a étonné plus d’un, qui porte sur Dieu est en fait la scène dite « du jardin ».
David Marton la fait dire en anglais pour une raison d’abord terriblement pratique : les deux chanteurs sont anglophones et ce dialogue dit dans une langue qui n’est pas la leur aurait sans doute semblé artificiel, et aurait nuit à la fluidité et au réalisme cinématographique de la scène. La deuxième raison tient aussi à la reprise vidéo et à sa réalisation : paysage, reprises de la route en font une allusion à un road movie américain, et à écouter la scène on est loin de penser à « Faust », mais plutôt John Huston, et l’anglais renforce aussi ce sentiment chez le spectateur piégé par la traditionnelle opposition entre l’être et l’apparence, qui est évidemment un des éléments clés du Faust, mais aussi du théâtre, mais enfin du cinéma.
David Marton semble aux dires de certains nous détourner, délirer même, dans une sorte d’absurdité innée de ces-mises-en-scène-modernes, alors qu’il nous plonge dans la réalité d’un texte que nous avions oublié (à condition de l’avoir jamais connu…) et dans la réalité de questions fondamentales posées par le texte, mais aussi par Berlioz dans la forme qu’il donne à son adaptation, où l’on passe indifféremment de la forme théâtre à la forme oratorio, du monde « réel » au monde souterrain ou de Dieu à Diable. Car Faust est un road movie, ou ici un stage movie, par la multiplication des lieux et des situations, par le voyage permanent auquel Mephisto invite son cher docteur : road movie, on en a les éléments dès le décor de la première partie : une route, des montagnes dans le lointain, un cheval, une voiture : l’idée de voyage, de mouvement est posée. L’idée de road movie et ce dès l’utilisation de la vidéo qui renvoie à l’univers américain des grands espaces : Marton évoque, sans jamais donner de clés, tout simplement parce que ce théâtre là, que ce soit Berlioz ou Goethe est par nature évocatoire, à l’aide du beau décor de Christian Friedländer.

Les damnés  ©Stofleth
Les damnés ©Stofleth

Il évoque, en nous donnant cependant des indications précises : on a déjà parlé de la marche hongroise, et des motifs récurrents, on n’a pas encore évoqué les personnages qui peuplent cet univers : Faust d’abord, un Faust sans âge, à la démarche un peu molle e déconstruite, avec son chapeau qui rappelle les Marx Brothers ou même très vaguement Godot et l’univers de Beckett. Méphisto, en parfait gentleman avec son attaché-case, éternel voyageur à la recherche de sa proie (comme l’évoque de fascinant final dans les rues de Lyon), et les âmes damnées qui l’entourent, redingote noire, cravate rouge, chapeau melon et attaché-case, autant de personnages à la Jean-Michel Folon évoluant dans un univers sans références, sans traits, où les formes se sont estompées. Faust lui-même, à l’issue de la course à l’abîme, subira cette transformation assez crue sur une table de dissection où des infirmières un peu distraites et bavardes officient, sur la table de dissection-même qui faisait le tableau final de la première partie, où Faust s’exerçait à une leçon d’anatomie sinistre (n’oublions pas qu’il est médecin) et que le personnage est créé par Marlowe au moment des premières leçons d’anatomie (voir Rembrandt).
Le travail de Marton est aussi fait de relations tissées entre première et deuxième partie nous avons évoqué le décor concret/abstrait, mais pas encore l’apparition initiale de Mephisto au milieu du chœur chantant ce qu’il devrait chanter, comme si Méphisto était démultiplié par ce peuple omniprésent et pas toujours bienveillant, un peuple un peu manipulé : le mal surgit dans le réel de la foule, de la même manière que les âmes aspirent Marguerite qui se fond dans la foule dans la deuxième partie, pendant angélique de l’apparition diabolique.

Nous avons aussi évoqué la chambre des enfants dans la première partie reproduit dans la deuxième partie par celle de Marguerite, ou cette dernière table de dissection où Faust officie en première partie, pour en être le cadavre-objet en deuxième partie. Il apparaît une cohérence interne bien loin d’être gratuite, qui installe des liens, des relais, une unité globale.
Tout n’est pas explicable directement, et d’ailleurs, l’art a-t-il besoin d’explications ? tout se passe comme si on refusait au metteur en scène le statut d’artiste et à la mise en scène le statut d’œuvre, une œuvre particulière certes, mais qui n’est plus aujourd’hui une simple illustration.
Ce travail illustre le foisonnement du thème faustien, nous indique la multiplicité des thématiques et des points de vue, il nous indique enfin l’effacement des formes, c’est à dire l’impossibilité de se raccrocher à des éléments connus, fixés, rassurants. Il n’y a rien de gratuit, et pourtant que de surgissements qui apparaissent à première vue mystérieux, heureusement mystérieux, tout simplement parce que le Faust de Goethe est un immense Mystère, la dernière survivance du Mystère médiéval

En voiture..et en vidéo ©Stofleth
En voiture..et en vidéo ©Stofleth

Enfin, il y a dans ce travail comme dans tout travail sur Faust, une marque permanente d’humour, quelquefois cynique, notamment à travers le traitement du personnage de Mephisto, magistralement interprété par Laurent Naouri, avec sa diction et son allure aristocratiques, et en même temps le pétillement de ses yeux, les mouvements imperceptibles des lèvres (bien visibles, volontairement, à l’écran) : les scènes dans la 203 avec Faust sont désopilantes, mais c’est dans la course à l’abîme que cela confine au grand art qui distancie totalement une scène sensée nous ouvrir les portes de l’enfer et qui ne cesse de nous faire sourire :

  • sourire quand Mephisto au volant (Faust est sur la plate forme, au vent, dehors, emporté comme une marchandise récupérée) semble entendre la musique de Berlioz à l’autoradio, et évidemment de manière jouissive, auditeur de ses propres œuvres et heureux d’avoir récupéré une âme damnée pour son armée des ombres à la Folon.
  • Sourire quand Mephisto sort de la voiture qui continue de rouler à toute allure sans chauffeur, simple artifice pour montrer la diablerie de la chose.
  • Sourire plus inquiétant enfin quand Faust entre en enfer et reçoit un numéro qu’on accroche à son pied, comme on peut le faire d’un cadavre à la morgue, mais en même temps reçoit son nouveau statut d’âme damnée avec l’habit qui va avec et donc se relève de cadavre à âme damnée anonyme, nous rappelant les procédures (les simagrées) administratives qui préludaient à l’entrée dans les camps de concentration, autre entrée de l’Enfer.
Partie I  ©Stofleth
Partie I ©Stofleth

Enfin Marton a affirmé vouloir faire un théâtre politique, au nom de la présence importante du chœur dans l’œuvre de Berlioz : la présence du chœur, du peuple en scène est toujours politique. Il marque donc la présence de la masse, manipulée (chanson de Brander) violente (toujours chanson de Brander),  oppressante (apparition de Méphisto) ou séraphique (ascension de Marguerite), une foule presque omniprésente tantôt représentée par les enfants (Marche hongroise) qui miment les adultes, tantôt conduite par les enfants surgissant au sommet du pont recouvert comme les âmes du paradis émergeant des nuages (comme dans certains tableaux plafonds baroques), tantôt surgissant, en cortège, évoluant en cortège de réfugiés, ou de déportés, ou un cortège d’âmes damnées, ou bien entourant les protagonistes comme dans un viol permanent d’intimité, comme un regard sans cesse dardé. En bref, la présence de la foule n’est jamais gratuite, toujours en quelque sorte pesante, voire inquiétante, la présence des bourreaux comme des damnés.

Mais Marton fait surtout de l’espace théâtral l’espace de représentation du monde, un monde pessimiste à la Schopenhauer (Le monde comme volonté et représentation), mais un espace aussi poétique – de correspondances, de métaphores, de figures : tout nous parle théâtre et poésie dans ce travail (que j’ai appelé à plus haut stage movie). D’abord parce que le décor est évocatoire d’un espace mental, qui espace de la poésie, mais laisse aussi toujours apparaître l’espace scénique dans sa nudité noire, notamment quand le fond de scène se lève vers les dessus, montrant sans cesse où nous sommes, ce que l’agressif rideau rouge nous indiquait déjà. Enfin parce que la course finale de Mephisto disparaissant dans la nuit de la ville, commence par un parcours chaotique dans les dessous complexes du théâtre, scène, coulisses, couloirs, ascenseurs, escaliers, vus comme représentation du monde, qui est aussi l’objet du Faust de Goethe.
On sent bien que ce travail nous mène à une sorte de quête sans fin, une quête de sens, là où il n’y en a pas, une quête d’amour là où il n’y en a pas, une quête dont la chute est la fin, comme ce pont qui s’arrête sur le vide.

Ce théâtre est évidemment théâtre de mise en scène, Regietheater qui problématise une œuvre et en montre les possibles, et tous les espaces : quel intérêt eût pu avoir une Damnation imagée à la manière de Py ou de Lepage, quand à travers ces deux magnifiques spectacles, tout a été dit de ce côté là. Quel intérêt à montrer une histoire, que le Faust de Gounod s’ingénie à montrer dans ses détails, sans jamais être le double de la Damnation.
Il faut vraiment emprunter un autre chemin. Alors Marton dissèque l’œuvre de Berlioz, en prend les caractères, ellipses, dramaturgie un peu erratique, présence importante du chœur et importance relative des personnages, s’il y a vraiment des personnages de théâtre et non des figures, et les lie par un système de relations directes et évocatoires, par des fils de sens ou des fils d’images, au texte originel de Goethe, qui reste la référence fidèle de Berlioz et le socle de la représentation.
En ce sens, nous avons une représentation faustienne de la Damnation de Faust, profondément fidèle à Berlioz, par son exploration de formes surprenantes et ses nouveautés, par le foisonnement d’idées et par l’audace de certains choix qui ne trahissent jamais l’esprit de l’œuvre.

A cette complexité réelle répond une réalisation musicale où tous les protagonistes ont semblé adhérer au propos de la mise en scène, il en résulte une grande cohésion stylistique entre ce que fait Marton et ce que fait Kazushi Ono en fosse. Il n’est pas facile pour une œuvre aussi singulière de définir ce que devrait être une Damnation de Faust, créée à l’opéra comique en 1846 et au Palais Garnier en version de concert en 1897, et en version scénique en 1910. Depuis 1980, La Damnation de Faust a été reprise à Paris plusieurs fois en version de concert jusqu’à la production scénique de Luca Ronconi, importée de Turin, proposée en 1995 et 1997, à laquelle succède la célèbre production de Robert Lepage à partir de 2001, et reprise en 2004 et 2006. En fait, les versions de concert et les versions scéniques alternent.
À Genève, la production de 2003 dirigée par Patrick Davin affichait Jonas Kaufmann, Katerina Carnéus, et José van Dam et la reprise de 2008 John Nelson, Paul Groves, Willard White et une certaine Elina Garanča. Rappelons pour mémoire la production (discutable) de la Fura dels Baus à Salzbourg.
À l’opéra de Lyon, l’œuvre est assez familière, c’est quand même un des piliers du répertoire français et sans doute le plus représenté des opéras de Berlioz: c’est la cinquième production depuis 1973, la dernière remontant à 1994 avec Susan Graham, Thomas Moser et José van Dam sous la direction de Kent Nagano.
Tous ces rappels nous montrent combien l’œuvre reste désormais bien présente sur les scènes, sous ses deux formes essentielles.
Kazushi Ono propose une interprétation sans fioritures ni maniérismes, comme à son habitude, mais très précise, éclairant de manière particulière les détails de la partition où l’orchestre de l’Opéra de Lyon donne une très belle prestation, avec des bois particulièrement efficaces, avec un son jamais envahissant, moins sec que d’habitude dans cette salle, et une vraie dynamique. La Marche hongroise n’est pas spectaculaire, au sens m’as-tu vu du terme (souvenez vous de la Grande Vadrouille et de De Funès), elle est au contraire d’une grande fluidité, presque naturelle, s’insérant dans le fil dramatique, sans jamais en exagérer les sons ou les formes, grâce à une mise en scène (les enfants) qui en atténue les aspects militaires et en fait presque un jeu, ou une pantomine de bambins. Jamais la scène n’est couverte par la fosse, mais l’orchestre est toujours très présent, faisant sonner les morceaux symphoniques avec netteté, tantôt de manière incisive tantôt avec beaucoup de délicatesse et de légèreté, voire de poésie. C’est pour moi une des meilleures prestations de l’orchestre et du chef.
Le chœur de l’Opéra de Lyon dirigé par Philip White a donné lui aussi une vraie preuve d’excellence. Très sollicité par la partition et cette fois-ci aussi par le metteur en scène, la diction est toujours impeccable, d’une grande clarté, dans une approche pleine de nuances.
La distribution vocale, sans être d’une homogénéité absolue, s’en sort avec les honneurs.
René Schirrer est un Brander à la voix fatiguée, un peu mate, et sans volume, il reste que le personnage voulu (une sorte de vieux tribun qui finit comme le rat de la chanson, dans le four de la foule) est bien caractérisé, et que ce Brander un peu en retrait sert la couleur de la mise en scène.
Kate Aldrich en Marguerite est une belle femme, plus « mûre » que d’habitude : ce n’est plus une enfant. La voix n’est pas en cause, et son D’amour ardente flamme ne manque ni d’émotion ni de sensibilité. Il reste quelques problèmes d’homogénéité vocale des aigus quelquefois un peu criés et une diction problématique, surtout face à des experts du mot comme Laurent Naouri et Charles Workman. C’est une Marguerite honnête, sans rejoindre jamais la Légende du rôle.

Charles Workman (Faust)  ©Stofleth
Charles Workman (Faust) ©Stofleth

Charles Workman n’a plus la voix de jadis, où il était un des ténors mozartiens de référence. Mais il garde une vraie présence, et la voix fascine encore par son élégance, par le style impeccable et par l’émotion distillée : une émotion née d’une capacité à sculpter les mots, à leur donner du poids et du sens. On sent quelques aigus un peu difficiles, un peu forcés à la limite du cri, mais on se souviendra longtemps de cette silhouette pathétique, perdue, voire éperdue, qui semble tout faire à la dégoûté, d’un enthousiasme très contrôlé face à Marguerite. J’aime ce chanteur très respectable, très sensible, intelligent et quelques problèmes vocaux n’entachent en aucun cas l’estime pour l’artiste qu’il est. Il est le personnage, et cette voix quelquefois très légèrement fanée donne à ce Faust une mélancolie structurelle qui va à merveille avec la mise en scène.
Laurent Naouri est lui aussi un de ces chanteurs à l’intelligence pétillante et à la présence scénique particulière. La voix est là, avec son étendue, sa souplesse, sa couleur et ses inflexions multiples, et aussi force, subtilité, ironie. L’acteur est vraiment étonnant, vu sur scène ou à l’écran. On se souviendra de ses mimiques impayables, de ses yeux malicieux dans la 203 avec Faust ou seul au volant, de ce langage insinuant, de cette force tranquille du mal qu’il installe, d’un mal d’autant plus dangereux qu’il inspire une certaine sympathie. Donnez moi 100 Mephisto pour un Lindorf  qui chez Offenbach n’est que caricature de bande dessinée: le diable de Berlioz, comme celui de Gounod d’ailleurs est une figure satanique un peu satinée, aristocratique, vivace, c’est en quelque sorte la beauté du diable que Naouri porte dans son personnage. Avec un tel Méphisto, le Sabbat est une partie de plaisir…

Voilà une Damnation de Faust qui a fait discuter, et douter, et qui a aussi provoqué ses huées (mais pas le soir où j’y étais). Le théâtre, lorsqu’il prend vraiment possession du plateau et ne se contente pas de l’habiller, inévitablement secoue le spectateur. L’approche de David Marton est évidemment déstructurante, un peu comme celles de Christoph Marthaler ou de Frank Castorf, voire de son compatriote Árpád Schilling, mais Marton est aussi un musicien, formé aux meilleures écoles dont la Hanns Eisler de Berlin : l’accuser d’aller contre la musique serait donc une absurdité, tant son travail est musical au plus haut degré (son Orphée l’an dernier était stupéfiant à cet égard).
En posant un regard sur la forme de l’œuvre de Berlioz, sur le texte originel qui fascinait le musicien, il a proposé une vision complexe, fouillée, diverse et grave d’une œuvre qu’on réduit souvent à une imagerie. Dans cette production, le mythe de Faust est balayé dans tous les possibles portés par l’œuvre de Berlioz, elle même proposition formelle originale qui supporte difficilement la scène traditionnelle.
Si la production est forte, si forte même, c’est non seulement qu’elle nous plonge dans un univers de pure poésie alchimique, mais qu’elle est aussi portée par un plateau et une fosse en totale cohérence, où musique et vision se rencontrent et s’interpénètrent. Qu’il y ait des lieux, des théâtres, des opéras en France qui refusent obstinément la complaisance et les satisfactions faciles et passagères est plutôt un signe positif, qu’il y ait débat autour n’est pas non plus mauvais, cela veut dire que l’opéra est encore un art vivant. La bête n’est pas encore morte.[wpsr_facebook]

Laurent Naouri (assis), Charles Workman et Kate Aldrich  ©Stofleth
Laurent Naouri (assis), Charles Workman et Kate Aldrich ©Stofleth

OPÉRA NATIONAL DE LYON 2014-2015: ORFEO ED EURIDICE, de C.W.GLUCK le 14 MARS 2015 (Dir.mus: Enrico ONOFRI; Ms en scène: David MARTON)

Espace rêvé, espace littéraire © Stofleth
Espace rêvé, espace littéraire © Stofleth

Cette production d’Orphée et Eurydice (en réalité Orfeo ed Euridice puisque c’est la version originale sur le livret de Calzabigi qui a été choisie) a été huée par une partie du public. C’est souvent un bon signe, cela signifie que quelque chose s’est passé.
De fait, le metteur en scène David Marton a décidé de proposer une vraie dramaturgie pour une œuvre qui n’en a pas, une œuvre pain béni pour les non-metteurs en scène qui la plupart du temps se contentent d’illustrer de manière « jolie » cette histoire pourtant cruelle dont le « happy end » convenu constitue une contradiction avec le mythe originel. Je me souviens de la production d’Ivan Alexandre avec Marc Minkowski, qui était de ce type.
Marton va très loin, aux frontières du musicalement correct : bruit obsédant de la machine à écrire qui « perturbe » la musique, transistor grésillant faisant entendre la musique de Gluck sur laquelle le vieil Morphée chante un peu au début, et surtout deux Orphée se partageant la partition en alternance selon les paroles qu’ils prononcent : un Orphée, vieillard à la veille de la mort, inconsolé et transfigurant sans cesse par l’écriture le drame de sa vie, chanté par une basse (Victor von Halem) et son double fantasmatique jeune, chanté par un contre-ténor (Christopher Ainslie).
Il fallait oser.
Il fallait oser si ce travail construisait un sens. Et David Marton plutôt que de se confronter à une non-dramaturgie, revient au mythe, à sa signification littéraire et artistique, et à la question même du drame musical comme permanent retour au mythe d’Orphée, le chant et la musique ayant pour fonction d’enchanter le monde. Il se souvient que l’Orfeo de Monteverdi et que l’Euridice de Caccini sont parmi les premiers jalons du parcours de l’opéra dans l’histoire.
Orphée, c’est le mythe même de l’opéra.
Pour comprendre ce qui est représenté, il faut d’abord retourner à la poésie, Rilke bien sûr, mais surtout Apollinaire et à La chanson du mal aimé, marquée par la figure d’Orphée :

Mais en vérité je l’attends
Avec mon coeur avec mon âme
Et sur le pont des Reviens-t’en
Si jamais revient cette femme
Je lui dirai Je suis content

 Guillaume Apollinaire, La Chanson du mal aimé (extrait)

L’impossibilité de la consolation, et l’écriture comme mouvement pour retrouver l’être aimé et les sensations perdues, nous portent bien sûr au seuil de Proust. Si l’on ne perçoit pas cette charge littéraire, marquée de manière obsessionnelle par le cliquetis de la machine à écrire, tout le sens de ce travail échappe.

Ce travail profondément inscrit dans le littéraire possède une force qui finit par dépasser la musique même : en fait David Marton essaie de répondre au débat de Capriccio qu’il mit en scène naguère à Lyon, prima la musica ou prima le parole…en le poursuivant dans le travail sur une œuvre référentielle, et pour le genre opéra, et pour le mythe, et pour la poésie.
Tout commence donc par une machine à écrire, celle d’Orphée fait défiler un texte sur l’écran du fond, un texte extrait d’une nouvelle d’une trentaine de pages de Samuel Beckett, Le Calmant (Nouvelles et textes pour rien, Ed.de Minuit, 1945). En allant lire le texte – ce qui motive mon retard à faire paraître le présent compte rendu – on relève d’abord la question de la mort, la décadence psychique, l’errance sans le sens. Le sujet en est un retour à la survie, plus que la vie, un parcours erratique à la Joyce et un regard sur le monde d’un vieillard qui parcourt des paysages urbains hostiles et croise d’étranges figures, un voyage entre deux, qui tient du rêve, avec ses mouvements à sauts et à gambades, et en même temps un retour à l’enfance avec ses refrains, ses contes, ses mystères et ses rencontres.

C’est là l’espace « réel » de la mise en scène et du récit qui nous est raconté : le texte de Beckett inspire sans doute le décor, une cabane abandonnée, un buisson décharné, une table laissée à l’abandon avec ses reliques (la table du mariage laissée telle quelle) une lande, et le théâtre, apparent, ses grils, ses murs nus, un espace beckettien en somme où l’on pourrait voir surgir Minnie, Vladimir ou Estragon.
Ce personnage central est un vieillard, cheveux longs et blancs, barbe, une figure de prophète car c’est bien une parole qui s’échappe de ce bruit lancinant de machine à écrire : c’est Orphée, vieilli, qui a sans doute passé sa vie à raconter la même histoire, à la chanter au monde, à la chanter au désert, une histoire obsessionnelle « notre Orphée », écrivent David Marton et Barbara Engelhardt sa dramaturge, «cherche par la poésie à fuir le vide laissé par la perte, mais avec une machine à écrire au lieu d’une lyre ».

Fantômes ou mariées..obsession © Stofleth
Fantômes ou mariées..obsession © Stofleth

Ce que va nous montrer Marton, c’est la dernière page d’un récit poétique qui va défiler une dernière fois et qui va remplir la scène, comme si nous regardions un spectacle à quatre dimensions, où hic et nunc ce vieillard ratiocine, mais où sur une scène fantasmatique ou rêvée prennent vie des souvenirs ou des images, des évocations des rêves de ce qui aurait pu arriver : tout se dilue, Eurydice apparaît en mariée, comme Orphée l’a vue le dernier jour, mais une mariée démultipliée, comme une obsession qui ne cesse de sortir de la cabane et qui finit par être un défilé de fantômes, et lui, Orphée, est le double au coeur de l’histoire, il est jeune, il a une voix jeune et lointaine, une voix d’ailleurs, une voix de l’absence comme peut l’être celle d’un contreténor.
À jardin le poète derrière sa table et à cour, la vision métaphorique et poétique (sublime apparition de l’hautboïste) colonisant le côté cour.

Tout travaille à cette différenciation : y compris la langue. David Marton joue avec l’italien chanté (on chante, je le rappelle, la version italienne de Calzabigi) et on parle en français, comme lors de l’apparition d’Amour sous l’aspect de six enfants marchant comme la garde de Carmen et chantant comme les enfants de la Flûte enchantée, qui est une aussi variation sur le mythe d’Orphée (les épreuves, le Glockenspiel charmant les animaux, la force de la musique sur les éléments etc…). Ces enfants accompagnent Orphée dans ses épreuves comme ils pourraient le faire pour Tamino. De même, en français les quelques paroles entre le couple supposé Orphée/Eurydice vivant une banale vie de famille (« à table !»  Eurydice appelle la famille et sert la soupe). Car Orphée ne revit pas l’histoire mythique d’un couple mythique qui serait à l’égal de Tristan et Yseult ou Roméo et Juliette.

Eurydice doute...© Stofleth
Eurydice doute…© Stofleth

Fort intelligemment, David Marton fait de ce mythe fondateur un rêve petit bourgeois : Orphée et Eurydice remontant des enfers finissent par jouer une vraie scène de ménage ou de dépit amoureux (Elena Galitskaya en Eurydice si fraîche et si vive) et quand on rêve de l’amour, on rêve de la vie de famille, Eurydice sert la soupe à ses enfants, qui chantent Amour, devenus enfants du couple et la table de mariage abandonnée reprend vie.

Amour glamour © Stofleth
Amour glamour © Stofleth

Et lorsqu’ils sont seuls, Orphée vit sa relation à Eurydice comme une relation glamour qu’on vit dans les films et fait « poser » la jeune femme comme pour des photos de modes, pendant que le plateau devient plateau de photographe et que s’approchent des rangées de sièges de cinéma d’un autre âge. Il y a sans cesse un dialogue  le réel et le souvenir, le réel marqué quelquefois par des bruits de train insistants et un peu invasifs et par Orphie vieilli qui parcourt l’espace en témoin “invisible” et la transfiguration qui devient rêve, qui devient ce-qui-aurait-pu-être et dont Orphée a fini par remplir sa vie.

Bien sûr, le vieillard derrière sa machine n’est pas un vieillard ordinaire, j’ai écrit plus haut qu’il avait un côté prophète : le visage m’a fait penser à Charlton Heston après l’épisode du Buisson Ardent dans Les dix commandements et je me suis même demandé si l’arbre décharné sur la scène ne renvoyait pas à l’image prophétique, voire biblique, du poète. Il y a sans nul doute dans un travail aussi adossé à la littérature, au voyage de la Parole, du Verbe qui devient chant, à un voyage qui passe de la voix de basse à la voix de femme puis à celle du contre-ténor et aux voix d’enfants, sorte de variation éclatée de toutes les couleurs de la voix humaine, il y a parole écrite, parole orale, parole chantée, tout ce qu’est la poésie. Au commencement était le Verbe.

"Quand il est mort le poète" © Stofleth
“Quand il est mort le poète” © Stofleth

Ce poète-prophète, finit par mourir : son corps est étendu pendant que se réalise mythiquement autour de la table son rêve de famille réunie et du partage de la soupe, l’ultima cena qui ne peut-être un final, parce que Gluck a imaginé un happy end à tiroirs, très difficile à concevoir après avoir pendant 1h30 représenté l’impossible consolation et la mort. Alors David Marton renonce: il renonce au théâtre, à la théâtralité, à l’histoire : le chœur devient un chœur de concert, Orphée et Eurydice deviennent des solistes de concert, les enfants retournent à être « Maîtrise de l’Opéra de Lyon » et l’orchestre enfoncé dans la fosse profonde de l’opéra de Lyon remonte au niveau et à la vue du public.
C’est la musique qui prime.
Ainsi, David Marton nous a dit (en référence à son Capriccio) pendant 1h30 minutes prima le parole donnant au discours, à la parole poétique, à la littérature, à la langue évocatoire, à la dramaturgie et au théâtre le primat, mais il renonce à la Gesamtkunstwerk les cinq dernières minutes, pour reconnaître que prima la musica : « j’ai essayé, et finalement je renonce », la musique brute, sans le théâtre, est la dernière image (très théâtrale au demeurant, et très émouvante) de ce spectacle.
Dans ce moment d’une rare finesse, il nous raconte ici quelque chose de l’histoire du genre, de ses débats, encore virulents, comme ils le furent aux temps de Gluck, et comme en témoignent les huées qui ont accueilli fort injustement le metteur en scène.

C’est bien sur la mise en scène que repose toute la fascination du spectacle et qui lui donne son sens y compris musical, pour une œuvre sans aucune tension dramaturgique la plupart du temps proposée sous la forme oratorio, mais qui se prête bien par sa nature même à toutes les adaptations plastiques, de l’encéphalogramme plat très élégant (Ivan Alexandre) au génie (Pina Bausch).
Car un des griefs que les huées ont sans doute exprimé, c’est les bruits qui perturbent la musique (trains, machine à écrire), c’est le double Orphée et donc la liberté ou les libertés prises avec la partition qui passent aux yeux de certains pour des entorses : que cette liberté empiète sur la musique, c’est difficilement pardonnable aux yeux de certains. Et pourtant, il s’agit là d’un des Orphée et Eurydice les plus vrais, les plus justes, les plus émouvants qu’il m’ait été donné de voir.
Et d’entendre…car musicalement, le spectacle est très bien défendu.

Victor von Halem fut l’une des basses de référence il y a une vingtaine ou une trentaine d’années : il a aujourd’hui à peu près 75 ans et son Orphée est étonnant de grandeur, de noblesse, d’émotion, la voix est encore très sonore, très bien projetée, la diction impeccable, l’intensité, absolument indispensable vu le personnage qui doit être représenté. C’est un moment artistique magnifique qui nous est donné à voir.
Face à lui Christopher Ainslie n’a pas la même tension. Certes, le chant est bien maîtrisé, mais la voix de contre-ténor ne fait pas oublier par exemple Bejun Mehta dans le même rôle avec Minkowski. Face à von Halem, il manque de présence et de consistance, même si cela peut aussi se justifier : il est Orphée jeune, personnage lointain, dans un ailleurs, et il ne peut afficher la même présence y compris charnelle que von Halem. Soyons justes néanmoins, sans être stupéfiante, la prestation reste très honnête et très honorable.
Elena Galitskaya a une fraîcheur et une spontanéité qui en fait une Eurydice surprenante qui immédiatement séduit. Même si le chant (pas très exigeant, c’est quand même Orphée qui a à peu près tout le rôle) manque un peu de corps, le rayonnement est tel, le personnage voulu est tellement présent, qu’elle emporte l’adhésion.

Amour..les enfants © Stofleth
Amour..les enfants © Stofleth

Citons enfin les enfants qui chantent Amour : Léo Caniard, Noé Chambriard, Yoan Guérin, Simon Gourbeix, Tom Nermel, Cléobule Perrot. Ils sont remarquables sur scène d’abord, particulièrement rigoureux dans leur jeu et ils chantent le rôle de manière impeccable, projection, diction, présence sonore, précision. Ils sont magnifiques et diffusent la joie et l’émotion

Le chœur chorégraphié, dirigé par André Kellinghaus est lui aussi particulièrement présent et la prestation vraiment réussie, aussi bien vocalement que scéniquement, car la mise en scène lui impose une gestuelle, des mouvements très précis et l’ensemble est vraiment remarquable.
Enrico Onofri a accepté la gageure de la mise en scène là où d’autres chefs auraient tordu le nez…En son temps, Riccardo Muti, dont l’absence d’intérêt pour les mises en scène est bien connu, avait pour moins que ça spectaculairement quitté Salzbourg devant le travail des Hermann pour La Clemenza di Tito, non sans avoir fait l’essentiel des répétitions, mais à l’époque, il fallait surtout se faire remarquer et emm…Mortier.
Onofri, un peu comme Montanari, familier de Lyon, vient lui aussi de l’univers baroque. Violoniste de formation il enseigne le violon baroque au conservatoire de Palerme et dirige avec succès de nombreux ensembles. Il fait sonner l’orchestre de manière particulière, lui donnant une vraie couleur baroque, avec un peu de sécheresse, beaucoup d’énergie, beaucoup de présence : l’ouverture est vraiment réussie ainsi que toute la partie finale laissée à l’orchestre. En deux soirées (la veille Les Stigmatisés), l’orchestre a montré une vraie ductilité, réussissant dans les deux à s’adapter à des styles très différents, avec une vraie couleur et une vraie personnalité. Ce soir , la musique a été à la hauteur d’une soirée réussie sous tous ses aspects.
Si le Festival annuel est aussi l’occasion de montrer un théâtre en état de marche dans toutes ses composantes, on peut dire que la pari est gagné
Et si vous vous êtes toujours ennuyés à Orphée et Eurydice, ou si tout simplement vous aimez cette œuvre, précipitez-vous à Lyon : il se passe vraiment quelque chose d’émouvant et de profond sur scène. David Marton confirme qu’il est un grand metteur en scène, et Victor von Halem est son prophète. [wpsr_facebook]

"L'ultima cena" © Stofleth
“L’ultima cena” © Stofleth

OPÉRA NATIONAL DE LYON: LA SAISON 2015-2016

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Comme chaque année, l’Opéra de Lyon profite de la présence de nombreux journalistes à l’occasion de l’ouverture du Festival annuel pour annoncer sa saison, une saison dédiée l’an prochain aux Voix de la liberté, une thématique particulièrement d’actualité.

Comme d’habitude, des projets originaux et des choix stimulants, en version diversifiée et légèrement minorée.
En même temps, la présence de Daniele Rustioni tout nouveau chef permanent de l’orchestre à partir de septembre 2017 a été l’occasion d’annoncer les perspectives des années suivantes, où le répertoire italien sera à l’honneur.

L’an prochain, la saison s’ouvrira par une Damnation de Faust de Berlioz, dirigée par Kazushi Ono, une des œuvres fétiches de Lyon (enregistrée par John Eliot Gardiner puis par Kent Nagano) qui n’a néanmoins pas été représentée depuis 1994. Serge Dorny en a confié la mise en scène à David Marton qui vient de réaliser l’étonnant et fascinant Orphée et Eurydice présenté cette saison dans le cadre du Festival. David Marton à qui l’on doit aussi Capriccio il y a deux ans est un jeune metteur en scène hongrois vivant en Allemagne, une des figures montantes du théâtre. Kate Aldrich, Charles Workman (actuellement distribué dans Les Stigmatisés où il chante Alviano) et Laurent Naouri se partageront les rôles principaux.
Puis en novembre, une création de Michael Nyman, L’homme qui prenait sa femme pour un chapeau, d’après un récit du neurologue Oliver Sacks sur la maladie d’Altzheimer inspiré d’un fait réel, réalisé par le Studio de l’Opéra de Lyon au théâtre de la Croix Rousse, dans une mise en scène de Dominique Pitoiset et dirigé par Philippe Forget.
En décembre, pour les fêtes, une opération Offenbach très lourde, une recréation d’un Opéra-féerie, Le Roi Carotte, créé triomphalement en 1873 à Paris, puis dans les grandes capitales musicales (y compris New York), mais trop cher pour être repris (une durée de 6h et près de 40 rôles). Avec les coupures dues, Laurent Pelly qui a réalisé à Lyon tant d’œuvres d’Offenbach de référence mettra en scène cette satire des excès du pouvoir composée à l’origine pour railler le régime de Napoléon III, confiée à un jeune chef français très prometteur, Victor Aviat, naguère brillant hautboïste et ex-assistant d’Ivan Fischer. On y retrouvera Jean-Sébastien Bou et Yann Beuron, mais aussi la grande Felicity Lott qui reviendra pour l’occasion à Lyon.
Parallèlement au théâtre de la Croix Rousse, un autre Offenbach confié au Studio de l’Opéra de Lyon, Mesdames de la Halle, mise en scène de Jean Lacornerie et dirigé par le jeune chef Nicholas Jenkins.
En janvier, l’un des chefs d’œuvre du XXème siècle, Lady Macbeth de Mzensk de Dimitri Chostakovitch, dirigé par Kazushi Ono, avec une très belle distribution, Ausrine Stundyte, qui a triomphé dans le rôle à Anvers, Peter Hoare, John Daszak et John Tomlinson le vétéran dans le rôle de Boris Ismailov le beau père.
Après le Nez confié à William Kentridge et Moscou quartier des Cerises à Jérôme Deschamps et Macha Makeieff, ce troisième opéra de Chostakovitch présenté a été confié à Dimitri Tcherniakov, qui pour sa première mise en scène à Lyon, reprendra un travail initialement proposé à Düsseldorf (où Lady Macbeth de Mzensk fut créé hors URSS en 1959) dont il retravaillera complètement les premier et deuxième actes. C’est le début d’une future collaboration plus régulière avec le metteur en scène russe.
Le Festival 2016 aura pour thème Pour l’humanité et s’ouvrira le mardi 15 mars par une création de Michel Tabachnik sur un livret de Regis Debray Benjamin dernière nuit consacrée à Walter Benjamin, dans une mise en scène de John Fulljames (qui a fait à Lyon Sancta Susanna et Von heute auf morgen, récemment retransmis à la TV), l’ensemble sera dirigé par Bernhard Kontarsky.
La deuxième œuvre, un des triomphes du XIXème, disparue des scènes en 1934, reprise de manière sporadique depuis et un peu plus régulièrement depuis quelques années, La Juive de Jacques Fromental Halévy, dans une mise en scène d’Olivier Py, dirigé par Daniele Rustioni, avec une très intéressante distribution: Nikolai Schukoff (le Parsifal de Lyon), Rachel Harnisch, Peter Sonn et Roberto Scandiuzzi.
Enfin, le Festival comme cette année, séjournera au TNP Villeurbanne pour  l’Empereur d’Atlantis de Viktor Ulmann reprise de la mise en scène de Richard Brunel, dirigée par Vincent Renaud, le tout confié aux solistes du Studio de l’Opéra de Lyon et aussi théâtre de la Croix Rousse pour Brundibar de Hans Krása, mise en scène de la jeune Jeanne Candel, dirigée par Karine Locatelli. Ainsi ces deux oeuvres issues du camp de Theresienstadt illustreront à leur tour le thème du Festival, traces tragiques d’humanité au coeur de la barbarie.

Les deux productions qui clôtureront la saison ne manquent pas non plus d’intérêt, puisque Peter Sellars reviendra à Lyon dans la production imaginée par Gérard Mortier pour Madrid de Iolanta de Tchaïkovski et de Perséphone de Stravinski, en coproduction avec Aix en Provence. Soirée dirigée par Theodor Currentzis qui fait ses débuts à Lyon, on y verra entre autres Ekaterina Scherbachenko et Willard White dans le Tchaïkovski tandis que dans le Stravinski l’actrice Dominique Blanc et le ténor Paul Groves se partageront l’affiche.
Enfin, l’année se conclura par une production qui n’en doutons pas fera courir les foules : l’Enlèvement au sérail de Mozart, qui manque à Lyon depuis une trentaine d’années, et qui sera confié à Wajdi Mouawad pour sa première mise en scène d’opéra. Sous des dehors de comédie, l’Enlèvement au sérail pose des questions assez brûlantes aujourd’hui, et nul doute que Wajdi Mouawad cherchera à  les mettre en évidence. C’est Stefano Montanari, désormais habitué de Lyon qui dirigera l’orchestre et dans les rôles principaux Jane Archibald, bien connue, dans Konstanze et l’excellent Cyrille Dubois dans Belmonte.
À ce programme il faut ajouter l’opéra belcantiste en version de concert présenté à Lyon et au Théâtre des Champs Elysées à Paris, ce sera cette année Zelmira de Rossini , dirigé par Evelino Pidò avec Michele Pertusi, Patrizia Ciofi, John Osborn (8 et 10 novembre), les récitals de chant (Anna-Caterina Antonacci le 20 septembre, Sabine Devieilhe le 19 décembre, Natalie Dessay le 6 mars et Ian Bostridge le 10 avril dans un Voyage d’hiver qui ne devrait pas manquer d’intérêt) ainsi que la résidence de l’Opéra de Lyon à Aix en Provence en juillet 2015 avec la soirée Iolanta/Perséphone dirigée par Theodor Currentzis et la reprise très attendue du Songe d’une Nuit d’été de Britten dans la mythique production de Robert Carsen, dirigé par Kazushi Ono.
Que conclure de cette saison ? D’abord, tout en tenant compte intelligemment des contraintes économiques qui pèsent aujourd’hui sur le spectacle vivant, on retrouve les constantes de la politique menée à Lyon alliant une volonté de célébration du répertoire et d’invention, comme l’a souligné Serge Dorny, avec une politique raffinée et modulée, alliant nouvelles productions et reprises ou nouvelles propositions sur des spectacles déjà présentés, montée en puissance du studio de l’Opéra de Lyon dirigé par Jean-Paul Fouchécourt, et des formats de spectacles très divers ainsi que des créations (deux l’an prochain). Ensuite, on constate un allègement de la charge de la salle de l’Opéra, au profit de salles partenaires (TNP, Théâtre de la Croix Rousse), permettant sans doute un planning de répétitions moins tendu. Enfin, avec l’arrivée de Daniele Rustioni, très proche d’Antonio Pappano, se profile une réorientation du répertoire.

En tous cas, Serge Dorny lors de la conférence de presse a levé le voile sur certaines productions futures, comme un Festival « Verdi et le pouvoir » en 2017, ou un Mefistofele de Boito en 2018 et un Guillaume Tell en 2019, ainsi que la venue du chef Hartmut Haenchen pour un mystérieux Festival en 2016-2017 ce qui montre que les idées ne manquent pas.
Malgré les inévitables contractions budgétaires, l’Opéra de Lyon continue d’être l’une des scènes les plus innovantes et les plus stimulantes en Europe, et la présence de nombreux lycéens lors de la Première de Les stigmatisés  montre que la Région Rhône-Alpes en matière de culture reste l’un des phares des régions françaises. Au moins, on offre aux jeunes autre chose que Aida ou la Flûte enchantée : ces jeunes auront eu le privilège non seulement d’assister à une création scénique, mais d’accéder à un opéra magnifique, et inconnu. C’est ainsi qu’on se construit une culture : le public lyonnais à ce titre est très gâté. [wpsr_facebook]

OPÉRA NATIONAL DE LYON: LA SAISON 2014-2015

La salle de Jean Nouvel
La salle de Jean Nouvel

Serge Dorny reste donc à Lyon.  En soi c’est une très bonne nouvelle. Pour lui c’est sans doute plus difficile. Après plus de 10 ans il est légitime d’aspirer à autre chose. La perspective de diriger un opéra historique comme celui de Dresde pouvait être d’autant plus intéressante que la programmation actuelle en est relativement médiocre si l’on excepte les quelques soirées dirigées par Christian Thielemann.  L’aventure mort-née laisse un goût amer. Et le retour à Lyon s’accompagne probablement d’un désir d’ailleurs : comment pourrait-il en être autrement ?
Le spectateur que je suis profitera donc néanmoins de ces prochains mois avec gourmandise. Serge Dorny propose une des programmations les plus complètes et les plus intelligentes d’Europe. En cela, il est le digne successeur de Jean-Pierre Brossmann. Combien de metteurs en scène, combien de chefs sont passés à Lyon avant de connaître une gloire internationale ?  Il suffit de penser à Kirill Petrenko ou à Kent Nagano.
Serge Dorny formé à l’école de Mortier a imposé un style,  une esthétique puisant largement dans l’école allemande ; ce n’est pas moi qui m’en plaindrai. Et le public lyonnais, depuis longtemps habitué à des œuvres sans concession, public formé à l’école de Planchon, de Chéreau,  un public qui va du TNP à l’opéra, de Villeurbanne à Lyon,  fait bon accueil à ces productions,  qui d’ailleurs ne sont pas toutes exceptionnelles et c’est bien normal, mais toujours d’un niveau plus qu’honorable au minimum.  Quel opéra en France peut se targuer d’accueillir Peter Stein, Olivier Py, François Girard, Christophe Honoré, Yoshi Oida, La Fura dels Baus, Ivo van Hove ou de faire découvrir David Bösch ou David Marton ?
L’an prochain,  dans une saison appelée « Au-delà du réel », nous reverrons La Fura dels Baus (Le Vaisseau fantôme),  Christophe Honoré (Pelléas et Mélisande), David Marton (Orphée et Eurydice) qui signa un si beau Capriccio, Olivier Py (reprise de Carmen), David Bösch qui crée à Lyon Simon Boccanegra au début de ce mois de juin proposera l’an prochain Les Stigmatisés de Schreker, une production très attendue. Pour la première fois, Stephan Herheim  présentera une production en France, sa Rusalka, déjà vue à Bruxelles et Barcelone, Martin Kušej (La Forza del Destino à Munich…) fera Idomeneo et Michel van der Aa créera à Lyon un opéra hyper technologique,   Le jardin englouti,  dans le cadre du festival désormais traditionnel dédié cette année aux jardins mystérieux.
Enfin, Jean Lacornerie, directeur du Théâtre de la Croix Rousse, élève et compagnon de route de Jacques Lassalle fera à la fois le musical de Broadway bien connu Le roi et moi de Rodgers et Hammerstein, et Roméo et Juliette de Boris Blacher, un compositeur peu connu, classé comme dégénéré par les nazis, spectacles tous deux présentés à La Croix Rousse.
Enfin comme chaque année en version de concert un opéra belcantiste de la première moitié du XIXème : Lyon commence un cycle Rossini avec la redoutable Semiramide dirigée par Evelino Pido’ avec Elena Mosuc.  Mais cette année, en plus, Joyce Di Donato,  prêtresse mondiale du bel canto notamment rossinien  ouvrira la saison par un concert exceptionnel le 22 septembre 2014.
Comme il se doit la programmation propose quelques grands standards, des œuvres du répertoire moins connues, des chefs-d’œuvre totalement ignorés dans des propositions scéniques qui excitent la curiosité:  l’opéra de Lyon reste l’un des meilleurs du monde pour l’innovation et le risque artistique.
Serge Dorny  réunit aussi les équipes musicales cohérentes, jeunes, qui reviennent souvent à l’opéra de Lyon,  et qui finissent par former une sorte de troupe ou tout du moins un groupe d’habitués.  C’est l’occasion d’entendre de belles voix encore protégées du star-system,  ou des chefs originaux , dynamiques,  dont on commence à entendre parler. Ainsi dans l’ordre chronologique découvrirons-nous :

– en octobre 2014, Le vaisseau fantôme  de Richard Wagner,  dans une production de Alex Ollé (La Fura dels Baus) qu’il se situe non dans le Nord mais dans le lointain Sud dans les cimetière de bateaux du Bangladesh,  restes rouillés de l’industrialisation occidentale.  Le chef en sera Kazushi Ono. Simon Neal ( qui a chanté Oedipe de Georges Enesco à Francfort cette année) sera le Hollandais,  Falk Struckmann Daland tandis que que Senta sera chantée par celle qui a stupéfié dans Erwartung, Magdalena Anna Hoffmann.

–En décembre 2014 et au tout début janvier 2015,  Rusalka, de Dvořák, dans l’étourdissante mise en scène du norvégien Stephan Herheim,   conte triste de la nymphe qui veut devenir mortelle et qui est victime de la méchanceté et de l’indifférence des hommes. La meilleure Rusalka du moment, Camilla Nylund, et le vaillant Dmitro Popov se partageront les principaux rôles tandis que Jezibaba sera interprétée par Janina Baechle. L’Orchestre est confié à Konstantin Chudovski, jeune chef russe qui commence a diriger partout en Europe.

–en décembre 2014 toujours mais au théâtre de la Croix-Rousse, Jean Lacornerie dans le cadre des spectacles jeune public présente et met en scène Le Roi et Moi de Rodgers et Hammerstein, le fameux music-hall de Broadway,  dirigé par Karine Locatelli.

–En janvier-février 2015,  Martin Kušej proposera Idomeneo de Mozart, dirigé par Gérard Korsten, bon chef pour ce répertoire, avec une jolie distribution Lothar Odinius, Kate Aldrich, Elena Galitskaya, et Maria Bengtsson (dans Elettra).

–En février-mars 2015 au théâtre de la Croix-Rousse Roméo et Juliette, de Boris Blacher, mis en scène de Jean Lacornerie et dirigé par Philippe Forget par le studio de l’Opéra de Lyon,  occasion de découvrir un compositeur peu connu qui fut  le maître de Gottfried von Einem ou d’Aribert Reimann.

– Du 13 au 29 mars 2015, le Festival annuel dédié cette année aux Jardins mystérieux avec trois opéras,  un opéra du répertoire,  un opéra jadis classé dans les dégénérés et qui revient sur les scènes désormais relativement régulièrement et une création.

  • Les Stigmatisés (Die Gezeichneten) de Franz Schreker (1918),  À voir absolument  dans une mise en scène de David Bösch dirigé par le jeune et talentueux Alejo Perez, et avec une belle distribution, Charles Workman, Magdalena Anna Hoffmann, Simon Neal, Markus Marquardt.
  • Orphée et Eurydice de Gluck,  mise en scène de David Marton,  dans la version de Vienne dirigée par Enrico Onofri, spécialiste du baroque et compagnon de route du Giardino Armonico et de Giovanni Antonini, avec un Orphée masculin, Christopher Ainslie (et son double Franz Mazura, qui aura alors 91 ans) et Elena Galitskaya en Eurydice.
  • Le jardin englouti de Michel Van der Aa, présenté au TNP de Villeurbanne en coproduction avec l’English National Opera et le Toronto Festival of Arts and Culture, dirigé par Etienne Siebens, qui travaille avec Michel van der Aa et participe à de nombreux projets contemporains, avec notamment Roderick Williams , Katherine Manley et Claron McFadden. Un opéra phénomène, réel, virtuel, digital

–fin avril et mai 2015 : reprise de Carmen dans la mise en scène discutée d’Olivier Py, et avec une tout autre distribution, sans doute meilleure que la première série, Kate Aldrich (Carmen), Arturo Chacon-Cruz,  qui fut Werther À Lyon dans la mise en scène de Rolando Villazon,  Jean-Sébastien Bou dans Escamillo (Claude l’an dernier) et Sophie Marin-Degor dans Micaela. L’orchestre sera dirigé par Riccardo Minasi , spécialiste du répertoire baroque qui succède au pupitre à un autre spécialiste du baroque, Stefano Montanari.

–en juin dernier opéra de la saison,  last but not least, Pelléas et Mélisande de Claude Debussy,  dans une mise en scène très attendue de Christophe Honoré qui fait un lien entre Mélisande et Phèdre,  dans une intéressante distribution réunissant Bernard Richter, Hélène Guilmette, Sylvie Brunet-Grupposo, Vincent Le Texier et Jérôme Varnier, dirigé par Kazushi Ono.

Voilà une saison au total très stimulante,  qui excite la curiosité et va élargir la connaissance du répertoire. Face à une saison de l’Opéra de Paris particulièrement terne, le seul conseil qu’on puisse donner aux parisiens est de prendre un abonnement TGV et  un abonnement à l’Opéra de Lyon, car pas une production n’est à négliger. Dresde a beaucoup perdu et, pour cette année encore,  Lyon reste gagnant. [wpsr_facebook]

LE PALMARÈS 2013 DU WANDERER

Amusons-nous.
En ces temps de Victoires, de Césars, d’Oscars, d’Awards divers et en l’absence remarquée des Molières engloutis dans la lutte entre théâtre public et théâtre privé (comme si le théâtre pouvait se subdiviser), je me suis amusé à faire un palmarès né de mes pérégrinations. Pas de panel, pas de vote, pas d’appel au 3637 ou autre, puisque j’en suis le seul juré, juge et jouisseur (souvent), juge et victime (quelquefois). Donc un palmarès pleinement revendiqué,  personnel, et établi à partir des spectacles vus dans l’année et listés dans l’article précédent.

J’ai donc repris un à un les articles écrits depuis janvier 2013, et force est de constater qu’un certain nombres de spectacles sont déjà tombés dans les oubliettes de l’histoire. Il y a sans doute quelque bonne raison, y compris pour des productions appréciées sur le moment ; je ne dirai pas lesquelles, parce que l’heure est à la fête.
Un certain nombre d’autres sont restées en revanche gravées en mémoire: un concert, une pièce, un opéra vous accompagnent de manière continue, , on ne sait pas toujours pourquoi, et là aussi il y a sans doute quelque bonne raison.
Il a fallu également réfléchir à la nature des prix.
Pratiquement tout est prix, et tout est pris, les Ours, les Palmes, les Lions, les Césars, les Diapason, les Etoiles, sans compter ceux qu’on ne connaît pas.
Que pouvait donc attribuer le Wanderer? il ne pouvait attribuer un Ring, ce bien si mal acquis, maudit, et presque aussitôt remis en d’autres mains.
Mais il pouvait peut-être attribuer des Walhalla, son Panthéon à lui. Et du coup est venue l’idée d’attribuer des Walhalla et d’autres prix nés des personnages et des objets du Ring wagnérien, en essayant de les relier aux productions et concerts vus. Si vous avez des idées pour aller plus loin que je n’ai été, allez-y, proposez, via twitter par exemple, ce sera sans doute amusant de compléter cette liste. Un exemple, j’ai attribué un Fafner au spectacle le plus soporifique vu cette année (normal, Fafner ne fait guère que dormir après avoir assassiné Fasolt). On pourrait peut-être attribuer un bandeau de Wanderer pour un spectacle à demi-réussi, mais à qui, à quoi attribuer un Tarnhelm ou un Nothung ?
J’ai malgré tout primé le plus mauvais spectacle vu (toujours selon mon goût): ce sera un Walhalla de cendres, un Aschen-Walhalla  post embrasement et post crépusculaire.

Pour rester dans le sérieux dû à l’art, j’ai essayé  de définir les catégories suivantes:

Les Walhalla (les réussites),
(les prix sont libellés en version germanique, c’est plus chic et moins commun qu’un award…)
Walhalla 2013  la meilleure production vue en 2013
Opernhaus-Walhalla: la meilleure maison d’opéra fréquentée
Konzert-Walhalla : le meilleur concert vu et écouté
Regie-Walhalla pour le metteur en scène de l’année
W(comme weiblich)-Walhalla de la voix féminine
M(comme männlich)-Walhalla de la voix masculine

Les promesses:
Le Loge 2013, le metteur en scène le plus malin et prometteur
Le Waldvogel 2013, la voix la plus prometteuse d’un grand futur

Les échecs:
Le Fafner, désignant la production la plus soporifique vue dans l’année
Le Aschen-Walhalla (Walhalla de cendres), le spectacle le moins réussi

Voici donc mon Walhalla personnel, palmarès 2013 des spectacles et concerts vus; il n’y a pas de surprise pour les lecteurs du blog qui ont lu mes enthousiasmes, mes agacements et mes émotions, mais cela permet de prendre date, et de marquer un peu la mémoire

PALMARÈS 2013 DU BLOG DU WANDERER

La zone grise
Fafner 2013: production la plus soporifique
Parsifal, Osterfestspiele Salzburg,  dir.mus: Christian Thielemann, mise en scène: Michael Schulz

Aschen-Walhalla 2013 Walhalla de cendres: production la moins réussie
Ariadne auf Naxos, Opéra de Budapest, dir.mus: Domonkos Heja, mise en scène: Ferenc Anger
Tellement problématique à presque tous niveaux que je n’ai pas voulu en rendre compte dans le blog…

Le Carré d’Or

Loge 2013:
le metteur en scène le plus malin et le plus riche d’avenir
David Marton, pour Capriccio à l’Opéra de Lyon

Waldvogel 2013:
la voix la plus prometteuse d’un grand futur: Sabine Devieilhe, pour Constance dans Dialogues des Carmélites (Opéra de Lyon), intensité, présence, potentiel vocal.

M-Walhalla 2013 pour la voix masculine de l’année:
Ludovic Tézier pour son Posa à Munich (Don Carlo, dir.mus Zubin Mehta, mise en scène Jurgen Rose).
W-Walhalla 2013 de la voix féminine de l’année: ex aequo
Nina Stemme pour Brünnhilde de Götterdämmerung à Munich (Götterdämmerung, dir.mus: Kent Nagano, ms en scène Andreas Kriegenburg). Pas de surprise…
Elisabeth Kulman pour Fricka dans Der Ring des Nibelungen à Lucerne (Rheingold, Walküre, Bamberger Symphoniker, dir.mus: Jonathan Nott), inattendue, mais impériale.

Dirigent-Walhalla 2013: le chef de mon année 2013.
Sans l’ombre d’une hésitation, Kirill Petrenko pour Die Frau ohne Schatten à Munich  et Götterdämmerung à Bayreuth.

Regie-Walhalla 2013 :
Calixto Bieito pour Die Soldaten à Zürich.
Vu aussi Boris Godunov à Munich, une autre bonne mise en scène . On peut vous souffler que Stéphane Lissner l’a invité pour une production à Paris, enfin !!

Konzert-Walhalla 2013:

ex-aequo:
Le plus beau concert de l’année: War Requiem, de Benjamin Britten, Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks, dirigé par Mariss Jansons, avec Mark Padmore, Christian Gerhaher, Emily Magee au Festival de Pâques de Lucerne, le 23 mars 2013.
Le plus stupéfiant concert de l’année: Symphonie Fantastique de Berlioz, Berliner Philharmoniker, dirigé par Claudio Abbado les 18 et 19 mai 2013.

Opernhaus-Walhalla 2013, la maison d’opéra de l’année
nul ne s’en étonnera, pour des raisons diverses, ex-aequo,
– Bayerische Staatsoper München, l’Opéra de Munich pour le niveau exceptionnel de nombreuses soirées d’opéra et l’intelligence des choix esthétiques.
– Opéra National de Lyon: pour l’intelligence de la programmation, la qualité constante des productions et l’homogénéité des distributions.

Enfin, le Walhalla 2013 va à
Der Ring des Nibelungen, mise en scène Andreas Kriegenburg, dir.mus: Kent Nagano entre le 23 janvier et le 27 janvier 2013 à la Bayerische Staatsoper. Pour moi le spectacle le plus stimulant et le plus total de mon année lyrique.

Nota:
On pourra s’étonner de ne pas trouver dans ce palmarès l’Elektra d’Aix en Provence mise en scène par Patrice Chéreau: voilà le type même de production qui ne peut concourir dans une catégorie quelconque,  après la date fatidique du 7 octobre, à cause de sa charge émotive et symbolique. Patrice Chéreau est désormais au Walhalla, pour l’éternité, et nous irons tous faire un triomphe à son Elektra désormais posthume, à la Scala, entre le 18 mai et le 10 juin 2014.

2013 est en train de s’éteindre, vive 2014 !
Et pour tous les lecteurs de ce blog une bonne et heureuse année, pleine d’opéras, de concerts, de théâtre et surtout pleine de plaisir et de passion.
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OPÉRA DE LYON 2012-2013 : CAPRICCIO de Richard STRAUSS le 11 MAI 2013 (Dir.mus: Bernhard KONTARSKY, mise en scène: David MARTON)

Le décor © Jean-Pierre Maurin

Capriccio n’est pas le moins connu des opéras de Strauss, mais point non plus des plus populaires et ce n’est que depuis ces dernières années qu’on commence à le revoir sur les scènes européennes. Ma première fois fut à Bologne, dans une très belle mise en scène de Luca Ronconi, en version italienne avec Raina Kabaivanska et dirigé par…Christian Thielemann en état de grâce, à l’époque où il était un espoir de la baguette. Imaginer Thielemann diriger en italien un Strauss avec la Kabaivanska (qui a l’époque chantait, en italien aussi, Janacek – l’Affaire Makropoulos – toujours avec Ronconi, mais à Turin), cela ne laisse d’étonner; mais c’est ainsi, et c’était ma foi très beau, d’autant que  Luca Ronconi , qui est rappelons-le, l’un des plus grands metteurs en scènes de la fin du XXème siècle (Orlando Furioso aux Halles Baltard, Orestie à la Sorbonne, Les derniers jours de l’humanité au Lingotto de Turin etc.. etc..) s’y entend en matière de théâtre dans le théâtre.
J’ai aussi vu une production de Marco Arturo Marelli à la Staatsoper de Vienne, assez jolie, mais très illustrative dans un joli décor transparent,  avec Renée Fleming et une excellente distribution (Hawlata, Eröd, Kirschlager), dirigée par Philippe Jordan avant son arrivée à Paris.  J’ai renoncé à la  dernière production parisienne, parce que Robert Carsen en déclinaison multiple me fatigue désormais, et que je n’ai pas de particulière attirance pour la pâle Michaela Kaune en Madeleine et malgré une distribution par ailleurs bien construite.

Le livret est signé Clemens Krauss et Richard Strauss, et la création a eu lieu en novembre 1942 à Munich, avec Viorica Ursuleac, l’épouse de Clemens Krauss.
L’action de cette “conversation en musique” consiste en une discussion passionnée où le poète Olivier et le musicien Flamand discutent et disputent au moment de la polémique entre Piccinistes et Gluckistes devant un directeur d’opéra qui prône avant tout “le spectacle”. La Comtesse arbitre entre l’un (Olivier) qui défend la suprématie des paroles dans l’opéra et l’autre (Flamand) qui défend celle de la musique. et en même temps essaie de choisir entre l’amour de l’un et l’amour de l’autre. Rien ne sera décidé à la fin, sinon de faire un opéra sur la discussion passionnée qui s’est développée.
L’œuvre, considérée comme une sorte de testament de Strauss, qui pose la question irrésolue des paroles et de la musique,  mais surtout celle du théâtre et de l’opéra est une grande réussite, qui rappelle par certains aspects Ariane à Naxos; certains la trouvent  longuette, sans intérêt sinon pour la scène finale: de fait, il faut une certaine maestria pour éveiller l’intérêt du public autour d’une conversation aussi théorique et remuant tous les débats autour de l’opéra, après Wagner, Debussy et Berg. Mais, et après la représentation de Lyon encore plus, Capriccio tient la distance et en dépit de quelques spectateurs (deux ou trois) sortis avant la fin, le public présent, rempli de jeunes comme d’habitude, et notamment en ce week-end de “Tous à l’Opéra”, a fait un bel accueil à la production.
D’ailleurs, la salle de Lyon convient bien à cette œuvre relativement intimiste, par son rapport rapproché à la scène, par son ambiance noir, rouge et or, qui souligne aussi les couleurs de l’opéra.
Au théâtre, dans les constructions en abyme se pose immédiatement la question de la place du spectateur et du point de vue qu’on lui assigne. La lampe initiale, descendue des cintres pendant que l’orchestre joue le sextuor qui sert d’ouverture et qui rappelle tant les premières mesures d’Ariane à Naxos, donne une manière de réponse. Le public est part du jeu, et ce à quoi il va assister est bien la re-présentation de Capriccio, c’est à dire l’opéra composé pour l’anniversaire de Madeleine, et non sa genèse. Et dès le lever de rideau, le décor monumental et magnifique du danois Christian Friedländer installe la représentation dans toute sa complexité: un théâtre en coupe (inspiré par la maquette du Palais Garnier au Musée d’Orsay),  comme on en voit dans les manuels d’architecture du XVIIIème, salle, fosse, loges, scènes, coulisses et dessous, permettant de jouer, éclairages aidant, sur les fonctions de chaque lieu, sur le sens des regroupements, sur scène, derrière la scène, sous la scène, dans la salle, dans les loges dans une sorte de faux réalisme ou d’hyperréalisme fantasmé.
Toute la mise en scène de David Marton, metteur en scène hongrois de 37 ans installé à Berlin , qui est aussi musicien, est un travail sur la représentation et ses ambigüités, ses aspects spéculaires, mais aussi sur le contexte de la création de l’œuvre, en pleine guerre, en 1942, et sur l’apparente vacuité du débat qui agite le petit cénacle quand la barbarie s’étend sur l’Europe.
Le théâtre permet un jeu sur les époques, la Comtesse et le Comte sont en habits XVIIIème, pendant que les acteurs et les autres personnages sont en habits contemporains (de 1942): qui dès lors est en représentation? Ceux qui font le débat ou ceux qui y assistent? La comtesse ou le comte (frère et sœur d’une singulière familiarité, presque un couple) ou les autres? C’est qu’au théâtre, les choses se mélangent, les temps se mélangent et tout est en suspens:  toute question y reste  sans réponse.
Beaucoup de jeu spéculaire aussi entre Flamand et Olivier: le rideau s’ouvre comme s’ils se regardaient au miroir, même gestes symétriques, mêmes attitudes… un jeu qui se reproduira avec Madeleine et son double vieilli dans la scène finale qui rappelle un peu la Maréchale du Rosenkavalier se regardant vieillir. Encore une fois, pas de temps dilaté au théâtre, mais un temps concentré, ou suspendu, comme ces trois danseuses qu’on voit tour à tour surgir aux trois âges de la vie (magnifique moment), et tout  espace est espace de théâtre, comme lorsque Flamand sur scène déclare sa flamme en représentation au serviteur venu porter le chocolat, assis sur la bergère, comme si le serviteur figurait la comtesse alors qu’il est en train de se déclarer et donc qu’il est théoriquement dans l’absolue sincérité, et dans l’expression la plus directe.
Les spectateurs que nous sommes avons œil sur tous les espaces, devant et derrière les rideaux (des bandes clinquantes écarlates). Si l’action est en salle,  sur scène des personnages s’activent en coulisse ou se font contrôler et enregistrer derrière un paravent ou s’éloignent en cortège entre deux rideaux.

Conversation..en salle © Jean-Pierre Maurin

Dans la salle, les personnages eux-mêmes s’organisent en groupe selon les besoins ou les significations: assis dans les gradins, ou disposés en cercle face au public pour discuter “hors jeu” ou occupant les places dans la fosse, la place du chef étant la plus ambitionnée.
Et l’action des personnages sur scène s’accompagne toujours de mise en représentation, la table du buffet est une somptueuse table de théâtre, on s’assied pour discuter et l’on est bientôt entouré de plantes qui composent comme un tableau.

Conversation…en scène © Jean-Pierre Maurin

Et tous les arts sont convoqués, la poésie par ses moments parlés, la musique avec le beau moment de musique de chambre initial, mais Olivier l’écrivain joue aussi du violon (la mise en scène profitant de la formation d’alto du chanteur Lauri Vasar qui joue vraiment), la danse aussi dont on ne débat pas, mais qui place le corps au centre et qui ne peut vivre sans la musique: tout est motif pour mélanger les genres, pour montrer que le théâtre est le lieu de tous les possibles et surtout lieu de synthèse..
Le fait même que le décor ne soit pas un théâtre, mais une maquette de théâtre, bien inscrite dans le temps et s’insérant dans l’espace très contemporain de l’opéra de Lyon renvoie les personnages eux-mêmes à l’état d’automates, ou de figurines telles qu’on en voit dans les maquettes: on est bien dans une représentation d’images.
Enfin, évoquant l’époque sans appuyer, David Marton fait du souffleur, Monsieur Taupe (le bien nommé) une sorte de regard presque extérieur, l’espion (de la Gestapo?), celui qui, invisible, fait,  avec son petit bloc notes, de l’ensemble un objet à consigner, de chacun un être à surveiller; alors regarde-t-on aussi autrement ces personnages qui apparaissent et disparaissent des loges, ces regards discrets-indiscrets qui en silence, observent ce qui se construit: faire un opéra en 1942 n’est pas vraiment ordinaire, et les sorties de La Roche sur la notion de spectacle, les allusions dans les lettres de Strauss sur l’opérette à la Lehar, c’est à dire sur les manières d’endormir l’esprit le public ne peuvent être des hasards.
Enfin, on sent par ailleurs que David Marton a été à l’école de Frank Carstorf, quand il insère çà ou là des moments suspendus, comme des incises (passage de la jeune danseuse qui sautille en marmonnant une sorte de comptine) ou quand il se plaint dans une interview (au Progrès de Lyon) de ne pas pouvoir intervenir sur la musique. Mais ce travail reste très scrupuleux dans la manière de suivre la musique et de souligner combien les formes multiples de jeu accompagnent la forme musicale qui elle-même essaie de revenir sur toutes les formes utilisées dans l’opéra en général et dans les opéras de Strauss en particulier: on a des ensembles, des airs, des trios, des moments a capella, des “concertati” notamment à la fin, et de plus en plus nombreux, qui miment l’agitation de la discussion, on a aussi l’intervention du chant italien, comme dans Rosenkavalier, avec ses ornements et sa manière de cultiver la forme pour la forme avec les excellents Elena Galitskaya (vraiment remarquable) et le jeune Dmitry Ivanchey, c’est à dire un florilège puisant dans toute la tradition lyrique.Par ailleurs comment dans cette conversation en musique ne pas voir l’influence des approches nouvelles de l’opéra au XXème et  de l’école de Vienne. On entend bien sûr tout le parcours de Strauss, mais aussi de manière incidente, on entend Meistersinger,  tout le débat wagnérien et partant tous les débats musicaux du début du siècle. On joue en permanence avec l’histoire du genre, comme pour un bilan en forme de point final.
Alors oui, on est bien face à une œuvre complexe, qui pose un problème presque irrésolu à l’opéra: comment représenter  la philosophie ou l’abstraction dans un art où l’émotion naît de l’expression directe des sentiments, où la simplification des caractères est presque un donné initial. David Marton a réussi à combiner les deux, en faisant vivre le théâtre, en variant les approches, en travaillant avec beaucoup d’attention sur les personnages, en glissant des moments désopilants comme par exemple les chanteurs italiens se goinfrant sur la table des friandises dès que leur air acrobatique (et tragique) est terminé, ou en variant l’espace de jeu: l’un des moments les plus réussis est à ce titre la discussion qui peut à peu noie les personnages dans la verdure des plantes apportées au fur et à mesure pour composer sur scène une sorte de jardin d’hiver qui à la fois prépare la scène finale, et dans lequel les domestiques commentent ce qui vient de se passer. La philosophie étouffée dans le décor, noyée dans une nature  composée, renvoyée à l’artifice qui est la vérité du théâtre.

Emily Magee dans la scène finale © Jean-Pierre Maurin

Car toute la dernière scène (si fameuse et si attendue) fait  de ce décor un espace totalement onirique, avec sa scène devenue jardin d’hiver, son théâtre éclairé par la lune et une comtesse vêtue d’un habit d’intérieur doré (qu’un film américain de l’époque ne démentirait pas), comme un personnage hors temps, comme transfigurée, comme une vraie tenue “de scène”, qui va entrer en théâtre plutôt qu’entrer en vie.
Car l’intrigue amoureuse, présente pour essayer de donner vie et souffle au débat théorique, métaphore du choix entre parole et musique, ne va pas se résoudre, bien que la Comtesse, penche probablement pour la musique, malgré la beauté des vers d’Olivier (qui sont en réalité de Ronsard, Continuation des Amours 121). Mais peut-on mettre en parallèle les choix de vie que sont les choix de l’amour et les choix intellectuels ou artistiques ?
L’art lyrique, qui est tresse dialectique infinie des paroles et de la musique n’est pas un non choix, c’est une synthèse supérieure qui va se projeter dans un autre espace figuré par la scène finale, la seule vraie scène d’opéra de l’œuvre, comme si l’opéra naissait d’un constat aporétique, d’une impossibilité structurelle de dire qui domine qui.
Ce débat là, la comtesse le résout au niveau personnel en devenant “personnage d’opéra”, qui voit défiler sa vie figurée par ces trois danseuses, la très jeune qui s’exerce, la danseuse qui dans une loge se fait servir le chocolat comme la comtesse au début de l’œuvre, et la plus vieille qui dirige seule la musique (tout comme on a vu aussi la comtesse) dans une salle vide,  pour l’éternité,  avec au dessus-d’elle la fidèle lampe de théâtre qui éclairait le début du spectacle, un personnage d’opéra qui entre au pays de l’art, des synthèses, de la transfiguration et qui décide de ne pas choisir,  tout choix étant décision strictement humaine.
A ce travail exceptionnel, tout en finesse et en intelligence, avec un sens accompli du geste théâtral , et qui nous fait découvrir un autre metteur en scène hongrois de poids après Arpad Schilling, correspond une distribution solide et particulièrement engagée aux côtés du metteur en scène et de son propos.

Victor von Halem © Jean-Pierre Maurin

La basse Victor von Halem, 73 ans, a parcouru les quarante dernières années du siècle aux côtés des plus grands chefs, à commencer par Karajan, il fut une basse de référence sans être une star. On l’a vu dans tous les grands théâtres d’Europe. Les voix de basse résistent mieux au temps que les autres types vocaux. Par ailleurs, La Roche est un de ces personnages qui exigent d’abord une présence, un jeu, une personnalité, comme le montre son grand monologue-plaidoyer de la scène IX “holà, ihr Streiter in Apoll!”. Incontestablement, la voix est fatiguée, aigus difficiles, quelques moments opaques, mais l’énergie est intacte, la profondeur encore impressionnante, et surtout, un sens du phrasé particulièrement aigu. A Vienne, c’était Franz Hawlata qui aura tous les défauts du monde, sauf que c’est un acteur, un diseur exceptionnel pour un rôle qui n’est pas sans rappeler par certains aspects Hans Sachs. Grand moment de théâtre, grand moment d’admiration pour un chanteur qui fut l’un des piliers du théâtre lyrique.
Le comte de Christoph Pohl est très fluide, très engagé, très présent aussi. Ce baryton, rompu au travail  de troupe (il appartient à l’ensemble du Semperoper) présente des qualités théâtrales de diction notables et un beau timbre. Et dans cette “conversation”, la diction est primordiale.
Michaela Selinger est un mezzo qui a travaillé tous les grands rôles de mezzo et de travesti du répertoire allemand, d’Orlofsky à Oktavian. On remarque immédiatement à la fois sa présence vocale et la qualité de la diction, elle compose une Clairon d’une grande justesse, et montre une belle personnalité scénique.
Lothar Odinius (Flamand) est un ténor peut-être moins à l’aise en scène, un peu raide, plus distant, mais admirable de justesse et d’élégance dans le chant. Je l’avais déjà remarqué à Bayreuth dans Tannhäuser (où il chantait remarquablement Walther von der Vogelweide): diction impeccable, voire modèle, technique et contrôle sur la voix sans reproches, aigus bien préparés et sûrs. Voilà un ténor qui est un Belmonte, un Tamino et sûrement un futur Lohengrin: c’est pour ma part avec l’Olivier de Lauri Vasar, le plus convaincant du plateau.
Justement, Lauri Vasar est une vraie découverte, après son magnifique Prigioniero le mois dernier. C’est un musicien (c’est d’ailleurs un altiste confirmé), doué d’une belle musicalité et d’un sens marqué du phrasé , son engagement scénique, sa présence en tant que personnage, sa manière de diffuser l’émotion, mais aussi sa diction et son expressivité en font un authentique espoir du chant. Remarquable.
Comme dans les bonnes maisons d’opéra, un soin est apporté aux rôles moins importants, tous très bien tenus: on a évoqué les chanteurs italiens plus haut, il faut aussi nommer le majordome de Christian Oldenburg, à la voix chaude et contrôlée.
Reste Emily Magee. Inutile de partir dans des comparaisons hasardeuses dans un rôle qui fut d’Elisabeth Schwartzkopf et de Gundula Janowitz. Emily Magee est aujourd’hui une des  chanteuses qu’on voit sur toutes les grandes scènes, on l’ a vue aussi à Bayreuth, et c’est une chance que l’Opéra de Lyon ait pu l’engager pour ce Capriccio où elle ne démérite pas sans être exceptionnelle.
Je me souviens de son engagement dans l’Impératrice de Die Frau ohne Schatten à la Scala, mais aussi des limites d’une voix qu’on perçoit ici, avec des aigus tirés proches du cri, des stridences et une voix sans la rondeur voulue pour le rôle. On aime dans Strauss, non les voix dites “crémeuses” (expression détestable) à la Fleming (qui reste une très belle Madeleine), mais tout en étant énergiques, plus lyriques, plus rondes, plus charmeuses. Rien de cela ici: la voix reste un peu métallique et trop tendue, et ne réussit pas à instiller le charme inhérent à toute héroïne straussienne. Il faut attendre Anja Harteros, la Maréchale d’aujourd’hui, dans un rôle qui devrait lui aller comme un gant.
Malgré cette déception, Emily Magee compose un personnage très juste, très vif, très présent, ce qui compense un peu les problèmes du chant.
Du point de vue de la direction musicale, Bernard Kontarsky n’en peut mais d’une acoustique lyonnaise toujours sèche, qui ne convient jamais aux épanchements lyriques. Sa direction est analytique, elle est celle d’un expert du répertoire de cette époque, de Berg à Schoenberg, en passant par Hindemith. C’est très réussi au départ, lors du sextuor initial d’une grande clarté, c’est moins réussi dans la partie finale, où l’on demande peut-être à l’orchestre moins d’aspérités et plus d’épaisseur, de douceur et de lyrisme. A ce niveau, on a l’impression que la voix d’Emily Magee et l’orchestre de Bernard Kontarsky ont les mêmes qualités et défauts. Il reste que le son obtenu n’est pas toujours ce qu’on attend dans Strauss, même si la prestation d’ensemble reste honorable, particulièrement dans les parties d’ensemble de conversation les plus agitées, où l’accompagnement orchestral est particulièrement vif et attentif.
Au total, on ne peut que conseiller d’aller voir ce spectacle, qui est une pierre miliaire en matière de réalisation théâtrale et qui est particulièrement bien préparé musicalement avec une compagnie de qualité, très homogène et engagée. Cette production va aller à Bruxelles puisqu’il y a coproduction, mais on aimerait qu’elle revienne à Lyon et qu’elle soit reprise, elle est encore une preuve que c’est avec justice que Lyon a été classé par le jury des Opéras Awards parmi les 4 meilleurs opéras du monde. [wpsr_facebook]

Saluts